Assainissement cadastral et résorption du désordre de la propriété
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à proroger la loi n°2017-285 du 6 mars 2017 relative à l'assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété, présentée par M. Jean-Jacques Panunzi et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Jean-Jacques Panunzi, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Louis Vogel applaudit également.) Le sujet de la normalisation foncière revient, sept ans après l'adoption de la loi du 6 mars 2017, qui avait été le fruit d'un long travail pour apporter des solutions aux territoires touchés par des désordres fonciers. Ces désordres sont marginaux à l'échelle nationale, mais touchent plus particulièrement certaines régions, en premier lieu la Corse, où 6,4 % des biens sont non délimités, contre un taux national de 0,4 %.
Les arrêtés Miot ne reposaient pas sur le principe d'exonération, mais sur celui d'absence de sanction en cas de non-déclaration d'une succession, en raison d'une indivision généralisée et d'une extrême pauvreté. La suppression de la contribution foncière en 1949 a entraîné une exonération de fait.
Ce désordre foncier est source d'insécurité juridique et a des effets économiques néfastes.
L'absence de titre de propriété empêche tout d'abord les citoyens de recourir aux dispositions de droit civil relatives à la propriété immobilière et entrave toute possibilité d'accès à l'emprunt. Les indivisions diluent les responsabilités et participent au délabrement des biens. Les contentieux familiaux sont nombreux.
L'État et les collectivités territoriales en pâtissent aussi : le recouvrement de l'impôt sur le foncier et sur la transmission est un parcours du combattant. Les droits de succession étaient de 6,7 millions en 2013, quatre fois plus en 2021. La dynamique de titrement, avec le concours du groupement d'intérêt général pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (Girtec) y est pour beaucoup.
Les mairies sont aussi en difficulté pour appliquer la réglementation environnementale ou celle relative aux immeubles menaçant ruine. De trop nombreux biens sont laissés à l'abandon.
La loi de 2002 a établi des périodes transitoires. Le Girtec, créé par la loi de 2006, n'a été opérationnel qu'en 2009 ; sa pérennité est désormais assurée, car le travail de reconstitution des titres sera long.
Il faut proroger jusqu'en 2037 les dispositions de la loi de 2017.
La situation évolue favorablement, mais il reste encore beaucoup à faire. En 2009, 406 000 parcelles étaient sans propriétaire, contre 313 000 aujourd'hui, sur le million de parcelles corses. Reconstituer un titre de propriété peut prendre plusieurs années. Un report de dix ans est donc nécessaire sur quatre des cinq articles de la loi de 2017.
Madame la ministre, l'article 2 relatif aux règles de majorité dans les indivisions n'est toujours pas appliqué, sept ans après sa promulgation, faute de procédure associée. J'ai saisi la Chancellerie pour qu'elle prenne un décret ou une circulaire permettant aux notaires d'agir - en vain.
D'autres territoires sont concernés - tous ruraux, montagneux ou insulaires, où le rapport à la terre est viscéral.
Aucune famille ne veut se retrouver dans la situation de Lamartine qui écrivait en 1860 : « J'ai été obligé de signer la vente de la moelle de mes os, à un prix de détresse qui ne représente ni la valeur morale ni la valeur matérielle. J'ai emporté avec des larmes, en quittant le seuil, les vestiges de ma mère et les reliques de ma jeunesse. »
Ce n'est pas une fatalité. Il faut que la représentation nationale prenne à bras-le-corps cette question et y réponde justement.
En février 2017, ce texte avait obtenu un soutien massif dans cet hémicycle ainsi qu'à l'Assemblée nationale. Le 28 mars dernier, l'assemblée de Corse, consultée pour avis, a rendu un avis favorable à l'unanimité. Toutes les conditions procédurales et politiques sont donc réunies. Tenez-en compte et adoptez largement cette proposition de loi.
Je remercie le rapporteur Reichardt, ainsi que le ministre de l'intérieur pour son engagement constant, concret et opérationnel ; merci, madame la ministre, pour votre présence. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. Thani Mohamed Soilihi et Louis Vogel applaudissent également.)
