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Table des matières
Production d'acier décarboné et filière d'hydrogène vert
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
Mutualisation des antennes-relais
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
Situation des salariés de la grande distribution
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
Recouvrement des factures d'eau
M. Olivier Bitz, en remplacement de M. Didier Rambaud, auteur de la question
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
Prolifération des choucas des tours
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Accroissement des charges des syndicats des eaux
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Communication de documents sensibles
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Intégration du Réolais dans le dispositif France Ruralités Revitalisation
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Gestion déléguée des compétences eau et assainissement
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Accompagnement des communes bailleresses pour la rénovation énergétique
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Suppression par Air France de la liaison Nice-Orly
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Agrément du bail réel solidaire
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement
Frais des associations patriotiques
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Équivalence entre permis C et D
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Sécurité de la gare maritime de Dzaoudzi
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Étudiants expulsés de leur logement pour les JOP
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche
Délocalisation du concours des instituts nationaux polytechniques
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Délinquance juvénile en Guadeloupe
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Financement des associations locales à Bobigny
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Interdiction des réseaux d'influence des Frères musulmans en France et en Europe
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Recours aux professionnels de santé diplômés hors Union européenne
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Situation alarmante de la santé mentale en France
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Retraite des sapeurs-pompiers volontaires
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Centre hospitalier Camille-Claudel en Charente
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Centre médico-psychologique pour enfants et adolescents au Vigan
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Rentrée scolaire 2024 en Guadeloupe
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Arrêt du financement de l'éducation à la sexualité
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Organisation des festivals pendant les JOP de Paris 2024
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles
Filière des plantes à parfum aromatiques et médicinales
Utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000
Continuité du service public de transports et droit de grève
M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi
M. Patrice Vergriete, ministre délégué chargé des transports
Mise au point au sujet de votes
Fermeture des classes et mise en place de la carte scolaire dans les départements
M. Jacques Grosperrin, pour le groupe Les Républicains
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
M. Olivier Paccaud, pour le groupe Les Républicains
Assainissement cadastral et résorption du désordre de la propriété
M. Jean-Jacques Panunzi, auteur de la proposition de loi
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté
Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (Conclusions de la CMP)
M. Pascal Martin, rapporteur pour le Sénat des commissions mixtes paritaires
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie
Adaptation au droit de l'Union européenne (Conclusions de la CMP)
M. Pascal Allizard, au nom de la CMP
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique
Discussion du texte élaboré par la CMP
Ordre du jour du mercredi 10 avril 2024
SÉANCE
du mardi 9 avril 2024
80e séance de la session ordinaire 2023-2024
Présidence de M. Alain Marc, vice-président
Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Patricia Schillinger.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Accords en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que sont parvenues à l'adoption d'un texte commun les commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique modifiant la loi organique n°2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ; du projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire ; et du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole.
Questions orales
M. le président. - L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
Production d'acier décarboné et filière d'hydrogène vert
M. Sebastien Pla . - Y aurait-il du gaz dans l'hydrogène vert ? La réduction des émissions de CO2 des aciéries n'a de sens que si elle repose sur la production d'hydrogène issu d'énergies renouvelables décarbonées à bas coût. Cela développerait la filière industrielle, fondée sur l'éolien offshore et l'électrolyse, dans les ports verts méditerranéens, tels Fos-sur-Mer et Port-la-Nouvelle.
Or ArcelorMittal Europe, qui reçoit 850 millions d'euros d'aides de l'État pour se décarboner, déclare devoir recourir à des importations de Chine ou des États-Unis, faute de pouvoir fabriquer un acier compétitif à partir d'hydrogène vert.
Quelles sont les garanties pour la production d'acier français décarboné à partir de la filière d'hydrogène méditerranéenne et pour le maillage des réseaux de transport d'hydrogène et l'interconnexion de Port-la-Nouvelle au corridor BarMar-H2med ? Quid de la taxe carbone prévue d'ici à 2030 sur les marchandises importées de pays peu vertueux en émissions de CO2 ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation . - L'industrie représente 20 % des émissions nationales de gaz à effet de serre et la sidérurgie, 5 % ; leur décarbonation est au coeur de nos orientations stratégiques. Le 26 novembre dernier, le Gouvernement a signé un contrat de transition écologique avec les 50 sites les plus émetteurs de CO2, pour qu'ils divisent par deux leurs émissions en dix ans.
Dans la sidérurgie, au moins 200 kilotonnes par an d'hydrogène décarboné à l'horizon 2030 sont nécessaires pour une décarbonation compétitive de Fos-sur-Mer et Dunkerque. L'État a donc lancé un appel d'offres de soutien à la production d'hydrogène décarboné de 4 milliards d'euros et soutient l'adaptation des procédés industriels. Ces deux dispositifs pérenniseront la production d'acier décarboné sur le site de Fos-sur-Mer.
M. Sebastien Pla. - Il faut avancer sur le projet d'interconnexion et accompagner les deux hubs dans la production d'électrolyseurs.
Mutualisation des antennes-relais
Mme Marta de Cidrac . - Les maires sont tenus pour responsables de la pollution visuelle engendrée par les antennes-relais de téléphonie mobile ; ils sont parfois l'objet de la colère des riverains.
Or les opérateurs multiplient les demandes d'installation, chacun voulant sa propre antenne. Peu de territoires - sites classés, périmètre autour de monuments historiques - sont préservés de cette expansion malheureuse qui concernera, tôt ou tard, une majorité de nos concitoyens.
Mutualiser entre opérateurs les antennes-relais, solution existante mais pas systématiquement utilisée, remédierait à cette situation. Quelles mesures envisagez-vous pour rendre cette mutualisation plus contraignante sans affecter la qualité du réseau ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation . - Les politiques publiques, telles le New Deal mobile, répondent aux défauts des opérateurs, qui n'ont pas vocation à s'implanter dans certains territoires pour des raisons de rendement.
Chaque opérateur a son propre réseau, qui le différencie de ses concurrents en termes de qualité de service. Toutefois, ils ont l'obligation de mutualiser leurs pylônes et les installations actives s'ils sont quatre sur une même zone. L'arrivée des towercos, qui ont intérêt à avoir le maximum d'opérateurs sur leurs antennes, favorise la mutualisation. S'y ajoutent les obligations légales relatives aux zones de montagne ou au déploiement 5G en zone peu dense.
La loi du 15 novembre 2021, issue d'une proposition de loi de Patrick Chaize, prévoit que les opérateurs doivent justifier auprès du maire de ne pas recourir à un partage de sites ou de pylônes. En outre, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) doit réaliser un état précis des partages des sites mobiles. Enfin, avant toute implantation d'antenne, un temps de dialogue via le dépôt des dossiers d'information au maire est requis.
Guichet unique
Mme Sonia de La Provôté . - Le guichet unique destiné aux formalités artisanales, qui a remplacé en 2023 différents centres de formalités des entreprises (CFE) et alimente le registre national des entreprises (RNE), ne fonctionne pas de manière optimale. Les chefs des entreprises artisanales ne peuvent répondre à leurs obligations et faire valoir leurs droits. Résultat : les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) ont dû pallier les désordres ; leurs agents font face à une surcharge de travail et sont exposés à l'ire des chefs d'entreprise - c'est le cas pour la CMA de Normandie.
J'ai été récemment alertée sur les difficultés des avocats du barreau de Caen qui réalisent l'immatriculation des entreprises pour leurs clients auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI). Des dossiers de fonds artisanaux sont en attente depuis plusieurs mois, ce qui met en difficulté les entreprises alors que le contexte leur est peu favorable.
Quelles mesures correctives envisagez-vous de prendre en urgence ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation . - Le guichet unique est un dispositif de simplification remplaçant six réseaux de CFE et plus de cinquante formulaires Cerfa ; il traite 80 % des formalités.
Depuis début janvier 2024, une procédure de secours garantit à tous une solution : les entreprises relevant du registre du commerce et des sociétés peuvent utiliser Infogreffe et obtenir un extrait Kbis actualisé ; les autres peuvent exceptionnellement recourir à des formulaires papier.
Les fonctionnalités et l'ergonomie du guichet ainsi que du RNE progressent en tenant compte des avis des organismes destinataires des formalités - avocats et panels d'entreprises, notamment. Un comité des utilisateurs auquel participe CMA France se réunit régulièrement, depuis l'été 2023, sous la présidence de l'INPI.
Madame la sénatrice, je vous propose d'échanger à la fin des questions orales afin de faire avancer les dossiers évoqués.
Situation des salariés de la grande distribution
M. Jean-Claude Tissot . - Les 22 et 29 mars derniers, les salariés des magasins Auchan de mon département, la Loire, étaient en grève, comme leurs collègues, pour dénoncer une nouvelle perte de pouvoir d'achat, qui s'ajoute à plusieurs réorganisations visant à réduire les dépenses de personnel tout en exigeant plus de polyvalence des salariés. En outre, le rachat d'une centaine de magasins Casino pèsera sur la politique salariale, alors que le déficit du groupe s'élève à 379 millions d'euros.
Pour les consommateurs, on peut s'attendre à une augmentation des prix dans les zones où l'acquéreur d'un magasin Casino a déjà un point de vente. Pour les producteurs, le déséquilibre dans les négociations commerciales s'accentuera, en raison d'une concentration des acteurs.
Que compte faire le Gouvernement pour éviter que les salariés soient les grands perdants de la politique du groupe ? Comment préviendra-t-il les conséquences des grandes manoeuvres du secteur de la distribution ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation . - Le Gouvernement veille à la préservation de l'activité et de l'emploi du groupe Casino. Aussi a-t-il autorisé le report de paiement de 300 millions d'euros d'échéances fiscales et sociales. Un accord global solide, conclu sous l'égide de l'État, devrait assurer la pérennité du groupe, de ses commerces de proximité et de l'essentiel de ses 50 000 emplois en France.
Toutefois, la dégradation de l'activité du groupe l'a contraint à céder ses hypermarchés et supermarchés à Auchan et au groupement Les Mousquetaires, ce qui offre des perspectives à la quasi-totalité des magasins et des salariés. Désormais, il faut accompagner les entrepôts logistiques et leur personnel.
Le Gouvernement soutient le pouvoir d'achat de l'ensemble des salariés et a transposé par la loi l'accord national interprofessionnel de 2023 relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise.
Avenir du projet Écocombust
M. Philippe Grosvalet . - Depuis 2016, pour concilier transition énergétique et maintien de l'activité sur le site de la plus grande centrale à charbon encore en activité en France, à Cordemais en Loire-Atlantique, des acteurs locaux défendent un projet de centrale à biomasse, Écocombust. En confirmant en septembre dernier, la fermeture des centrales à charbon d'ici à 2027 et leur conversion à la biomasse, le Président de la République a légitimé ce projet.
Or la direction d'EDF, entreprise détenue par l'État français, semble ambiguë : le rapport sur le coût prévisionnel du site s'appuie sur les hypothèses les plus pessimistes et projette un prix de l'électricité produite prohibitif. Il est inacceptable qu'une entreprise nationale agisse à l'encontre de politiques décidées au plus haut niveau.
Quelles sont les mesures envisagées pour convertir les centrales à charbon à la biomasse et quel est le sort d'Écocombust ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation . - La centrale de Cordemais, d'une puissance de 1 160 mégawatts, est l'une des deux dernières centrales à charbon en exploitation en France.
Le Président de la République s'est engagé à sortir du charbon d'ici au 1er janvier 2027 et l'ambition du Gouvernement est de faire de la France la première grande nation verte à sortir des énergies fossiles.
Un projet de conversion au combustible bois de la centrale de Cordemais, couplé à une production de pellets, Écocombust, a finalement été abandonné par EDF et Suez, faute d'un modèle économique et d'un retour d'expérience suffisant sur la technologie.
Néanmoins, les discussions ont repris autour d'un projet Écocombust 2 entre EDF, Paprec et l'État et le Gouvernement a lancé un appel à manifestation d'intérêt. Les travaux s'inscrivent dans le cadre du pacte de territoire, piloté par l'État.
M. Philippe Grosvalet. - Les salariés attendent une réponse ; je serai à leurs côtés le 17 avril prochain pour manifester, avec l'ensemble des élus du territoire, notre soutien à ce projet.
Recouvrement des factures d'eau
M. Olivier Bitz, en remplacement de M. Didier Rambaud, auteur de la question . - Les collectivités et les syndicats des eaux font face à des difficultés croissantes pour recouvrer les factures impayées, d'où des problèmes de trésorerie.
La loi Brottes du 15 avril 2013 a interdit non seulement les coupures d'eau, mais aussi les diminutions du débit de l'alimentation. Pourtant, la réduction du débit était un dispositif efficace, qui ne privait pas totalement l'usager d'une ressource essentielle. Or sa suppression résulte d'une maladresse rédactionnelle.
Les distributeurs se retrouvent démunis face aux impayés. Résultat : ils cessent d'investir et s'inquiètent de ne plus pouvoir payer les agents ou rembourser les emprunts.
Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour corriger cette anomalie ?
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation . - En effet, le droit français reconnaît le droit à l'eau, aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'environnement.
L'article 19 de la loi Brottes interdit les coupures d'eau pour impayés à toute époque de l'année pour l'ensemble des résidences principales, sans condition de ressources. Mais cela n'emporte pas annulation de la dette : la facture impayée reste due par l'abonné.
Le Gouvernement est conscient des difficultés engendrées par ce cadre, susceptible d'engendrer des comportements non citoyens.
Fonds de solidarité pour le logement, aides directes des collectivités, accompagnement des foyers concernés : autant de solutions préventives améliorant le recouvrement des factures.
Dès la constatation du dépassement du délai de paiement, le distributeur peut engager une procédure amiable. Des solutions de paiement échelonné sont également possibles.
Si ces démarches restent vaines, l'entreprise peut aussi engager une procédure judiciaire ou saisir la médiation du crédit.
Prolifération des choucas des tours
M. Michel Canévet . - Depuis plusieurs années, la prolifération des choucas des tours cause de nombreux dégâts sur les cultures et sur les habitations.
La réglementation européenne protège cette espèce, pourtant chassable dans certains pays.
Le Gouvernement a commandé une étude visant à évaluer la population des choucas des tours dans la région Bretagne. Nous sommes aujourd'hui débordés par la multiplication de ces oiseaux.
Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour éviter la prolifération des choucas des tours ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Le choucas des tours est inscrit à l'annexe 2 de la directive européenne sur la conservation des oiseaux sauvages. Cette espèce est chassable dans certains États membres seulement ; ce n'est pas le cas en France.
Toutefois, des dérogations sont possibles en vue de prévenir les dégâts aux cultures, notamment dans le Finistère ou dans les Côtes d'Armor : le nombre de prélèvements est comparable à celui effectué pour les espèces chassables. Grâce aux travaux scientifiques menés en vue de dresser un tableau objectif de la situation, les arrêtés n'ont pas été suspendus par la justice administrative.
Au-delà des tirs létaux, une politique de prévention s'impose, via des dispositifs d'effarouchement et la limitation d'accès des oiseaux aux sources de nourriture ou aux lieux de nidification comme les cheminées.
Un plan d'action régional est en cours de préparation sous l'égide du préfet du Finistère. Le premier comité de pilotage s'est réuni en mars 2023 ; le second se réunira à la fin du mois, avec l'objectif de finaliser le plan d'action.
M. Michel Canévet. - Le Gouvernement doit avancer sur le sujet, afin d'éviter des dégâts trop importants.
Cette espèce doit devenir chassable - c'est le cas en Espagne. Sans cela, nous ferons face à de nombreuses difficultés.
J'invite le Gouvernement à faire évoluer la réglementation européenne.
Accroissement des charges des syndicats des eaux
Mme Kristina Pluchet . - De nombreux syndicats des eaux du département de l'Eure, en particulier celui du Roumois et du plateau du Neubourg (SERPN), connaissent une situation préoccupante. Ils s'inquiètent des investissements nécessaires pour se conformer aux prescriptions toujours plus strictes - et parfois peu lisibles - de l'ARS ou de l'Anses.
Dans un contexte marqué par l'inflation, les usagers et les collectivités peuvent plus absorber les hausses tarifaires.
L'ordonnance du 22 décembre 2022 transpose la directive Eau potable de 2020. Aux termes de son article 8, l'État compense l'accroissement des charges des collectivités en résultant. Or le Gouvernement n'a inscrit aucun crédit à cet effet dans la loi de finances pour 2024.
Comment soutenir les petits syndicats des eaux de mon département, qui n'ont plus la surface financière suffisante pour se conformer à leurs nouvelles obligations ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - La contamination des ressources en eau constitue une situation préoccupante pour de nombreuses collectivités. En cas de dépassement de la limite de qualité, une demande de dérogation, qui ne peut excéder trois ans, doit être assortie d'un plan d'action.
La Banque des territoires peut aider les collectivités concernées via des Aqua Prêts, qui connaissent un réel succès. L'enveloppe a été doublée, à 4 milliards d'euros pour la période 2023-2027. La Banque des territoires a aussi développé une offre gratuite, Aquagir, qui porte sur l'ensemble de la gestion du cycle de l'eau.
Malgré tout, il faut privilégier les solutions préventives aux traitements curatifs, plus coûteux. Je salue à ce titre l'action des agences de l'eau., dont le relèvement du plafond de recettes vise justement à financer la protection des aires d'alimentation de captage, avec le soutien aux pratiques agricoles ayant recours à peu d'intrants.
Communication de documents sensibles
M. Cédric Chevalier . - Aux termes de l'article 11 de l'arrêté du 29 janvier 2007, la pose de pièges des animaux classés nuisibles doit faire l'objet d'une déclaration à la mairie, publiée sur l'emplacement réservé aux affichages officiels de la commune.
Dans un avis du 22 juillet 2021, la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) a rappelé que ces documents étaient communicables à toute personne qui en fait la demande. Or des maires décident volontairement de ne pas les transmettre, car des individus les utilisent pour détruire les pièges ou pour effacer les marquages. Dans les cas extrêmes, d'autres menacent même les piégeurs ou ceux qui les ont sollicités.
Résultat : beaucoup de piégeurs risquent de jeter l'éponge, alors que leur rôle est essentiel pour réguler la faune sauvage.
Afin que les élus locaux ne soient plus mis en difficulté, le Gouvernement compte-t-il exclure les déclarations de piégeage de la liste des documents transmissibles ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - L'accès aux informations relatives à l'environnement détenu par les autorités publiques est l'un des piliers de la convention d'Aarhus, ratifiée par la France le 8 juillet 2002 : ainsi prévaut le principe de la communication des documents administratifs, au nom de la transparence de l'action publique.
Toutefois, afin de protéger la vie privée des piégeurs, le Gouvernement a rappelé aux préfectures les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration : les documents qui porteraient atteinte à la protection de la vie privée ou à la sécurité des personnes ne sont pas communicables. Ainsi, les maires et les préfets peuvent répondre défavorablement à certaines requêtes.
Une éventuelle modification de l'article 11 de l'arrêté de 2007 a été évoquée lors de la dernière assemblée générale de l'Union nationale des associations de piégeurs agréés de France (Unapaf) : le Gouvernement engagera une réflexion à ce sujet.
Intégration du Réolais dans le dispositif France Ruralités Revitalisation
Mme Florence Lassarade . - La communauté de communes du Réolais en Sud-Gironde n'a pas été intégrée au futur dispositif France Ruralités Revitalisation (FRR), car la densité de sa population est légèrement supérieure au critère défini par la loi. Pourtant, elle coche tous les autres critères de la précarité ; la fragilité sociale et économique du territoire est reconnue par l'ensemble des institutions et l'offre de soins y est très déficitaire. Toutes les autres collectivités voisines du Réolais bénéficieront du FRR, d'où un risque de concurrence déloyale.
Mercredi dernier, lors des questions d'actualité au Gouvernement, Dominique Faure indiquait vouloir trouver une solution pour les collectivités exclues du dispositif. Afin d'éviter de creuser les disparités, les conditions d'accès au FRR peuvent-elles être assouplies pour la communauté de communes du Réolais ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Il était indispensable de réformer les zones de revitalisation rurale (ZRR), qui arrivaient à échéance à la fin de l'année 2023 et qui étaient devenues injustes et inéquitables.
Après un an et demi de consultations, le FRR, qui bénéficiera à 17 700 communes, a été adopté à l'unanimité par le Sénat lors de l'examen de la loi de finances pour 2024.
La communauté de communes du Réolais compte 41 communes ; 30 hors du zonage, et 11 qui y avaient été maintenues artificiellement. Ces dernières ne bénéficieront pas du FRR : tout zonage comporte des entrants et des sortants.
Sur les 2 200 communes sortant du FRR, 1 802 ne répondaient déjà plus aux critères de zonage en 2015. Dominique Faure étudie des solutions alternatives afin de lisser au maximum les effets de seuil.
Avec 73,5 habitants au kilomètre carré, la communauté de communes du Réolais demeure très éloignée du seuil de 63,57 habitants. Cela dit, nous sommes conscients des difficultés du territoire : un accompagnement spécifique lui sera proposé.
Mme Florence Lassarade. - Plus de médecins, moins d'agriculteurs qui s'installent... La population ne comprend rien aux ZRR et au FRR ! Merci de prendre en compte ces difficultés et d'y répondre de manière pragmatique.
Gestion déléguée des compétences eau et assainissement
M. Alain Joyandet . - Dans le cadre du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement en 2026, il est prévu que les communautés de communes puissent déléguer tout ou partie de ces compétences à leurs communes membres ou à un syndicat existant au 1er janvier 2019.
Cet assouplissement, le plus important apporté au principe du transfert obligatoire, suscite plusieurs interrogations. Les communautés de communes souhaitent d'abord savoir si des tarifs différents pourront être prévus pour différents délégataires, et à qui il appartient de les fixer. Ensuite, elles demandent si les budgets annexes associés à ces compétences devront être transférés aux communautés de communes ou clôturés ; et, dans le second cas, quid du solde ? Elles ignorent enfin si chaque commune ou syndicat délégataire devra disposer d'un budget annexe ou s'il leur reviendra de gérer elles-mêmes autant de budgets annexes.
Pour répondre à ces questions importantes, il serait bon qu'un guide soit élaboré avant le transfert obligatoire.
M. le président. - Question très technique, mais tout aussi importante...
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Je confirme que le transfert des compétences eau et assainissement devra s'accompagner d'une convergence tarifaire à l'échelle intercommunale. Toutefois, il n'implique pas une harmonisation immédiate : des différenciations tarifaires pourront exister, du fait du maintien des tarifs précédemment fixés par les communes. Une harmonisation devra intervenir dans un délai raisonnable, sans quoi le principe d'égalité serait méconnu.
La communauté de communes pourra déléguer tout ou partie de ces compétences à une commune ou à un syndicat infracommunautaire, qui l'exercera au nom et pour le compte de la communauté. La délégation ne pourra faire obstacle à l'égalité de traitement des usagers. Un budget annexe unique sera mis en place par la communauté pour chaque compétence. Pour les communes délégataires, il est préconisé d'ouvrir un budget annexe pour chaque compétence exercée. Pour les syndicats, il est admis qu'ils maintiennent les budgets annexes existants.
M. Alain Joyandet. - Merci pour vos précisions, même s'il en manque certaines dans votre réponse. Je regrette que le transfert de ces compétences ne reste pas optionnel, d'autant que le cahier des charges pour la gestion déléguée est assez contraignant. Puissiez-vous oeuvrer pour la simplification...
Stérilisation des chats
M. Jean-Raymond Hugonet . - La France a ratifié en 2003 la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie, qui incite à réduire la reproduction non planifiée des chiens et des chats.
La population de chats en France est estimée à plus de 13 millions, et un couple de chats peut avoir 20 000 descendants en quatre ans. La stérilisation n'est toujours pas obligatoire, alors qu'il s'agit de la seule mesure efficace pour endiguer la prolifération des félins en liberté. L'article L. 211-27 du code rural et de la pêche maritime autorise les maires à faire procéder à la capture des chats errants en vue de les stériliser, mais les coûts d'intervention croissent avec l'ampleur du phénomène.
C'est pourquoi nous avons ouvert dans la dernière loi de finances une dotation exceptionnelle pour la stérilisation des chats. Mais aucune directive n'a été communiquée sur la procédure à suivre pour en bénéficier. Comment les communes peuvent-elles accéder à cette aide ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Une dotation exceptionnelle de 3 millions d'euros pour la stérilisation des chats a été inscrite, par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, dans la loi de finances pour 2024.
Ces crédits sont ouverts sur le programme 122 de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », mais la gestion opérationnelle du dispositif sera assurée par le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Un décret de transfert de crédits entre programmes est donc prévu, avant la fin du premier semestre.
Les modalités d'accès à cette aide seront précisées à cette occasion par le ministère de l'agriculture. Ces campagnes étant généralement mises en oeuvre juste avant l'été, une réunion se tiendra le 25 avril entre les services concernés pour préparer un déploiement rapide des crédits. À l'issue de cette réunion, nous communiquerons de manière très opérationnelle sur les modalités du dispositif.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Merci pour votre à-propos. Vous avez répondu concrètement à ma question sur ce qui est devenu un véritable fléau, notamment dans le sud de mon département. Une stérilisation coûte de 70 à 100 euros, et le poids de ces mesures devient insupportable pour les communes.
Accompagnement des communes bailleresses pour la rénovation énergétique
M. Fabien Genet . - De nombreux maires de Saône-et-Loire m'interrogent sur l'accompagnement financier des communes bailleresses pour la rénovation énergétique. Il s'agit souvent de communes rurales propriétaires de bâtiments anciens, loués à des prix attractifs pour permettre l'installation de nouveaux habitants. Les loyers représentent pour elles un revenu non négligeable.
La loi Climat et résilience interdira bientôt la location des bâtiments classés G, considérés comme des passoires énergétiques. De nombreuses collectivités bailleresses vont ainsi devoir entreprendre d'importants travaux de rénovation. Comment l'État les accompagnera-t-elles ? Rendrez-vous les collectivités éligibles aux aides aux propriétaires, dont MaPrimeRénov' ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - MaPrimeRénov' est destinée à financer des travaux de performance énergétique dans le parc privé. Elle est accessible à tous les propriétaires et copropriétés pour les logements construits depuis au moins quinze ans et occupés à titre de résidence principale. Il n'est pas prévu, à ce stade, d'élargir cette aide au parc social ni aux logements détenus par les personnes publiques.
D'autres financements existent. Depuis un an, un dispositif spécifique du Fonds vert vise à accompagner les collectivités dans leurs projets de rénovation permettant une baisse de consommation d'au moins 40 % ; les logements communaux y sont éligibles. Toutefois, il convient de faire appel en priorité aux subventions destinées à la rénovation des logements, dont le Fonds national d'aide à la pierre pour les logements conventionnés à l'APL.
Par ailleurs, l'habitat est au coeur du plan France Ruralités, notamment pour sortir des logements de la vacance via une prime de 5 000 euros par logement rendu à la location. Je pense aussi aux opérations programmées pour l'amélioration de l'habitat et aux opérations de revitalisation du territoire, rurales ou urbaines.
M. Fabien Genet. - Merci pour ces explications, que je transmettrai à mes interlocuteurs locaux. Nous partageons la conviction que l'enjeu est majeur et que les collectivités territoriales doivent jouer tout leur rôle pour améliorer la performance des bâtiments.
Comme président du groupe d'amitié France-Colombie, je salue M. l'ambassadeur de Colombie en France, présent dans notre tribune d'honneur.
M. le président. - Nous nous associons tous à ce salut. (Applaudissements)
Suppression par Air France de la liaison Nice-Orly
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - En octobre dernier, Air France a annoncé l'arrêt de ses liaisons avec Orly. Notre compagnie - pourtant nationale - ne desservira donc plus Nice, mais aussi Marseille ou Toulouse, dès 2026.
Brutale, cette décision est lourde de conséquences pour les territoires concernés. Présidente du comité du tourisme Côte d'Azur-France, je le regrette d'autant plus que nous sommes la première destination touristique après Paris. Avec Éric Ciotti, j'ai rencontré les syndicats, très inquiets ; la semaine dernière, nous avons alerté une nouvelle fois le Premier ministre.
La compagnie doit prendre le temps de la concertation, la solution ferroviaire n'étant pas une option crédible pour nous. Or le président de Transavia a refusé de s'engager à maintenir les créneaux d'Air France, et la qualité du service sera inférieure - c'est le principe du low cost.
Le plus grave est le message envoyé : la province est méprisée et déclassée !
Le Gouvernement a publiquement regretté cette décision et s'est engagé à mener une concertation avec les élus. Mais quatre mois plus tard, toujours rien... Quand serons-nous associés au devenir des liaisons opérées par la filiale d'Air France entre Paris et nos territoires ? (Mmes Marie-Arlette Carlotti et Frédérique Puissat ainsi que M. Édouard Courtial applaudissent.)
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Les annonces d'Air France doivent être analysées au regard des évolutions structurelles du marché intérieur depuis la crise sanitaire. La fréquentation des lignes radiales n'est revenue l'année dernière qu'à 70 % du niveau d'avant-crise. Le trafic de la navette Orly-Nice a baissé de près de 60 % par rapport à 2019, dont 50 % pour la clientèle d'affaires.
Air France doit mettre en oeuvre des solutions pour améliorer sa rentabilité, afin d'assurer sa pérennité. Toutefois, le Gouvernement vous rejoint pour considérer que ces évolutions ne doivent pas nuire à la connectivité des territoires. Le groupe a confirmé la poursuite du renforcement des rotations Nice-Roissy assurées par Air France, dont le nombre quotidien sera déjà passé de sept à dix entre 2019 et l'été prochain. Par ailleurs, les liaisons de Transavia vers Orly seront accrues, notamment avec les nouveaux Airbus A320neo.
Le Gouvernement est conscient de l'importance du maintien de la connectivité de la Côte d'Azur. Le ministre des transports veillera à ce que le groupe Air France en reste un acteur majeur. Mon collègue chargé des transports suit avec grande attention le travail en cours entre la Région Sud, la Ville de Nice et le groupe sur l'avenir de la desserte.
Violences contre des élus
M. Édouard Courtial . - Attend-on la mort d'un maire pour agir ? C'est la question posée par Christophe Dietrich, maire de l'Oise agressé en février dernier. Hélas, son cas n'est pas isolé : le même mois, trois autres maires du département ont été agressés en trois jours.
Les mots manquent pour qualifier ces actes odieux, intolérables contre les fantassins de la République. Malgré les discours de fermeté, la situation ne cesse de se dégrader. Le Sénat a pris ses responsabilités en adoptant un texte fort : il s'agit de mieux protéger les élus et de mieux les accompagner lorsqu'ils sont victimes.
Mais le mal est profond. Pour contrer la perte d'autorité de l'État, une extrême fermeté s'impose. La tolérance zéro doit être la règle ! La protection des élus est une condition sine qua non de l'État de droit.
Compte tenu des fractures de la société française, les élus locaux sont, plus que jamais, le ciment de notre vie démocratique. Entendrez-vous leur cri d'alarme, voire de détresse ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Les menaces, diffamations ou violences visant des élus sont un fléau - il faut le rappeler toujours.
La loi du 24 janvier 2023 permet aux associations d'élus de se constituer partie civile et la loi du 21 mars dernier renforce de manière importante notre arsenal pénal : sanctions aggravées, protection fonctionnelle automatique, meilleure information des maires par les parquets.
De premiers résultats sont perceptibles : 562 procédures ont déjà été engagées cette année, après 2 759 l'année dernière. La meilleure prise en charge de la parole et la systématisation du dépôt de plainte l'expliquent en partie.
Concrètement, le réseau des référents élus au sein des forces de l'ordre, coordonné par un centre national, est structuré et connu. Plus de 1 million d'euros ont déjà été alloués pour équiper nos forces de caméras judiciaires destinées à protéger le domicile des élus menacés, et 2,5 millions d'euros seront très prochainement engagés pour la protection physique des élus. Des boutons d'appel discrets pourront être prêtés aux élus particulièrement menacés. Enfin, une ligne de soutien psychologique est active depuis novembre dernier, grâce au concours de France Victimes.
M. Édouard Courtial. - Les élus locaux comptent sur vous et sur nous. Chaque jour, ils vont au-delà de leur devoir. Ne lâchez rien ! (Mme Christine Herzog applaudit.)
Agrément du bail réel solidaire
M. Yves Bleunven . - Dans certains territoires du Morbihan, les actifs locaux n'ont plus accès à une offre résidentielle abordable, entraînant des difficultés de recrutement.
Le bail réel solidaire (BRS), porté par les organismes de foncier solidaire (OFS), dissocie le foncier du bâti, baissant mécaniquement le prix. Mais il ne nécessite pas d'agrément de l'État ou de la collectivité délégataire des aides à la pierre, alors qu'il répond aux mêmes objectifs, cible les mêmes publics, bénéficie de la même TVA à 5,5 % que les autres dispositifs et pourrait être tout autant un outil de maîtrise de la production de logement. Outre le fait que ces logements ne sont comptabilisés qu'à la livraison et non à la délivrance de l'agrément, cela permettrait à un territoire de ne pas se laisser déborder par une production excessive. Je sollicite donc la création d'un tel agrément.
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Le Gouvernement agit depuis la loi Élan pour accompagner et favoriser le développement du BRS - un beau produit. Seuls les OFS peuvent en proposer - donc des organismes à but non lucratif ou à lucrativité limitée agréés par le préfet de région après avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement (CRHH), comprenant des représentants des collectivités. Sont analysés le programme prévisionnel de l'organisme et les modalités de contrôle de l'affectation des baux qu'il entend pratiquer, principalement dans les zones tendues ou très tendues. Cette procédure sera renforcée réglementairement afin que le préfet puisse mieux examiner l'adéquation de la cible du futur OFS avec les politiques locales de l'habitat, définies notamment dans le programme local de l'habitat (PLH) : l'organisme devra, entre autres, présenter une étude de marché.
Par ailleurs, chaque OFS transmet annuellement un rapport d'activité au préfet comprenant la liste des bénéficiaires de BRS, ainsi qu'un bilan de suivi de la situation de ses bénéficiaires et un rapport de présentation des conditions de cession des droits réels au cours de l'exercice. Votre intention me semble donc déjà satisfaite.
Loi SRU
M. Olivier Paccaud . - Dans l'Oise, Verneuil-en-Halatte vient de se voir infliger une pénalité de presque 50 000 euros pour n'avoir que 13 % de logements sociaux, sans voir que cette commune de 5 000 habitants ne comptait que 2 % de logements sociaux à l'entrée en vigueur de la loi SRU et a veillé depuis à ce que plus du tiers des nouvelles constructions soient des logements sociaux. Sanctionner des maires qui consacrent des centaines de milliers d'euros à des aménagements préparatoires indispensables à de nouveaux logements sociaux est une injure à leur bonne volonté, car ils ne peuvent atteindre cet objectif que progressivement. Il serait donc plus conforme à l'esprit de la loi SRU d'apprécier la part de logements sociaux dans les nouvelles constructions. Sans parler de l'arbitraire préfectoral, tantôt indulgent, tantôt intraitable...
Alors que l'injonction à la mixité sociale se conjugue à celle de la sobriété foncière pour des collectivités aux ressources financières plus contraintes que jamais, laisserez-vous cette aberration se perpétuer ? (Mme Marie Mercier applaudit.)
M. le président. - Merci pour cette excellente question !
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Plusieurs mécanismes permettent déjà d'adapter le dispositif SRU aux particularités des communes, en particulier les plus petites : le prélèvement, proportionnel au déficit en logements sociaux et à leur potentiel fiscal, est adapté à leur situation et aux efforts qu'elles déploient. Des exonérations sont prévues, notamment pour les 10 000 communes bénéficiant de la part cible de la dotation de solidarité rurale, sous réserve d'une part minimale de logements sociaux ; les communes peuvent diminuer leur prélèvement à hauteur des dépenses qu'elles ont engagées pour la production de logements sociaux. Rappelons que ce n'est pas une pénalité, mais un versement à l'intercommunalité délégataire des aides à la pierre, réservé à la construction de logements sociaux. Une commune peut enfin toujours s'engager dans un contrat de mixité sociale qui aménage ses objectifs de rattrapage. (Mme Marie Mercier le conteste.)
Le projet de loi que nous venons de transmettre au Conseil d'État, examiné au Sénat à la mi-juin, sera l'occasion de beaux débats législatifs sur ce sujet, notamment l'intégration de logement intermédiaire.
Décret tertiaire
Mme Frédérique Puissat . - Le décret tertiaire, vertueux, impose aux collectivités de réduire d'au moins 40 % la consommation d'énergie finale de leurs bâtiments de plus de 1 000 m² d'ici à 2030, notamment par l'installation de panneaux photovoltaïques. Mais certaines collectivités, comme Vienne Condrieu agglomération, en Isère, se heurtent à une formulation qui exclue la possibilité d'un tiers investisseur. Nous avons demandé à plusieurs reprises que ce décret soit réécrit pour inclure cette possibilité, ce qui n'est guère coûteux. Est-ce prévu ? Dans quel délai ?
M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement . - Ce dispositif, dit Éco Énergie Tertiaire, vise à réduire de moitié la consommation énergétique finale d'ici à 2040, qu'elle soit d'origine renouvelable ou non ; il n'impose pas que l'installation photovoltaïque sur le toit soit financée par son propriétaire. L'origine renouvelable ne doit pas être considérée comme un droit à consommer davantage : attention à l'impact sur l'environnement de ces installations en l'absence d'efforts de réduction de la consommation, auxquels elles ne peuvent se substituer. Un financement privé des panneaux photovoltaïques et un retour sur investissement comportent enfin un risque de surconsommation.
Le Gouvernement soutient cependant la production d'énergie renouvelable : pour les projets de moins de 500 kW, les collectivités peuvent demander un tarif garanti de l'électricité par l'intermédiaire du guichet unique dit S21 ; au-delà, elles peuvent obtenir un tarif grâce à la mise en concurrence dans les appels d'offres lancés régulièrement par le ministère. Elles peuvent également bénéficier d'une prime à l'autoconsommation si cela répond à un besoin de consommation territoriale.
Mme Frédérique Puissat. - Je ne comprends pas. Nous voulons tous que les bâtiments publics réduisent leur consommation. Si un tiers investisseur permet de réduire la consommation tout en gagnant de l'argent, où est le problème ? Ajouter une petite phrase au décret ne coûterait rien : veuillez transmettre mon incompréhension au ministre compétent.
Frais des associations patriotiques
Mme Christine Herzog . - Notre calendrier est rythmé par les cérémonies de commémoration des anciens combattants, dans lesquelles les porte-drapeaux ont une mission hautement symbolique. L'importance de cette tradition n'est cependant reconnue par aucun financement public : la tenue, imposée par un certain code vestimentaire, les accessoires et le matériel pour les cérémonies ne sont pas toujours subventionnés par les collectivités, ou le sont insuffisamment : les associations, voire les bénévoles doivent les payer, ainsi que leurs frais de déplacement - sans parler des frais élevés de gestion bancaire. Ce n'est pas de nature à encourager l'implication des bénévoles, et encore moins des jeunes.
