Adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.
Discussion générale
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Ce texte revêt une importance capitale : d'emblée, je lui apporte mon soutien plein et entier.
J'entends les préoccupations de nos agriculteurs, de plus en plus souvent confrontés à des néoruraux souhaitant s'installer au vert sans en accepter toutes les conséquences. Ce n'est pas acceptable. Si l'on choisit la campagne, on doit l'accepter telle qu'elle est, avec ceux qui la font vivre. (M. Jean-Michel Arnaud renchérit.)
Dès le salon de l'agriculture de l'an passé, j'ai souhaité mettre un terme à la multiplication de procès ubuesques : notre campagne est un milieu vivant, parfois bruyant et odorant. Les femmes et les hommes qui y travaillent se lèvent tôt et travaillent avec passion, pour nous nourrir.
Certaines affaires prêtent à sourire, comme quand on cherche à faire taire le coq Maurice... Certains vont en justice, car ils sont incommodés par le bruit des moissonneuses-batteuses. Mais comment manger du pain sans couper le blé ? Je le dis tout net : lorsque l'exploitation était présente avant, ces procès n'ont aucune raison d'être.
Cette proposition de loi pose les conditions d'un vivre ensemble équilibré et le respect absolu de ceux qui vivent et travaillent chez eux, depuis toujours.
Si ce texte répond à un besoin réel, il a vocation à s'appliquer à toutes les relations de voisinage : les voisins des villes sont tout aussi concernés que les voisins des champs. Certes, la pizzeria du rez-de-chaussée produit des odeurs et du bruit, mais elle était là avant votre emménagement au premier étage...
Cette proposition de loi consacre le principe jurisprudentiel de la responsabilité fondée sur des troubles anormaux de voisinage. Chacun a le droit de jouir paisiblement de sa propriété et a droit à réparation en cas de préjudice. Ce principe simple est repris par le texte : il s'agit d'une responsabilité sans faute. L'introduire dans le code civil le rend plus lisible et renforce la sécurité juridique.
Cette proposition de loi introduit par ailleurs l'exception générale tirée de la théorie de la pré-occupation : celui qui s'installe près d'un lieu bruyant ou polluant ne peut se prévaloir d'un trouble de voisinage si celui-ci était présent avant son installation. Afin de ne pas figer les activités, l'Assemblée nationale a élargi cette exception à l'exercice de l'activité dans des conditions nouvelles sans aggravation du trouble.
La commission des lois du Sénat a limité cette exception aux seules activités économiques et a précisé la notion d'installation en faisant référence à un acte juridique ouvrant le droit de jouissance.
Je suis réservé sur ces modifications. La restriction aux seules activités économiques ne correspond pas à l'esprit du code civil, qui a vocation à être le plus général possible. De même, la référence à l'acte ouvrant le droit de jouissance, qui n'inclut ni les permis de construire ni les actes authentiques de vente, restreint excessivement la portée du texte.
Votre commission a également prévu un périmètre d'exonération plus large pour les activités agricoles, dans le cas où le trouble proviendrait d'activités nouvelles résultant d'une mise en conformité de l'exploitation. Cette préoccupation est légitime et le Gouvernement y est sensible. Cependant, veillons à l'équilibre constitutionnel du dispositif, sauf à risquer une censure au regard du principe d'égalité des citoyens devant la loi et du droit à un recours effectif.
Mettre un terme à des procès abusifs : voilà l'objectif ! On dénombre plusieurs centaines de procédures en cours contre des agriculteurs, pour des motifs divers - bruit du tracteur, meuglement des vaches...
Ce texte doit aussi favoriser le dialogue entre voisins et les recours à l'amiable - l'une de mes priorités et un sujet qui vous tient à coeur, madame Gatel. (Mme Françoise Gatel le confirme.) La tentative préalable de médiation ou de conciliation s'applique à ces troubles.
Je forme le voeu que cette proposition de loi contribue à la pacification des relations de voisinage et au désengorgement des tribunaux. Concorde locale, apaisement : par les temps qui courent, nous en avons bien besoin ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDPI et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) À la suite du président Larcher, j'adresse mon total soutien à notre collègue François Patriat.
