II. UNE POLITIQUE DE MÉMOIRE SOUTENUE MAIS PEU LISIBLE, DES REVENDICATIONS EN VOIE D'ÊTRE SATISFAITES ET QUELQUES QUESTIONS EN SUSPENS
A. DES CHANGEMENTS DE PÉRIMÈTRE QUI NUISENT À LA COHÉRENCE ET À LA LISIBILITÉ DE LA POLITIQUE DE MÉMOIRE
1. Des crédits préservés à périmètre constant...
a) Des actions de mémoire en quête de modernisation
Le programme 167 « Liens entre la Nation et son armée », qui retrace les politiques concourant à l'esprit de défense et à la relation entre la Nation et les forces armées, couvre dorénavant deux actions d'importance inégale 5 ( * ) :
- l'organisation de la journée d'appel de préparation à la défense (JAPD), qui représente près de 96 % des crédits demandés pour 2009 (pour un montant de 156,7 millions d'euros) ;
- la politique de mémoire, qui intéresse directement le monde combattant et couvre un peu plus de 4 % des crédits du programme.
La politique de mémoire, dont les objectifs sont arrêtés chaque année par le Haut Conseil de la mémoire combattante présidé par le Président de la République, comprend : - l'organisation des neuf cérémonies inscrites au calendrier commémoratif national et de l'hommage à Jean Moulin, ainsi que des manifestations décidées par le Haut Conseil ; - le soutien aux actions menées par les fondations de mémoire et les associations du monde combattant ; - la prise en charge des pèlerinages des familles sur les sépultures des « Morts pour la France » ; - l'aide à l'érection et à l'entretien des monuments commémoratifs ; - le soutien aux projets pédagogiques dans le cadre d'un partenariat avec l'éducation nationale ; - la production de documents pédagogiques en lien avec l'actualité commémorative ; - l'entretien et la rénovation muséographique des lieux de mémoire ;
- la promotion des échanges avec les pays et les
peuples dont l'histoire militaire a croisé celle de la France.
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Or, les crédits consacrés à la politique de mémoire diminuent très sensiblement, passant des 8,9 millions d'euros ouverts en 2008 à un peu plus de 6,7 millions d'euros cette année (soit - 24,5 %). A l'heure où les acteurs et témoins directs des conflits contemporains dans lesquels la France s'est engagée disparaissent progressivement, une telle baisse étonne en première analyse.
Elle s'explique en fait par la non-reconduction , dans la loi de finances pour 2009, de la dotation exceptionnelle de 3 millions d'euros provisionnée l'an dernier et destinée à abonder le capital de la future Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Le rendement du capital ainsi constitué servira à financer ses dépenses de fonctionnement, sans que la Fondation ne reçoive de subvention du ministère de la défense. La création de cette Fondation, prévue par la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés, devait intervenir en 2008, ainsi que l'avait annoncé le Premier ministre lors de la cérémonie nationale d'hommage aux harkis du 25 septembre 2007.
Votre commission s'interroge cependant sur la date de création effective de la Fondation et sur son rôle, notamment au regard des lieux de mémoire. Lors des débats à l'Assemblée nationale, le secrétaire d'Etat a précisé que « l e schéma de création [de la fondation] se met peu à peu en place » et que ses « statuts ont été validés au cours de l'été par une réunion interministérielle » . Il a indiqué que les « 3 millions d'euros prévus à cet effet seront préservés sur un compte spécial à l'Onac, dans l'attente de la finalisation du projet » .
Déduction faite de cette subvention exceptionnelle, les crédits consacrés à la politique de mémoire progressent donc de 13,3 % , soit près de 800 000 euros.
Alors que l'année 2008 a été marquée par la commémoration de la fin de la première guerre mondiale et de l'édification d'un système de droit international - rédaction des quatorze points du Président Wilson de 1918, signature du pacte Briand-Kellog en 1928, adoption de la déclaration universelle des droits de l'homme en 1948 -, ainsi que par les honneurs militaires rendus au dernier des « poilus », Lazare Ponticelli, les actions de mémoire financées par les crédits de fonctionnement de l'action « politique de mémoire » (près d'1,5 million d'euros) devraient s'articuler en 2009 autour des thèmes suivants :
- la paix : traités de 1919, création de la Société des Nations, etc. ;
- la reconstruction de la France à partir de 1919 ;
- l'Europe : de la nouvelle carte de l'Europe issue des traités de 1919 à la chute du mur de Berlin en 1989 ;
- les événements liés à l'entrée en guerre de la France en 1939.
Il n'en reste pas moins que le risque de désaffection à l'égard des cérémonies commémoratives, en particulier auprès des jeunes générations, et de perte de leur sens mémoriel est réel. Ce constat a conduit le Gouvernement à mettre en place en décembre 2007 une commission, présidée par l'historien André Kaspi, chargée de réfléchir à l'avenir des commémorations, dont les conclusions devraient être rendues publiques d'ici la fin du mois de novembre. Cette instance a pour tâche de dresser le bilan de la situation actuelle et d'apprécier le nombre, les formes et le contenu des commémorations nationales. Le défi est de taille puisqu'il s'agit d'associer plus largement nos concitoyens, notamment les plus jeunes d'entre eux, à ces événements et de leur permettre de mieux s'approprier ces cérémonies.