Alors que le Président de la République veut mettre l'accent sur la formation des jeunes à histoire et à l'unité de la Nation, pourquoi une participation financière de l'État n'est-elle pas prévue ? Le ministère de l'intérieur ne pourrait-il pas créer une section spéciale dans la réserve opérationnelle ou dans la réserve civile pour faciliter la participation aux commémorations et renforcer le lien entre le monde combattant et la communauté nationale ? (Mme Nathalie Goulet renchérit.)
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - Le ministère des armées est particulièrement mobilisé pour faire vivre le lien entre les armées et la Nation. L'Office national des combattants et des victimes de guerre (Onacvg) contribue au financement de l'acquisition et de la rénovation des drapeaux des associations d'anciens combattants : doublée en 2023 - de 150 à 300 euros pour une acquisition et de 80 à 160 euros pour une réfection - l'aide forfaitaire est remplacée en 2024 par une aide proportionnelle de 100 à 500 euros. Après 14 119 euros dépensés en 2023, 40 000 euros ont été prévus pour 2024.
Les tenues sont à la charge du porte-drapeau ou de son association, car aucune tenue réglementaire n'est exigée, même s'il est d'usage de porter veste, chemise blanche et cravate. Lorsque les associations sont reconnues d'utilité publique, leurs membres peuvent obtenir une réduction d'impôt. Enfin, le ministère les subventionne sur la base des projets qu'elles mènent.
L'Onacvg subventionne les associations et collectivités soucieuses de former des jeunes et organise chaque année, lors du 14 juillet, un séjour parisien pour une vingtaine de jeunes porte-drapeaux. Ces derniers peuvent obtenir le grade de chevalier de l'Ordre national du mérite ou la médaille de la jeunesse, des sports et de l'engagement associatif.
Niger
M. Jean-Luc Ruelle . - Le 22 décembre 2023, les derniers des 1 450 militaires français ont quitté le Niger, marquant la fin de plus de dix ans de lutte anti-jihadiste. En octobre dernier au Sénat, le ministre des armées avait mentionné un coût étalé sur trois mois de 200 à 400 millions d'euros, la fourchette haute étant la plus probable. En effet, plus de 2 500 containers auraient été évacués, une partie par avion depuis la base de Niamey, une autre transportée par la route via le Tchad jusqu'au port de Douala et une dernière, stockée dans la base militaire française de N'Djamena, devant rejoindre la France en janvier 2024 avec l'aide du Qatar.
Certaines informations de terrain portent à croire qu'une partie du matériel a donné lieu à des destructions volontaires. Le confirmez-vous ? Quel est le coût exact du désengagement ? Que prévoyez-vous pour la sécurisation des emprises françaises au Niger ou ailleurs ? Il faut tirer les enseignements de cette retraite précipitée pour la gestion des futures crises. (Mme Nathalie Goulet renchérit.)
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - Le 24 septembre dernier, le Président de la République a annoncé la fin de la coopération de défense avec le Niger, le rappel de l'ambassadeur et le départ des militaires et des équipements avant la fin 2023. La dernière emprise militaire a été restituée le 22 décembre 2023. Le coût de la manoeuvre a été de 80 millions d'euros : transport, ressources humaines et autres.
L'écrasante majorité des matériels a été désengagée : 1 929 containers, 600 matériels roulants et 22 aéronefs, pour plus de 820 millions d'euros. Une petite partie, non critique, a été remise à l'armée nigérienne : infrastructures non démontables ou vétustes, matériel logistique, stations d'épuration, bungalows ou structures de tentes, pour moins de 2 % de la valeur du total.
Les effectifs au Tchad n'ont pas été renforcés, même si la moitié des 1 500 personnes désengagées y ont transité.
Les armées ont appuyé le désengagement de l'ambassade : neuf personnes, un conteneur et neuf véhicules ont été évacués par voie aérienne le 30 décembre. La sécurité des emprises diplomatiques relève du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mais le ministère des armées a renforcé le dispositif dans l'attente d'un renfort que les Nigériens n'ont jamais accepté ; depuis la fermeture des bâtiments, ces derniers doivent en assurer la sécurité, au titre des articles 22 et 45 de la Convention de Vienne.
Équivalence entre permis C et D
M. Pierre Jean Rochette . - Ma question allie pouvoir d'achat, monde agricole, ruralité et mobilité. Le monde rural déplore une pénurie de conducteurs de cars scolaires. La fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) dénombre 6 000 conducteurs manquants à la rentrée 2023, notamment du fait de la fin du service militaire, centre de formation important de conducteurs de poids lourds et d'autocars. Le désamour pour le métier pose des difficultés sur le terrain.
Est-il normal que le conducteur d'un 44 tonnes ne puisse être au volant d'un minibus de quinze enfants ? C'était le cas auparavant - même si je suppose un arrêt dû aux règles européennes. Les équivalences de l'article L. 221-1 du code de la route permettraient au moins une classification sur les minicars, ce qui réglerait un vrai problème en zone rurale.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - Si la situation était très difficile à la rentrée 2022, elle s'est améliorée en 2023, mais elle demeure fragile alors que les tensions de recrutement pour le transport de voyageurs demeurent. Les besoins augmentent, la pyramide des âges est défavorable, les rémunérations et les perspectives professionnelles sont peu attractives.
Votre proposition concerne les véhicules de plus de huit passagers. La directive du 20 décembre 2006 ne prévoit aucune équivalence entre transport de marchandises et de personnes, qui fait appel à des compétences propres, comme la sécurité des passagers.
En outre, le système d'équivalence de l'article L. 221-1 du code de la route permet de conduire des véhicules agricoles, car ils sont hors du champ de la directive. Il n'est donc, hélas, pas applicable aux véhicules de catégorie B.
M. Pierre Jean Rochette. - C'est bien dommage, car c'était un levier de pouvoir d'achat pour les agriculteurs, auxquels le transport scolaire rapportait souvent 1 000 euros par mois. Je vous invite à étendre la dérogation au transport de voyageurs. Un conducteur de poids lourd est largement capable de conduire un minicar de type Renault Master.
Sécurité de la gare maritime de Dzaoudzi
M. Saïd Omar Oili . - Ma question est simple : dans le cadre de Wuambushu 2, programmée le 15 avril prochain, l'absence de conformité de la gare maritime de Dzaoudzi ne risque-t-elle pas de gêner les reconduites à la frontière ?
Cette gare maritime stratégique a accueilli 23 000 étrangers en situation irrégulière en 2023 dans le cadre des reconduites - plus que pour tout l'Hexagone. Un blocage pour motifs de sûreté mettrait Wuambushu 2 en péril et nuirait à l'image de notre pays.
Pourriez-vous nous rassurer sur la mise aux normes de la gare maritime de Dzaoudzi ?
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - La gare internationale de Dzaoudzi fait l'objet d'audits nationaux réguliers, comme toute installation portuaire. Celui de 2023 a conclu à une nette amélioration en 2023, sans non-conformité majeure. En particulier, l'inspection-filtrage des passagers piétons est assurée par un personnel correctement formé.
Un projet de réfection totale est à l'étude pour optimiser l'accueil des passagers, en déplaçant le contrôle documentaire réalisé par la compagnie maritime en amont du point d'inspection-filtrage, avec des contrôles de sûreté par la police aux frontières.
M. Saïd Omar Oili. - Je suis surpris de votre réponse. À Mayotte, il y a 15 jours, j'étais interpellé par les opérateurs des bateaux amenant les étrangers en situation irrégulière. Les autorités des Comores leur ont adressé un courrier selon lequel tous les problèmes aux Comores viennent de Mayotte, car aucun scanner ne permet de contrôler ce que transportent les passagers et ce qui entre dans les îles.
Si l'on ne fait rien, policiers et gendarmes se décourageront, car leur travail et toute l'opération seront réduits à néant.
Pour conclure : on ne vous reprochera jamais d'avoir été trop prudents.
Étudiants expulsés de leur logement pour les JOP
Mme Marie-Arlette Carlotti . - Chaque année, 70 % des étudiants sont logés par les Crous, y compris l'été. Or pour loger athlètes et personnel des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), le Gouvernement expulserait 2 200 étudiants, avec 100 euros et deux places à une épreuve en guise de dédommagent, loin de compenser les frais d'un déménagement.
Le Gouvernement a promis un relogement sans surcoût, promesse difficilement tenable compte tenu de la crise du logement. Depuis la pandémie de covid-19, étudiants et jeunes sont les grands oubliés du Gouvernement, alors qu'ils sont notre avenir. Vous les sacrifiez, à nouveau, à des fins publicitaires.
Relogerez-vous les étudiants ? Les dédommagerez-vous à hauteur du préjudice réel ?
Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche . - Je reformulerai votre question : des étudiants seront-ils expulsés ou mis à la rue ? Non, aucun, je le réaffirme. La moitié des 6 000 logements des Crous inoccupés chaque été en Île-de-France seront mis à disposition des agents publics, pompiers, policiers, soignants, en renfort pour les Jeux, ce qui relève du bon sens.
Pour éviter la cohabitation entre étudiants et agents aux horaires décalés, ces logements vacants ont été regroupés dans douze résidences, d'où des relogements, estimés à 2 200 au maximum, avec 1 500 demandes à l'heure actuelle. Aucun ne sera sans logement : les propositions de logement estival ont commencé la semaine dernière.
Les Crous prendront en charge le déménagement. Ce mois-ci, 100 euros seront versés aux habitants des douze résidences, et les étudiants concernés recevront deux places pour les Jeux dès cette semaine. Ils ont reçu le calendrier le 4 avril.
Après le temps des polémiques, souvent mensongères, entrez avec nous dans une nouvelle phase : celle des engagements tenus.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je souhaite que ces JOP soient un grand moment de fête pour tous, particulièrement pour une jeunesse qui galère. Je vous remercie de vos précisions, j'espère qu'ils en seront satisfaits.
Délocalisation du concours des instituts nationaux polytechniques
M. Francis Szpiner . - Les épreuves des prépas ont lieu en juin et en juillet. Elles seront donc concernées par les jeux Olympiques (JO). Ainsi, 33 000 étudiants passeront des épreuves délocalisées à Toulouse, ville qui m'est chère, mais dont l'accès n'est pas le plus simple. Au stress des concours s'ajoutent un déplacement et des frais supplémentaires.
De nombreux étudiants sont donc inquiets. En réponse, on leur indique que l'on « fera au mieux pour lisser les difficultés inhérentes à cette situation ». N'étant pas agrégé de lettres, puis-je vous demander de traduire ces termes en français ?
Mme Nathalie Goulet. - Excellent !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - Les oraux du concours commun des instituts nationaux polytechniques et de l'épreuve commune de travail d'initiative personnelle encadré (TIPE) sont organisés par le service de concours écoles d'ingénieurs (SCEI), qui est autonome. Il s'est, très tôt, rapproché de mon ministère du fait des JO.
Notre comité de pilotage a abouti à la décision consensuelle d'organiser ces épreuves à Toulouse, épreuves avancées pour finir le 21 juin, cinq jours avant le début des JO et de la période la plus tendue en termes de transport et d'hébergement.
L'an passé, 32 500 candidats admissibles ont passé les épreuves, dont 23 857 qui ne venaient pas d'Île-de-France, soit 75 %. Que l'épreuve se passe à Toulouse ou à Paris, de nombreux candidats doivent donc voyager.
Le ministère facilite la mise en relation avec le Crous Occitanie pour l'hébergement des candidats en ayant besoin, et mes services sensibiliseront la SNCF sur des conditions tarifaires adaptées.
M. Francis Szpiner. - Novice au Sénat, je constatais que d'habitude, lorsqu'on pose des questions, on n'a jamais de réponse. J'en ai au moins deux : l'action du Crous et de la SNCF. Espérons que cela suffira. Je vous remercie.
Délinquance juvénile en Guadeloupe
M. Dominique Théophile . - Le dimanche 28 janvier, un automobiliste et sa compagne ont subi plusieurs coups de feu d'un agresseur d'à peine 18 ans. Le vendredi 15 mars, un jeune de 19 ans est détenu pour vol avec violences. Enfin, le 3 avril, quatre jeunes de moins de 25 ans sont mis examen pour vol et meurtre. Ce n'est qu'un échantillon.
En 2023, en Guadeloupe, plus d'un vol avec arme à feu est commis par jour, par et sur des individus de plus en plus jeunes. Le Président de la République, à Tonneins en octobre dernier, annonçait une brigade mobile à Capesterre de Marie-Galante, une brigade nautique à Gourbeyre et un hôtel de police à Basse-Terre pour 2024-2025.
Mais cela ne suffira pas. Il faut aller à la source du problème et mobiliser parents et collectivités. Quelles mesures l'État prendra-t-il pour encadrer la jeunesse ? Quel est le calendrier des brigades ? Quelles réponses apporterez-vous aux parents de mineurs et de jeunes délinquants pour briser ce cycle de violence ?
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - En 2023, le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) a alloué 376 000 euros, 14 % de l'enveloppe, aux outre-mer. Le préfet de la région Guadeloupe, avec le président du département, a lancé les assises départementales de prévention de la délinquance, avec, notamment, les rencontres du 5 décembre 2023.
L'un des ateliers, consacré à la parentalité, a dégagé de nouvelles propositions, comme la cartographie des dispositifs existants, l'élargissement de la démarche « cité éducative », qui me tient à coeur, et la formation des professionnels. Le Beauvau, le 23 mai prochain, déterminera une stratégie par et pour les territoires.
En parallèle, les forces de sécurité intérieure seront renforcées par l'hôtel de police de Basse-Terre, achevé en juin prochain. Avant la fin 2024, 80 nouvelles brigades seront créées, dont la brigade fixe de Goyave, prévue pour le 1er mai 2024.
Le calendrier des autres brigades n'est pas encore arrêté. Leur répartition dépend des impératifs opérationnels de la gendarmerie.
M. Dominique Théophile. - Je relève la mise en mouvement de certains dispositifs, mais le problème dépasse la Guadeloupe. Il faut fédérer les énergies : collectivités, État et, surtout, parents.
Financement des associations locales à Bobigny
M. Fabien Gay . - Les inégalités territoriales se creusent d'année en année en Seine-Saint-Denis, en décalage avec les annonces gouvernementales. La mobilisation d'ampleur pour un plan d'urgence pour l'éducation nationale en est une parfaite illustration. Cela rend d'autant plus cruciale la politique de la ville, dont les dotations sont en diminution, provoquant de nombreuses inquiétudes chez les Balbyniens. Alors que la population augmente de plus de 10 %, aucun abondement supplémentaire n'est prévu pour les prochains contrats de ville.
Plus grave, le fonds qui soutenait les petites structures associatives a été supprimé. Bobigny ne bénéficie que de 20 euros par habitant en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), contre 37 euros pour la moyenne départementale, sans justification. C'est inadmissible. Les moyens de la politique de la ville ne sont pas une aumône, mais un levier pour rétablir l'égalité républicaine. La citoyenneté, que votre gouvernement réduit sans cesse à de vagues incantations pour contrôler et réprimer toujours plus les classes populaires, doit s'incarner par l'égalité républicaine.
Quelles mesures prendrez-vous pour renforcer les moyens de la politique de la ville en Seine-Saint-Denis, compte tenu de la hausse de la population, pour accompagner les petites structures associatives en remplacement du fonds d'initiatives associatives (FIA) et pour renforcer la dimension partenariale des contrats de ville ?
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - Les petites associations jouent un rôle important dans les QPV. Nous devons les soutenir, en faisant confiance a priori, et en les contrôlant a posteriori. Dans ma circulaire du 31 août 2023, j'ai autorisé les subventions en fonctionnement des petites associations afin de leur simplifier la vie. J'ai aussi fixé un objectif de 50 % de conventions pluriannuelles d'objectifs pour plus de visibilité. Le FIA, qui existe toujours, peut être utilisé conjointement par les services de l'État et les collectivités.
Depuis 2020, les crédits du budget opérationnel de programme (BOP) n°147 ont augmenté de 25 % avec la création du dispositif Quartiers d'été, que j'ai pérennisé l'année dernière.
Le BOP 147 n'échappe pas à la rigueur budgétaire, avec des annulations de crédits, mais l'enveloppe financière dédiée aux contrats de ville prendra en compte la réforme de la géographie prioritaire. Ainsi, 4 millions d'euros supplémentaires abonderont les régions dont la population augmente, tandis que les dotations ont été maintenues au niveau de 2023 pour celles dont la population en QPV diminue.
Les crédits du programme 147 n'ont pas vocation à compenser le manque des crédits de droit commun. Je souhaite que les deux assemblées évaluent ces crédits de droit commun pour agir plus efficacement.
M. Fabien Gay. - Vous dites tout et son contraire : cela augmente et on annule des crédits... En réalité, la Seine-Saint-Denis est discriminée, et Édouard Philippe est le premier à le reconnaître. Rien ne bouge. Nous sommes discriminés dans tous les domaines : éducation, logement, santé, culture, emploi, associations... Arrêtons les mots, il faut des moyens. Nous ne réclamons pas l'aumône, mais l'égalité républicaine ; pas des plans de rattrapage, mais d'entrer dans les politiques communes. Donnez à la jeunesse les moyens de réussir !
Interdiction des réseaux d'influence des Frères musulmans en France et en Europe
Mme Nathalie Goulet . - Je salue la volonté du ministre de l'intérieur de lutter contre l'islam radical, mais les dernières attaques contre la jeune Samara, la mort de Shemseddine et les attaques répétées contre le corps enseignant et la laïcité constituent des alertes que je dénonce depuis longtemps. L'évaluation par le Sénat de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République révèle de nombreuses failles, comme le financement des associations : lorsqu'on interdit une association en France, elle s'installe en Belgique et les réseaux sociaux font le reste...
Les Frères musulmans sont inscrits sur la liste des organisations terroristes de nombreux pays - Autriche, Émirats arabes unis, Arabie saoudite... Nos collègues britanniques sont en train d'enquêter contre la Muslim Association of Britain, Cage et Rend, associations suscitant des inquiétudes et dont les actions ne s'arrêtent pas au bord de la Manche.
La confrérie des Frères musulmans est très active dans les diatribes antisémites : hausse de 319 % d'augmentation des actes antisémites et des atteintes à la laïcité en 2023, selon le ministre. Que comptez-vous faire pour interdire les Frères musulmans et leur influence en France ?
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - La lutte contre le séparatisme et l'antisémitisme est une priorité du Gouvernement. Nous ne laisserons aucun répit à ceux qui veulent diviser notre société et s'en prennent aux valeurs de la République, ainsi qu'à nos compatriotes juifs.
Depuis plus de cinq ans, nous luttons contre les islamistes, dont ceux liés aux Frères musulmans. La loi de 2021 offre un arsenal juridique mobilisable contre les associations, lieux de culte ou individus en rupture avec les valeurs de la République. Depuis 2021, nous avons identifié une vingtaine de fonds de dotation douteux liés à l'islam politique ; quatre ont été dissous, cinq sont suspendus et trois font l'objet de mises en demeure.
Lutter contre les Frères musulmans, c'est aussi lutter contre les prédicateurs. Vous me trouverez toujours à vos côtés pour lutter contre l'antisémitisme, partout. La France a connu une hausse inédite et intolérable des actes antisémites en 2023 : hausse de 284 %, avec 1 676 actes enregistrés.
Depuis 2017, nous avons fermé seize lieux de culte. Depuis 2013, 38 décrets de dissolution d'associations ou groupements de faits ont été pris sur le fondement antisémite, dont 20 relevant de la mouvance islamiste. Je rappelle le travail remarquable des députés Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan. Vous nous trouverez toujours face aux diviseurs.
Mme Nathalie Goulet. - Je soutiens nos services et le ministre, mais la division existe tous les jours. J'ai demandé la suppression d'applications, notamment Euro Fatwa en 2019, sans succès. Rien non plus pour le contrôle des financements, notamment européens, des associations. Il y a quelques jours, Al Jazeera prônait les vertus de la polygamie. Ce séparatisme nuit à la République et à sa cohésion. Tolérance zéro pour les ennemis de la République ! Évitons un mauvais remake de La Fièvre.
Délit de fuite et note 89
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - Chaque semaine, des refus d'obtempérer sont constatés sur l'ensemble du territoire national, avec parfois des blessés, comme la sous-préfète de Moselle, ou des forces de l'ordre tuées, comme la jeune gendarme Mélanie Lemée en Lot-et-Garonne.
Ces refus d'obtempérer entraînent souvent une course-poursuite permettant dans la plupart des cas d'interpeller les délinquants fuyards. Or, depuis quelques mois, la fameuse note 89 exige des policiers que la poursuite d'un véhicule ne puisse être liée qu'à des faits d'une grande gravité, comme la fuite ou l'évasion d'un individu dangereux, ou encore la traque d'un auteur d'un crime de sang. Pour les autres situations, il ne doit pas y avoir de course-poursuite systématique.
Il est demandé aux forces de l'ordre d'évaluer en quelques secondes la raison pour laquelle un individu fuit, mais aussi l'éventuel danger d'une course-poursuite pour les riverains et les usagers de la route. On leur demande un discernement immédiat, précis et affûté, dans des situations souvent complexes. Une réécriture de la note 89 est en cours, mais, d'ici là, laisse-t-on les délinquants faire la loi en toute impunité ou envoie-t-on un message de fermeté ?
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - On envoie un message de fermeté.
Délit de fuite et poursuite de véhicules en cas de refus d'obtempérer sont deux situations différentes. Dans ce dernier cas, une poursuite peut être engagée à la stricte condition que les faits soient d'une grande gravité : fuite ou évasion d'un individu armé ayant l'intention d'attenter à la vie d'un tiers ou crimes ou délits aggravés entraînant un préjudice corporel, selon l'instruction de commandement du 14 mai 1999 de la police nationale. Dans les autres situations, toute poursuite systématique est exclue, la surveillance devant être privilégiée en vue d'une interpellation.
Depuis le 3 juillet 2020, la préfecture de police autorise la poursuite d'un véhicule refusant d'obtempérer, après discernement et avec compte rendu immédiat au centre interministériel de crise qui en évalue le bien-fondé. L'avis hiérarchique est nécessaire, car les fonctionnaires de police doivent s'affranchir exceptionnellement du respect des règles du code de la route dès qu'ils font usage de leur avertisseur dans des cas justifiés par l'urgence, et sous réserve de ne pas mettre en danger les autres usagers de la route.
Du matériel récent et adapté permet de sécuriser l'action des policiers de terrain et d'apporter des preuves matérielles complémentaires.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - C'est d'une complexité aberrante. Je ne sais pas si les policiers s'y retrouvent... La maison police est en train de se fissurer ; ne la laissons pas s'effondrer !
Recours aux professionnels de santé diplômés hors Union européenne
M. Bruno Belin . - Depuis 18 ans, j'alerte sur les déserts médicaux. Malgré les annonces pleines de bonne volonté, la prochaine décennie s'annonce sans solution pour les patients. Est-il possible de recourir aux praticiens diplômés en dehors de l'Union européenne (Padhue), sans vider ces pays de leurs professionnels ? Il faut que cela corresponde à un parcours de vie. Il y a quinze ans, nous n'avons pas autorisé une jeune médecin cubaine à s'installer en France ; désormais, elle fait le bonheur d'une célèbre agence onusienne à côté de Genève... Est-il possible d'avoir recours à ces professionnels pour pallier les carences des déserts médicaux ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Les Padhue sont autorisés à exercer en France, sous certaines conditions - différentes de celles valant pour les médecins issus de l'Union européenne. L'autorisation d'exercice des Padhue est un enjeu individuel mais aussi collectif, dans l'attente de l'augmentation des praticiens formés en France.
Le plein exercice des Padhue est permis par la réussite à une épreuve de vérification des connaissances (EVC), qui se déroule chaque année. Une refonte de cette procédure est envisagée pour faciliter les demandes d'autorisation d'exercice. Ces évolutions seront mises en oeuvre à partir de la session 2024.
En attendant, la loi du 27 décembre 2023 a créé une attestation d'exercice temporaire de 13 mois, après examen du dossier du Padhue par une commission d'autorisation d'exercice, en amont de la réussite à l'EVC et avec un renouvellement possible en cas de premier échec à l'épreuve, pour une meilleure préparation des épreuves et une installation plus durable sur les territoires. À partir de 2025, d'autres aménagements du concours seront réalisés.
M. Bruno Belin. - Il faut tenter toutes les solutions pour les déserts médicaux. Nous allons aussi vers des déserts pharmaceutiques d'ici à la fin de la décennie. Dans les prochaines années, 15 à 20 % seulement des pharmaciens seront remplacés ; ce sera un séisme pour les territoires ruraux. Sans compter la pénurie de médicaments : ce matin, j'ai quitté mon officine avec quinze patients sans Trulicity ni visibilité sur le calendrier d'approvisionnement... C'est inadmissible de la part des laboratoires ! Nous alertons depuis deux ans sur cette situation dramatique pour de nombreux patients.
Situation alarmante de la santé mentale en France
Mme Annick Billon . - J'apporte mon soutien au brancardier violemment agressé ce week-end à l'hôpital de Challans.
En 2017, un rapport d'information sénatorial formulait 52 recommandations pour sauver la pédopsychiatrie. En 2021, un autre rapport appelait à réinvestir la santé mentale après le choc de la crise sanitaire.
Les maladies mentales et troubles psychiques concerneraient 13 millions de Français, un sur cinq. Leur prise en charge - 23 milliards d'euros annuels - est le premier poste de dépenses de l'assurance maladie. L'OMS estime leur coût économique et social à 109 milliards d'euros par an.
La situation de la santé mentale en France ne fait qu'empirer, car les moyens, bien qu'importants, ne sont pas à la hauteur des besoins. Cela se traduit par des postes vacants, des fermetures de lits, des conditions de travail dégradées, des violences envers les soignants, des délais de prise en charge toujours plus longs, de la maltraitance, des défauts de prévention. Résultat : toujours plus de jeunes mettent fin à leurs jours.
Il est urgent de considérer la santé mentale comme une priorité, d'autant que la carence de moyens ajoute au manque d'attractivité de la spécialité. Selon les professionnels, c'est une bombe à retardement.
Comment attirer des personnels soignants et doter la santé mentale de moyens suffisants ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Il faut faire tomber le tabou de la santé mentale, notamment des enfants et des adolescents. Les troubles mentaux brisent des familles, encore plus depuis la crise covid. Le recours aux soins d'urgence et l'alerte sur les gestes suicidaires ont fortement augmenté depuis 2021 et restent à un niveau extrêmement élevé.
Les Assises de la santé mentale de septembre 2021 ont permis de structurer une feuille de route pour la santé mentale et la psychiatrie 2021-2026, renforcée par 13 nouvelles mesures par rapport à la feuille de route 2018-2021, régulièrement évaluée. Le comité stratégique se réunira à la fin du mois.
Concrètement, nous adoptons des mesures fortes de prévention : formation de secouristes en santé mentale, mise en place du 3114, renforcement de l'offre de soins grâce à l'augmentation de l'Ondam, qui atteint 12 milliards d'euros. Nous lançons un appel à projets sur le fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie, à la demande des professionnels. Plus de 216 millions d'euros seront alloués à des projets territoriaux portés par des collectifs de soins.
Nous renforçons l'attractivité de la discipline : le nombre de postes non choisis par les étudiants en psychiatrie est passé de 17 % en 2019 à 6 % en 2022.
La santé mentale est une priorité, et un Conseil national de la refondation (CNR) sur ce sujet débutera en mai. Mon soutien psy sera complètement rénové : le Premier ministre a annoncé ce week-end un dispositif plus attractif pour les psychologues et plus facile pour les Français.
Mme Annick Billon. - La région Pays de la Loire se trouve en dernière position en termes de financement. L'établissement public de santé mentale Georges-Mazurelle de La Roche-sur-Yon dispose même du plus faible budget des hôpitaux psychiatriques de métropole... La psychiatrie souffre de non-assistance à spécialité en danger !
Tarifs des mutuelles santé
Mme Michelle Gréaume . - Alors que l'assurance maladie se désengage toujours plus de la prise en charge des dépenses de santé, les 70 milliards d'exonérations de cotisations sociales fragilisent le budget de la sécurité sociale.
Les complémentaires santé devenant indispensables pour se soigner, certaines en profitent pour augmenter leurs tarifs : plus 8 % en moyenne, et jusqu'à 30 % pour ceux qui n'ont pas de contrat collectif. S'y ajoute la taxation : 14 % sur les contrats solidaires, 21 % sur les individuels.
Ces hausses sont insupportables dans le contexte d'inflation et de baisse du pouvoir d'achat et peuvent conduire à un renoncement aux soins. Quelque 4 millions de nos concitoyens sont sans complémentaire santé, dont 925 000 dans le Nord. Le doublement des franchises médicales et l'explosion des dépassements d'honoraires n'arrangeront rien...
Il faut une prise en charge intégrale des soins par l'assurance maladie. Qu'allez-vous faire pour endiguer ces hausses tarifaires injustifiées ? Envisagez-vous des sanctions ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Je partage pleinement votre inquiétude. Le Gouvernement prendra connaissance des conclusions de la mission d'information du Sénat. Bien que la fixation des tarifs relève de la liberté contractuelle, le ministre de la santé y est très attentif.
Plusieurs dispositifs existent : portabilité de la couverture santé pendant un an après la fin du contrat de travail, possibilité pour les branches de prendre en charge d'anciens salariés, résiliation infra-annuelle sans frais et sans pénalité, entre autres. Pour les plus modestes, la complémentaire santé solidaire (C2S) permet un remboursement intégral, dans la limite des tarifs de la sécurité sociale.
L'assurance maladie obligatoire ne se désengage pas : sa part dans les dépenses de santé n'a cessé d'augmenter sur les quinze dernières années : plus trois points depuis 2010, plus deux points depuis 2019, pour atteindre 80 %.
Asalée
M. Patrice Joly . - Le dispositif Action de santé libérale en équipe (Asalée), créé en 2004, vise à améliorer la prise en charge des patients souffrant de pathologies chroniques. C'est une incontestable réussite et un très bel exemple de délégation des tâches en direction des infirmières. La prise en charge des patients y est excellente et permet le dépistage précoce de certaines pathologies.
Or la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) a décidé, brutalement et sans concertation, de ne plus prendre en charge les loyers à partir du 31 décembre dernier. De surcroît, dans la Nièvre, les infirmières ont perçu leur salaire de février avec retard.
Prenez-vous le risque qu'Asalée disparaisse ? Sinon, quelles mesures urgentes entendez-vous mettre en oeuvre ? Quid de la nouvelle convention ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Ce dispositif d'intérêt majeur a fait ses preuves, notamment pour l'accès aux soins des malades chroniques. Il n'est pas question de le remettre en cause.
Les pouvoirs publics l'accompagnent depuis sa création, et l'assurance maladie participe, depuis 2022, à la formation et au déploiement des 1 200 infirmières, à hauteur de 80 millions d'euros par an. Mais la prise en charge des loyers n'est pas prévue, et le ministre est attaché à la bonne utilisation de l'argent public.
Sachez que l'assurance maladie n'a ni retardé ni suspendu ses versements. Les échanges se poursuivent afin de finaliser la convention pour 2024. Asalée est un acteur important des soins primaires, que le Gouvernement soutient.
Oniam et Dépakine
M. Christian Klinger . - Les victimes de la Dépakine rencontrent des difficultés pour être indemnisées. Le législateur avait souhaité un dispositif simple, objectif et rapide. Pourtant, en 2017, la Cour des comptes a considéré que le système mis en place par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) était onéreux, inadapté et inefficace, ce qu'a également souligné mon rapport de 2022.
Trente mois après leur reconnaissance officielle, des victimes de la Dépakine ne sont pas toujours indemnisées - et ce n'est pas un problème de budget ! Qu'envisagez pour que ces indemnisations soient rapidement versées ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Les effets tératogènes de la Dépakine - malformations et troubles du développement chez l'enfant exposé in utero - sont connus depuis les années quatre-vingt. Le système d'indemnisation, confié à l'Oniam, est entré en vigueur en 2017. La réforme de 2019 a permis de raccourcir les délais, mais ils restent trop longs.
La crise sanitaire et le réexamen, par un nouveau collège unique d'experts, de nombreux avis précédemment rendus ont perturbé les délais, mais sachez que les dossiers de 2023 ont été examinés dans l'année. Au 31 mars 2024, 1 946 victimes ont reçu une offre d'indemnisation, pour un montant de 85 millions d'euros ; 1 219 l'ont acceptée, pour 61 millions d'euros.
Le ministre de la santé y est particulièrement attentif, notamment dans la perspective du prochain contrat d'objectifs et de performance.
M. Christian Klinger. - La reconnaissance des handicaps causés par la Dépakine est une première victoire, mais l'indemnisation vise à répondre aux besoins du quotidien. Les délais sont inacceptables - le délai initialement envisagé était de six mois... Il faut exercer une amicale pression sur l'Oniam, pour qu'il accentue ses efforts.
Pénurie de médicaments
M. Hugues Saury . - Depuis 2018, les signalements de pénuries de médicaments essentiels ont décuplé. En 2023, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a enregistré près de 5 000 signalements de ruptures de stock et de risques de rupture, en hausse de 30 % sur un an, de 128 % sur deux ans. Ce phénomène, qui concerne toutes les classes thérapeutiques, est dangereux pour les patients, avec un risque de perte de chance.
Une nouvelle feuille de route gouvernementale a été présentée en février 2024. Mais ces plans à répétition sont sans effet. Les pistes ne manquent pourtant pas : autoriser le remplacement par le pharmacien sans solliciter le prescripteur, assouplir les règles de fabrication en officine, suivre les recommandations de bon sens de la commission d'enquête du Sénat.
Quels sont vos objectifs pour enrayer ces pénuries ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Oui, malgré la mobilisation totale du Gouvernement, nous subissons encore des pénuries. Les déclarations de ruptures de stock et de risques de ruptures de stock ont augmenté ces dernières années, comme dans d'autres pays.
Depuis 2019, malgré des mesures fortes - interdiction d'exportation en période de tension et obligation de constituer un stock de sécurité pour le marché national -, la situation a continué à se dégrader. Notre nouvelle feuille de route tient compte des conclusions du rapport du Sénat de juillet 2023 en proposant d'agir sur la répartition des stocks, de libérer des stocks d'État, d'adapter le conditionnement aux prescriptions et de donner plus de visibilité sur les stocks disponibles. Une charte des bonnes pratiques et des travaux européens sont également en cours.
Retraite des sapeurs-pompiers volontaires
M. Jean-Jacques Michau . - Les sapeurs-pompiers volontaires s'inquiètent de l'application de la réforme des retraites de 2023, qui prévoyait l'octroi de trimestres supplémentaires à ceux d'entre eux ayant accompli au moins dix années de service. Cette demande ancienne des pompiers est une mesure de reconnaissance de la Nation et de renforcement de l'attractivité du volontariat, mais surtout de justice sociale au regard des lourdes contraintes qui pèsent sur leur vie familiale et personnelle.
D'après les responsables des pompiers de l'Ariège, le projet de décret, attendu depuis plus d'un an, réserverait la bonification aux seuls sapeurs-pompiers ayant eu une carrière hachée, ce qui est contraire à la volonté du Sénat. Qu'en est-il ? Quand la bonification sera-t-elle effective ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Nos sapeurs-pompiers sont la pierre angulaire de notre dispositif de protection civile. Leur rôle sur nos territoires est essentiel, et nous leur en sommes reconnaissants.
Grâce à la réforme des retraites, leur volontariat ne pèsera plus sur leur future pension. Le Gouvernement tiendra cet engagement de façon rétroactive au bénéfice de ceux qui présentent au moins dix ans de service. Le décret prévoira l'attribution de trimestres supplémentaires pour les années question incomplètes, afin de corriger les interruptions de carrière.
Cette avancée correspond à l'esprit de vos débats, car les amendements adoptés ici ne visaient que les carrières incomplètes, et le coût évalué à 30 millions d'euros correspond à la correction des interruptions de carrière. Aller au-delà quadruplerait le coût de la mesure et nous ne pouvons faire peser une telle charge sur le budget de la sécurité sociale.
M. Jean-Jacques Michau. - Cela ne satisfera probablement pas nos sapeurs-pompiers volontaires, engagés pour la sécurité de la population.
Centre hospitalier Camille-Claudel en Charente
Mme Nicole Bonnefoy . - Le déficit prévisionnel du centre hospitalier Camille-Claudel pour l'exercice 2023 dépasse le million d'euros et celui de 2024 serait supérieur à 3 millions d'euros, en raison d'une évolution des recettes insuffisante au regard de l'inflation. La psychiatrie en Charente est historiquement sous-financée : 146,20 euros par habitant, contre 175,10 euros en moyenne en Nouvelle-Aquitaine.
Contraint de puiser dans son fonds de roulement pour financer ses dépenses de fonctionnement, le centre hospitalier n'est plus en mesure de réaliser son programme d'investissements, destiné à humaniser ses locaux et à les mettre aux normes. C'est pourquoi ses instances demandent une revalorisation de sa dotation annuelle à hauteur, a minima, de la moyenne régionale, ainsi qu'une aide à l'investissement.
Quelles réponses le Gouvernement apportera-t-il à ces demandes légitimes ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - L'agence régionale de santé va examiner avec l'établissement comment améliorer sa situation financière et ajuster, le cas échéant, son programme d'investissements. L'État fera le nécessaire pour l'accompagner et lui permettre de continuer à accueillir les patients dans de bonnes conditions. L'alerte a bien été bien reçue, et des réponses seront apportées.
Le déficit annoncé pour 2023 n'a pas pris en compte les crédits apportés par l'ARS le mois dernier. Oui, la Charente présente un ratio de financement en psychiatrie par habitant inférieur à la moyenne régionale ; l'ARS en tiendra compte.
Mme Nicole Bonnefoy. - Tous les efforts d'économies ont déjà été réalisés. Certains bâtiments sont vétustes, et le manque de personnel est criant. J'espère que vos annonces seront à la hauteur des attentes des personnels et des patients.
Centre médico-psychologique pour enfants et adolescents au Vigan
M. Laurent Burgoa . - Depuis la fin des années quatre-vingt, l'association éducative du Mas Cavaillac (AEMC) gérait l'antenne du centre médico-psychologique pour enfants et adolescents (CMPEA) au Vigan pour le secteur nord-ouest du Gard, comprenant également Ganges et Saint-Hippolyte-du-Fort. Or le CMPEA du Vigan est fermé depuis le début de l'été dernier, à la suite du départ du psychiatre, ce qui compromet la prise en charge d'environ 500 enfants et adolescents.
Un médecin interviendrait ponctuellement pour assurer la continuité du suivi, mais aucun nouveau patient ne peut être accueilli. Un arbitrage en cours au sein de l'agence régionale de santé du Gard tendrait à rattacher le CMPEA à l'hôpital d'Uzès. Or aucun médecin d'Uzès n'accepte de se rendre dans ce secteur. Ce centre aide pourtant les familles à réaliser les bilans indispensables à la constitution des dossiers destinés aux maisons départementales des personnes handicapée : son maintien est donc fondamental.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Le Gouvernement envisage de confier la gestion du CMPEA au centre hospitalier d'Alès ou à un autre centre hospitalier, ce sujet ayant fait l'objet d'une réunion avec ces établissements en septembre 2023. En attendant, une offre minimale est maintenue pour les situations urgentes. Il existe aussi un centre médico-psychologique relevant du centre hospitalier Mas Careiron et un hôpital pédiatrique de jour porté par le centre hospitalier d'Alès.
