III. LE TRAITEMENT DE LA LÉGION D'HONNEUR ET DE LA MÉDAILLE MILITAIRE
1. La création des traitements au XIXe siècle
La Légion d'honneur a été créée le 19 mai 1802 par Napoléon Bonaparte : « faisant le constat que toutes les nations dans l'histoire ont ressenti la nécessité de distinguer les mérites de ceux, civils et militaires, qui excellent dans leurs activités et font ainsi honneur à leur pays, le Premier consul décide d'instaurer en France un ordre qui s'appuie précisément sur le mérite et non pas la naissance (...) et qui soit universel » 44 ( * ) .
Dès sa création par Bonaparte, en 1802, la Légion d'honneur a été assortie d'un traitement, dont les modalités d'attribution ont évolué au cours du temps.
L'histoire du traitement afférent à la Légion d'honneur et à la Médaille militaire Dès la création de la Légion d'honneur en 1802, les légionnaires percevaient un traitement, de 5 000 francs pour chaque grand officier à 250 francs pour chaque légionnaire 45 ( * ) . Cinquante ans plus tard, en 1852, « il est créé une médaille militaire donnant droit à cent francs de rente viagère en faveur des soldats et sous-officiers de l'armée de terre et de mer placés dans les conditions qui seront fixées par un règlement ultérieur » 46 ( * ) . À cette occasion, il est également précisé que « tous les officiers, sous-officiers et soldats de terre et de mer en activité de service, qui seront à l'avenir nommés ou promis dans l'ordre national de la Légion d'Honneur recevront, selon leur grade dans la légion, l'allocation annuelle suivante : les légionnaires (comme par le passé), 250 fr. ; les officiers, 500 fr. ; les commandeurs, 1 000 fr. ; les grands officiers, 2 000 fr. ; les grands-croix, 3 000 fr. ». Comme le rappelle une réponse du ministère de la justice à une question parlementaire 47 ( * ) , « à l'origine, le traitement attaché à la Légion d'honneur et à la médaille militaire avait été institué afin d'éviter que leurs titulaires ne tombent dans le dénuement, situation qui n'aurait pas été conforme à l'éclat que les pouvoirs publics souhaitaient donner à ces décorations ». Le décret n° 62-1472 du 28 novembre 1962 portant code de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire regroupe l'ensemble des dispositions éparses relatives à la Légion d'honneur et à la Médaille militaire dans un code unique. En effet, des dispositions spécifiques ont été prises au cours du XIX e et au début du XX e siècle, notamment pour étendre ou au contraire pour restreindre le droit au traitement. À partir de 1962, l'article R. 77 du code de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire prévoit ainsi que « toutes les décorations de l'ordre de la Légion d'honneur attribuées aux militaires et assimilés, au titre militaire actif, ainsi qu'aux personnes décorées pour faits de guerre, en considération de blessure de guerre ou de citation, donnent droit au traitement ». Par ailleurs, à partir de 1964 48 ( * ) , l'article R. 150 du code précité prévoit que « toute concession de médaille militaire donne droit au traitement ». En 1991, il est décidé de supprimer le caractère automatique des traitements afférents à la Médaille militaire et à la Légion d'honneur attribuée aux militaires. Ainsi, l'article R. 77 est modifié 49 ( * ) et prévoit que les décorations « pour faits de guerre, en considération de blessure de guerre ou de citation, ou pour récompenser un acte exceptionnel de courage ou de dévouement peuvent être assorties du traitement ». De même, l'article R. 150 sur le traitement de la Médaille militaire, est modifié et prévoit alors que les concessions de la Médaille militaire « peuvent être assorties du traitement ». Il s'agissait, selon la réponse précitée du ministère de la justice, « dès lors que le traitement a perdu son sens alimentaire, de lui rendre son sens symbolique premier en ne le conférant qu'aux médaillés militaires décorés au combat, c'est-à-dire sur le fondement de blessures de guerre, citations ou actes de courage ou de dévouement ». En novembre 1995, la version de l'article R. 77 antérieure au décret de 1991 est rétablie : le traitement associé à la Médaille militaire et à la Légion d'honneur pour faits de guerre redevient automatique . |
2. Des traitements aux montants désormais symboliques
En application des articles R. 77 et R. 150 du code de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire, « toutes les décorations de l'ordre de la Légion d'honneur attribuées aux militaires et assimilés, au titre militaire actif, ainsi qu'aux personnes décorées pour faits de guerre, en considération de blessure de guerre ou de citation » et « toute concession de médaille militaire » donnent droit au traitement. Autrement dit, tous les médaillés militaires ont droit au traitement, tandis que seuls certains légionnaires (militaires et assimilés et personnes décorées pour faits de guerre) peuvent percevoir le traitement.