Or, les premiers extraits du rapport tels qu'ils sont parus dans la presse appellent les plus grandes réserves de la part de votre commission.
Partant du constat que « les commémorations publiques et nationales sont trop nombreuses » et qu'elles « revêtent [parfois] un caractère spécifique et catégoriel » 6 ( * ) qui confinerait même, selon les auteurs du rapport, à une forme de « communautarisme mémoriel » , la commission Kaspi propose de ne conserver que trois dates au titre des célébrations nationales : « le 11 novembre pour commémorer les morts du passé et du présent, le 8 mai pour rappeler la victoire sur le nazisme et la barbarie, le 14 juillet qui exalte les valeurs de la République française » , les autres dates étant désormais l'occasion de commémorations régionales ou locales. Sur ce point, votre commission adhère totalement aux propos tenus par le secrétaire d'Etat qui s'est dit opposé « à la remise en cause des commémorations existantes » comme à « l'inflation mémorielle » .
Elle attend toutefois de pouvoir disposer d'une version exhaustive du rapport pour se prononcer définitivement mais rappelle, en tout état de cause, que ces questions ne peuvent être abordées qu'en parfaite concertation avec le monde associatif. Cette polémique naissante ne doit cependant pas dispenser de l'indispensable travail de rénovation du contenu des cérémonies ; à cet égard, la délocalisation de la célébration nationale du 90 e anniversaire de la fin de la Grande Guerre à Douaumont et la lecture, à cette occasion, de lettres de poilus par des adolescents constituent des exemples à suivre pour perpétuer le souvenir et la reconnaissance de la Nation.
Quant à la question de la date de commémoration de la guerre d'Algérie, autre thème récurrent de controverse parmi les associations, le Gouvernement a choisi la voie de l'apaisement en invitant les préfets, par une circulaire en date du 17 février 2008, à apprécier les situations en fonction des considérations locales : aucune cérémonie ne doit disparaître, qu'elle ait lieu le 5 décembre, date retenue pour la journée d'hommage national en référence à l'inauguration du monument national érigé quai Branly à la mémoire de tous les soldats morts en Afrique du Nord entre 1952 et 1962, ou le 19 mars, en référence à la date officielle du cessez-le-feu décrété à la suite des accords d'Evian.
b) La poursuite des efforts entrepris pour l'entretien et la rénovation des lieux de mémoire
Les dépenses d'investissement retracées dans l'action « politique de mémoire » sont destinées à l'entretien des sépultures de guerre ainsi qu'à la rénovation des hauts lieux de mémoire. Elles augmentent fortement cette année pour atteindre 3,5 millions d'euros, en hausse de plus de 66 % par rapport aux 2,1 millions ouverts en loi de finances initiale pour 2008.
Ces crédits supplémentaires, qui seront reconduits chaque année jusqu'en 2014, seront consacrés à l'accélération du programme pluriannuel de restauration des nécropoles nationales de la Grande Guerre , dont la réalisation, il est vrai, a pris du retard : engagé en 2001, ce programme aurait en effet dû être achevé en 2008 grâce à une dotation annuelle de 1,16 million d'euros. Le financement additionnel devrait permettre d'achever, pour une période de soixante à soixante-dix ans, la restauration des nécropoles et des carrés militaires et autres lieux de mémoire du premier conflit mondial.
L'année 2009 verra ainsi s'engager les chantiers de restauration de la nécropole nationale de Souain « La Crouée » (Marne), de Dieuse (Meuse) et de Dompierre (Oise). L'effort portera également sur l'ossuaire franco-allemand de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) où reposent des soldats tombés au cours de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 ou, pour les cimetières français à l'étranger, sur la poursuite de la restauration de la grande nécropole de Zeitenlick à Thessalonique (Grèce).
Votre commission se réjouit de l'approfondissement et de la rénovation à venir de la politique de mémoire, rendus indispensables par la disparition progressive des acteurs, et invite le Gouvernement à poursuivre sur cette voie. Il est logique, à ses yeux, qu'une partie des marges de manoeuvre dégagées par la décroissance tendancielle du nombre de ressortissants soient redéployées vers les actions de mémoire. Elle souligne également que seule une politique de mémoire déterminée est de nature à réactiver le devoir de reconnaissance des souffrances et des sacrifices passés et partant, à légitimer auprès de nos concitoyens la nécessité d'une action publique forte en direction du monde combattant.
2. ...mais dispersés entre trois programmes et deux missions
Depuis la loi de finances initiale pour 2006, les crédits de la politique mémorielle sont déjà répartis entre l'action 2 « Politique de mémoire » du programme 167 « Liens entre la Nation et son armée » et l'action 4 « Entretien des lieux de mémoire » du programme 169 « Mémoire, reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » 7 ( * ) .