Une nouvelle réunion aura lieu dans les prochaines semaines avec les élus du territoire et toutes les parties prenantes. Il n'est aucunement envisagé que l'activité du CMPEA cesse sur votre territoire. Nous travaillons à la mise en oeuvre d'un conventionnement adéquat.
M. Laurent Burgoa. - L'État doit demander à l'ARS de faire preuve de bon sens. L'hôpital d'Uzès est à plus de 50 kilomètres du Vigan ! (Mme Else Joseph applaudit.)
Maison d'arrêt de Béthune
Mme Amel Gacquerre . - Le contexte d'insécurité autour de la maison d'arrêt de Béthune appelle une attention particulière.
Des travaux d'aménagement ont été engagés par l'État, pour 810 000 euros. Cependant, la question du devenir de cette maison d'arrêt se pose. Elle connaît une surpopulation préoccupante - 370 détenus pour une capacité de 180 places, soit un taux d'occupation de plus de 200 % -, qui engendre violences et trafics.
Quelles réponses le Gouvernement prévoit-il en matière d'infrastructures pénitentiaires pour répondre aux besoins du deuxième tribunal judiciaire des Hauts-de-France, qui concerne un bassin de plus de 600 000 habitants ? La construction d'une structure supplémentaire pourrait-elle être intégrée dans le plan de construction de 15 000 places de prison d'ici à 2027, annoncé par le Président de la République ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Le chantier de sécurisation de la maison d'arrêt de Béthune a été terminé le 15 janvier dernier. Des caillebotis ont notamment été posés sur l'ensemble des fenêtres des cellules. La vidéosurveillance a été renforcée. Des bardages ont été installés, et des filins seront posés devant les façades des hébergements d'ici à la fin du mois. Des travaux supplémentaires devraient suivre, notamment sur la structure du bâtiment 1. Pas moins de 500 000 euros sont également prévus pour les douches, et 4 millions d'euros pour la réfection de la toiture.
Le programme « 15 000 places de prison » est déjà complet. La construction d'un nouvel établissement sur la commune de Béthune n'est pas prévue. Cependant, trois nouveaux établissements sont programmés dans la région : à Saint-Saulve, pour 700 places, à Loos, pour 120 places, et à Arras, pour 180 places.
Mme Amel Gacquerre. - La surpopulation carcérale record que nous connaissons est dénoncée partout en France. La question n'est pas close. Une discussion doit être engagée sur notre territoire.
Surpopulation carcérale
Mme Marion Canalès . - Le taux d'occupation des prisons s'élève à 123 % au total - 200 % dans certains établissements.
Le centre pénitentiaire de Riom, pourtant censé garantir aux personnes privées de liberté des conditions de vie dignes, affiche un taux d'occupation de 125 % et manque de 30 surveillants. Il faut améliorer le processus de réinsertion pour éviter la récidive, notamment l'accès à l'enseignement supérieur. Or la circulaire de 2019 interdit l'usage de clés USB.
La France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment en juillet 2023. Le mois dernier, le comité des ministres du Conseil de l'Europe l'a invitée à réfléchir à un mécanisme national contraignant de régulation carcérale. Or le ministère a décidé de lancer plusieurs projets d'infrastructure, alors même que la surpopulation carcérale augmente à mesure que le nombre de places s'accroît. Envisagez-vous d'actualiser la circulaire de 2019 et d'instaurer un mécanisme contraignant de régulation carcérale ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Dans le cadre du programme « 15 000 places de prison », dix-neuf établissements pénitentiaires ont été livrés au 1er janvier 2024, soit 4 103 places nettes. Près de la moitié des établissements du programme seront opérationnels cette année. Les transferts accélérés des condamnés vers les établissements pour peine seront poursuivis. Un dialogue a été instauré au niveau de chaque cour d'appel avec le concours des directions interrégionales de l'administration pénitentiaire.
Créer un mécanisme généralisé de régulation carcérale semble contraire aux enjeux qui sont les nôtres en matière de traitement de la délinquance et d'efficacité de la réponse pénale ; en outre, cela soulèverait des questions juridiques, voire constitutionnelles, notamment au regard de l'égalité devant la loi.
Je transmettrai au garde des sceaux votre alerte concernant l'accès à l'enseignement supérieur et la réinsertion.
Rentrée scolaire 2024 en Guadeloupe
Mme Solanges Nadille . - L'académie de Guadeloupe perdra 107 postes d'enseignant à la rentrée 2024 - 52 postes dans le premier degré, et 55 dans le second degré - du fait d'une chute attendue du nombre d'élèves. Or l'académie manque déjà de moyens de remplacement, d'enseignants spécialisés, de psychologues, d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et d'assistants d'éducation. La communauté scolaire est marquée par la précarité. La Guadeloupe est arrivée 30e sur 33 en mathématiques et en français dans les résultats des évaluations nationales des élèves de sixième réalisées en septembre dernier. Les six dernières places de ce classement sont d'ailleurs occupées par les académies de territoires ultramarins, soit ceux qui concentrent le plus de difficultés, et où l'inclusion scolaire est également compromise faute de moyens.
Le Gouvernement pourrait-il réétudier les suppressions de postes annoncées, qui sont incompréhensibles ? Quelle stratégie compte-t-il mener pour pallier les difficultés scolaires dans les outre-mer ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - Les effectifs d'écoliers ont diminué en Guadeloupe de 34 % sur les quinze dernières années et cette tendance se prolonge en 2024, moyennant une baisse prévisionnelle de plus de 500 élèves. Les moyens de l'enseignement n'ont cependant pas été réduits, comme le montrent les taux d'encadrement : le nombre moyen d'élèves par classe est de 16 en éducation prioritaire et 20 hors éducation prioritaire, contre 18 et 22 dans l'Hexagone. On recense huit postes d'enseignant pour 100 élèves en Guadeloupe contre six postes pour 100 élèves au niveau national.
Il faut toutefois accompagner de manière qualitative les spécificités des outre-mer, notamment en matière de continuité éducative, ou par l'intermédiaire d'établissements efficaces pour l'insertion professionnelle comme le régiment du service militaire adapté de La Réunion (RSMA).
Arrêt du financement de l'éducation à la sexualité
Mme Laurence Rossignol . - Plusieurs agences régionales de santé ont invoqué une instruction interministérielle du 19 août 2022 concernant la stratégie de développement des compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes pour justifier l'arrêt des financements alloués à l'éducation à la vie affective et sexuelle auprès des associations compétentes.
Confirmez-vous qu'il s'agit d'une erreur et qu'aucune réduction des financements de ces associations n'est prévue ? Le ministère précisera-t-il rapidement aux ARS que ces financements sont maintenus ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - La ministre chargée du travail, de la santé et des solidarités n'a transmis aucune consigne aux ARS concernant un éventuel arrêt des financements des programmes d'éducation à la sexualité. Une instruction ministérielle du 23 juin 2023 relative au dispositif de soutien par le Fonds de lutte contre les addictions (FLCA) aux actions régionales contribuant à la lutte contre les addictions insiste sur l'intérêt de poursuivre le financement des programmes probants, avec renvoi à l'instruction interministérielle d'août 2022.
Certaines ARS engagent une réflexion afin d'obtenir une montée en compétences des acteurs associatifs sur les compétences psychosociales. Le développement de ces dernières sera explicitement mentionné dans le programme d'éducation à la sexualité.
Mme Laurence Rossignol. - Les ARS, cherchant probablement des financements pour répondre aux consignes de la circulaire sur les addictions, se demandent s'il ne serait pas possible de prélever certains crédits dédiés à l'éducation à la vie affective et sexuelle. Une instruction de la ministre soulignant l'impossibilité de retirer des crédits aux associations chargées de cette éducation serait bienvenue.
Organisation des festivals pendant les JOP de Paris 2024
Mme Else Joseph . - Si notre pays se réjouit de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) cet été, l'inquiétude est de mise concernant l'organisation des festivals. Nous craignons que la vague positive de 2023, marquée par des millions de places vendues, soit enrayée. Or rien ne semble avoir été anticipé à cet égard. Certains festivals, à partir de juin, envisagent une annulation de dernière minute en raison d'un manque de disponibilités en ressources humaines ou en matériel. Les sapeurs-pompiers, les forces de sécurité ou encore la Croix-Rouge seront abondamment sollicités. Comment habiller Pierre sans déshabiller Paul ?
Aucun référent « festival » n'a été désigné dans les Ardennes. Or nous avons besoin d'un pilotage. Comment accompagner les festivals, petits et grands, dans ce moment délicat et maintenir une offre culturelle dans nos départements ? Ne transformons pas une année prometteuse en année désastreuse !
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles . - La sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques fait l'objet d'une mobilisation historique. Du 18 juillet au 11 août 2024, aucun événement d'ampleur ne pourra être organisé. Toutefois, le Cabaret vert, prévu dans les Ardennes du 15 au 18 août, ne sera pas concerné. Les événements de moindre ampleur auront vocation à se tenir, moyennant un usage modéré des forces de l'ordre et un dialogue avec les collectivités territoriales. Les traditionnelles fêtes de la Sainte-Anne se dérouleront bien du 27 juillet au 4 août à Rethel. Les services préfectoraux assurent la coordination des acteurs mobilisés. Aucun festival n'est annulé à ce jour sur votre territoire.
Je suis convaincue de l'importance des animations culturelles qui génèrent de l'emploi, du lien social et de l'attractivité touristique. Nous nous efforcerons de les préserver.
Filière des plantes à parfum aromatiques et médicinales
M. Lucien Stanzione . - On constate une hausse de la concentration en alcaloïdes pyrrolizidiniques dans les préparations pour les cosmétiques, l'aromathérapie, les compléments alimentaires, la pharmacie, issues de plantes à parfum aromatiques et médicinales (PPAM) : lavande, mélisse, thym, menthe poivrée, origan et autres. Cette hausse des niveaux de contamination tient à la suppression des traitements chimiques de désherbage. Les conséquences sanitaires et économiques sont énormes, avec des surcoûts liés à l'élimination des mauvaises herbes et 20 à 30 % des lots qui sont refusés.
Or les alternatives existantes au désherbage chimique ne sont pas viables économiquement, surtout pour les petites structures. Les producteurs réclament un investissement massif dans la recherche de moyens efficaces pour lutter contre les alcaloïdes pyrrolizidiniques. Il faut agir vite : une vingtaine de PPAM pourraient ne plus être cultivées en France. Le maraîchage est également concerné.
Allez-vous doter la recherche des moyens nécessaires ? Aiderez-vous les producteurs, et à quel niveau ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Les alcaloïdes pyrrolizidiniques sont naturellement présents dans des plantes adventices qui peuvent contaminer les récoltes. L'exposition à ces contaminants suscite des préoccupations sanitaires depuis une dizaine d'années. Un avis de 2017 de l'Autorité européenne de sécurité des aliments confirme que certains sont cancérogènes et génotoxiques, d'où les teneurs maximales réglementaires publiées dès décembre 2020.
Des produits phytopharmaceutiques peuvent être utilisés contre les adventices susceptibles de produire ce type d'alcaloïdes. Des spécialités commerciales à base de pyridate, de 2,4 D, de métazachlore peuvent être utilisées seules ou en association avec d'autres produits à base de clomazone, aclonifen et pendimethaline. Par ailleurs, pour 2024, une demande d'autorisation pour un produit à base de pyridate est expertisée.
« Pas d'interdiction sans solution ». C'est pourquoi nous avons investi 250 millions d'euros dans le cadre du Parsada (Plan d'action stratégique pour l'anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures) pour proposer des innovations, avec un conventionnement direct de la direction générale de l'alimentation dans le cadre de projets ciblés à hauteur de 4 millions d'euros. Nous envisageons également un projet ciblé de l'Institut technique de la filière.
Enfin, j'ai récemment mis en place un comité des solutions pour répondre à ces situations d'impasse et trouver des alternatives à réglementation constante, comme des autorisations de mise sur le marché (AMM) qui n'auraient pas été étendues, ou la reconnaissance mutuelle de produits utilisés en sécurité dans d'autres pays européens.
M. Lucien Stanzione. - Je prends acte de votre réponse, fort complète, mais vous n'avez pas précisé comment vous comptiez aider les producteurs touchés. Seront-ils indemnisés ?
Dispositifs anti-grêle
Mme Monique de Marco . - Les dispositifs anti-grêle se multiplient : canons anti-grêle dont les explosions génèrent de puissantes ondes de choc jusqu'à la stratosphère, ou, comme en Gironde, ensemencement des nuages par l'iodure d'argent : 137 générateurs envoient ainsi dans l'atmosphère des milliards de particules censées transformer la grêle en pluie ou réduire la taille des grêlons.
Or la pulvérisation d'aérosols d'iodure d'argent peut contaminer les sols et les milieux aquatiques, dixit la fiche toxicologique. Le laboratoire EPOC souligne que l'iodure d'argent se bioaccumule notamment dans les sols et pointe l'absence de réglementation.
Le Gouvernement déclarait en octobre 2018 qu'il n'existe pas de démonstration robuste de son efficacité. Impossible dès lors d'en évaluer la pertinence économique. Météo-France estime que l'utilité des dispositifs anti-grêle n'est pas démontrée - d'autant qu'en cas de sècheresse, les concentrations seraient plus importantes.
Allez-vous engager une politique de recherche pour faire la lumière sur les impacts sanitaires et météorologiques de ces pratiques ? Au nom du principe de précaution, avez-vous prévu de les encadrer en attendant des études complémentaires ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Les dispositifs d'ensemencement de nuages à base d'iodure d'argent, utilisés notamment en Chine, font en Europe l'objet d'un examen attentif avant toute autorisation. Le procédé étant nouveau, il faut analyser son impact complet sur les équilibres écosystémiques et conforter les premières évaluations de l'Organisation météorologique mondiale sur santé humaine, l'environnement ou la cinétique du dérèglement climatique.
C'est dans ce cadre que s'inscrit l'action du Gouvernement pour accompagner les agriculteurs face au changement climatique. Car il faut des solutions immédiates ! Cela repose sur la réforme de l'assurance récolte, avec un engagement budgétaire massif de l'État ; sur le financement de la recherche et de l'innovation, en plus du plan Eau ; sur les 1,8 milliard d'euros mobilisés dans le cadre de France 2030 pour adapter l'agriculture au dérèglement climatique.
Vous le voyez, nous choisissons l'adaptation et la résilience plutôt qu'une science sans conscience.
Mme Monique de Marco. - « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme. »
Utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000
M. Jean-Yves Roux . - Le décret du 28 novembre 2022, pris à la suite d'une condamnation de la France, encadre l'utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000. Depuis le 17 novembre 2023, les préfets doivent recenser les sites concernés et appliquer strictement les interdictions, d'imposer la contractualisation de mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), voire la conversion en bio. On est bien loin de la démarche concertée et volontaire des origines.
Dans les Alpes de Haute-Provence, les agriculteurs concernés cherchent des solutions adaptées aux réalités locales. Les lavandiculteurs du plateau de Valensole, déjà fragilisés et confrontés à une forte concurrence, sont fortement touchés par ces restrictions, sur un périmètre de près de 15 000 hectares, sans concertation ni contrepartie.
Les arboriculteurs dénombrent plusieurs vergers situés dans des zones classées a posteriori en Natura 2000, zonages qui ne tiennent pas compte des progrès réalisés depuis 1999, notamment l'usage de phytosanitaires et de la ressource en eau, ou la lutte contre la grêle et le gel qui ont permis la classification de ces vergers en haute valeur environnementale niveau 3. Cela fragilise notre filière arboricole, alors que nous importons 71 % de nos fruits, avec des distorsions de concurrence majeures.
Je vous demande d'ouvrir des concertations et si besoin, de prévoir des mesures d'indemnisation. Des exceptions sont possibles, votre décision du 5 avril concernant la betterave sucrière en témoigne.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Votre question montre ce que la gestion environnementale de l'agriculture suppose de nuance et de concertation.
La gestion des sites Natura 2000 repose sur des mesures de protection de la faune et de la flore adaptées et formalisées dans des contrats et chartes. Le réseau français comporte plus de 1 700 sites terrestres et marins, sur 7 millions d'hectares, dont 10 % de la surface agricole utile nationale. La moitié est en prairie permanente ; l'autre doit concilier protection de l'environnement et production, dans un contexte de défense de notre souveraineté et de protection de nos filières, alors que notre agriculture est mieux-disante environnementalement que bien d'autres.
L'instruction aux préfets prévoit l'encadrement de l'utilisation des produits phytosanitaires en deux temps.
D'abord à court terme, en identifiant les sites Natura 2000 à enjeux particuliers, où seront privilégiées des mesures volontaires. Nous ne souhaitons pas que le futur plan Ecophyto 2030 comporte un nouveau zonage - sans renier l'objectif de baisse de 50 % des produits phytosanitaires. Ce plan doit être coconstruit avec toutes les parties.
Ensuite, à long terme, dans le cadre de la décentralisation de l'autorité de gestion des sites Natura 2000, l'État assurera une articulation avec les régions.
Notre objectif est clair : protéger l'environnement tout en préservant nos filières, pour continuer à produire en France.
La séance est suspendue à 12 h 50.
Présidence de M. Mathieu Darnaud, vice-président
La séance est reprise à 14 h 30.
Continuité du service public de transports et droit de grève
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève, présentée par M. Hervé Marseille et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC.
Discussion générale
M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Marc applaudit également.) Depuis 1947, pas une année sans grève nationale à la SNCF : depuis soixante-dix ans, les années sans grève sont encore plus rares que celles sans déficit budgétaire. (Rires au centre et à droite) L'an dernier, 2,3 millions de kilomètres de trajets n'ont pas été effectués pour cause de grève ; en 2022, 125 608 journées de travail ont été perdues - soit un jour par agent.
Trop, c'est trop : nos concitoyens n'en peuvent plus. Ils sont des millions à s'entasser dans des rames bondées ou à renoncer à travailler ou à prendre des vacances. La défense corporatiste des intérêts des uns se fait au détriment de la liberté des autres. L'intérêt particulier prime l'intérêt général.
Face à cela, le pouvoir politique reste les bras ballants : « nous comprenons l'exaspération », mais « le dialogue social est grippé », « cela passera ».
Au contraire, nous pouvons et devons agir. Le droit de grève n'est pas un totem d'immunité. Nous proposons donc une conciliation entre le droit de grève, droit fondamental, mais pas absolu, et d'autres droits et libertés.
L'alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946 est le socle du droit de grève, qui s'exerce dans le cadre des lois - dès le début, il revenait au législateur d'en déterminer le périmètre. Les policiers, les militaires et les magistrats n'ont pas le droit de grève. Depuis plus de trente ans, le Conseil constitutionnel a consacré la constitutionnalité de l'interdiction du droit de grève.
Certes, le droit de grève est fondamental, mais pas plus que la liberté de circuler, le droit au travail, le droit à la famille ou aux loisirs, entre autres.
Le déplacement est un besoin d'intérêt général, ce qui justifie un taux de TVA réduit pour les transports. On ne peut considérer que le transport est un besoin vital sur le plan fiscal, et ne pas en tirer les conséquences en droit social.
Le législateur doit apprécier la situation actuelle, à l'évidence déséquilibrée : une poignée d'individus peut paralyser tout un pays pour des intérêts catégoriels.
Nous devons éviter aussi de porter au droit de grève une atteinte disproportionnée. Ce texte ne prévoit de suspendre le droit de grève que pour les agents dont le travail est indispensable au bon fonctionnement du service, dans la continuité de la loi de 2007 qui instituait le service minimum. Cette suspension est encadrée. Le texte que j'avais déposé sur le bureau du Sénat était déjà équilibré (Mme Raymonde Poncet Monge ironise) ; il l'est encore plus après son passage en commission de l'aménagement du territoire. Difficile de le suspecter d'être liberticide ! Je remercie le rapporteur, Philippe Tabarot, et l'ensemble de la commission.
La période maximale de suspension du droit de grève a été réduite de 15 jours à 7 jours de période continue et de 60 à 30 jours en durée annuelle cumulée.
Le transport aérien, suffisamment encadré par la loi Diard et par la loi Capo-Canellas sur les aiguilleurs du ciel, a été sorti du dispositif, ce qui témoigne de notre recherche d'équilibre.
La commission a été jusqu'à préciser dans la loi les plages horaires et les jours pendant lesquels la suspension pouvait avoir lieu : vacances scolaires, jours d'élections, événements majeurs...
Les périodes de suspension seront fixées par décret en Conseil d'État après négociation avec les partenaires sociaux. La grève est l'ultime recours en cas d'échec du dialogue.
Enfin, la commission a ajouté six articles additionnels permettant au service de s'organiser en cas de grève, notamment avec l'allongement des délais de préavis individuels. L'article permettant de réquisitionner des agents rendra le service minimum efficace. Il faut mettre fin aux préavis illimités ou dormants - certains sont déposés jusqu'en 2040 ! - et contenir les grèves de 59 minutes qui désorganisent le service.
En Italie, le droit de grève peut être suspendu sur certaines périodes ; en trente ans, ce dispositif n'a jamais été sanctionné par les autorités européennes.
Je regrette que cette proposition de loi n'ait pas donné plus lieu à davantage d'échanges avec le ministre, malgré les réactions positives de certains membres de la majorité présidentielle. J'ai lu les propositions complémentaires du président Jean-Marc Zulesi à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, et du RDPI ; M. Alain Marc applaudit également.)
M. Philippe Tabarot, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains ; M. Saïd Omar Oili applaudit également.) Des quais de gare asphyxiés, des Français séparés et qui attendent un train qui ne viendra peut-être jamais... Ce sont des scènes que nous ne supportons plus.
Ce texte répond à une situation inacceptable. À l'occasion des grands événements ou à la veille de vacances scolaires, les Français craignent de ne pas pouvoir se déplacer. Ils préfèrent dès lors la voiture individuelle, alors qu'il faut mobiliser tous les moyens pour favoriser le report modal.
La France est le pays au monde qui totalise le plus de jours de grève des transports. Comme l'a dit Hervé Marseille, il n'y a pas une année sans jour de grève à la SNCF depuis 1947.
L'aspiration aux transports est inversement proportionnelle au pouvoir de nuisance exercée sur eux, devenus un terreau de jeu privilégié pour certains syndicats, alors qu'un jour de grève coûte entre 10 et 20 millions d'euros à la SNCF - et donc au contribuable.
Le droit de grève prime-t-il la continuité des services publics ou le droit constitutionnel de se déplacer librement ? Doit-il empêcher d'aller travailler ou de rejoindre sa famille pour les vacances ?
Cette proposition de loi, pas plus que celle de Bruno Retailleau en 2020 ou la mienne en 2023, n'est contraire au droit de grève.
Elles ne font que le concilier avec d'autres libertés. Il faut substituer cette culture à la gréviculture, tradition française. Ainsi, seize grèves en vingt ans pour le seul mois de décembre à la SNCF, plus de vingt préavis dormants déposés jusqu'en 2045.
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est faux !
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Est-il acceptable que la grève soit devenue un préalable à toute négociation et non un utile recours ? Nous disons oui au droit de grève, mais avec des limites proportionnées. (« Très bien ! » à droite)
Nous voulons réhabiliter le service minimum, devenu impossible. C'est un instrument de justice pour les plus modestes en première ligne, dont la présence est indispensable au bon fonctionnement de notre pays.
J'ai bien conscience que c'est un sujet passionnel pour certains et un serpent de mer pour d'autres.
Je prône la cohérence et le pragmatisme, en sanctuarisant certaines périodes et en limitant le nombre de jours pendant lesquels le service pourrait être suspendu. C'est un système analogue à celui de l'Italie.
Monsieur le ministre, vous parlez d'un problème de constitutionnalité, en vous substituant au Conseil constitutionnel. Toutefois, nous avons réduit le plafond annuel à trente jours, le nombre de jours continus à sept jours, et fixé des plages horaires précises.
Laissons le Conseil constitutionnel faire son travail et le législateur et l'exécutif faire le leur, conformément au préambule de 1946.
Le texte adopté par la commission cite les vacances scolaires, les jours fériés, les élections et référendums, les examens nationaux...
Vous déclarez que cela gênerait la mobilité du quotidien : vous n'avez manifestement pas pris connaissance du texte de la commission (M. Olivier Paccaud renchérit), qui prévoit l'avancement de 24 heures du délai limite de déclaration de participation individuelle à la grève, entre autres.
En outre, il lutte contre les préavis de grève dormants qui contournent la négociation obligatoire. Pour le réseau de bus RATP, c'est 2,3 millions de kilomètres non effectués en 2023. Même chose pour les grèves de 59 minutes dont l'effet est disproportionné.
Certains ont transformé le dialogue social en un monologue social.
Les Français nous ont élus pour agir. Ce texte est équilibré, protégeant les mobilités certains jours spéciaux et améliorant le quotidien des Français : il équilibre le droit de grève et « le devoir de travailler ».
Face à une minorité bruyante qui paralyse le pays, devenez les porte-voix d'une majorité silencieuse en redonnant sa fierté au service public. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Saïd Omar Oili applaudit également.)
M. Patrice Vergriete, ministre délégué chargé des transports . - Ces mots d'un autre temps résonnent pour moi avec beaucoup d'actualité : « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois mais le cas est rare, et lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante. » (Murmures désapprobateurs à droite)
Le droit de grève a été reconnu par la loi Ollivier de 1864. C'est dans cette longue histoire que s'inscrit notre débat qui rend plus pressante l'exhortation de Montesquieu dans les Lettres persanes.
L'encadrement du droit de grève est une question ancienne, comme la conscience aiguë de l'effet d'un arrêt de travail, comme le dilemme d'une liberté reconnue et le souci de protéger les Français.
Si cette question n'est pas nouvelle, elle est actuelle : j'entends les plaintes des Français qui ne peuvent aller travailler ou se rendre à l'école.
J'entends le même agacement autour de la grève des contrôleurs pendant les vacances d'hiver. Chacun a vu la ressemblance avec les vacances de fin d'année 2022.
Les employeurs ont de lourdes responsabilités pour éviter le conflit. C'est pourquoi le législateur est intervenu pour encadrer le droit de grève sans le supprimer.
Ce dernier est un symbole de l'État de droit. Je redis mon attachement à ce droit, dont l'enjeu est d'être concilié avec la continuité du service public, principe à valeur constitutionnelle.
Mais la continuité du service public ne peut justifier la recherche d'un service normal, fût-ce sur un temps limité. Ce serait une suspension temporaire du droit de grève. Nous partageons les constats à l'origine de l'initiative d'Hervé Marseille. Mais le Gouvernement ne partage pas les remèdes imaginés.
Le Gouvernement veut avant tout renforcer le dialogue social dans les entreprises de transport. (Protestations à droite)
M. Olivier Paccaud. - Bla bla !
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - La loi de 2007 a trouvé un point d'équilibre entre plusieurs droits à valeur constitutionnelle autour d'un triptyque simple : éviter le recours à la grève via le dialogue social obligatoire ; éviter la paralysie en cas de grève, grâce à la définition par les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de priorités ; et éviter l'absence d'information pour les usagers, qui doivent bénéficier d'un service réduit, mais prévisible.
Ce système, qui ne repose pas sur un service minimum, mais sur un service prévisible, a beaucoup apporté au secteur. Les usagers peuvent mieux prévoir et s'organiser en conséquence. Faut-il en rester là ? Non.
La conflictualité ne doit pas être le point de départ de la négociation sociale. Le droit de grève suppose le devoir de négocier de bonne foi avant de constater l'échec des discussions.
Je vois un signe positif dans le report du préavis de grève prévu à partir du 30 avril et l'organisation d'une table ronde avec la SNCF. Je le redis, la SNCF fait partie de notre patrimoine national.
Direction et syndicats doivent assumer leurs responsabilités. (Protestations à droite) À la direction d'alimenter le droit social, aux syndicats de porter des revendications légitimes et réalistes. C'est à ce même esprit de responsabilité que j'appelle les acteurs, surtout à l'approche des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). (On acquiesce bruyamment sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. - Très bien !
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Personne n'a à gagner à l'inflexibilité ou à l'escalade. Le monde en sera témoin, la nation en sera juge ; c'est une question de confiance et nous en tirerons toutes les conséquences. (M. Laurent Burgoa et Mme Anne Chain-Larché protestent.)
L'interdiction du droit de grève que vous proposez soulève des questions lourdes dont deux incontournables.
D'abord, l'objet de la loi est-il de protéger les Français qui partent en vacances au détriment des transports du quotidien de la France qui travaille ? Il ne s'agit pas de monter une France qui prend des vacances contre une France qui va travailler. (Vives protestations à droite, quelques huées) Évitons cependant de privilégier une catégorie de Français.
M. Laurent Duplomb. - Les premiers de cordée !
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Autre question : les doutes les plus sérieux soulevés par la constitutionnalité.
Même avec un champ plus restreint, grâce au rapporteur (quelques « Très bien ! » à droite) et des délais raccourcis, une suspension du droit de grève ne peut répondre qu'à des exigences strictes.
Les conditions ne sont pas réunies pour garantir la conformité de la proposition de loi à nos droits fondamentaux. Le Gouvernement est donc défavorable au texte. (On le déplore bruyamment à droite.)
Il donnera un avis de sagesse aux amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K ; M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève (n° 493 (2023-2024)
M. Pierre Barros . - Je souhaite d'abord saluer la présence de nombreux syndicalistes dans les tribunes.
M. Didier Mandelli. - Ils ne sont pas au boulot ? (Rires à droite ; Mme Cathy Apourceau-Poly proteste.)
M. Pierre Barros. - « Il y a des hommes pour qui la grève est un scandale, c'est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature », écrivait Roland Barthes en 1957. Restreindre la grève est un désir aussi lointain que le droit de grève lui-même.
Les jours fériés, les vacances seraient notamment concernés, un service minimum serait alors organisé. Votre proposition de loi met fin au préavis dormant et prévoit des réquisitions, rien de moins !
Ces mesures sont anticonstitutionnelles, car elles portent une atteinte disproportionnée à l'alinéa 7 du préambule de 1946. La loi réglemente le droit de grève, elle ne l'interdit pas.
Dès 2004, le rapport Mandelkern battait en brèche de telles propositions. L'interdiction du droit de grève pendant des jours fixés n'est possible que si ces jours-là tous les personnels doivent être présents pour répondre à des besoins essentiels. Quant aux réquisitions, en quoi une grève attente-t-elle au bon ordre, à la sécurité, à la salubrité publique ? Elles seront déclarées illégales par le juge.
L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen indique que le but de toute association politique peut notamment être la résistance à l'oppression, base du droit de grève. La France est aussi signataire de la convention de 1987 de l'Organisation internationale du travail (OIT), dont l'article 2 préserve le droit de grève. La Constitution exige que nous respections cette convention. Cette proposition de loi est donc anticonstitutionnelle.
M. Olivier Paccaud. - Interprétation !
M. Pierre Barros. - Pourquoi de tels textes s'attaquant aux mouvements sociaux se sont-ils multipliés ces dernières années ? Il est plus facile de s'attaquer aux droits des travailleurs qu'aux vrais problèmes.
Ainsi, l'Autorité de la qualité de service dans les transports (AQST) décrit l'année 2022, année de grève des chefs de bord, comme l'une des plus mauvaises en matière de retards. Mais les causes en étaient, entre autres, une difficile gestion de l'affluence en gare, du matériel et des infrastructures vieillissants.
Dans le ferroviaire, seuls 20 à 25 % des retards relèvent de causes externes - les mouvements sociaux sont en dernière place, après la météo, les obstacles sur les voies, les colis suspects ou les malveillances. L'AQST dénonce aussi la dégradation de l'état du réseau ferroviaire depuis 1954.
Cette proposition de loi ne trompe personne : le sous-investissement est ce qui pénalise vraiment les usagers.
Pourquoi l'effort politique ne se porte-t-il pas sur cette question cruciale ?
À quand une loi de programmation sur les 100 milliards d'euros promis par Mme Borne ?
M. Hervé Gillé. - On l'attend !
M. Pierre Barros. - Ce sont ces choix politiques qui ont saboté les transports du quotidien. Que dire de la liquidation de nos grandes entreprises publiques, comme Fret SNCF, qui a favorisé le transport routier au détriment de la décarbonation du fret !
Attaquons-nous aux causes des dysfonctionnements et non pas aux conséquences, surtout à l'approche des JOP.
Une voix à droite. - Ah !
M. Pierre Barros. - Cette proposition de loi instrumentalise les JOP pour mettre à l'agenda ce vieux rêve d'un syndicalisme de partenariat social. Jacques Delors l'avait inauguré avec le « dialogue social » qui remplaçait la « négociation collective » ; les lois Auroux en 1982 ont ouvert des brèches dans le code du travail, puis la loi El Khomri en 2016, avant les ordonnances Macron de 2017 qui ont créé les comités sociaux et économiques (CSE).
Les organisations syndicales représentatives n'ont désormais aucun poids réel dans les négociations. Pourquoi ne pas respecter l'esprit de la Constitution en créant un cadre de négociation collective ?
Rendons aux syndicats les moyens de faire vivre les discussions. La grève n'est qu'un levier d'action, mais essentiel, qui a permis d'arracher des conquêtes sociales. On ne déclenche pas une grève par plaisir. Les conséquences sont lourdes pour les grévistes qui ne perdent pas de gaieté de coeur le salaire des jours de grève.
Notre pays connaît un contexte de répression syndicale inédit. Plus de mille militants syndicaux sont poursuivis devant les tribunaux. C'est alarmant pour nos libertés publiques.
L'essence de la démocratie réside dans sa capacité à permettre la libre expression des conflits qui la traversent. À Athènes, antique mère de nos démocraties, cela permettait de régler les différends et d'aboutir à un consensus. Empêcher l'expression du conflit ne réglera pas le conflit lui-même.
Cette proposition de loi ne servira pas les intérêts des entreprises concernées. Le patronat a besoin des syndicats, amortisseurs sociaux. Quand le corps social est contraint, il réagit.
La dépénalisation de la grève en 1864 visait à mieux la contrôler.
Comme l'écrivaient Jacques Prévert et le groupe Octobre lors de la grève des travailleurs de Citroën en 1933 : « Mais ceux qu'on a trop longtemps tondus en caniche, / Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup, / Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer, / Pour faire la grève... » (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
M. Stéphane Demilly. - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Anne-Marie Nédélec applaudit également.) La proposition de loi examinée aujourd'hui vise à encadrer l'exercice du droit de grève pendant des périodes stratégiques. Elle n'est contraire ni à la Constitution ni à nos engagements internationaux.
En effet, ce droit constitutionnel peut être limité, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1979.
Le droit de grève ne doit pas faire obstacle à la continuité du service public, principe aussi à valeur constitutionnelle.
Ces limitations peuvent aller jusqu'à l'interdiction du droit de grève pour les agents indispensables au fonctionnement du service.
Le droit de grève n'est pas absolu et peut-être encadré. La liberté d'aller et venir est également reconnue par la Constitution.
L'exercice répété du droit de grève à la SNCF porte-t-il atteinte, oui ou non, à la continuité du service public et à la liberté d'aller et venir ?
Soyons factuels. Depuis janvier 2022, on compte 70 mouvements de grève dans le transport ferroviaire, toujours déclenchés pendant les vacances scolaires. Plus de 200 000 personnes ont été laissées sur le quai ! Cette situation n'est pas digne pour nos concitoyens ni pour l'image de l'entreprise. (Murmures sur plusieurs travées à gauche)
Notre pays défend des objectifs de décarbonation des transports. Le train, c'est super, quand cela fonctionne... À ce jour, la protection des passagers n'est pas suffisante. Beaucoup de travailleurs qui se rendent à leur travail grâce aux transports collectifs n'ont pas de solution de substitution - ce serait trop cher ou trop long... Aussi la proposition de loi apporte-t-elle des remèdes à cette situation.
Il s'agit de concilier le droit de grève avec d'autres droits et libertés.
Le déplacement est un besoin d'intérêt général selon un arrêt du Conseil d'État du 7 juillet 1950.
Le champ d'application des dispositions encadrant le droit de grève doit être défini par le législateur - donc par nous.
Les amendements adoptés en commission ont restreint les périodes fixées. Le texte est dosé avec finesse ; il est juste, équilibré et a été élaboré dans un souci de proportionnalité.
Les suspensions ne seront applicables que pour sept jours cumulés et pour une durée maximale de 30 jours annuels. Il s'agit d'un encadrement strict.
Le transport aérien a été sorti du dispositif. La loi du 19 mars 2012 encadre l'exercice du droit de grève du secteur. La loi du 28 décembre 2023 d'origine sénatoriale prévoit que tout agent doit prévenir de son intention de participer à une grève au plus tard l'avant-veille. Le droit de grève est donc suffisamment encadré dans le secteur aérien, qui ne bénéficie pas, rappelons-le, de la même situation monopolistique que le secteur ferroviaire...
Les périodes de suspension ne pourront être fixées par décret en Conseil d'État qu'après un dialogue avec les partenaires sociaux. La grève doit être le dernier recours, en cas d'échec du dialogue. Aux partenaires sociaux d'être responsables.
La commission a ajouté six articles additionnels pour permettre une meilleure organisation des services publics lors des grèves. Il s'agit de lutter contre un exercice abusif du droit de grève.
Des préavis illimités ou dormants se multiplient. Il faut mettre fin à cette épée de Damoclès insupportable. Il en va de même des grèves de 59 minutes dont les usagers - ou clients - de la SNCF sont les otages. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Michel Savin et Olivier Paccaud applaudissent également.)
Je pense ici à Mme Michu qui prend le train pour aller travailler. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; quelques murmures de protestation à gauche)
M. Olivier Paccaud. - Excellent !
M. Stéphane Demilly. - La constitutionnalité de l'obligation de déclaration préalable a été confirmée à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel.
Non seulement la proposition de loi n'est pas inconstitutionnelle, mais elle n'est pas non plus inconventionnelle.
Certes, le droit de grève est protégé par la charte sociale du Conseil de l'Europe, par la Cour européenne des droits de l'homme et par l'article 28 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Cela dit, cette consécration supranationale n'interdit pas son aménagement au profit de la continuité du service public, comme l'ont préconisé plusieurs cours suprêmes en Grèce, en Roumanie ou au Portugal. L'Italie et l'Espagne garantissent un service minimum. Le dispositif proposé par Hervé Marseille est calqué sur le dispositif italien qui existe depuis 30 ans.
Il s'agit de concilier le droit de grève avec d'autres droits fondamentaux.
Selon Sénèque, « ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles. » (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP)
M. Olivier Paccaud. - Bravo ! Vive Sénèque !
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Les auteurs de la motion se réfèrent au préambule de 1946 qui prévoit que le droit de grève s'exerce dans le cadre de la loi. Or la proposition de loi a pour objet de concilier ce droit avec d'autres droits et libertés. Elle s'inspire en outre d'un dispositif existant en Italie depuis 30 ans. Nous avons renforcé la constitutionnalité du dispositif en ciblant sa mise en oeuvre dans le temps, en réduisant son champ d'application et en l'assortissant de mesures disciplinaires et non pénales.