Oui, nous avons besoin de concorde locale entre ceux qui développent nos territoires et ceux qui arrivent à la campagne.
Chant du coq, odeur du bétail, pollution visuelle : les troubles anormaux de voisinage font partie du quotidien de nos concitoyens et empoisonnent l'activité des juges.
Après la loi Patrimoine sensoriel des campagnes françaises de 2021, cette proposition de loi codifie un régime dégagé par la jurisprudence. Je salue son auteur, Nicole Le Peih, députée du Morbihan.
Ce texte poursuit deux objectifs : inscrire dans le code civil un régime autonome de responsabilité sans faute et élargir la portée de la clause exonératoire à tout type d'activité et de demandeur. Cette clause est applicable sur trois critères : antériorité de l'activité génératrice du trouble, conformité de l'activité aux lois et règlements en vigueur, poursuite de l'activité dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne soient pas à l'origine d'une aggravation du trouble. La commission y est favorable, mais a apporté quelques précisions.
Premièrement, afin d'apporter un début de réponse aux agriculteurs confrontés à des recours souvent abusifs - voyez le cas de Vincent Verschuere dans l'Oise - , la clause exonératoire serait applicable en cas de modification des conditions d'exercice de l'activité résultant d'une mise en conformité imposée par la loi ou le règlement. Je pense par exemple aux producteurs d'oeufs qui vont bientôt devoir pratiquer l'élevage en plein air...
Deuxièmement, la commission a sécurisé le dispositif : sans être hostile à l'extension de la clause exonératoire à d'autres activités, elle a relevé des difficultés d'application et a souhaité la limiter aux seules activités économiques, ce qui semble plus conforme à l'esprit du texte.
Elle a également précisé la notion d'installation, qui renvoie dans le code civil non pas à un acte, mais à un fait juridique : l'occupation par un nouveau voisin. Suffit-il de poser quelques meubles dans une maison pour déposer un recours ? Nous préférons viser un acte ouvrant le droit de jouissance de la personne subissant le dommage : c'est une réalité objective, avec une date précise.
Troisièmement, nous avons tenu compte de la jurisprudence du Tribunal des conflits qui, au nom de la séparation des pouvoirs, a émis des réserves sur la compétence du juge judiciaire lorsque l'activité a été organisée par l'administration.
Je vous propose d'adopter ce texte qui, ainsi complété et sécurisé, apporte des réponses concrètes aux exploitants agricoles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)
M. Alain Marc . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Régulièrement, les médias attirent notre attention sur des conflits de voisinage en milieu rural : son des cloches, chant du coq, bruit du tracteur, meuglement des vaches, bêlement des brebis...
Oui, la ruralité a ses spécificités ! S'ils peuvent paraître cocasses ou anecdotiques, ces exemples traduisent des situations parfois très difficiles. Le juge apprécie in concreto, à partir d'une jurisprudence abondante et bien établie, que cette proposition de loi vient consacrer, en vue d'une application uniforme sur tout le territoire.
Seule exception : le juge peut écarter la responsabilité si le trouble résulte d'une activité préexistante, si celle-ci est conforme à la réglementation et s'il s'est poursuivi dans les mêmes conditions après l'installation du nouvel arrivant.
Je partage la position de la commission : la responsabilité de l'exploitant ne doit pas être engagée si la nuisance résulte d'une modification des conditions de son activité liée à une mise en conformité.
Je salue l'action de médiation des maires de petites communes rurales, qui oeuvrent avec dévouement pour apaiser les relations de voisinage.
Cette proposition de loi apporte clarté et cohérence au droit de la responsabilité civile : elle est bienvenue. En définissant un cadre juridique plus stable et plus homogène, elle limitera les conflits de voisinage et protégera les agriculteurs contre les recours abusifs et aidera les maires, en première ligne dans ces conflits. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)
Mme Olivia Richard . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur Patriat, permettez-moi de vous faire part de toute la sympathie du groupe UC.
Cette inscription dans le code civil répond à une réflexion ancienne - illustrée par plusieurs propositions de loi sénatoriales - et à l'objectif d'adapter le régime de la responsabilité civile aux enjeux actuels.
