N° 166
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 janvier 2002 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la proposition de loi ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relative au régime d' assurance chômage des intermittents du spectacle ,
Par M. Bernard FOURNIER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Xavier Darcos, Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; MM. Jean Arthuis, François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernard Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean François-Poncet, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (11 ème législ.) : 3407 , 3412 , 3426 et T.A 748
Sénat : 138 (2001-2002)
Chômage. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle constitue pour les partenaires sociaux et les gouvernements successifs une difficulté récurrente.
En effet, ce régime a connu des rebondissements multiples sur un scénario qui pourtant n'a guère connu de variantes depuis la fin des années 1980 : régulièrement remis en cause par les représentants des employeurs en raison de son déficit croissant, il est tout aussi régulièrement prorogé par les partenaires sociaux, toute modification des annexes VIII et X qui en déterminent les règles étant finalement écartée sous la pression des représentants des salariés.
En effet, sous réserve de quelques aménagements de faible portée, les modalités d'indemnisation des intermittents du spectacle n'ont jamais véritablement été modifiées en dépit de la nécessité maintes fois soulignée de procéder à une réforme d'envergure afin d'assurer la pérennité du régime.
Si bien que, depuis les rapports de M. Marimbert en 1992, de M. Devaux en 1994 ou de M. Cabanes en 1997, rien n'a véritablement évolué, sauf le déficit des annexes qui est passé de 210 millions d'euros (1,4 milliard de francs) en 1991 à 610 millions d'euros (4 milliards de francs) en 2000.
La situation actuelle, si elle reproduit à certains égards un mécanisme bien connu, est inédite. Jusqu'à présent, les annexes VIII et X avaient été prorogées in extremis , parfois sous la pression des pouvoirs publics, mais toujours par les partenaires sociaux. C'est la première fois que le législateur intervient.
Cette entorse à la règle du paritarisme se justifie par les difficultés nées de l'absence de renégociation des annexes VIII et X à la suite de la conclusion de la convention générale d'assurance chômage du 1 er janvier 2001.
En effet, alors que les partenaires sociaux avaient prorogé jusqu'au 30 juin 2001 les annexes à la convention générale du 1 er janvier 1997 afin de permettre leur adaptation aux dispositions de la convention qui lui a succédé, aucun accord n'est intervenu sur le sort des annexes VIII et X, faute au demeurant qu'aient été engagées des négociations sur ce sujet. Depuis cette date, l'application de ces annexes par l'UNEDIC s'effectue sans base conventionnelle.
L'Assemblée nationale a estimé que cette situation juridique fragile exigeait une mesure législative. En effet, les dispositions du code du travail n'autorisent pas le pouvoir réglementaire à fixer les modalités d'indemnisation d'une catégorie particulière de salariés, alors qu'a été signée et agréée une convention générale.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 12 décembre 2001 vise donc à fournir une base juridique incontestable au maintien en vigueur des annexes depuis le 1 er juillet 2001 mais également à les proroger jusqu'à l'agrément d'un accord des partenaires sociaux sur les aménagements à apporter à la convention générale d'assurance chômage pour les salariés qui relèvent de leur champ d'application.
Votre commission n'a pas remis en cause le principe de la prorogation des annexes proposé par l'Assemblée nationale. Ce dispositif présente le double avantage de conforter la décision de l'UNEDIC de continuer à appliquer le régime d'assurance chômage des intermittents tel qu'il avait été négocié dans le cadre de la convention du 1 er janvier 1997 mais également, en consolidant la position des salariés relevant de ce régime, de permettre aux négociations entre les partenaires sociaux de reprendre dans un climat plus serein.
Toutefois, s'il importe de reconnaître la spécificité des professions concernées par les annexes, il ne convient pas pour autant que la loi se substitue aux partenaires sociaux.
Or, force est de constater que le dispositif proposé ne constitue pas une garantie, bien au contraire, que les partenaires sociaux parviennent rapidement à un accord.
