II. LE PROGRAMME 102 « ACCÉS ET RETOUR À L'EMPLOI » : LE DÉCLIN DES CONTRATS AIDÉS
A. LES CONTRATS AIDÉS : UN OBJECTIF DE 200 000 CONTRATS ET UN TAUX DE SUBVENTION PUBLIQUE PLAFONNÉ À 50 % EN 2018
Le Gouvernement envisage en effet de financer l'an prochain seulement 200 000 nouveaux contrats aidés , uniquement dans le secteur non marchand (collectivités territoriales et associations), avec un taux de prise en charge de l'État de 50 % (contre 76 % en 2017). L'enveloppe prévue s'élève à 1,45 milliard en AE et 765 millions en CP.
Par ailleurs, le PLF pour 2018 inclut une enveloppe de 523 millions pour financer les emplois d'avenir conclus entre 2015 et 2017.
Le Gouvernement s'engage donc à ne signer aucun nouveau contrat aidé dans le secteur marchand (CUI-CIE) ou emploi d'avenir en 2018 .
Pour mémoire, le PLF pour 2017 avait prévu de financer 280 000 contrats aidés (200 000 dans le secteur non-marchand, 45 000 dans le secteur marchand et 35 000 emplois d'avenir), pour un coût de 2,4 milliards en AE et 1,78 milliard en CP. Ces objectifs étaient eux-mêmes en net repli par rapport aux 459 000 contrats aidés conclus en 2016.
Votre rapporteur pour avis émet plusieurs observations sur l'évolution des contrats aidés.
En premier lieu, il partage l'ambition du Gouvernement de privilégier la formation initiale ou continue plutôt que les contrats aidés, dont l'efficacité en termes d'insertion professionnelle à long terme n'est pas probante . Les formations qualifiantes comme l'apprentissage doivent être particulièrement développées en raison de leur efficacité. Ainsi, en février 2016, 65 % des jeunes ayant obtenu un diplôme par la voie de l'apprentissage (CAP ou BTS) sont en emploi sept mois après la fin de leur formation, la moitié d'entre eux ayant été embauchée en CDI 9 ( * ) . Une récente étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) souligne en revanche les effets contrastés sur l'emploi des contrats aidés selon le secteur visé (marchand ou non marchand) et la période considérée (court ou moyen terme) 10 ( * ) . Même si les statistiques doivent être maniées avec précaution, elles ont le mérite d'identifier de grandes tendances et d'éclairer le Gouvernement et le législateur sur les enjeux des contrats aidés.
Dans le secteur marchand, l'effet sur l'emploi des contrats aidés est faible . La Dares souligne en effet qu'une partie des recrutements en contrats aidés correspond à des effets d'aubaine : l'employeur qui bénéficie de l'aide aurait embauché même en l'absence de soutien public. Dès lors, un contrat aidé dans ce secteur (CUI-CIE) aboutirait à la création nette de 0,1 emploi. Des enquêtes menées auprès des employeurs de contrats aidés indiquent des performances plus élevées : la création nette s'élèverait à 0,16 emploi à l'issue d'une CUI-CIE et à 0,25 emploi au terme d'un emploi d'avenir marchand. Ainsi, en 2015, le nombre de bénéficiaires de CUI-CIE a augmenté de 32 000 sur une année, mais ils n'auraient permis de créer que 3 000 emplois selon les estimations de la Dares.
Dans le secteur non-marchand, l'effet sur l'emploi de ces contrats est très positif . Les acteurs publics ont de nombreux besoins en emploi mais ne les satisfont pas à cause de la contrainte financière qui leur est imposée et de la faible solvabilité des emplois concernés. Par conséquent, la conclusion d'un contrat aidé fortement subventionné (la prise en charge pour les CUI-CAE a pu atteindre 70 %, contre 35 % pour les CUI-CIE) débouche pratiquement sur la création d'un emploi à court terme. Les enquêtes menées auprès des employeurs tempèrent toutefois cette estimation, car un CUI-CAE aboutirait à la création de 0,67 emploi et un emploi d'avenir non marchand à 0,56 emploi.
