III. LA DÉFENSE ET LA PROMOTION DE LA LANGUE FRANÇAISE
L'année 1995 aura été marquée sur le plan intérieur par l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française et, à l'échelle de l'Union européenne, par la promotion du plurilinguisme, inscrite au coeur des préoccupations de la présidence française.
Après avoir fait un point sur le respect du statut de la langue française au sein des institutions internationales, votre rapporteur abordera par ailleurs la question des industries de la langue, dont le développement constitue un enjeu majeur pour l'avenir de la langue française.
A. L'ENTRÉE EN VIGUEUR DE LA LOI DU 4 AOÛT 1994 RELATIVE À L'EMPLOI DE LA LANGUE FRANÇAISE
L'entrée en vigueur de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française était subordonnée à la parution, dans le délai d'un an, du décret en Conseil d'État définissant les infractions aux prescriptions qu'elle édicté et leur sanction pénale.
Le décret n° 95-240 du 3 mars 1995 a été publié au journal officiel du 5 mars.
Conformément à ce que prévoyait l'article 23 de la loi, les dispositions des articles 3 et 4 de celle-ci, qui rendent obligatoire l'emploi du français dans les inscriptions apposées ou les annonces faites sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public et dans les transports en commun, et imposent en la matière des prescriptions particulières aux personnes publiques, sont entrées en vigueur six mois plus tard, c'est-à-dire le 5 septembre 1995.
Le décret du 3 mars 1995 définit les infractions pénales et leurs sanctions, fixe les modalités de prélèvements de biens ou de produits rendus nécessaires pour la constatation de l'infraction, précise les critères d'agrément des associations de défense de la langue française habilitées à ester en justice, et autorise les moyens de transport effectuant une prestation en transit ou en cabotage sur le territoire français à déroger aux dispositions de l'article 4 (présentation équivalente des versions française et étrangère, caractère plurilingue des traductions imposé aux personnes publiques).
1. Un dispositif pénal dissuasif
• La définition des infractions
à la loi du 4 août 1994
Sont définis comme constitutifs d'une infraction pénale à la loi du 4 août 1994, les faits suivants :
1) Ne pas employer la langue française :
- dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service ainsi que dans les factures et les quittances ;
- dans toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle ;
- dans toute inscription ou annonce destinée à l'information du public, apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun ;
2) Présenter la version française de manière moins lisible, audible ou intelligible que les présentations en langue étrangère des mentions, publicités, inscriptions ou annonces énumérées ci-dessus ;
3) Dans le cadre des manifestations, colloques ou congrès organisés en France par une personne de nationalité française :
- interdire aux participants d'une manifestation ou d'un colloque, organisé en France par une personne de nationalité français, de s'exprimer en français ;
- ne pas joindre une version française aux documents distribués avant et pendant ladite réunion pour en présenter le programme ;
- ne pas établir au moins un résumé en français des documents préparatoires ou de travail distribués aux participants et ne pas inclure, dans les actes ou comptes rendus de travaux publiés, au moins un résumé en français des textes ou interventions présentés en langue étrangère ;
- ne pas avoir prévu de dispositif de traduction lorsqu'une personne publique ou une personne privée chargée d'une mission de service public a pris l'initiative du colloque ;
4) Dans le cadre du droit du travail, ne pas mettre à la disposition d'un salarié une version en langue française d'un document comportant des obligations à l'égard de ce salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail.
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Les peines applicables
Les infractions énumérées ci-dessus sont passibles des peines de contravention de la quatrième classe (au maximum 5.000 francs pour une personne physique).
Par ailleurs, le décret prévoit expressément la responsabilité des personnes morales, les amendes pouvant alors atteindre 25.000 francs.
2. L'agrément des associations de défense de la langue française habilitées à ester en justice
Le décret précise les conditions auxquelles les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire la défense de la langue française peuvent bénéficier de l'agrément auquel reste subordonnée la faculté pour ces groupements de se porter partie civile devant les tribunaux dans les litiges relatifs à l'application de la loi.
Ces conditions sont les suivantes :
- justifier de deux années d'existence à compter de la déclaration ;
- disposer d'un nombre suffisant d'adhérents directs ou indirects ;
- exercer une activité effective et publique en vue d'assurer la défense de la langue française, dans le respect toutefois des autres langues et cultures ;
- attester du caractère désintéressé des activités de l'association.
Un arrêté du 3 mai 1995, publié au journal officiel du 12 mai, a agréé cinq associations de défense de la langue française. Dans un premier temps, un choix délibéré a conduit les ministres chargés de la culture et de la justice à accorder cet agrément à un nombre relativement limité d'associations, ayant une vocation générale à défendre la langue française ou oeuvrant dans des secteurs dans lesquels le français se trouve particulièrement menacé.
