EXPOSÉ GÉNÉRAL
Aux termes des articles 311 et 312 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), la mise en oeuvre du budget pluriannuel de l'Union européenne repose sur deux volets, juridiquement distincts, adoptés selon des procédures différentes :
- pour le volet « dépenses », le cadre financier pluriannuel (CFP) , qui fixe les montants des plafonds annuels des crédits d'engagement et des crédits de paiement. Il est formalisé dans un règlement financier, adopté par le Conseil à l'unanimité, après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent ;
- pour le volet « recettes », la décision relative au système des ressources propres (DRP). Cette décision est adoptée à l'unanimité par le Conseil, après consultation du Parlement européen. Elle n'entre en vigueur qu'après son approbation par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.
En France, en application de l'article 53 de la Constitution , la décision « ressources propres » adoptée par le Conseil ne peut être approuvée qu'en vertu d'une loi. Tel est l'objet du présent projet de loi, dont l'article unique vise à autoriser l'approbation de la décision « ressources propres » .
Actuellement, le budget de l'Union européenne est financé par quatre catégories de ressources propres, à savoir 2 ( * ) :
- les ressources propres traditionnelles (RPT) , composées des droits de douane. Ces ressources sont collectées par les États membres pour le compte de l'Union européenne, puis reversées à celle-ci après prélèvement d'un pourcentage par les États membres au titre des frais de perception. Pour la période 2014-2020, ce prélèvement est fixé à 20 % ;
- la ressource fondée sur la taxe sur la valeur ajoutée, dite « ressource TVA » . Elle correspond à une contribution de chaque État membre obtenu par l'application d'un taux d'appel, fixé à 0,3 %, à une assiette de TVA harmonisée entre tous les États membres. Cette assiette est écrêtée à 50 % du revenu national brut (RNB) ;
- des ressources diverses , telles que le report du solde budgétaire excédentaire de l'exercice antérieur, les amendes, les intérêts des prêts, etc . ;
- la ressource fondée sur le revenu national brut dite « ressource RNB » . Elle correspond à l'application d'un taux fixé au cours de la procédure budgétaire à une assiette correspondant au RNB de chaque État membre. Elle constitue la ressource d'équilibre du budget européen, c'est-à-dire que son montant est fixé de façon à financer le différentiel entre le montant des dépenses de l'Union européenne et le produit des autres ressources propres.
Avec la baisse des droits de douane et la hausse du niveau de dépenses de l'Union européenne, la ressource RNB est devenue la principale source de financement du budget européen . En effet, alors qu'elle ne représentait que 30 % environ de celui-ci à la fin des années 1990, elle représente désormais 70 % des ressources propres en 2020 3 ( * ) .
Si la décision « ressources propres » est négociée en parallèle du règlement sur le cadre financier pluriannuel , son entrée en vigueur est généralement plus tardive , compte tenu des délais requis pour son approbation par l'ensemble des parlements nationaux. Ainsi, la décision « ressources propres » actuellement en vigueur 4 ( * ) a été adoptée par le Conseil le 26 mai 2014, et est entrée en vigueur plus de deux ans après, le 1 er octobre 2016. Elle se substitue alors aux dispositions de la précédente décision « ressources propres », avec un effet rétroactif.
Toutefois, la décision « ressources propres » adoptée par le Conseil le 14 décembre 2020 5 ( * ) contient une innovation majeure, à savoir les dispositions relatives au financement du plan de relance européen, qui ne dispose pas d'une base juridique antérieure et ne pourront entrer en vigueur rétroactivement. La mise en oeuvre rapide de ce nouveau dispositif appelle donc à la diligence des États membres dans le processus de ratification par les parlements nationaux .
I. UNE NÉGOCIATION DIFFICILE MARQUÉE PAR LE RETRAIT BRITANNIQUE ET LA NÉCESSITÉ DE RÉPONDRE À LA CRISE SANITAIRE
A. DES PROPOSITIONS INITIALES POUR LE PROCHAIN CADRE FINANCIER PLURIANNUEL MARQUÉES PAR LE RETRAIT BRITANNIQUE
1. Le « Brexit » a complexifié l'équation budgétaire des négociations
Initiées en 2018 par la Commission européenne, les négociations relatives au cadre financier pluriannuel 2021-2027 se sont inscrites dès le départ dans un contexte particulier .
D'une part, le calendrier des négociations s'est télescopé avec celui des élections européennes , qui se sont tenues en mai 2019. L'objectif de la Commission européenne était de parvenir à un accord politique sur les grandes orientations du prochain cadre financier pluriannuel avant cette échéance électorale, par souci d'éviter que les négociations ne prennent du retard à la fin de la période d'application du cadre financier pluriannuel 2014-2020.
Toutefois, ce calendrier a suscité des controverses dans la mesure où il aurait privé les parlementaires européens, élus en 2019, de se prononcer sur ces orientations 6 ( * ) .