M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a sept ans, notre assemblée adoptait la loi qu'il est proposé de proroger. Cela témoigne de l'engagement des parlementaires pour répondre au désordre foncier et de l'irrégularité cadastrale qui caractérise la Corse depuis deux siècles, du fait de l'absence de titres de propriété, de l'inexactitude du cadastre et d'une forte proportion d'indivisions successorales.
C'est la conséquence de l'arrêté Miot de juin 1801, qui a aboli les sanctions pour défaut de déclaration de succession - entraînant l'arrêt de leur règlement pendant presque 200 ans. En 2017, 35 % des parcelles de l'île appartenaient officiellement à un propriétaire né avant 1910 et 15,6 % de la surface cadastrée de l'île correspondait à des biens non délimités.
Les articles 1er et 2 de la loi du 6 mars 2017 prévoyaient la sécurisation de la possession de biens par la prescription acquisitive et l'assouplissement des règles d'indivision.
Du côté des mesures fiscales, les articles 3, 4 et 5 prévoyaient des régimes d'exonération, respectivement, des droits de mutation à titre gratuit, des droits de succession et des droits de partage de succession.
Cinq ans après l'entrée en vigueur de ces mesures, la commission des lois a jugé leur bilan encourageant. Ni le Conseil notarial de Corse ni le ministère de la justice n'ont constaté de difficulté contentieuse.
Le Girtec estime que 1 868 titres ont été créés depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2017, ce qui concerne au moins 15 000 parcelles.
Ces efforts de titrement ont réduit de 4,6 points la proportion de parcelles appartenant à des propriétaires présumés décédés. Celle-ci s'établit à 30,4 % - ce qui est encore beaucoup trop.
Malgré l'incomplétude des données fiscales transmises par le ministre des finances - eh oui, pour une fois, il n'y a pas assez de chiffres ! -, on observe une hausse de 33,7 % du montant total des droits de succession perçus sur cinq ans, ce qui laisse penser que les mesures incitatives ont produit leurs effets. Le coût de l'exonération régie par l'article 3 de la loi de 2017 est évalué à 20 millions d'euros, ce qui est raisonnable.
Toutefois, plus de 300 000 parcelles - sur un million - demeurent encore enregistrées au nom de propriétaires présumés décédés, sur un total de plus d'un million de parcelles. C'est encore trop, c'est même énorme.
Pour le particulier, l'absence de titre de propriété signifie l'impossibilité de jouir de ses droits et conduit trop souvent à la dégradation des biens et à la multiplication des contentieux intrafamiliaux. Nous sommes en Corse...
Pour la puissance publique, le désordre foncier se traduit par une perte de recettes fiscales. De plus, l'absence de propriétaire identifié fait naître des risques en matière de sécurité civile ; je pense notamment aux obligations légales de débroussaillement, essentielles dans la prévention des incendies.
Il serait donc aussi improductif que dangereux de se satisfaire de l'extinction, en 2027, des mesures de 2017. C'est pourquoi la présente proposition de loi vise à les proroger de dix ans. Les articles 1er à 5 de la loi du 6 mars 2017 seraient ainsi applicables jusqu'en 2037 - mais nous sommes plusieurs à penser que cela ne sera pas une date butoir.
La résolution des situations d'indivision, la protection du droit de propriété et la régularité du cadastre sont des objectifs atteignables.
La commission des lois a choisi d'adopter cette proposition de loi en l'état et vous invite à faire de même, afin de poursuivre le travail engagé depuis sept ans. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et du RDSE)
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la ville et de la citoyenneté . - Depuis plus de deux siècles, la Corse connaît une situation foncière dégradée du fait de l'absence de titres de propriété, de l'inexactitude du cadastre et d'un niveau d'indivision successorale bien plus élevé qu'ailleurs. Cette situation remonte à l'arrêté Miot de 1801. Il s'agissait de dispenser de sanction l'absence de déclaration de succession, ce qui a dissuadé les familles corses de déclarer leurs successions pendant près de deux siècles.
