Conseil européen des 21 et 22 mars 2024
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024, à la demande de la commission des affaires européennes.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe . - Je suis honoré de vous présenter les principaux sujets du Conseil européen des 21 et 22 mars. Prenons du recul, sept ans après le discours de la Sorbonne et alors que se clôt, avec la mandature du Parlement, un cycle institutionnel européen.
Ce Conseil européen se tient à un moment charnière, avec des sujets essentiels. Ukraine, défense, Proche-Orient, agriculture, agenda stratégique, migrations : pas un sujet qui ne reflète les priorités de l'agenda de souveraineté défini par le Président de la République en 2017.
Il y a sept ans, la souveraineté européenne paraissait comme une idée abstraite, voire une utopie française. Mais face à des crises inédites, le combat français a trouvé un écho. La France plaide pour une Europe forte dans le monde, pour une Europe de la défense complémentaire l'Otan. La pandémie et la guerre ont brisé des tabous immuables. Nos partenaires européens nous disent que les idées qu'ils adoraient détester sont devenues les leurs.
L'Allemagne a lancé son zweite Wende, la Pologne a investi dans ses capacités de défense et le Danemark, par un référendum historique, a rejoint la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Nous avons recouru à la facilité européenne de paix pour financer des livraisons d'armes à un pays en guerre.
Face à la Russie, nous devons faire plus, mieux et différemment, à l'instar de l'initiative du Président de la République du 26 février dernier. C'est l'esprit du sommet de Versailles, qui devait concrétiser le réveil stratégique européen et poser les premiers jalons d'une base industrielle et technologique de défense (BITD) plus solide.
Après le covid, l'agenda de Versailles avait constitué un tournant, avec une sécurisation des productions de semi-conducteurs, sécurisation alimentaire, capacités de défense... En deux ans, l'Union européenne a été au rendez-vous et a donné une impulsion à l'industrie européenne, avec un travail législatif ambitieux. Dans le sillage de Versailles, nous nous sommes affranchis de la dépendance au combustible russe et avons relocalisé une partie de la production de technologies énergétiques propres sur le continent européen. Nous devons désormais achever l'agenda de Versailles sur la défense et avancer sur la sécurité alimentaire.
La Commission européenne et le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) ont présenté une stratégie de défense européenne. Nous devons nous doter de tous les outils nécessaires et produire, acheter plus en Europe, pour fournir à l'Ukraine sa profondeur stratégique et renforcer la résilience de nos armées. Il faut donc mobiliser toutes les ressources, y compris l'emprunt, la Banque européenne d'investissement (BEI) et l'épargne privée - notre crédibilité en dépend.
Nous devons clairement expliquer aux Français le tournant décisif de la guerre en Ukraine : à travers elle, l'Union européenne protège les citoyens européens. La défense européenne n'est pas une alternative à l'Otan, mais nous rend tous plus forts.
Le Conseil européen se penchera, pour l'élargissement, sur un cadre de négociations pour l'Ukraine et la Moldavie, et un rapport de progrès pour la Bosnie-Herzégovine. Le Président de la République a rappelé la nécessité géopolitique d'une Europe élargie lors de la conférence Globsec de Bratislava.
Sur le conflit au Proche-Orient, le Conseil européen veillera à l'application du droit humanitaire à Gaza.
Quant aux migrations, une Europe souveraine doit maîtriser ses frontières. En plus du pacte, historique, sur les migrations et l'asile, nous devons renforcer le dialogue avec les pays partenaires pour éviter les départs et améliorer la coopération pour les retours.
C'est donc une victoire idéologique du logiciel français de souveraineté européenne. Nous devons renforcer la mise en oeuvre de l'agenda de Versailles.
Mme Catherine Dumas, vice-présidente de la commission des affaires étrangères . - Le 1er février, la présidente de la Commission européenne se félicitait d'un bon jour pour l'Europe et le président Zelensky d'une victoire commune contre la Russie, avec 50 milliards d'euros supplémentaires accordés à l'Ukraine par l'Union européenne. Mais cette belle unité n'est déjà plus : après les propos du Président de la République du 26 février, la plupart de nos alliés, notamment allemands, ont pris leurs distances, sans parler de l'effet sur le Kremlin de cette étrange conception de l'ambiguïté stratégique. Le sujet est trop grave pour des effets de manche.
Ne pas franchir le seuil de belligérance pose problème, alors qu'empêcher l'accès à la Transnistrie nécessitera plus que des formateurs et des démineurs.
Le vrai sujet, c'est que nous ne pouvons fournir à l'Ukraine les munitions dont elle a besoin. La discrétion des États-Unis, qui consentent à un maigre paquet de 300 millions de dollars, n'est pas rassurante.
Cette stratégie est-elle compatible avec l'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine ? Cela ressemble à une fuite en avant. Nous promettons l'adhésion à un pays auquel nous n'avons pas réussi à fournir un tiers des munitions promises. Est-ce responsable ?
Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien risque d'embraser la région et la situation humanitaire est chaque jour plus catastrophique. La capacité d'initiative de l'Europe est bien faible malgré son rôle de bailleur. Certains États membres formulent des propositions audacieuses : l'Espagne et l'Irlande demandent la remise en cause de l'accord de coopération avec Israël. La Belgique, malgré la neutralité qu'impose la présidence du Conseil, estime que la question se pose. Quelle sera la position de la France ?
La recomposition violente du monde s'accélère. Les pays européens doivent jouer tout leur rôle, ce qui suppose une stratégie commune et des positions fortes et claires. Nous attendons que le Gouvernement agisse en ce sens lors du Conseil européen. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Je salue les initiatives prises, notamment par la République tchèque, pour approvisionner l'Ukraine en munitions acquises à l'extérieur de l'Union européenne.
Après une hausse de 40 %, l'objectif est d'atteindre une capacité de production de 1 million d'obus de 155 mm en 2024, puis de 2 millions d'obus sur le territoire européen. Le programme du 5 mars de la Commission européenne donnera certains leviers.