Votre commission a donc considéré que si le législateur était fondé à proroger un régime conventionnel caduc, cette prorogation ne devait pas avoir pour effet de retirer aux partenaires sociaux la compétence qui leur est accordée par la loi pour déterminer les modalités d'indemnisation du chômage de ces salariés. Cela impose d'en limiter les effets dans le temps afin de réaffirmer le caractère conventionnel de ce régime et donc de se borner à assurer la continuité du régime d'assurance chômage dont bénéficient les intermittents pendant le temps nécessaire à la conclusion d'un nouvel accord.
un système profondément ancré dans l'économie du secteur culturel
1. L'économie du régime d'indemnisation
a) Un régime dérogatoire : les annexes VIII et X
Afin de tenir compte des conditions particulières d'emploi de certains travailleurs, de la nature de leur activité et du caractère variable des rémunérations qu'ils perçoivent, les partenaires sociaux ont accepté, par dérogation au principe de fonctionnement de l'UNEDIC -« à cotisation égale, prestations égales »- que soient retenues à leur profit des modalités spécifiques d'indemnisation.
Ces modalités spécifiques font l'objet d'annexes à la convention d'assurance chômage.
Tel est le cas notamment des intermittents du spectacle qui bénéficient des régimes prévus par l'annexe VIII (ouvriers et techniciens de l'édition d'enregistrement sonore, de la production cinématographique et audiovisuelle, de la radio et de la diffusion) ou par l'annexe X (artistes, ouvriers et techniciens des spectacles vivants).
La spécificité de l'activité artistique au sein du système d'indemnisation du chômage est depuis longtemps reconnue par les partenaires sociaux.
On rappellera qu'un régime de salarié intermittent à employeurs multiples pour les techniciens et les cadres du spectacle a été institué dès 1936. En 1939, a été créée la caisse des congés spectacles afin de gérer les congés payés des salariés du secteur. Dans le cadre de l'UNEDIC, un régime propre à cette profession a été progressivement mis en place. La convention du 31 décembre 1958 a été étendue le 1 er janvier 1965 aux personnels des établissements de production cinématographique par l'avenant n° 3 qui a créé l'annexe VIII. L'annexe X est entrée en vigueur le 1 er janvier 1968 en même temps que l'ordonnance du 13 juillet 1967 qui prévoit l'application du régime d'assurance chômage aux entreprises du spectacle.
Les modalités de ce régime d'indemnisation n'ont guère été modifiées. En effet, à l'occasion des renégociations tous les trois ans de la convention d'assurance chômage, les annexes VIII et X ont été, sous réserve de correctifs de portée mineure, reconduites par prorogation. On rappellera que les règles spécifiques relatives à la modification des annexes qui exigent une majorité des deux tiers dans chaque collège, alors qu'il suffit d'une majorité simple pour la convention du régime général, n'ont pas contribué à une remise à plat de ces régimes.
b) Les principales caractéristiques du régime
Ayant vocation à prendre en compte la précarité des professions du spectacle, le régime des intermittents est plus avantageux pour les assurés que le régime général tant en ce qui concerne les conditions d'ouverture des droits que les modalités d'indemnisation.
• Les conditions d'ouverture des droits
Pour bénéficier d'une indemnisation, les salariés privés d'emploi doivent justifier de 507 heures de travail au cours des douze mois qui précèdent la fin du contrat de travail contre 606 au cours des 18 derniers mois pour le régime général depuis le 1 er janvier 2001.
Pour l'appréciation des conditions d'affiliation, les cachets sont convertis à raison de 8 heures par cachet si les cachets couvrent une période d'au moins 5 jours continus chez le même employeur et 12 heures par cachet isolé. Ainsi 43 cachets isolés dans l'année permettent d'obtenir le paiement de l'allocation chômage.
Ainsi, dès lors que cette condition est remplie, l'intermittent, s'il connaît une période d'inactivité, bénéficie pendant un an d'un droit à indemnisation.
S'il retrouve une activité, le droit à indemnisation est suspendu puis « réactivé » à l'issue de ce nouveau contrat de travail. Au terme des douze mois ou à l'issue de cette période d'activité, si l'allocataire justifie de 507 heures de travail, une nouvelle période d'indemnisation est ouverte jusqu'à la date anniversaire de la fin du dernier contrat de travail. Ainsi, à condition que la condition liée à la durée minimale d'affiliation soit remplie, un intermittent peut être indemnisé de manière permanente, son allocation chômage devenant alors un revenu de complément.
• Les modalités d'indemnisation
L'allocation est calculée à partir des salaires réels soumis aux contributions au titre des douze derniers mois qui précèdent la fin du contrat de travail. Elle se compose d'une partie fixe dont le taux est celui du droit commun, soit 9,79 euros (64,24 F) et d'une partie proportionnelle égale à 31,3 % du salaire journalier de référence. Cette allocation ne peut être inférieure à un montant minimal de 23,88 euros (156,61 F).