Le régime des troubles anormaux de voisinage repose aujourd'hui sur cinq articles du code civil, vieux de 200 ans, et sur une importante construction jurisprudentielle de la Cour de cassation. Je me réjouis que nous légiférions ensemble pour adapter ce droit.
Je salue le travail de la commission et de la rapporteure, qui a apporté les précisions nécessaires à la clause d'exonération. Un amendement adopté en commission a également permis de clarifier les conditions dans lesquelles le juge judiciaire peut accorder des dommages et intérêts et ordonner la réduction ou la cessation des troubles.
Je salue aussi la persévérance de la députée Nicole Le Peih.
Nous sommes tous confrontés à des troubles de voisinage, et tout particulièrement les maires, les préfets et les juges. Sur les 18 000 dossiers judiciaires concernant des troubles anormaux de voisinage, certains sont sans fondement. Je ne peux que partager l?agacement des agriculteurs face aux plaintes de néoruraux qui se plaignent des contraintes inhérentes au travail agricole - je pense au fameux coq Maurice, accusé de chanter dès l'aube... Mais les agriculteurs peuvent être rassurés par l'amendement de Mme la rapporteure sur la mise en conformité.
Cette proposition de loi est la bienvenue dans un contexte de judiciarisation croissante des problèmes de voisinage. Son dispositif est clair, équilibré et réaliste.
Les liens sociaux à l'échelle du quartier sont souvent le meilleur remède aux maux humains. La loi ne doit s'appliquer que lorsque les solutions de dialogue et de conciliation de proximité sont épuisées.
Le groupe UC votera le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Catherine Di Folco applaudit également.)
M. Guy Benarroche . - Nul ne doit imposer à autrui un trouble anormal de voisinage. Cette notion juridique a été consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation. Le juge apprécie l'existence d'un dommage, l'anormalité du trouble et la relation de voisinage.
La clause d'exonération la plus importante a trait à la pré-occupation. C'est logique, mais cela ne doit pas être sans limites. L'Assemblée nationale l'a étendue, mais notre commission est allée trop loin.
Le GEST est favorable au contrôle du juge. La dérogation prévue spécifiquement par la commission pour les activités agricoles est trop large et ouvre la voie à une servitude légale de pollution qui pérennise des situations nuisibles à l'environnement.
Le GEST a plusieurs fois dénoncé l'ambivalence du Sénat sur la notion de trouble anormal. Lors des débats sur la loi 3DS, nous avions demandé des règles de distance dans l'épandage des pesticides, mais le Sénat avait considéré qu'une activité légale ne pouvait constituer un trouble anormal. À l'inverse, le Sénat a considéré que l'installation d'éoliennes devait être limitée en raison du préjudice visuel...
Le principal objectif de ce réarmement juridique est de protéger les pollutions et nuisances liées à certaines activités économiques. Cette proposition de loi ne doit pas instaurer de droit à polluer. Restons attentifs aux conditions de vie de ceux qui habitent en milieu rural : souvenons-nous des algues vertes en Bretagne ! Le recours à la conciliation, obligatoire depuis seulement deux ans, n'a pas encore été évalué. Et faut-il rappeler que les populations les plus précaires subissent les plus grands dommages ?
Ce texte est une défense caricaturale de l'agriculture face aux rats des villes : le GEST ne le votera pas. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Quelle surprise !
M. Ian Brossat . - Les querelles de voisinage sont aussi vieilles que les relations humaines. Le dialogue permet de trouver des solutions, mais les enjeux sont parfois tels que l'on se retrouve devant les tribunaux. L'explosion de ces litiges entre voisins est symptomatique d'un climat social dégradé.
Bien souvent, les maires jouent le rôle ingrat de médiateurs, mais ces troubles sont la cause de querelles et d'actions judiciaires qui pourrissent la vie de nombreux foyers.
Nous saluons leur intégration au code civil pour une application homogène de la jurisprudence sur tout le territoire, mais veillons à garantir le droit au recours lorsque les nuisances sont anormales.
La rédaction initiale du texte prévoyait que tout acteur déjà installé n'aurait plus à indemniser son voisin nouvellement installé, créant en quelque sorte un droit à polluer. Le travail en commission a permis la transcription stricte de la jurisprudence, c'est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Françoise Gatel s'en réjouit.)