Sur le Proche-Orient, nous souhaitons une déclaration forte rassemblant largement les vingt-sept États membres pour condamner le plus grand massacre antisémite du XXIe siècle et appeler Israël à respecter le droit international et à autoriser l'acheminement de l'aide humanitaire à Gaza.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - La réunion du Conseil européen marquera le lancement du semestre européen 2024, dans lequel s'inscrit la présentation du Programme national de réforme et du Programme de stabilité au printemps, mais aussi la recommandation de la Commission européenne sur la politique économique de la zone euro. Ce document est instructif ! Il préconise une politique budgétaire plus restrictive, pour rétablir la viabilité des finances publiques. La France en est loin.
Ainsi, alors que le ratio européen de la dette sur le PIB devrait baisser de 2,8 points et atteindre un peu moins de 90 % fin 2024, la France continue de s'endetter. Nous sommes en queue de peloton, juste devant l'Italie et la Grèce - Chypre, la Belgique, l'Espagne et le Portugal nous ont dépassés.
Mais le Gouvernement préfère le coup de rabot réglementaire à la réduction des dépenses non productives ! La commission des finances avait pourtant identifié des sources d'économies lors du dernier PLF. Des mesures en ce sens seront-elles incluses dans le Programme national de réforme ? Aurez-vous une prévision de croissance plus réaliste que celle fondant la loi de finances pour 2024 ?
Le cadre révisé de gouvernance économique doit entrer en vigueur dans les prochains mois. La France a obtenu un assouplissement temporaire en excluant les charges d'intérêt supplémentaires, mais il faudra anticiper d'importants efforts budgétaires : selon l'Eurogroupe, si le cadre s'appliquait aujourd'hui, il conduirait à une politique budgétaire plus restrictive.
J'encourage le Gouvernement à adopter une position de sérieux budgétaire et à anticiper la mise en place du pacte de stabilité et de croissance (PSC) révisé.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Vous avez raison : la France doit être au rendez-vous de ses engagements européens. Le Gouvernement est pleinement mobilisé, avec une réduction de 10 milliards d'euros de dépenses à laquelle chaque ministère travaille.
La France s'est mobilisée pour ajuster les critères du PSC, anciens et méritant d'être assouplis. Elle doit respecter ses engagements.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je serai attentif. La France se livre à un exercice inédit. Vous venez d'annoncer une révision brutale du budget voté à l'automne. Quelle est la nouvelle prévision de croissance ? Pour quels effets ? Si la France veut encore tenir un rôle européen, ce n'est pas en mauvaise posture sur la dette et les finances publiques que nous servirons d'exemple. Le Gouvernement doit se ressaisir !
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je retiendrai trois sujets pour notre débat : le soutien à l'Ukraine, la stratégie de sécurité et de défense et l'agriculture.
L'unité européenne est mise à l'épreuve sur l'Ukraine. Le chancelier allemand refuse de livrer des missiles Taurus, alors que le Président de la République envisage des troupes au sol. La coalition artillerie issue du sommet au format Weimar ne résorbe pas des divergences de fond préoccupantes, alors que Poutine guette les signes de faiblesse.
Notre assemblée, la semaine dernière, a appuyé le soutien à l'Ukraine, convaincue que le coût d'une défaite serait encore supérieur. Mais peut-on tenir longtemps cette ligne, faute de marge de manoeuvre budgétaire ? Alors que la facilité pour la paix doit dégager 5 milliards supplémentaires, pourra-t-on tirer, comme l'espère la France, 3 milliards d'euros des avoirs russes ?
L'enjeu est surtout de construire une architecture durable de sécurité, à même de faire face à Vladimir Poutine et peut-être, demain, de se passer du président Trump. Le soutien à l'industrie de défense européenne nécessite des moyens importants, avec le soutien de la BEI. Quant à un nouvel emprunt commun, le Sénat s'inquiète déjà du remboursement de l'emprunt pour la relance d'il y a deux ans. Pouvez-vous nous rassurer ?
La Commission européenne et le haut représentant ont présenté une communication sur la PSDC et le programme d'investissements, qui heurte les compétences des États membres en matière de défense. Or il ne s'agit pas d'une industrie comme une autre. Avec Cédric Perrin, nous vous avions averti. Jusqu'où le Gouvernement est-il prêt à s'en remettre à la Commission européenne ?
L'heure de vérité sur l'agriculture, troisième enjeu du conseil européen, a sonné. Le Sénat n'a cessé de dénoncer les problèmes par des résolutions européennes successives. Il se félicite de la révision de la politique agricole commune (PAC) proposée - enfin, enfin ! le tabou est brisé. Un Égalim européen est envisagé. Mais en attendant, les revenus baissent, les contraintes s'accumulent, et les flux de volaille et de sucre ukrainiens explosent. Il est urgent de secourir nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Vous avez cité des divergences, ce sont des complémentarités : il y a une unité européenne pour soutenir la résistance ukrainienne, aussi longtemps et intensément que nécessaire.
Plusieurs pistes sont sur la table s'agissant du financement : mobilisation des profits d'aubaine des actifs russes gelés, extension du mandat de la BEI, soutenue par quatorze États membres, grand emprunt, plus exploratoire, mais pas à écarter au vu des besoins.
Sur le premier jet de la stratégie industrielle de défense européenne (Edis) et le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip), la France est satisfaite puisqu'elle y retrouve la préférence européenne, mais sera très attentive à ce que les prérogatives nationales ne soient pas communautarisées. Nous devons renforcer l'interopérabilité de notre BITD, mais c'est bien sur les États membres que repose l'essentiel de la politique de sécurité et de défense.
Je me félicite des mesures de simplification des règles agricoles, de la révision de la PAC. Il faudra aller plus loin : Égalim européen, équité concurrentielle, avec la force d'intervention, et mesures miroir.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - À chaque jalon de la construction européenne, on nous vante l'Europe sociale et la paix. Mais après avoir sacrifié la politique sociale sur l'autel de l'austérité et de la libre concurrence, l'Union européenne prépare la guerre. La ligne de front s'est gelée. La guerre a jeté 4 millions de personnes sur les routes ukrainiennes, 6 millions sont en exil.
L'Union européenne doit élaborer une solution globale de sécurité en Europe et s'affranchir de la ligne atlantiste. Les coups de menton du Président de la République, à Prague, au journal télévisé, dans Le Parisien, sont rejetés par les dirigeants européens, alors qu'il s'agit d'un travail pour faire prendre conscience aux Français que la guerre contre la Russie est inévitable.
