B. DES MOYENS DE LUTTE INSUFFISANTS ENCADRÉS PAR DES PRINCIPES CONSTITUTIONNELS

1. Le principe de la liberté du mariage

Jusqu'en 1981 2 ( * ) , la France soumettait le mariage d'un étranger avec un Français à une autorisation délivrée par le préfet. Cette disposition a été abrogée, car jugée contraire à l'article 12 de la convention européenne des droits de l'homme qui pose le principe du droit au mariage.

Le principe de la liberté du mariage « composante de la liberté individuelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » a ensuite été affirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 et rappelé dans sa décision du 20 novembre 2003. Si le respect de ce principe interdit de subordonner la célébration du mariage à la régularité du séjour d'un futur conjoint étranger sur le territoire français, il ne fait pas obstacle à ce que soient prises des mesures de prévention ou de lutte contre les mariages contractés à des fins étrangères aux droits et obligations énoncés aux articles 212 et suivants du code civil 3 ( * ) . Cependant, l'irrégularité du séjour de l'un des deux futurs époux ne constitue pas en soi un indice sérieux de l'absence de consentement au mariage.

2. Un dispositif législatif pléthorique...

La lutte contre les mariages de complaisance intervient sur plusieurs plans.

a) Le dispositif civil

La loi n° 93-1417 du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration et modifiant le code civil, ainsi que la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité ont posé les premiers jalons d'un contrôle de la réalité de l'intention matrimoniale.

? Préalablement au mariage :

La loi du 30 décembre 1993 a mis en place une procédure d'opposition à la célébration du mariage en France 4 ( * ) en cas d'indices sérieux laissant présumer l'absence de réelle intention matrimoniale . L'officier de l'état civil peut saisir le procureur de la République qui doit dans les quinze jours de la saisine, soit laisser procéder au mariage, soit y faire opposition, soit décider qu'il sera sursis au mariage. La durée du sursis ne peut excéder un mois (renouvelable une fois depuis la loi du 26 novembre 2003). Les futurs époux peuvent contester cette décision devant le tribunal de grande instance puis la cour d'appel, qui doivent statuer dans les dix jours.

Depuis la loi du 26 novembre 2003 précitée, tant les officiers de l'état civil, pour les mariages célébrés en France 5 ( * ) , que les agents diplomatiques ou consulaires, pour les mariages célébrés à l'étranger 6 ( * ) , doivent recevoir les futurs époux avant la célébration du mariage, afin de vérifier leur intention matrimoniale. Cette obligation conditionne la publication des bans. Une exception est cependant prévue en cas d'impossibilité, ou s'il apparaît au vu des pièces du dossier qu'il n'y a pas de doutes quant à une absence de consentement. Cette audition peut être commune aux deux futurs époux ou réalisée séparément. Elle vise à faciliter la saisine par l'officier de l'état civil du procureur de la République.

? Lors de la demande de transcription du mariage sur les registres de l'état civil français :

La loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France a instauré un mécanisme de contrôle a posteriori de la validité des mariages conclus à l'étranger devant une autorité étrangère lorsqu'un conjoint est Français, lors de la demande de transcription du mariage sur les registres de l'état civil français 7 ( * ) . L'agent diplomatique ou consulaire doit surseoir à la transcription en cas d'indices sérieux de mariage frauduleux, et informer le ministère public, qui se prononce dans un délai de six mois . A l'issue de ce délai et à défaut de réponse, la transcription de l'acte est automatique.

Depuis la loi du 26 novembre 2003, les époux sont entendus préalablement à la transcription.

? Afin de renforcer l'efficacité de ce contrôle, le contentieux relatif aux mariages à l'étranger a été concentré sur le seul tribunal de grande instance de Nantes 8 ( * ) . Cette centralisation, effective depuis le 1er mars 2005, garantit une jurisprudence unifiée dans un domaine éminemment technique émanant d'une juridiction spécialisée dans le domaine de l'état civil étranger.

b) Le dispositif pénal

La loi du 26 novembre 2003 a créé une nouvelle infraction passible de cinq ans d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende pour les personnes ayant contracté un mariage aux seules fins d'obtenir ou faire obtenir un titre de séjour ou d'acquérir ou faire acquérir la nationalité française. Les mêmes peines s'appliquent en cas d'organisation ou de tentative d'organisation de mariages frauduleux. Elles sont portées à dix ans d'emprisonnement et 750.000 euros d'amende si l'infraction est commise en bande organisée 9 ( * ) .

Le ministère des affaires étrangères fait état de témoignages convergents de ses services dénonçant le développement de véritables filières. Une filière d'immigration clandestine tunisienne a ainsi été mise à jour dans la région de Clermont-Ferrand. Entendu par la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration, M. Pascal Clément, garde des Sceaux, a indiqué que ces réseaux d'organisation de mariages de complaisance, demandaient entre 12.000 et 15.000 euros au ressortissant étranger et rétribuaient 3.000 à 8.000 euros le conjoint français, le plus souvent des femmes en situation de précarité.

