Situation de l'hôpital
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur la situation de l'hôpital, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Philippe Mouiller, pour le groupe Les Républicains . - Le groupe Les Républicains a proposé au Sénat d'organiser ce débat en raison de la situation financière des structures hospitalières publiques et privées. Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement de notre système hospitalier ?
Alors que le Président de la République promettait en 2022 de faire de l'hôpital sa priorité, peu de projets ont émergé et une posture attentiste a prévalu. Le Gouvernement a ainsi laissé prospérer des initiatives parlementaires non évaluées et non coordonnées. Grâce au travail de qualité des parlementaires, de petites touches ont été apportées, par exemple sur la permanence des soins ou les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue).
Pourtant, la crise sanitaire aurait dû nous faire réagir collectivement. Certes, le Ségur a permis de recycler certaines mesures, comme un effort d'investissement de 13 milliards d'euros, présenté six mois plus tôt comme la reprise d'un tiers de la dette hospitalière. Mais quel est le bilan aujourd'hui ? Les revalorisations ont été, non pas un choc d'attractivité, mais un rattrapage. Pire, nous ne cessons de compter les oubliés.
La Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ne suscite guère d'engouement. On peine à identifier les grands projets structurels, surtout vu le contexte inflationniste. Ainsi, quatre ans après la crise sanitaire, quel est le plan du Gouvernement pour l'hôpital ? Comment y retrouver des équipes stables ? Comment le préparer pour demain ?
Comment les 105 milliards d'euros de dépenses annuelles permettront-ils que l'hôpital redevienne une fierté ? Comment sortir des déficits permanents ? Que de questions !
Lors de ses voeux, voilà un an, le Président de la République annonçait un big-bang de l'hôpital : il fallait en finir avec la tarification à l'activité (T2A). Le rapport d'Olivier Claris et de Nadiège Baille n'a pas été publié, alors qu'il était censé préfigurer cette réorganisation.
Quant au financement, à la hâte, l'ancien locataire de l'avenue Duquesne a défendu une sortie en trompe-l'oeil de la T2A, dénoncée par Corinne Imbert lors du dernier PLFSS. Une réforme est entrée en vigueur théoriquement le 1er janvier dernier, mais sans effet réel ni clarification du modèle cible.
Le Gouvernement préfère disserter sur le code de la sécurité sociale sans jamais parler de financement - le ministre au banc renvoyait à un projet de loi ad hoc, un comble lors de l'examen d'un PLFSS ! Année après année, la commission des affaires sociales regrette un débat tronqué et un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) insincère : plus de 100 milliards d'euros sont consacrés à la santé sans arbitrage du Parlement.
Le nouveau gouvernement annonce une revalorisation des tarifs hospitaliers. Las ! Nous aurions préféré débattre du coût lors du vote de l'Ondam en novembre dernier, alors que le ministre de l'économie annonce un dérapage du déficit public.
Vous opposez public et privé, alors que les deux devraient travailler en complémentarité.
Comment comprendre la stratégie du Gouvernement, avec un Ondam en progression fin 2024, une rallonge budgétaire début 2024 et, désormais, la recherche d'économies en urgence ?
La situation des établissements hospitaliers se dégrade et, avec ces annonces, les professionnels de santé ne se sentent pas soutenus. Nous les rencontrons très souvent : ils n'ont plus confiance.
Pour en finir avec ce contournement du Parlement, le groupe Les Républicains a souhaité ce débat pour échanger sur ces sujets.
Les sénatrices et sénateurs auront des questions concrètes. Monsieur le ministre, j'espère des réponses. Certes, le contexte est difficile, mais nous avons des doutes sur la stratégie du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et du RDSE)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention . - Je vous remercie de cette occasion d'échanger sur l'hôpital, où plus d'un million de personnes travaillent et où sont soignés 12 millions de patients chaque année, dans 1 400 établissements.
L'hôpital est à la croisée des chemins. À peine sorti de la crise sanitaire, il fait face à de nombreux défis, liés aux attentes croissantes, légitimes, de la population, et à la crise des ressources humaines et de l'attractivité. Soyons lucides, mais sans misérabilisme. Certes, l'hôpital connaît des difficultés structurelles, mais il faut aussi en être fier : c'est aussi le lieu où l'on forme, où l'on recherche, le lieu de nombreuses premières mondiales.
L'année 2023 fut charnière : l'activité augmente, dans le secteur public, mais les tensions demeurent, notamment aux urgences. Ma priorité est de continuer à soutenir l'hôpital. En 2024, le Gouvernement est plus que jamais attentif à la situation financière des établissements publics et privés, en raison de l'inflation et du redémarrage difficile après la crise sanitaire.
Les moyens manqueraient ? C'est faux : depuis 2017, l'Ondam est passé de 191 milliards d'euros à 255 milliards. La hausse des tarifs que vous évoquiez représente 3,2 milliards d'euros pour les établissements. C'est la cause de la différence faciale entre public et privé que vous évoquez, puisque cela permettra un milliard d'euros de revalorisation salariale pour le public. Des réformes structurantes ont également lieu, par exemple pour les urgences ou la psychiatrie.
Autre chantier majeur pour 2024, celui des ressources humaines. Nous avons augmenté le numerus clausus et le nombre d'infirmiers diplômés, et revalorisé le travail de nuit et de week-end, car les contraintes du travail à l'hôpital doivent être reconnues.
Le Ségur investissement, doté de 15,5 milliards d'euros, n'est pas une avance de trésorerie, comme les plans Hôpitaux 2017 et 2022, mais bien une subvention qui a permis de moderniser 3 000 établissements.
Fidéliser passe par le chantier de la profession infirmière, qui doit aboutir cette année, et la réforme des études médicales, notamment la quatrième année de médecine générale.