Mais un conflit avec la seconde puissance nucléaire mondiale n'est pas une option. La paix est une nécessité existentielle pour la France, l'Europe et l'humanité. Notre jeunesse ne doit pas aller au front.
La directive dite méga-camions, adoptée le 12 mars dernier, recueille la majorité des voix des groupes PPE, où siègent les républicains, Renew, avec la majorité présidentielle, et des socialistes et démocrates. Or ces camions de 60 tonnes, longs de 25 mètres, de véritables immeubles roulants, sont un désastre écologique neuf fois plus polluant que le rail, auquel les États membres ne pourront s'opposer.
Faute d'investissement et de sortir de la logique du tout-routier, le fret déraille, avec un volume en baisse de 43 % et Fret SNCF en crise depuis l'ouverture à la concurrence. La directive pourrait causer une chute supplémentaire de 21 % et de 16 % du transport combiné. Les 900 millions d'euros des contrats de plan État-Région (CPER) n'y changeront rien : un fret sans client, la belle affaire ! À quoi bon inaugurer la ligne Calais-Turin pour la mettre en concurrence avec ces mastodontes ?
Monsieur le ministre, confirmez-vous, comme M. Vergriete, que le report modal est une priorité du Gouvernement ?
Toujours sur l'écologie, sous la pression du patronat et des géants de la finance, et avec la complicité de la France, le secteur financier est exonéré de tout contrôle a priori sur ses prêts et investissements. La finance verte est une fumisterie : aucune conditionnalité climatique des rémunérations des dirigeants. Les actions gratuites se déverseront encore par milliards. Courroie de transmission des lobbies, confirmez-vous que la France a dénaturé une directive qu'elle avait pourtant soutenue ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Les propos du Président de la République visaient à indiquer que nous ne dévoilerons plus nos lignes rouges. La paix est une nécessité existentielle, au point que le Président de la République - d'ailleurs largement critiqué pour cela - a épuisé les voies diplomatiques sans résultat, Vladimir Poutine étant mû par un fantasme impérialiste.
Sur la directive méga-camions, la France ne soutient pas ce report modal inversé. Nous avons proposé de les limiter aux trajets inférieurs à 150 km, ce qui empêcherait la traversée de la France.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - La France fait semblant de soutenir les réformes progressistes, mais déploie ses moyens diplomatiques pour amputer la législation : devoir de vigilance, plateformes, véhicules thermiques et, peut-être, méga-camions.
Un électeur sur deux ne se déplacera pas pour voter aux prochaines élections européennes, vous en porterez en partie la responsabilité.
M. Ahmed Laouedj . - Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, faut-il nous préparer à la guerre pour avoir la paix, comme l'a suggéré hier Charles Michel ?
S'agissant des sanctions, mon groupe a toujours approuvé les initiatives européennes, peu importe leur portée, ne serait-ce que pour isoler Moscou. Je me réjouis des nouvelles mesures à l'encontre de 30 personnes et entités responsables de la mort d'Alexeï Navalny. On ne peut que souscrire aux déclarations des ministres européens des affaires étrangères sur les prétendues élections russes organisées dans les territoires occupés en Ukraine.
Face à l'impérialisme, le soutien à l'Ukraine doit redoubler ; la France en est convaincue, encouragée par les États baltes, ce que montre l'accord bilatéral de sécurité avec l'Ukraine, que mon groupe soutient. Il faudra toutefois encore beaucoup de pédagogie auprès des États membres, auprès de l'Allemagne en particulier.
Depuis le début de la guerre, 75 % des achats militaires sont commandés à des firmes non européennes, dont à 68 % américaines - d'ailleurs, si nos amis outre-Atlantique jugent la contribution à l'Otan insuffisante, qu'ils regardent ce volet commercial...
Si mon groupe approuve la création d'un fonds d'assistance à l'Ukraine de 5 milliards d'euros, quelle part ira aux achats européens ? Quoi qu'il en soit, ou plutôt quoi qu'il en coûte, mon groupe soutient le grand emprunt européen.
Il y a une autre urgence, humanitaire, à Gaza. Chaque jour, des milliers de civils paient la stratégie mortifère du Hamas et la réplique sans réserve de l'armée israélienne. Le RDSE a toujours soutenu la demande française d'un cessez-le-feu immédiat. Aussi, au Conseil européen, la France doit-elle défendre une solution diplomatique. Tout doit être fait pour acheminer l'aide humanitaire.
On ne peut ni y opposer d'arguments techniques, à moins qu'ils ne cachent une posture du gouvernement israélien, ni laisser la famine s'installer à Gaza. Il faut tout faire pour éviter un génocide.
Je n'oublie pas que le Conseil européen abordera d'autres sujets, notamment l'agriculture. Il faut alléger les contraintes environnementales de la PAC. Le RDSE salue les réponses à la colère des agriculteurs.
Je salue les travaux de la Commission et du Parlement européens sur la régulation de l'intelligence artificielle. À l'ère des deepfakes et de la surveillance de masse, nous devons être intransigeants.
En février dernier, Paris a levé ses réserves à la loi sur l'IA, ou AI Act. Qu'avons-nous obtenu ? La protection des start-up nationales ? En tout cas, nous devons protéger nos intérêts, nos données et réussir la transition numérique européenne, important pan de notre souveraineté.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Je dénonce comme vous les prétendues élections dans les territoires occupés. Nous avons bon espoir que la déclaration des 27 soit reprise dans les conclusions.
Les objectifs d'approvisionnement auprès de la BITD européenne sont relevés avec la communication du 5 mars sur Edis et Edip. La crédibilité de notre soutien à l'Ukraine en dépend.
La France a milité avec l'Allemagne pour que ce règlement sur l'intelligence artificielle trouve le bon équilibre entre protection des citoyens et innovation.
M. Georges Patient . - Les élections européennes sont en général le scrutin où la participation est la plus faible. Si la circonscription nationale unique a pu favoriser sa légère remontée en 2019, elle présente l'inconvénient de ne pas assurer la représentation de tous les territoires. La parité ne souffre plus de contestation : de la même façon, pourquoi ne pas imaginer un critère de répartition géographique des candidats d'une même liste ? En attendant, j'appelle les différentes formations à assurer la représentation de tous les territoires, y compris ultramarins.