Deux siècles plus tard, la situation cadastrale et foncière corse est fortement dégradée, avec 300 000 parcelles dont le propriétaire identifié est né avant 1910, soit 30 % des parcelles de l'île. De surcroît, l'inexactitude cadastrale entraîne l'existence de biens non délimités sur 6,4 % des parcelles corses, contre 0,4 % pour le reste du territoire.
Les particuliers ne peuvent jouir de leurs droits de propriété ni recourir normalement aux règlements successoraux, aux donations ou au crédit. Quant à la sortie des indivisions, elle peut être très coûteuse.
Les personnes publiques ne peuvent recourir à l'impôt de manière satisfaisante, notamment pour la taxe foncière - environ 20 millions d'euros perdus.
La sécurité des personnes et des biens est aussi menacée, faute d'une application efficace de la législation sur les immeubles menaçant ruine ou concernant la prévention des incendies.
Depuis trente ans, des dispositifs dérogatoires ont été mis en place pour favoriser le titrement. Je pense notamment au Girtec, créé en 2006, avec le soutien actif du Sénat. Son renforcement est à l'étude.
La loi du 6 mars 2017 est un outil utile, qui répond à un besoin réel en Corse.
Depuis deux ans, le Gouvernement a engagé des discussions avec les élus corses, notamment dans le cadre d'un comité stratégique. Ce sujet a été abordé à plusieurs reprises, notamment par le sénateur Panunzi dont je salue l'engagement.
En prolongeant de dix ans les dispositifs de 2017, le Parlement facilitera le travail de reconstitution des titres. Grâce à la loi de 2017, 15 000 parcelles ont été titrées. Près de 100 000 parcelles ne sont plus considérées comme appartenant à un propriétaire présumé décédé, soit un quart de leur nombre estimé en 2009. Mais la situation est encore loin d'être satisfaisante.
Le cadre civil créé par la loi et les exonérations fiscales ont créé une dynamique, constatée par les notaires. Mais il reste encore d'importantes marges de progression qui appellent une prorogation de la loi jusqu'en 2037.
Le désordre foncier en Corse revêt une dimension politique et contribue à la spéculation foncière en soustrayant au marché un volume significatif de biens.
Ce dispositif dérogatoire doit être sécurisé. Ne nous privons pas d'identifier des améliorations techniques.
Donnons-nous les moyens de contribuer au maintien d'une politique volontariste de la nation en faveur de nos compatriotes corses ; le Gouvernement soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Gilbert Favreau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le présent texte vise à proroger pour dix ans les effets de la loi du 6 mars 2017.
La Corse a connu, de 1801 à 1812, un droit spécifique dispensant les héritiers de déclarer les successions. Cela a créé de nombreuses indivisions inconnues de l'administration du cadastre et des services fiscaux. Les terres corses n'avaient aucune valeur agricole et la malaria amoindrissait la valeur des terrains situés en bord de mer.
Le premier consul, corse de naissance - Napoléon Bonaparte - , ne voulait pas aggraver la pauvreté de l'île. Je salue le juriste Portalis (l'orateur se tourne vers la statue de Portalis située dans l'hémicycle), père du code civil français, document d'une clarté parfaite qui a fait du droit français ce qu'il est aujourd'hui. Malheureusement, le droit, notamment réglementaire, est devenu très abondant, ce qui pose des difficultés de lecture aux juristes...
Un arrêté a été pris le 21 prairial an IX, soit le 10 juin 1801, par M. Miot, alors administrateur général de la Corse.
Deux siècles plus tard, cette situation a été aggravée par un arrêt de la Cour de cassation du 2 janvier 1992, qui a considéré que faute de base légale, les droits de succession ne pouvaient être recouvrés.
La loi du 6 mars 2017 visait à y remédier. Une régularisation était prévue avec une exonération de moitié des taxes pour les successions ouvertes entre 2013 et 2027. Le présent texte vise à proroger ces dispositions jusqu'en 2037.
On est loin d'une régularisation complète. Le retard pris est dû au temps nécessaire pour reconstituer les titres de propriété. Il y aurait eu 100 000 régularisations, mais il en resterait 300 000. Le défaut de déclarations antérieures et l'existence de nombreuses indivisions compromettent la reconstitution des titres.