Au cours des débats qui s'étaient tenus en 2007 sur le projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public, le groupe communiste avait déjà déposé une motion d'irrecevabilité. Le Conseil constitutionnel avait conclu à la constitutionnalité des dispositions dont il avait été saisi. Avis défavorable.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Sagesse.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Cette proposition de loi va à l'encontre de notre Constitution. (Vives protestations à droite) On n'interprète pas la Constitution comme cela nous arrange...
M. Olivier Paccaud. - C'est ce que vous faites !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les salariés en tribune viennent défendre leurs collègues, leur travail et leur droit de grève. Ils ont bien vu le mépris avec lequel vous vous adressiez à eux (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER ; protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Ce texte s'oppose à la Constitution en s'en prenant à la liberté et aux fondements de nos conquêtes sociales.
M. Olivier Paccaud. - Et la liberté de circuler et de travailler ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Avec cette proposition de loi, peu importent les conditions de travail des cheminots, qui doivent travailler et se taire ! Avec ce texte, vous voulez ouvrir la boîte de Pandore.
Ces grèves ont permis de bâtir notre République et d'obtenir des droits nouveaux. Nous voterons la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
M. Olivier Jacquin. - Le droit de grève est garanti par le préambule de 1946, il est sacré et largement encadré. Il protège le corps social, pour que chacun puisse gagner de nouveaux droits et changer sa vie. Son encadrement par la loi du 21 août 2007 le restreint. Lors de l'examen de la loi d'orientation des mobilités (LOM), nous avons déjà rejeté ces dispositions.
Ce texte n'apporte rien de nouveau. Pis, il est anticonstitutionnel. Or les décisions du Conseil constitutionnel sont de plus en plus remises en cause, comme dernièrement sur la loi Immigration.
Le groupe SER, attaché au contrat social, votera contre ce texte - et donc pour la motion.
Je salue la présence syndicale ici et maintenant. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K)
M. Guillaume Gontard. - Le GEST votera cette motion. Ce texte est une atteinte au droit de grève et sera donc frappé d'inconstitutionnalité. Vous le savez et jouez avec cela.
Monsieur le ministre, un avis de sagesse sur un texte qui sera frappé d'inconstitutionnalité, est-ce vraiment sérieux ?
Le droit de grève est un moyen de pression, de discussion. On y recourt lorsque le dialogue n'a pas pu avoir lieu.
M. Didier Mandelli. - Ce n'est pas cela !
M. Guillaume Gontard. - Le droit de grève a façonné l'histoire de notre pays. Si nos concitoyens peuvent partir en vacances, c'est parce que de grandes grèves en 1936 ont permis d'obtenir des congés payés. (Applaudissements à gauche ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Le problème du secteur ferroviaire est le manque d'investissements. (Applaudissements à gauche)
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Question préalable
M. le président. - Motion n°9, présentée par MM. Fernique, Jacquin, Devinaz, Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon, Mmes Senée, Souyris, M. Vogel, Artigalas, Bélim, Blatrix Contat et Bonnefoy, MM. Bouad et Bourgi, Mmes Briquet, Brossel et Canalès, M. Cardon, Mme Carlotti, MM. Chaillou et Chantrel, Mmes Conconne et Conway-Mouret, M. Cozic, Mme Daniel, MM. Darras, Durain et Éblé, Mme Espagnac, MM. Fagnen et Féraud, Mme Féret, MM. Fichet et Gillé, Mme Harribey, MM. Jeansannetas, P. Joly et Jomier, Mme G. Jourda, MM. Kanner et Kerrouche, Mmes de La Gontrie, Le Houerou et Linkenheld, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Marie, Mérillou et Michau, Mme Monier, M. Montaugé, Mme Narassiguin, MM. Ouizille et Pla, Mme Poumirol, MM. Raynal et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert, MM. Roiron et Ros, Mme Rossignol et MM. Stanzione, Temal, Tissot, Uzenat, M. Vallet, Vayssouze-Faure, M. Weber et Ziane.
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève (n°493, 2023-2024).
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Posons-nous la question : franchement, est-ce le moment ? Est-ce vraiment en procédant ainsi que nous apaiserons le climat ? (Plusieurs membres du groupe Les Républicains répondent « oui » à chaque question de l'orateur.)
M. Olivier Paccaud. - Ce n'est jamais le moment !
M. Jacques Fernique. - Est-ce vraiment en procédant ainsi que nous assurerons la continuité du service public des transports durant la délicate passe olympique, dans un contexte de manque de conducteurs, de saturation des réseaux, de mauvais état du matériel roulant ?
Pouvons-nous engager de telles restrictions d'un droit fondamental et renverser les conditions d'encadrement des rapports sociaux, dans l'impromptu parlementaire, la précipitation et la fragilité juridique et constitutionnelle, sans avis du Conseil d'État, avec une consultation des syndicats en 55 minutes en visioconférence ? Sans analyse précise, sans étude d'impact ?
Si nous étions raisonnables, il faudrait répondre : non. Mais ce n'est sans doute pas ce scénario que choisira la majorité sénatoriale...
Avant de malmener en sept articles le droit des salariés à défendre leurs conditions de travail, alors que, avec la précédente motion, vous repoussez une inconstitutionnalité pourtant évidente, souffrez que nous vous disions combien cela serait inopportun, voire contre-productif.
Monsieur le rapporteur, l'opposition à ce texte ne mérite guère de considération, l'idéologie prenant selon vous le dessus au détriment du bon sens.
M. Olivier Jacquin. - Très bien.
M. Jacques Fernique. - Mais qu'avez-vous fait de l'article 1er de la proposition d'origine ? En divisant de 60 à 30 jours et de 15 à 7 jours d'affilée le nombre de jours prévus, et en passant de sanctions pénales à des sanctions disciplinaires, vous révélez combien ce texte correspond peu à son titre. Il y a là comme un aveu du caractère épidermique, déséquilibré et à l'emporte-pièce de ce texte. (M. Olivier Paccaud ironise.)
Avez-vous trouvé un juste milieu ? Non ! Vous aurez beau réduire ce qui est anticonstitutionnel, vous ne changerez pas la nature du texte. L'euphémisme ne trompe personne : la suspension du droit de grève, c'est l'interdiction d'un droit constitutionnel, lorsque son exercice a le plus fort impact. Il s'agit d'opérer une réquisition générale des personnes, à l'encontre de toute jurisprudence constitutionnelle.
Entendons-nous : nos transports collectifs ont une importance majeure du point de vue social, économique, climatique. Un dialogue social permanent et efficace est indispensable - et non pas un monologue dans le vide : sur ce point, je vous rejoins, monsieur Tabarot.
La commission a ajouté au texte une série de revendications des employeurs visant à compliquer l'action collective des salariés. On a monté en épingle pour en faire des dérives, certes réelles, mais caricaturées : les préavis longs, les rétractations, les grèves courtes... Il vaudrait mieux dresser un diagnostic reconnu par tous.
Oui, la grève est une action collective. Elle ne saurait être utilisée pour des motifs de convenance personnelle. Faut-il remettre en cause, pour les seuls transports collectifs terrestres, le régime de préavis résultant d'un texte de 1963 sur les conflits sociaux pour tout le secteur public ? Faisons preuve de circonspection !
Que cherche-t-on à améliorer en réalité : l'information préalable des usagers ? Les détournements de la loi consistant à utiliser le temps de préavis pour mener des pressions systématiques sur chacun des grévistes pressentis ? (M. Olivier Jacquin renchérit.)
L'interdiction des grèves courtes, l'obligation de n'exercer ce droit qu'à la prise de service jusqu'au terme de celui-ci sont des restrictions importantes. Le texte évoque « un risque de désordre manifeste à l'exécution du service public » : cela n'a rien de clair. Les grèves de 59 minutes sont peu visibles en réalité, selon la RATP. En revanche, la baisse de salaire qui en résulte ne couvre pas la baisse de travail effectif : certes, c'est un problème, mais ce n'est pas un risque de désordre manifeste.
L'article 7 franchit carrément un palier. En reprenant la proposition de loi Retailleau de 2020, la réquisition d'un agent devient la façon d'assurer le service garanti fixé par chaque AOM. Si on voulait surcharger la barque, on n'aurait pas fait mieux ! Idéologie ou équilibre, pragmatisme ou affichage ? Avouez que nous pouvons vous retourner la question !
Le texte souffre de carences juridiques et opérationnelles et d'un manque de concertation préalable, ce qui compromettra peut-être la suite de son parcours parlementaire. L'intérêt général va à la recherche d'un équilibre, pour mieux faire fonctionner le régime issu de la loi de 2007 : valorisation des organisations représentatives, déclarations individuelles qui ne soient pas utilisées à des fins de pression, voilà des pistes autrement plus utiles que des interdictions ou des réquisitions.
Pour les usagers, la mise en place du service prévisible et de l'information voyageur a été un réel progrès. Pour les salariés et les employeurs, nombre d'avancées sont dues à des alarmes sociales. Prenons-en la mesure plutôt que de légiférer encore à l'excès : le cadre de 2007 permet à l'intelligence collective de s'exercer. N'attisons pas ce que nous prétendons apaiser.
Le GEST considère, avec le groupe SER, qu'il serait mieux d'en rester là. Il suffit d'adopter la présente motion. (Applaudissements à gauche)
M. Stéphane Le Rudulier. - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC) Je vais vous raconter une histoire : celle d'une jeune Américaine du Midwest installée à Paris, qui a décidé d'inviter ses meilleurs amis à visiter son Paris chéri à l'occasion des jeux Olympiques. Ces touristes en rêvent déjà : Paris, la haute cuisine, les Folies Bergères, le gai Paris, la haute couture, la tour Eiffel, les jardins du Sénat...
Mme Céline Brulin. - Les congés payés !
M. Pierre Barros. - La Révolution française !
M. Guillaume Gontard. - Le service public !
Mme Raymonde Poncet Monge. - La sécurité sociale !
M. Stéphane Le Rudulier. - Cette jeune Américaine a tout prévu pour bien les accueillir, ou presque. Les malheureuses ! C'était sans compter sur la RATP, enfin les syndicats...
M. Pascal Savoldelli. - Et Uber ? En voilà, un raisonnement !
M. Stéphane Le Rudulier. - Le racket arbitraire du transport parisien a déposé un préavis de grève plus de six mois avant les JOP. (M. Olivier Jacquin proteste.)
Certains partenaires sociaux des entreprises de transport se sont transformés en pollueurs sociaux, (on lève les yeux au ciel à gauche) profitant des moments importants pour imposer un chantage à la mobilité et obtenir la rançon la plus élevée possible. Ces agences d'anti-tourisme, ces Robins des bois version Lutèce (sourires à droite) pénalisent les citoyens, les touristes, mais surtout les travailleurs modestes qui ont besoin des transports pour gagner leur vie.
M. Bruno Belin. - Très bien !
M. Stéphane Le Rudulier. - Soyons clairs : refuser de débattre de ce texte est totalement irresponsable.
Comme pour les prélèvements obligatoires, la France est championne du monde en nombre de jours de grève, alors que le taux de syndicalisation ne cesse de se réduire : moins de 10 % en 2022.
Nous comptons 127 jours de grève par an pour 1 000 salariés, contre 49 en Espagne, 46 au Danemark, 19 aux Pays-Bas, 17 en Allemagne. Cette situation, peu envieuse, nous pousse à agir.
Les mobilisations sont souvent suivies par peu de travailleurs, ceux qui le font prennent leurs collègues et les Français en otage. (Mme Raymonde Poncet Monge proteste.) C'est une forme de diktat syndical contre l'intérêt populaire, oubliant qu'un service public est d'abord et avant tout un service au public.
Qui, hormis la RATP et la SNCF, dispose d'un tel potentiel de nuisance ? Aucun commerçant, aucun artisan, aucun salarié de TPE ou PME n'a cette capacité !
Les périodes de grève sont récurrentes, notamment en fin d'année. Il s'agit même d'une tradition, d'un marronnier. Pas moins de seize mouvements sociaux ont été enregistrés à la SNCF en vingt ans.
Et au choix du moment s'ajoute celui de l'exécution. L'incertitude quant à la durée et à la forme de la grève nous plonge dans des conjectures angoissantes (marques d'agacement sur les travées du groupe CRCE-K) et suscite l'exaspération, légitime, de nos compatriotes. Quelque 67 % des Français considèrent que la grève de la SNCF durant les vacances constitue un abus.
Ces phénomènes récurrents contredisent l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Des transports dépend la liberté d'aller et venir.
La réalité franco-française de la gréviculture est à des années-lumière de ce que connaissent nos voisins. Dès 1990, puis en 2000, l'Italie a établi un service minimum dans les transports. Certains secteurs stratégiques ne peuvent pas exercer le droit de grève à certaines périodes de l'année. Pourtant, le droit de grève est consacré dans la constitution italienne avec les mêmes mots que dans notre texte fondamental : le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Ce n'est donc pas un droit absolu. Le limiter relève de la compétence du législateur.
La France est l'une des démocraties sociales les plus avancées au monde. Hélas, une minorité de bloqueurs fait de cette fierté un repoussoir. Ils ne sont plus les disciples du Front populaire, mais les héritiers des pires conservatismes, des sociétés figées. (« Bravo ! » sur les travées du groupe Les Républicains) Acceptons une modernisation de notre matrice sociale.
Un événement propulsera la France sous les feux des projecteurs : les JOP. (M. Michel Savin acquiesce, plusieurs fois.) Le monde entier nous regarde, il y va de notre crédibilité. Montrons la qualité de notre accueil, notre force d'organisation ! Cet événement ne doit pas être le pavillon témoin du diktat de la gréviculture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Ces prises de position ne sont pas une surprise. Je ne comprends pas : avec cette question préalable, mes chers collègues, vous refusez le dialogue que vous prétendez défendre... (On en doute sur les travées du GEST.)
Le Conseil constitutionnel a souligné dès 1979 la nécessité de concilier le droit de grève et la sauvegarde de l'intérêt général. Le droit de grève étant dénaturé, nous devons revoir l'équilibre actuel.
En région Paca, 90 jours sur 365 sont affectés par la grève. Dès lors que vingt conducteurs de la RATP sont en grève chaque jour sur le fondement d'un préavis dormant, que certains préavis courent jusqu'en 2040 ou 2045, cher Jacques Fernique, peut-on dire que ce droit s'exerce de façon normale et proportionnée ?
Comme l'ont reconnu Dominique Bussereau et Xavier Bertrand, les évolutions positives de la loi de 2007 se heurtent à de nouvelles pratiques : le droit doit évoluer en conséquence.
La grève n'est pas l'alpha et l'oméga de nos politiques de transport, qui souffrent d'un manque d'investissement chronique, mais chaque jour de grève coûte 10 à 15 millions d'euros et creuse les difficultés existantes. Avis défavorable.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Le Gouvernement s'oppose globalement à ce texte, pour les arguments que j'ai évoqués tout à l'heure. Mais nous laissons libre la discussion parlementaire. Sagesse.
M. Laurent Burgoa. - C'est le « en même temps » ?
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Cette proposition de loi est mal rédigée, elle souffre d'un manque de concertation. Légiférer sur le droit de grève par le biais d'une proposition de loi, qui prive les parlementaires d'une étude d'impact, risque d'attiser les tensions sociales. La concertation avec les partenaires sociaux est un préalable à toute modification de notre législation dans ce domaine.
Depuis plusieurs décennies, nos réseaux de transport collectif accumulent les retards et les pannes, sources de blocages. Les grèves, certes source de désagréments, ne sont pas responsables de cette dégradation.
En outre, les grèves sont souvent un moyen de dénoncer le manque de moyens financiers et les efforts de productivité sans contrepartie salariale.
Le texte est déséquilibré et crée une dissonance. Il s'attache à encadrer le droit de grève dans le transport terrestre. Faut-il en conclure qu'il n'y a plus de service public dans le secteur aérien ?
Assurer un dialogue social de qualité est du ressort des dirigeants. Comme au basket, les employeurs ne pousseront-ils pas les organisations syndicales à la faute ?
Notre groupe votera cette motion. (M. Simon Uzenat applaudit.)
M. Pascal Savoldelli. - Il y a quelques jours, j'étais au technicentre SNCF des Ardoines, à Vitry-sur-Seine, pour discuter de cette proposition de loi avec les cheminots du RER C. (« Ah ! » sur les travées du groupe Les Républicains) J'ai aussi rencontré des usagers. C'est le travail normal d'un parlementaire ! Les sénateurs qui promeuvent cette proposition de loi ont-ils rencontré, des cheminots, des machinistes ? (Vives protestations à droite)
Ils auraient pu expliquer leurs conditions de travail. Deux cheminots décédés la semaine dernière dans l'exercice de leurs fonctions, cinq salariés sous-traitants décédés l'année dernière. La réalité, c'est que 19 à 30 rames du RER C sont chaque jour immobilisées au technicentre, parce que vieillissantes. Cette situation est insupportable, pour les cheminots comme pour les Franciliens. La grève, c'est d'abord un droit d'alerte après l'échec de revendications non entendues. Les usagers ne sont pas dupes de la dégradation des transports en commun !
Mais enfin, est-ce la grève qui est responsable du manque de personnel, du refus d'augmenter le versement transport (VT) et donc du manque d'investissement sur le matériel vieillissant ? Est-ce la grève qui est responsable de la dégradation des conditions de travail après la casse du statut ? Est-ce la grève qui est responsable de la privatisation de l'entretien des réseaux ? (« Oui ! » à droite) Tout cela, ce sont des choix politiques : ceux que vous avez votés, chers collègues de droite !
Le groupe CRCE-K votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST ; M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
À la demande du groupe SER, la motion n°9 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°171 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 98 |
Contre | 243 |
La motion n°9 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Saïd Omar Oili . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) Nous devons nous prononcer sur la conciliation entre continuité du service public et droit de grève, encore une fois. En effet, depuis quelques années, les propositions de loi sur ce sujet reviennent régulièrement, souvent peu de temps avant ou après une grève majeure.
La proposition de loi Retailleau de 2020, la proposition de loi Tabarot ou, plus récemment, la proposition de loi promulguée de Vincent Capo-Canellas sur la prévisibilité des services de navigation aérienne en attestent. Une proposition de loi n'arrive jamais par hasard : les grèves dans les transports sont un vrai sujet. La SNCF n'a pas connu une année sans grève depuis 1947.
Les grèves s'imposent de plus en plus comme la solution unique à la résolution des conflits sociaux. Mais n'oublions pas que derrière ces menaces, ce sont les familles qui en subissent les conséquences. Lors de la réservation d'un billet, la première pensée est souvent la crainte d'une annulation pour cause de grève, empêchant les familles de se retrouver.
Au-delà des loisirs, les grèves pèsent avant tout sur les trajets du quotidien, en particulier franciliens. Lorsqu'on se lève tôt pour faire une heure de transport, on peut comprendre le ras-le-bol qui s'exprime. Ainsi, certaines grèves s'appuient sur des préavis dits dormants ; la période de négociation ne joue alors plus son rôle de prévention de conflits. Même constat pour les grèves de 59 minutes, qui lèsent bien souvent les plus modestes, qui ne disposent pas de solution alternative ou d'accès au télétravail.
La continuité des transports est donc essentielle à la vie quotidienne des Français. Les grèves ont aussi des conséquences sur l'environnement : à force, les Français finissent par utiliser la voiture, plus polluante. (M. Jean-François Longeot renchérit.)
Nous partageons donc l'esprit de cette proposition de loi. Il faut proportionner le droit de grève à d'autres droits constitutionnels et lutter contre certains abus sociaux.
Le texte ne concerne que les transports terrestres et maritimes réguliers. Je salue l'amendement de Didier Mandelli, qui l'étend aux îles françaises, dont Mayotte. Le texte prévoit aussi une limitation à sept jours consécutifs et à 30 jours toute l'année, durant certains jours seulement. Il limite la durée des préavis de grève à 30 jours et rend caducs les préavis non utilisés.
Enfin, le rapporteur a mieux circonscrit la limitation du droit de grève. Il y a de bonnes intentions, mais aussi un droit garanti par le Conseil constitutionnel. Celui-ci, en 1979, a précisé que la reconnaissance du droit de grève ne saurait empêcher le législateur de le limiter en vue d'assurer la continuité du service public.
Le RDPI s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Olivier Jacquin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe CRCE-K) Le droit de grève est constitutionnel. Aussi nous attacherons-nous toujours à le défendre, même si son exercice traduit l'échec : l'échec du dialogue social, mais aussi l'échec d'une aspiration à changer sa vie pour mieux vivre.
Vous vous attardez sur ses modalités, sans aborder ses causes. Votre texte est donc confus, dogmatique et idéologique : il n'a d'autre effet que de semer le trouble.
Confus, d'abord : il mêle transports collectifs privés et publics, en dépit du vote de 2018 de la loi Pacte ferroviaire, qui a fait des TGV et des Ouigo des transports librement organisés. Finalement, vous avouez que l'ouverture à la concurrence est un échec, ayant dégradé la qualité des transports et favorisé la hausse des prix - sauf sur quelques sillons rentables.
La qualité, les acteurs sociaux se mobilisent pour la défendre. S'il ne s'agit que de prohiber la critique de votre oeuvre destructrice, dites-le.
Confus, car le droit de grève est déjà largement encadré. Votre texte s'attaque au symbole des cheminots, après vous être payé le scalp de leur statut. La loi encadre les modalités d'exercice de ce droit, là où vous voulez le réglementer et le prohiber. Cette confusion avec le pouvoir réglementaire ouvre une boîte de Pandore. Ce pouvoir doit rester aux parlementaires : faire la loi et veiller à l'intérêt général.
Confus encore, car la majorité sénatoriale tente de se réapproprier le droit aux vacances, mais c'est en fait un droit aux TGV du vendredi soir, qui exclut les 87 % de gares qui ne voient jamais passer un TGV et les 40 % des concitoyens ne partant pas en vacances. Vous n'avez rien inventé : l'article 24 de la Déclaration universelle des droits de l'homme prévoit le droit au repos et au loisir. La brutale réforme des retraites, la loi Pacte ferroviaire montrent, au contraire, votre projet détestable.
Mais face au fantasme des nantis de la SNCF, la réalité est celle d'un secteur qui peine à recruter. La seule voie qui reste est donc la négociation, que vous ne cessez de dénigrer.
Ce texte est une boîte de Pandore, où se cache le désir de ne plus négocier, de ne plus subir le compromis empêchant la découpe de la SNCF, en autorisant les transporteurs à pratiquer l'emploi à la tâche, comme si le travail avait été féodalisé. La boîte de Pandore cache votre dégoût des transports publics terrestres et de ceux qui les font vivre.
Pourtant, ne disaient-ils pas que seul SNCF Voyageurs devrait financer les réseaux pour maximiser les profits de la concurrence ? Ne disaient-ils pas qu'il y aurait une baisse de l'offre pour les lignes les moins rentables ? Ne disaient-ils pas que la profession perdrait en attractivité après la mise au ban du statut ? Les organisations représentatives des travailleurs dénonçaient déjà tout ce qui se passe aujourd'hui.
Confus, toujours : le texte remet sur la table des sujets déjà discutés dès la LOM. On ne peut pas encore embaucher de cheminots intérimaires ou louer des trains à la journée pour casser des grèves. Mais voilà ce qui se cache, enfin, dans votre boîte de Pandore : employer des intérimaires précarisés dignes d'un contrat social féodalisé, comme dans les compagnies aériennes low cost qui rémunèrent les pilotes au vol. Le transport collectif terrestre ira-t-il jusque-là ?
Le groupe SER votera contre ce texte inutile et malvenu, qui restreint un droit fondamental, sans concertation. Il votera contre un texte aux précédents jamais fructueux, et toujours nuisible au contrat social, contre un texte à contretemps des enjeux des transports terrestres, quand il faudrait aider Fret SNCF ou retravailler le contrat de performance et le plan de 100 milliards d'euros, introuvable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC) Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée de celle de Bruno Retailleau, adoptée le 4 février 2020, dont j'étais rapporteur, et toujours en attente d'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Ce texte posait déjà le principe d'un service garanti, contre les abus du droit de grève, complétant utilement la loi de 2007.
Je me réjouis donc de l'examen de la proposition de loi d'Hervé Marseille, enrichie par Philippe Tabarot, qui comprend des mesures complémentaires en régulant les grèves et en permettant aux AOM d'enjoindre les entreprises de transport d'adopter un niveau minimum de service.
Je le disais déjà il y a quatre ans : les grèves à répétition rendent la vie impossible aux plus fragiles de nos concitoyens, qui ne peuvent se permettre de poser des congés, de télétravailler, de faire garder leurs enfants, qui n'ont pas d'autre solution que d'utiliser les transports en commun.
Si le droit de grève est constitutionnel, il n'est pas absolu ou supérieur aux autres droits, ce que juge avec constance le Conseil constitutionnel, dont on espère qu'il reste indépendant. Cette jurisprudence a guidé la commission : celle-ci a renforcé la constitutionnalité du principal dispositif de la proposition de loi, à savoir la possibilité de suspendre sous peine de sanctions disciplinaires le droit de grève pour des périodes continues de sept jours au maximum, dans la limite de trente jours par an. C'est là une juste et nécessaire conciliation du droit de grève avec la liberté d'aller et venir.
Comme en 2020, cette proposition de loi lutte, avec quelques variations, contre les détournements du droit de grève, tels que les préavis dormants qui demeurent, même si le conflit a cessé, un dévoiement manifeste de la loi de 2007. Désormais, tout préavis sera limité à 30 jours et sera déclaré caduc s'il n'est pas utilisé par au moins deux agents pendant une période de 48 heures, empêchant ainsi un détournement individuel d'un droit collectif.
Je salue l'article 4, qui lutte contre les grèves très courtes, dites de 59 minutes. Un salarié en grève au milieu de son service oblige un remplacement pour l'intégralité de la journée, sans réaffectation possible. L'employeur doit donc pouvoir imposer au salarié de faire grève pour toute la durée de service, ce que la loi Transformation de la fonction publique de 2019 permet déjà aux collectivités.
Parce que notre mission première est de faire preuve de bon sens, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC)
M. Aymeric Durox . - Le droit de grève est un élément fondamental de la démocratie sociale et des droits des travailleurs. Néanmoins, les concitoyens observent ses dérives avec dépit et parfois avec colère. L'encadrement ici proposé vise donc un certain équilibre : préavis raisonnable, limitation des perturbations excessives.
Il ne s'agit pas d'entraver le droit de grève, mais de le rendre plus transparent et prévisible. Cependant, ce prétexte ne doit pas être utilisé avec excès - nous connaissons la passion du Gouvernement pour, je cite le Président de la République, « emmerder » nos compatriotes...
Ainsi, nous ne pouvons laisser le pouvoir de limiter le droit de grève au seul Conseil des ministres. Nous proposons donc un amendement prévoyant des jours d'encadrement, plutôt que de les laisser à la main du Gouvernement. Il faut articuler droit de grève et préservation des usagers, souvent pris au piège, par exemple au seuil des vacances.
Ce texte apparaît donc cohérent, mais il faudra veiller à ce qu'il ne dégrade pas les droits des salariés. Il a des avantages, mais aussi des inconvénients : en limitant le droit de grève, nous prenons le risque de voir se prolonger les périodes de grève, faute d'avancée dans les négociations.
Il est anormal que la confrontation se substitue au dialogue.
Garantir la continuité du service public est un principe que nous soutenons. Néanmoins, restons vigilants quant aux droits des travailleurs. Les sénateurs du Rassemblement national sont favorables à ce texte, mais il faudra inscrire les limitations du droit de grève dans la loi, au risque d'une censure constitutionnelle et sociale.
M. Pierre Jean Rochette . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Bernard Fialaire, Franck Dhersin et Jean-François Longeot applaudissent également.) Notre groupe a toujours défendu le droit de grève, constitutionnel. Mais nous soutenons aussi l'équilibre avec les autres droits constitutionnels. Cette proposition de loi est donc la bienvenue - j'en salue l'auteur et le rapporteur : le chemin de crête n'est pas évident.
Le sujet clive. Échanger participe du processus démocratique. Si la grève doit pouvoir s'exercer, son encadrement est le garant de cet exercice et l'acceptation de ce droit. Je distingue deux catégories qui subissent la grève.
Premièrement, les usagers, particulièrement ceux du train : travailleurs empêchés d'aller travailler, entreprises pénalisées, parents, enfants de familles recomposées ne pouvant se réunir alors que le besoin de lien n'a jamais été aussi grand. Adolescents passant un examen, adultes en reconversion : c'est la France qui fait nation.
Les transports collectifs sont aussi une force pour la transition écologique, contre l'autosolisme.
Deuxièmement, les salariés non grévistes des services de transports. Assurant le service minimum, ils sont en première ligne du mécontentement des usagers, et l'image de la France en souffre.
La grève n'est que le reflet d'un dialogue social qui a échoué. Dans les entreprises de transport privées, la grève diminue, preuve que le dialogue social peut fonctionner. En outre, ce texte est protecteur, car les entreprises étrangères pourraient profiter d'un report des voyageurs excédés par les grèves. (M. Jean-François Longeot renchérit.)
Je me réjouis donc du temps de négociation préalable proposé à l'article 1er, dont le train de mesures met fin aux abus qui desservent la cause. De même pour la division par deux des périodes et la liste des périodes ciblées.
Les autres avancées proportionnalisent le droit de grève : il faut mettre fin au préavis dormant. Faisons grève pour quelque chose ! De même pour les grèves de 59 minutes, que subissent de trop nombreux usagers. La prévisibilité n'est pas un voeu pieux.
Cette pratique a pour seul but de désordonner les services, et donc notre tissu économique.
Enfin, les AOM pourront faire appel aux personnels indispensables.
Pour conclure, il faut un droit de grève préservé et équilibré par rapport aux autres droits, ce qui le renforcera in fine. Le groupe Les Indépendants votera ce texte, sauf si les débats le vidaient de sa substance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, sur plusieurs travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Franck Dhersin . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Vincent Louault applaudit également.) Ce texte est au coeur de la vie quotidienne de nos compatriotes : qui n'a jamais été touché par une grève de transports ?
Je sais combien notre tradition ouvrière et syndicale s'est organisée autour de mouvements sociaux massifs. Avant que certains n'intentent un procès en autoritarisme à la majorité sénatoriale, je réponds : sachons raison garder, ce texte n'est nullement une violation du droit de grève.
L'alinéa 7 du Préambule de 1946 garantit le droit de grève « dans le cadre des lois qui le réglementent ».
Dans sa décision du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel a laissé au législateur la liberté d'opérer la nécessaire conciliation entre la défense des intérêts professionnels et la sauvegarde de l'intérêt général.
Cette liberté garantie doit aussi s'apprécier au regard des restrictions de déplacement des citoyens que nous représentons.
Toutes les travées s'accordent sur la nécessité d'un dialogue social de qualité. Malheureusement, pour réussir, il faut une volonté de toutes les parties.
Comme l'a dit le rapporteur, il y a, dans le secteur des transports, une culture de la grève : une grève tous les ans à la SNCF depuis 1947. Triste record. Voici une discipline où nous aurons la médaille d'or ! (Mme Cécile Cukierman et M. Fabien Gay protestent.)
Poussé à l'extrême, le droit de grève exerce une pression non proportionnée sur les conditions de circulation : grand nombre de personnes affectées, petit nombre de grévistes. Tout particulièrement lors de certaines périodes de pointe. Il n'est pas anormal de sanctuariser ces moments, quand le trouble occasionné à l'intérêt général n'est plus proportionné à la défense de l'intérêt des travailleurs. C'est tout le sens de cette proposition de loi.
D'autres pays, comme l'Italie, ont trouvé un point d'équilibre. Les précisions apportées en commission permettront de garantir la constitutionnalité de ce texte et de converger vers un tel équilibre.
Qui peut supporter les mêmes chantages à la grève à chaque Noël ? Quels parents acceptent que leur enfant rate un examen, faute de transport public ? Qui peut comprendre que des préavis de grève dormants aient été déposés jusqu'en 2040 ? Les Français réprouvent ces comportements dommageables.
Les grèves de 59 minutes, savamment décidées pour perturber toute une journée, ne sont pas acceptables : elles méritent d'être mieux encadrées. Le texte de la commission permettra aux opérateurs de bénéficier d'une information fiable sur les effectifs présents 72 heures à l'avance et mettra un terme à la technique des préavis dormants.
Il ne faut pas avoir honte de nous mettre au diapason d'autres réglementations européennes. Il revient au législateur de décider des modalités d'exercice du droit de grève.
Oui, nous sommes attachés au droit de grève, qui est constitutionnel. Oui, le texte est équilibré. Le groupe UC votera ce texte légitime et attendu. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
Mme Raymonde Poncet Monge . - Après la proposition de loi Retailleau, celles de Stéphane Le Rudulier et celle de Roger Karoutchi, voici une énième proposition de loi qui s'attaque au droit de grève. Faute de pouvoir le faire frontalement, on se drape dans la défense du droit de voyager, d'assister aux JOP et d'entreprendre sans entrave...
Les ajouts en commission témoignent d'une volonté de détricoter le droit de grève. Même objectif que Nicolas Sarkozy en 2007 : lorsqu'il y a une grève, il ne faut pas que cela se voie.
Mais quand on légifère sans étude d'impact, sans concertation avec les partenaires sociaux, sans intention de favoriser un dialogue social de qualité, et en voulant contraindre une seule des parties prenantes, cela se voit.
N'en déplaise au Premier ministre, la grève respecte un dispositif très contraignant pour les deux parties : alarme sociale, période de dialogue social, constat de désaccord, deuxième moment de négociation, et enfin, préavis de grève. Seule une minorité d'alarmes débouchent sur un préavis de grève et c'est alors la marque de l'échec du dialogue social. Vous voulez dédouaner la partie patronale de cet échec. Mais alors, pourquoi les directions dialogueraient, si le droit de grève est devenu un droit de papier ?
Cette proposition s'inscrit dans la lignée de tout ce qui a porté atteinte au dialogue social, et notamment les lois Travail successives depuis 2016.
Or la grève, c'est aussi la résistance à la dégradation des conditions de travail. Voyez la RATP : moins d'embauches en CDI, plus de départs, plus de journées d'absence pour accidents du travail, augmentation du taux de rotation du personnel... Voilà le résultat de votre politique de dégradation d'un service public essentiel pour le droit à la mobilité.
Dans ce secteur, la grève n'est pas une habitude, mais la marque de l'échec du dialogue social. Les préavis avant les JO sont d'abord la conséquence de la proposition indigne de la RATP d'une prime de 15 euros... La droite voudrait empêcher une grève au nom du droit de participer aux JO. Il y a des limites à la collusion avec les directions des entreprises !
La non-continuité du service est due à un manque d'investissement et de maintenance, à la baisse des effectifs et à la perte d'attractivité des métiers à la suite du démantèlement des statuts.
La garantie d'un droit à la mobilité ne doit pas passer par une atteinte au droit de grève, qui fragilise les capacités de négociation de tous les travailleurs.
Les transports collectifs et le droit à la mobilité durable sont des objectifs majeurs pour les écologistes, également attachés à la justice sociale. Le GEST votera donc contre cette proposition de loi qui détricote le droit de grève. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Marie-Claude Varaillas . - Pour la deuxième fois en moins d'un an, vous nous proposez de remettre en cause l'exercice du droit de grève dans les transports. C'est ainsi en France : on légifère à chaque turbulence.
En 2022, le TGV avait un taux de retard de 14,3 % ; en 2023, la ponctualité dans l'ensemble du ferroviaire s'est dégradée ; sur le RER B, pas une semaine sans incident ; la ligne Bergerac-Bordeaux subit régulièrement des retards. Nous voulons des transports qui fonctionnent toute l'année, y compris quand il n'y a pas de grève.
Quand le fret a dû se soumettre aux injonctions de Bruxelles, notre assemblée n'a rien fait - nous aurions pu le déclarer d'intérêt public. En matière de transport de voyageurs, nous aurions pu explorer les causes des difficultés de recrutement et de réservation. Au nom de la rentabilité financière et des réformes libérales, le statut des cheminots et l'entretien du réseau ont été abandonnés. Où sont les 100 milliards d'euros annoncés par Mme Borne ? Où en est la promesse d'une nouvelle donne ferroviaire ?
Partout où les transports ont été libéralisés, les conditions de transport des usagers - infrastructures, sécurité, tarifs - se sont dégradées. Les grévistes n'en sont pas la cause.
Aucun salarié ne fait la grève par plaisir, car il perd son salaire pour défendre son outil de travail et le service public.
Avec cette proposition de loi, nous ne sommes pas loin d'un calendrier fixant les dates auxquelles les salariés auraient le droit de faire grève.
Les grèves de 1936 ont permis les congés payés, le salaire minimum, l'encadrement du temps de travail et les grèves féministes des avancées sur l'égalité femmes-hommes et la constitutionnalisation du droit à l'IVG. Interdit sous Vichy, le droit de grève a été constitutionnalisé en 1946. Pensons aux canuts lyonnais et aux mineurs du Nord, morts pour sa conquête.
Les grèves sont la résultante de négociations absentes, mal menées ou qui éclatent lorsque la démocratie est bafouée, comme lors de la réforme des retraites. À trois mois des JO, ce texte est une provocation qui risque de mettre le feu aux poudres. Nous souhaitons tous que ces Jeux soient un succès, mais sans toucher aux droits sociaux.
Le droit de grève est constitutif de notre République.
En ne votant pas ce texte, le groupe CRCE-Kanaky apporte tout son soutien aux syndicats et à tous les grévistes qui se mobilisent pour le progrès social et écologique et pour les droits des travailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Jean-Yves Roux . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'exercice du droit de grève est confronté à de nouveaux défis. Son affirmation comme droit constitutionnel n'a fait que s'atténuer, avec une interprétation extensive de l'intérêt général. Notre rôle en tant que législateur est de déterminer ses modalités d'exercice.
Sa définition dans le préambule de 1946 fait penser à un pouvoir de nuisance, qui contrarierait les autres droits. L'ambiguïté de cette proposition de loi est qu'elle prétend concilier le droit de grève avec les autres droits. Mais réduire la nuisance de la grève, c'est réduire sa raison d'être.
La suppression pure et simple de l'exercice de ce droit, même pour une période, est une ligne rouge que le RDSE refuse de franchir.
La grève est un moment particulier du dialogue social et intervient en dernier ressort. Voter ce texte, c'est amoindrir la capacité des salariés à peser sur la négociation collective. Si les outils des uns sont disproportionnés par rapport à ceux des autres, le système s'effondre, conduisant à des détournements du droit de grève. Oui, la grève doit rester un droit revendicatif et collectif.
Le législateur doit pouvoir apporter des limites au droit de grève pour assurer la continuité du service public. Cette proposition de loi a au moins le mérite d'apporter des réponses au recours abusif aux préavis dormants et aux grèves de 59 minutes.
Le droit de grève s'exerce dans un contexte en forte mutation. Le constituant nous autorise à le faire évoluer. Plus de dialogue social, peut-être plus en amont ; mais pas une suppression, même transitoire. Nous devons promouvoir la négociation qui doit bénéficier d'un minimum de temps, dans notre pays réputé conflictuel. Prenons le parti d'un modèle de régulation du social, mais ne soufflons pas sur les braises d'un contexte social tendu à la veille des JOP. Il faudra trouver de nouvelles formes d'expression des travailleurs, respectueuses des droits d'autrui. Supprimer le droit de grève n'est pas la solution.