Un décret de 1982 50 ( * ) fixe les montants des traitements annuels de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire : de 240 francs (36,59 euros) pour le Grand'croix de la Légion d'honneur à 30 francs (4,57 euros) pour la Médaille militaire.
Montant des traitements annuels des membres de la Légion d'honneur
(en euros)
Source : Grande chancellerie de la Légion d'honneur
En 2015, au total, 205 499 personnes peuvent bénéficier d'un traitement au titre de la Médaille militaire ou de la Légion d'honneur ; environ 40 % des membres de la Légion d'honneur peuvent percevoir un tel traitement.
Évolution du nombre de personnes pouvant percevoir le traitement
(en nombre)
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
|
Nombre de légionnaires |
94 407 |
93 745 |
93 831 |
94 323 |
Nombre de légionnaires ayant droit au traitement |
39 583 |
37 779 |
40 560 |
41 587 |
Nombre de médaillés militaires |
165 800 |
165 407 |
165 874 |
163 912 |
Source : Grande chancellerie de la Légion d'honneur
Le code de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire prévoit que les traitements peuvent être abandonnés, à titre définitif ou temporaire, au profit de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (article R. 80) ou :
- pour le traitement de la Légion d'honneur, au profit de la société d'entraide des membres de la Légion d'honneur (article R. 80) ;
- s'agissant de la Médaille militaire, pour la société nationale Les Médaillés militaires (article R. 151).
Ces deux sociétés mettent notamment en oeuvre des actions de solidarité en faveur de leurs membres faisant face à des difficultés financières.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, les abandons de traitement au profit de la société d'entraide des membres de la Légion d'honneur représentent environ 80 000 euros par an, correspondant à environ 10 % des actions d'entraide qu'elle réalise et à 40 % des traitements versés au titre du traitement afférent à la Légion d'honneur.
3. Des coûts de gestion au moins équivalents aux traitements versés
Selon les chiffres transmis par le Service des retraites de l'État (SRE), 140 000 personnes percevraient effectivement de tels traitements : environ 115 000 personnes bénéficieraient du traitement associé à la Médaille militaire (soit 70 % des médaillés) et celui afférent à la Légion d'honneur serait versé à 25 000 légionnaires (soit 60 % des ayants droit).
Chaque année, le traitement afférent à la Légion d'honneur et à la Médaille militaire est financé par des crédits du programme 129 - qui retrace les crédits de l'Ordre de la Légion d'honneur - qui abonde le programme 743 « Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions » du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ».
Évolution du coût des traitements
de
la Légion d'honneur et de la Médaille militaire
(en millions d'euros)
(Légion d'honneur) (Médaille militaire)
Source : commission des finances du Sénat à partir des données du SRE
En 2015, le coût budgétaire de ces traitements s'élève à 190 000 euros pour la Légion d'honneur et 530 000 euros pour la Médaille militaire, soit un total de 720 000 euros.
Traitements de la Légion d'honneur et de la
Médaille militaire :
les principaux chiffres pour
2015
(en nombre ou en million d'euros)
Médaille militaire |
Légion d'honneur |
Total |
|
Nombre de médaillés /légionnaires |
163 912 |
94 323 |
258 235 |
Nombre d'ayants droit |
163 912 |
41 587 |
205 499 |
Proportion d'ayants droit |
100,0% |
44,1% |
79,6% |
Nombre d'ayants droit percevant le traitement |
115 000 |
25 000 |
140 000 |
Proportion d'ayants droit percevant le traitement |
70,2% |
60,1% |
68,1% |
Coût |
0,53 |
0,19 |
0,72 |
Source : commission des finances du Sénat
Par ailleurs, la seule dépense fiscale de la mission correspond à l'exonération, au titre de l'impôt sur le revenu, du traitement attaché à la Légion d'honneur et à la Médaille militaire 51 ( * ) , dont le coût précis n'est pas indiqué (inférieur à 0,5 million d'euros).