La réduction des droits de 50 % peut paraître insuffisante : le travail du notaire et du géomètre doit en effet être rémunéré. On peut donc comprendre la réticence des propriétaires face à une opération potentiellement coûteuse...
Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Sabrina Agresti-Roubache applaudit également.)
M. Pierre Jean Rochette . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDPI) La Corse se trouve dans un désordre cadastral et foncier particulier. En 2016, près de 35 % des parcelles cadastrées étaient enregistrées comme appartenant à des propriétaires décédés, conséquence des arrêtés Miot de 1801.
Le retour au droit commun est indispensable, car les conséquences sont préjudiciables tant pour les particuliers que pour les pouvoirs publics.
La loi du 6 mars 2017 a apporté une réponse concrète à ce désordre et ses résultats sont très encourageants. Toutefois, plus de 300 000 parcelles appartiennent encore à des propriétaires présumés décédés : le travail de reconstitution des titres est loin d'être terminé. Je me félicite donc de la présentation du présent texte et remercie le rapporteur pour la qualité de ses travaux.
Le groupe INDEP est convaincu de la nécessité de poursuivre le mouvement vertueux de titrement du foncier et votera à l'unanimité en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDPI et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Paul Toussaint Parigi . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Parler des spécificités corses n'est pas un péché d'autocentrisme - cette proposition de loi en témoigne...
En 1801 déjà, alors que la Corse avait été rattachée à la France trente ans plus tôt non par la vertu du droit, mais par la force des armes, elle se vit appliquer une législation d'exception adaptée à sa situation économique et géographique et à l'inexistence d'un marché foncier. La fiscalité des successions a été adaptée à une situation marquée par les indivisions et les successions orales.
Cette mesure se voulait pragmatique et transitoire ; mais elle s'est éternisée et a favorisé le maintien des propriétés en indivision.
Pendant plus de deux siècles, à cette spécificité législative, s'est ajoutée l'inaction. Aucune solution juridique satisfaisante n'a été envisagée pour y remédier, ce qui a lourdement pesé sur l'économie, dégradé le foncier et ruiné des villages entiers. Il en a résulté une absence de titres de propriété, notamment dans les zones rurales et montagneuses.
La persistance de cette exception juridique a créé non un avantage, mais une gangrène conduisant à la dégradation des biens et à de nombreux contentieux. Cela reste encore un handicap lourd pour revitaliser un monde rural qui se désertifie.
Ce mal, conjugué aux problèmes de la spéculation immobilière et du logement, rappelle le lien viscéral des Corses à leur terre, en raison de son histoire féconde et souvent traumatique.
Ce problème a vicié le rapport de la Corse avec l'ensemble français et entravé le bon développement de pans entiers de l'économie insulaire et d'une part importante de notre territoire. Et cette situation a fait naître des a priori tenaces sur notre prétendue volonté d'échapper à l'impôt - une contre-vérité.
C'est bien tardivement, sous l'impulsion des élus corses, que des mesures ont été prises. Le texte de 2017 a mis en place des mesures dérogatoires et transitoires en vue d'un retour au droit commun. Sept ans plus tard, ses effets sont satisfaisants, mais l'horizon d'achèvement des travaux de titrement semble encore lointain.
Le groupe de travail « Lutter contre la pression foncière et la spéculation immobilière en Corse » préconisait déjà des dérogations jusqu'en 2037.
Nous sommes donc favorables à ce texte qui, s'il n'était pas voté, briserait un élan, laissant à l'abandon une grande partie du patrimoine des Corses.
Un mot sur la méthode : si le texte de 2017 permet de résorber lentement des siècles d'ingérence, cela ne peut se faire à droit constant. Plane au-dessus de ces mesures le spectre de l'inconstitutionnalité. L'accord politique qui prévalait en 2017 et prévaut aujourd'hui prévaudra-t-il demain ?