En revanche, l'effet sur l'emploi des contrats aidés sur l'emploi à long terme est très faible, surtout pour les anciens bénéficiaires de contrats aidés dans le secteur non marchand . Ainsi, six mois après la fin de leurs contrats, seulement 26 % d'entre eux ont un emploi durable 11 ( * ) , contre 57 % pour les anciens bénéficiaires d'un CUI-CIE. Si l'on compare la trajectoire les bénéficiaires des contrats aidés avec celle de public témoin qui n'ont pas connu ces dispositifs (expérience contrefactuelle), on constate qu'un ancien bénéficiaire d'un CUI-CIE en 2005 avait, deux ans et demi après le début du dispositif, 31 points de chances de plus d'être en CDI non aidé qu'une personne présentant des caractéristiques proches mais n'ayant pas conclu ce type de contrat aidé. En revanche, un ancien bénéficiaire d'un CUI-CAE avait 8 points de chance en moins d'être en CDI non aidé. Cette situation s'explique par le profil initial des bénéficiaires de CUI-CAE, qui sont particulièrement éloignés de l'emploi et plus souvent allocataires de minima sociaux ou sans diplômes que les titulaires d'un CUI-CIE.
En deuxième lieu, votre rapporteur pour avis déplore le comportement du précédent gouvernement, qui a incité à la conclusion rapide et massive de contrats aidés au cours du premier semestre 2017, dépassant ainsi l'enveloppe budgétaire allouée par la LFI. Comme l'indique une instruction ministérielle du 6 septembre 2017 12 ( * ) , le dispositif des contrats aidés s'est caractérisé en 2017 par une « surconsommation » car « plus des deux tiers de l'enveloppe budgétaire annuelle avaient déjà été utilisés au premier semestre ». De fait, sur les 280 000 contrats aidés prévus en 2017, 194 000 ont été prescrits pendant le premier semestre, soit 69,2 %. Ce faisant, les préfets ont mis en oeuvre les consignes du gouvernement de l'époque de consommer 80 % des crédits pendant le premier semestre de l'année. C'est pourquoi le Gouvernement a augmenté cet été de 30 000 à 40 000 le nombre de contrats aidés par rapport à la LFI pour 2017, pour atteindre un volume global compris entre 310 000 et 320 000 contrats. Dès le mois d'août 2017, la prescription des CUI-CIE n'a plus été autorisée. Le Gouvernement avait alors ciblé cinq secteurs prioritaires : l'accompagnement des enfants handicapés en milieu scolaire, l'urgence sanitaire et sociale, l'outre-mer, les communes rurales ainsi que le recrutement des adjoints de sécurité (ADS) dans la police nationale. Les quatre premiers secteurs continueront d'être prioritaires en 2018, sans que l'on sache ce qu'il adviendra du recrutement des ADS. Le Gouvernement s'est d'ores-et-déjà engagé à dédier 30 500 contrats aidés pour l'accompagnement des élèves en situation de handicap pour l'année scolaire 2018-2019.
En troisième lieu, votre rapporteur pour avis approuve la volonté du Gouvernement de s'en tenir en 2018 au nombre de contrats votés en loi de finances initiale, ce qui trancherait avec la pratique des différents gouvernements observée ces dernières années. De fait, depuis au moins 2007, le volume de contrats aidés signés a toujours été supérieur à celui voté en loi de finances initiale, quelle que soit l'orientation politique du gouvernement, comme le montre les deux exemples suivants. Une enveloppe de 962 millions d'euros avait été prévue dans la LFI pour 2007 pour financer les contrats aidés dans le secteur non marchand, alors que les dépenses réelles ont dépassé 1,5 milliard. Plus récemment, la LFI pour 2016 avait prévu de financer 295 000 contrats aidés, mais 459 000 ont finalement été conclus. La disparition de ces « rallonges budgétaires », ou du moins leur limitation, constituerait selon votre rapporteur pour avis une réaffirmation des prérogatives du Parlement.
Le projet de rénover dès 2018 la gestion des contrats aidés l'an prochain est donc bienvenu, et pourrait éviter le dépassement de l'enveloppe financière qui leur est allouée. Le bleu budgétaire indique à cet égard le souhait de remédier à « un fonctionnement de la chaîne de la dépense dérogatoire du droit commun », de mieux encadrer le taux de prise en charge des contrats aidés et d'étudier un système d'informations permettant de bloquer les prescriptions de contrats lorsque ceux-ci dépassent l'enveloppe financière 13 ( * ) .