Les coûts de gestion, pour la Grande chancellerie de la Légion d'honneur et pour le service des retraites de l'État (SRE) sont supérieurs aux montants des traitements versés . Aucune solution n'a été apportée à cette situation, pourtant connue de longue date.
Ainsi, dès 2007 52 ( * ) , suite à une enquête demandée à la Cour des comptes sur le service des pensions de l'État, votre commission des finances s'intéressait à la question. Jean Arthuis, alors président , s'était ainsi « interrogé sur le coût de gestion du versement des traitements annuels aux membres de l'Ordre de la Légion d'honneur et aux médaillés militaires dont le montant unitaire avoisine parfois les 6 euros. Tout en se félicitant du regroupement sous la tutelle unique du ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, de l'ensemble des services chargés de la gestion des pensions, qui devrait faciliter le lancement de la réforme, il a demandé qu'une suite effective soit donnée à l'enquête de la Cour des comptes et aux travaux de la commission » 53 ( * ) .
André Santini, alors secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, chargé de la fonction publique avait alors « fait observer que la question de la suppression des pensions des membres de l'ordre de la Légion d'honneur et des médaillés militaires demeurait sensible, même s'il était favorable à une large concertation ».
En effet, le titre est émis sous format papier par la Grande chancellerie et transmis au Service des retraites de l'État, alors même que dans tous les autres cas gérés par ce service, les titres et les données sont transmises par voie dématérialisée.
De plus, le paiement au récipiendaire ne peut intervenir qu'une fois qu'il s'est manifesté , notamment pour transmettre un relevé d'identité bancaire ; autrement dit, le titre transmis au Service des retraites de l'État est non opérant lors de sa transmission, il doit être complété par une démarche du récipiendaire. Dans le cas contraire, au bout d'un an, le Service des retraites de l'État retransmet à la Grande chancellerie les titres inopérants.
Selon les informations transmises par la Grande chancellerie, en 2015, sur 3 933 dossiers adressés au Service des retraites de l'État pour paiement de pension, quelques centaines de dossiers (entre 200 et 300, soit près de 10 %) lui ont été retournés en raison de l'absence de manifestation des intéressés ou d'adresse inexacte.
Enfin, il s'agit de l' unique versement annuel géré par le Service des retraites de l'État .
Aussi, selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, le coût de gestion de ces traitements, pour le Service des retraites de l'État, s'élèverait entre 650 000 et 800 000 euros par an, à comparer aux 720 000 euros effectivement versés chaque année aux légionnaires et médaillés militaires .
À ces coûts de gestion pour le Service des retraites de l'État, il convient en outre d'ajouter ceux supportés par la Grande chancellerie elle-même : selon une estimation réalisée en 2006 par la Cour des comptes, au regard de ses seules dépenses de personnel, le coût moyen de chaque traitement était évalué à 30 euros pour un médaillé militaire (pour 4,57 euros versés) et à 80 euros pour un légionnaire (pour 6,10 à 36, euros versés).
Selon les informations transmises par la Grande chancellerie, ce « calcul porte sur le nombre d'agents chargés d'établir les traitements et le temps estimé qu'ils consacrent à cette tâche, ainsi que les frais de correspondance (2 agents pour la Médaille militaire et 5 pour la Légion d'honneur) ».
4. Remplacer progressivement ces traitements par le versement d'une subvention aux sociétés d'entraide
Notre collègue Francis Delattre, dans un rapport d'information de 2012 54 ( * ) , dressait la liste des différentes pistes de réforme envisageables :
- la suppression des traitements ; mais, selon Francis Delattre, « il ne faut pas mésestimer l'effet que pourrait produire une telle mesure sur les 160 000 personnes concernées » ;
- un paiement du traitement sous forme de capital au lieu d'un versement annuel qui « risquerait d'introduire un élément de complexité (...), le montant du traitement de la Légion d'honneur variant selon le grade ou la dignité. (...) Ce dispositif aurait, par ailleurs, pour effet de majorer la dépense annuelle lors de la mise en place » ;
- l'affectation de la totalité des traitements aux deux sociétés d'entraide : « dans cette hypothèse, les centres payeurs continueraient certes à réaliser certaines opérations (suppression en cas de décès ou d'exclusion du titulaire, suspension...), mais la réduction à deux du nombre de créanciers simplifierait, selon le SRE, leur tâche ».