Nous demandons à sortir d'un système transitoire et à entériner une situation pérenne par l'octroi de compétences adaptées. C'est en raison du risque d'inconstitutionnalité que l'inscription de la Corse dans la Constitution est nécessaire. La problématique de ce jour en soulève une autre : la capacité des Corses à conserver leur patrimoine, au vu des droits de succession qu'ils auront à payer, corollaire de l'augmentation des prix due à la spéculation immobilière.
Je vous propose d'adopter ces dispositions, tout en gardant à l'esprit que la Corse mérite la résolution à droit constant de la question foncière. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Sur l'île de Beauté, de nombreux biens immobiliers ne disposent pas de titre de propriété, en raison d'une particularité héritée de l'ère napoléonienne. Durant deux siècles, les successions n'étaient pas déclarées. Il en résulte un désordre cadastral qui pénalise tant les citoyens, privés de titres de propriété, que les finances locales. La libre administration des collectivités est mise à mal par la perte d'autonomie fiscale, d'autant qu'en quinze ans, trois fiscalités locales ont disparu.
On nous annonce un projet de loi constitutionnelle portant statut d'autonomie pour la Corse. Le présent texte démontre, si besoin était, la nécessité d'un droit à la différenciation - à la particularité, dirait Paulu Santu Parigi. Nous nous réjouissons des débats à venir sur les nouvelles compétences qui permettraient de résoudre ce problème.
Nous devons mentionner le risque d'inconstitutionnalité : donner à la Corse un pouvoir normatif propre lui permettrait de créer ses propres régimes légaux sans risquer la censure du Conseil constitutionnel. Notre groupe est toujours en faveur d'une simplification passant par une différenciation locale.
Si le besoin de résorption du désordre de propriété est un constat partagé, nous aimerions savoir si les mesures à proroger ont été évaluées. Quid de l'efficacité des dépenses fiscales visées ? Le manque d'étude d'impact pèse sur la sincérité de nos débats. Nous ne sommes pas les seuls à regretter le manque d'évaluation.
Il faut clarifier le cadastre pour mieux gérer et protéger le foncier, pour entretenir les zones naturelles d'exception. Mais cette proposition de loi ne traite qu'une infime partie du problème : rien sur la spéculation foncière ou sur la tension due aux locations saisonnières, alors que mon groupe défend le droit de vivre au pays.
Nous saluons la sécurisation juridique des biens par la procédure de prescription acquisitive et la limitation des délais de recours, mais sommes plus réservés sur l'opportunité de proroger des mesures sans évaluation préalable. Nous voterons néanmoins le texte, dans l'attente du projet de loi constitutionnelle qui apportera des solutions plus structurelles en donnant à la Corse le pouvoir d'adopter des lois adaptées à ses spécificités. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman . - Nous dérogerons à notre positionnement habituel en votant cette dérogation. Pour qui ne connaîtrait pas l'histoire de la Corse, la réalité territoriale et le rapport spécifique à la terre, cette proposition de loi serait incompréhensible. L'arrêté Miot a conduit à une situation cadastrale et fiscale qui complexifie l'aménagement du territoire par les collectivités.
C'est la force d'une République de savoir s'adapter pour prendre en compte les réalités territoriales spécifiques.
Oui, il y aura encore besoin de temps pour assainir la situation cadastrale. Oui, il faudra renforcer encore l'action du Girtec, accélérer. Il faut accepter la prolongation dans le temps du dispositif. J'entends le risque constitutionnel - mais il ne faut pas céder à l'immobilisme.
Mieux connaître le foncier permettra aux communes et à la collectivité de mieux aménager le territoire et d'augmenter leurs moyens.
Le Gouvernement a annoncé un projet de loi constitutionnelle sur la Corse ; d'ici là, nous aurons examiné un projet de loi sur le logement - problème qui se pose avec acuité dans les villes du littoral, les plus touristiques, mais aussi dans les terres et les zones montagneuses. Les jeunes générations sont contraintes de quitter leur île faute de pouvoir s'y loger. Certaines belles expériences menées il y a quelques années ont été mises entre parenthèses. Nous avons besoin d'une politique de logement ambitieuse pour la population corse.
M. Michel Masset . - Ce texte comporte deux articles : le premier proroge jusqu'en 2037 l'application de la loi de 2017 ; le second proroge les incitations fiscales au règlement des successions.