La loi du 27 décembre 2023 répondra aux difficultés rencontrées par les Padhue.
Les urgences fonctionnent si le parcours en amont est fluide. L'organisation du parcours des patients est un moyen d'y parvenir.
En outre, comme le Premier ministre s'y est engagé, les services d'accès aux soins (SAS) seront généralisés pour que les citoyens trouvent des réponses en matière de santé. Nous en comptons 63 actuellement, pour 80 % de la population ; ils seront 100 d'ici à la fin de l'été.
La médecine de ville doit également prendre toute sa part. La réforme des autorisations ou de la permanence des soins dans les établissements fait partie des solutions.
La transition écologique et la digitalisation de l'hôpital se poursuivent. Ainsi, le Gouvernement s'est engagé à réduire de 5 % les émissions de gaz à effets de serre de la santé. Nous poursuivons la modernisation des systèmes d'information, sans ignorer les chantiers majeurs de l'intelligence artificielle et des données de santé.
Mais ne pas regarder au-delà des quatre murs de l'hôpital, c'est manquer une partie du sujet. Il joue un rôle structurant dans les territoires, coopère avec la médecine de ville. Chaque jour, il s'y passe des choses formidables. Le plan massif de recrutement porte ses fruits : notre objectif est de rouvrir des lits maintenant et partout. (M. Jean-François Husson en doute.) L'activité augmente au-delà des prévisions.
L'hôpital, bien plus que des chiffres, ce sont des soignants qui travaillent chaque jour au service des concitoyens. Il faut lui assurer un avenir pérenne. Nous sommes mobilisés.
Mme Anne-Sophie Romagny . - Le 14 février dernier, la Haute Autorité de santé (HAS) a rendu publics les résultats de la certification des établissements de santé, menée tous les quatre ans : 85 % des établissements ont été certifiés, mais 12,8 % doivent accomplir des efforts et 2,8 % n'ont pas été certifiés, notamment de petits établissements. Il y a des disparités régionales : un tiers des établissements des Pays de la Loire et plus de la moitié en Guadeloupe ou en Martinique ne l'obtiennent pas.
Quelles en sont les causes ? Les petits établissements peuvent-ils répondre aux nouveaux critères adoptés en 2020 ? Ne craignez-vous pas l'instauration d'un cercle vicieux ? Comment comptez-vous accompagner les établissements en difficulté ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Une chose est claire : nous ne baisserons pas le niveau d'exigence attendu. Mais nous aiderons tous les établissements à travers les groupements hospitaliers de territoire (GHT), obligatoires depuis dix ans. Ainsi, les établissements principaux pourront apporter leur expertise aux autres. La certification pourrait davantage devenir celle du GHT.
La certification par établissement date d'une vingtaine d'années et a fait ses preuves en termes de standards de qualité. À l'approche des jeux Olympiques, nos établissements feront l'objet d'attaques plus nombreuses qu'avant.
Nous allons continuer à adosser les financements à la qualité, mais celle-ci ne doit pas devenir un couperet. Nous mettrons les moyens pour accompagner les établissements.
Mme Anne Souyris . - Huit Français sur dix pensent que l'hôpital public est en danger et que la qualité des soins va se dégrader - et neuf soignants sur dix ! En théorie, chaque infirmière doit encadrer douze à quatorze patients, mais en pratique c'est souvent bien plus.
En janvier 2023, le Sénat a adopté une proposition de loi instaurant un taux d'encadrement minimal. Le Gouvernement s'en saisira-t-il ? Peut-être répondrez-vous qu'avec de tels ratios, un certain nombre d'établissements devraient fermer. Mais quid de la situation actuelle ? Les soignants et les patients sont-ils en danger ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Les ratios existent déjà à l'hôpital : pour les soins critiques, pour l'obstétrique, pour les dialyses, pour les grands brûlés, entre autres. Mais les systématiser n'est pas satisfaisant. Nous en avions déjà débattu lors de l'examen de la proposition de loi de Bernard Jomier. Une personne qui sort le jour de l'opération ou trois jours après ne demande pas le même taux d'encadrement.
Mme Émilienne Poumirol. - Et la charge mentale ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Cela désorganiserait des services de qualité. La certification par la HAS est la plus adaptée, hors les services déjà concernés par une norme d'encadrement. Ces ratios seraient une approche décalée, voire bureaucratique. Je m'étonne d'ailleurs d'entendre des critiques sur l'excès de bureaucratie tout en constatant que certains veulent encore en ajouter.
Mme Anne Souyris. - Cette demande n'est pas bureaucratique : elle vient des soignants eux-mêmes. Bien sûr, il ne faut pas forcément le même ratio dans tous les services. Appliqué en Californie depuis 2004, le ratio d'un soignant pour six patients a amélioré les conditions de travail et les recrutements. (M. Akli Mellouli applaudit.)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Il faut faire confiance aux soignants et au dialogue social pour organiser les soins de la façon la plus adaptée. Cette approche par le ratio, par le tableur Excel, n'est pas celle des soignants, mais de certains syndicats, qui veulent souligner les manques de personnels à l'hôpital. Nous y travaillons déjà.
Mme Anne Souyris. - Cette demande vient non seulement des syndicats, mais aussi du collectif interhospitalier. Beaucoup de soignants sont en burn-out, c'est une question d'humanité. Pour l'instant, ce ratio est insuffisant.
Mme Evelyne Corbière Naminzo . - Entre restrictions budgétaires, fermetures de lits et manque de personnel, l'hôpital est à bout de souffle, notamment en raison de la T2A et de l'Ondam, qui est en deçà des besoins. Ainsi, 40 000 lits ont fermé en dix ans, et les CHU ont vu leur déficit tripler entre 2022 et 2023, à 1,2 milliard d'euros.