Enfin, il envisageait la possibilité de prévoir « qu'en l'absence de réponse de l'intéressé au terme d'un certain délai (un an, par exemple), son traitement serait versé à la société d'entraide concernée. Cette disposition permettrait, selon le SRE, de substantielles économies de gestion, non chiffrées ».
Quant à la Cour des comptes, elle préconise, dans son relevé d'observations définitives précité, de « mettre en extinction le versement du « traitement du légionnaire » » en raison du coût de ce dispositif.
Considérant d'une part que les sommes versées (entre 4,57 et 36,59 euros par an) sont désormais symboliques et d'autre part que les coûts de gestion relatifs à ce dispositif (entre 650 000 et 800 000 euros) sont prohibitifs au regard des sommes effectivement versées (720 000 euros en 2015), votre rapporteur spécial souhaite que des économies de gestion soient réalisées, sans toutefois diminuer les crédits attribués aux légionnaires et aux médaillés militaires .
Aussi, il considère, comme la Cour des comptes, qu'il est nécessaire de mettre progressivement en extinction ces traitements en prévoyant que les futurs médaillés militaires et décorés de la Légion d'honneur ne peuvent pas en bénéficier . Les coûts de gestion restant concerneraient les seuls changements de coordonnées des actuels récipiendaires et diminueraient chaque année avec le nombre de bénéficiaires.
En contrepartie, le montant total des traitements versés serait gelé à son niveau actuel (soit 530 000 euros pour la médaille militaire et 190 000 euros pour la Légion d'honneur) et chaque année, la différence entre ce montant et les sommes effectivement versées aux récipiendaires serait attribuée aux deux sociétés d'entraide qui ont le statut d'association - voire à l'ONAC - selon des modalités à définir.
Évolution de la répartition des sommes versées au titre des traitements
Source : commission des finances du Sénat
Ainsi, chaque année, la somme attribuée à ce titre aux sociétés d'entraide augmenterait, leur permettant de financer une montée en puissance progressive des actions d'entraide et de solidarité en faveur de leurs membres.
Certes, le bénéfice de ces sommes ne serait plus réservé aux seuls militaires et personnes décorées pour faits de guerre et il serait étendu à l'ensemble des légionnaires - militaires ou non. Mais cette mesure permettrait surtout de redonner à cet effort financier consenti par l'État sa vocation première, à savoir d'assurer une véritable action de solidarité en faveur des médaillés militaires et des légionnaires dans le besoin - à la place d'un traitement symbolique réservé aux militaires mais versé sans condition de ressources - tout en réduisant progressivement les coûts de gestion, à la fois pour la Grande chancellerie et le Service des retraites de l'État.
Afin de mettre un terme à la gestion particulièrement coûteuse de ce dispositif au regard des sommes effectivement versées, votre rapporteur spécial vous propose donc de mettre en extinction le traitement de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire et de réallouer progressivement les sommes ainsi dégagées aux sociétés d'entraide, voire également à l'ONAC.
* 44 Jean-Louis Georgelin, La Légion d'honneur, Dalloz, 2016.
* 45 Article 7 de la loi portant création d'une Légion d'honneur du 29 floréal an X (19 mai 1802).
* 46 Article 11 du décret du 22 janvier 1852 qui restitue au domaine de l'État les biens meubles et immeubles qui sont l'objet de la donation faite, le 7 août 1830, par le roi Louis-Philippe, repris par l'article 33 du décret organique de la Légion d'honneur du 16 mars 1852.
* 47 Question écrite n° 20039 de M. Ernest Cartigny du 27 février 1992.
* 48 Article 1 er du décret n° 64-121 du 6 février 1964 modifiant le décret n° 62-1472 du 28 novembre 1962 portant code de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire.
* 49 Décret n° 91-396 du 24 avril 1991 modifiant le code de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire.
* 50 Décret n° 82-309 du 2 avril 1982 relatif aux traitements de la Légion d'honneur et de la médaille militaire.
* 51 En application du 7° de l'article 81 du code général des impôts.
* 52 Audition du 10 octobre 2007 de M. André Santini, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, chargé de la fonction publique, sur le service des pensions de l'État - Enquête demandée à la Cour des comptes.
* 53 Compte rendu de la commission des finances, mercredi 10 octobre 2007.
* 54 Rapport d'information n° 652 (2011-2012) de Francis Delattre, « Le CAS « Pensions » : un outil de transparence au service de la LOLF ? », au nom de la commission des finances du Sénat, 10 juillet 2012.