Il devrait y avoir quelque chose par nature d'insatisfaisant. Mais le droit n'est pas une chose froide et inerte ; c'est le fruit d'un contexte social et historique - mes premiers mois passés dans cet hémicycle me l'ont enseigné. Légiférer n'est pas une science mécanique, mais une oeuvre d'anticipation ; il faut sans cesse s'adapter, corriger.
Cette proposition de loi trouve son origine dans l'histoire corse, avec l'arrêté Miot de 1801, en grande partie responsable du désordre foncier actuel, fait de situations d'indivision complexes liées à une absence de titres de propriété.
La loi du 6 mars 2017 consacrait dans le code civil les actes de notoriété acquisitive, issus de la pratique notariale, pour dix ans, soit jusqu'en 2027. L'échéance se rapproche et il reste beaucoup à faire.
Nous souscrivons donc à une prorogation de dix années supplémentaires.
Derrière ce texte, nous entrevoyons d'autres problématiques : accès à la propriété, pression foncière, problèmes d'urbanisme ou d'environnement. Autant de sujets exacerbés dans un territoire insulaire, mais qui touchent toutes les collectivités - je pense à la proposition de loi de Jacques Mézard facilitant l'expropriation de biens sans propriétaire, reprise dans la loi 3DS. La question des indivisions ou des biens sans maître est bien connue dans le milieu rural.
Le RDSE, sensible à ces problématiques, votera ce texte à l'unanimité. (M. Jean-Jacques Panunzi applaudit.)
M. Thani Mohamed Soilihi . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Les mesures transitoires prévues par la loi de 2017 devaient permettre de résoudre le désordre foncier qui règne en Corse, héritage d'un arrêté de 1801 qui grève aujourd'hui la sécurité juridique des individus et empêche les territoires de recouvrer l'impôt.
Vue de l'Hexagone, la situation de la Corse est tout à fait spécifique ; mais dans nos outre-mer, elle est d'une insupportable banalité.
Avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, j'ai coordonné trois rapports procédant à une évaluation de la situation des droits fonciers dans l'ensemble des territoires ultramarins, dès 2015. La question foncière constitue dans tous les outre-mer un des verrous au développement. En Polynésie, où 58 % des parcelles sont concernées, les situations d'indivision sont devenues inextricables.
À l'instar du Girtec, des mécanismes novateurs ont été créés - je pense aux agences pour la mise en valeur de la zone des cinquante pas géométriques aux Antilles, créées en 1996, et prorogées depuis. À Mayotte, la commission d'urgence foncière, créée en 2017 et devenue opérationnelle en 2019, aide les propriétaires dans leur démarche de régularisation, via une procédure de titrement. Je salue le travail remarquable des treize personnes qui y travaillent, en sous-effectif.
Je regrette au passage le rejet de mon amendement au récent projet de loi relatif à l'habitat dégradé, visant à prolonger le régime dérogatoire issu de la loi Letchimy du 27 décembre 2018, alors que les notaires considèrent que le délai, même prorogé, ne suffira pas compte tenu du stock de dossiers en attente.
Je me suis permis cette parenthèse ultramarine avec d'autant plus de liberté que certaines des dispositions de ce texte concernent l'ensemble du territoire français.
À droit constant, il est impossible de résoudre les désordres fonciers. Ces dérogations temporaires sont indispensables pour espérer retrouver un jour le chemin du droit commun. Mais si la situation ne s'améliore pas, il faudra imaginer d'autres moyens novateurs pour encourager les propriétaires à se faire connaître. Le législateur a démontré sa capacité à imaginer des dispositions ad hoc pour dénouer des situations inextricables. Je nous invite donc dès à présent à y réfléchir. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Sabrina Agresti-Roubache applaudit également.)
M. Pierre-Alain Roiron . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi s'inscrit dans une initiative de longue haleine - cela fait plus de trois décennies. La loi de 2017 portée par Camille de Rocca Serra tentait de remédier à des difficultés cadastrales et foncières que connaît la Corse, mais aussi la Lozère ou les outre-mer.