D'autre part, la perspective du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne en 2021 , soit la première année du nouveau cadre financier pluriannuel, alors qu'il figurait parmi les principaux contributeurs nets du budget européen, a constitué un axe majeur du débat budgétaire .
Ce retrait entraîne en effet plusieurs conséquences sur le budget européen, telles que 7 ( * ) :
- la suppression d'une ressource équivalente à la contribution nette du Royaume-Uni au budget européen ;
- une diminution du revenu national brut de l'Union européenne , ce qui aurait pu se traduire par une perte de ressources si les États membres avaient souhaité maintenir un niveau de dépenses fixé à 1 % de celui-ci ;
- la fin du mécanisme de compensation (le « chèque britannique »), et par conséquent la disparition du « rabais sur le rabais » dont bénéficiaient les Pays-Bas, l'Autriche, la Suède et l'Allemagne, entraînant ainsi un ressaut potentiellement important de leur contribution.
Ces pertes de recettes sont toutefois minorées par les économies réalisées par l'Union européenne en raison de l'arrêt du financement des dépenses européennes au profit du Royaume-Uni.
Au global, le coût total du retrait britannique est estimé à une perte d'environ 10 milliards d'euros par an pour le budget européen 8 ( * ) .
Dans cette perspective, le retrait du Royaume-Uni a alimenté les débats entre les États membres sur le juste niveau de dépenses de l'Union européenne , interrogeant nécessairement le degré d'ambition de celle-ci et sa « valeur ajoutée » par rapport aux dépenses financées directement par les États membres.
Comme l'avait relevé Jean-François Rapin, « la suppression de la contribution du Royaume-Uni au budget de l'Union européenne impose une réflexion aux États membres sur l'ampleur de l'action européenne souhaitée pour les sept prochaines années . Faut-il réduire le niveau de dépenses en raison du retrait de l'un des principaux contributeurs nets, ou au contraire, l'augmenter pour construire un budget plus ambitieux qui viserait à répondre davantage aux attentes des citoyens ? » 9 ( * ) .
Dans cette perspective , la conduite des négociations n'était pas aisée pour la France . Si le Président de la République, Emmanuel Macron, s'est prononcé dès 2017 10 ( * ) en faveur de ces nouvelles priorités, il n'en reste pas moins que la France demeure, par exemple, le principal bénéficiaire en volume des dépenses de la politique agricole commune . En outre, dans un contexte budgétaire contraint, plaider pour une hausse du budget européen risquant de se répercuter sur sa contribution nationale était délicat pour la France, déjà contributrice nette au budget européen.
2. Deux ans de négociations ont peiné à dessiner les contours d'un compromis fragile
Le 2 mai 2018 , la Commission européenne a présenté ses propositions pour le prochain cadre financier pluriannuel, servant de base de discussion entre les États membres.
Elle a proposé de fixer un plafond de dépenses à 1 134 milliards d'euros (prix 2018) en crédits d'engagement, soit 1,11 % du revenu national brut (RNB) de l'Union européenne .
En tenant compte de plusieurs réserves méthodologiques 11 ( * ) , ce niveau de dépenses était 5 % supérieur à celui prévu pour la période 2014-2020 en crédits d'engagement.
Propositions de la Commission européenne de mai
2018
pour le CFP 2021-2027
(en milliards d'euros, aux prix 2018 et en crédits d'engagement)
CFP 2014-2020** |
CFP 2021-2027 |
Évolution |
|
Rubrique 1 « Marché unique, innovation et économie numérique » |
116,36 |
166,30 |
43 % |
Rubrique 2 « Cohésion et Valeurs », dont : |
387,25 |
391,97 |
1 % |
Fonds européen de développement régional |
196,56 |
200,62 |
2 % |
Fonds de cohésion |
75,85 |
41,37 |
- 45 % |
Fonds social européen |
96,22 |
89,69 |
- 7 % |
Erasmus |
13,70 |
26,37 |
92 % |
Rubrique 3 « Ressources naturelles et environnement » dont : |
399,61 |
336,62 |
- 16 % |
Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) |
286,14 |
254,25 |
- 11 % |
Fonds européen agricole de développement rural (FEADER) |
96,71 |
70,04 |
- 28 % |
Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) |
6,24 |
5,45 |
- 13 % |
Rubrique 4 « Migration et Gestion des frontières » |
10,05 |
30,83 |
207 % |
Rubrique 5 « Résilience, sécurité et défense »* dont : |
1,96 |
24,32 |
- |
Fonds européen de défense |
- |
11,45 |
- |
Rubrique 6 « Le voisinage et le monde » |
96,30 |
108,23 |
13 % |
Rubrique 7 « Administration publique » |
70,79 |
75,60 |
7 % |
Total |
1 082,32 |
1 134,58 |
5 % |
* La rubrique 5 était intitulée « Sécurité et défense » dans le CFP 2014-2020.