La guerre entre la Russie et l'Ukraine est entrée dans sa troisième année. Il faut nous préparer à la voir durer des années encore. La victoire de l'Ukraine est indispensable à la sécurité de l'Europe.
Alors que les sanctions économiques contre la Russie tardent à produire leurs effets, il faut augmenter notre soutien militaire à l'Ukraine. Or, cette année, notre production devrait être de 20 000 obus - à peine une semaine d'utilisation par l'artillerie ukrainienne... Nexter affirme pouvoir produire jusqu'à 100 000 obus dans les années à venir, à condition d'avoir une visibilité à long terme sur les commandes d'État. La facilité européenne à laquelle la France a déjà contribué pour 1,2 milliard d'euros permettra-t-elle d'augmenter enfin nos moyens de production ?
Nous ne pouvons que constater les multiples contournements des sanctions par la Russie, avec la complicité de pays tiers comme la Turquie ou l'Inde, qui absorbe 40 % des exportations russes de pétrole et revend sur le marché européen les produits issus de son raffinage. Les exportations de l'Union européenne vers les Émirats arabes unis, le Kazakhstan et d'autres pays proches de la Russie ont bondi de plus de 81 % entre 2022 et 2023 - de 1 680 % vers le Kirghizstan ! Il est temps d'adopter une réglementation plus stricte pour interdire l'utilisation des produits dérivés du pétrole russe et encadrer les exportations de biens sensibles vers des pays de transit pour le contournement des sanctions. Le sujet sera-t-il abordé par la France ?
Plus généralement, il faut mettre fin à toute forme de dépendance entre la Russie et l'Union européenne. C'est la première recommandation du rapport « Pourquoi l'avenir de l'Europe se joue en Ukraine », de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La Guyane pourrait offrir à la France l'indépendance pétrolière si la loi Hulot ne lui était pas appliquée.
La guerre en Ukraine a aussi entraîné une déstabilisation du secteur agricole. La peur de la concurrence des produits ukrainiens est venue s'ajouter aux difficultés liées à l'application de la nouvelle PAC. Je connais les conséquences d'une distorsion de concurrence, pour avoir vu la production rizicole guyanaise disparaître en quelques années à cause de la réglementation européenne. À quoi bon imposer des normes restrictives à nos agriculteurs si nous importons des produits qui ne les respectent pas ? La France fera-t-elle entendre sa voix pour mettre fin à cette aberration ?
La directive RED III relative au développement des énergies renouvelables prévoit des zones d'accélération dans lesquelles les autorisations ne devront pas dépasser douze mois. Il ne faut pas céder à l'habitude française d'inflation bureaucratique. Nous devons la transposer avant 2025 : serons-nous prêts ? Quand ces zones seront-elles définies, et toutes les régions seront-elles concernées ? En Guyane, il faut au moins cinq ans pour qu'un projet d'énergie renouvelable voie le jour. La future centrale électrique du Larivot, qui doit fonctionner avec de l'huile de colza importée d'Europe, pourra-t-elle utiliser une huile produite localement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - On a parfois reproché au Gouvernement d'être trop francilien... Je constate que certaines listes présentées pour les élections européennes le sont beaucoup plus ! Il appartient à chaque formation politique de veiller à la représentation de tous les territoires de la République.
Les signaux aux industries de défense sont, en effet, essentiels. Nous poussons en faveur d'une préférence européenne, y compris dans le cadre de la facilité.
Sur les sanctions contre la Russie, le dernier paquet a été adopté le 23 février dernier et prévoit notamment 117 nouvelles sanctions individuelles des mesures sectorielles, notamment contre des opérateurs logistiques impliqués dans le contournement.
S'agissant de la future centrale du Larivot, je m'engage à revenir vers vous pour vous répondre.
Mme Gisèle Jourda . - Mon intervention portera sur le financement de la défense européenne et la candidature de la Bosnie-Herzégovine.
À Versailles, il y a deux ans, les États européens se sont engagés à dépenser davantage et mieux pour la défense européenne et à intensifier leurs coopérations. Le 9 octobre dernier, l'instrument nécessaire a été adopté : l'Edirpa, qui assurera le remboursement partiel des acquisitions réalisées par un consortium d'au moins trois États. Mais le budget initialement annoncé de 300 millions d'euros est bien trop limité... La Commission et le haut représentant ont fait une communication conjointe très attendue sur la stratégie de défense européenne, annonçant 1,5 milliard d'euros d'ici 2027 : c'est mieux, mais encore trop peu.
Nous devons renforcer nos investissements dans l'industrie de défense, y compris les PME. Or, du fait de la taxonomie européenne, les banques sont frileuses dans ce domaine. Comment intégrer ces enjeux dans le cadre des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance ESG ? Il faut aussi changer les statuts de la Banque européenne d'investissement pour qu'elle puisse financer des projets de défense.
Il a fallu plus de six ans à la Bosnie-Herzégovine pour obtenir le statut de pays candidat : six ans de rêve européen, de subventions pour des réformes clés, d'illusions pour les citoyens bosniaques, de novlangue bruxelloise, de stabilité de façade, de sous-estimation du travail de sape mené par la Russie et la Chine, conduisant à un affaiblissement du modèle européen dans une région qui, selon le mot de Churchill, produit plus d'histoire qu'elle ne peut en consommer.
L'invasion russe de l'Ukraine servira-t-elle d'accélérateur pour les réformes engagées par le pays ? L'adhésion de la Bosnie-Herzégovine pourrait-elle limiter l'influence russe dans la région ? La réforme des traités sera-t-elle mise sur la table pour repenser la gouvernance européenne, préalable à tout élargissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Edirpa incite aux achats conjoints : 3 milliards d'euros pourraient y être alloués, dont la moitié sont déjà budgétés. Reste qu'il faudra trouver des ressources nouvelles.
Il faut notamment mobiliser les revenus tirés des avoirs gelés, envisager un grand emprunt et mobiliser la BEI, qui n'investit pour l'heure que dans des activités duales et dont le mandat doit être élargi aux activités relevant strictement de la défense.
La Commission européenne propose d'ouvrir les négociations d'adhésion avec la Bosnie-Herzégovine. Ce n'est que le début d'un processus rapprochant ce pays des standards européens. Nous sommes attachés à l'approche fondée sur les mérites propres de chaque candidat, car la crédibilité du processus est en jeu.
Mme Gisèle Jourda. - N'oubliez pas les autres pays candidats, dont la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine.
M. Alain Cadec . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'ordre du jour du Conseil européen sera dominé par des enjeux géopolitiques lourds : Ukraine et Moyen-Orient. Dans le temps imparti, je me concentrerai sur le premier.
L'évolution du conflit ukrainien exige que les dirigeants européens définissent une ligne claire pour une action commune efficace.
À cet égard, il est désolant que le Président de la République ait brouillé les cartes le 26 février dernier, en tenant des propos inconsidérés qui ont déconcerté nos concitoyens et nos partenaires, surtout sans concertation préalable avec le Parlement et les forces politiques. Et d'autant que cette sortie était motivée autant par des préoccupations de politique intérieure que des considérations extérieures.
Il y a quelques jours, le Président de la République a tenté de s'expliquer lors d'une interview télévisée. Mais le spectacle a laissé nos concitoyens plus consternés et effrayés que rassurés.
Il faut maintenant restaurer la confiance avec nos partenaires européens, à commencer par l'Allemagne, avec laquelle nos relations n'ont pas été aussi tendues depuis bien longtemps.
Dans le contexte de confrontation exacerbée avec la Russie et de possible défection américaine dans quelques mois, la division des Européens est inconcevable. L'heure n'est pas à la forfanterie et aux discours martiaux, mais à une action concrète et collective.
Les efforts de l'Union européenne sont considérables, se chiffrant en dizaines de milliards d'euros. Mais sur le strict plan militaire, ils sont insuffisants. Nous devons mobiliser de toute urgence les moyens nécessaires pour éviter que le front ukrainien ne cède.
Spéculer sur une éventuelle escalade n'est d'aucune utilité, non plus que la perspective d'une adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne, qui ne peut que frustrer l'Ukraine et servir de justification rétrospective à la Russie. L'Ukraine ne remplit quasiment aucun des critères pour rejoindre l'Union européenne, et son appareil productif n'est pas compatible avec une intégration harmonieuse dans le marché unique. L'ouverture du marché européen aux produits agricoles ukrainiens a déjà fortement perturbé les marchés des céréales, de la volaille, des oeufs et du sucre. Membre de l'Union européenne, l'Ukraine obtiendrait 96 milliards d'euros de fonds agricoles : ce serait la fin de la PAC telle que nous la connaissons.
Cessons d'agiter des idées extravagantes. Nous avons besoin de réalisme et de cohésion. Je crains qu'on en ait beaucoup manqué ces derniers temps...
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Avec des mots particulièrement durs, vous affirmez que le Président de la République était mû par des considérations de politique intérieure. Pourquoi alors vingt-six chefs d'État et de Gouvernement ont-ils répondu à son invitation ? Il aurait eu tort de n'exclure aucune option, mais, d'après vous, lesquelles eût-il fallu exclure ?
La confiance avec l'Allemagne serait au plus bas ? Comment alors expliquer les relations intenses de ces derniers jours : visite du Président de la République à Berlin, accueil de mon homologue à Paris, colloque célébrant les cinq ans de l'assemblée parlementaire franco-allemande ?
Je vous rejoins, en revanche, sur ce point : il faut mener de front élargissement et réforme de notre gouvernance, pour que l'Union soit prête à accueillir de futurs membres. La Commission européenne présentera demain une analyse de l'impact de l'élargissement sur les politiques : nous réfléchirons sur cette base à la marche à suivre.
M. Alain Cadec. - Il est décidément impossible de toucher en quoi que ce soit au Président de la République...
Mme Frédérique Puissat. - C'est vrai !
M. Alain Cadec. - Les propos qu'il a tenus sont inconsidérés, tout le monde le dit ! (Mmes Frédérique Puissat et Pascale Gruny renchérissent.)
M. Louis Vogel . - Le sommet de la fin de semaine sera le dernier Conseil européen ordinaire avant les élections de juin, qui pourraient voir une poussée populiste. Dans ce contexte, les dirigeants européens doivent poursuivre leur action au service de la paix, de la sécurité et de la prospérité du continent.
La situation en Ukraine évolue à grande vitesse, et pas dans le bon sens. C'est pourquoi l'adoption par le Sénat et l'Assemblée nationale de l'accord de sécurité entre la France et l'Ukraine a constitué un acte fondamental.
La passivité n'est plus de mise. Depuis deux ans, l'Union européenne fournit déjà à l'Ukraine une aide financière et militaire sans précédent. La récente rencontre en format Weimar a permis de réaffirmer un soutien indéfectible à ce pays.
Je salue ces efforts, mais l'évolution de la situation en appelle d'autres, car notre destin est intrinsèquement lié à celui de l'Ukraine. Le nouvel emprunt européen sera-t-il évoqué au Conseil européen, et dans quels contours ? Quelle stratégie européenne pour augmenter nos capacités de production d'armement ? Comment la France compte-t-elle faire la différence pour oeuvrer activement à une défense européenne ?
Le Conseil européen abordera aussi la question agricole ; elle est au coeur de l'Europe, et il y va de notre souveraineté. L'Europe semble avoir entendu la détresse du monde agricole. La Commission européenne a proposé des évolutions des règles de la PAC qui répondent en partie aux revendications, allégeant les charges administratives et révisant la conditionnalité des aides directes. Quelle sera la position de la France ? Et quid de la révision de la stratégie de la ferme à la fourchette, qui inquiète beaucoup les agriculteurs ?
L'élargissement ne peut être décorrélé de l'approfondissement du projet européen, mais par quelles réformes le second pourra-t-il être réalisé ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - L'idée d'un emprunt européen a été lancée par la Première ministre estonienne, avec une enveloppe de 100 milliards d'euros, sur le modèle de l'emprunt commun pour financer le plan de relance - au titre duquel la France a reçu 40 milliards d'euros. Nous voulons explorer cette voie pour soutenir le réveil de notre BITD et augmenter la capacité européenne de production d'armement.
En matière agricole, nous soutenons les mesures annoncées par la Commission et lui demandons de les mettre en oeuvre le plus rapidement possible.
M. Louis Vogel. - Nos débats montrent que l'Europe ne se porte pas très bien. Toutefois, je ne suis pas totalement pessimiste, car c'est dans ses moments de crise que l'Europe a réalisé le plus de progrès. Mais cela doit se concrétiser. Le problème de l'Europe, c'est que trop d'affirmations ne sont pas suivies d'effets !
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains) Je salue la qualité de nos débats en commission des affaires européennes et l'engagement du président Rapin.
Il faut bien distinguer le soutien sans réserve à l'Ukraine et sa demande d'adhésion. Celle-ci est compréhensible, et il serait dangereux d'y répondre brutalement par la négative. Mais cette adhésion ne peut être automatique. Les critères de Copenhague doivent être respectés, et nous ne devons pas prendre de décisions précipitées.
Cicéron disait que, entre amis, on se doit la vérité, même quand elle est difficile. L'Ukraine fait face à la corruption et à la persistance des oligarques. La Commission européenne semble en avoir pris conscience : elle a annoncé que la feuille de route des négociations ne serait pas prête avant l'été. L'accord franco-ukrainien de sécurité souligne les efforts ukrainiens, mais il reste du chemin à parcourir. Par ailleurs, il serait injuste d'oublier les autres candidats, notamment la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro.
L'Union européenne aide l'Ukraine militairement et financièrement : 50 milliards d'euros dans le cadre de la facilité, dont 17 milliards de subventions et 33 milliards de prêts.
L'unité européenne est plus nécessaire que jamais. Si l'isolationnisme américain l'emporte en novembre prochain et que Donald Trump retrouve le Bureau ovale, elle sera la seule réponse. C'est donc un impératif moral et stratégique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Merci pour vos propos équilibrés sur l'adhésion de l'Ukraine. Il s'agit d'exporter la stabilité européenne et non d'importer en Europe de l'instabilité. Je le répète, nous sommes attachés à ce que le processus reste fondé sur les mérites propres. L'Ukraine a mené des réformes, mais il lui reste beaucoup de chemin à parcourir. Le processus est extrêmement exigeant : il suppose des changements profonds, notamment en matière d'état de droit.
Je constate une très forte unité, malgré quelques différences d'approche, dans le soutien apporté à l'Ukraine. C'est sans doute que l'agression russe touche à un principe fondateur de l'Union européenne : le respect des frontières.
M. Olivier Henno. - Quand le mur de Berlin est tombé, le débat entre approfondissement et élargissement s'est déjà posé. Nous avons élargi aux anciens pays du pacte de Varsovie avant d'approfondir. Aujourd'hui, une réforme institutionnelle forte est nécessaire avant tout nouvel élargissement. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
M. Jacques Fernique . - Les 5 milliards d'euros annoncés pour l'Ukraine sont une bonne nouvelle. Face au retrait du Congrès américain et au risque d'une nouvelle offensive russe, c'est un soulagement.
Mais que de blocages a-t-il fallu surmonter pour en arriver là ! Et rien n'est prévu pour sécuriser la suite. Il reste à espérer que le Fonds européen pour la paix réformé fera ses preuves et que les vingt-sept remettront au pot.
Il faut utiliser les avoirs russes gelés, établir un système d'approvisionnement plus fiable et mutualisé. Ces 5 milliards d'euros sont une toute première étape en direction d'une Europe de la défense crédible et pérenne.
Pour juguler l'impérialisme de Poutine, pour que la paix ne soit pas subordonnée à l'hypothèque électorale américaine, nous devons agir en Européens en cessant cette diplomatie solitaire qui déstabilise nos concitoyens et nos alliés.
Nous ne croyons pas aux exhortations à de prétendues négociations immédiates avec l'envahisseur, qui mettraient dans un grand chaudron les revendications d'expansion russe, une neutralité forcée pour ce qui resterait de l'Ukraine et les questions de l'Otan et de l'Union européenne. Cela reviendrait à admettre que des territoires trop faibles pour se défendre peuvent être obtenus par la force. (M. Jean-Noël Barrot acquiesce.)
Mais pour que ne s'affaiblisse pas le soutien à l'Ukraine, ne laissons pas se propager le sentiment d'un deux poids, deux mesures entre Kiev et Gaza. Depuis l'horrible attaque terroriste du Hamas, le gouvernement Netanyahu inflige aux Palestiniens une punition collective, un crime de masse par des bombardements indiscriminés et les ravages de la faim. Le Conseil européen doit changer de ton à l'égard du gouvernement d'Israël : il faut exiger un cessez-le-feu et l'accès complet à l'aide humanitaire.
Par ailleurs, l'Union européenne vient de signer un accord de partenariat avec l'Égypte pour 7,4 milliards d'euros, dont une contrepartie est que l'Égypte s'engage à retenir les migrants. L'Union européenne versera donc inconditionnellement une telle somme à un régime répressif et corrompu : quel cynisme ! Notre pays soutient-il sans réserve cet accord consternant ?
Nous déplorons le rôle contre-productif qu'a joué la France dans le cadre de deux chantiers législatifs récents : elle a oeuvré pour amputer l'ambition de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises et s'est évertuée, seule contre tous, à soutenir les plateformes contre les droits de leurs travailleurs précaires.
Enfin, alors que nous sortons de l'hiver le plus chaud jamais enregistré et que le bassin méditerranéen connaît une sécheresse exceptionnelle, l'Union européenne s'affaisse dans une pause environnementale qui balaie trois ans d'efforts pour mettre de l'environnemental dans la PAC. C'est un grave renoncement. Sur la PAC, l'accord de Paris et la transition énergétique, tenons bon ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Sur l'Ukraine, l'enjeu est de rappeler que nous sommes attachés à un ordre international fondé sur le droit, et non pas sur la force.
J'ai bon espoir que nous aboutissions à un appel très clair en faveur d'un cessez-le-feu au Proche-Orient, du respect par Israël du droit international et de l'acheminement sans délai de l'aide humanitaire à la population de Gaza, qui ne doit pas être victime des crimes terroristes du Hamas.
Vous êtes dur sur ce grand texte sur le devoir de vigilance : la France en est à l'origine et a proposé son européanisation. Nous venons d'aboutir à une version définitive, dont je suis fier.
Impossible de reprocher à la mandature qui s'achève son manque d'ambition écologique sur la PAC : pensez au Green Deal, aux projets de neutralité carbone en 2050. Mais la transition ne peut se faire contre les peuples, sinon la colère s'exprime. Les agriculteurs ont appelé la Commission à l'aide, elle leur a répondu.
M. Jacques Fernique. - Sur le devoir de vigilance, l'action de la France a conduit à exonérer le secteur financier pour sa partie aval : cela concernera 80 % des entreprises.
Votre conception de l'Europe est très tricolore, or nous avons besoin de cohésion et de cohérence collective. Notre logiciel européen commun doit être revivifié. Tout seul on s'agite, ensemble on va loin ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Michaël Weber . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les règles budgétaires de l'Union européenne s'appliquent de nouveau depuis le 1er janvier 2024. Plusieurs États membres, dont la France, risquent d'être en déficit excessif. Le nouveau PSC accorde certes plus de flexibilité, mais il conserve les totems des 3 % de déficit et 60 % de dette publique. Pourtant, ces critères n'ont jamais été totalement respectés - Italie, Grèce, France...
Les réformes du PSC en 2005 et 2011 ont produit un monstre de complexité. Ce cadre a montré son inefficacité pendant les crises, ajoutant l'austérité au ralentissement de la croissance. Avec le covid, l'Union européenne l'a suspendu au printemps 2020. Un pas supplémentaire a été franchi par les États membres lorsqu'ils ont accepté d'emprunter en commun pour financer le plan de relance européen. Aujourd'hui, l'urgence climatique impose de lever les freins à l'investissement.
L'Europe sort fragilisée de cette succession de crises, avec une augmentation massive, mais hétérogène, de la dette des États membres. Appliquer des critères uniformes est absurde, contre-productif, voire dangereux.
Un retour en arrière est impensable alors que les États membres doivent investir dans l'éducation, l'écologie, la défense, entre autres, et que les États-Unis, dont la politique budgétaire est expansionniste, creusent l'écart avec le vieux continent.
Pouvons-nous nous contenter de mesures cosmétiques pour réformer le PSC ? Il ne s'agit pas de se passer de règles, mais celles-ci doivent seulement garantir la soutenabilité des finances publiques.
Le Gouvernement promet de revenir à la stabilité budgétaire et aux 3 % de déficit en 2027, au prix de coups de rabots. Bruno Le Maire a déjà prévu 10 milliards d'euros, et selon la Cour des comptes il faudrait 50 milliards. Mais la Cour nous alerte aussi sur le coût d'une non-adaptation au changement climatique. Nous avons besoin d'un cadre budgétaire européen favorable à l'investissement. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Oui, les règles du PSC avaient l'inconvénient d'être procycliques, plongeant parfois les pays dans la récession. Bruno Le Maire s'est investi dans la révision du PSC, qui a été adoptée à l'unanimité. Les discussions ont été serrées, notamment avec l'Allemagne.
Vous évoquez l'éducation, la transition verte, la défense. J'y ajouterais la politique industrielle, qui pourrait nous permettre d'atteindre l'autonomie stratégique - notion que la France a contribué à intégrer dans la grammaire européenne. Nous devons mobiliser l'épargne privée et les finances publiques et mettre en commun notre capacité d'emprunt au service du projet européen.
M. Michaël Weber. - Depuis quelques mois, nous constatons que les efforts budgétaires se font au détriment des transitions énergétiques et écologiques, pourtant si nécessaires. Lors de la crise agricole, les efforts les plus conséquents ont porté sur ces domaines. Attention, car nous risquons ou la récession, ou l'échec.
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Six mois après ce funeste 7 octobre, le conflit à Gaza s'enlise et la perspective d'un cessez-le-feu demeure lointaine. Plus de 1,1 million de Gazaouis sont proches de la famine selon l'ONU, comme en témoigne l'émeute du 29 février.
À peine une dizaine de camions d'aide alimentaire entrent chaque jour dans la bande de Gaza, alors qu'il en faudrait entre 300 et 500. Israël bloque aussi l'arrivée du matériel médical.
Alors que l'Union européenne et la France ont augmenté les montants d'aide humanitaire, celle-ci ne peut être distribuée. Il faut donc discuter avec Israël pour améliorer cet acheminement par voie terrestre. Quelles actions la France a-t-elle menées en ce sens ? Nous ne pouvons rester les bras croisés face à la famine. Les parachutages sont peu efficaces : faibles volumes, pillages, accidents.
L'Union européenne, à l'initiative de Chypre, a annoncé la création d'un corridor maritime. Un premier navire, chargé de 200 tonnes de nourriture, est arrivé et a pu être déchargé. De leur côté, les États-Unis ont annoncé la création d'un port flottant. Comment la France compte-t-elle appuyer cette initiative ? Pourquoi ne pas nous coordonner avec les Américains ? (Mme Pascale Gruny et M. Bernard Pillefer applaudissent.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - La France a été le premier pays à larguer directement de l'aide humanitaire dans la bande de Gaza et nous y soutenons le système de santé.
L'initiative chypriote Amalthée est à saluer. Les moyens d'acheminement doivent être complémentaires. Chypre réfléchit à lever un fonds pour financer cette initiative que la France soutient.
M. Cyril Pellevat. - Merci de ces informations importantes.
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) « L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », selon Jean Monnet.
Depuis celle de la Croatie en 2013, l'Union européenne n'a pas connu de nouvelles adhésions. Les dix pays actuellement candidats doivent d'abord respecter les critères de Copenhague, sur la démocratie, l'État de droit et les droits de l'homme. Mais restons vigilants, notamment sur les risques de corruption, les contributions financières, le budget communautaire et la répartition des aides européennes.
La France et l'Allemagne sont des contributeurs nets de l'Union européenne, et jouent à ce titre un rôle moteur en Europe. Un vaste élargissement pourrait augmenter le nombre de contributeurs nets et créer des difficultés.
En outre, prendre des décisions efficaces serait difficile à 37. Des réformes institutionnelles sont donc nécessaires.
La question de l'accord d'association avec Israël, dont beaucoup demandent la suspension, doit être traitée. L'Union européenne doit rester vigilante sur la situation à Gaza : le droit international et le droit humanitaire doivent s'appliquer. Mais suspendre l'accord d'association ne serait pas un signal positif. Quelle est la position de la France ?
L'Union européenne semble catalyser tous les maux, aux dires de certains partis extrémistes, mais nous voyons aussi que l'Europe est désirée. Soyons fiers de notre Europe et d'être européens ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Baptiste Blanc applaudit également.)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Il ne peut y avoir d'élargissement réussi sans une triple réforme européenne : la réforme des politiques européennes, car les nouvelles adhésions déstabiliseraient la politique de cohésion et la PAC ; la réforme budgétaire - en cas d'élargissement, la Slovénie deviendrait contributeur net ; enfin la réforme institutionnelle, car comment fonctionner à plus de 30 membres ?
S'agissant d'Israël, j'attends ce week-end une déclaration commune pour appeler à un cessez-le-feu durable, pour l'acheminement de l'aide humanitaire, et pour condamner l'attentat terroriste du Hamas.
Je rends hommage aux députés et aux sénateurs qui font vivre le sentiment d'appartenance européen.
M. Claude Kern. - M. le ministre a répondu dans le bon sens, je m'arrête là... (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En toile de fond de ce Conseil européen : les dernières déclarations du Président de la République, qui ont décontenancé nos partenaires et inquiété nos concitoyens. Pas un jour sans que nous soyons interpellés sur ce changement de discours : il y a quelques mois, il ne fallait pas humilier la Russie ; désormais, il envisage l'envoi de troupes au front.
Bruno Retailleau a rappelé la position de notre groupe : tout faire pour ne pas laisser la Russie gagner la guerre, mais ne rien faire qui nous entraînerait dans une guerre.
L'ouverture du marché aux produits ukrainiens crée une situation de concurrence déloyale qui met nos agriculteurs en grande difficulté. Monsieur le ministre, êtes-vous favorable aux clauses de sauvegarde pour les protéger ?
La Commission a levé le tabou de la réouverture de la PAC. Son architecture verte a enfin été remise en cause. Cela va dans le bon sens, mais que de temps perdu ! Nous le proposons depuis 2017.
Je me réjouis de l'accord sur l'espace européen des données de santé. Le compromis reprend une de nos propositions : la possibilité pour les patients de s'opposer à l'utilisation de leurs données à des fins de recherche. Nous voulons que les données de santé soient stockées par une entreprise européenne, sur le territoire européen. Je regrette à cet égard que le Gouvernement s'obstine à confier les données de santé des Français à Microsoft.
Un accord a été trouvé sur les travailleurs des plateformes, avec une présomption de salariat. Mais attention à la mise en oeuvre et à la sécurité juridique de ces dispositions. Le Président de la République n'en voulait pas : comment envisagez-vous de transposer cette directive ?
Nous attendons de la France davantage de constance et de clarté pour tenir son rang. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Nous ne sommes pas les agresseurs, nous sommes les agressés. Nous sommes d'une certaine manière les victimes de Poutine. Qui a fait flamber les prix du gaz, inondé le marché européen de céréales ? Poutine ! Qui vient de diffuser une fausse nouvelle sur l'envoi de troupes françaises ? Les services de renseignement russes. Qui a lancé des cyberattaques sur les hôpitaux de Corbeil-Essonnes et de Versailles et les paralyse depuis un an ? Des groupes russes. N'inversons pas les rôles !
Mme Pascale Gruny. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Sur la prolongation du règlement ATM, la France a donné un avis favorable à des freins d'urgence pour la volaille, le sucre, certaines céréales. À l'heure où nous parlons, le Parlement vote.
Mme Pascale Gruny. - Je n'ai pas eu de réponse sur les plateformes.
Mon discours n'était pas pro Poutine : nous soutenons l'Ukraine. Les propos du Président de la République ont effrayé les Français. Il faut faire attention à nos alliés et les consulter avant de faire des annonces qui font peur. (Mme Frédérique Puissat renchérit.)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Merci, monsieur le ministre, de vous être prêté à l'exercice, dynamique. Ce format, avec vos réponses immédiates, est intéressant.
De cet échange, nous avons compris que l'ordre du jour portait essentiellement sur l'Ukraine.
Dans 48 heures, nous tiendrons un colloque auquel participeront Édouard Balladur, Alain Lamassoure, Noëlle Lenoir, un ancien ambassadeur allemand. En élargissant, allons-nous vers un crash de l'Europe - ce n'est pas à exclure - ou peut-on la faire grandir ou l'affaiblir ?
Alain Cadec, avec sa verve, a pris l'exemple agricole : la PAC, c'est 58 milliards d'euros, quand l'aide à l'Ukraine atteint les 96 milliards ! Toutes ces questions doivent être traitées.
Les propos du Président de la République ont énormément inquiété, y compris les parlementaires. (Mme Pascale Gruny renchérit.) Certes, on ne fixe pas de limite à la dissuasion. Mais ce débat est un débat de sachants, pas le débat tel qu'il doit être porté devant le public.
Sur les finances, nous sommes plusieurs ici à avoir défendu le grand emprunt dans le cadre du plan de relance, grâce notamment à son volet recettes. Nous commencerons à rembourser en 2028. Nous ne sommes peut-être plus dans le même état d'esprit désormais, car le volet recettes n'est plus au rendez-vous. Nous devrons en débattre au Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Prochaine séance demain, mercredi 20 mars 2024, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 35.
Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 20 mars 2024
Séance publique
À 15 heures et de 16 h 30 à 20 h 30
Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Alain Marc, vice-président.
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne.
1. Questions d'actualité
2. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (texte de la commission, n°417, 2023-2024)
3. Proposition de loi visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires, présentée par Mme Françoise Gatel et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°415, 2023-2024)