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Nous sommes nombreux à avoir connu des conflits de voisinage : oies du Gers, coq Maurice de l'île d'Oléron ...
M. Michel Savin. - Sacré Maurice !
M. Michel Masset. - Chaque territoire a son propre patrimoine vécu.
Quand la zizanie s'installe, toute la collectivité en pâtit. Dans ma commune de Damazan, j'ai connu ce type de conflits.
Cette proposition de loi vise à adapter le droit aux enjeux actuels, écologiques et sociétaux. L'installation de populations urbaines dans nos campagnes est une bonne nouvelle, mais cet exode met parfois à mal notre capacité à vivre ensemble. Préserver l'harmonie d'un lieu, c'est préserver le droit de propriété, mais aussi protéger les entreprises qui font vivre nos territoires.
Nous consacrons dans le code civil un régime de responsabilité pour les troubles de voisinage, dont la première mention remonte à 1844. Depuis, le législateur s'en est tenu éloigné. C'est donc le juge judiciaire qui a construit ce régime autonome, souple, fondé sur une appréciation au cas par cas et qui pose la question de la sécurité juridique, notamment pour nos entreprises.
C'était l'un des constats de notre rapport sur la pénurie de foncier économique : l'expansion des zones d'habitat rapproche les habitations des entreprises, contraintes au départ malgré des investissements importants. Certains projets ne voient pas le jour, en raison d'une présomption de nuisances et d'actions en justice avant même l'installation.
Je salue le travail de Mme la rapporteure. (M. Michel Savin renchérit.) La limitation de la clause exonératoire aux seules activités économiques - à l'exclusion des activités privées - bouleverse l'équilibre proposé par l'Assemblée nationale : nous en débattrons. La commission a également précisé la notion d'installation et veillé à préserver la compétence du juge administratif.
Mon seul point de vigilance concerne l'exonération dont bénéficieraient les troubles liés à une mise en conformité agricole. Il s'agit, en quelque sorte, d'une mutualisation au bénéfice d'un secteur essentiel à la vie de la Nation. Cette réflexion ne pourrait-elle pas être étendue à d'autres filières, industrielle notamment ?
Le groupe RDSE votera ce texte qui nous invite à réfléchir à la façon dont nous faisons société. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Très bien !
M. Olivier Bitz . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Lors de sa réunion ce matin, le groupe RDPI a exprimé son soutien à son président François Patriat dont le domicile a été dégradé. S'attaquer au domicile d'un élu, la nuit de surcroît, est inqualifiable ! (Mme Françoise Gatel et MM. François-Noël Buffet et Éric Dupond-Moretti renchérissent.)
Ce texte, de portée générale, concerne tout particulièrement nos espaces ruraux. Notre magnifique ruralité française est un espace de repos, de loisirs, de détente, de vie pour de nombreux Français. Beaucoup le rejoignent pour y trouver du repos, en fin de semaine notamment. Ces citoyens qui fuient les contraintes de la ville recherchent le calme absolu et ont une vision « carte postale » de la ruralité. C'est oublier qu'elle est avant tout un espace de production artisanale, industrielle et agricole. Ces nouvelles installations ne peuvent se faire au détriment des activités économiques qui font vivre nos territoires.
Le premier outil est le dialogue - et les agriculteurs font de réels efforts -, mais les tensions et les contentieux se multiplient. La jurisprudence sur les troubles de voisinage répond à ces préoccupations ; nous devons la conforter, pour envoyer un message clair à tous ceux qui veulent s'installer à la campagne et qui font donc le choix de vivre à proximité d'activités de production, voire de chasse. La ruralité a des avantages, mais aussi des contraintes, qu'il faut respecter.
Le RDPI votera ce texte et salue le travail de notre rapporteure, qui est sur tous les fronts.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Il faut que cela cesse ! (Sourires)
M. Olivier Bitz. - Nous saluons la clause d'exonération sur les mises en conformité agricoles. Nous avons déposé un amendement pour aller plus loin et permettre l'évolution des exploitations, même sans mise aux normes. Arrêter le développement des exploitations au moment de l'installation des nouveaux voisins revient à les condamner. Les jeunes agriculteurs ont besoin de perspectives pour se développer.