La situation est critique dans l'océan Indien : l'hôpital de Mayotte est sous-doté au regard de la population mahoraise et le CHU de La Réunion, mon département, devrait avoir des moyens conséquents en tant qu'établissement pivot.
Chaque année, on constate combien les équipes sont performantes, avec une offre de soins élargie. Pourtant, les effectifs de l'unité de formation et de recherche (UFR) et du CHU sont quatre à cinq fois inférieurs par rapport aux mêmes structures hexagonales. Il faut plus de postes pour former les futurs médecins de La Réunion - la région n'a d'ailleurs pas attendu l'État pour permettre un cursus complet d'études de médecine.
Quand l'hôpital de La Réunion ne sera-t-il plus considéré comme un hôpital de seconde zone ? Quand ouvrirez-vous les droits à la santé des Français de l'océan Indien ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Je ne méconnais pas les difficultés de l'hôpital, mais tout ne va pas mal : cessons l'hôpital-bashing. (Mme Émilienne Poumirol ironise.)
L'établissement que vous avez évoqué, à La Réunion, est en difficulté, avec 49 millions d'euros de déficit. La situation s'est détériorée en deux ou trois ans. (Mme Evelyne Corbière Naminzo le confirme.) Une mission de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) a été diligentée pour en comprendre les causes.
Mayotte n'est pas sous-dotée : 127 millions seront consacrés à rénover l'hôpital, tandis qu'un second site sera créé. Elle reste la première maternité de France, mais nous voulons que les conditions standards s'y appliquent comme en d'autres points du territoire. Elle bénéficie d'un bon réseau de soins primaires, adossé à l'hôpital.
Mme Véronique Guillotin . - Il y a un an, j'interrogeais votre prédécesseur sur le rapport de l'Académie de médecine, qui préconisait le rapprochement de petites maternités - moins de 1 000 naissances. On m'avait alors répondu que cela ne figurait pas à l'ordre du jour du Gouvernement. Deux mois plus tard, en mai 2023, François Braun lançait une mission pour étudier les solutions innovantes pour associer sécurité et proximité, mais elle n'a jamais vu le jour.
M. Jean-François Husson. - Ce n'est pas bien, ça !
Mme Véronique Guillotin. - En 2023, le taux de mortalité néonatale a augmenté : manque de professionnels, obésité des mères, précarité... Mais nous sommes passés d'une situation d'excellence à la 21e place au sein de l'OCDE.
Voilà pourquoi le RDSE a lancé une mission d'information sur la santé périnatale, dont je suis rapporteure. L'Académie de médecine parle d'urgence : ce sujet est-il bien identifié par votre ministère ? Quels sont les mesures et le calendrier envisagés ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Je me réjouis de la mission du Sénat, qui éclairera un débat rendu complexe par la baisse de la natalité, complexité accentuée par les difficultés de recrutement.
Notre pays n'a pas à rougir de ses maternités, même si les ressources médicales sont insuffisantes. Les tarifs d'obstétrique ont été revalorisés, pour le public comme pour le privé. Qualité et sécurité figurent au coeur de la réflexion.
M. Jean-François Husson. - Quelle est la réponse ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - La question de la pérennité de certaines maternités se pose, lorsqu'elles ne peuvent plus assurer la sécurité minimale aux femmes qui accouchent. Cependant, l'avis de l'Académie de médecine n'est pas nécessairement celui du Gouvernement.
M. Jean-François Husson. - Que l'on ne connaît toujours pas !
Mme Nadège Havet . - Nous manquons de médecins hospitaliers. Notre majorité a agi : depuis quatre ans, le numerus clausus a été remplacé par le numerus apertus, avec 13 000 places supplémentaires d'ici à 2025 - même si cela ne produira d'effets que dans quelques années. Le Ségur a permis des investissements colossaux.
J'ai été interpellée à plusieurs reprises sur les Padhue : leur intégration ressemble à un parcours du combattant, alors qu'ils sont des milliers à travailler dans nos hôpitaux.
Or, comme le dit Mathias Wargon, chef du service des urgences de l'hôpital Delafontaine, « s'ils n'étaient pas là, ce serait le chaos. » Ils sont importants, en Seine - Saint-Denis comme en Finistère.
Leur statut a été réformé en 2019. Une procédure dérogatoire est prévue, avec un dépôt de dossier auprès des Agences régionales de santé (ARS), sans concours. Mais de nombreux dossiers ne sont pas instruits, d'où une pétition en ligne, qui se conclut ainsi : « J'adore la médecine, je ne me reconvertirai pas. J'aime la France, je ne la quitte pas. » Comment mieux accompagner ces professionnels ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Durant des années, la France n'a pas bien traité les Padhue, limités dans leur pratique professionnelle malgré leurs services essentiels.
Le Gouvernement veut sortir de cette zone grise en octroyant à ces personnes un statut. Ainsi, nous avons clarifié le statut de ceux qui travaillent déjà dans les établissements. Nous avons simplifié les épreuves de validation des connaissances professionnelles. Avec la loi Immigration, nous avons créé le passeport talent.
D'ici à 2025, nous substituerons au concours un examen par une commission de pairs, à l'échelle des GHT, afin de les reconnaître plus rapidement.
Mme Annie Le Houerou . - Le 25 mars 2020, le Président de la République annonçait un plan massif d'investissements, concrétisé par le Ségur de la santé, en réponse à la crise aiguë de l'hôpital public.
Pourtant, quatre ans plus tard, les professionnels de santé sont mécontents et l'hôpital public souffre de difficultés persistantes, avec des déficits qui bloquent les investissements, une crise des vocations, des fermetures de lits. Les urgences sont en survie. L'hôpital public ne répond plus aux exigences de la population malgré le dévouement des personnes qui y travaillent.
Le Président de la République affirmait, dans ses voeux aux soignants le 6 janvier 2023, qu'il fallait sortir de la T2A, mais il avait déjà fait cette promesse en 2017.
De nombreux tarifs sont en décalage avec les coûts, et leur augmentation couvre à peine l'inflation. L'hôpital public ne choisit pas ses patients : il prend soin de tous.
Les gouvernements successifs ont attribué ces problèmes à des questions d'organisation territoriale ou des services, ou encore de statut, ignorant les appels à un financement en fonction des besoins, et non des objectifs budgétaires.
Comment réformerez-vous le financement de l'hôpital public pour assurer sa pérennité ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Je ne peux vous laisser dire que l'hôpital ne répond pas aux besoins de la population (Mmes Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou protestent), alors que 21 millions de personnes sont prises en charge chaque année aux urgences. Certes, on peut parler de dysfonctionnements, de tensions, mais vous ne pouvez pas dire ça.
C'est le discours du tout va mal, or jamais aucun gouvernement n'avait autant augmenté les rémunérations. Les agents de l'hôpital ont reçu 8 milliards d'euros, soit 10 % de plus nets sur la feuille de paie.
Le Ségur de l'investissement représente 15,5 milliards d'euros : ce sont non pas des avances de prêts comme pour les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, qui devaient être remboursées, mais bien des aides directes.
La T2A à l'hôpital ne représente que la moitié du financement de l'hôpital, et cette part diminue chaque année.
M. Alain Milon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question portait initialement sur les arbitrages budgétaires, mais je vous interrogerai sur le numerus apertus : le nombre de médecins formés a augmenté de 15 %.
Néanmoins, Agnès Firmin Le Bodo estimait qu'en raison des attentes des nouveaux professionnels, il faudrait désormais deux médecins pour remplacer un médecin qui part à la retraite. Aucune analyse prospective n'existe sur les besoins en médecins selon les spécialités. La hausse du nombre de professionnels paramédicaux ne suffit pas.
Que compte faire le Gouvernement pour former davantage de médecins ? Créerez-vous davantage de postes de praticiens hospitalo-universitaires ? La Fédération hospitalière de France (FHF) en demande plus de mille... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Nous comptons 15 % d'étudiants supplémentaires en deuxième année de médecine par rapport à 2019 : autant de médecins en plus dans quelques années.
À l'Assemblée nationale, cet après-midi, on m'a dit qu'on formait autant de médecins que dans les années 1970. Certes, mais à l'époque, il y en avait suffisamment, voire trop... Aujourd'hui, il y a plus de jeunes dans les filières de formation.
Mme Annie Le Houerou. - La population a augmenté !
Mme Émilienne Poumirol. - Et elle vieillit...
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Les prises en charge sont différentes. D'un système reposant sur le tout médecin, nous sommes passés au système de soins, où le médecin conservera bien sûr un rôle prééminent, de chef d'orchestre, mais où les paramédicaux auront plus de place, comme d'autres professions. Regardez le rôle des infirmiers en pratique avancée (IPA), par exemple. Le nombre de médecins formés ne résoudra pas tout à lui seul.
M. Alain Milon. - La semaine dernière, Agnès Buzyn nous indiquait qu'il manquerait prochainement 10 à 12 millions de professionnels de santé sur l'ensemble du globe. Vieillissement de la population, attentes nouvelles des jeunes médecins, coût élevé des soins, autant de raisons qui poussent à réfléchir à un nouveau système de financement de la santé - sans toucher aux malades, bien sûr. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Joshua Hochart . - De discussion en discussion, de rapport en rapport, la situation s'aggrave. Les temps d'attente s'accumulent. L'attractivité des métiers du soin recule. Le Ségur de la santé est une avancée, certes, mais la réponse financière ne saurait être la seule solution. Il faut revoir les organisations de travail et repenser les formations pour mieux préparer au terrain.
L'hôpital et tout le système de soins ont besoin d'être rebâtis.
Supprimons les agences régionales de santé (ARS), qui mènent une gestion bureaucratique de la santé. Libérons la santé d'une logique purement comptable et financière, des coupes budgétaires incessantes et des baisses tarifaires non compensées par les forfaits. Les indicateurs comptables doivent céder la place aux indicateurs de qualité et de performance des soins, qui seront source d'économies.
Anticiper et prévoir : voilà ce qui devrait vous guider, monsieur le ministre. Quand allez-vous revoir les ARS et la T2A ?
En préambule, vous avez évoqué l'hôpital dans les murs et l'hôpital hors les murs. Quand entendrez-vous les revendications des infirmiers ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Votre question est un tout-en-un. Les problèmes de l'hôpital expliqueraient à eux seuls toutes les difficultés d'accès aux soins, dites-vous ? L'ensemble du système de santé est en crise. Les métiers du soin sont moins attractifs. Les anciens modes d'exercice intéressent moins les jeunes : voilà des questions intéressantes, qui ne portent pas uniquement sur l'hôpital. Je ne fais pas d'hôpital-bashing.
Supprimer les ARS, dites-vous ? Les tâches administratives ont augmenté, en effet, et pris trop de place tant à l'hôpital qu'en ville. Les assistants médicaux, financés par l'Assurance maladie, permettent aux médecins de se concentrer sur leur coeur de métier. On en compte 6 000 aujourd'hui, avec un objectif de 10 000 d'ici à la fin de l'année.
Il faut réguler l'offre de soins : le tout libéral ne saurait s'imposer. Certes, les ARS ont pris peut-être trop de poids, on peut y réfléchir, mais les agences apportent de l'ingénierie dans les territoires. (Murmures dubitatifs sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les baisses de tarifs que vous évoquez, je ne les vois pas.
M. Joshua Hochart. - Ce n'est pas qu'en regardant l'hôpital que l'on résoudra l'accès aux soins. Dans le département du Nord, on ferme des services d'urgence. Certains Smur ne peuvent plus intervenir. En parallèle, le conseil départemental supprime des interventions des infirmiers et sapeurs-pompiers.
M. Daniel Chasseing . - Malgré une augmentation de l'Ondam de plus de 50 milliards d'euros depuis 2019, la situation de nombreux hôpitaux est déficitaire.
Les urgences connaissent une situation difficile. Toutefois, les SAS et la mobilisation des libéraux améliorent les choses. Mais le manque de lits d'aval pose problème : les patients restent ainsi des heures aux urgences, alors qu'ils auraient toute leur place dans les services de médecine polyvalente, puis de spécialité.
La situation de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie nécessite des efforts particuliers. Dans certains départements, ces services ont disparu alors que certains enfants accueillis au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) souffrent de graves troubles de comportement.
Malgré les difficultés financières, allez-vous obtenir de nouveaux crédits, monsieur le ministre, pour créer ces services de médecine polyvalente et des lits de pédopsychiatrie ?
Mme Frédérique Puissat. - Très bien !
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Quelques chiffres : l'Ondam a augmenté de 60 milliards d'euros depuis 2017, sans oublier les 800 millions d'euros de soutien exceptionnel en 2022, et 500 millions d'euros au titre de l'année 2023 accordés en janvier dernier. Tout cela n'exclut pas les efforts des hôpitaux.
Il faut davantage valoriser la pertinence des soins pour mieux financer les salaires. Ce sera l'un de mes chevaux de bataille, qui ne portera pas uniquement sur l'hôpital, mais aussi sur l'ensemble des opérateurs de soins, libéraux, publics, privés.
Je partage votre constat sur la santé mentale, longtemps un angle mort des politiques de santé. Depuis la crise sanitaire, nous assistons à une augmentation très forte des besoins. À la demande du Président de la République, j'organiserai un Conseil national de la refondation (CNR) sur la santé mentale, fin avril, en vue de faire aboutir des travaux menés depuis dix-huit mois.
M. Daniel Chasseing. - Merci pour votre réponse.
Je rappelle la nécessité de disposer de lits d'aval afin que les patients dans les urgences soient accueillis. Je vous remercie pour la pédopsychiatrie, car des enfants de l'ASE sont touchés par de graves troubles comportementaux.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Nous avons revalorisé les tarifs des actes de médecine en 2024, en vue de désengorger les urgences.
Mme Élisabeth Doineau . - Je me réjouis de ce débat à l'initiative du groupe Les Républicains, deux ans après la commission d'enquête. Nous devons répondre aux angoisses des Français. Nous avons la mission de ne pas dévaloriser les métiers de l'hôpital et de trouver des solutions.
Rapporteure générale du budget de la sécurité sociale, j'ai vu l'Ondam voté pour 2024 à 255 milliards d'euros, dont 105,6 milliards pour les établissements de santé. Leurs difficultés ont été rappelées.
Le déficit des hôpitaux a atteint le milliard d'euros en 2022-2023. Alors que 13 milliards d'euros de dettes ont été transférés à la Cades, le financement actuel reconstitue à une vitesse préoccupante une dette hospitalière abyssale. Que faire ?
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - L'avenir de notre système de santé passe par un meilleur financement de ce qui est utile. Le public et le privé, comme la médecine de ville et l'hôpital communiquent peu, ou avec beaucoup de déperditions, en tuyaux d'orgue. Des améliorations peuvent être apportées.
Selon une étude de l'OCDE de 2010, 20 à 30 % des dépenses seraient inutiles dans le système français... Nulle malversation, nul abus : ce sont simplement des actes inutiles, des redondances, des habitudes...
Les progrès de la médecine font que la valeur économique de certains actes est inférieure, et qu'ils sont mal codés. J'ai souhaité ouvrir ce débat de la valeur des actes pour évaluer leur juste valeur économique, et éviter les rentes ou les situations acquises. Les petits ruisseaux font les grandes rivières...
Mme Émilienne Poumirol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Des événements dramatiques ont eu lieu en février 2024 au site de Purpan du CHU de Toulouse : deux patients ont été victimes d'agressions sexuelles, un jeune s'est suicidé après avoir attendu deux semaines une place pour être hospitalisé. Les urgences fonctionnent en mode dégradé.
Des lits ont été fermés dans mon département de Haute-Garonne, alors que nous accueillons 17 000 habitants de plus chaque année. À Toulouse, le secteur privé dispose de 75 % des lits d'hospitalisation en psychiatrie et refuse des patients, que le secteur public est contraint d'accepter. Le délai moyen d'accès au service ambulatoire est de un à quatre mois, sans parler de la pédopsychiatrie.
Quels moyens entendez-vous déployer sur le long terme pour sauvegarder la psychiatrie ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - La situation toulousaine est emblématique de nombreux établissements de santé. Le drame du CHU de Toulouse a eu lieu alors que le nombre de lits est suffisant en Haute-Garonne. Les difficultés sont dues à l'accès aux lits d'aval et aux problèmes de communication et de coopération entre le public et le privé. Dans un bassin de vie où 75 % des places sont dans le secteur privé, mais où l'urgence relève du service public, cette absence de coopération pose problème. Les établissements privés ne jouent pas le jeu de la carte de secteur. Ces drames sont insupportables. L'Igas publiera un rapport sur la situation de la psychiatrie à Toulouse.
Les autorisations accordées aux uns et aux autres supposent ensuite de prendre en charge les patients, quelle que soit leur pathologie. Ce sera l'un des sujets du CNR de fin avril.
Mme Émilienne Poumirol. - Je sais que vous êtes venu à Toulouse. Mais la loi du 27 décembre 2023 indiquait que les établissements de santé sont collectivement responsables de la permanence des soins en établissement. Or aucune contrainte ne pèse sur le secteur privé. L'ARS peut désigner un établissement en cas de carence persistante, et c'est ici le cas.
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Comme par hasard, dès le lendemain de ma venue, le privé débloquait des lits et prenait en charge des patients. La loi date de décembre 2023, laissez-nous le temps de l'appliquer. Nous serons extrêmement vigilants quant à la prise en charge par les établissements des patients en santé mentale.
L'octroi d'une autorisation doit être désormais assorti de contreparties, parmi lesquelles figure la permanence des soins.
Mme Émilienne Poumirol. - Il est anormal qu'il ait fallu attendre un drame à Toulouse pour que les acteurs se parlent. (M. Jean Sol renchérit.)
Cela m'inquiète. Le partage public-privé doit se faire en permanence, sur tous les soins. C'est le même problème entre médecine libérale et médecine hospitalière.
M. Jean Sol . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les services d'urgence, vitrine de nos hôpitaux, ont baissé le rideau la nuit à Perpignan. Quel symbole ! Les agents sont éprouvés, les citoyens angoissés à l'idée de se rendre aux urgences, et les élus impuissants. Des familles qui attendent des heures sans information, des personnes âgées qui restent sur des brancards pendant 48 à 72 heures, telle est la réalité des urgences. Les urgences sont incapables de prendre en charge l'augmentation des demandes. Résultat : un risque accru de perte de chance pour les patients.
Nous manquons de lits d'aval. Les agents, trop peu nombreux, soumis à des tâches administratives chronophages, font face à des agressions verbales ou des menaces.
L'été arrive, avec ses flux de saisonniers. Monsieur le ministre, qu'allez-vous faire pour remédier à cette situation ? (Mme Frédérique Puissat et M. Philippe Mouiller applaudissent.)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - De nombreux Français voient l'hôpital à travers les urgences. Beaucoup a été fait, sans doute pas assez, malheureusement.
Il faut notamment des lits d'aval pour désengorger les urgences. La coordination au moment de la régulation est en jeu. Les SAS font baisser la pression sur les urgences départementales avec une régulation liée à la médecine de ville, et 65 sont déjà en place.
Un décret a créé les Smur paramédicaux, sans embarquer de médecins, pour les cas les moins graves. Les antennes d'urgence, fonctionnant sur une base de 12 heures - et non 24 heures - peuvent représenter une piste.
Les urgences de nuit ne sont pas nécessaires partout, notamment en nuit profonde. Cela permettra de répondre à la question lancinante des urgences.
La médecine de ville doit mieux prendre en charge les soins primaires et les premiers recours.
M. Jean Sol. - Certes, monsieur le ministre, mais la situation dramatique de nos établissements ne mérite-t-elle pas mieux que de l'indifférence ou quelques annonces insuffisantes ? Je demande un véritable plan Orsec, un plan d'urgence pour panser les urgences.
Mme Audrey Bélim . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En France, la couverture et l'organisation des systèmes de santé sont hétérogènes selon les régions.
En 2050, la Martinique deviendra le plus vieux département de France. Cette singularité démographique doit nous obliger à intégrer les nouveaux besoins en santé, comme la prise en charge des polypathologies ou le maintien de l'autonomie.
Il y a également des disparités épidémiologiques. En 2005, lors de l'épidémie de chikungunya, 35 % de la population réunionnaise avait été affectée.
Ces spécificités territoriales sont nombreuses et singulières. Or les règles de financement de nos établissements n'assurent pas l'égalité réelle.
L'isolement géographique doit être un levier pour le savoir-faire français. Le CHU de La Réunion, hôpital de référence de l'océan Indien, a besoin de financements pérennes pour faire face aux défis de son territoire et à un potentiel développement lucratif avec une clientèle sur le bassin océanique.
Si les acteurs ont accueilli avec satisfaction les annonces de revalorisation de février dernier, pouvez-vous nous dire quand les mesures s'appliqueront, et en une ou plusieurs fois ? Le Gouvernement travaille-t-il à une actualisation pour 2025 ?
Dans ce contexte où la population ultramarine représente 2,8 millions d'habitants, des actions adaptées sont nécessaires pour réduire les écarts. Le Gouvernement a-t-il une véritable vision de l'outre-mer ?
Nous exigeons certes la continuité des soins, mais aussi des soins de qualité et une politique adaptée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - L'outre-mer n'est pas délaissé en termes de financement public pour accompagner l'offre de soins. J'ai cité la rénovation de l'hôpital de Mayotte et la création d'un deuxième CHU, la reconstruction du CHU de la Guadeloupe - un des plus gros investissements hospitaliers actuellement - la création d'un CHU en Guyane.
Nous avons accordé une aide de trésorerie au CHU de La Réunion, en raison de sa situation financière tendue - qu'examine actuellement une mission de l'Igas. Il est important de disposer d'un constat clair, précis et transparent. Jamais l'État n'a abandonné un hôpital en métropole ou en outre-mer. Un hôpital n'est pas une entreprise, mais il doit respecter des critères de gestion. Il va falloir remettre la rivière dans son lit.
M. Khalifé Khalifé . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous avons quelque chose en commun : vous étiez président de la FHF tandis que j'étais praticien hospitalier durant quarante ans, et président de commission médicale pendant vingt ans. Je salue le travail des praticiens hospitaliers.
Je parlerai de la formation paramédicale et médicale. La formation des paramédicaux, grâce aux efforts des conseils régionaux, est territorialisée, ce qui est loin d'être le cas des formations médicales. En raison de leur indépendance, les facultés de médecine dépendent peu du ministère de la santé. Certes, l'augmentation des praticiens formés est de 15 % globalement, mais quand on part de zéro, cela fait toujours zéro !
Les épreuves classantes nationales sont à l'origine des disparités territoriales de la répartition des médecins. Qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Je connais votre investissement dans la cause hospitalière et votre expertise fine du sujet.
Vous avez raison de pointer le hiatus entre l'intention de former davantage d'étudiants et l'autonomie des universités. Certaines universités ont du mal à ouvrir les vannes pour former plus d'étudiants. Je me réjouis de constater que le nombre d'étudiants a augmenté de 15 à 20 % depuis 2019. Dans une dizaine d'années, ils pourront soigner les Français. Néanmoins, il faut travailler avec les doyens pour accélérer la formation.
Comment garder en France des étudiants français qui veulent faire médecine, mais qui, par la rigueur des épreuves, ont été exclus des filières françaises ? Pourtant, ils reviendront d'ici quelques années après avoir été formés en Belgique ou en Roumanie, par exemple. C'est aussi vrai pour les paramédicaux. Il faut suffisamment de professeurs, de même que de terrains de stages. Il faut peut-être ouvrir les terrains de stage à d'autres établissements que les hôpitaux.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pour garantir le service public hospitalier, l'État ne peut pas tout faire tout seul. Les établissements privés à but non lucratif y participent, notamment à Paris avec l'hôpital Saint-Joseph, l'Institut mutualiste Montsouris, ou le groupe hospitalier Diaconesses-Croix-Saint-Simon. À Bordeaux, Marseille ou Lille, comment les urgences seraient-elles assurées sans eux ?
Plus de 80 % des établissements sont en déficit, 90 % en région parisienne. Plusieurs d'entre eux, dont certains fleurons, risquent d'aller au tapis. Ils souffrent, car l'État a organisé une concurrence déloyale avec le service public hospitalier. À admissions et activités égales, ils sont systématiquement pénalisés. J'en veux pour preuve les coefficients de pondération et de minoration qui leur sont appliqués. Ils réalisent 10 % de l'activité, mais n'ont bénéficié que de 2 % des crédits pour les établissements en difficulté. J'en appelle à des mesures d'urgence et à une réforme globale pour garantir l'égalité de traitement entre établissements hospitaliers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Vous avez raison de souligner le rôle éminent des établissements privés à but non lucratif, comme l'Institut Gustave-Roussy, par exemple. Ce sont parfois des établissements d'excellence et de référence au niveau mondial. Il faut les soutenir.
Je serai moins sévère que vous sur les différences de traitements. Les établissements privés à but non lucratif bénéficieront des mêmes augmentations de tarifs que les établissements publics. Le coefficient de majoration, lié au covid, disparaîtra d'ici à l'année prochaine. C'était un engagement du Président de la République, il sera tenu. Cette anomalie de la période covid - où l'on a plus aidé les établissements en première ligne, qui étaient surtout publics - doit disparaître. Il n'y a pas de différence de traitement, mais la volonté d'accompagner tous ceux qui prennent leur part dans la prise en charge des Français.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Le coefficient de minoration a été réduit de moitié, mais son maintien est injustifiable. C'est de la poudre aux yeux, car, pendant ce temps, le coefficient de pondération a été augmenté de 0,7. On reprend d'une main aux établissements privés ce qu'on leur a donné de l'autre.
Soutenons ces établissements, et cessons de les accabler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Dans un communiqué, la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) s'est dite satisfaite des arbitrages rendus. Les différences de traitement qui existaient durant la pandémie vont disparaître de façon à ce que le droit commun s'applique, c'est-à-dire la pleine reconnaissance du rôle et de la place éminente de ces établissements.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - La Fehap s'est certes réjouie de l'augmentation des tarifs de 4,3 %, mais les coefficients de minoration et de pondération sont toujours en vigueur. Donc non, les règles ne sont pas les mêmes pour tous !
Sans votre soutien, certains établissements ne s'en sortiront pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un État qui ne peut plus prendre soin de ses malades, c'est une nation qui faillit à sa mission. L'hôpital français est en crise : fermetures de lits, postes vacants, démissions, déficits... Le Ségur de la santé n'a pas fait disparaître ces difficultés. Une crise qui s'éternise, des soignants qui s'épuisent.
Je défends la position de la FHF : l'investissement est crucial. Dans mon département, plusieurs projets, comme la reconstruction du bâtiment médico-technique de l'hôpital d'Antibes, sont à l'arrêt. Les urgences du centre hospitalier de Menton, qui datent de 1979, doivent être rénovées. Or ce projet n'a pas bénéficié du Ségur, faute de crédits.
Accueillir nos concitoyens aux urgences et les soigner est une question de dignité. Les efforts déjà consentis sont insuffisants : il faut un Ségur 2 pour remettre à niveau nos hôpitaux. C'est une urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - Vous êtes la deuxième à évoquer la FHF : j'ai été très fier de présider cette vénérable institution, après Gérard Larcher et Jean Leonetti, qui m'ont beaucoup appris.
Avant un Ségur 2, allons au bout de ce Ségur de l'investissement, doté de 15,5 milliards d'euros : 23 projets sont en cours d'instruction, 36 ont été validés. Il reste des fonds encore non affectés.