Le RDSE votera à une large majorité contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST, du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K)
M. Hervé Reynaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À nous de vous faire préférer le train, scandait la SNCF... Mais, depuis 1947, pas une année sans un jour de grève !
Le dispositif mis en place par la loi de 2007 a atteint ses limites. Candidats recalés d'office, Français empêchés de partir en vacances, voire de se rendre sur leur lieu de travail. Comment, dans ces conditions, inciter au report modal ? En février dernier, 64 % des Français considéraient que la grève pendant les vacances scolaires était un abus.
Notre rôle est de modifier l'arsenal législatif à l'aune des évolutions et des retours d'expérience. Nous devons trouver un nouvel équilibre entre droit de grève et droit à la mobilité. L'Italie l'a fait ; pourquoi pas nous ?
Je salue Hervé Marseille, auteur de cette proposition de loi et notre rapporteur Philippe Tabarot qui a su mener un débat vif, mais sincère.
La région Auvergne-Rhône-Alpes vient de voter un voeu en ce sens.
Le droit constitutionnel de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le régissent. S'il est un moyen et non une fin, il doit arriver en dernier recours, lorsque la négociation n'a pas abouti. La législation française est insuffisante pour encourager le dialogue social. Cela permet à des collectifs de créer des situations de quasi-blocage.
Nous souscrivons donc aux objectifs de ce texte. La commission a adopté des amendements pour garantir la constitutionnalité du texte, éviter les abus - notamment les préavis dormants - et garantir un service minimal pour les déplacements du quotidien.
Abordons sereinement ce débat pour ne pas renvoyer au monde entier l'image d'un pays à l'arrêt. Cette proposition de loi devrait permettre une réconciliation entre usagers et grévistes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Discussion des articles
Article 1er
Mme Raymonde Poncet Monge . - Cet article est très probablement inconstitutionnel, puisqu'il conduit à interdire l'exercice du droit constitutionnel de grève.
C'est un article inique, car il ne contraint qu'une seule partie, les salariés, dont les capacités de négociation sont bridées.
Permettre de suspendre le droit de grève « pendant les événements d'importance majeure » - c'est flou - dévoile l'intention : il s'agit de brider les capacités de négociation des travailleurs en rendant la grève inoffensive et d'ouvrir la voie au détricotage du droit du travail.
Les travailleurs négocient actuellement pour l'amélioration de leurs conditions de travail pendant les JOP et des compensations justes. Mais ce texte n'en a que faire.
M. Philippe Grosvalet . - Le désordre et le chaos, tel est le fantasme associé de tout temps au droit de grève, d'autant plus lorsqu'il s'agit des services publics. En 1948, l'Action ouvrière, proche du RPF du général de Gaulle, considérait que la grève dans les services publics essentiels à la nation n'était pas admissible.
Selon le ministre de l'économie, en réponse à notre collègue Yves Détraigne en 2018, les grèves ne coûtent pas plus de 0,1 à 0,3 point de PIB trimestriel et ces périodes sont souvent suivies d'un rebond qui en annule les effets. Bon an mal an, on compte une journée de grève par an et par agent. En 2018, année record depuis 1968, il y a eu cinq journées de grève par agent.
La grève est source de progrès sociaux et économiques : semaine de 40 heures, congés payés, et retraites notamment. Le progrès social est source de progrès économique. Voilà pourquoi nous devons reconnaître le droit de grève comme un bien commun inaliénable. Chacun a le droit d'y recourir sans jamais en abuser. (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes SER et CRCE-K)
Mme Cécile Cukierman . - Ce texte est une violente attaque contre tous ceux qui se sont battus pour améliorer les conditions de travail. C'est parce qu'il y a eu les grèves de 1936 que nous pouvons aujourd'hui nous poser la question : faut-il faire grève le jour du départ en congés payés ? Vous pouvez sourire, mais les exemples sont nombreux, et mes collègues me les soufflent : dockers du Havre, mineurs du Pas-de-Calais... Les luttes sur la façon dont on se rend au travail ont fait l'histoire de notre République.
Oui, nous rencontrons quotidiennement des femmes et des hommes qui veulent se déplacer en toute sérénité. Il existe une exigence de la régularité des transports. Or les conditions des transports du quotidien se sont dégradées. Dans la Loire, sur l'une des lignes de TER les plus fréquentées de France, nous connaissons chaque semaine retards et annulations de trains. Le problème, ce ne sont pas les salariés, mais les infrastructures. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER, du GEST et du RDSE)
M. Michel Savin . - Je dirai tout le contraire de ma collègue. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.) Certes, nous partageons le constat d'une situation dégradée des transports. Mais peut-on prendre en otage des milliers de Français qui se sont sacrifiés pour acheter des billets et assister à des compétitions, tout comme des milliers de touristes étrangers ? (Mme Cécile Cukierman proteste.) Nous risquons de donner une image catastrophique de notre pays. Cette grande fête populaire et sportive se déroule une fois tous les 100 ans !
Le Gouvernement ne pourra pas dire qu'il ne savait pas ; il doit prendre ses responsabilités et inscrire ce texte à l'ordre du jour à l'Assemblée nationale en mai ou en juin. J'espère que vous aurez ce courage politique, Monsieur le ministre.
M. Hervé Gillé . - À force de parler ainsi, vous allez susciter les grèves. Nous devons créer un climat de confiance. Or vous faites l'inverse. (M. Didier Mandelli proteste.) Cette proposition de loi est d'une grande maladresse.
Jusqu'à présent, votre camp prônait la négociation des droits au sein des conventions collectives : vous vous reniez... Vous faites référence à l'Italie, mais là-bas les négociations ont abouti à un accord, avec des contreparties salariales.
Vos propositions sont contre-productives et vous agitez inutilement un chiffon rouge. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Fabien Gay . - Avec un peu de solennité, dans notre pays qui a connu le Bataclan, comparer les salariés qui font grève à des terroristes (on s'interroge à droite), à des preneurs d'otages, n'est pas acceptable. (Mme Marianne Margaté applaudit, M. Philippe Grosvalet approuve également.)
Mme Catherine Di Folco. - Il ne faut pas exagérer !
M. Fabien Gay. - J'ai entendu dire qu'on pouvait faire grève par culture ou par plaisir. Mais les travailleurs qui perdent une partie voire la totalité de leur salaire pour l'intérêt général ne le font pas par plaisir !
Cette proposition de loi n'ira même pas à l'Assemblée nationale : elle ne réglera donc pas le problème des transports pendant les JO. Le problème, c'est celui du sous-investissement. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du RDSE)
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Olivier Jacquin. - Nous nous opposons à la restriction du droit de grève dans les transports publics de voyageurs. Un cadre existe déjà : alerte sociale, préavis de grève, déclaration individuelle, plan de transport, plan d'information des usagers, entre autres. Il permet de mettre en place un service certes réduit, mais prévisible.
Une concertation avec les partenaires sociaux est un préalable à toute modification de notre législation sur le droit de grève. Le faire via une proposition de loi risque, dans un contexte de malaise social grandissant, d'attiser les tensions. Supprimons cet article.
M. le président. - Amendement identique n°11, présenté par MM. Fernique et Dantec, Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.
M. Jacques Fernique. - La commission a réduit de moitié le dispositif initialement prévu. Néanmoins, cet article sera très probablement censuré par le juge constitutionnel, car il supprime un droit essentiel. En outre, cette proposition de loi ne correspond nullement au modèle italien qu'elle prétend transposer.
M. le président. - Amendement identique n°18 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Laouedj et Masset et Mme Pantel.
M. Philippe Grosvalet. - Le droit de grève a une valeur constitutionnelle qui exige la plus grande prudence. Ce véhicule législatif, sans étude d'impact, est inadapté. Le timing, la forme et les réponses apportées ne sont pas les bonnes.
M. Demilly a fait allusion à Mme Béchu...
Plusieurs voix à droite. - Michu ! (Sourires)
M. Philippe Grosvalet. - Il ne faisait probablement pas référence à la Mme Michu de Balzac, mais à celle inventée par les publicitaires pour représenter la Française moyenne, avec un certain mépris de classe. Fort heureusement, les millions de MM. et Mmes Michu, qui n'ont plus les moyens de faire grève, sont heureux et fiers que d'autres puissent les défendre à leur place.
M. Olivier Paccaud. - Je n'en suis pas sûr !
M. le président. - Amendement identique n°25, présenté par M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
M. Pascal Savoldelli. - Si M. Le Rudulier était encore présent, je lui demanderais si son Américaine à Paris était gréviste... Aux États-Unis, les grévistes du secteur automobile ont obtenu 25 % d'augmentation de salaire !
Fabien Gay a rappelé que l'image de la prise d'otages était à manier avec prudence.
Les centristes auraient aussi pu nous parler de la grève fiscale ! La grève serait catastrophique, car elle nous ferait perdre entre 10 et 15 millions d'euros ? Mais selon l'Insee, il nous manquerait entre 20 et 25 milliards d'euros de recettes publiques chaque année. Alors, supprimons cet article et décidons plutôt d'interdire la grève fiscale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Le cadre de prévisibilité des conflits sociaux existe, mais il est inadapté : le dialogue social n'est plus le préalable à la grève et aucun service minimum n'est garanti dans les transports. L'exemple italien fonctionne, ne vous en déplaise. La commission a amélioré la constitutionnalité du texte en limitant la durée des périodes concernées, en ne visant que les personnes concourant directement au fonctionnement du service, et en transformant les sanctions pénales en sanctions disciplinaires.
Enfin, en tant que rapporteur de la loi Climat et résilience et de celle sur les services express régionaux métropolitains (Serm) et en tant que rapporteur pour avis des crédits sur les transports ferroviaires, j'ai à coeur de développer les transports collectifs. Mais cela n'exclut pas de limiter les effets négatifs des grèves qui contribuent, elles aussi, à la dégradation de la qualité du service. Avis défavorable.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Sagesse.
Sur l'Italie, un accord entre les partenaires sociaux a précédé la loi.
Avec mon homologue allemand, la semaine dernière, nous faisions le constat de la dégradation du réseau ferroviaire partout en Europe.
Nous pouvons nous réjouir de l'augmentation du budget de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), de la régénération du réseau ferroviaire et des RER métropolitains. Il faut soutenir ce type de projet.
Les amendements identiques nos2, 11, 18 rectifié et 25 ne sont pas adoptés.
L'article 1er est adopté.
Article 2
Mme Raymonde Poncet Monge . - Il y a des textes dont le seul but est de tromper. Ici, on fait croire aux travailleurs que l'on va améliorer les transports en s'attaquant au droit de grève. Votre cauchemar, ce sont des syndicats capables de négocier. La source de ce mauvais rêve, ce sont les préavis dormants. Mais c'est la rigidité du dispositif qui les impose, comme on l'a vu pendant la mobilisation contre les retraites.
Les préavis dormants menaceraient les JOP ? Non ! C'est une alerte sociale, faute d'ouverture d'une négociation sincère par la direction.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Cet article vise à empêcher les préavis dormants en limitant à 30 jours le délai de préavis. C'est excessif.
D'après le rapporteur, ces préavis seraient utilisés pour des raisons individuelles, sans que ces affirmations puissent être vérifiées. Mais dans toute organisation sociale, il existe des passagers clandestins : ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain.
Ces préavis de longue durée sont un outil légitime lorsque les négociations sont au point mort. Supprimons cet article.
M. le président. - Amendement identique n°12, présenté par MM. Fernique et Dantec, Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.
M. Jacques Fernique. - Ces préavis de grève de longue durée suscitent des légendes urbaines, ou plutôt ferroviaires. Certains préavis courraient jusqu'en 2040 ou 2045 - je demande à voir. Nous avons besoin d'un diagnostic partagé sur ces préavis. Chez SUD-Rail, il y aurait deux préavis dormants depuis 2017. Pour la CGT, le plus ancien date de 2019.
Si cet article 2 était adopté, en quoi permettrait-il d'atteindre les objectifs visés ? C'est un jeu des gendarmes et des voleurs dont on ne sortira pas.
M. le président. - Amendement identique n°20 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Laouedj et Masset et Mme Pantel.
M. Philippe Grosvalet. - Selon la Cour de cassation, un préavis de 30 jours complexifierait le droit de grève, en obligeant les organisations syndicales à entrer dans une logique cyclique. Cette temporalité ne correspond pas toujours aux autres parties prenantes du conflit social. Voilà pourquoi nous souhaitons supprimer cet article.
M. le président. - Amendement identique n°26, présenté par M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Votre problème avec les préavis de 30 jours, c'est que vous risquez de devoir négocier avec les syndicats pendant tout ce temps, c'est long si vous n'en avez pas l'habitude. Alors voilà une sorte de 49.3 pour faire taire les syndicats.
C'est contradictoire, d'un côté vous vous plaignez qu'il y a trop de grèves, et ici vous obligez les agents à faire grève lorsqu'ils l'annoncent.
Le pouvoir de nuisance des grèves perlées vous dérange. Vous voulez des grèves qui ne dérangent pas, des grèves silencieuses, comme le président de la République d'alors, un certain Nicolas Sarkozy, qui a fait beaucoup contre le droit de grève - service minimum en 2007, enseignants en 2008.
Mais qui saccage les transports publics ici ? Les grévistes ? Non, les politiques d'austérité du Gouvernement dont vous devenez complices.
Pour les pénuries de personnels dans les hôpitaux ou l'éducation nationale, nul besoin de préavis, cela dure toute l'année.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Les préavis dormants sont un contournement du droit de grève. Nous ne les avons pas inventés, ils existent ! Par exemple, vingt conducteurs de métro les utilisent, en moyenne.
Ils contournent la période de négociation, à laquelle nous sommes tous attachés. Ils désorganisent en profondeur les services de transport public. Ils sont utilisés par des collectifs non-syndiqués, pour des mouvements parfois sans lien évident avec le préavis déposé.
Limitons donc les préavis dans la durée. Rien n'interdira aux organisations syndicales de déposer de nouveaux préavis au bout de trente jours, ce qui permettra d'engager une nouvelle étape du dialogue social.
Autre chiffre intéressant : pour le réseau de bus RATP, les préavis illimités ont empêché la couverture de 2,3 millions de kilomètres pour la simple année 2023...
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Sagesse.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Depuis 2007, une procédure existe, contraignante pour les deux parties. Les syndicats n'y étaient pas défavorables, puisque cela permet d'informer et de s'organiser.
Il suffirait de redéposer un préavis, dites-vous ? Mais l'alarme sociale ne peut pas être déposée deux fois pour le même motif. Pour le coup, ce serait un détournement.
Les préavis dormants permettent de tenir l'alarme sociale jusqu'à ce qu'un accord ait été trouvé entre les deux parties.
Les amendements identiques nos3, 12, 20 rectifié et 26 ne sont pas adoptés.
L'article 2 est adopté.
Article 3
Mme Raymonde Poncet Monge . - La commission poursuit son travail de sape avec l'article 3, qui allonge les délais de déclaration à 72 heures et de rétractation à 48 heures : celle-ci devrait donc avoir lieu avant la grève - c'est particulier ! Quoi de mieux pour briser les grèves que de donner du temps aux directions pour séparer les salariés ?
Rafael Pagan, chez Nestlé, disait : « coopérez avec les réalistes, dialoguez avec les idéalistes pour les convertir en réalistes, isolez les radicaux et avalez les opportunistes. » Voilà l'objectif !
Cette disposition n'a pas vocation à faciliter la négociation collective, mais à l'empêcher. Elle manque dès lors l'objectif d'améliorer les services de la RATP.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Hervé Gillé. - Le rapport de la commission souligne que les délais actuels de 24 heures et 48 heures sont trop courts pour que les autorités organisatrices de transport puissent adapter l'organisation du service - c'est l'avis de l'Union des transports publics et ferroviaires, mais pas des organisations représentatives des salariés, pour qui cet allongement donne plus de temps aux employeurs pour briser les grèves grâce à des personnes extérieures.
Il n'est pas prouvé que le fait de porter le délai de prévenance à 72 heures aura des conséquences sur la continuité du service.
M. le président. - Amendement identique n°13, présenté par MM. Fernique et Dantec, Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.
M. Jacques Fernique. - Ce changement du délai de prévenance permet de dissuader les salariés d'exercer leur droit de grève, en leur laissant moins de temps pour se décider.
Plutôt que de jouer sur le curseur du délai, il faudrait plutôt veiller au bon fonctionnement du régime issu de la loi de 2007
M. le président. - Amendement identique n°21 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Laouedj et Masset et Mme Pantel.
M. Philippe Grosvalet. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°27, présenté par M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
M. Gérard Lahellec. - Une nouvelle fois, vous montrez vos contradictions en incitant à la grève plutôt qu'à la négociation.
Les dispositions prévues actent en réalité par avance l'échec de la négociation, qui peut trouver un aboutissement jusqu'à la grève.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Le Conseil constitutionnel, dans sa décision sur la loi de 2007 instituant la procédure de déclaration individuelle, a considéré que le délai apporté à l'exercice du droit de grève n'était pas disproportionné au regard de l'objectif poursuivi par le législateur. Un aménagement de vingt-quatre heures me paraît nécessaire et proportionné.
Il a été question précédemment du fiasco du Stade de France. Avec un délai de prévenance de 72 heures, les conséquences sur les transports en commun n'auraient pas été si déplorables... (Marques d'approbation à droite ; M. Hervé Gillé fronce les sourcils ; M. Fabien Gay secoue la tête.) L'information, c'est la base ! C'est ce qu'a considéré la commission : comment bâtir un plan de transport sûr et bien dimensionné et fournir une information fiable si l'on ne sait pas qui fait grève ?
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Sagesse.
Les amendements identiques nos4, 13, 21 rectifié et 27 ne sont pas adoptés.
L'article 3 est adopté.
Article 4
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Ce nouvel article, qui impose que la grève commence au début et se termine à la fin du service interdit de fait toute grève de courte durée, que l'Union des transports publics et ferroviaires juge illégitime. Mais les organisations syndicales considèrent, au contraire, que ce type de préavis appartient au cadre général.
Le cadre de prévention des conflits et de dialogue social permet déjà de mettre en place un service, certes réduit, mais prévisible.
Toute modification de notre législation sur notre droit de grève nécessite en outre une concertation avec les partenaires sociaux. Cette législation ne peut en aucun cas être modifiée par le biais d'une proposition de loi qui prive le Parlement d'étude d'impact et d'avis du Conseil d'État.
M. le président. - Amendement identique n°14, présenté par MM. Fernique et Dantec, Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.
M. Jacques Fernique. - Prenons garde à cet article 4, dont je doute qu'il soit opérant : l'appréciation par l'employeur d'un « risque de désordre manifeste à l'exécution du service public » ne sera pas facile.
Ce que nous a dit la RATP en audition, c'est que les grèves de 59 minutes se voient peu sur l'offre de service, mais que la baisse de salaire qui en résulte pour les grévistes ne couvre pas la baisse d'activité associée. Cet article est mal ficelé.
M. le président. - Amendement identique n°22 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Laouedj et Masset et Mme Pantel.
M. Philippe Grosvalet. - Il y a plusieurs façons de faire grève ; mais aucun salarié ne fait grève par plaisir. La grève est génératrice de fraternité et même de créativité... (On ironise à droite.) Pourquoi ne se serait-elle pas adaptée aux circonstances économiques nouvelles ? La grève perlée est une façon moderne (Murmures désapprobateurs à droite) de faire grève sans agir trop fortement sur les ressources des grévistes !
M. le président. - Amendement identique n°28, présenté par M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
Mme Céline Brulin. - Votre tentative de rendre votre proposition de loi conforme à la Constitution frise le ridicule à travers cet article inopérant.
Tout d'abord, cela revient à dire aux salariés que s'ils ne travaillent pas, personne ne s'en apercevra... Il y a des manières plus élégantes de développer le dialogue social !
De plus, vous interdisez certaines formes de grève, ce qui conduira à allonger la durée des grèves. Des grèves de douze heures seront possibles, et des grèves de deux heures ne le seraient pas ! Allez expliquer aux usagers que c'est pour leur rendre service... Je vous souhaite bon courage.
Le droit de grève est déjà limité ; si vous le contraignez encore plus, d'autres formes de colère, de révolte ou de manifestations risquent de survenir, beaucoup plus difficiles à canaliser. Cela réveille peut-être des souvenirs...
Enfin, monsieur le rapporteur, dire que c'est la grève qui a conduit au chaos que nous avons connu après la finale de la Ligue des champions, c'est un peu fort de café ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRCE-K)
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Monsieur Grosvalet, je ne sais pas ce qu'est une grève moderne - je vois dans la grève perlée un contournement de la loi de 2007. Est-ce être moderne que de faire grève 59 minutes pour désorganiser au maximum le service ?
Cette disposition ne pourrait être appliquée qu'en cas de risque de désordre manifeste à l'exécution du service public et uniquement aux salariés concernés par l'obligation de déclaration individuelle - ceux qui sont indispensables au fonctionnement du service selon le plan de prévisibilité.
L'objectif n'est pas d'interdire totalement les grèves de 59 minutes, mais de les encadrer. Avis défavorable.
M. Jacques Grosperrin. - Très bien !
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Sagesse.
Les amendements identiques nos5, 14, 22 rectifié et 28 ne sont pas adoptés.
L'article 4 est adopté.
Article 5
M. le président. - Amendement n°6, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
Mme Nicole Bonnefoy. - Cet article, issu d'un amendement de M. Mandelli, étend le texte à la desserte maritime des îles françaises.
Une concertation avec les partenaires sociaux est un préalable indispensable. Il existe sans doute des spécificités propres à ces transports maritimes ; il ne faut pas plaquer sur eux des dispositions prévues pour le transport terrestre. Concernant un droit constitutionnellement garanti, la négociation est indispensable.
La loi du 21 août 2007, dite loi Bertrand, avait exclu de son champ d'application les transports aérien et maritime. S'il faut inclure ce dernier, cela ne peut en aucun cas passer par une proposition de loi, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État.
M. le président. - Amendement identique n°15, présenté par MM. Fernique et Dantec, Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.
M. Jacques Fernique. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°23 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Laouedj et Masset et Mme Pantel.
M. Philippe Grosvalet. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°29, présenté par M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
M. Pierre Barros. - Puisque nous parlons du transport maritime, pourquoi le transport aérien reste-t-il écarté du dispositif ? Est-ce par crainte de mettre le feu à des modes de transport ayant des répercussions internationales plus lourdes ?
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Nous avons considéré que la loi Diard et la loi Capo-Canellas que nous avons votées sur les contrôleurs aériens couvraient le sujet du transport aérien - lequel compte peu de lignes de service public.
La commission a estimé que l'absence d'intégration du transport maritime créait des inégalités entre les territoires. Comment justifier que certains de nos concitoyens n'aient pas le même droit de disposer d'une information fiable pour leurs déplacements les jours de grève ?
Nous avons été interpellés à ce sujet par la compagnie Océane qui dessert les îles bretonnes, dont les salariés peuvent se déclarer grévistes le jour même. Avis défavorable.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Sagesse.
Les amendements identiques nos6, 15, 23 rectifié et 29 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°10 rectifié, présenté par MM. Mandelli et Anglars, Mme Lavarde, MM. H. Leroy et Sol, Mme Josende, MM. Karoutchi et Piednoir, Mme Aeschlimann, M. Chaize, Mme Petrus, MM. Burgoa, Milon, Reynaud et Bouchet, Mmes Valente Le Hir, Deseyne et Lassarade, M. D. Laurent, Mmes M. Mercier et Chain-Larché, M. P. Martin, Mmes Gruny et Gosselin, M. Savin, Mme Dumont et MM. Panunzi, Brisson, Lefèvre, de Nicolaÿ, Saury, Belin, Favreau, Bruyen, Sido, Genet et C. Vial.
Compléter cet article par quatre alinéas ainsi rédigés :
...° Après l'article L. 1821-5, il est inséré un article L. 1821-5-... ainsi rédigé :
« Art. L. 1821-5-.... - Pour l'application à Mayotte de l'article L. 1222-1, les mots : "la desserte des îles françaises mentionnés à l'article L. 5431-1" sont remplacés par les mots : "les liaisons entre la Grande-Terre, la Petite-Terre et les autres îles et îlots situés dans le récif les entourant". » ;
...° L'article L. 1821-8 est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. L. 1821-8. - Pour l'application à Mayotte de l'article L. 1324-1, les mots : "la desserte des îles françaises mentionnés à l'article L. 5431-1" sont remplacés par les mots : "les liaisons entre la Grande-Terre, la Petite-Terre et les autres îles et îlots situés dans le récif les entourant". »
M. Didier Mandelli. - Cet amendement étend à Mayotte les dispositions de l'article 5. La France a le deuxième domaine maritime du monde : cela mérite de s'y intéresser.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Avis favorable. Comme vous l'avez remarqué avec M. Omar Oili, Mayotte n'était effectivement pas directement citée, alors que le transport maritime est l'unique mode de transport entre Grande-Terre et Petite-Terre.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Sagesse.
L'amendement n°10 rectifié est adopté.
L'article 5, modifié, est adopté.
Article 6
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Olivier Jacquin. - Les causes de la dégradation de la qualité des transports du quotidien sont connues de tous : mauvais entretien du réseau, manque de chauffeurs... Les grèves n'en sont en aucun cas responsables. Souvent, elles dénoncent d'ailleurs le manque de moyens et de personnel, ou les efforts demandés sans contrepartie salariale. Une réduction du droit de grève n'améliorera pas les conditions de transport.
M. le président. - Amendement identique n°16, présenté par MM. Fernique et Dantec, Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.
M. Jacques Fernique. - Cet article 6 complète l'article 1222-3 du code des transports par ces cinq mots : « notamment aux heures de pointe ». Faut-il vraiment le préciser dans la loi ?
M. le président. - Amendement identique n°24 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Laouedj et Masset et Mme Pantel.
M. Philippe Grosvalet. - Le cadre de prévisibilité des conflits sociaux existe déjà : alerte sociale, permis de grève, plan de transport adapté... sans doute faut-il affiner certains dispositifs, mais cela suppose un dialogue en amont avec les partenaires sociaux. Or cette concertation n'a pas eu lieu, les conséquences de cet article sont floues, et quand c'est flou...
M. le président. - Amendement identique n°30, présenté par M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
M. Ian Brossat. - Si tant de nos concitoyens sont confrontés à la galère dans les transports, c'est le résultat d'un sous-investissement qui ne date pas d'hier.
Ce débat est malaisant. À travers chaque article, on cible une partie de la population : les cheminots. Ce populisme est dangereux ; je ne suis pas persuadé que le jugement des Français sur les sénateurs serait plus favorable que sur les cheminots, par exemple...
M. Franck Dhersin. - Parlez pour vous !
M. Ian Brossat. - À trop jouer avec le feu, on finit par se brûler.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Sagesse.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Les heures de pointe, ce sont les trajets vers et depuis le travail, seule priorité ; mais la société s'est précarisée, et les trajets vers le travail ont désormais lieu toute la journée !
Puisque vous vous abritez derrière la défense du droit des travailleurs à aller au travail, mieux vaut une bonne négociation dès l'alarme sociale, pour que les plus précaires puissent, eux aussi, aller travailler.
Les amendements identiques nos7, 16, 24 rectifié et 30 ne sont pas adoptés.
L'article 6 est adopté.
Article 7
Mme Raymonde Poncet Monge . - Cet article prévoit la réquisition du personnel en grève s'il n'y a pas assez de non-grévistes : la boucle est bouclée ! C'est la voiture-balai ! Si les précédents articles n'ont pas empêché les salariés de faire grève, on les réquisitionne, en s'accommodant d'un service dégradé plutôt que de mener un dialogue. Les usagers et les touristes étrangers ont bon dos, alors que le métier est en crise et qu'il faut renouveler le matériel.
Il faut peu emprunter le RER pour croire que les grèves sont la cause des dysfonctionnements. Sur le RER B, en 2021, il y a eu 151 heures de perturbations pour panne de signalisation, presque autant pour panne de matériel, 70 heures pour panne électrique, 22 heures pour incidents techniques, 38 heures pour panne de caténaire... Au total, 600 heures de perdues, bien plus que pour les grèves. (M. Laurent Duplomb s'exclame.)
Avec cet article, vous empêchez tout simplement la grève, au lieu de résoudre les problèmes.
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Supprimer cet article.
M. Olivier Jacquin. - Cet article, c'est le bouquet ! En cas de grève, le service minimum garanti serait assuré par réquisition sur injonction de l'AOM.
Le cadre de prévisibilité des conflits sociaux permet déjà un service réduit, mais prévisible. La réquisition n'améliorera pas le trafic en cas de grève. Au contraire, le chiffon rouge qu'elle représente attisera les tensions. Tout cela semble peu opérant...
M. le président. - Amendement identique n°17, présenté par MM. Fernique et Dantec, Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.
M. Jacques Fernique. - Cet article, introduit en commission, dépasse largement l'ambition initiale du texte. Même ce que les employeurs ne demandent pas, vous l'ajoutez ! La direction de la SNCF considère que ce serait une déclaration de guerre et que la conduite par des agents contraints serait contraire aux exigences de sécurité.
En outre, faire des autorités organisatrices des acteurs du conflit social est problématique : êtes-vous prêts à assumer une géométrie variable selon les territoires ? Est-ce un gage de négociation ?
Cet article est sans doute destiné à sauter lors d'une hypothétique CMP...
M. le président. - Amendement identique n°19 rectifié, présenté par MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Laouedj et Masset et Mme Pantel.
M. Philippe Grosvalet. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°31, présenté par M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.
M. Pierre Barros. - Celles et ceux qui ont eu à mettre en place un service minimum dans les collectivités sans casser la grève - objectif affiché de cette loi - connaissent la difficulté de l'exercice.
Constitutionnellement, réquisitionner des grévistes atteint un sommet : vos intentions se dévoilent.
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - L'objet de cet article 7 est de parer aux situations les plus critiques, uniquement lorsque le niveau minimal de service n'est pas atteint durant trois jours consécutifs, ce qui encadre suffisamment le dispositif. On est loin du service normal.
C'est le dernier levier à activer, sous conditions strictes. Il devrait être rarement utilisé.
Monsieur Fernique, seuls les personnels indispensables sont concernés. Un tel dispositif est prévu pour le contrôle aérien, notamment pour éviter l'isolement de la Corse et des collectivités ultramarines. Il en est de même pour des sociétés chargées des signaux de radio et de télévision. Le prévoir pour les transports publics, comme le proposait en commission Daniel Gueret, n'est pas aberrant. (M. Daniel Gueret apprécie.)
Les contraintes à Paris et Mulhouse ne sont pas les mêmes : aux AOM d'apprécier. Avis défavorable.
M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Sagesse. Les JOP ont été souvent invoqués. Le Gouvernement fait confiance aux directions et aux syndicats pour défendre l'image de la France à cette occasion ; cela peut être une opportunité de valoriser ces entreprises, qui font aussi gagner la France.
Les amendements identiques nos8, 17, 19 rectifié et 31 ne sont pas adoptés.
L'article 7 est adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Philippe Grosvalet . - J'évoque régulièrement le dynamisme économique et industriel de Saint-Nazaire, ma ville, où les Chantiers de l'Atlantique et Airbus contribuent au rayonnement de la France et à sa balance commerciale. Si nous avons le dernier grand chantier naval civil en France, qui invente le transport maritime de demain avec les navires à voiles, qui produira notre futur porte-avions, nous le devons à notre génie, mais aussi à notre histoire et à nos innovations sociales et sociétales, nées des conflits sociaux.
En 1967, le petit garçon de 9 ans que j'étais a vu une grève de 62 jours consécutifs. Imaginez l'effort consenti de ces femmes et hommes, parfois au détriment de leur famille, mais pour l'intérêt général et l'avenir de leur entreprise !
Faisons confiance aux acteurs sociaux et à la loi. La grève est l'ultime recours lorsque le dialogue social est rompu. Ne jetons pas de l'huile sur le feu, ne votons pas ce texte contraire à notre histoire, qui plongera le pays dans un désordre dont les auteurs prétendent nous protéger. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST, des groupes SER et CRCE-K ; M. Bernard Buis applaudit également.)
M. Hervé Gillé. - Très bien !
Mme Raymonde Poncet Monge . - Cette envolée est très juste.
Toute cette proposition de loi tend à empêcher syndicats et salariés d'user du dernier recours en cas d'échec du dialogue social. Vous finissez avec un dernier recours offert à la direction à l'article 7. Qui demande la réquisition ? Vous vous êtes laissés entraîner par votre logique antigrève, empêchant le rapport de force de s'installer en cas de l'échec du dialogue social, qui est un échec des deux parties. (Murmures à droite)
Pour préserver les JO, j'attends l'article 8, qui exigera de la direction un retour responsable au dialogue.
M. Pierre Jean Rochette . - (Se tournant vers la gauche de l'hémicycle) Vous avez dit plusieurs fois qu'on ne faisait pas grève par plaisir ; j'en conviens. Vous nous parlez du déficit d'investissement ; c'est, là encore, une évidence, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui.
L'immense majorité des Français pense qu'il y a un abus du droit de grève, qui les contraint dans leur vie quotidienne. Pas un ne niera ce fait.
Ce texte n'est pas contre le droit de grève ; il l'adapte pour le concilier avec d'autres droits constitutionnels : aller et venir, entreprendre, commercer. Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC ; M. Olivier Rietmann applaudit également.)
M. Pierre Barros . - Nous voterons contre cette proposition de loi. Il y a, à la base, un problème de droit constitutionnel ; je rappelle le rapport Mandelkern de 2004.
Il y a, ensuite, un problème de cible : les grèves sont la dernière cause des dysfonctionnements des transports, bien après le déficit chronique d'investissement : les infrastructures, créées au XIXe siècle, n'ont souvent pas évolué depuis des décennies. L'ouverture à la concurrence a aussi dégradé le service : ceux qui prennent le train depuis 30 ans ont pu le constater, alors que la population francilienne est passée de 8 à 12 millions d'habitants.
Enfin, le dialogue social doit être paritaire et équilibré. Sans cela, ça craque.
M. Hervé Marseille . - Je remercie l'ensemble des intervenants dans ce débat très riche. On a parlé du droit de grève, mais beaucoup moins des autres droits de niveau égal : circuler, entreprendre. Il y a ceux qui font grève, et les autres - mais tout s'est passé comme s'ils n'existaient pas !
Si j'ai déposé ma proposition de loi, c'est qu'il y a des abus. On convoque Léon Blum et les congés payés... mais encore faut-il pouvoir en profiter !
En décembre 2022, en février dernier, qui a lancé les grèves ? Pas les syndicats, mais des comités politisés ! (MM. Pierre Barros et Fabien Gay s'exclament.)
Les grèves issues de l'échec d'un dialogue social concernaient des revendications pour l'ensemble des salariés, pas pour une catégorie - au contraire de celles que je vise.
Monsieur le ministre, comme d'autres avant vous, vous invitez à ne pas en parler, de peur que cela déclenche la colère. Mais si le Parlement ne peut plus parler, où va-t-on ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
Vous appelez au dialogue social. Mais qui est le patron ? C'est vous, pas M. Farandou ! Rendez-vous dans les mois prochains : j'espère un dialogue social de qualité. (Mêmes mouvements)
M. Olivier Jacquin . - Je suis ravi d'intervenir après Hervé Marseille qui, en parlant des collectifs nouveaux, a révélé la raison d'être de sa proposition de loi épidermique et caricaturale.
C'est pourtant par le dialogue social qu'on trouvera des solutions. (Mme Sophie Primas le confirme.)
Il y a eu des positions variées dans cet hémicycle : des caricatures, mais aussi des propos courageux, comme ceux du ministre. (Rires à droite)
M. André Reichardt. - Ça, on l'a vu !
M. Olivier Jacquin. - Cela me rappelle 2018, quand la majorité parlementaire a eu le scalp des statuts. Cette proposition de loi qui agite le chiffon rouge aura l'effet inverse de celui qu'elle vise. Elle n'ira pas à l'Assemblée nationale...
Mme Sophie Primas. - Pour ce qu'elle fait !
M. Olivier Jacquin. - Il faut investir dans les réseaux, retrouver l'introuvable plan à 100 milliards d'euros. Nous voterons résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Barros applaudit également.)
M. Guillaume Gontard . - Le GEST votera évidemment contre ce texte.
Qu'avons-nous fait, pendant ces trois heures ? (« Quatre ! » sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Didier Mandelli montre le chiffre quatre avec ses doigts.)
M. Jacques Grosperrin. - Palabrer !
M. Guillaume Gontard. - Nous aurions pu parler du ferroviaire, des mobilités, des territoires ruraux, chercher des solutions pour financer les infrastructures, problèmes qui assignent nos concitoyens à résidence.
Mais non, nous avons passé tout ce temps à stigmatiser les grévistes, à attiser les tensions sociales, qui plus est sur un texte sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, qui s'assoit sur notre Constitution et sur notre histoire.
Tout cela n'est pas sérieux. Au Luxembourg, la dépense ferroviaire par habitant atteint 607 euros ; en Allemagne, elle est de 124 euros ; en France, c'est 45 euros... Dans les territoires ruraux, nos concitoyens attendent des TER qui partent et arrivent à l'heure. Chez moi, récemment, le train n'est pas parti par deux fois, l'une faute d'essuie-glaces, l'autre de contrôleur.
Ces enjeux sont financiers. Au lieu de les traiter, nous avons perdu du temps ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Frédérique Puissat . - Je remercie Hervé Marseille pour cette proposition de loi et le rapporteur Tabarot pour son expertise, qui a permis d'enrichir le texte. Celui-ci est respectueux des équilibres : la grève est un droit, mais circuler, entreprendre ou partir en congés en sont aussi. Le groupe Les Républicains votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Pierre Grand applaudit également.)
À la demande du groupe CRCE-K, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°172 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l'adoption | 211 |
Contre | 112 |
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Pierre Grand applaudit également.)
M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Je remercie le président Marseille pour son courage et le président Retailleau pour son soutien sans faille. Merci aussi au président Longeot, à M. le ministre pour son écoute attentive et aux collègues qui ont soutenu notre travail. Je remercie les autres pour notre dialogue apaisé et constructif, surtout en commission - monsieur Gillé, je ne souhaitais blesser personne, mais défendre mes idées avec conviction. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-François Longeot, président de la commission. - Je remercie vivement Hervé Marseille pour cette proposition de loi. Grand merci aussi à Philippe Tabarot pour la justesse de ses propositions, alliant respect du droit de grève et continuité du service public.
Issu de la fonction publique territoriale, j'ai toujours défendu l'idée que le service public doit être au service du public. S'il ne l'est pas, les agents publics sont caricaturés et montrés du doigt : je ne veux plus entendre qu'ils ne serviraient à rien.
Notre réseau est souvent en mauvais état : la SNCF peut-elle se priver de recettes dans ce contexte ? Pouvons-nous risquer que les usagers se tournent vers d'autres modes de transport, alors que nous voulons promouvoir le rail ? Si nous ne réglons pas le problème de la continuité, nous ferons l'inverse de ce que nous souhaitons.