En Corse, le désordre foncier découle du régime de l'arrêté Miot, qui a laissé la place, en 2002, à un régime fiscal transitoire. Je remercie le rapporteur Reichardt pour son travail éclairant.
Malgré les avancées réalisées depuis 2017, il reste 300 000 parcelles non attribuées. La proposition de loi du sénateur Panunzi est une reconnaissance de cette réalité, qui a des implications à long terme. Les usufruitiers ne peuvent jouir de leur droit de propriété ; la sortie des indivisions peut s'avérer très coûteuse ; les successions non réglées entraînent une détérioration des biens faute d'entretien, ainsi qu'une augmentation des prix en réduisant le foncier disponible. La personne publique ne peut recouvrer l'impôt, ce qui restreint la capacité des collectivités à entretenir leur territoire. La rareté des actes de propriété immobilise le système économique local.
Des incitations fiscales non négligeables ont été prévues.
Nous comprenons que le travail de reconstitution des titres est loin d'être atteint et qu'il serait illusoire d'espérer une normalisation d'ici l'échéance de 2027. Les réalités locales s'imposent aux normes.
Notons qu'en 2017, la commission des finances avait déjà identifié des difficultés sur les trois articles fiscaux et questionné la propagation de dix ans - l'usage étant de ne reconduire les dépenses fiscales que pour trois ans. Le rapporteur s'interrogeait déjà sur la constitutionnalité d'une prorogation de dix ans. Enfin, à deux reprises, en 2012 et 2013, le Conseil constitutionnel a censuré des mesures d?exonération de droits de succession pour des immeubles situés en Corse, considérant qu'elles méconnaissaient le principe d'égalité devant les charges publiques.
Ces mesures ne pourront être prorogées à l'infini. Pour des raisons budgétaires évidentes, mais également par principe. Une incitation fiscale trop prorogée perd de son attractivité...
Un financement stable du Girtec par l'État est indispensable pour concrétiser notre attachement envers l'amélioration continue du cadastre en Corse. Nous aurons l'occasion d'y revenir en projet de loi de finances. Mais nous le savons tous : proroger, c'est retarder et, souvent, ne pas faire face à nos responsabilités collectives.
Au regard des progrès soulignés par le Girtec et de l'ampleur du travail qui reste à accomplir, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDPI et du RDSE ; M. Jean-Jacques Panunzi applaudit également.)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Masset applaudit également.) Des Ardennes à la Corse, il y a une certaine distance et je n'ai jamais eu l'occasion de me rendre dans cette dernière. Pourtant, il y a des voies ferrées... (Exclamations amusées) Peut-être pourrais-je le faire un jour, quand je ne siégerai plus ici. (L'orateur reçoit les vifs encouragements de ses collègues.)
C'est la première fois que j'interviens sur ce sujet, bien que je sois au Sénat depuis 2007. Je remercie l'auteur de la proposition de loi.
Le cadastre est compliqué, nous le vivons dans nos territoires et je l'ai vu en tant que maire d'un village. Les chiffres qui ont été donnés sont édifiants : 300 000 parcelles non titrées, sur un million ! Je remercie le rapporteur pour sa pédagogie.
La prorogation de la loi de 2017 est bienvenue, mais il faut mobiliser des moyens humains adaptés, notamment ceux de la DGFiP, pour lesquels j'ai beaucoup de respect.
L'enjeu touristique est très fort. Ce n'est pas pour rien qu'on parle de l'île de Beauté ! Or l'insécurité juridique, la multiplication des conflits familiaux et le manque d'entretien des parcelles, soulignés précédemment, posent problème.
Le manque à gagner pour les collectivités territoriales s'élève à 20 millions d'euros de taxe foncière non perçus. Le volet financier de ce dossier est également important.
La tâche est immense et requiert du temps et des moyens humains, dans l'administration comme auprès des géomètres et des notaires.
Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements)
Vote sur l'ensemble
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°173 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 341 |
Contre | 0 |
La proposition de loi est adoptée.
Mme la présidente. - À l'unanimité ! (Applaudissements nourris)