B. LA PROPOSITION DE LOI : UN DISPOSITIF JURIDIQUE AD HOC POUR S'ADAPTER AU RECUL DU TRAIT DE CÔTE ET FACILITER LE RECUL STRATÉGIQUE D'ACTIVITÉS

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale tend à prévoir de nouveaux outils juridiques pour s'adapter au recul du trait de côte et protéger les habitations et activités concernées.

Elle consacre au niveau législatif la stratégie nationale de gestion intégrée mise en oeuvre depuis 2012. Elle permet également aux collectivités territoriales et à certains de leurs groupements 13 ( * ) de décliner cette stratégie à l'échelle locale (article 1 er ) 14 ( * ) .

Ces différentes stratégies seraient prises en compte dans les schémas régionaux prescriptifs 15 ( * ) (loi « biodiversité » du 8 août 2016) ou, à défaut, dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT) (article 7) .

Dans ses plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP), le préfet pourrait créer des zones d'activité résiliente et temporaire (ZART) , instrument pivot de la proposition de loi (article 3) .

En l'état du droit, les plans de prévention distinguent deux catégories de zones selon l'intensité du risque 16 ( * ) :

- des zones exposées aux risques (anciennes « zones de danger » ou « zones rouges » ) dans lesquelles les constructions peuvent être autorisées sous certaines conditions, voire interdites, « notamment afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines » ;

- des zones qui ne sont pas directement exposées aux risques (anciennes « zones de précaution » ou « zones bleues » ) mais dans lesquelles de telles prescriptions ou interdictions sont possibles lorsque des constructions nouvelles « pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux » .

Les zones d'activité résiliente et temporaire (ZART) constitueraient des zones intermédiaires au sein des plans de prévention . Elles permettraient de maintenir les activités sur le littoral aussi longtemps que possible puis de faciliter leur « relocalisation » vers l'arrière-pays.

D'après Mme Pascale Got, rapporteur de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, les ZART « ne créent pas artificiellement un nouveau zonage se superposant aux autres, mais permettent de mieux délimiter, à partir des zones rouges, inconstructibles, et bleues, des aires où le maintien d'une activité est possible en dépit du risque de recul du trait de côte, occurrence certaine mais dont le terme - lui - ne peut être déterminé avec certitude » 17 ( * ) .

La création de zones d'activité temporaire et résiliente (ZART) resterait ponctuelle : elle se limiterait aux espaces plus gravement menacés par le recul du trait de côte. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, une trentaine de communes pourraient être situées dans une ZART à moyen terme .

Ces zones pourraient comprendre tout type de bâtiments (habitations, commerces, etc .) et seraient régies par un cadre juridique ad hoc .

En premier lieu, les ZART seraient « temporaires » : les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) détermineraient la durée pendant laquelle des constructions, aménagements ou exploitations pourraient y être implantés, déplacés ou utilisés.

Deux cas de figure seraient alors possibles :

- la montée des eaux est moins rapide que prévue. Les constructions restent possibles pendant toute la durée de la zone d'activité temporaire et résiliente ;

- la montée des eaux est plus rapide que prévue. Des mécanismes sont alors proposés pour faciliter le départ des propriétaires ou locataires de biens situés dans une ZART (droit de préemption et bail réel immobilier littoral, cf. infra ).

En second lieu, le droit d'information des personnes publiques ou privées concernées par le recul du trait de côte serait renforcé.

Pour les biens immobiliers situés dans les zones d'activité résiliente et temporaire (ZART), le dossier de diagnostic technique annexé à la promesse de vente ou joint au bail de location devrait préciser le délai pendant lequel les constructions pourraient être réalisées, utilisées et exploitées 18 ( * ) (article 5 bis ) .

Les professionnels de l'immobilier 19 ( * ) seraient tenus de « signaler de manière explicite » à l'acquéreur, au locataire ou au bailleur le risque de recul du trait de côte (article 8 bis ) .

En troisième lieu, l'État, les établissements publics fonciers, les sociétés d'économie mixte, les collectivités territoriales et leurs groupements auraient l'interdiction d'aliéner les immeubles de leur domaine privé situés dans une zone d'activité résiliente et temporaire 20 ( * ) (article 10) . Il s'agit, selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, d'éviter la vente, par les personnes publiques et assimilées, de biens destinés à « intégrer à terme (le) domaine public maritime, inaliénable et imprescriptible, » à cause de la montée des eaux.

Enfin, deux dispositifs spécifiques pourraient être mis en oeuvre dans les zones d'activité résiliente et temporaire (ZART) afin de faciliter le départ et la relocalisation vers l'arrière-pays des propriétaires ou locataires menacés par le recul du trait de côte.

D'une part, le droit de préemption serait applicable dans toutes les zones d'activité résiliente et temporaire (article 11) . Les propriétaires pourraient décider de vendre leur bien et de négocier son prix avec une personne publique, qui bénéficierait alors d'un droit de priorité. En cas de désaccord entre les parties, le prix serait fixé par le tribunal de grande instance. Ce dernier « tiendrait compte » de l'existence du risque de recul du trait de côte dans la fixation du prix de vente, sauf si le bien est affecté à une activité agricole.

D'autre part, un nouveau contrat d'occupation domaniale serait créé pour les biens du domaine privé 21 ( * ) situés dans les zones d'activité résiliente et temporaire (ZART) : le bail réel immobilier littoral (BRILi) (article 12) .

Ce nouveau contrat lierait un bailleur (État, établissements publics fonciers, sociétés publiques locales d'aménagement ou de construction, collectivités territoriales et leurs groupements) à un preneur (toute personne publique ou privée).