3. ... Aux résultats largement insuffisants

Sur un plan pénal, seules quatorze condamnations ont été prononcées en 2004, dont seulement trois à des peines d'emprisonnement ferme.

Le dispositif civil n'apparaît pas beaucoup plus efficace.

a) S'agissant des mariages célébrés en France

En 2004, les procureurs de la République ont été saisis de 5.272 signalements en vue d'une opposition au mariage par les officiers de l'état civil , soit 2 % des mariages célébrés, qui ont abouti à 444 oppositions . Dans un tiers des décisions (31,6 %), la décision quelle qu'elle soit, intervient après un sursis à la célébration du mariage. 22,9 % des sursis à la célébration du mariage aboutissent à des oppositions. Dans 91,5 % des décisions d'opposition, le couple concerné est mixte. Le conjoint étranger est le plus souvent originaire du Maghreb (Algérie pour l'homme et Maroc pour la femme). Dans 94,8 % des décisions d'opposition, le procureur déduit l'absence de véritable intention matrimoniale du fait que le mariage est destiné à régulariser ou à pérenniser le séjour en France d'un des deux conjoints.

b) S'agissant des mariages célébrés à l'étranger

Ces nouvelles dispositions se sont heurtées à l'insuffisance des moyens des consulats, notamment en raison d'un phénomène de rationalisation qui a entraîné la fermeture de nombreuses représentations. Les autorités diplomatiques et consulaires hésitent parfois à procéder à ces signalements, qui impliquent une charge de travail supplémentaire, et ont pu être découragées par les faibles taux d'opposition prononcées par les parquets.

Cependant, les signalements ont progressé, notamment grâce à l'instauration en 2003 de l'audition des futurs époux. Alors qu'on n'en comptait que 346 en 1998, il y en a eu 1.733 en 2005, dont 787 proviennent du Maroc, 211 de Tunisie, 184 d'Algérie et 185 de Turquie.

Le vice-procureur du tribunal de grande instance de Nantes a indiqué lors de son audition par votre rapporteur que 1.359 des 44.700 mariages binationaux célébrés à l'étranger en 2004 avaient fait l'objet de signalements au parquet du tribunal de grande instance de Nantes (soit 3 %). 35 % de ces dossiers ont ensuite fait l'objet d'une procédure d'annulation.

Nombre de mariages simulés signalés au Parquet par les consulats

Source : Répertoire général civil

Pays de provenance des dossiers 170-1 toutes causes confondues
(année 2005)

Statistiques du service civil du parquet de Nantes sur la procédure d'annulation des mariages célébrés à l'étranger
(article 170-1)

Année

Fondement du « 170-1 »

Total

Décisions
d'assignation

Taux
d'assignation

Mariage
« Blanc »

Défaut de comparution de l'époux français

Bigamie

Incompétence de l'officier de l'état civil et mariage clandestin

Fraude à la loi (190-1)

Non-respect des conditions d'âge, d'alliance/Absence de consentement du tuteur, ou des parents d'un mineur ou majeur protégé

1998

82

124

120

1

6

13

346

182

- 16 -

53 %

1999

126

+ 53 %

121

- 2 %

85

- 30 %

2

8

14

356

+ 3 %

159

- 13 %

45 %

2000

184

+ 46 %

127

+ 5 %

92

+ 8 %

3

4

11

421

+ 18 %

179

+ 13 %

42 %

2001

254

+ 38 %

172

+ 35 %

136

+ 48 %

1

5

12

580

+ 38 %

208

+ 16 %

36 %

2002

376

+ 48 %

109

- 37 %

119

- 12 %

1

1

15

621

+ 7 %

214

+ 2,8 %

34,5 %

2003

678

+ 80 %

139

+ 27 %

203

+ 70 %

34

9

1063

+ 71,2 %

339

+ 58 %

32 %

2004

1074

+ 58 %

104

- 25 %

176

- 13 %

1

1

3

1359

+ 28 %

475

+ 40 %

35 %

2005
(au 31 janvier 2006)

1353

+ 26 %

129

+ 24 %

245

+ 39 %

3

2

1

1733

+ 27 %

681

L'enregistrement des jugements d'annulation prononcés par le tribunal de grande instance de Nantes étant effectué au greffe et non au secrétariat du Parquet, le nombre d'annulations prononcées n'est pas connu.

* 2 Loi n°81-973 du 29 octobre 1981.

* 3 Décisions du Conseil constitutionnel n° 93-325 DC du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France  et 2003-484 DC du 20 novembre 2003.

* 4 Art. 175-2 du code civil.

* 5 Art. 63 du code civil.

* 6 Art. 170 du code civil.

* 7 Art. 170-1 du code civil.

* 8 Décret n° 2005-170 du 23 février 2005 pour l'application des articles 47 et 170-1 du code civil. Le service n'a cependant reçu aucun renfort pour faire face à cette nouvelle charge de travail.

* 9 Art. 21 quater de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 devenu l'article L. 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

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