** à 27 États membres et incluant le fonds européen de développement.
Note de lecture : la somme des arrondis n'est pas égale à l'arrondi de la somme.
Source : tableau simplifié à partir des données issues de la communication de la Commission européenne du 2 mai 2018 (COM(2018) 321 final) et d'une note du secrétariat de la commission des budgets du Parlement européen intitulée « A preliminary analysis of President Michel's figures », en date du 18 février 2020
Outre la question du niveau de dépenses de l'Union européenne, opposant les contributeurs nets aux bénéficiaires nets , la question de la hiérarchisation des dépenses de l'Union européenne a divisé les États membres , les propositions initiales de la Commission européenne se traduisant par une remise en cause des enveloppes allouées à la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion.
À compter de la fin de l'année 2019, les bases de négociations ont semblé converger vers un niveau de dépenses inférieur à 1 100 milliards d'euros (prix 2018) pour la période 2021-2027.
Ainsi, en décembre 2019, la présidence finlandaise du Conseil a proposé d'établir un plafond de dépenses à 1 087 milliards d'euros, soit 1,07 % du RNB de l'Union .
Lors du Conseil européen des 20 et 21 février 2020 , le Président Charles Michels a proposé aux États membres un plafond de dépenses s'élevant à 1 094,8 milliards d'euros en crédits d'engagement , constituant ainsi une position intermédiaire entre les propositions de la Commission européenne et celles de la présidence finlandaise. Toutefois, aucun accord de principe n'a alors été trouvé.
Par ailleurs, s'agissant du volet « recettes » , dès le début des négociations en 2018, les motifs suivants ont été évoqués afin de promouvoir une diversification des ressources de l'Union :
- la nécessité de freiner la progression des contributions nationales qui, face à un accroissement des dépenses de l'Union européenne et à une chute des droits de douane, constituent la principale ressource du budget européen ;
- trouver de nouvelles sources de financement du budget européen, pour maintenir un niveau de dépenses ambitieux malgré le retrait du Royaume-Uni ;
- mettre en place des ressources propres en adéquation avec le financement de dépenses constituant la « valeur ajoutée européenne » , plutôt que des dépenses essentiellement redistributives entre les États membres.
Ainsi, dans ses propositions initiales en mai 2018, la Commission européenne avait déjà évoqué un panier de nouvelles ressources propres, composé des éléments suivants 12 ( * ) :
- une ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne , en affectant au budget européen une fraction de 20 % des recettes du total des quotas disponibles pour la mise aux enchères ;
- une ressource calculée sur la base de la future assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS) ;
- une ressource fondée sur les déchets d'emballages plastiques non recyclés .
À l'époque, la Commission européenne avait estimé que ce panier de nouvelles ressources propres pourrait représenter une contribution de l'ordre de 22 milliards d'euros par an en moyenne , soit un montant de nature à pallier la disparition du financement du Royaume-Uni du budget européen.
Toutefois, à ce stade des négociations, la priorité restait de parvenir à un compromis entre les États membres sur le niveau de dépenses de l'Union européenne.
* 2 Voir l'annexe au projet de loi de finances pour 2021 « Relations financières avec l'Union européenne ».
* 3 Voir l'annexe au projet de loi de finances pour 2021 « Relations financières avec l'Union européenne ».
* 4 Décision du Conseil du 26 mai 2014 relative au système des ressources propres de l'Union européenne (2014/335/EU, Euratom).
* 5 Décision du Conseil relative au système des ressources propres de l'Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom.
* 6 Pour une analyse détaillée, voir : rapport d'information n° 651 (2017-2018) de Patrice Joly, fait au nom de la commission des finances et déposé le 11 juillet 2018, p. 25.
* 7 Voir : Institut Delors, « Brexit et budget de l'UE : menace ou opportunité ? », 16 janvier 2017.
* 8 Ibid .
* 9 Rapport n° 303 (2019-2020) de M. Jean-François Rapin, fait au nom de la commission des finances, déposé le 5 février 2020, sur la proposition de résolution européenne présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne (2021-2027), p. 9.
* 10 Discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017.
* 11 Comme la commission des finances l'a rappelé à plusieurs reprises, les comparaisons entre les cadres financiers pluriannuels 2014-2020 et 2021-2027 se heurtent à une double difficulté tenant aux évolutions de périmètres des rubriques budgétaires et au retrait du Royaume-Uni, qui nécessite de retraiter les données afin de simuler un budget à 27 États membres sur la période 2014-2020.
* 12 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des Régions, « Un budget moderne pour une Union qui protège, qui donne les moyens d'agir et qui défend - Cadre financier pluriannuel 2021-2027 » (COM(2018) 321 final), le 2 mai 2018, p.30.