Nous avons déposé un autre amendement, pour protéger aussi les activités non économiques contre les recours abusifs.
Cette proposition de loi n'épuisera pas la question des conflits de voisinage, qui doivent se régler d'abord par le dialogue - comme le font les maires des zones rurales. Elle peut toutefois clarifier la situation, c'est pourquoi le RDPI la votera. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Audrey Linkenheld . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Notre société prône le respect de l'autre et le vivre ensemble, mais se heurte - voire se fracasse - sur le délicat accommodement des hommes entre eux et la douloureuse cohabitation de l'homme et de son environnement.
Cette proposition de loi a un objectif d'apaisement, c'est louable ! Mais après avoir suivi les débats à l'Assemblée nationale et au Sénat, le groupe SER reste circonspect sur ce texte, sans toutefois y être farouchement hostile.
En quarante ans, la Cour de cassation a établi un régime de responsabilité objective, qui ne dépend pas de la démonstration d'un comportement fautif, mais de celle d'un trouble permanent et continu excédant la gêne normalement attendue dans les relations de voisinage.
La proposition de loi vise donc à consacrer cette jurisprudence en introduisant un nouvel article dans le code civil comportant le principe de responsabilité et son exception.
Nous sommes circonspects, car cette proposition de loi ne fait pas l'unanimité. Certes, les agriculteurs sont satisfaits, car ce texte est fait pour eux. Mais d'autres sont inquiets, je pense aux habitants de nos villes et aux associations de locataires. Si les procédures de dialogue échouent, les collectifs de riverains continueront à aller au contentieux. Alors, pourquoi prendre le risque d'adopter une proposition de loi qui ne convainc pas ? Ne vaut-il pas mieux s'appuyer sur l'expertise des juges ?
Évidemment, nos agriculteurs ont besoin de poursuivre leurs activités sereinement, dans le respect des codes de l'urbanisme, de l'environnement et de la santé publique. Évidemment, les nouveaux habitants de la campagne doivent s'adapter et comprendre que la vie rurale est une vie de tous les jours, qui peut être parfois bruyante ou odorante. Ceux qui préfèrent la ville doivent aussi accepter quelques effets secondaires : rires, cris d'enfants, bruit d'assiettes...
Attachés aux libertés collectives, les Français sont de plus en plus exigeants quant à leurs libertés individuelles et à leur bien-être personnel. C'est le fameux Nimby, « not in my backyard ».
Sartre nous le disait, « l'enfer, c'est les autres. » Aussi louable soit l'intention de cette proposition de loi, le groupe SER n'est pas convaincu de sa capacité à transformer un voisinage compliqué en paradis sur terre.
Si l'on ne répond pas aux angoisses des néoruraux et des urbains, où iront-ils ? Devons-nous vraiment faire comme si tous ces voisins râleurs avaient eu le choix de leur habitation ?
Ni dans nos villes ni dans nos villages, nous n'avons le privilège de choisir nos voisins - sauf les plus aisés...
Les personnes qui ont accepté d'habiter près d'une nuisance l'ont souvent fait parce que c'était cela ou rien. Faut-il pour autant qu'ils subissent toute leur vie une exposition à des polluants dangereux ?
Demander à de futurs occupants de se renseigner sur l'environnement de leur futur domicile est évidemment pertinent, mais tout le monde n'a pas plusieurs possibilités pour se loger !
La disparition de l'article 113-8 du code de la construction et de l'habitation est à ce titre délicate, d'autant plus que la commission des affaires économiques n'a pas été saisie... (Mme Dominique Estrosi Sassone sourit.)
Faire avec le « déjà là », comme le font les urbanistes, est souhaitable. Il faut parfois le protéger ; pour autant, il ne faut pas le figer, mais au contraire l'enrichir, en surélevant un bâtiment, par exemple. Tout cela, c'est un travail de dentellière. Je ne suis pas sûre que le présent texte réponde à ce besoin de finesse.