Je souhaite accélérer le déploiement des projets prévus. L'instruction administrative ne doit plus être pénalisante : il faut trancher vite et avancer.
Je regarderai les dossiers d'Antibes et de Menton dès demain.
M. Clément Pernot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'hôpital se moque de la charité. Il n'est plus le lieu de compassion, de bienveillance et de soins qu'ont connu nos anciens. Ça, c'était la France d'avant, quand la population rurale pouvait compter sur un service public de proximité. Maternité, chirurgie, urgences oeuvraient avec humanité, car nos anciens savaient que la présence des proches était médicamenteuse.
Votre France d'après accentue partout l'agonie de nos hôpitaux ruraux. Nous sommes les tristes témoins de la dégénérescence de la compétence régalienne de votre ministère.
L'hôpital de ma ville, Champagnole, voit ses services fermer les uns après les autres : les urgences sont remplacées par une unité mobile, sans médecin urgentiste. La main sur le coeur, vos hommes de main, les ARS, considèrent que cela est bien suffisant pour le bon peuple rural. De qui se moque-t-on ? La perte de chance est une réalité.
Mais gare à vous, monsieur le ministre : le peuple des mal-soignés gronde. Vos directeurs d'hôpitaux ne pourront pas tout vous dissimuler.
Comment justifier que l'accès aux soins d'urgence dépende du code postal ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Frédéric Valletoux, ministre délégué. - J'ai été maire pendant 17 ans dans le sud de la Seine-et-Marne, 97 ou 98e département en termes de densité médicale.
Je ne méconnais pas la situation des territoires et je ne m'informe pas uniquement par le biais de directeurs d'hôpitaux ou de fonctionnaires.
En quarante ans, la mortalité infantile a beaucoup reculé. (Mmes Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou réagissent.) Les conditions de sécurité se sont grandement améliorées. Aujourd'hui, il faut concilier progrès médical, normes et enjeux de proximité.
Nous devons réinvestir nos hôpitaux de proximité, mais pas pour en faire des CHU. Je préfère me faire opérer à 300 km par un chirurgien qui pratique le même acte toute la journée. (Mme Annie Le Houerou proteste.)
Contrairement à vous, je ne pense pas que l'humanité a quitté l'hôpital : nombre de patients louent le dévouement du personnel hospitalier. Je suis donc moins sévère que vous. Les hôpitaux de proximité ont besoin d'un vrai statut et d'un vrai financement.
M. Clément Pernot. - J'écoute votre réponse avec plaisir, mais il faudra des actes après vos propos. Nous avons connu six ministres en six ans. Le XVIIe siècle a inventé le malade imaginaire, j'espère que vous ne serez pas le ministre imaginaire. (M. Frédéric Valletoux rit ; applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La situation n'est guère réjouissante. Depuis quelques années, l'hôpital tient, mais il s'approche du bord du gouffre. Lassitude, épuisement, fatigue collective, malaise, souffrance : voilà les mots des acteurs de la communauté hospitalière.
Il y a quelques jours, France Bleu La Rochelle titrait : « Hôpital de Saintes : un jour, on aura un drame s'il n'y a pas plus d'humanité dans la prise en charge ». Le titre est sévère, car il y a encore de l'humanité, mais on constate une perte de sens chez les professionnels de santé.
Oui, monsieur le ministre, nous sommes lucides, sans misérabilisme. Il ne faut plus qu'un nourrisson en détresse respiratoire soit refusé en service de pédiatrie, ni qu'un jeune homme de 25 ans décède d'une erreur de diagnostic, ni qu'une femme de 85 ans trouve la mort dans un container. Comment accepter tout cela ?
On ne peut pas demander aux soignants de faire plus avec moins ni aux hôpitaux de donner beaucoup quand ils n'ont pas assez. Que dire des coups de rabot en PLFSS et de l'Ondam dont on ne peut discuter les dépenses en détail ?
Tout n'est pas qu'une question de financement. Il faut des réponses fortes sur le fonctionnement des établissements de santé, et une réflexion sur la place de l'hôpital dans le système de soins.
Le Sénat a déjà formulé de nombreuses recommandations, notamment le rapport de Catherine Deroche et Bernard Jomier, intitulé « Hôpital : sortir des urgences » : décloisonner l'hôpital et la médecine de ville, fédérer les acteurs locaux de santé, etc.
Nous mesurons tous les tensions croissantes sur les ressources humaines de l'hôpital. Il faut faire confiance aux équipes soignantes, redonner de l'attractivité aux métiers du soin et former les nouvelles générations.
Une société qui prend soin des plus faibles est une société qui s'honore. Je salue tous ceux qui tiennent bon et qui prennent en charge, chaque jour, des patients avec abnégation et conscience professionnelle.
Plutôt qu'une réforme de la gouvernance annoncée en 2023 par le Président de la République, plutôt qu'un rapport, que nous attendons toujours, mieux vaut faire confiance aux chefs de service et aux équipes soignantes, pas seulement lors d'une crise sanitaire, mais chaque jour, pour chaque patient. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Prochaine séance demain, mercredi 3 avril 2024, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 15.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 3 avril 2024
Séance publique
À 15 heures, à 16 h 30 et le soir
Présidence :
M. Gérard Larcher, président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président, M. Mathieu Darnaud, vice-président.
Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Patricia Schillinger.
1. Questions d'actualité
2. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels (texte de la commission, n°467, 2023-2024)
3. Une convention internationale examinée selon la procédure d'examen simplifié :
=> Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la République française et la République du Kazakhstan (texte de la commission, n°451, 2023-2024)
4. Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge (texte de la commission, n°393, 2023-2024)
5. Troisième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en troisième lecture, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement (texte de la commission, n°473, 2023-2024)