Le preneur aurait un droit de jouissance sur le bien : il pourrait, par exemple, y habiter, voire le louer. En contrepartie, il devrait respecter certaines obligations définies au niveau législatif ou contractuel (maintien en bon état du bien pendant le contrat, transmission de diverses informations au bailleur, etc. ) 22 ( * ) .

La durée du bail réel immobilier littoral (BRILi) serait adaptée au risque de recul du trait de côte : une rupture anticipée serait prévue si le niveau de l'eau s'élevait plus rapidement que prévu.

La mise en oeuvre du bail réel immobilier littoral (BRILi) : un exemple concret

Conformément à l'article 12 de la proposition de loi, la durée du BRILi devrait respecter deux critères cumulatifs :

- être comprise entre 5 et 99 ans ;

- ne pas dépasser la durée pendant laquelle des constructions peuvent être implantées, déplacées ou utilisées dans la zone d'activité résiliente et temporaire (ZART) 23 ( * ) .

Prenons l'exemple d'une ZART créée en 2020 et permettant un maintien temporaire d'activité jusqu'en 2050 , date à laquelle la zone pourrait être submergée par les eaux (article 3 de la proposition de loi).

Un particulier possède une maison située dans la ZART. Informé de l'existence de ce risque naturel, il décide de vendre son bien. La commune utilise alors son droit de préemption (article 11) et rachète la maison, qui intègre son domaine privé et devient inaliénable (article 10).

Souhaitant continuer d'habiter dans la maison, le particulier (preneur) sollicite la conclusion d'un bail réel immobilier littoral avec la commune (bailleur) , qui accepte. Le contrat est signé en 2020 et court jusqu'en 2050, date prévisionnelle de la submersion 24 ( * ) (article 12).

Deux hypothèses sont alors prévues :

- la zone n'est pas submergée avant 2050. Le bail arrive à son terme , sauf résiliation anticipée 25 ( * ) , et peut être prorogé si le délai de construction fixé par la ZART est lui-même prolongé - par exemple jusqu'en 2060 26 ( * ) ;

- le délai de maintien d'activité fixé par la ZART est trop optimiste et la zone est submergée dès 2040 . Le bail réel immobilier littoral (BRILi) s'éteint alors automatiquement : le particulier (preneur) quitte les lieux, cesse de payer ses loyers et démolit les installations qu'il a construites depuis 2020 (abri de jardin, garage, etc. ). Le cas échéant, il pourrait bénéficier d'une indemnité versée par un « fonds d'adaptation au recul du trait de côte » (article 13).

Submergée par les eaux en 2040, la maison intègre, de facto , le domaine public maritime de l'État 27 ( * ) .

La proposition de loi incite ainsi les personnes publiques volontaires à acquérir des biens situés dans les zones d'activité résiliente et temporaire (ZART) puis à les remettre temporairement à disposition des particuliers via un bail réel immobilier littoral (BRILi).

Un fonds d'adaptation au recul du trait de côte serait créé pour indemniser les pertes causées par ce risque (article 13) 28 ( * ) .

Enfin, le texte transmis au Sénat comprend trois dispositions diverses sur lesquelles votre commission s'est saisie pour avis : l'indemnisation des habitants de l'immeuble Le Signal à Soulac-sur-Mer (article 2 bis ) , la transmission par l'État d'informations sur les risques naturels prévisibles (article 5) et l'alignement du droit de préemption des établissements publics fonciers (EPF) locaux sur celui des EPF nationaux dans les espaces naturels sensibles 29 ( * ) (article 9 bis ) .

Dispositif de la proposition de loi (vue synthétique)

Source : commission des lois.


* 13 Seraient plus précisément concernés les groupements compétents en matière de défense contre les inondations et contre la mer.

* 14 L'article 1 er n'entre pas dans le champ de compétences de la commission des lois et ne fait donc pas l'objet d'une saisine pour avis.

* 15 Schémas régionaux de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) et schémas d'aménagement régionaux de Guadeloupe, de Mayotte et de La Réunion.

* 16 Article L. 562-1 du code de l'environnement.

* 17 Rapport n° 4241 du 23 novembre 2016 relatif à la proposition de loi, p. 45, consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r4241.pdf.

* 18 Dans le cas contraire, le juge pourrait annuler la transaction ou réduire le montant de la vente ou des loyers.

* 19 Tels que définis par l'article 1 er de la loi réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce (agents et intermédiaires immobiliers, administrateurs de biens, marchands de listes et syndics de copropriété).

* 20 Ces différentes personnes morales pourraient toutefois céder ou échanger ces biens entre elles. Elles pourraient également les céder au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ou les échanger avec ce dernier.

* 21 Les biens du domaine public situés dans les ZART resteraient régis par le droit commun de la domanialité publique et donc par les principes d'inaliénabilité, d'imprescriptibilité et d'insaisissabilité.

* 22 Cf. le commentaire de l'article 12 pour plus de précisions.

* 23 Cette durée étant fixée pour chaque zone d'activité résiliente et temporaire par les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP).

* 24 Soit une durée globale de 30 ans respectant les délais fixés par la zone d'activité résiliente et temporaire.

* 25 Ces cas de résiliation anticipée sont précisés à l'article 12 de la proposition de loi. À titre d'exemple, le juge pourrait résilier le BRILi si le preneur ne payait pas ses loyers pendant plus de six mois consécutifs.

* 26 Cette prolongation de la ZART nécessiterait toutefois de modifier le PPRNP.

* 27 Dont le régime juridique est fixé à l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques.

* 28 Article qui n'entre pas dans le champ de compétences de la commission des lois et qui ne fait donc pas l'objet d'une saisine pour avis.

* 29 Espaces dont le régime juridique est fixé aux articles L. 113-8 à L. 113-14 du code de l'urbanisme.

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