Comme pour l'ensemble des régimes d'assurance chômage, les rémunérations sont prises en compte pour le calcul du salaire journalier de référence dans la limite de quatre fois le plafond de la sécurité sociale.
On notera que, selon un mécanisme de franchise, l'indemnisation ne débute qu'à l'issue d'un délai de 7 jours minimum à compter de la fin du contrat et dont la durée est proportionnelle au montant des salaires perçus, ce qui est de nature à écarter du bénéfice de l'indemnisation des artistes bien rémunérés qui bénéficient de nombreux engagements.
c) Un régime profondément ancré dans l'économie du secteur culturel
Au cours des vingt dernières années, le nombre des intermittents du spectacle a connu une forte progression, progression dont le rythme s'est accéléré depuis la fin des années 1980 : ce nombre est passé de 41 038 en 1991 à 92 440 en 2000.
Cette évolution résulte des mutations qu'a connu la vie culturelle durant cette période.
L'accroissement des dépenses culturelles publiques s'est traduit par une multiplication de structures qui ne fonctionnent, du moins pour celles du secteur du spectacle vivant, que pour une faible part grâce à des emplois permanents, et recourent donc massivement à l'intermittence. Dans le secteur audiovisuel, les années 1980 marquées par la privatisation des chaînes de télévision et la croissance très forte du marché de la publicité ont rendu marginal le modèle d'emploi propre au secteur audiovisuel public jusque là en situation de monopole. Le contexte de progression et d'externalisation de la production conjugué à une concurrence de plus en plus vive imposant une compression des coûts a donc également entraîné une montée corrélative de l'intermittence.
Cependant, cette forme d'emploi ne se réduit pas à une réponse conjoncturelle à la multiplication des entreprises et des projets artistiques, mais correspond également à un besoin de flexibilité propre à l'activité artistique.
Ce besoin découle du mode d'organisation de la production culturelle moins axée sur la logique d'entreprise que sur celle de projets ponctuels exigeant de recourir à des personnels offrant des compétences sans cesse renouvelées, adaptées à l'évolution de la création et à la maîtrise de techniques de plus en plus spécifiques.
Par ailleurs, les artistes eux-mêmes y voient des avantages : l'intermittence, par rapport au statut de salarié permanent, qui apparaît largement impraticable dans nombre de secteurs de la vie artistique, leur permet de préserver leur autonomie et garantit une fluidité suffisante du marché du travail, gage à terme d'une possible réussite. En effet, la souplesse procurée par cette forme d'emploi permet à chaque intermittent de pouvoir saisir des opportunités, ce qui les rend réticents à accepter des contrats à caractère permanent.
Par ailleurs, l'existence d'un régime d'indemnisation dont le caractère protecteur est reconnu par l'ensemble de nos partenaires européens, permet à des artistes de se consacrer à leur vocation et d'en vivre sans être contraints de recourir à des expédients.
L'intermittence constitue donc un système profondément ancré dans les moeurs des professions du spectacle.
Ce régime permet aussi aux structures culturelles de bénéficier d'un vivier de talents très divers et aisément mobilisables. Il constitue un atout artistique mais également économique dans la mesure où le recours à des salariés recrutés sur des contrats à durée indéterminée constituerait pour les structures culturelles un alourdissement de leurs charges de fonctionnement qui, dans la plupart des cas, notamment dans le domaine du spectacle vivant, serait susceptible de compromettre leur survie et exigeraient à tout le moins une augmentation des subventions publiques dont elles bénéficient. Sans pouvoir quantifier exactement ce phénomène, votre rapporteur soulignera que l'intermittence constitue pour certaines entreprises un moyen précieux d'alléger leurs charges salariales.
L'intermittence, qui s'avère la forme d'emploi la plus adaptée à l'activité artistique, s'est généralisée et est devenue une donnée fondamentale de l'économie de la culture, déterminant l'équilibre des entreprises de ce secteur et assurant le renouvellement des capacités de création. En 1980, l'alternance entre temps chômé indemnisé et reprise temporaire d'activité accompagnée d'une suspension de l'indemnisation constituait une pratique minoritaire puisqu'elle ne concernait que 36 % des intermittents, la plupart traversant des périodes de chômage indemnisé de plusieurs mois sans travailler. La pratique de l'alternance est devenue majoritaire entre 1985 et quasi-générale en 1992, avec 90 % des cas.