En quatrième lieu, si votre rapporteur pour avis ne s'oppose pas à la suppression des emplois d'avenir, il déplore la disparition totale des contrats aidés dans le secteur marchand. En effet, une étude de la Dares d'octobre 2017 a rappelé qu'un jeune sur quatre en emploi d'avenir n'avait pas suivi de formation pendant la première année de son contrat, alors que les actions de formation sont obligatoires pour ce type de contrat 14 ( * ) . Dans son instruction précitée aux préfets du 6 septembre 2017, le Gouvernement a rappelé que les prescriptions d'emplois d'avenir devaient être réservées depuis juin aux seuls renouvellements nécessaires à la poursuite de parcours déjà engagés, dans la limite de l'enveloppe financière disponible, et à condition que les employeurs aient respecté leurs engagements en matière de formation. Comme l'indiquent les travaux mentionnés précédemment, les contrats aidés dans le secteur marchand, peu subventionnés par l'État, assurent une meilleure insertion dans l'emploi que les contrats aidés dans le secteur non marchand. Le Gouvernement a toutefois fait le choix de ne plus conclure de CUI-CIE en 2018 en raison de la reprise économique qui s'annonce et des forts effets d'aubaine de ces contrats.
En dernier lieu, votre rapporteur demande au Gouvernement de veiller à ce que les anciens bénéficiaires de contrats aidés ainsi que les structures qui recouraient à ce type de contrats ne soient pas lésés en attendant le déploiement du plan d'investissement dans les compétences. Pour qu'une réforme sociale ne se heurte pas à l'opposition de nos concitoyens, il convient de ménager une phase de transition acceptable, annoncée suffisamment en amont, pour permettre aux différentes parties prenantes de modifier leurs comportements. Les bénéfices à moyen et long terme d'une hausse de la formation continue de nos concitoyens ne doivent pas occulter les désagréments que subiront rapidement les anciens bénéficiaires des contrats aidés dans le secteur marchand. Les annonces du Gouvernement cet été ont été mal comprises par l'opinion publique, et sont même apparues aux yeux de certains comme « brutales ». Il est donc nécessaire que le Gouvernement fasse oeuvre de pédagogie et assure un accompagnement des « perdants » de la réforme.
C'est pourquoi votre rapporteur aurait souhaité que le Gouvernement annonce, ne serait-ce qu'à grands traits, ses objectifs en matière de contrats aidés pour les années à venir . Les contrats aidés dans le secteur non marchand ont-ils vocation à disparaître totalement, ou à se maintenir à un niveau de 200 000, 100 000 ou 50 000 par an ? Souhaite-il maintenir un plafond de prise en charge à 50 %, ou le réduire à 30 % afin de multiplier en contrepartie le nombre de contrats ? Ces questions essentielles demeurent pour l'instant sans réponse. Votre rapporteur pour avis constate par ailleurs avec stupéfaction que le Gouvernement n'a pas véritablement mesuré les effets indirects qu'entraînera la baisse substantielle des contrats aidés l'an prochain en distinguant les publics concernés (jeunes, seniors, handicapés par exemple). La baisse des contrats aidés pourrait en effet entraîner un report d'une partie des anciens bénéficiaires vers le secteur de l'insertion par l'activité économique (SIAE), et augmenter les dépenses consacrées à la solidarité nationale (allocation de solidarité spécifique notamment), aux travailleurs handicapés et aux demandeurs d'emploi âgés.
* 9 « Le niveau de formation et de diplôme demeure toujours déterminant dans l'insertion des apprentis », Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale (DEPP), note d'information n° 17-11, juin 2017.
* 10 Dares analyses, « Les contrats aidés : quels objectifs, quel bilan ? », mars 2017, n° 21.
* 11 L'emploi durable, selon la Dares, désigne les CDI, les CDD de plus de six mois, les titularisations dans la fonction publique et les emplois de travailleurs indépendants, et exclut par conséquent les emplois aidés.
* 12 Courrier du ministère de la cohésion des territoires, du ministère du travail et du ministère de l'éducation nationale, adressé aux préfets, 6 septembre 2017.
* 13 Projet annuel de performances, annexe au projet de loi de finances pour 2018, p. 56.
* 14 Étude de la Dares n° 56 d'octobre 2016 « Les jeunes en emploi d'avenir : quel accès la formation, pour quels bénéficiaires ? ».