Comme l'avait fait observer votre rapporteur lors de l'adoption de la loi Toubon, ce droit, reconnu par la loi en 1994, consacre en réalité l'action de défense de la langue française menée depuis de longues années par de nombreuses associations. Il devait contribuer à assurer une application efficace de la nouvelle législation.
3. Un premier bilan de l'application de la loi Toubon
Dans le rapport annuel qu'elle adresse au Parlement, la Délégation générale à la langue française s'est efforcée de dresser un premier bilan de l'application de la loi.
Ce bilan paraît globalement positif. Dans le domaine de l'information du consommateur, la loi du 4 août 1994 n'a pas profondément modifié la nature des prescriptions imposées par la loi du 31 décembre 1975. C'est toujours la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l'économie et des finances qui procède, pour l'essentiel, aux contrôles effectués en ce domaine. Si les contrôles permettent depuis plusieurs années de relever un taux sensiblement égal d'infractions (autour de 19%), des taux particulièrement élevés ont été relevés dans la commercialisation du matériel bureautique et des denrées alimentaires.
Dans le monde du travail, la nouvelle législation, qui a sensiblement renforcé les contraintes linguistiques pesant sur les employeurs, ne paraît pas avoir soulevé de difficultés d'application particulière.
En dépit de ce constat qui se veut rassurant, il convient de rester particulièrement vigilant en ce domaine. On ne compte plus le nombre d'entreprises qui recourent à l'anglais dans leurs relations avec leur société-mère ou leurs filiales, alors même que celles-ci sont implantées dans un pays non anglophone. C'est le cas, par exemple, de Mercedes-France où, en dépit d'importants programmes de formation linguistique des personnels à l'allemand, la direction a été contrainte de renoncer à cette langue au profit de l'anglais.
La Délégation générale à la langue a été en revanche conduite à intervenir auprès de plusieurs organes de presse ayant publié des annonces en langue étrangère émanant d'un employeur français.
Dans l'organisation des manifestations, colloques ou congrès, la principale difficulté rencontrée par les organisateurs pour respecter la loi semble résider dans l'obligation de prévoir un dispositif de traduction lorsque la réunion est organisée à l'initiative d'une personne publique ou d'une personne privée chargée d'une mission de service public.
La Délégation générale à la langue française a joué un rôle actif de prévention en ce domaine, en adressant systématiquement une lettre d'information aux organisateurs français des colloques, qui ne lui paraissaient pas se conformer à la législation. Dans la plupart des cas, les organisateurs auraient fait diligence.
De manière générale, votre rapporteur doit se féliciter de l'action pédagogique menée par la Délégation générale à la langue française pour expliciter la portée des dispositions arrêtées par le législateur aux nombreuses personnes qui lui en ont adressé la demande ou, de façon moins ciblée, dans le cadre de son rapport annuel.
D'autres difficultés semblent s'être posées pour l'interprétation du dernier alinéa de l'article 2 de la loi, qui dispose que la législation sur les marques ne fait pas obstacle à l'obligation d'employer la langue française dans les mentions et messages enregistrés avec la marque. L'objectif poursuivi par le législateur était d'imposer la traduction des messages, comme par exemple « just do it » qui accompagne la marque Nike.
Une circulaire devrait toutefois préciser prochainement les règles applicables aux mentions telles que : « light », « bianco », ...
Il faut enfin ici rendre hommage au travail scrupuleux accompli par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, compétent pour faire respecter la loi dans ce secteur.
La France se doit de veiller scrupuleusement à l'application de la loi Toubon.
Elle doit le faire sans fausse honte, en dépit des réactions internationales, et particulièrement américaines, suscitées par l'adoption de ce nouvel instrument linguistique.
Tirant les enseignements du référendum québécois, le président de la chambre des représentants aux États-Unis, Mr. Newt Gingrich n'a-t-il pas publiquement affirmé le 30 octobre dernier : « Permettre au bilinguisme de progresser est très dangereux. Nous devrions insister pour que l'anglais soit la langue commune. C'est ce qui nous unit . » Et de soutenir l'adoption d'une loi, déposée au Congrès, qui tend à ériger l'anglais en langue officielle des États-Unis et de toute disposition qui aboutirait à reléguer au second plan l'enseignement des langues étrangères à l'école. Il concluait : « les gens doivent s'attendre à communiquer en anglais lorsqu'ils viennent en Amérique » .