Merci à tous pour ces débats courtois et enrichissants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mise au point au sujet de votes
Mme Maryse Carrère. - Lors des scrutins publics nos162, 163 et 164, portant sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Nouvelle-Calédonie, Annick Girardin souhaitait s'abstenir.
Acte en est donné
La séance est suspendue quelques instants.
Fermeture des classes et mise en place de la carte scolaire dans les départements
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la fermeture des classes et la mise en place de la carte scolaire dans les départements, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Jacques Grosperrin, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) Je lirai l'intervention de mon collègue Max Brisson, qui devait intervenir, mais a dû s'absenter.
Voilà un an, il posait une question d'actualité à votre prédécesseur, madame la ministre, en narrant l'histoire d'un inspecteur qui, chaque année, se rend dans un village de France pour calculer le nombre d'élèves attendus à la prochaine rentrée. Par la fenêtre du bâtiment, que le maire ne peut rénover, car l'appui de l'État tarde, on aperçoit des maisons en construction : un projet d'ampleur voulu par la municipalité pour accueillir des familles avec enfants et redynamiser la commune. Mais ce qui se passera dans deux ou trois ans n'intéresse pas M. l'inspecteur, tenu de respecter le rituel de l'immuable carte scolaire.
Strictement codifié, il conduit chaque année les inspecteurs d'académie de France et de Navarre à sortir leurs règles, à calculer pour compter les élèves et décider du sort des classes.
En voici le déroulé pour les écoles maternelles et élémentaires : en octobre, transmission au rectorat et au ministère des prévisions d'effectifs pour l'année suivante ; en décembre, notification par le ministère du nombre de postes et répartition par le rectorat entre les départements, puis avis consultatif des comités techniques paritaires et préparation des projets de retraits et d'affectations de postes ; en janvier, information des maires concernés, pour la forme ; en février, avis consultatif du conseil départemental de l'éducation nationale et décision de l'inspecteur ; en mai, communication des inscriptions par les directeurs d'école ; en juin, ajustement des retraits et affectations après un nouveau comité technique paritaire départemental ; en septembre, ultimes ajustements au regard des effectifs le jour de la rentrée.
Quelques jours après la rentrée, après onze mois de procédure, l'usine à gaz redémarre pour l'année suivante...
Pour notre petite école, c'est le couperet. Le calcul a été simple pour M. l'inspecteur : trois élèves en moins, c'est un poste en moins, donc une classe qui ferme. Qu'importent les projets de la commune, l'administration s'est prononcée et sa sentence est irrévocable.
Telle est l'issue de ce rituel immuable qui ressemble de plus en plus à un paroxysme de bureaucratie : chaque strate administrative est appelée à se prononcer, mais, en définitive, seule compte la décision du Dasen. La complexité de la procédure pourrait faire sourire, s'il ne s'agissait de l'avenir de nos écoles et de nos communes.
Dans ce rituel très interne à l'éducation nationale, la consultation des élus locaux, lorsqu'elle a lieu, est réduite à une simple information, doublée, parfois, de l'écoute de la colère qui monte et des soutiens mobilisés.
Annuel, ce rituel est terriblement obsolète au moment où l'État ne cesse d'enjoindre les élus d'inscrire leurs politiques d'urbanisme dans une multitude de schémas de planification leur imposant de voir loin.
Jusqu'à quand l'éducation nationale restera-t-elle le seul ministère à ne pas planifier - s'agissant des effectifs du premier degré ? Le seul à adapter chaque année ses postes au décompte à l'unité près de ses usagers ? Ne serait-il pas temps de prendre en considération les demandes des acteurs du terrain, qui réclament visibilité et souplesse ?
Nous appelons de nos voeux une refonte en profondeur de la carte scolaire, notamment dans une perspective pluriannuelle. Nous voulons une contractualisation sur trois ans au moins, construite dans le cadre d'un dialogue formalisé.
Contractualisation ne signifie pas moratoire : les maires sont des élus responsables et connaissent les évolutions démographiques ; mais ils savent aussi qu'elles doivent être gérées avec discernement et tenir compte des spécificités locales - éducation prioritaire, grande ruralité, montagne... Votre prédécesseur Gabriel Attal s'était d'ailleurs engagé à maintenir 2 500 postes d'enseignant qui devaient être supprimés.
Nous avons besoin d'une démarche emboîtée entre évolution à moyen terme de l'offre scolaire et politiques de rénovation du bâti scolaire à l'heure de la transition écologique. Or la priorité donnée au bâti scolaire dans la gestion des fonds déconcentrés de l'État, répétée à l'envi rue de Grenelle, ne se retrouve pas toujours dans les consignes données aux préfets...
Il faut ouvrir le chantier de la carte scolaire pour doter l'éducation nationale de la vision de long terme qui lui fait cruellement défaut. Puisse ce débat en poser les premières pierres, en permettant la confrontation des idées dans l'esprit constructif dont le Sénat est coutumier.
Construisons un nouveau partenariat entre l'éducation nationale et les collectivités, pour que l'école tienne la promesse républicaine de n'oublier aucun territoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Laurent Lafon et Mme Mireille Jouve applaudissent également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - (M. Martin Lévrier applaudit.) On parle souvent de la France des 36 000 communes ; je parlerai ce soir de la France des 48 000 écoles.
Notre pays peut s'enorgueillir de son maillage scolaire, dense et de proximité, qui totalisait l'année dernière 58 900 écoles et établissements du second degré accueillant 12,7 millions d'élèves et apprentis. C'est un atout pour le bien-être des élèves comme des personnels.
Nous sommes attachés à préserver ce maillage autant que possible, mais notre pays connaît un ralentissement structurel de sa démographie. Depuis 2017, nous avons perdu près de 400 000 élèves. Cela suppose d'adapter notre réseau de 48 220 écoles primaires, un nombre de structures très élevé - l'Allemagne, plus peuplée, en compte moins, et l'Espagne seulement 12 300. La déprise est marquée dans certains territoires, quand d'autres gagnent en population, parfois fortement. Les situations sont donc contrastées, y compris au sein d'un même département. L'éducation nationale doit suivre ces tendances pour assurer de bonnes conditions d'apprentissage à chaque élève et le bon déploiement des politiques éducatives.
Nous avons consenti des efforts importants pour l'éducation prioritaire avec le dédoublement des classes de grande section, CP et CE1. Ces classes ont été plafonnées à 24 élèves hors enseignement prioritaire. En outre, de nouvelles unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), structures dont l'efficacité est reconnue, ont été ouvertes.
L'éducation nationale est pleinement mobilisée pour maintenir sa présence dans les territoires autant que faire se peut. Ainsi, les ajustements annuels ne suivent pas du tout les évolutions démographiques. Nous tâchons d'en tirer parti pour améliorer le taux d'encadrement des élèves et favoriser de meilleures conditions d'enseignement.
Pas moins de 12 000 postes d'enseignants ont été créés depuis 2017. Grâce à cet effort important, le taux d'encadrement a progressé de 5,46 à 6,03 enseignants pour 100 élèves en six ans. Nous continuerons de maintenir un maillage scolaire dense en procédant aux ajustements nécessaires, afin de poursuivre l'amélioration de ce taux.
Au-delà de la question des ressources humaines, l'impact de la carte scolaire sur les territoires et le ressenti des habitants sont très importants. Ancienne rectrice de Limoges, je mesure la sensibilité de ces enjeux, notamment dans les territoires ruraux.
La carte scolaire est un outil, fruit d'un travail continu mené en liaison étroite avec les acteurs locaux, à commencer par les élus. Je remercie les Dasen, qui conduisent ces politiques difficiles avec une fermeté bienveillante et une grande disponibilité. Quel que soit le travail en amont, l'annonce d'une fermeture de classe est toujours vécue difficilement.
Le Gouvernement a proposé une nouvelle méthode. Le plan France Ruralités, présenté le 15 juin dernier par Élisabeth Borne, prévoit la création d'une instance de dialogue et de concertation entre l'État et les élus pour partager le constat de l'existant et les paramètres à prendre en compte, dont les constructions nouvelles, favoriser la cohérence des politiques publiques et établir une vision prospective sur trois ans. Cet observatoire des ruralités, comme on l'appelle souvent, doit favoriser le partage des données et une vision prospective dans un contexte local précis.
Cette visibilité est indispensable pour les élus, qui hésitent parfois à s'engager dans des travaux de rénovation du bâti scolaire, pourtant nécessaires - le rapport sénatorial sur le bâti scolaire en témoigne
Cette instance doit aussi permettre le développement d'initiatives comme les territoires éducatifs ruraux et les cités éducatives.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Il s'agit de favoriser la cohérence des politiques publiques et le dialogue avec les élus. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Colombe Brossel . - À Paris, en 2013, vos services ont fermé 178 classes dans les écoles primaires publiques. Cette année, 137 fermetures de classes sont annoncées dans le premier degré, et les collèges subiront la fermeture de 58 divisions. L'enseignement privé, lui, ne verra qu'une cinquantaine de classes déconventionnées. L'enseignement public assume donc l'essentiel de la baisse démographique, ce qui le fragilise.
La baisse démographique serait pourtant l'occasion de diminuer le nombre d'élèves par classe et de réduire l'inégalité de traitement entre l'enseignement public et l'enseignement privé, au lieu de l'entretenir.
Quand et comment les fermetures de classe dans l'enseignement privé seront-elles discutées dans le même cadre démocratique qu'un CDEN ? Quand et comment comptez-vous assurer une gestion transparente et équitable de ces décisions ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - La difficulté rencontrée à Paris est liée à une baisse très importante de la démographie scolaire : il y aura plus de 2 000 élèves de moins à la rentrée 2024.
Malgré les fermetures de classes, le taux d'encadrement demeure très favorable, le troisième plus favorable du pays. Le nombre d'élèves par classe dans le primaire est passé de 25 à 20 entre 2013 et 2023. Quelque 39 ouvertures de classes sont prévues, dont 21 liées à la politique de dédoublement en éducation prioritaire et 16 au plafonnement des classes à 24 élèves. Dix postes de remplaçants seront également ouverts.
S'agissant des relations avec le privé, nous fonctionnons comme cela a toujours été le cas. Je traiterai cette question avec le nouveau recteur de Paris.
Mme Colombe Brossel. - Sauf votre respect, vous n'avez pas complètement répondu à ma question. Il n'est pas normal que les fermetures et ouvertures de classes ne soient pas traitées officiellement en CDEN. En pratique, le seuil de 24 élèves par classe sera dans bien des cas largement dépassé !
M. Jacques Grosperrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il était une fois une commune de Doubs, Arcey, à qui l'inspecteur d'académie a demandé de regrouper les écoles de sept communes en un seul établissement. Un million d'euros ont été dépensés, des efforts ont été faits, mais, patatras, le conte de fées se termine mal : la fermeture d'une classe est décidée...
Il faut tenir compte de la ruralité et raisonner par bassin de vie. Vos annonces sur un cadre triennal nous intéressent. Mais l'observatoire des dynamiques rurales n'a pas de budget pluriannuel. Dans ces conditions, à quoi peut-il servir ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je crois beaucoup à cet observatoire pour partager avec les élus les constats et les données liées aux politiques menées et tracer une vision prospective. Cela n'enlève rien au choc que constitue l'annonce de la fermeture d'une classe, mais je crois possible de construire des politiques cohérentes et concertées.
Je ne connais pas la commune dont vous parlez, mais le Doubs connaît une baisse démographique importante : 2 628 élèves en moins pour la rentrée 2024. Le taux d'encadrement dans ce département n'en évolue pas moins favorablement dans la durée.
M. Jacques Grosperrin. - Ma question portait sur le budget de l'observatoire, qui n'est pas pluriannuel. Il y a une contradiction forte entre les projets DETR permis par les préfets et les baisses d'effectifs dans les écoles. Le désarroi des maires est patent.
M. Dany Wattebled . - En milieu rural, les familles sont les premières victimes des fermetures de classes, qui entraînent souvent des allongements de trajets. Les petites et moyennes communes perdent en attractivité. Diminuer l'offre éducative, c'est condamner ces territoires au déclin.
Nos maires, démunis, nous font part d'inégalités territoriales flagrantes. Même si les moins de 3 ans ne sont pas comptabilisés dans les effectifs scolaires, certains inspecteurs d'académie donnent pour consigne aux directeurs d'établissement de ne pas les accepter... Un cercle vicieux s'engage qui conduit à des déserts éducatifs. Ce sont parfois des fratries entières qui doivent changer d'établissement, voire de commune.
Nos enfants méritent mieux que cette logique comptable, fondée sur des chiffres déshumanisés. Des efforts ont été consentis pour les zones d'éducation prioritaire. Pourquoi ne pas faire les mêmes pour les écoles rurales ? Une cour de récréation sans enfants, c'est la mort de la commune !
Mme Nicole Belloubet, ministre. - La scolarisation des enfants dès 2 ans est un enjeu particulièrement suivi, notamment en matière d'égalité des chances.
Grâce à ce dispositif, nous avons pu ouvrir 60 nouvelles classes de très petite section, principalement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. C'est un objectif complexe, car il suppose de construire un rapport de confiance avec les familles.
Le nombre d'enfants de 2 ans scolarisés a augmenté pour s'établir à 12 700 en 2022. Le taux de scolarisation des enfants de 2 ans est de 9,9 % et atteint 17 % dans l'éducation prioritaire.
Notre volonté en la matière ne s'applique pas seulement aux quartiers de la politique de la ville, mais aussi à la ruralité. Je comprends mal qu'on puisse s'opposer à la scolarisation d'enfants de 2 ans...
M. Dany Wattebled. - Passez le message dans le Nord ! Des maires m'ont saisi sur le sujet.
M. Claude Kern . - Les fermetures de classes dans nos territoires entraînent un bouleversement des investissements décidés par les élus pour préserver un service public de qualité.
L'élaboration de la carte scolaire ne peut plus être dictée par une seule logique comptable. Il est contradictoire et épuisant pour les élus de s'inscrire dans les dispositifs de redynamisation pour subir ensuite le couperet des fermetures de classes.
Il est urgent de développer une concertation humaine et pragmatique, ainsi qu'une approche fine et différenciée. Pouvez-vous garantir que l'engagement pris par vos prédécesseurs pour une carte scolaire stable sur trois ans sera respecté ? Allez-vous vous affranchir de la stricte application d'une logique démographique ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - La logique numérique n'est pas seule prise en compte. Nous tenons aussi compte de paramètres liés au positionnement socioprofessionnel des familles, à l'éloignement... L'administration centrale ne s'appuie donc pas sur les seules données démographiques. Je le répète : depuis 2017, moins 400 000 élèves, plus 12 000 enseignants.
Cela n'aboutira pas à un moratoire pour les trois ans qui viennent - cela ne serait pas possible. En revanche, je souhaite aboutir à une méthodologie claire et contractualisée avec l'AMF, pour une meilleure cohérence des politiques publiques et un dialogue soutenu avec les élus.
M. Claude Kern. - Je compte sur vous pour faire passer le message, car, localement, il n'est pas toujours interprété de la même manière...
Mme Monique de Marco . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le code de l'éducation énonce que l'éducation est la première priorité nationale et que le service public de l'éducation contribue à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales.
Datant de 2015, la carte de l'éducation prioritaire est dépassée et ne correspond plus aux réalités actuelles de la pauvreté. Plusieurs communes soulignent que des écoles, exclues, mériteraient d'être accompagnées. En Gironde, par exemple, les écoles d'Ambès ne sont pas classées en REP, alors que les populations concernées sont en grande difficulté.
Dans mon académie, 40 postes sont supprimés dans le seul premier degré, dont 17 en Gironde. Dans ces conditions, l'école de la République, même portée à bout de bras par celles et ceux qui font la classe au quotidien, n'est plus en mesure d'endiguer les inégalités sociales et territoriales.
Allez-vous enfin réviser la carte de l'éducation prioritaire pour prendre en compte les réalités sociales actuelles ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Tout le monde parle de réviser cette carte, mais peu s'y attellent... Dans ma lettre de mission, le Premier ministre qui me demande d'y travailler. Je vais donc le faire, mais sans doute pas pour la rentrée prochaine, car cela doit se travailler très en amont, dans le dialogue avec les élus et les personnels.
On ne doit toucher à cette carte qu'avec des pincettes. Je vais m'y employer en prenant le temps de le faire bien et en allant vers une plus grande mixité scolaire et sociale.
Vous évoquez les fermetures de classes en Gironde. Il y en a 36, mais je note aussi un effort important pour l'école inclusive, une attention particulière portée à la ruralité avec quinze mesures de sauvegarde et un dialogue nourri avec les élus.
M. Gérard Lahellec . - (Applaudissements à gauche) Dans les Côtes-d'Armor, le retrait de 19 postes en 2023 s'est soldé par 46 fermetures de classes dans le premier degré. Quelque 45 retraits de postes sont prévus pour la rentrée 2024. Des ajustements ont certes été annoncés, mais marginaux.
Ces révisions successives de la carte scolaire déstabilisent le financement d'un service public éducatif de qualité. Elles aboutissent à une remise en cause des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) et ne tiennent pas compte des investissements communaux. La suppression d'un poste oblige parfois la collectivité à envisager de nouvelles dépenses d'investissement pour aboutir à un service dégradé ! Il n'est pas concevable de ne pas associer les élus locaux aux décisions.
Il faut avant tout se poser la question de la qualité de l'offre éducative. Un établissement rural sur cinq dans mon département est concerné par des violences. Drôle de réponse que celle qui consiste à supprimer des emplois...
La laïcité est aussi contrariée, alors que la loi Blanquer de 2019 a opportunément consacré la scolarisation à 3 ans.
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je suis particulièrement attentive aux RPI. Dans votre département, le rectorat a souhaité revenir sur une suppression, à Lohuec, et même en ouvrir un nouveau, à Plusquellec. (M. Gérard Lahellec en convient.) Preuve que nous soutenons ce dispositif.
Le taux d'encadrement ne diminue pas dans votre département. Il compte même parmi les plus élevés de votre région académique.
La laïcité est un principe fondateur de l'école. Aucun enseignement efficace n'est possible sans ce terrain neutre. C'est pourquoi nous serons intransigeants en la matière.
Mme Mireille Jouve . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'éducation n'est certes pas une compétence régalienne, mais c'est un enjeu fondamental - et une mission difficile dans une société en perpétuelle évolution. Le Président de la République et le Premier ministre mobilisent toutes les énergies pour cette cause nationale.
Dès lors, pourquoi sommes-nous confrontés à tant de difficultés en matière de carte scolaire ? Pourquoi décider de fermetures de classes au trébuchet d'indicateurs démographiques sans consulter ceux sur lesquels le Gouvernement s'est appuyé pendant la pandémie : les maires, qui ont une connaissance fine, presque scientifique, de leur territoire ?
Si je me félicite des moyens substantiels accordés aux écoles de Marseille, je vous invite à venir à Mouriès, commune touchée par la fermeture de classes alors même que des logements sont en construction. Vous pourrez y constater les effets délétères d'une politique consistant à fermer des classes au gré de statistiques. La France des villages et des campagnes a le sentiment d'être tenue pour quantité négligeable ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je connais bien Mouriès, car je n'habite pas très loin... Le département des Bouches-du-Rhône a perdu plus de 5 000 élèves entre 2018 et 2023, ce qui aurait dû entraîner une perte de 234 emplois. Or l'État y a créé 360 emplois sur la même période.
Nous avons dédoublé la totalité des classes de grande section, CP et CE1 en éducation prioritaire et plafonnons progressivement les classes ailleurs. Le taux d'encadrement s'est bien amélioré. Nous avons créé également 95 emplois pour les élèves en situation de handicap.
Pour la rentrée 2024, nous prévoyons 1 800 élèves de moins. Il devrait y avoir 82 retraits. Or la dotation au département est sanctuarisée, ce qui améliorera encore le taux d'encadrement.
Malgré le programme de construction de logements à Mouriès, la commune a perdu 47 élèves depuis 2018, soit l'équivalent de deux classes. Le taux d'encadrement est toutefois resté stable. La qualité éducative et l'attractivité du village sont donc maintenues.
J'espère que les modalités nouvelles d'élaboration de la carte scolaire permettront de mieux répondre à ces besoins.
M. Martin Lévrier . - Assurer à tous les élèves une école publique de proximité, répartir équitablement les élèves entre les écoles, sont notamment des objectifs fixés dans le plan France ruralités.
Je suis interpellé souvent par des maires, à l'image de M. Solaro, maire de Gommecourt, dans les Yvelines, qui désespère de la fermeture d'une de ses trois classes.
Ce plan en trois axes vise à améliorer le service public de l'éducation en milieu rural. Il a suscité des moyens importants et permet de dynamiser les territoires ruraux par l'école, en renforçant leur attractivité et l'offre pédagogique. Un an après son lancement, pouvez-vous nous préciser les avancées réalisées ? Prévoyez-vous l'extension des territoires éducatifs ruraux à tous les territoires ruraux d'ici à 2026, et de financer des projets éducatifs locaux construits avec les acteurs du territoire ? Quelles priorités entendez-vous fixer pour poursuivre l'amélioration de l'éducation en milieu rural ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je suis attentive à ce qu'Élisabeth Borne a présenté dans le cadre du plan France ruralités voilà neuf mois.
Je crois beaucoup à la nouvelle instance de dialogue mise en place. Elle est déjà expérimentée dans certains territoires. Dans les Yvelines, il faut y apporter une attention soutenue. Son déploiement est assez inégal au niveau national. J'y veillerai pour l'année prochaine.
Nous comptons 190 territoires éducatifs ruraux et 212 environ sont en cours de déploiement. Cette modalité de travail entre écoles et collèges permet de mieux prendre en charge les enfants sur les temps scolaire et périscolaire, et offre de très bons résultats. Nous travaillons à la généralisation du dispositif.
Nous avons aussi des projets autour des places d'internat d'excellence. Certains jeunes n'ont pas l'audace d'aller plus loin, pour chercher la formation qui leur convient. Nous comptons y travailler.
M. Adel Ziane . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.) Madame la ministre, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation avec les représentants de la Seine-Saint-Denis.
Depuis le 26 février, professeurs, parents et élèves se mobilisent contre le manque de moyens de l'école publique en Seine-Saint-Denis. Ce constat alarmiste a été corroboré par le rapport des députés Stéphane Peu et Christine Decodts, qui estiment que l'école ne tient pas sa promesse républicaine dans ce département.
La fermeture de 227 classes - contre l'ouverture de 198 - dans le premier degré exacerbe les inquiétudes. Seuls 40 postes sont prévus sur les 130 de l'académie de Créteil, dont 15 postes pour les brigades de remplacement en REP+.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en octobre 2023, 35 % des absences n'étaient pas remplacées dans le premier degré en Seine-Saint-Denis, contre 22 % au niveau national. Un élève de Seine-Saint-Denis aura cumulé un an de moins d'enseignement d'ici à son baccalauréat. La France est l'un des pays dans lequel l'origine sociale pèse le plus sur les destins scolaires. Or 60 % des élèves de mon département relèvent de l'éducation prioritaire, contre 20 % au niveau national.
Le développement d'une politique volontariste en matière de mixité scolaire comme la sectorisation appliquée en Haute-Garonne produit de très bons résultats. Aux côtés des élus de Seine-Saint-Denis, nous avons appelé à un choc d'égalité. Envisagez-vous un plan d'urgence ? Quelle est votre position sur le besoin de mixité sociale scolaire et la nécessité d'un brassage social dans la durée ? La carte scolaire est-elle un outil pour favoriser une telle mixité ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - La décorrélation des inégalités scolaires et sociales est une priorité. Une offre de formation qualifiée et la sectorisation, avec d'autres outils, peuvent y remédier.
Pas moins de 1 500 postes ont été implantés en Seine-Saint-Denis dans le premier degré depuis 2017. Pour la rentrée prochaine, 1 240 élèves en moins sont prévus avec 40 moyens d'enseignement nouveaux prévus. Auxquels s'ajoutent des moyens liés aux décharges de direction, à la scolarisation des élèves en situation de handicap, au plafonnement à 24 élèves, au dédoublement des classes... Un effort est réellement fait pour traiter les différences de la Seine-Saint-Denis. Mon engagement est très fort en faveur de la mixité scolaire.
Mme Agnès Evren . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À Paris, la situation est gravissime, car les familles subiront une vague de fermetures de classes.
En 2023, Paris était l'académie la plus touchée de France : 178 classes fermées et plus de 330 postes d'enseignants supprimés. En 2024, 134 classes seront fermées et 125 postes supprimés. Le second degré n'est pas épargné avec 78 postes supprimés, et plusieurs collèges sont menacés de fermeture. La baisse démographique de Paris ne justifie pas une telle saignée. Conserver ce rythme de suppression est un choix disproportionné.
Les parents et les personnels vous demandent de rompre avec cette logique statistique. Je vous ai écrit à ce sujet avec le maire du 15e arrondissement : à l'école Falguière, nous devons créer trois classes de double niveau CM1-CM2, avec 28 élèves par classe.
Ces fermetures sont d'autant plus graves qu'elles ont lieu dans les arrondissements de l'Est parisien où se trouvent des élèves scolairement fragiles. Que comptez-vous faire pour limiter ces fermetures de classes ? (Mme Colombe Brossel applaudit.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - J'entends bien votre émotion.
Nous avons une exigence d'équité territoriale. En regardant les chiffres, Paris a le meilleur taux d'encadrement de France dans le premier degré, et de loin. Je ne parle pas d'égalité, mais d'équité entre les élèves.
L'académie de Paris a conduit des travaux auxquels les élus ont été associés. J'ai reçu quelques parents du 18e et du 19e arrondissement, mais les situations sont prises en compte dans le cadre de l'éducation prioritaire.
Mme Agnès Evren. - On le sait, trop de déterminismes sociaux pèsent sur le système éducatif. L'objectif était de ne pas dépasser 24 élèves par classe, nous sommes à 28. Soyons plus vigilants, notamment dans les arrondissements les plus fragiles, pour relever le niveau des élèves.
Mme Annick Billon . - Depuis 2019, l'article 25 de la loi pour l'école de la confiance impose de comptabiliser les élèves en situation de handicap bénéficiant d'un dispositif Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) dans les effectifs des établissements. Or ce n'est pas le cas dans une école primaire des Sables-d'Olonne. Dans un courrier de réponse adressé aux parents d'élèves, nous pouvons lire la phrase suivante : « le handicap des élèves orientés en Ulis ne permettant pas d'envisager une scolarisation individuelle continue dans une classe ordinaire, ils ne peuvent être comptabilisés dans la masse globale de l'école. » Les élèves Ulis de cet établissement passent plus de 80 % de leur temps scolaire dans leur classe aux côtés de leurs camarades. Au lieu de la loi c'est une circulaire obsolète de 2015 qui est appliquée.
La perspective de voir des classes surchargées inquiète parents d'élèves et enseignants. Le caractère obligatoire de la prise en compte des effectifs Ulis dans les effectifs globaux a été confirmé par votre ministère. Que comptez-vous faire pour remédier à ce comptage illégal ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Vous soulevez une question récurrente. La loi de 2019 pour une école de la confiance a modifié l'article L. 351-1 du code de l'éducation en imposant le décompte des élèves bénéficiant d'un dispositif Ulis.
Mais dans certaines académies ou départements, les dispositions de la loi ne sont pas strictement appliquées. Je vais donc reprendre mon bâton de pèlerin, peut-être par missives interposées, pour rappeler l'application de la règle et la façon dont ces élèves doivent être comptés.
Toutefois, nous pensons qu'il ne reste que des cas résiduels, peut-être que les Sables-d'Olonne en font partie. Je m'engage néanmoins à attirer l'attention des services académiques départementaux sur ce sujet.
Les dispositifs Ulis bénéficient notamment d'un enseignant spécialisé en plus et d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) supplémentaires pour prendre en charge les élèves pendant un temps donné.
Mme Karine Daniel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) À la rentrée 2023, la balance entre ouvertures et fermetures se soldait par la suppression de 2 250 classes. Ce chiffre alarmant sera dépassé à la rentrée prochaine.
Partout sur le territoire national, parents d'élèves, syndicats, personnel scolaire et élus se mobilisent contre ces fermetures.
En Loire-Atlantique, 87 classes sont menacées de fermeture : comment ces fermetures sont-elles décidées ? Elles s'appuient sur des chiffres qui sont en contradiction avec les remontées de terrain. C'est le cas du collège Auguste Mailloux, au Loroux-Bottereau, où une classe de quatrième doit fermer, en raison de seulement quelques élèves en moins. Dans le secondaire, ces choix sont portés par les chefs d'établissement et les cadres de l'éducation nationale qui doivent choisir entre des activités et des fermetures de classe. Ils sont entre le marteau et l'enclume.
Le taux d'encadrement français est élevé au regard de la moyenne européenne. Qu'est-ce qui justifie d'augmenter les effectifs par classe alors que l'on constate une augmentation constante des troubles du comportement, des enfants en situation de handicap non accompagnés, abandonnés sans solution de scolarisation, du décrochage scolaire ? Les familles et les enseignants vous alertent, ils ne se sentent pas écoutés.
Par le dédoublement de classes, vous reconnaissez que les effectifs réduits sont un plus pour l'enseignement. Mais en parallèle, ils font que moins de professeurs sont disponibles pour d'autres zones, notamment rurales. Nous demandons que des rééquilibrages aient lieu et que la carte scolaire soit reprise. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je ne reviens pas sur la méthode. Dans votre département, vous avez perdu 1 500 élèves à la rentrée 2023 et ce sera 700 à la rentrée 2024 ; vous devrez rendre 25 postes. Au total, on comptabilise 87 fermetures, mais aussi 39 ouvertures, ce qui n'est pas négligeable.
L'observatoire des dynamiques rurales a été réuni au moins une fois, en janvier. Des réflexions ont été partagées sur la ruralité qui représente 25 % de votre département. Un dialogue avec les élus s'est noué et une attention a été portée aux écoles des communes rurales isolées. Pas moins de cinq fermetures n'auraient pas été prononcées dans des écoles de six classes ou moins alors qu'elles auraient pu l'être si nous avions suivi une logique purement arithmétique.
Une phase d'ajustement a lieu au mois de juin pour faire évoluer la situation.
M. Stéphane Sautarel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce débat est le bienvenu pour nos territoires ruraux dont le Cantal est un exemple. Nous recevons cependant des réponses déconnectées du terrain...
Ne me répondez pas sur le taux d'encadrement, ce n'est pas le débat. Le dispositif France ruralités devait instaurer un dialogue et inscrire l'élaboration de la carte scolaire dans une perspective pluriannuelle. Il n'en a rien été.
Allez-vous respecter la parole du Gouvernement et mettre en place un moratoire pour éviter toute fermeture de classe ? C'est une question de confiance et une question démocratique d'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Comme je suis complètement déconnectée du terrain, ma réponse ne vous satisfera pas. Cet observatoire des dynamiques rurales s'est tenu le 18 décembre et le 13 janvier dernier dans votre département.
Je ne raisonne pas qu'avec des chiffres ; ceux-ci ne sont que des indicateurs d'une politique qui doit rester humaine.
Le nombre d'élèves par classe sera de dix-sept dans votre département, aucune école n'aura plus de vingt élèves par classe.
M. Laurent Burgoa. - Et la distance ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je souhaite qu'un dialogue s'instaure, fondé sur un partage des chiffres, articulé autour d'une cohérence des politiques de l'État, et que nous décidions ensemble des perspectives d'avenir d'un département ou d'un territoire.
M. Stéphane Sautarel. - Je ne voulais pas vous offusquer, madame la ministre (Mme Nicole Belloubet s'en amuse), mais quand vous parlez de dialogue, de confiance et de concertation, il n'y en a pas.
Les réseaux d'éducation prioritaire (REP) sont concernés aussi par les coupes. J'entends les dix-sept élèves par classe, mais la réalité des territoires de montagne c'est l'éloignement, la fracture territoriale. Vous devez l'entendre. France ruralités devait être une réponse ; c'est une grande déception. Envoyez quelques signaux à notre territoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Burgoa. - Allez dans le Cantal !
M. Hugues Saury . - Pas moins de 85 classes fermeront dans le Loiret, qui s'ajoutent aux 47 fermetures l'année dernière. Beaucoup sont en zone rurale. Ces fermetures suscitent la colère des habitants.
De nombreux élus des territoires ruraux font des efforts financiers pour mettre leurs écoles aux normes et préserver les services publics essentiels à leur village.
Or ces fermetures privent les territoires ruraux de perspectives d'installation de nouvelles familles. La carte scolaire aboutit à un déséquilibre entre la poursuite, louable, du dédoublement des classes en milieu urbain dense et l'accélération des fermetures de classes en zone rurale. Un moratoire doit être posé sur ces fermetures en milieu rural et pour éviter aux familles des contraintes de déplacement trop importantes.
Que comptez-vous faire pour y remédier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Toutes les évaluations le montrent : les élèves des territoires ruraux réussissent plutôt mieux. Leurs résultats aux examens sont supérieurs à la moyenne nationale. Nous devons travailler sur l'orientation de ces élèves qui ont parfois des freins, notamment en raison de leur éloignement géographique.
Cette dernière question est importante, pour le Cantal comme pour d'autres territoires.
Nos dotations académiques tiennent compte de l'éloignement.
Nous souhaitons encourager des dispositifs comme les territoires éducatifs ruraux afin de déployer un parcours d'orientation des élèves. Nous souhaitons développer également les internats d'excellence ruraux ; des crédits sont inscrits dans la loi de finances. Nous souhaitons aussi promouvoir les Cordées de la réussite, destinées aux territoires en éducation prioritaire des zones rurales et isolées et travailler sur le raccordement à l'internet à haut débit.
M. Hugues Saury. - Ce n'est pas ce que je constate dans mon département. Il y a un traitement différencié entre l'écolier urbain et l'écolier rural. C'est une injustice scolaire, sociale et territoriale. Un tiers de la population française vit en milieu rural, selon l'Insee. En milieu rural, on n'a pas de médecin, pas de services publics et de moins en moins d'écoles. La survie de nos écoles de campagne est une priorité. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Bruno Rojouan . - La pédagogie étant l'art de la répétition, ne nous gênons pas ce soir... (Sourires) Je ne vais pas vous faire la liste des communes de l'Allier à qui on a annoncé des fermetures de classes. Depuis plusieurs années, la population de ce département vieillit. Pour autant, faut-il continuer à y fermer des classes ?
De nombreux efforts et crédits ont été déployés dans les zones urbaines, notamment dans les quartiers de la politique de la ville (QPV). Sans vouloir opposer banlieue et campagne, on constate néanmoins que de nombreuses zones rurales sont défavorisées. Dans ces zones fragilisées, les postes d'enseignant doivent être préservés, pour donner aux enfants les mêmes chances qu'ailleurs.
QPV doit signifier aussi bien Qualité pour nos villages que Quartiers prioritaires de la politique de la ville ! (M. Olivier Paccaud apprécie.)
Un moratoire de trois ans sur les suppressions de postes serait une garantie minimale apportée à ces territoires dont on parle peu, mais qui en ont tant besoin. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je ne peux pas instaurer un moratoire durant trois ans. Je suis prête à changer la méthode, à dialoguer, à prévoir une réponse sur la carte scolaire cohérente avec les politiques publiques. Mais je vous mentirais si je m'engageais sur un moratoire.
Je m'engage en revanche à instaurer le dialogue sérieux dont j'ai parlé, avec l'ensemble des services du ministère et des inspections académiques.
Sur l'idée de dessiner des quartiers de la ruralité à l'image des QPV, l'idée des territoires éducatifs ruraux est bien de stabiliser un nombre d'élèves, si possible, de sécuriser leur parcours culturel, éducatif et d'orientation et de prêter attention à l'évolution des effectifs.
M. Bruno Rojouan. - J'allais dire : ah ! Le fameux taux d'encadrement des ministres de l'éducation nationale... (Sourires)
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je n'en ai pas parlé !
M. Bruno Rojouan. - Sans école, impossible d'attirer les familles. C'est un défi à relever pour ces territoires.
Mme Sabine Drexler . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au regard de son ancrage dans l'espace du Rhin supérieur, l'académie de Strasbourg soutient le développement du bilinguisme, avec une priorité donnée à l'enseignement de l'allemand. Cette politique a des effets de bord sur la carte scolaire. Le regroupement pédagogique intercommunal (RPI) de Ferrette dans le Jura alsacien illustre bien ce problème.
Cette école, qui réunit sept communes, propose à la fois un enseignement monolingue et bilingue.
On attire mon attention sur les conséquences de son attractivité qui met en péril le précaire équilibre budgétaire des communes membres du syndicat, qui prennent intégralement à leur charge les frais de fonctionnement de la structure. Un tiers des élèves n'habite pas dans l'une des sept communes. Leurs communes de résidence ne sont pas tenues de participer à ces frais. Dans la majorité des cas, elles ne contribuent effectivement pas, arguant du fait qu'elles financent déjà leur propre école, ce qui est compréhensible, et que le succès du RPI menace la survie de classes.
Que faire pour soulager les communes membres de ce type de syndicat sans mettre en péril l'équilibre de la carte scolaire du secteur ?
Mme Nicole Belloubet, ministre. - Je comprends ce que vous évoquez. Je ne suis pas certaine d'avoir la réponse à votre question.
La réalité de la commune de Ferrette est double, si je comprends bien : une attention portée au bilinguisme, incarnée par un RPI dynamique, et une déprise démographique, caractéristique de la zone dite du Sundgau.
Le RPI attire donc des élèves des communes limitrophes, dont les maires refusent de contribuer aux charges induites pour ne pas voir le nombre d'élèves de leurs écoles diminuer. L'État n'a pas les moyens de prendre en charge les besoins du RPI. Un dialogue entre maires doit s'installer. L'observatoire des dynamiques rurales pourrait être le lieu d'un dialogue à ce sujet. C'est l'espoir que je forme pour ce RPI qui mérite d'être soutenu.
M. Olivier Paccaud, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) S'il est un triste marronnier, une ritournelle amère que personne n'entend avec plaisir quand vient l'hiver, c'est bien la litanie des fermetures de classes.
L'école occupe une place à part entière dans notre société depuis 150 ans. Premier bastion de la République conquérante, protectrice et fédératrice, elle fut incarnée entre 1890 et 1930 par ces mairies-écoles en brique rouge, expression concrète de l'égalité des droits et des chances promises par Marianne.
Dans notre France archipellisée où les communautarismes et les individualismes rongent notre unité, n'est-elle pas le dernier refuge de la République en souffrance, oasis du vivre-ensemble qui sombre dans les sables mouvants du consumérisme et du narcissisme ?
L'école, c'est encore un pré carré municipal que l'ogre intercommunal n'a pas mis à son menu. C'est bien plus qu'un simple lieu de transmission des savoirs.
Tous ces liens historiques, politiques et affectifs expliquent l'attachement charnel des Français à leur école, notamment dans la ruralité.
L'école, c'est la vie du village, répètent en choeur les maires des petites communes, qui font de leur mieux pour équiper et entretenir les bâtiments scolaires - presque toujours leur priorité absolue.