Cette seconde action recouvre les dépenses liées à l' entretien des sépultures de guerre tant sur le territoire national, qu'elles soient situées dans les nécropoles nationales ou les carrés militaires des cimetières communaux, qu'à l'étranger, ainsi qu'à l'entretien des Hauts-lieux de mémoire 8 ( * ) . La hausse des crédits qui lui sont consacrés (5,7 %, soit une enveloppe de 12 millions d'euros pour 2009) est en particulier destinée à la poursuite des opérations engagées en 2008 sur les tombes de la guerre de 1914-1918, à l'achat de nouveaux matériels ainsi qu'à financer l'augmentation des dépenses de personnel. Il reste que l'insertion de cette action dans un programme essentiellement consacré au droit à la reconnaissance et à la réparation, et dont elle ne représente que 0,4 % des crédits, est peu satisfaisante en termes de cohérence budgétaire.
Si cette dichotomie initiale nuit d'ores et déjà à la lisibilité et au suivi de la politique de mémoire, la nouvelle architecture budgétaire mise en oeuvre par le présent projet de loi finances aggrave encore la situation puisque les crédits de mémoire sont désormais dispersés entre trois programmes et deux missions :
- les programmes 167 et 169 de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », on l'a dit ;
- le programme 212 « Soutien de la politique de défense » de la mission « Défense » auquel sont transférées, en 2009, deux des quatre actions incluses précédemment dans le programme 167 : la « promotion et valorisation du patrimoine culturel », retraçant l'action du service historique de la défense (SHD), les trois musées et la politique de mémoire de la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DPMA), et la « communication », regroupant les crédits affectés à la délégation à l'information et à la communication du ministère de la défense (DICoD) et à l'établissement public de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD). En outre, les crédits relatifs au site Internet « Mémoire des hommes » 9 ( * ) et à la numérisation des archives, jusque là inscrits dans l'action « Politique de mémoire » font le même trajet.
Les services du ministère justifient la nouvelle nomenclature par la nécessité de rationaliser les coûts de communication et de promotion du patrimoine culturel en les regroupant au sein d'un seul programme, dans la mesure où ces crédits ne sont pas spécifiquement dédiés aux anciens combattants . On peut objecter que ces moyens répondent pleinement à l'objectif de promotion de l'esprit de défense et de la relation entre la Nation et ses forces armées visé par le programme 167 et que le même argument de cohérence organisationnelle peut être mobilisé pour regrouper l'ensemble des crédits de la mémoire au sein de la mission « Anciens combattants ».
Si les transferts opérés accroissent par ailleurs les possibilités de réallocations de crédits au sein du programme 212 grâce au mécanisme de fongibilité prévu par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), la réduction du périmètre du programme 167 et son très net déséquilibre en faveur de l'organisation de la JAPD (96,5 % des crédits) limitent considérablement la possibilité pour le Parlement de redéployer les crédits pour financer des dépenses nouvelles.
Enfin, le fait que l'allocation de reconnaissance servie aux anciens membres des formations supplétives de l'armée française en Algérie (« harkis ») et à leurs veuves ne relèvent pas de la mission « Anciens combattants » mais du programme 177 « Politiques en faveur de l'inclusion sociale » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » intrigue également du point de vue de la cohérence budgétaire.
Votre commission attend donc qu'à l'occasion de la mise en oeuvre des réformes résultant de la RGPP, la cohérence et la lisibilité des crédits nécessaires à l'exercice efficace par le Parlement de sa mission de contrôle soient renforcées et que la pérennité de la mission « Anciens combattants », sur laquelle les transferts décidés pourraient faire naître, à terme, quelques inquiétudes dans le monde combattant, soit réaffirmée.
* 5 Les actions « communication » et « promotion et valorisation du patrimoine culturel », incluses dans le programme en loi de finances initiale pour 2008, ont été transférées vers le programme 212 (soutien de la politique de défense) rattaché au ministère de la défense. Leurs crédits participent au soutien de la communication du ministère de la défense et de son patrimoine muséographique.
* 6 Les membres de la commission Kaspi soulignent en particulier qu'« il n'est pas sain qu'en l'espace d'un demi-siècle le nombre de commémorations ait doublé » ; on rappellera, sans qu'il s'agisse de se prononcer sur la légitimité de ces commémorations, qu'ont été instaurées depuis 2002 la célébration de l'abolition de l'esclavage (10 mai), l'hommage aux morts d'Indochine (8 juin), aux Justes de France (16 juillet), aux harkis (25 septembre) et aux morts d'Algérie (5 décembre).
* 7 Auxquels il faut encore ajouter les dépenses de mémoire de l'Onac (736 000 euros en 2007).
* 8 Centre européen du Résistant déporté au Struthof, Mont Valérien, mémorial du débarquement en Provence du Mont-Faron, mémorial de la déportation de l'Île de la Cité, mémorial de l'internement en France au Camp des Milles, mémorial des guerres en Indochine à Fréjus.
* 9 www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr