Retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles, présentée par M. Philippe Mouiller et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.) La colère du monde agricole n'est pas éteinte. Ses causes sont multiples, dont un niveau de pensions bien plus bas que les autres travailleurs, sans rapport avec le travail fourni. Le présent texte ne réglera pas tout, mais réduira cette injustice.
Il y a un an, nous avions adopté sans une voix dissonante la proposition de loi Dive fixant le calcul sur la base des 25 meilleures années, comme l'immense majorité des travailleurs du secteur privé, et comme c'est logique pour une profession soumise aux aléas.
Si vertueuse qu'elle fût, cette loi manquait de précision en confiant au Gouvernement toute autorité pour en définir les modalités pratiques.
Ce risque avait été bien identifié par la commission des affaires sociales et par notre rapporteur Pascale Gruny. Mais, ne voulant pas prolonger la navette, nous avions fait le pari de la confiance au Gouvernement - hélas, il est en passe d'être perdu.
La loi prévoyait que le rapport de préfiguration soit remis sous un délai de trois mois. Un an plus tard, après plusieurs interpellations, nous avons appris avec étonnement - un euphémisme - que la presse avait pu le consulter. Nous avons dû menacer d'utiliser nos pouvoirs de contrôle et de nous rendre à Matignon ; comme par hasard, nous l'avons reçu l'après-midi...
Monsieur le ministre, un tel comportement est inacceptable : la représentation nationale doit avoir connaissance des rapports.
M. Jacques Grosperrin. - Vous avez raison !
M. Philippe Mouiller. - Mais le pire était à venir : une véritable usine à gaz technocratique, mêlant deux modes de calcul pour avant et après 2016, incompréhensible pour les assurés, générant un tiers de perdants, une moitié d'assurés pour lesquels cela ne change rien et un cinquième seulement de gagnants.
Le jeu en valait-il la chandelle ? Nous pourrions en rire si cela n'était pas une provocation pour le monde agricole...
À l'inverse, le scénario d'un système par points reposant sur les 25 meilleures années, qui avait les faveurs des rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale, ne fait l'objet que de deux pages sur 300 : il n'a pas fait l'objet d'un examen approfondi à la demande du Gouvernement !
Ce voile pudique est d'autant plus étonnant que l'inspection générale des affaires sociales (Igas) avait présenté cette solution comme la seule susceptible de ne pas faire de perdants.
Le Parlement devait réagir : dès le lendemain de la publication du rapport, j'ai déposé, avec Pascale Gruny, cette proposition de loi.
Le scénario privilégié par le Gouvernement prévoit de passer à un régime en annuités et de supprimer un barème redistributif de points de retraite - ce qui cause l'essentiel des pertes. Pour éviter ce travers, nous prévoyons un calcul sur la base des 25 meilleures années tout en conservant un système par points, avec le ferme soutien de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de la profession.
Le coût de cette réforme serait bien inférieur aux prévisions de l'Igas : 300 millions d'ici à vingt ans, loin des 500 millions projetés. Au reste, les seuls assurés qui n'y gagneraient pas n'y perdraient pas non plus - ce sont les bénéficiaires de minima. Pour les autres, le complément pourrait aller jusqu'à 190 euros par mois.
Ses opposants pourront bien invoquer des arguties techniques pour le prétendre inapplicable, mais ce mode de calcul est celui que préconisait l'Igas dès 2012 ! Aux dires de la MSA, c'est le seul à être applicable dès 2026. Depuis plusieurs semaines, il se dit en effet que la réforme n'entrerait pas en vigueur avant 2028 ; il est vrai que les scénarios du Gouvernement sont si complexes...
La proposition de loi Dive prévoyait une entrée en vigueur en 2024 ; nous avons accepté un report en 2026 l'an dernier, mais nous n'accepterons pas un nouveau report, encore moins un enterrement !
La loi est l'expression de la volonté générale, ce n'est pas une recommandation : elle oblige le Gouvernement. Avec cette proposition de loi, nous vous aidons, monsieur le ministre, à tenir vos engagements. Vous devriez remercier le Sénat !
Nous représentons les territoires de France. Nous connaissons les efforts de celles et ceux qui nous nourrissent. Le respect des engagements politiques est essentiel, à l'heure où les mécontentements sont toujours présents dans les campagnes. Nous devons tenir ce que nous avons promis tous ensemble l'année dernière. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales . - La sagesse populaire ne nous interdit-elle pas de mordre la main qui nous nourrit ? Le changement climatique aura des conséquences néfastes sur les récoltes. Comment rester impassible face au naufrage de l'agriculture française ? Il faut agir !
Voilà un an, nous adoptions la proposition de loi du député Dive visant à calculer avant 2024 les retraites des non-salariés agricoles sur la base de leurs 25 meilleures années, le système actuel par points étant à leur désavantage.
Hélas, un an plus tard, que de désillusions ! La loi autorisait le Gouvernement à fixer les modalités par ordonnance sans fixer de délai ; je m'en étais inquiétée, mais nous avions choisi la confiance, dans le sens du scénario identifié par Yann-Gaël Amghar.
Nous voulions fonder le calcul des pensions sur les 25 meilleures années sans faire perdre le bénéfice d'un barème particulièrement redistributif : pour chaque année cotisée, les assurés auraient acquis le nombre moyen de points calculés sur leurs 25 meilleures années.
Le Sénat et l'Assemblée nationale avaient clairement exprimé leur souhait que ce scénario soit retenu. Quelle surprise à la lecture du rapport remis - si l'on peut dire - au Parlement ! Je ne l'ai reçu qu'après avoir informé le Premier ministre que j'étais prête à venir le chercher moi-même à Matignon - et pas avant la presse, érigée en troisième chambre du Parlement...
Les scénarios prévus par le rapport ont trois caractéristiques en commun : une montée en charge très longue, une extraordinaire complexité technique et une forte iniquité. Celui qui aurait vos faveurs consiste à calculer, pour la partie de la carrière antérieure à 2016, une fraction de la pension dans le cadre de l'actuel système par points, puis pour la partie de la carrière postérieure à 2015, une seconde fraction selon les paramètres des régimes par annuités, en ne retenant pour cette dernière partie qu'un nombre de meilleures années calculées au prorata de la durée de la seconde partie de la carrière par rapport à celle de l'ensemble de la carrière... Je crois que je vous ai perdus, chers collègues !
Au cours des auditions, le Gouvernement a dit vouloir limiter le nombre de perdants. Mais vous aurez beau faire : ce scénario fera toujours des perdants, surtout les plus fragiles. Cela n'est pas acceptable.
C'est pourquoi nous vous proposons d'abroger l'habilitation accordée au Gouvernement par la loi Dive et d'inscrire nous-mêmes dans la loi les paramètres les plus justes et les plus simples - ce qui n'est pas du luxe - à savoir le calcul des pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026 sur la base des 25 meilleures années de points.
La proposition de loi prévoyait également la fusion de la part forfaitaire et de la part proportionnelle des retraites de la MSA. Cette volonté de simplification était louable, mais celle-ci n'est pas en mesure d'en évaluer les conséquences : la commission a donc supprimé ces dispositions. Moins nous modifierons les paramètres, plus nous simplifierons la tâche de la MSA.
Je le répète : la réforme que nous proposons est la seule conforme à l'esprit de la loi de l'an dernier. Elle est la seule à ne pouvoir faire que des gagnants, ou, au pire, des non-gagnants. Elle est la seule à pouvoir être intégrée à temps dans le système d'information de la MSA, pour être appliquée en 2026.
J'ai interrogé la direction de la sécurité sociale : c'est le flou total. La loi votée par le Parlement prévoit une réforme des retraites agricoles au 1er janvier 2026 : nous nous y cantonnerons.
J'en viens au nerf de la guerre : les moyens financiers. Je remercie la MSA pour les informations transmises. En raison de l'élargissement de l'assiette et des minima, le coût prévu par Yann-Gaël Amghar était surestimé : en fait, il serait entre 285 et 322 millions d'euros. La branche vieillesse des MSA devrait afficher 900 millions d'euros d'excédent en 2027 ; de quoi faire face à cette charge nouvelle avec confiance.
Je vous invite à manifester votre soutien unanime à la paysannerie française, à nos agriculteurs et à leurs familles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Dans la crise agricole en cours, le sujet du revenu, notamment après la fin de la carrière, est important : après des années de travail, les agriculteurs doivent pouvoir vivre dignement de leur pension. Continuer à les faire progresser est un engagement du Parlement, soutenu par le Gouvernement.
Nous ne partons pas d'une page blanche, grâce à vos travaux. Depuis 2017, les gouvernements successifs et les parlementaires se sont engagés en faveur d'une revalorisation des pensions, notamment les plus petites d'entre elles. Deux lois proposées par le président André Chassaigne, votées à l'unanimité, ont permis d'avancer sur le sujet. N'oublions pas les points positifs, comme la revalorisation de 75 à 85 % de la pension minimale pour les chefs d'exploitation et un calcul plus équitable de la pension minimale pour les conjoints, qui a bénéficié à 200 000 retraités, dont 70 % de femmes.
Ces deux lois ont revalorisé les pensions de plus de 330 000 agriculteurs, soit un tiers des assurés des régimes, avec un gain de 100 euros en moyenne.
Tout le chemin a-t-il été parcouru ? Non. C'est pourquoi nous sommes réunis aujourd'hui. Je salue le travail du président Mouiller.
Le régime de retraite agricole est particulièrement complexe.
Mme Pascale Gruny. - Très complexe !
M. Marc Fesneau, ministre. - Une chatte n'y retrouverait pas ses petits. Cela nuit à la lisibilité du système ; or les jeunes susceptibles de s'installer ont besoin de visibilité.
Nous sommes d'accord pour calculer sur la base des 25 meilleures années, mais cela soulève des questions, que j'ai déjà partagées publiquement. Comment concilier un calcul fondé sur les 25 meilleures années et un système conçu pour assurer une redistribution ? Comment passer d'un régime par points à un système par annuités ? Comment faire entrer en vigueur dès 2026 une réforme qui nécessite des adaptations préalables ? La MSA a indiqué qu'elle ne pouvait pas reconstituer les cotisations avant 2016.
Je sais que le délai de remise de ce rapport a suscité de nombreuses critiques. Je les prends volontiers ; je reconnais l'écueil. Cela dit, le Gouvernement avait publiquement indiqué à l'époque que le délai de trois mois lui semblait court, compte tenu de la complexité du sujet.
Cette réforme est non pas un ajustement, mais une réforme profonde.
Le rapport présente plusieurs scénarios. II a été décidé de partir sur les 25 meilleures années de revenus, ce que demande la profession. Nous essayons d'honorer ce souhait.
Cette proposition de loi prévoit de sélectionner les 25 meilleures années de points. Ce n'est pas cohérent avec un système par points acquis tout au long de la carrière : les points auraient des valeurs différentes selon les situations. Cela écarterait le régime des agriculteurs d'une convergence avec celui des salariés et des indépendants.
Or cette convergence est justifiée dans un contexte où la majorité des agriculteurs font de plus en plus d'allers-retours avec d'autres professions, avec de plus en plus de polypensionnés. Elle améliorerait la pension des agriculteurs en éliminant les mauvaises années.
Mon objectif est d'accélérer les travaux avec les organisations professionnelles sur la base de la loi Dive votée l'an dernier pour améliorer les retraites des agriculteurs.
Toutefois, il faut étudier la situation de ceux qui auraient une meilleure pension dans un système à points, afin de limiter les effets de bord. Par ailleurs, la MSA doit résoudre des problèmes informatiques.
Le calcul se ferait selon le régime actuel à points pour la période antérieure à 2016, et sur la base des 25 meilleures années pour la période postérieure à 2016.
Il n'y a pas de problème budgétaire ni de problème de fond, car tout le monde est favorable à la prise en compte des 25 meilleures années, mais nous devons limiter les effets de bord et proposer une date d'entrée en vigueur réaliste, l'envisager pour 2026 étant difficile.
Monsieur le président, je vous remercie de cette proposition de loi, mais celle-ci serait à durée limitée, pour la période de 2026 à 2028. Nous sommes d'accord sur presque tout (on le conteste sur quelques bancs du groupe Les Républicains), mais divergeons sur le point d'atterrissage. Je ne peux donc pas émettre un avis favorable, mais nous avons la ferme intention d'aboutir vite. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Frédérique Puissat. - Nous, c'est tout de suite !
M. Daniel Chasseing . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDSE ; MM. Ludovic Haye et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.) La moitié des agriculteurs partiront à la retraite d'ici à 2030. Le renouvellement des générations est un problème. Aussi, nous devons favoriser l'installation des jeunes et la transmission des exploitations.
Les conditions de travail, notamment dans l'élevage, ne sont certes pas très attirantes. De plus, la pension mensuelle est de 840 euros par mois, contre 1 500 euros en moyenne ailleurs.
Il faut recouvrer notre souveraineté alimentaire. La France est toujours la première puissance agricole de l'Union européenne, mais pour combien de temps encore ? Nous sommes passés de la deuxième à la cinquième place mondiale en dix ans.
Ces derniers mois, la détresse a explosé. Les agriculteurs doivent être entendus, notamment concernant leurs retraites.
Nous essayons d'améliorer le système depuis des années. Nous avons voté les propositions de loi Chassaigne ; en février 2023, nous votions la loi Dive, qui n'a malheureusement pas encore trouvé d'application.
Les non-salariés agricoles sont les seuls à voir leur retraite encore calculée sur l'ensemble de leur carrière, contre les 25 meilleures années dans le privé et les six derniers mois dans la fonction publique. C'est pourquoi il faut une réforme. Il est difficile de trouver le système parfait, d'autant plus que la MSA ne conserve pas de données au-delà de huit ans. Je remercie Mme Gruny et M. Mouiller pour leur travail.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi qui favorisera une retraite décente pour les agriculteurs.
Avant cet été, le projet de loi d'orientation agricole sera l'occasion de faire des choix importants. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Nadia Sollogoub . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP ; M. Laurent Somon applaudit également.) Tout a changé : les paysans sont des chefs d'entreprise avec des projets de vie de famille et de vacances. Le statut de conjoint collaborateur n'est pas tenable : ils travaillent tous en dehors de l'exploitation. Les futurs retraités de l'agriculture ne se contenteront pas d'une poignée d'euros et de grand air pour solde de tout compte d'une vie professionnelle harassante et souvent éprouvante.
« On a beau dire, » disait la Ragotte du nivernais Jules Renard, « c'est gentil, la salade et le fromage blanc quotidien. Ça, et l'air du temps, le bonheur de la campagne, ça vous tue un homme en trente ans. » Jules Renard disait d'elle : « Elle traverse la vie, elle va à la mort avec sa brouette de linge ». C'est bien fini !
Aujourd'hui, 50 % des agriculteurs déclarent moins de 20 000 euros de revenus annuels. La seule voie valable pour une retraite décente est d'avoir des revenus décents tout au long de la carrière.
La loi Chassaigne 1 a instauré un revenu minimum à 85 % du Smic pour une carrière complète. La loi Chassaigne 2 a amélioré de quelques euros le quotidien des conjoints retraités des agriculteurs - ce qui a été repris pour les conjoints de commerçants et artisans.
Ces dispositions de justice sociale font l'unanimité des deux chambres et sont vertueuses, même si les polypensionnés qui dépassaient les plafonds qui n'ont pas profité des revalorisations.
Le rapport Amghar de 2012 proposait de calculer les pensions sur les 25 meilleures années - le bon sens. La loi Dive reprenait cette proposition, mais nous attendions toujours le rapport prévu, un an après son adoption. Je vous avais interrogé à ce sujet le 17 janvier dernier
Nous avions adopté ce texte en posant comme condition qu'il n'y ait pas de perdants. Or le Gouvernement a écarté le scénario prenant en compte les 25 meilleures années de points, alors que le rapport Amghar et les experts de la MSA y voient la seule solution pour éviter qu'il y ait des perdants.
Bercy devrait comprendre combien il est important de soutenir les plus petites retraites en milieu rural. Un euro en plus, c'est un euro dépensé localement : pas d'évasion fiscale ou d'achats sur Amazon !
Les paysans à la tête d'une petite exploitation doivent recevoir une retraite convenable ; sinon, ils seront contraints de la céder, ce qui favorise l'agrandissement des exploitations.
Je n'entrerai pas dans le détail du calcul, mais le chantier reste devant nous.
Quel que soit le scénario retenu, cette réforme sera peu coûteuse. C'est donc sans hésitation que le groupe UC la votera. C'est le scénario le plus juste. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
M. Daniel Salmon . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.) Nous discutons d'enjeux majeurs, tels que la transmission des exploitations. Après quarante ans de labeur, se retrouver avec un niveau de pension ridicule, 840 euros en moyenne, est inadmissible. Il faut refondre le régime de retraite agricole pour apporter justice et équité aux agriculteurs et attirer les nouvelles générations. La précarité touche d'abord les femmes, qui représentent les trois quarts des petites retraites.
Les retraites agricoles sont les dernières à être calculées sur l'ensemble des années de carrière, ce qui n'a pas de sens, notamment au regard des aléas climatiques.
Le GEST avait voté la loi Dive avec réserves, en appelant à la vigilance sur les effets de bord. Le scénario préconisé par l'Igas ne répond pas à nos exigences et favoriserait les hauts revenus.
Cette proposition de loi générerait une augmentation moyenne de 47,70 euros par mois. Nous manquons de précisions sur le nombre d'agriculteurs qui ne gagneraient pas au change. Ce flou nous laisse assez dubitatifs sur les potentiels effets de bord pour les exploitants aux plus faibles revenus.
Des leviers plus ambitieux existent pourtant : un revenu réellement rémunérateur, l'assouplissement des critères pour accéder à la pension majorée de référence (PMR), ou un lissage pour la retraite de base, par exemple.
L'idéologie néolibérale considère les cotisations sociales comme un coût. Les paysans ont été encouragés à s'endetter. Il faut limiter les incitations fiscales nuisant à la perception du besoin de cotiser.
Le GEST ne s'opposera pas à cette proposition de loi, mais elle devra être complétée. Nous formulerons des propositions dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Pour lutter contre la désertification rurale et créer des emplois agricoles, il faudra réformer le système de retraite. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Face à la crise agricole, le Président de la République a annoncé lors du Salon de l'agriculture des mesures en faveur des agriculteurs, reprenant la proposition des parlementaires communistes de prix planchers.
Il avait promis une réunion pour « consolider » les mesures envisagées, mais celle-ci a été annulée du fait de la FNSEA, qui reproche au Gouvernement de reporter à 2028 l'application d'une réforme du mode de calcul des retraites pourtant adoptée à l'unanimité. C'est un renoncement de plus de votre gouvernement qui suscite la colère légitime des agriculteurs, lesquels voient déjà le fruit de leur travail volé par les multinationales et leurs actionnaires.
Malgré des avancées ces dernières années, notamment grâce à notre collègue député André Chassaigne, les retraites agricoles restent parmi les plus faibles. Des propositions de loi ajoutées les unes aux autres ne remplacent pas un projet de loi de réforme globale.
À cela s'ajoute la forte dégradation des prix d'achat qui ne permet plus aux producteurs de s'en sortir, notamment dans l'élevage. Nous partageons l'avis de Pascal Cormery, président de la MSA, selon lequel le problème réside surtout dans la faiblesse des revenus agricoles. En les augmentant, on accroîtrait les cotisations, donc les retraites.
Le scénario 4C de l'Igas ferait 30 % de perdants pour 20 % de gagnants, les autres voyant leur pension inchangée. La proposition des Républicains ne ferait pas de perdants mais une majorité de gagnants parmi les pensions les plus élevées. Par rapport au projet du Gouvernement, ce texte est légèrement meilleur.
Mme Frédérique Puissat. - Meilleur !
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Le groupe CRCE-K votera donc en sa faveur, tout en exigeant des prix planchers pour protéger nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Frédérique Puissat, M. Laurent Somon et Mme Brigitte Micouleau applaudissent également.)
Mme Guylène Pantel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Voilà un an, le Sénat adoptait une proposition de loi visant à calculer les pensions agricoles sur les 25 meilleures années. C'était la réparation d'une injustice, pour reprendre les mots d'Henri Cabanel.
Rien ne justifie en effet une telle discrimination. En 2022, la pension moyenne était de 864 euros bruts mensuels, contre 1 500 euros en moyenne. Si bon nombre d'agriculteurs peinent à joindre les deux bouts pendant leur vie active, la situation est pire, une fois à la retraite - Henri Cabanel et Françoise Férat l'avaient souligné dans leur rapport. Récemment, les lois Chassaigne ont revalorisé les retraites des agriculteurs, mais en écartant les polypensionnés.
La loi Dive envoyait un signal fort aux agriculteurs qui attendaient une réforme pour 2026. Le Gouvernement devait remettre des scénarios d'application dans les trois mois suivant sa promulgation. Remis avec huit mois de retard, le rapport s'est concentré sur trois scénarios, lesquels feraient beaucoup trop de perdants, notamment parmi les plus modestes.
Aussi nous saluons cette proposition de loi. Le RDSE est depuis longtemps particulièrement attentif au problème des retraites agricoles. En pleine crise du monde agricole, la mise en oeuvre du calcul de la pension sur les 25 meilleures années est plus que jamais prioritaire. La MSA l'a confirmé en audition : ce texte est la solution la plus acceptable pour améliorer les petites pensions tout en respectant l'échéance de 2026 fixée par la loi Dive. Les pensions seront revalorisées jusqu'à 190 euros.
Cette proposition de loi n'est qu'une première étape. Beaucoup reste à faire pour conjurer le malaise paysan. Non-respect des lois Égalim, poids des normes, versement tardif des aides, coût du carburant agricole, course à l'endettement : nos agriculteurs n'y arrivent plus et trop souvent se suicident.
Le RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Bernard Buis . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Un an après l'adoption de la loi Dive, nous discutons à nouveau du calcul des retraites des non-salariés agricoles. Notre assemblée était unanime sur la nécessité d'engager une réforme.
Plusieurs consensus avaient émergé, à commencer par le caractère injuste du mode de calcul. Alors que ces professionnels travaillent dans des conditions difficiles, leurs pensions sont bien inférieures à la moyenne : 840 euros, contre 1 530 euros pour l'ensemble des retraités de droit direct. Face à une telle injustice, nous avions voulu inclure une réforme dans le PLFSS ; notre amendement s'était hélas heurté à l'article 40.
Nous avions donc voté l'an dernier la loi Dive, qui tendait à faire converger le mode de calcul des retraites des agriculteurs avec celui des salariés et indépendants en prenant en compte les 25 meilleures années.
Notre assemblée souhaitait une mise en application de la réforme le plus rapidement possible. La nouvelle méthode de calcul devait être appliquée au 1er janvier 2026. Autre exigence, la réforme devait faire le moins de perdants possible.
Le Gouvernement devait remettre un rapport fixant les modalités de la réforme. Mais la théorie a été confrontée à la pratique : il est vrai que le débat est suffisamment technique pour qu'on en perde son latin.
Toujours est-il que nous devons avancer et trouver une méthode de calcul satisfaisante, qui fasse le moins de perdants possible.
Le rapport montre que les scénarios envisagés se heurtent à trois obstacles : mise en oeuvre décalée de deux ans, nombreux perdants chez les agriculteurs ayant les revenus les plus faibles, coût de la réforme de 15 millions en 2030 et 400 millions en 2100.
Le Gouvernement propose donc un calcul sur les 25 meilleures années à partir de 2028, et de réformer quelques paramètres dès 2026.
Personne ne gagnerait à engendrer davantage de frustration et de déception chez les agriculteurs.
Le RDPI est réservé sur plusieurs points. La proposition de loi de M. Mouiller mêle régime par points et annuités. Cela ne compromet-il pas la convergence en créant un nouveau régime inédit ? Garantissez-vous qu'il n'y aura aucun perdant ?
M. Philippe Mouiller, président de la commission. - Oui !
M. Bernard Buis. - Avec votre réforme, il pourrait y en avoir jusqu'à 6 %. Le coût pour les finances sociales serait de 285 à 322 millions d'euros, selon la MSA. Ne doit-on pas envisager une mission d'information, pour trouver une solution consensuelle ?
Mme Frédérique Puissat. - Bien sûr !
M. Bernard Buis. - Personne ne comprendrait que l'on enterre le sujet, dans le contexte actuel, mais compte tenu des réserves exprimées, notre groupe s'abstiendra.
Mme Frédérique Puissat. - Bravo...
Mme Monique Lubin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER partage les objectifs de la proposition de loi, mais n'est pas pleinement convaincu par la démarche. La majorité sénatoriale entend pallier l'incapacité du Gouvernement à identifier les modalités d'application de la loi votée en février 2023, mais cette réponse demeure insatisfaisante.
La loi de 2023 prévoyait un rapport à rendre sous trois mois. Rendu avec neuf mois de retard, il n'offre pas de solution à la hauteur des attentes.
Le scénario qui aurait les faveurs du Gouvernement pèche par sa complexité et par ses conséquences. Il consiste en une liquidation des retraites agricoles en deux temps, selon des modalités alambiquées. Il ferait par ailleurs disparaître les mécanismes de redistribution internes de l'actuel régime, conçus pour répondre à la diversité des situations, ce qui bouleverserait le paysage et risquerait de pénaliser certains doublement.
L'administration et le Gouvernement peinent à identifier des modalités d'application de la loi de 2023 acceptables par tous. Ce n'est pas surprenant.
Notre groupe a soutenu le texte voté en février, mais nous avions fait part de notre circonspection. Son objectif était limpide et nécessaire, mais les voies empruntées pour l'atteindre étaient tortueuses.
On ne peut considérer de façon isolée une règle d'un régime sans considérer le régime dans son ensemble - la réforme ne devrait donc pas porter sur la seule règle de calcul, mais sur la globalité du régime.
Étonnamment, la piste mise en avant par l'Igas en 2012, la moins susceptible de faire des perdants, a été peu exploitée dans son rapport de 2024.
L'argument selon lequel la MSA ne dispose de bases de données sur les revenus qu'à partir de l'année 2016 bute sur la réponse du même organisme, qui affirme ne pas avoir été consulté, lors de l'élaboration de ce rapport, sur sa capacité à mettre en oeuvre une réforme conservant le système à points.
La proposition de loi prévoit, à rebours du Gouvernement, un calcul sur les 25 meilleures années avec un système à points. C'est le scénario le mieux-disant, puisqu'il ne ferait pas trop de perdants et augmenterait les retraites de 47,70 euros par mois en moyenne. Notons toutefois qu'il repose sur un travail publié en 2012 : bien des paramètres ont évolué depuis.
La FNSEA soutient la proposition de loi. La Confédération paysanne, en revanche, plaide pour une assiette plus large de cotisation, qui permettrait une solidarité accrue.
Manifestement, l'heure n'est pas à la refonte du système de calcul des pensions agricoles. Il est regrettable de devoir débattre à nouveau d'une réforme paramétrique alors que nous nous sommes déjà battus à vents contraires sur le sujet.
La pusillanimité du Gouvernement a retardé l'adoption des lois Chassaigne 1 et 2 et en a réduit la portée.
La loi Chassaigne de 2020 devait rehausser la retraite à 80 % du Smic pour les chefs d'exploitation ayant une carrière complète. Mais avec l'écrêtement imposé par le Gouvernement, l'augmentation a été dérisoire. Les effets de ces atermoiements sont délétères. Prudence excessive ou technicité assumée, tout est fait pour reprendre d'une main ce que l'on donne de l'autre.
Une réforme paramétrique ne peut qu'être impuissante à répondre aux questions de fond. Il faut une réforme globale sur la contributivité du régime et l'assiette de cotisation. Il faudra interroger les choix effectués à la création du régime en 1955, concernant la répartition de l'effort entre contribution à la MSA, investissement et épargne individuelle. Alors que la moitié des agriculteurs partira à la retraite d'ici dix ans, il faut aussi s'interroger sur la solidarité intergénérationnelle.
Le groupe SER se prononcera en faveur de ce texte malgré ses insuffisances, mais appelle à engager une réforme globale avant 2030. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après des jours de manifestations intenses et un Salon de l'agriculture mouvementé, le Gouvernement est-il à la hauteur de ses engagements ? Les annonces n'ont pas été concrétisées et le projet de loi d'orientation agricole ne sera examiné qu'à partir du 13 mai à l'Assemblée nationale.
Or le Sénat a beaucoup travaillé sur ces thématiques. En témoigne la proposition de loi Duplomb, transmise à l'Assemblée nationale le 23 mai 2023, mais toujours pas inscrite à son ordre du jour.
Les agriculteurs ont fait entendre leur mécontentement, mais le dossier de leurs retraites n'avance pas.
La loi du 13 février 2023 prévoyait une réponse concrète grâce à une réforme du calcul fondée sur les 25 meilleures années de carrière au lieu de la carrière entière. Le Gouvernement devait fournir un rapport détaillant les modalités d'application - remis avec huit mois de retard. Selon la commission des affaires sociales, dont je salue le travail, les scénarios de réforme proposés feraient entre 15 et 50 % de perdants. Bref, ce rapport va à l'encontre de la loi votée au Parlement.
Le texte que nous examinons inscrit directement dans la loi les modalités de calcul applicables aux pensions liquidées à compter du 1er janvier 2026. Elle aurait aussi pu unifier les pensions forfaitaire et proportionnelle, mais des problèmes techniques restent à régler.
Le groupe Les Républicains votera ce texte, qui reflète l'engagement du Sénat à répondre à la détresse du monde agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Christopher Szczurek . - (M. Aymeric Durox applaudit.) Nous connaissons l'adage : il n'y a pas de pays sans paysans. La France puise dans le travail millénaire de sa terre le ferment de sa prospérité. Pourtant, la crise agricole grave que nous vivons a révélé le malaise, sinon la souffrance de nos agriculteurs.
Le libre-échange déraisonné mêlé à une surtransposition zélée leur a rendu la vie impossible.
Si la nation doit beaucoup à ses agriculteurs, elle les récompense peu. En atteste l'écart de pension de 580 euros bruts entre un agriculteur et un salarié affilié au régime général. Alors que la plupart des salariés voient leur retraite calculée sur les 25 meilleures années et les fonctionnaires sur les six derniers mois, les agriculteurs sont la seule catégorie professionnelle pour laquelle la retraite repose sur l'ensemble de la carrière. Nous sommes donc favorables à un calcul sur les 25 meilleures années, pour revaloriser les pensions agricoles.
Reste que le Sénat ne peut régler seul les causes profondes de la crise agricole. C'est par un revenu décent que les agriculteurs auront une pension décente. C'est par un accès privilégié au marché national et à la commande publique qu'ils auront un revenu décent et donc une retraite décente, après une vie de labour et de labeur.
Nous voterons ce texte et restons vigilants, alors que le Gouvernement semble incapable d'entendre la colère forte et légitime des agriculteurs. (M. Aymeric Durox applaudit.)
M. Christian Klinger . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les agriculteurs sont les actifs qui travaillent le plus, avec 54 heures par semaine ; neuf sur dix travaillent le week-end, deux sur trois ne prennent pas plus de trois jours consécutifs de vacances.
Nous souhaitions mettre fin à l'injustice qui conduit à une différence de près de 700 euros par mois entre un retraité agricole et un retraité du régime général. À cet effet, le Gouvernement était chargé de remettre un rapport. Celui-ci, avec neuf mois de retard, prévoit trois scénarios défavorables. Un coup d'épée dans l'eau ! Nous avons assez perdu de temps.
Cet après-midi, faisons le choix d'un mode de calcul juste et équitable. Faisons le choix de pensions plus stables, en calculant les points acquis pendant les 25 meilleures années et en extrapolant à l'ensemble de la carrière. Les fluctuations importantes de revenus des agriculteurs seront ainsi minorées.
Sachons rendre ce secteur plus attractif, alors que la moitié des agriculteurs vont partir à la retraite dans les dix prochaines années. Les investissements sont en berne, et il est difficile de transmettre les exploitations. Or nous avons besoin d'une souveraineté alimentaire solide, qui passe par la protection de ceux qui nous nourrissent.
Choisissons de protéger les sortants et donnons des garanties aux entrants. Faisons en sorte qu'il n'y ait pas de perdant et que le nouveau calcul des pensions entre en vigueur dès 2026. L'actualité nous oblige. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) J'associe Kristina Pluchet à mon intervention.
Le 1er février 2023, nous adoptions à l'unanimité une loi qui donnait une feuille de route claire au Gouvernement. Je salue le rapport de Pascale Gruny. Nous étions loin d'imaginer que les propositions du Gouvernement, exposées dans le rapport du 30 janvier dernier, seraient aussi éloignées de la volonté du législateur. Les choix méthodologiques sont contestables : trois scénarios sur cinq ont été arbitrairement écartés ; les deux retenus ne satisfont pas aux conditions posées.
Le rapport a ignoré le scénario de notre commission des affaires sociales, fondé sur le rapport de M. Yann-Gaël Amghar, qui proposait de calculer la pension sur la base des 25 meilleures années. Le chiffrage fait état de nombreux perdants, sans complexe. Ces différentes propositions trahissent la volonté du législateur.
Nous regrettons de devoir rappeler l'injustice faite à ceux qui nous nourrissent. Depuis plus d'un an, le Gouvernement aurait dû montrer son attachement à nos agriculteurs.
Voilà pourquoi j'ai cosigné la proposition de loi du président Mouiller. Le groupe Les Républicains votera ce texte, qui démontre le soutien apporté à une profession soumise à des aléas de revenu et à la dureté de son métier. Cette mesure améliorerait aussi la situation des femmes d'agriculteurs et faciliterait la transmission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. François Bonhomme . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) Le monde paysan est traversé par une crise continue. Nos agriculteurs sont en proie au doute : au terme d'une vie de dur labeur, ils ne souhaitent plus que les enfants reprennent la ferme familiale. La faiblesse des retraites pèse. La pension de base, après une carrière complète, s'élevait à 864 euros bruts.
Les retraites agricoles sont les plus faibles de toutes. Selon la MSA, la pension moyenne d'un non-salarié agricole est 18 % plus faible que les autres pensions, pour les chefs d'exploitation et les conjoints collaborateurs.
La loi Dive visait à réparer une injustice, mais le rapport prévu par la loi a été remis avec neuf mois de retard, et aucun des trois scénarios ébauchés ne correspond à l'intention du législateur.
C'est pourquoi la proposition de loi Mouiller vise à conserver un régime par points sur la base des 25 meilleures années. Certes, les lois Chassaigne ont été votées, mais le seuil d'écrêtement introduit par le Gouvernement en a amoindri la portée et a désavantagé les polypensionnés. En outre, les agriculteurs ayant eu une carrière incomplète, notamment les femmes, sont pénalisés.
Cette proposition de loi est donc bienvenue. L'évolution du montant des retraites dépendra aussi de l'augmentation des revenus agricoles et de l'installation de jeunes exploitants - nous devons à cet égard alléger la taxe sur les transmissions. Ce sera peut-être l'objet de la loi d'orientation agricole que nous attendons.
Pour l'heure, nous voterons ce texte, qui améliorera sensiblement la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
Discussion des articles
Article 1er
M. Pierre Cuypers . - Je salue le travail exemplaire de Philippe Mouiller et de Pascale Gruny.
Cette proposition de loi est un jalon supplémentaire pour améliorer la situation des non-salariés agricoles. C'est une revendication légitime.
Rappelons que la moyenne des pensions s'élève à 840 euros par mois, contre 1 530 pour l'ensemble des retraités. Une telle mesure, dans les temps et sans fausse note, est vitale pour les exploitants modestes.
Je suis intervenu sur le sujet en mars et mai 2018, puis en janvier 2019. Le Gouvernement n'a pas tenu ses engagements.
Dans un souci d'équité, comment améliorer les retraites déjà liquidées ? Documents manquants ou contradictoires, feuilles qui s'égarent à la MSA, flou général nourrissent les inquiétudes.
Monsieur le ministre, notre agriculture, déjà essoufflée par les normes, ne peut l'être encore davantage par la bureaucratie.
Cette proposition de loi complète les 42 mesures que nous proposons avec Laurent Duplomb. Alors que le Gouvernement parle de réarmement démographique, il faut aussi préparer le réarmement alimentaire. Il n'y a pas de pays sans paysans ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Franck Menonville . - À l'heure où la colère gronde, la réforme du mode de calcul des pensions des non-salariés agricoles doit entrer en vigueur au plus vite : c'est une mesure de justice sociale. Cette proposition de loi arrive à point nommé. Elle contribue à renforcer l'attractivité du métier d'agriculteur.
On compte 1,3 million d'anciens agriculteurs non-salariés, percevant une retraite moyenne de 840 euros bruts, contre 1 531 euros pour les salariés retraités.
La loi du 13 février 2023, adoptée à l'unanimité du Sénat, tendait à faire converger la pension de retraite vers celle des salariés et des indépendants. Ses modalités de mise en oeuvre devaient être précisées par un rapport, remis le 30 janvier, qui préconise trois scénarios - dont aucun ne répond à la volonté du législateur.
Les attentes sont grandes : il est urgent d'agir. Nous le devons à ceux qui nous nourrissent au quotidien. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Duplomb . - Je salue Philippe Mouiller et Pascale Gruny, qui ont travaillé ardemment sur ce texte. La mesure a été votée par le Parlement, il faut la mettre en place ! Monsieur le ministre, on ne peut pas dire que c'est compliqué, que c'est trop cher, et repousser la réforme aux calendes grecques !
On ne peut pas en même temps dire qu'on veut favoriser l'installation des jeunes agriculteurs et ne pas reconnaître le travail de ceux qui l'ont été avant eux. On ne peut pas en même temps prétendre améliorer la situation des agriculteurs et les contraindre à travailler au-delà de 65 ans, faute d'une pension de retraite digne ! La revalorisation des pensions, reconnaissance de la nation, est aussi un investissement sur l'avenir, car elle favorisera l'installation.
Monsieur le ministre, on ne peut pas dire que cela coûte trop cher. On a dépensé des milliards et des milliards d'argent magique pendant sept ans, et il serait impossible de mettre quelques millions pour les retraités agricoles ? Écoutez enfin la voix de la raison ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Marc Fesneau, ministre . - Dommage que M. Duplomb n'ait pas été présent lors de mon propos liminaire. J'ai dit que ce n'était pas une question budgétaire.
M. Laurent Duplomb. - C'est bien ! Alors faites-le !
M. Marc Fesneau, ministre. - J'ai dit que je me heurtais à des problèmes techniques, à cause desquels nous prévoyons une mise en oeuvre en 2028, mais nous essayons de trouver une solution pour le faire dès 2026. La MSA n'est pas capable de remonter au-delà de 2016 : c'est elle qui le dit, pas moi !
Le système par points n'est pas fait pour durer, car il est moins avantageux que le calcul sur les meilleurs revenus.
L'article 1er est adopté.
Après l'article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 732-24-1 du code du rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 732-24-... ainsi rédigé :
« Art. L. 732-24-.... - I.- La Nation se fixe pour objectif de réformer le système de retraite de base des non-salariés des professions agricoles avant le 1er janvier 2030.
« II.- Les modalités d'application du I sont définies par décret en Conseil d'État. »
Mme Monique Lubin. - Le Gouvernement doit s'engager à travailler à une refonte totale du système des retraites des agriculteurs. Ce régime souffre d'un mal originel : à sa création, les agriculteurs n'avaient pas souhaité avoir le même système que les salariés. Ils avaient le choix entre cotiser pour leur retraite ou privilégier l'investissement et l'épargne personnelle. Aujourd'hui, ils en paient le prix fort. Il faut tout remettre à plat et élargir l'assiette des cotisations : si on veut s'aligner sur les avantages des salariés, il faut avoir les mêmes bases de calcul. Je sais que ce discours est difficile à entendre, mais si l'on veut arrêter les cataplasmes sur les jambes de bois, il faut revoir tout le système. (M. Yannick Jadot applaudit.)
Mme la présidente. - Sous-amendement n°2 à l'amendement n°1 de Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, présenté par Mme Souyris et M. Salmon.
Amendement n° 1, après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Cette réforme devra notamment mieux inciter l'ensemble des non-salariés agricoles, en particulier les conjointes collaboratrices et conjoints collaborateurs, à cotiser audit système de retraite de base.
M. Daniel Salmon. - Nous soutenons l'amendement du groupe SER. Ce sous-amendement vise simplement à mentionner les conjoints des agriculteurs, souvent des conjointes. Ayant fréquemment eu des carrières fractionnées, elles ont des retraites insignifiantes. Sans compter que les agriculteurs victimes des pesticides développent souvent des maladies professionnelles à l'âge de la retraite : c'est alors la conjointe qui assume.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Madame Lubin, on peut partager nombre de vos constats. Au sortir de la guerre, les agriculteurs ont fait un choix, ils ont été en quelque sorte privilégiés - d'où un manque de cotisations. La faiblesse des pensions ne tient pas à l'architecture, mais aux revenus. Le système est particulièrement redistributif : en modifiant l'architecture, on risque de pénaliser les plus faibles.
Avis défavorable à cet amendement, qui renvoie à un décret, alors que le Gouvernement ne nous a pas répondu sur la loi Dive.
J'entends les préoccupations de M. Salmon, mais il évoque surtout une forme d'optimisation sociale dans le calcul du revenu agricole. Je l'ai vu chez des commerçants et artisans : certains préfèrent investir pour diminuer leur revenu, et donc leurs cotisations et leurs impôts. En tant que comptable, je regrette que certains incitent les agriculteurs à ne pas cotiser. Il faut que les agriculteurs cotisent, pour eux et pour les conjoints collaborateurs, voire les salarient, pour éviter les difficultés au moment de la retraite. Avis défavorable.
M. Marc Fesneau, ministre. - Madame Lubin, le choix fait à l'époque d'un système spécifique se justifiait par des raisons démographiques. Le système est très redistributif, c'est une de ses vertus.
Retenir les 25 meilleures années est un premier pas vers la convergence. Mais il faudra aller plus loin, car la démographie n'est plus la même. Des agriculteurs commencent plus tard leur carrière, d'où le problème des polypensionnés. Nous y travaillons, par étapes. Nous n'avons pas de désaccord sur le fond, mais sur la temporalité.
Avis défavorable, car il ne faut pas bousculer un équilibre construit depuis soixante-dix ans. Il faut assumer les choix faits à l'époque en termes de contribution sociale, et travailler pour l'avenir.
M. François Patriat. - Très bien !
M. Bruno Sido. - J'ai été étonné par l'intervention de Mme Lubin. Le bénéfice agricole est soit forfaitaire soit au réel - cas désormais le plus fréquent. Pour les agriculteurs au forfait, leur revenu était relativement élevé, car l'administration ne reconnaissait pas l'amortissement du matériel. Pour les agriculteurs au réel, le bénéfice est élevé, car il comprend la rémunération de l'agriculteur, qui n'est pas salarié. Dire que l'assiette des cotisations sociales est basse est donc une erreur.
Vous attaquez nos anciens (Mme Monique Lubin le conteste vigoureusement), qui avaient choisi à l'époque un système différent de celui des salariés. Mais rappelons qu'avant, il n'y avait aucune cotisation ! C'était une première étape. Il faut maintenant changer les choses : cette proposition de loi est un progrès.
M. Daniel Gremillet. - Je rejoins Bruno Sido. Monsieur le ministre, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous évoquez un choix qui aurait été fait. Il y a soixante-dix ans, les paysans ont travaillé pour nourrir le peuple : ils n'avaient pas le choix ! (M. Marc Fesneau le conteste.) On les abandonne, alors que nous devrions leur témoigner du respect. (Mme Laure Darcos applaudit.) Remonter aussi loin est presque une provocation, je l'ai mal pris, monsieur le ministre. À l'époque, les Français avaient faim, et les paysans ont mouillé la chemise.
Je rejoins notre rapporteur : il faut un véritable travail de fond pour la profession agricole. Il faut investir dans la retraite, ce qui n'est pas dans les habitudes. Naguère, on conseillait aux agriculteurs d'investir dans la ferraille pour diminuer leur revenu ! On en paie aujourd'hui les conséquences.
Mme Monique Lubin. - C'est bien ce que je dis !
M. Daniel Gremillet. - Certains exploitants, qui étaient au réel, ont des retraites inférieures à 1 000 euros, et pourtant, ils n'ont pas compté leurs heures ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP)
M. Marc Fesneau, ministre. - Je ne peux laisser cette intervention sans réponse. On peut m'adresser tous les griefs, sauf celui de ne pas respecter la profession agricole !
La profession avait choisi à l'époque un système de protection sociale à part. Il faut y réfléchir, d'où cette proposition de loi, et les travaux menés par le Gouvernement. Mon propos était très clair.
Il y a soixante-dix ans, la démographie agricole n'était pas la même.
Nous devons aussi penser la retraite comme élément d'attractivité pour faciliter les installations.
M. Jean-François Husson. - La capitalisation !
M. Marc Fesneau, ministre. - La rémunération des agriculteurs à la fin de leur carrière doit être à la hauteur de leur engagement.
Le sous-amendement n°2 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°1.
L'article 2 est adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Daniel Salmon . - Le GEST s'abstiendra.
M. Jean-François Husson. - Dommage !
M. Daniel Salmon. - Certes, certains agriculteurs gagneraient 188 euros, mais la moyenne étant de 47 euros, cela signifie que d'autres gagneront 5 ou 10 euros. Ils ne demandent pas l'aumône, juste une retraite décente. Ce texte n'est pas à la hauteur des attentes.
Certains grands céréaliers ou éleveurs porcins n'ont aucun problème pour assurer leurs vieux jours, car ils ont investi dans l'immobilier. Mais dans mon département, des éleveurs laitiers n'ont jamais pu le faire... (Murmures à droite)
Labeur et labour ont la même racine latine, labor, « la peine, l'effort ». Nos agriculteurs ont droit à une retraite décente.
Mme Monique Lubin . - Je n'ai insulté personne. Je viens de ce monde, je le connais : enfant, j'entendais qu'il fallait donner le moins possible au monstre de l'Amexa.
Les cotisations ne représentent que 20 % des retraites agricoles. Il faudra tout remettre à plat. Le ministre l'a dit, beaucoup de choses ont changé. Je souhaite que les agriculteurs aient une bonne retraite, comme les salariés. J'ai entendu avec plaisir Laurent Duplomb évoquer la question des 60 à 65 ans ; mais les salariés aussi doivent travailler jusqu'à 64 ans, même si je me suis battue contre...
Néanmoins, favorables à toute amélioration, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°157 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 305 |
Pour l'adoption | 305 |
Contre | 0 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, ainsi que sur des travées du RDSE et du groupe SER)
Mme Sophie Primas. - Bravo !
M. Philippe Mouiller, président de la commission. - Je remercie notre rapporteur Pascale Gruny (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC) car ce texte est l'aboutissement de dix-huit mois de travaux. Monsieur le ministre, ce vote vous oblige. Le Sénat envoie un message clair. (M. Marc Fesneau hoche la tête.) Il y a urgence, appliquez donc la proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. Jean-François Husson. - Dites-le au Président ! Et à Bruno Le Maire !