Chaque année, des cohortes de parents d'élèves, enseignants, élus, s'indignent et manifestent contre les suppressions de postes annoncées. Le murmure va crescendo. Le couperet s'abat souvent trop brutalement, ressenti comme un diktat, sans concertation préalable avec les élus concernés. Leur justification se heurte à des contradictions de l'éducation nationale : est-il cohérent de voir certains inspecteurs de circonscription encourager des regroupements pédagogiques concentrés, dont la construction coûte plusieurs millions d'euros, pour y fermer une classe à la rentrée suivante ?
Si personne ne conteste les répercussions de la baisse de la natalité, si les chiffres brandis par la ministre devraient rassurer, il y a partout un profond malaise, car il se pose un problème de méthode et de philosophie. La bonne méthode, c'est le dialogue en amont, plutôt que la vision technocratique.
Est-il logique de fermer une classe en raison d'une baisse momentanée du nombre d'élèves dans une commune qui connaît pourtant une hausse de naissances ou plusieurs arrivées de familles avec enfants ? La bonne méthode, c'est peut-être un moratoire quand un programme de construction est en cours d'achèvement. La bonne méthode, c'est la confiance envers les élus.
Comment accepter, pour des parents, élus, enseignants, la fermeture d'une classe où il n'y a que 18 élèves alors qu'à quelques kilomètres de distance la même inspection académique se glorifie de bons résultats d'une classe dédoublée, de 12 élèves ? Cette même inspection académique ne sera pas gênée par des classes de 27 à 29 élèves à double ou triple niveau...
La misère sociale et scolaire n'existe pas que dans les QPV. N'oublions jamais les difficultés de la ruralité.
La révision de la carte de l'éducation prioritaire fait partie des solutions, chère Monique de Marco, tout comme le passage de la logique de réseau à celle d'écoles de l'éducation prioritaire : une logique de point de croix, au cas par cas.
La discrimination positive tristement sélective pose problème.
L'enjeu, c'est le maintien de l'égalité des chances partout, pour tous. Cela commence à l'école. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Monique de Marco applaudit également.)
M. Jacques Grosperrin. - Bravo !
La séance est suspendue à 20 h 15.
Présidence de Mme Sophie Primas, vice-présidente
La séance est reprise à 21 h 45.
Assainissement cadastral et résorption du désordre de la propriété
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à proroger la loi n°2017-285 du 6 mars 2017 relative à l'assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété, présentée par M. Jean-Jacques Panunzi et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Jean-Jacques Panunzi, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Louis Vogel applaudit également.) Le sujet de la normalisation foncière revient, sept ans après l'adoption de la loi du 6 mars 2017, qui avait été le fruit d'un long travail pour apporter des solutions aux territoires touchés par des désordres fonciers. Ces désordres sont marginaux à l'échelle nationale, mais touchent plus particulièrement certaines régions, en premier lieu la Corse, où 6,4 % des biens sont non délimités, contre un taux national de 0,4 %.
Les arrêtés Miot ne reposaient pas sur le principe d'exonération, mais sur celui d'absence de sanction en cas de non-déclaration d'une succession, en raison d'une indivision généralisée et d'une extrême pauvreté. La suppression de la contribution foncière en 1949 a entraîné une exonération de fait.
Ce désordre foncier est source d'insécurité juridique et a des effets économiques néfastes.
L'absence de titre de propriété empêche tout d'abord les citoyens de recourir aux dispositions de droit civil relatives à la propriété immobilière et entrave toute possibilité d'accès à l'emprunt. Les indivisions diluent les responsabilités et participent au délabrement des biens. Les contentieux familiaux sont nombreux.
L'État et les collectivités territoriales en pâtissent aussi : le recouvrement de l'impôt sur le foncier et sur la transmission est un parcours du combattant. Les droits de succession étaient de 6,7 millions en 2013, quatre fois plus en 2021. La dynamique de titrement, avec le concours du groupement d'intérêt général pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (Girtec) y est pour beaucoup.
Les mairies sont aussi en difficulté pour appliquer la réglementation environnementale ou celle relative aux immeubles menaçant ruine. De trop nombreux biens sont laissés à l'abandon.
La loi de 2002 a établi des périodes transitoires. Le Girtec, créé par la loi de 2006, n'a été opérationnel qu'en 2009 ; sa pérennité est désormais assurée, car le travail de reconstitution des titres sera long.
Il faut proroger jusqu'en 2037 les dispositions de la loi de 2017.
La situation évolue favorablement, mais il reste encore beaucoup à faire. En 2009, 406 000 parcelles étaient sans propriétaire, contre 313 000 aujourd'hui, sur le million de parcelles corses. Reconstituer un titre de propriété peut prendre plusieurs années. Un report de dix ans est donc nécessaire sur quatre des cinq articles de la loi de 2017.
Madame la ministre, l'article 2 relatif aux règles de majorité dans les indivisions n'est toujours pas appliqué, sept ans après sa promulgation, faute de procédure associée. J'ai saisi la Chancellerie pour qu'elle prenne un décret ou une circulaire permettant aux notaires d'agir - en vain.
D'autres territoires sont concernés - tous ruraux, montagneux ou insulaires, où le rapport à la terre est viscéral.
Aucune famille ne veut se retrouver dans la situation de Lamartine qui écrivait en 1860 : « J'ai été obligé de signer la vente de la moelle de mes os, à un prix de détresse qui ne représente ni la valeur morale ni la valeur matérielle. J'ai emporté avec des larmes, en quittant le seuil, les vestiges de ma mère et les reliques de ma jeunesse. »
Ce n'est pas une fatalité. Il faut que la représentation nationale prenne à bras-le-corps cette question et y réponde justement.
En février 2017, ce texte avait obtenu un soutien massif dans cet hémicycle ainsi qu'à l'Assemblée nationale. Le 28 mars dernier, l'assemblée de Corse, consultée pour avis, a rendu un avis favorable à l'unanimité. Toutes les conditions procédurales et politiques sont donc réunies. Tenez-en compte et adoptez largement cette proposition de loi.
Je remercie le rapporteur Reichardt, ainsi que le ministre de l'intérieur pour son engagement constant, concret et opérationnel ; merci, madame la ministre, pour votre présence. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. Thani Mohamed Soilihi et Louis Vogel applaudissent également.)
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a sept ans, notre assemblée adoptait la loi qu'il est proposé de proroger. Cela témoigne de l'engagement des parlementaires pour répondre au désordre foncier et de l'irrégularité cadastrale qui caractérise la Corse depuis deux siècles, du fait de l'absence de titres de propriété, de l'inexactitude du cadastre et d'une forte proportion d'indivisions successorales.
C'est la conséquence de l'arrêté Miot de juin 1801, qui a aboli les sanctions pour défaut de déclaration de succession - entraînant l'arrêt de leur règlement pendant presque 200 ans. En 2017, 35 % des parcelles de l'île appartenaient officiellement à un propriétaire né avant 1910 et 15,6 % de la surface cadastrée de l'île correspondait à des biens non délimités.
Les articles 1er et 2 de la loi du 6 mars 2017 prévoyaient la sécurisation de la possession de biens par la prescription acquisitive et l'assouplissement des règles d'indivision.
Du côté des mesures fiscales, les articles 3, 4 et 5 prévoyaient des régimes d'exonération, respectivement, des droits de mutation à titre gratuit, des droits de succession et des droits de partage de succession.
Cinq ans après l'entrée en vigueur de ces mesures, la commission des lois a jugé leur bilan encourageant. Ni le Conseil notarial de Corse ni le ministère de la justice n'ont constaté de difficulté contentieuse.
Le Girtec estime que 1 868 titres ont été créés depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2017, ce qui concerne au moins 15 000 parcelles.
Ces efforts de titrement ont réduit de 4,6 points la proportion de parcelles appartenant à des propriétaires présumés décédés. Celle-ci s'établit à 30,4 % - ce qui est encore beaucoup trop.
Malgré l'incomplétude des données fiscales transmises par le ministre des finances - eh oui, pour une fois, il n'y a pas assez de chiffres ! -, on observe une hausse de 33,7 % du montant total des droits de succession perçus sur cinq ans, ce qui laisse penser que les mesures incitatives ont produit leurs effets. Le coût de l'exonération régie par l'article 3 de la loi de 2017 est évalué à 20 millions d'euros, ce qui est raisonnable.
Toutefois, plus de 300 000 parcelles - sur un million - demeurent encore enregistrées au nom de propriétaires présumés décédés, sur un total de plus d'un million de parcelles. C'est encore trop, c'est même énorme.
Pour le particulier, l'absence de titre de propriété signifie l'impossibilité de jouir de ses droits et conduit trop souvent à la dégradation des biens et à la multiplication des contentieux intrafamiliaux. Nous sommes en Corse...
Pour la puissance publique, le désordre foncier se traduit par une perte de recettes fiscales. De plus, l'absence de propriétaire identifié fait naître des risques en matière de sécurité civile ; je pense notamment aux obligations légales de débroussaillement, essentielles dans la prévention des incendies.
Il serait donc aussi improductif que dangereux de se satisfaire de l'extinction, en 2027, des mesures de 2017. C'est pourquoi la présente proposition de loi vise à les proroger de dix ans. Les articles 1er à 5 de la loi du 6 mars 2017 seraient ainsi applicables jusqu'en 2037 - mais nous sommes plusieurs à penser que cela ne sera pas une date butoir.
La résolution des situations d'indivision, la protection du droit de propriété et la régularité du cadastre sont des objectifs atteignables.
La commission des lois a choisi d'adopter cette proposition de loi en l'état et vous invite à faire de même, afin de poursuivre le travail engagé depuis sept ans. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et du RDSE)
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - Depuis plus de deux siècles, la Corse connaît une situation foncière dégradée du fait de l'absence de titres de propriété, de l'inexactitude du cadastre et d'un niveau d'indivision successorale bien plus élevé qu'ailleurs. Cette situation remonte à l'arrêté Miot de 1801. Il s'agissait de dispenser de sanction l'absence de déclaration de succession, ce qui a dissuadé les familles corses de déclarer leurs successions pendant près de deux siècles.
Deux siècles plus tard, la situation cadastrale et foncière corse est fortement dégradée, avec 300 000 parcelles dont le propriétaire identifié est né avant 1910, soit 30 % des parcelles de l'île. De surcroît, l'inexactitude cadastrale entraîne l'existence de biens non délimités sur 6,4 % des parcelles corses, contre 0,4 % pour le reste du territoire.
Les particuliers ne peuvent jouir de leurs droits de propriété ni recourir normalement aux règlements successoraux, aux donations ou au crédit. Quant à la sortie des indivisions, elle peut être très coûteuse.
Les personnes publiques ne peuvent recourir à l'impôt de manière satisfaisante, notamment pour la taxe foncière - environ 20 millions d'euros perdus.
La sécurité des personnes et des biens est aussi menacée, faute d'une application efficace de la législation sur les immeubles menaçant ruine ou concernant la prévention des incendies.
Depuis trente ans, des dispositifs dérogatoires ont été mis en place pour favoriser le titrement. Je pense notamment au Girtec, créé en 2006, avec le soutien actif du Sénat. Son renforcement est à l'étude.
La loi du 6 mars 2017 est un outil utile, qui répond à un besoin réel en Corse.
Depuis deux ans, le Gouvernement a engagé des discussions avec les élus corses, notamment dans le cadre d'un comité stratégique. Ce sujet a été abordé à plusieurs reprises, notamment par le sénateur Panunzi dont je salue l'engagement.
En prolongeant de dix ans les dispositifs de 2017, le Parlement facilitera le travail de reconstitution des titres. Grâce à la loi de 2017, 15 000 parcelles ont été titrées. Près de 100 000 parcelles ne sont plus considérées comme appartenant à un propriétaire présumé décédé, soit un quart de leur nombre estimé en 2009. Mais la situation est encore loin d'être satisfaisante.
Le cadre civil créé par la loi et les exonérations fiscales ont créé une dynamique, constatée par les notaires. Mais il reste encore d'importantes marges de progression qui appellent une prorogation de la loi jusqu'en 2037.
Le désordre foncier en Corse revêt une dimension politique et contribue à la spéculation foncière en soustrayant au marché un volume significatif de biens.
Ce dispositif dérogatoire doit être sécurisé. Ne nous privons pas d'identifier des améliorations techniques.
Donnons-nous les moyens de contribuer au maintien d'une politique volontariste de la nation en faveur de nos compatriotes corses ; le Gouvernement soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Gilbert Favreau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le présent texte vise à proroger pour dix ans les effets de la loi du 6 mars 2017.
La Corse a connu, de 1801 à 1812, un droit spécifique dispensant les héritiers de déclarer les successions. Cela a créé de nombreuses indivisions inconnues de l'administration du cadastre et des services fiscaux. Les terres corses n'avaient aucune valeur agricole et la malaria amoindrissait la valeur des terrains situés en bord de mer.
Le premier consul, corse de naissance - Napoléon Bonaparte - , ne voulait pas aggraver la pauvreté de l'île. Je salue le juriste Portalis (l'orateur se tourne vers la statue de Portalis située dans l'hémicycle), père du code civil français, document d'une clarté parfaite qui a fait du droit français ce qu'il est aujourd'hui. Malheureusement, le droit, notamment réglementaire, est devenu très abondant, ce qui pose des difficultés de lecture aux juristes...
Un arrêté a été pris le 21 prairial an IX, soit le 10 juin 1801, par M. Miot, alors administrateur général de la Corse.
Deux siècles plus tard, cette situation a été aggravée par un arrêt de la Cour de cassation du 2 janvier 1992, qui a considéré que faute de base légale, les droits de succession ne pouvaient être recouvrés.
La loi du 6 mars 2017 visait à y remédier. Une régularisation était prévue avec une exonération de moitié des taxes pour les successions ouvertes entre 2013 et 2027. Le présent texte vise à proroger ces dispositions jusqu'en 2037.
On est loin d'une régularisation complète. Le retard pris est dû au temps nécessaire pour reconstituer les titres de propriété. Il y aurait eu 100 000 régularisations, mais il en resterait 300 000. Le défaut de déclarations antérieures et l'existence de nombreuses indivisions compromettent la reconstitution des titres.
La réduction des droits de 50 % peut paraître insuffisante : le travail du notaire et du géomètre doit en effet être rémunéré. On peut donc comprendre la réticence des propriétaires face à une opération potentiellement coûteuse...
Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sabrina Agresti-Roubache applaudit également.)
M. Pierre Jean Rochette . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI) La Corse se trouve dans un désordre cadastral et foncier particulier. En 2016, près de 35 % des parcelles cadastrées étaient enregistrées comme appartenant à des propriétaires décédés, conséquence des arrêtés Miot de 1801.
Le retour au droit commun est indispensable, car les conséquences sont préjudiciables tant pour les particuliers que pour les pouvoirs publics.
La loi du 6 mars 2017 a apporté une réponse concrète à ce désordre et ses résultats sont très encourageants. Toutefois, plus de 300 000 parcelles appartiennent encore à des propriétaires présumés décédés : le travail de reconstitution des titres est loin d'être terminé. Je me félicite donc de la présentation du présent texte et remercie le rapporteur pour la qualité de ses travaux.
Le groupe INDEP est convaincu de la nécessité de poursuivre le mouvement vertueux de titrement du foncier et votera à l'unanimité en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Paul Toussaint Parigi . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Parler des spécificités corses n'est pas un péché d'autocentrisme - cette proposition de loi en témoigne...
En 1801 déjà, alors que la Corse avait été rattachée à la France trente ans plus tôt non par la vertu du droit, mais par la force des armes, elle se vit appliquer une législation d'exception adaptée à sa situation économique et géographique et à l'inexistence d'un marché foncier. La fiscalité des successions a été adaptée à une situation marquée par les indivisions et les successions orales.
Cette mesure se voulait pragmatique et transitoire ; mais elle s'est éternisée et a favorisé le maintien des propriétés en indivision.
Pendant plus de deux siècles, à cette spécificité législative, s'est ajoutée l'inaction. Aucune solution juridique satisfaisante n'a été envisagée pour y remédier, ce qui a lourdement pesé sur l'économie, dégradé le foncier et ruiné des villages entiers. Il en a résulté une absence de titres de propriété, notamment dans les zones rurales et montagneuses.
La persistance de cette exception juridique a créé non un avantage, mais une gangrène conduisant à la dégradation des biens et à de nombreux contentieux. Cela reste encore un handicap lourd pour revitaliser un monde rural qui se désertifie.
Ce mal, conjugué aux problèmes de la spéculation immobilière et du logement, rappelle le lien viscéral des Corses à leur terre, en raison de son histoire féconde et souvent traumatique.
Ce problème a vicié le rapport de la Corse avec l'ensemble français et entravé le bon développement de pans entiers de l'économie insulaire et d'une part importante de notre territoire. Et cette situation a fait naître des a priori tenaces sur notre prétendue volonté d'échapper à l'impôt - une contre-vérité.
C'est bien tardivement, sous l'impulsion des élus corses, que des mesures ont été prises. Le texte de 2017 a mis en place des mesures dérogatoires et transitoires en vue d'un retour au droit commun. Sept ans plus tard, ses effets sont satisfaisants, mais l'horizon d'achèvement des travaux de titrement semble encore lointain.
Le groupe de travail « Lutter contre la pression foncière et la spéculation immobilière en Corse » préconisait déjà des dérogations jusqu'en 2037.
Nous sommes donc favorables à ce texte qui, s'il n'était pas voté, briserait un élan, laissant à l'abandon une grande partie du patrimoine des Corses.
Un mot sur la méthode : si le texte de 2017 permet de résorber lentement des siècles d'ingérence, cela ne peut se faire à droit constant. Plane au-dessus de ces mesures le spectre de l'inconstitutionnalité. L'accord politique qui prévalait en 2017 et prévaut aujourd'hui prévaudra-t-il demain ?
Nous demandons à sortir d'un système transitoire et à entériner une situation pérenne par l'octroi de compétences adaptées. C'est en raison du risque d'inconstitutionnalité que l'inscription de la Corse dans la Constitution est nécessaire. La problématique de ce jour en soulève une autre : la capacité des Corses à conserver leur patrimoine, au vu des droits de succession qu'ils auront à payer, corollaire de l'augmentation des prix due à la spéculation immobilière.
Je vous propose d'adopter ces dispositions, tout en gardant à l'esprit que la Corse mérite la résolution à droit constant de la question foncière. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Sur l'île de Beauté, de nombreux biens immobiliers ne disposent pas de titre de propriété, en raison d'une particularité héritée de l'ère napoléonienne. Durant deux siècles, les successions n'étaient pas déclarées. Il en résulte un désordre cadastral qui pénalise tant les citoyens, privés de titres de propriété, que les finances locales. La libre administration des collectivités est mise à mal par la perte d'autonomie fiscale, d'autant qu'en quinze ans, trois fiscalités locales ont disparu.
On nous annonce un projet de loi constitutionnelle portant statut d'autonomie pour la Corse. Le présent texte démontre, si besoin était, la nécessité d'un droit à la différenciation - à la particularité, dirait Paulu Santu Parigi. Nous nous réjouissons des débats à venir sur les nouvelles compétences qui permettraient de résoudre ce problème.
Nous devons mentionner le risque d'inconstitutionnalité : donner à la Corse un pouvoir normatif propre lui permettrait de créer ses propres régimes légaux sans risquer la censure du Conseil constitutionnel. Notre groupe est toujours en faveur d'une simplification passant par une différenciation locale.
Si le besoin de résorption du désordre de propriété est un constat partagé, nous aimerions savoir si les mesures à proroger ont été évaluées. Quid de l'efficacité des dépenses fiscales visées ? Le manque d'étude d'impact pèse sur la sincérité de nos débats. Nous ne sommes pas les seuls à regretter le manque d'évaluation.
Il faut clarifier le cadastre pour mieux gérer et protéger le foncier, pour entretenir les zones naturelles d'exception. Mais cette proposition de loi ne traite qu'une infime partie du problème : rien sur la spéculation foncière ou sur la tension due aux locations saisonnières, alors que mon groupe défend le droit de vivre au pays.
Nous saluons la sécurisation juridique des biens par la procédure de prescription acquisitive et la limitation des délais de recours, mais sommes plus réservés sur l'opportunité de proroger des mesures sans évaluation préalable. Nous voterons néanmoins le texte, dans l'attente du projet de loi constitutionnelle qui apportera des solutions plus structurelles en donnant à la Corse le pouvoir d'adopter des lois adaptées à ses spécificités. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman . - Nous dérogerons à notre positionnement habituel en votant cette dérogation. Pour qui ne connaîtrait pas l'histoire de la Corse, la réalité territoriale et le rapport spécifique à la terre, cette proposition de loi serait incompréhensible. L'arrêté Miot a conduit à une situation cadastrale et fiscale qui complexifie l'aménagement du territoire par les collectivités.
C'est la force d'une République de savoir s'adapter pour prendre en compte les réalités territoriales spécifiques.
Oui, il y aura encore besoin de temps pour assainir la situation cadastrale. Oui, il faudra renforcer encore l'action du Girtec, accélérer. Il faut accepter la prolongation dans le temps du dispositif. J'entends le risque constitutionnel - mais il ne faut pas céder à l'immobilisme.
Mieux connaître le foncier permettra aux communes et à la collectivité de mieux aménager le territoire et d'augmenter leurs moyens.
Le Gouvernement a annoncé un projet de loi constitutionnelle sur la Corse ; d'ici là, nous aurons examiné un projet de loi sur le logement - problème qui se pose avec acuité dans les villes du littoral, les plus touristiques, mais aussi dans les terres et les zones montagneuses. Les jeunes générations sont contraintes de quitter leur île faute de pouvoir s'y loger. Certaines belles expériences menées il y a quelques années ont été mises entre parenthèses. Nous avons besoin d'une politique de logement ambitieuse pour la population corse.
M. Michel Masset . - Ce texte comporte deux articles : le premier proroge jusqu'en 2037 l'application de la loi de 2017 ; le second proroge les incitations fiscales au règlement des successions.
Il devrait y avoir quelque chose par nature d'insatisfaisant. Mais le droit n'est pas une chose froide et inerte ; c'est le fruit d'un contexte social et historique - mes premiers mois passés dans cet hémicycle me l'ont enseigné. Légiférer n'est pas une science mécanique, mais une oeuvre d'anticipation ; il faut sans cesse s'adapter, corriger.
Cette proposition de loi trouve son origine dans l'histoire corse, avec l'arrêté Miot de 1801, en grande partie responsable du désordre foncier actuel, fait de situations d'indivision complexes liées à une absence de titres de propriété.
La loi du 6 mars 2017 consacrait dans le code civil les actes de notoriété acquisitive, issus de la pratique notariale, pour dix ans, soit jusqu'en 2027. L'échéance se rapproche et il reste beaucoup à faire.
Nous souscrivons donc à une prorogation de dix années supplémentaires.
Derrière ce texte, nous entrevoyons d'autres problématiques : accès à la propriété, pression foncière, problèmes d'urbanisme ou d'environnement. Autant de sujets exacerbés dans un territoire insulaire, mais qui touchent toutes les collectivités - je pense à la proposition de loi de Jacques Mézard facilitant l'expropriation de biens sans propriétaire, reprise dans la loi 3DS. La question des indivisions ou des biens sans maître est bien connue dans le milieu rural.
Le RDSE, sensible à ces problématiques, votera ce texte à l'unanimité. (M. Jean-Jacques Panunzi applaudit.)
M. Thani Mohamed Soilihi . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Les mesures transitoires prévues par la loi de 2017 devaient permettre de résoudre le désordre foncier qui règne en Corse, héritage d'un arrêté de 1801 qui grève aujourd'hui la sécurité juridique des individus et empêche les territoires de recouvrer l'impôt.
Vue de l'Hexagone, la situation de la Corse est tout à fait spécifique ; mais dans nos outre-mer, elle est d'une insupportable banalité.
Avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, j'ai coordonné trois rapports procédant à une évaluation de la situation des droits fonciers dans l'ensemble des territoires ultramarins, dès 2015. La question foncière constitue dans tous les outre-mer un des verrous au développement. En Polynésie, où 58 % des parcelles sont concernées, les situations d'indivision sont devenues inextricables.
À l'instar du Girtec, des mécanismes novateurs ont été créés - je pense aux agences pour la mise en valeur de la zone des cinquante pas géométriques aux Antilles, créées en 1996, et prorogées depuis. À Mayotte, la commission d'urgence foncière, créée en 2017 et devenue opérationnelle en 2019, aide les propriétaires dans leur démarche de régularisation, via une procédure de titrement. Je salue le travail remarquable des treize personnes qui y travaillent, en sous-effectif.
Je regrette au passage le rejet de mon amendement au récent projet de loi relatif à l'habitat dégradé, visant à prolonger le régime dérogatoire issu de la loi Letchimy du 27 décembre 2018, alors que les notaires considèrent que le délai, même prorogé, ne suffira pas compte tenu du stock de dossiers en attente.
Je me suis permis cette parenthèse ultramarine avec d'autant plus de liberté que certaines des dispositions de ce texte concernent l'ensemble du territoire français.
À droit constant, il est impossible de résoudre les désordres fonciers. Ces dérogations temporaires sont indispensables pour espérer retrouver un jour le chemin du droit commun. Mais si la situation ne s'améliore pas, il faudra imaginer d'autres moyens novateurs pour encourager les propriétaires à se faire connaître. Le législateur a démontré sa capacité à imaginer des dispositions ad hoc pour dénouer des situations inextricables. Je nous invite donc dès à présent à y réfléchir. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Sabrina Agresti-Roubache applaudit également.)
M. Pierre-Alain Roiron . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi s'inscrit dans une initiative de longue haleine - cela fait plus de trois décennies. La loi de 2017 portée par Camille de Rocca Serra tentait de remédier à des difficultés cadastrales et foncières que connaît la Corse, mais aussi la Lozère ou les outre-mer.
En Corse, le désordre foncier découle du régime de l'arrêté Miot, qui a laissé la place, en 2002, à un régime fiscal transitoire. Je remercie le rapporteur Reichardt pour son travail éclairant.
Malgré les avancées réalisées depuis 2017, il reste 300 000 parcelles non attribuées. La proposition de loi du sénateur Panunzi est une reconnaissance de cette réalité, qui a des implications à long terme. Les usufruitiers ne peuvent jouir de leur droit de propriété ; la sortie des indivisions peut s'avérer très coûteuse ; les successions non réglées entraînent une détérioration des biens faute d'entretien, ainsi qu'une augmentation des prix en réduisant le foncier disponible. La personne publique ne peut recouvrer l'impôt, ce qui restreint la capacité des collectivités à entretenir leur territoire. La rareté des actes de propriété immobilise le système économique local.
Des incitations fiscales non négligeables ont été prévues.
Nous comprenons que le travail de reconstitution des titres est loin d'être atteint et qu'il serait illusoire d'espérer une normalisation d'ici l'échéance de 2027. Les réalités locales s'imposent aux normes.
Notons qu'en 2017, la commission des finances avait déjà identifié des difficultés sur les trois articles fiscaux et questionné la propagation de dix ans - l'usage étant de ne reconduire les dépenses fiscales que pour trois ans. Le rapporteur s'interrogeait déjà sur la constitutionnalité d'une prorogation de dix ans. Enfin, à deux reprises, en 2012 et 2013, le Conseil constitutionnel a censuré des mesures d?exonération de droits de succession pour des immeubles situés en Corse, considérant qu'elles méconnaissaient le principe d'égalité devant les charges publiques.
Ces mesures ne pourront être prorogées à l'infini. Pour des raisons budgétaires évidentes, mais également par principe. Une incitation fiscale trop prorogée perd de son attractivité...
Un financement stable du Girtec par l'État est indispensable pour concrétiser notre attachement envers l'amélioration continue du cadastre en Corse. Nous aurons l'occasion d'y revenir en projet de loi de finances. Mais nous le savons tous : proroger, c'est retarder et, souvent, ne pas faire face à nos responsabilités collectives.
Au regard des progrès soulignés par le Girtec et de l'ampleur du travail qui reste à accomplir, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDPI et du RDSE ; M. Jean-Jacques Panunzi applaudit également.)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Masset applaudit également.) Des Ardennes à la Corse, il y a une certaine distance et je n'ai jamais eu l'occasion de me rendre dans cette dernière. Pourtant, il y a des voies ferrées... (Exclamations amusées) Peut-être pourrais-je le faire un jour, quand je ne siégerai plus ici. (L'orateur reçoit les vifs encouragements de ses collègues.)
C'est la première fois que j'interviens sur ce sujet, bien que je sois au Sénat depuis 2007. Je remercie l'auteur de la proposition de loi.
Le cadastre est compliqué, nous le vivons dans nos territoires et je l'ai vu en tant que maire d'un village. Les chiffres qui ont été donnés sont édifiants : 300 000 parcelles non titrées, sur un million ! Je remercie le rapporteur pour sa pédagogie.
La prorogation de la loi de 2017 est bienvenue, mais il faut mobiliser des moyens humains adaptés, notamment ceux de la DGFiP, pour lesquels j'ai beaucoup de respect.
L'enjeu touristique est très fort. Ce n'est pas pour rien qu'on parle de l'île de Beauté ! Or l'insécurité juridique, la multiplication des conflits familiaux et le manque d'entretien des parcelles, soulignés précédemment, posent problème.
Le manque à gagner pour les collectivités territoriales s'élève à 20 millions d'euros de taxe foncière non perçus. Le volet financier de ce dossier est également important.
La tâche est immense et requiert du temps et des moyens humains, dans l'administration comme auprès des géomètres et des notaires.
Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements)
Vote sur l'ensemble
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°173 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 341 |
Contre | 0 |
La proposition de loi est adoptée.
Mme la présidente. - À l'unanimité ! (Applaudissements nourris)
Gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions des commissions mixtes paritaires (CMP) chargées d'élaborer des textes sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire et du projet de loi organique modifiant la loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, à la demande du Gouvernement.
La Conférence des présidents a décidé que ces textes feraient l'objet d'explications de vote communes.
M. Pascal Martin, rapporteur pour le Sénat des commissions mixtes paritaires . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI) Deux mois après leur examen en séance publique, nous nous retrouvons pour les conclusions de la CMP sur le projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et sur le projet de loi organique associé.
Je salue la qualité des échanges avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Fugit. Nous avons su surmonter nos désaccords et faire des concessions, avec pour objectif d'adapter notre sûreté nucléaire aux enjeux des décennies à venir.
Le projet modernise notre système de sûreté nucléaire pour relever le défi de la relance du nucléaire. Le projet initial comportait cependant des risques, qui nous ont conduits à faire des ajustements. Je me réjouis de voir que ces derniers ont été conservés par la CMP.
Premier risque : une distinction insuffisante entre expertise et décision, question au coeur de la crédibilité du système de sûreté. Il ne faudrait pas que l'expertise soit placée sous l'influence de la décision, ou, inversement, que la décision soit placée sous celle de l'expertise. Mais une séparation trop stricte au sein de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) recréerait deux institutions, ce qui nous ferait perdre les bénéfices de la réforme.
Le texte que nous examinons évite ces deux écueils. Il garantit la confrontation des doutes indispensable à la sûreté nucléaire en assurant que, pour chaque instruction, l'expert est distinct du décideur, tout en évitant d'élever une muraille de Chine au sein de l'ASNR.
Pour chaque instruction, l'expert est distinct du décideur, mais sans muraille de Chine entre les deux. Ils peuvent interagir, et un expert sur un dossier peut être décideur sur un autre, et inversement.
Deuxième problème : le risque de recul en matière de transparence, clé de l'acceptabilité de la relance du nucléaire. Le texte de la CMP conserve les apports du Sénat, qui a prévu la publication des résultats d'expertise ainsi que des avis des groupes permanents d'experts. La publication concomitante des résultats d'expertise et des décisions, à l'initiative de l'Assemblée nationale, apparaît appropriée.
M. Stéphane Piednoir. - Très bien.
M. Pascal Martin, rapporteur. - Le texte prévoit que l'ASNR pourra faire exception à cette règle générale pour favoriser la participation du public.
Troisième problème : le maintien des activités de recherche. L'ASNR devra poursuivre la collaboration engagée avec les industriels du secteur nucléaire - qu'elle sera chargée de contrôler. Je me félicite du maintien de la commission d'éthique et de déontologie souhaitée par le Sénat.
Enfin, quatrième problème posé par le texte initial, la participation du Parlement et de la société civile. Comme nous l'avions proposé, le règlement intérieur sera transmis à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), qui dispose d'une expertise reconnue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie . - Nous voici au terme d'un processus parlementaire mais au début d'un autre processus, organisationnel, pour accompagner la relance de notre filière nucléaire.
Les choses ont été plus laborieuses à l'Assemblée nationale, où j'ai défendu ce texte, qu'au Sénat, où Christophe Béchu l'avait défendu - je ne sais si cela tient à la qualité du ministre ou de l'assemblée... (Sourires) Je remercie en tout cas les quatre rapporteurs, ainsi que l'Opecst dont les travaux ont permis d'enrichir le texte.
Au coeur de ce projet de loi, une ambition : permettre à nos talents de se focaliser au sein d'une institution unique sur les enjeux prioritaires de sûreté et les enjeux critiques pour le calendrier des projets nucléaires, sans toucher à nos exigences en matière de sûreté.
Deux enjeux : création de l'ASNR et adaptation des règles de la commande publique. Les deux chambres ont apporté des ajouts intéressants, notamment pour clarifier la distinction de l'expertise et de la décision, prévoir la publication des expertises et créer une commission d'éthique et de déontologie. Le règlement intérieur de la future autorité est très encadré, sans que la structure soit trop rigidifiée.
La CMP s'est accordée sur des lignes directrices pour les modalités de transparence, notamment par la publication des résultats d'expertise avant décision pour les instructions longues, et après pour les instructions courtes.
Le Parlement a mené un travail constructif, mais la tâche ne fait que commencer. Je suivrai de très près la mise en oeuvre de cette réforme et un préfigurateur sera nommé rapidement. Je vous invite à adopter ce texte, fruit d'un consensus réfléchi. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Stéphane Piednoir applaudit également.)
M. Christopher Szczurek . - Nous voici à la fin d'un long processus parlementaire pour entériner la fusion entre l'IRSN et l'ASN. C'est une victoire idéologique pour ceux qui ont toujours défendu la souveraineté énergétique de la France. Fruit de notre génie national, le parc électronucléaire français est notre meilleur atout pour notre compétitivité comme pour la transition écologique.
Sans tambour ni trompette, notre pays fut le premier à entamer et à terminer sa transition énergétique. Alors que l'Allemagne se vautre encore dans une production charbonnière criminelle, nous disposons d'une énergie propre, bon marché et sécurisée. Nous ne pouvons que nous féliciter que le Gouvernement, après des années d'errances, se soit rangé à l'avis des experts et de l'opinion.
La loi sur l'accélération du nucléaire, quoique insuffisante, constitue un premier pas pour la reconstruction de notre indépendance. Le Gouvernement n'est pas pour autant exonéré de son passif. Il a voulu d'abord réduire le parc nucléaire, avant d'engager un plan de relance incomplet.
Ce texte est aussi la marque d'un Parlement qui reprend en main le travail législatif. Le Gouvernement avait d'abord cherché à organiser la fusion par un amendement, trop habitué à une majorité suiveuse. Nous nous réjouissons de l'échec de cette manoeuvre.
Nous resterons vigilants sur les moyens réels de la future autorité. La sûreté nucléaire ne repose pas sur des normes de papier, mais des moyens réels et des compétences.
Néanmoins, cette fusion est bienvenue. De nombreux pays ont fait le choix d'un système de sûreté unitaire, sans compromettre la sécurité. Nous voterons le texte issu de la CMP.
M. Pierre Jean Rochette . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Ce n'était pas gagné ! Ce texte a connu quelques péripéties à l'Assemblée nationale. Nous sommes ravis d'examiner ce soir le texte issu de la CMP sur la question, cruciale, de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
Il faudra transformer l'essai, car ce texte n'est que la première pierre d'une souveraineté énergétique retrouvée. Mais il est la traduction juridique d'une volonté politique claire.
Un nucléaire régénéré ira de pair avec des énergies renouvelables : la France a besoin de marcher sur ces deux jambes.
Nous devons relever de nombreux défis : adapter notre parc vieillissant au réchauffement climatique, garantir la fiabilité des anciennes installations et des nouvelles, recycler les déchets. Pour cela, nous avons besoin d'une sûreté nucléaire et de radioprotection. Si nous voulons encore embarquer nos concitoyens dans l'aventure du nucléaire, il doit être transparent et sûr.
Le nucléaire est indispensable pour l'indépendance énergétique de l'Union européenne. La gestion de notre approvisionnement énergétique ne peut dépendre d'autres puissances, surtout ennemies.
Notre souveraineté énergétique passera par la relance du nucléaire. Une gouvernance efficace de la sûreté et de la radioprotection est une condition sine qua non de la réussite de cette relance.
La Haute Assemblée a, une nouvelle fois, montré que la discussion pouvait faire aboutir à des textes construits et équilibrés.
Nous restons attachés à la distinction entre l'expertise et la décision. La solution retenue semble remplir cet objectif - nous y serons attentifs.
Le coeur battant de la future ARSN, c'est son personnel. Or la fusion des deux entités n'est pas chose aisée. La compétence des personnels est la force du nucléaire : il est de notre devoir de veiller à la mise en place d'un cadre de travail qui leur correspond.
Le rôle de l'Opecst au service de la transparence est crucial.
Le lien entre la filière nucléaire et la nouvelle autorité est indispensable ; les risques de conflits d'intérêts paraissent écartés.
Enfin, nous devons allouer les moyens nécessaires à notre transition énergétique, dont la relance du nucléaire est l'une des dimensions.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte, qui n'est qu'une première étape. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI, ainsi qu'au banc des commissions)
Mme Denise Saint-Pé . - Nul ici n'a oublié l'introduction pour le moins maladroite de ce projet de fusion par le Gouvernement lors de l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à l'accélération des procédures nucléaires. Cela menaçait de déposséder le Sénat d'un débat indispensable. Heureusement, le Gouvernement a entendu raison et temporisé.
Le Sénat a mis à profit ce temps pour examiner en détail cette question. Le rapport rendu en janvier 2023 par MM. Piednoir et Fugit pour l'Opecst puis celui de MM. Martin et Chaize nous ont éclairés sur des enjeux majeurs : évolutions technologiques, prolongation des réacteurs existants, gestion des déchets, adaptation au réchauffement climatique, démantèlement des centrales.
Des difficultés inattendues peuvent advenir, comme la corrosion sous contrainte constatée en 2021 et 2022 sur certains réacteurs. Les travaux sont donc voués à croître, ce qui plaide pour une entité unique.
Mais plusieurs conditions doivent être réunies : indépendance de la nouvelle entité pour écarter tout soupçon de partialité, dialogue continu entre les ingénieurs et les experts, conditions attractives pour les personnels, garantie d'un niveau de transparence élevé et recrutements massifs pour faire face à la charge de travail.
Le Sénat a vu ses apports conservés par la CMP : séparation entre expertise et décision sur chaque dossier, projet de règlement intérieur présenté à l'Opecst. Ces mesures complètent une réforme ambitieuse que nous soutenons. Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et du RDPI, ainsi qu'au banc des commissions ; M. Laurent Burgoa applaudit également.)
M. Ronan Dantec . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Il était une fois le nouveau nucléaire français, chapitre 2...
Résumé des contes précédents : le chevalier au tablier de plomb a réussi à réveiller la belle au bois dormant, le nucléaire français, longtemps assouplie du fait des sortilèges de la fée Carabosse, parfois dépeinte sous les traits de Dominique Voynet. La campagne, surtout normande, fleurirait bientôt de magnifiques châteaux de type EPR2, puis SMR.
Mais quelques obstacles se dressaient encore sur la route du chevalier. Un mage fourbe avait conçu un buisson touffu capable de ralentir toute cavalcade trop rapide : deux organismes différents pour éviter la précipitation au détriment de la sécurité. Ce duo suscitait même l'intérêt des royaumes voisins.
Le héros de la geste nucléaire n'a pas le temps de se faufiler dans ce buisson, pressé par l'empereur Photovoltaïque qui étend rapidement son domaine dans le monde - il faut dire que son mégawattheure est quatre fois moins cher... Cet empereur menace de réduire le royaume du chevalier nucléaire au nord-Cotentin pour des siècles et des siècles.
Il faut donc accélérer la cadence, tronçonner et « glyphosater » le buisson maudit. C'est ce que vient de faire le législateur, au désespoir des personnels.
Je salue le rapporteur Martin, qui a tenté de maintenir un peu de distance entre l'expertise et la décision ; il semble de bon sens qu'on ne peut faire les deux à la fois sans perdre en esprit critique. (M. Roland Lescure le conteste.) Mais le conclave de la CMP a décidé que les uns ne seraient les autres que quand les autres ne pourraient plus être les uns, sans que les uns puissent jamais être les autres... J'espère que vous suivez !
Seul un groupe d'initiés, les membres redoutés de l'Opecst, pourront consulter le grimoire magique consignant les règles de fonctionnement de la nouvelle entité. Chers collègues, votre avis ne sera pas digne d'être pris en compte, non plus que celui du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire ni celui de la Fédération nationale des commissions locales d'information. Même l'accompagnement de la commission de déontologie a été supprimé.
De quoi le Gouvernement a-t-il peur ? Que le nouveau plan Messmer soit bloqué par une plogoffite aiguë ? Nous actons ce soir la rupture du dialogue entre la société et le monde nucléaire. C'est la malédiction historique du nucléaire français !
Le GEST votera évidemment contre ce texte dangereux, qui augmente les risques d'accident et, paradoxalement, ralentira le développement du nucléaire que vous souhaitez en fusionnant contre leur avis des personnels aux cultures différentes.
On peut vouloir décréter une fusion d'un coup de baguette magique. Mais, au vu des risques, on est plus chez Garcimore que Merlin l'Enchanteur. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Fabien Gay . - Une fois de plus, le Gouvernement échoue à convaincre : il entend faire passer coûte que coûte ce texte issu d'un rapport dont les conclusions ont été gardées secrètes.
Ce passage en force au Parlement a été savamment orchestré. Il y a un an, vous tentiez de faire passer la réforme par la voie d'un amendement, finalement considéré comme un cavalier législatif.
Vous n'avez produit aucun document pour étayer la position gouvernementale selon laquelle un organe unitaire serait plus efficace. Votre projet coûtera en réalité plus cher dans bien des domaines.
C'est aussi un passage en force institutionnel, alors que toutes les instances consultées ont émis des réserves, voire une franche hostilité.
Les personnels nous alertent sur le manque de transparence. Mais le dialogue social, pour le Gouvernement, c'est : quand on est d'accord avec vous, très bien ; quand on n'est pas d'accord, vous restez sourds... La filière devrait pouvoir s'appuyer sur un statut de haut niveau pour les personnels, y compris sous-traitants. Les protéger, c'est nous protéger.
Pire, les salariés vous alertent sur les risques en matière de sûreté, alors que nous voyons apparaître de nouveaux acteurs. Comment justifier la refonte d'un système qui a fait ses preuves dans un moment aussi crucial ? Comment ne pas y voir la volonté d'accélérer, alors que la sûreté devrait être la priorité absolue ?
Ce projet réalisé à la hâte pour bâillonner les experts des deux organisations nous inquiète. Nous sommes favorables à la relance du nucléaire, mais le modèle que vous proposez est une impasse dangereuse. L'expertise doit être fondée sur des faits scientifiques, en dehors des considérations économiques. L'impératif de sûreté doit toujours primer.
Comment renforcer la confiance de nos concitoyens dans le programme électronucléaire, alors que ce texte restreint la transparence de l'information ? Il faut rechercher un large consensus au lieu de passer en force. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du CRCE-K et du GEST ; M. Sébastien Fagnen applaudit également.)
M. Raphaël Daubet . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La France s'engage dans un virage historique : une relance d'envergure de sa production nucléaire. Il faut pour cela une révision des pièces maîtresses de la charpente de la filière nucléaire - dont le pilier le plus solide est la sûreté.
Ce qu'il nous offre en rigidité, il nous en prive en souplesse. Sans doute faut-il raccourcir les circuits décisionnels, faire la chasse aux doublons et aux dépenses inutiles - dans notre pays, on en trouve toujours ; mais faut-il aller au-delà, c'est-à-dire à la fusion ? Devons-nous prendre le risque - il s'agit bien de cela - d'une fusion qui modère le rôle de contrepoids de l'IRSN et complexifiera les choses ?
En première lecture, j'ai exprimé nos doutes. Nous ne parlons de rien de moins qu'un risque planétaire, pour un gain d'efficacité hypothétique. J'attendais des arguments me persuadant que jamais la ligne rouge, celle de l'indépendance de l'expertise, ne serait franchie.
Or je suis moins convaincu aujourd'hui qu'hier.
M. Ronan Dantec. - Très bien !
M. Roland Lescure, ministre délégué. - C'est dommage...
M. Raphaël Daubet. - Faire de l'expert d'un jour le décideur du lendemain n'est pas un bon choix. Les experts tirent leur force de leur acuité, de leur attention au détail ; les décideurs sont aptes à trancher, à prendre des risques. Changer de casquette est dangereux. (M. Roland Lescure le conteste.)
Le recul en matière de transparence nous inquiète aussi. Repousser la publication des rapports au moment de l'annonce de la décision, c'est affaiblir le rôle des experts.
Quelle est la plus-value de cette mesure en un contexte d'urgence ? D'autres solutions existent, comme l'augmentation des ressources et des moyens humains des deux entités.
Le RDSE, à une très large majorité, juge que la sûreté ne sera pas maintenue dans ces conditions. Rejeter ce texte, ce n'est pas s'opposer au nucléaire. Nous réitérons notre volonté d'une sûreté renforcée et transparente. (M. Sébastien Fagnen applaudit.)
Mme Nadège Havet . - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP) Ce texte primordial est porteur d'une ambition : faire de la France le premier État développé à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles. Nous nous appuyons sur la stratégie française énergie-climat, qui repose sur la production d'énergies décarbonées et la baisse de notre consommation d'énergie. En 2022, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d'électricité a atteint 30 %, soit six points de plus en un an.
Au Sénat, nous n'avons pas le nucléaire honteux : il nous permettra de réduire nos émissions, la facture pour les ménages, de soutenir la réindustrialisation de la France et de renforcer notre souveraineté énergétique.
M. Yannick Jadot. - Certainement pas !
Mme Nadège Havet. - Le nucléaire a pu se développer autant grâce à son cadre de sûreté, mais nous vivons un changement de paradigme complet, qui suppose une évolution de la gouvernance.
Des amendements ont apporté des précisions, notamment sur la séparation de l'expertise et de la décision et la publication des avis.
La CMP est parvenue à une position d'équilibre : accord sur la fusion, distinction entre expertise et décision pour chaque dossier, présentation du projet de règlement intérieur à l'Opecst, respect de l'engagement d'un rattrapage des salaires, plan de recrutement massif. Mon groupe votera donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)
M. Gilbert-Luc Devinaz . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La transition énergétique passe par le nucléaire. Dommage qu'en 2015, le ministre de l'économie ait bradé la branche énergie d'Alstom à General Electric...
Ce texte fragilise un modèle vieux de 25 ans dont personne n'a su démontrer le défaut. Les défenseurs de cette réforme ont une obsession : l'expert ne doit pas dicter la décision - mais, en l'occurrence, le décideur va faire taire l'expert.
Pourquoi ? Pour faire plus vite, moins cher et mieux. Le cas de Boeing a de quoi refroidir... Et face au foisonnement de fausses informations, la meilleure façon d'instaurer la confiance, c'est la transparence.
La recherche coûterait cher et prendrait du temps : idée fausse, car elle permet de débloquer des situations. Or aucune réflexion n'est menée sur les relations entre recherche et expertise, pourtant riches d'enrichissements.
Cette absence de vision et d'évaluation sérieuses des risques a conduit à retenir le statut d'autorité administrative indépendante (AAI), alors qu'une administration n'est pas le lieu approprié pour des projets de recherche. C'est ce qu'a rappelé Philippe Vesseron, ancien délégué aux risques majeurs.
Cette réforme fragilise les équipes dans un contexte clé et réduit la transparence. Nous avons besoin de l'énergie nucléaire pour réussir la transition énergétique, mais cette réforme ralentira son développement. Les énergies fossiles ont de belles années devant elles. Nous regrettons que des voix qualifiées n'aient pas été entendues et voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Patrick Chaize . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La commission des affaires économiques a été saisie au fond des articles portant sur la simplification des règles de la commande publique et le repositionnement du Haut-commissaire à l'énergie atomique. Elle s'est saisie pour avis des dispositions relatives à la fusion de I'IRSN et de l'ASN.
La réforme était bien mal engagée. La commission des affaires économiques avait refusé l'an passé les amendements présentés à la hâte par le Gouvernement, pour lui préférer une saisine de l'Opecst, indispensable.
Le remaniement nous a privés d'un ministre responsable pendant un mois, nous n'avons même pas pu l'auditionner en commission !
Heureusement, le travail de fond a payé. Nous avons pu faire prospérer nos rapports sénatoriaux.
J'avais fait adopter plus d'une trentaine d'amendements ; une vingtaine subsiste, ce dont je me félicite. Ainsi de l'article 12 sur le haut-commissaire à l'énergie atomique, qui pourra indiquer au Comité de l'énergie atomique et à toute autorité administrative l'orientation scientifique et technique qui lui paraît souhaitable. Il pourra également émettre un avis sur la future loi de programmation de l'énergie et la future programmation pluriannuelle de l'énergie. Il pourra être saisi pour avis sur un projet de texte législatif ou réglementaire, un projet d'acte de l'Union ou une question relative aux activités nucléaires civiles, et pourra évaluer chaque année l'état des activités nucléaires civiles.
Si l'Assemblée nationale n'a pas souhaité que la désignation du haut-commissaire relève de la procédure de l'article 13 de la Constitution, celle des instances dirigeantes de la société Orano a prospéré. Alors que le cycle du combustible nucléaire prend un tournant stratégique, c'est un progrès historique pour le contrôle parlementaire des décisions gouvernementales et des orientations de la filière nucléaire.
Aux articles 16 à 18, deux facultés introduites par le Sénat pour les porteurs de projets ont été maintenues : le critère de crédibilité et le recours à des avenants, souplesses demandées par la filière.
Des marchés mixtes seront intégrés aux côtés des marchés uniques, des pouvoirs adjudicateurs seront ajoutés.
Les porteurs de projet devront notifier à l'État les dérogations aux règles de publicité et de mise en concurrence, dont le Gouvernement rendra compte au Parlement. La simplification des normes doit s'accompagner d'un renforcement a priori des contrôles, exigence pour prévenir toute dérive des délais et des coûts.
Sur l'ASNR, je me félicite du maintien de dispositions concernant l'institution d'un préfigurateur, la parité, la protection du secret des affaires, l'interdiction du recours à certains personnels étrangers, ou encore l'évaluation des moyens financiers et humains du haut-commissariat à l'énergie atomique.
Je me félicite aussi de la possibilité pour l'Opecst de connaître le règlement intérieur de l'autorité, de l'institution d'une commission de déontologie et du recours à un groupe permanent d'experts.
Je vous invite à voter les textes présentés. Ce que fera mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Bernard Buis et Jean-François Longeot applaudissent également.)
Mme la présidente. - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat statue par un seul vote sur chaque texte.
À la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, le projet de loi ordinaire est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°174 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 233 |
Contre | 109 |
Le projet de loi ordinaire est définitivement adopté.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)
Le projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°175 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 233 |
Contre | 109 |
Le projet de loi organique est définitivement adopté.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI ; M. Louis Vogel applaudit également.)
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire. - Merci, monsieur le ministre, pour votre engagement. J'associe votre collègue, M. Béchu, à ces remerciements. Je remercie Stéphane Piednoir et la présidente Primas, qui avait saisi l'Opecst. Je félicite Dominique Estrosi Sassone ainsi que Patrick Chaize, qui a travaillé en collaboration avec Pascal Martin, que je remercie pour son écoute. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)
C'est cette volonté de dialogue qui a permis d'aboutir à un vote conclusif. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)
Adaptation au droit de l'Union européenne (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue) en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole à la demande du Gouvernement.
M. Pascal Allizard, au nom de la CMP . - (Mme Frédérique Puissat applaudit.) La CMP de jeudi a donc été conclusive. Trois sujets émergeaient : celui des retours de congé maladie et l'alignement sur le droit européen d'information des salariés du privé ; à l'article 34, le rôle des chambres d'agriculture ; enfin, l'alignement du droit de la garde à vue. Il était curieux de traiter d'un tel sujet qui a trait à la privation de liberté individuelle, dans une loi balai, un peu fourre-tout... Nous sommes néanmoins parvenus à un accord.
Au Sénat, le texte avait été partagé en deux - dix-huit articles ayant été examinés selon la procédure de législation en commission (LEC). Les sujets les plus sensibles ont été débattus dans l'hémicycle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique . - (M. Bernard Buis applaudit.) Ce projet de loi a fait l'objet d'une CMP conclusive le 4 avril dernier, fruit du travail des rapporteurs, que je salue.
Notre droit s'enrichit régulièrement des décisions prises avec les autres États membres.
La création d'un cadre européen unifié est la meilleure des protections pour nos entreprises et nos concitoyens. D'où l'exigence d'une conformité du droit français aux dispositions européennes. La France se situe au premier rang des États membres pour la transposition des directives. Nous n'avons plus qu'une seule directive en attente, sur près de mille sur le marché intérieur. Nous pouvons en être fiers.
Les Ddadue sont des textes particuliers, comportant souvent des habilitations à légiférer par voie d'ordonnance - nous avons veillé à les réduire au maximum, en prévoyant un délai raisonnable.
En tant que secrétaire d'État chargée du numérique, plusieurs points m'intéressent particulièrement. L'article 3 habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur l'influence commerciale : à la suite de l'entrée en vigueur du règlement sur les services numériques (DSA), plusieurs dispositions de la loi Delaporte-Vojetta, redondantes, doivent être abrogées. Nous insérerons également la possibilité de déroger au principe de pays d'origine (PPO) afin que les règles protectrices des consommateurs français puissent s'imposer à des influenceurs installés dans un autre État membre. Je me félicite que la CMP ait opté pour une durée d'habilitation de neuf mois, nécessaire pour la consultation obligatoire de la Commission européenne et du Conseil d'État.
L'article 35 prévoit un rapport sur l'application de la loi du 7 juillet 2023 sur la majorité numérique, portée par Laurent Marcangeli. Ce rapport nous permettra de prendre en compte les observations de la Commission dans le cadre de la procédure de notification préalable.
La vérification de l'âge en ligne est un enjeu important, objet des articles 1er et 2 du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN).
Sur les plans économique et financier, je salue l'accord trouvé en CMP pour laisser du temps aux échanges avec les parties prenantes, notamment sur la protection des consommateurs et des sociétés commerciales.
Les amendements du Gouvernement aux articles 5 et 6 sécuriseront les habilitations issues de la CMP au regard de l'article 38 de la Constitution, concernant la directive pour un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs dans les sociétés cotées et la lutte contre le blanchiment de capitaux, en adaptant notre droit au règlement TFR. Avec le règlement MiCA, nous aurons ainsi transposé les deux piliers du cadre européen de régulation des activités de prestataires de services sur cryptoactifs.
Le projet de loi revient sur les définitions de l'hydrogène renouvelable et de l'hydrogène bas carbone.
Il renforcera la coopération judiciaire en matière de lutte antiterroriste en garantissant un accès équivalent aux informations disponibles dans d'autres États.
En matière de congés payés, plusieurs décisions de justice récentes avaient conduit le Gouvernement à déposer un amendement sur lequel l'avis du Conseil d'État avait été sollicité, afin de remédier à l'inconventionnalité d'un article du code du travail et apporter une clarification nécessaire pour les employeurs et salariés.
Concernant le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), le préfet pourra déléguer sa signature aux autorités régionales pour les décisions restant à prendre au titre des aides de la précédente programmation de la PAC - mesure de simplification très attendue.
Un amendement de clarification à l'article 34 vise à garantir la mise en oeuvre du règlement européen relatif à l'identification des animaux et à leurs mouvements, sécurisant le rôle des chambres d'agriculture.
Les crues récentes, exceptionnelles par leur durée et leur intensité, en particulier dans le Nord et dans les Alpes, ont souligné la nécessité de clarifier et simplifier les procédures pour la prévention des inondations, prévues par la directive européenne du 23 octobre 2007.
Ce texte est bienvenu pour rendre notre droit national conforme aux évolutions législatives européennes récentes.
Discussion du texte élaboré par la CMP
Article 4
Mme la présidente. - En application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique. - Rédactionnel.
M. Daniel Fargeot, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°5 est adopté.
Article 5
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.
Alinéas 2 à 8
Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :
1° De transposer la directive (UE) 2022/2381 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022 relative à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs des sociétés cotées et à des mesures connexes, et de prévoir les dispositions de coordination et d'adaptation de la législation liées à cette transposition :
a) En prévoyant que la transposition corresponde au moins au champ d'application des articles L. 225-18-1 et L. 226-4-1 du code de commerce ;
b) En garantissant, dans les conseils d'administration ou de surveillance des sociétés commerciales, l'exigence d'une proportion minimale de 40 % du sexe le moins représenté, pour l'ensemble de leurs membres, quelles que soient leurs modalités de désignation ;
c) Sans ajouter au droit en vigueur à la date de la présente habilitation de nouvelles sanctions encourues en cas de méconnaissance des obligations relatives à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes ;
d) En désignant un ou plusieurs organismes chargés de suivre, d'analyser et de soutenir l'équilibre entre les femmes et les hommes dans la composition des conseils d'administration et de surveillance des sociétés commerciales et doté de moyens suffisants à l'exercice de ces missions ;
e) Avec les adaptations nécessaires, en harmonisant les règles en matière de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes applicables aux conseils d'administration ou de surveillance des établissements publics avec celles prévues pour les sociétés commerciales et en les étendant aux groupements d'intérêt public ;
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Rédactionnel. Le régime de la directive Women on Boards et la loi Copé-Zimmermann sont très proches, mais il fallait clarifier.
M. Daniel Fargeot, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°1 est adopté.
Article 6
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.
Alinéa 12
Rétablir le II dans la rédaction suivante :
II. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est habilité à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi pour :
1° Transposer les dispositions de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission, dans leur rédaction résultant de l'article 38 du règlement (UE) 2023/1113 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains crypto-actifs, et modifiant la directive (UE) 2015/849 ;
2° Adapter les dispositions du code monétaire et financier et, le cas échéant, d'autres codes ou dispositions législatives non codifiées, pour assurer, dès l'entrée en application du même règlement, leur cohérence et leur conformité avec les dispositions de ce dernier ;
3° Définir les compétences respectives de l'Autorité des marchés financiers et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pour l'application dudit règlement ;
4° Rendre applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, avec les adaptations nécessaires, les dispositions résultant des 1° à 3° du présent II, pour celles qui relèvent de la compétence de l'État dans ces collectivités, et procéder, le cas échéant, aux adaptations nécessaires de ces dispositions à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance mentionnée au premier alinéa du présent II.
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Il s'agit d'élargir les obligations de transparence existantes.
M. Daniel Fargeot, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°2 est adopté.
Article 10
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
au IV
II. - Alinéa 9
Après le mot :
mentionnées
insérer les mots :
au I
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Rédactionnel.
M. Daniel Fargeot, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°3 est adopté.
Article 34
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié, présenté par le Gouvernement.
I. - Alinéa 7
Remplacer la référence :
L. 513-2
par la référence :
L. 513-1
II. - Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
III. - Alinéa 12
Compléter cet alinéa par les mots :
selon des modalités définies par décret
IV. - Après l'alinéa 24
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
6° bis L'article L. 571-8 est abrogé ;
V. - Alinéa 28
1° Après la référence :
1°,
insérer la référence :
c du 2°,
2° Après la référence :
6°,
insérer la référence :
6° bis,
VI. - Alinéa 29
Supprimer la référence :
, b
Mme Marina Ferrari, secrétaire d'État. - Cet amendement déposé par le ministère de l'agriculture prévoit que la chambre d'agriculture de Mayotte exerce les missions relatives à l'identification et à la traçabilité animale, à la place de l'établissement de l'élevage.
M. Daniel Fargeot, rapporteur. - Avis favorable.
L'amendement n°4 rectifié est adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Louis Vogel . - La mandature issue des élections européennes du 9 juin sera déterminante, dans un monde en mouvement, pour ne pas dire en pleine crise. L'Union européenne n'est pas seulement un voeu mais des réalisations concrètes, pour la lutte contre le changement climatique, la guerre économique, pour la protection des citoyens. Les Daddue nous rappellent cette réalité.
Le présent texte comporte trente articles sur des dispositions variées, allant du droit des sociétés à celui de l'énergie, en passant par la protection de la santé et de l'environnement par le règlement Reach.
Je salue le travail des deux chambres et des rapporteurs, ainsi que celui de la commission spéciale.
Ce texte traite de sujets marquants pour la vie économique, qu'il s'agisse de droits de la consommation ou de dispositions bancaires, monétaires ou financières.
Les avancées de notre assemblée concernant les systèmes d'échanges de quotas ont été préservées - cela démontre le sérieux du travail de notre commission spéciale, et répond aux ambitions de la présidence française de l'Union européenne.
L'équilibre entre vie privée et vie professionnelle est important. L'élargissement de la liste des congés concernés va dans le bon sens.
Enfin, deux nouveautés sont issues de l'Assemblée nationale. L'article 33 bis met de l'huile dans les rouages dans la distribution des fonds européens. La mission d'information conduite par Colette Mélot pour le groupe Les Indépendants avait pointé une insuffisante mobilisation. Cet article contribue à y remédier mais il faudra persévérer.
L'article 35 marque un progrès sur la majorité numérique et la lutte contre la haine en ligne. Soyons intraitables : tout ce qui est interdit hors ligne doit l'être aussi en ligne. Ce sujet est cher à notre groupe.
Depuis sa création, le groupe Les Indépendants dénonce la surtransposition - mal bien français qui nous a pénalisés à de nombreuses reprises, notamment lors de la récente crise agricole. Je salue l'article 7 ter qui corrige les erreurs de transposition. Notre groupe votera pour ce texte.
M. Daniel Fargeot . - J'ai eu pour mission d'examiner au fond 23 articles hétéroclites. Cela a été comparable aux douze travaux d'Hercule : un mois entre la présentation au Conseil des ministres et l'examen du texte au Sénat, pas d'étude d'impact exhaustive, un travail réalisé dans la précipitation sur des sujets pourtant techniques - ce qui traduit un manque de considération.
Le Sénat a toutefois modifié le texte en adoptant une trentaine d'amendements, pour la plupart conservés par la CMP. Nos échanges avec les rapporteurs de l'Assemblée nationale ont été constructifs.
Je me réjouis du maintien des apports du Sénat sur les recharges en carburants alternatifs à l'article 1er, sur les microplastiques à l'article 31, sur le rôle des chambres d'agriculture et de Chambres d'agriculture-France dans l'identification animale à l'article 34.
S'agissant de la réforme de la garde à vue et de la présence de l'avocat lors des procédures pénales, alors qu'il connaissait la situation, le Gouvernement a présenté une réforme fort mal conçue et très approximative. Avec le président Buffet, nous avons tout fait pour que la clé de voûte de la procédure pénale ne s'effondre pas. Nous avons précisé que l'avocat doit se présenter sans retard indu et rétabli les auditions immédiates.
À l'article 3 relatif à l'influence commerciale, nous avons restreint le périmètre des ordonnances pour préserver le texte adopté à l'unanimité des deux chambres en juin dernier.
L'article 5 sur les règles de parité femmes-hommes dans les sociétés cotées avait été supprimé à l'Assemblée nationale ; le Gouvernement propose un article de compromis, conforme à la volonté du Sénat de rendre l'État un peu plus exemplaire.
Enfin, deux articles ont été ajoutés à l'Assemblée nationale, et non des moindres. Nous déplorons cette pratique du Gouvernement qui ajoute des textes sans examen ni débat au Sénat. Quatre jours seulement pour en examiner les termes, c'est une nouvelle avanie, madame la ministre.
Nous avons obtenu la suppression de l'article 3 bis sur la transposition de directives dont l'échéance de transposition était fixée à décembre 2025 - il n'y avait pas d'urgence.
L'article 32 bis met en conformité le droit aux congés payés pour les salariés en cas de maladie ordinaire. La transposition, attendue par l'ensemble des acteurs, devait se faire rapidement. Mais la rédaction proposée, fruit d'une surtransposition, avait pour conséquence d'ajouter une nouvelle charge pour les entreprises. J'y ai remédié.
À la précipitation nous préférons la réflexion et à la déconnexion, la concertation : c'est dans cet état d'esprit que le Sénat travaille pour sécuriser notre ordre juridique. Je vous invite à adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Frédérique Puissat applaudit également.)
M. Yannick Jadot . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce texte touche à un grand nombre de sujets, souvent techniques, mais qui peuvent être importants pour la cohérence de notre droit national avec le droit européen, pour nos concitoyens ou pour la puissance de l'Union européenne.
Je salue le travail des rapporteurs de la commission spéciale et de la CMP.
Le GEST se félicite de plusieurs avancées : harmonisation de l'objectif de parité à l'article 5, meilleure gestion des déchets de batteries à l'article 11 ; transcription de mesures du pacte vert européen, même si le décalage entre ses ambitions et les textes adoptés, voire reportés nous inquiète. La France est loin d'être exemplaire : obsédée par son nucléaire, elle a conclu des alliances néfastes avec des pays gaziers sur la directive relative aux énergies renouvelables et a réduit les objectifs européens.
Nous devons écouter l'alerte du Haut Conseil pour le climat, qui constate « qu'après plusieurs consultations et débats, ni la loi de programmation énergie et climat, ni la Stratégie française énergie et climat, ni la troisième Stratégie nationale bas-carbone, ni le troisième Plan national d'adaptation au changement climatique ni la troisième Programmation pluriannuelle de l'énergie n'ont été formellement adoptés, en dépit des obligations législatives. » (Mme Audrey Linkenheld le confirme.) Dès lors, le Haut Conseil s'inquiète du risque de recul de l'ambition climatique induit par la dérive du calendrier de ses instruments les plus structurants. Nous regrettons donc que nos amendements proposant de transcrire la directive RED III n'aient pas été adoptés.
Sur les microplastiques, nous regrettons le moins-disant environnemental : supprimer l'article nous aurait permis de conserver notre ambition.
À l'article 28, sur la garde à vue, nous nous félicitons que la version de l'Assemblée nationale ait été conservée par la CMP, même si certaines de ses dispositions affaiblissent encore les droits de la défense.
Nous regrettons l'inclusion d'un nouvel article 32 bis sur les droits des salariés en arrêt maladie, discriminatoire et dangereux. Les salariés n'accumuleront pas le même nombre de jours de congés payés selon la nature de leur arrêt maladie. Or le principe d'un arrêt maladie est de se soigner - ce n'est ni un repos ni un congé. Il est injuste de créer une telle inégalité de traitement dans la loi.
Le GEST s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Pierre Barros . - L'adaptation au droit européen prend du temps, mais est nécessaire pour respecter le processus démocratique. Cet exercice est douteux, vu le peu de temps imparti pour réaliser ce grand chelem réglementaire et législatif.
Pourtant, à quoi bon se presser, quand on sait combien les décrets tardent à paraître ? Seuls 21 des 39 décrets prévus dans le précédent texte de mars 2023 ont été publiés. Plusieurs dispositions mériteraient d'ailleurs qu'on ne se précipite pas pour publier les décrets associés...
Nous étions plusieurs à alerter sur les risques des micropolluants dont l'interdiction est repoussée. Voyez le scandale sur les polluants éternels. Et demain, quel autre scandale ? La recette est toujours la même : avancée technologique, recherche d'un profit immédiat, manipulation de ces substances - qui vont se révéler toxiques - par les consommateurs et les travailleurs... Les micropolluants ne font pas de micropollutions.
Ce texte comporte d'autres aberrations environnementales, tels les quotas gratuits sur le marché du carbone, supercherie financière créée pour contourner la TVA, en particulier pour le secteur des transports dont les émissions ont augmenté de 16 % en trente ans. La baisse des émissions des autres secteurs comme l'industrie est largement due aux délocalisations.
Autre sujet, l'amélioration de la parité dans les organes de gouvernance est encore insuffisante : 40 % sans sanction, voilà une curieuse façon de traiter une grande cause nationale...
Les syndicats n'ont pas été entendus sur les congés maladie : la mesure n'intègre pas la jurisprudence de la Cour de cassation et crée une discrimination à l'égard des personnes en mauvaise santé - c'est la double peine.
Les dispositions adoptées sur la garde à vue vont finalement moins loin que ce que proposait le Sénat, mais elles sont toujours défavorables au prévenu.
Finalement, il ressort de ce texte qu'il est plus facile de porter atteinte aux droits des prévenus que de réaliser un progrès social ou écologique... Nous nous abstiendrons.
Mme Nathalie Delattre . - Souvent examinés dans l'urgence, les projets de loi de transposition du droit européen ne recueillent pas toute l'attention qu'ils méritent. D'apparence technique, ils impliquent pourtant des changements importants pour nos concitoyens, nos entreprises et nos territoires. Ce texte fourre-tout en témoigne.
La réforme de la procédure pénale est loin d'être anecdotique. Depuis deux ans, la Commission européenne alerte la France sur ses manquements - dommage de n'avoir pas profité de la loi de programmation de la justice. L'accord trouvé par les deux rapporteurs concernant les dérogations d'accès à l'avocat est à saluer.
Un consensus a également été trouvé sur l'article 3, habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour modifier la loi du 9 juin 2023 sur l'influence commerciale, qui se heurte à un arrêt de la Cour de justice du 9 novembre 2023. Il s'agit de protéger nos jeunes, principales cibles de ce marketing.
Sur le volet agricole, la programmation du Feader touche à sa fin ; il faudra assurer son renouvellement. Nous nous réjouissons que les régions, autorités de gestion, puissent disposer de moyens humains pour traiter les dossiers sans dépendre de la signature du préfet. C'est essentiel pour la tranquillité du monde rural. Nous espérons que cette simplification permettra un versement plus rapide des aides de la PAC.
Je n'oublie pas le volet climatique. Grâce au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, l'Europe fermera progressivement la porte au moins-disant environnemental. Une concurrence plus juste pour une décarbonation à grande échelle, c'est la bonne équation.
Enfin, le texte porte le calendrier d'interdiction de mise sur le marché européen de substances contenant des microplastiques. L'article 31 repousse cette interdiction à 2029 pour plusieurs produits cosmétiques ; ce n'est pas opportun, vu les risques pour la santé cardiovasculaire.
En dépit de cette dernière réserve, notre groupe votera ce texte. Mais de grâce, madame la ministre, évitons les surtranspositions injustifiées. À la veille de l'élection européenne, l'Union européenne doit apparaître non comme une source de complexité, mais comme un horizon de sécurité et de protection. (Applaudissements au banc des commissions)
M. Bernard Buis . - Deux mois avant l'élection européenne, ce texte nous donne l'opportunité de prouver que les normes européennes sont les bienvenues dans le droit interne, lorsqu'elles simplifient le quotidien des agriculteurs, qu'elles rendent le droit du travail plus protecteur ou qu'elles rétablissent l'équilibre dans notre procédure pénale.
Alors que les agriculteurs s'impatientent des retards de versement des différentes aides agricoles, il est urgent de simplifier et d'accélérer. La région Bourgogne-Franche-Comté a récupéré 6 000 dossiers jusqu'alors gérés par l'État, mais manque de collaborateurs pour les traiter dans un délai raisonnable. Dès qu'il y a contribution financière de l'État, il faut en outre obtenir au préalable la signature du préfet. La possibilité de déléguer cette signature au président du conseil régional fera gagner du temps.
Même souci de simplification s'agissant de l'identification et de la traçabilité des animaux.
Ce projet de loi contient des avancées en matière sociale et sanitaire : l'article 32 bis, sur les droits à congés pour un salarié en arrêt de travail, ou les dispositions européennes favorables aux fonctionnaires.
Sur le plan sanitaire, le calendrier d'interdiction des microplastiques est mis en cohérence avec le calendrier européen.
Enfin, ce texte est attendu par les avocats, dont la présence en garde à vue n'est pas antinomique avec l'efficacité de l'enquête. Paradoxalement, la pratique le démontre : la présence d'un avocat renforce la valeur probante des propos recueillis pendant la garde à vue.
Autant d'exemples de transpositions bénéfiques qui justifieront le vote favorable du RDPI. (Applaudissements au banc des commissions)
Mme Audrey Linkenheld . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) C'est une bonne chose que le Parlement soit associé à la transposition des directives, afin qu'il soit mieux informé et puisse examiner si certaines dispositions peuvent être approfondies - non pour compliquer, mais pour améliorer, quand c'est justifié.
Ce troisième projet de loi en trois ans prouve que l'Union européenne légifère allégrement. Le risque, sur ces textes touffus et techniques, est de vouloir aller vite, quitte à gommer les aspérités et rendre difficiles les améliorations. Or dans une Europe à 27, contrastée, l'harmonisation se fait rarement vers le haut - en particulier en matière sociale et environnementale.
Avec mes collègues du groupe SER, dont Lucien Stanzione, nous avons tâché d'y voir plus clair. Nous voterons ce texte, malgré nos interrogations. Certes, nos cinq amendements n'ont pas eu le même succès que les 57 amendements déposés avant la réunion de la CMP - ils portaient sur les concessions aéroportuaires, les déchets de batteries ou encore la présence de l'avocat en garde à vue. Ce dernier sujet aurait mérité plus de temps. Nos amendements sur l'Autorité de régulation des transports ont été jugés irrecevables, alors que le Gouvernement et les rapporteurs y étaient favorables.
Enfin, nous avons été surpris que le Gouvernement introduise les articles 3 bis et 32 bis à l'Assemblée nationale, après le passage du texte au Sénat. Sur le premier, relatif au crédit à la consommation, rien n'imposait de légiférer dans l'urgence et nous nous réjouissons de sa suppression. Sur l'article 32 bis, relatif aux congés payés des salariés en arrêt de travail, nous regrettons le passage en force et ne l'avons pas voté en CMP.
Mais nos accords l'emportent sur nos doutes - aussi nous voterons pour un texte amélioré par le Parlement.
Échanges d'informations entre polices, protection des libertés individuelles, quotas carbone, batteries, hydrogène vert, traçabilité animale... Autant de sujets sur lesquels l'Europe nous fait avancer.
L'Europe peut nous aider à faire progresser les droits et libertés, à condition que la démocratie s'y exerce pleinement, et que soient associés les citoyens et les représentants nationaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et au banc des commissions)
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'ai été chargé de l'examen au fond d'articles portant sur le droit financier, bancaire et fiscal et d'autres relatifs à la transition écologique.
Les rares difficultés qui subsistaient ont été levées à la faveur de mes échanges avec les rapporteurs de l'Assemblée nationale ; je les remercie pour ce travail mené dans des délais très brefs.
S'agissant des mesures financières, bancaires et fiscales, nous sommes facilement arrivés à un accord sur les articles 7 à 9. Je salue l'initiative du rapporteur Daniel Labaronne à l'article 7 ter : le président du directoire du Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) sera entendu avant sa désignation par les commissions des finances.
Sur ma proposition, nous avons mené un travail de coordination utile sur l'article 6 bis, relatif aux obligations de déclaration des bénéficiaires effectifs de certains organismes.
Sur l'article 6, qui suscitait le plus de difficultés, nous sommes parvenus à une position de compromis. La prolongation de six mois de l'habilitation à légiférer par ordonnance pour transposer le règlement MiCA, sur les marchés de cryptoactifs, est maintenue, mais la durée d'habilitation est ramenée de neuf à six mois s'agissant du règlement TFR, sur les transferts de fonds.
Sur les dispositions en matière de transition écologique, les apports sénatoriaux ont été conservés par les députés.
À l'article 11, l'Assemblée nationale a préservé l'extension de l'obligation de contractualisation avec les éco-organismes ou les systèmes individuels à l'ensemble de la chaîne de gestion des déchets de batteries.
De même, aux articles 14 à 17, portant sur la refonte du système d'échange des quotas d'émission de l'Union européenne, les nombreux ajustements juridiques que nous avons opérés sont conservés. Je pense notamment à la meilleure prise en compte des incitations liées au prix du carbone lors de l'allocation de quotas gratuits au titre de l'utilisation de biocarburants par le secteur aérien.
En ce qui concerne l'article 19, qui fait évoluer le calcul des émissions de gaz à effet de serre de l'hydrogène renouvelable et bas-carbone en application d'un règlement délégué, je me réjouis de son adoption conforme. Nous l'avons rendu plus ambitieux en prenant en compte toutes les étapes liées à la production et à l'utilisation de l'hydrogène, sans omission de ses dérivés, conformément aux recommandations du rapport d'information de la commission des affaires économiques sur le volet Énergie du paquet Ajustement à l'objectif 55.
S'agissant enfin de l'article 20, qui modifie les règles d'homologation des tarifs de redevance des concessions aéroportuaires, l'Assemblée nationale a aussi conservé l'apport du Sénat : à la signature d'un contrat de régulation économique, l'Autorité de régulation des transports appréciera le caractère modéré de l'évolution tarifaire en moyenne sur la durée couverte par le contrat. Je salue les apports de l'Assemblée nationale destinés à faciliter la signature de contrats de régulation économique entre les concessionnaires et l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme la présidente. - Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement.
Le projet de loi, modifié, est adopté.
Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 10 avril 2024, à 15 heures.
La séance est levée à 1 h 05.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 10 avril 2024
Séance publique
À 15 heures, de 16 h 30 à 20 h 30 et le soir
Présidence :
M. Gérard Larcher, président, M. Dominique Théophile, vice-président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président.
Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Guy Benarroche.
1. Questions d'actualité
2. Proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans, présentée par Mme Monique Lubin, M. Patrick Kanner, Mme Annie Le Houerou et plusieurs de leurs collègues (n°360, 2023-2024)
3. Proposition de loi visant à renforcer le service civique, présentée par M. Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°497, 2023-2024)
4. Débat sur le thème : « Haut-commissariat au plan : quel bilan et quelle influence sur les politiques publiques depuis 2020 ? » (demande du GEST)