Les associations de locataires se déclarent réservées sur le texte de la commission. Des membres du comité national du bruit ont exprimé leur opposition. Les collectifs de riverains s'interrogent. Le groupe SER considère qu'en l'état, le statu quo est peut-être le meilleur service à rendre à notre vivre ensemble. (M. François Bonhomme s'exclame.) Mais comme respecter l'autre, c'est aussi l'écouter, la discussion fera peut-être évoluer notre position... (Sourires ; applaudissements à gauche)
M. François Bonhomme . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi a pour objet d'introduire dans le code civil le principe jurisprudentiel de responsabilité pour trouble anormal de voisinage, afin d'en garantir une application homogène. Après la loi protégeant le patrimoine sensoriel de nos campagnes, il faut clarifier la situation pour répondre notamment à l'inquiétude des organisations agricoles.
Nous sommes trop souvent témoins de recours abusifs de voisins à l'encontre d'agriculteurs. L'enjeu du texte est de codifier la responsabilité civile sur ce point et d'ajouter une clause exonératoire lorsque le trouble anormal résulte d'activités préexistantes.
La notion de trouble de voisinage n'existe pas dans le code civil. Un régime de responsabilité a progressivement été créé par la jurisprudence. En 1976, après l'introduction de l'article L. 113-8 dans le code de la construction et de l'habitation, le législateur avait défini trois critères concomitants : l'antériorité du trouble, l'adaptation à la législation en vigueur, la poursuite d'une activité, qu'elle soit agricole, industrielle, artisanale, commerciale, touristique, culturelle ou aéronautique.
En 2023, la Cour de cassation a considéré que la construction de hangars à moins de cent mètres des habitations dans une commune de l'Oise en vertu d'une dérogation concédée par le préfet excédait le trouble normal de voisinage. Cette affaire n'est malheureusement pas isolée.
La commission est revenue sur la formulation initiale de la clause exonératoire, qui ne prenait pas suffisamment en compte les spécificités de l'activité agricole. Il est anormal qu'un exploitant agricole soit condamné, alors que les évolutions législatives lui imposent de modifier son exploitation.
Plusieurs associations ou collectifs représentant des victimes de troubles de voisinage s'inquiétaient du risque qu'aurait fait peser la rédaction initiale de la clause exonératoire visant les activités de toute nature, qui privait le juge de toute marge d'appréciation. Or l'objectif de ce texte est aussi de mieux protéger nos concitoyens des effets néfastes des troubles du voisinage. Le travail de la commission va dans le sens d'une plus grande lisibilité et d'une plus grande sécurité juridique.
Il faut mettre fin à la judiciarisation excessive liée à l'action de certains néoruraux. Ce texte conforte le droit de chacun de nos concitoyens à jouir paisiblement de son bien. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Dominique Estrosi Sassone . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le texte est court. Son article unique - mais important - codifie un point essentiel : le régime de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage. Ce régime, dégagé dès le milieu du XIXe siècle par la jurisprudence, prévoit que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Le législateur a inscrit ce régime dans le code de la construction et de l'habitation en l'associant à une clause exonératoire, conciliation nécessaire entre le droit à la quiétude et les nécessités de l'activité économique.
La codification proposée est bienvenue et s'inscrit dans un contexte de crise agricole sur lequel le Sénat a alerté, rapport après rapport, le Gouvernement.
Couplée au sentiment de rupture de lien entre le monde agricole et les Français, la multiplication des contentieux entre néoruraux et agriculteurs donne à ce texte une forte actualité. Or, malgré l'annonce du Premier ministre de son adoption rapide comme réponse à la crise agricole, je ne vois rien - aucun amendement du Gouvernement ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat - qui traduise en actes concrets ses mots puissants : « placer l'agriculture au-dessus de tout. »
La clause exonératoire proposée par la rapporteure est de bon aloi : comment imaginer que les agriculteurs aient à choisir entre la conformité de leur exploitation aux nombreuses normes en vigueur et l'exonération de leurs responsabilités ?
Nous pouvons pousser le curseur plus loin pour prévenir les contentieux résultant de la vie normale des exploitations. Pourquoi un jeune agriculteur ne pourrait-il pas, comme tout entrepreneur souhaitant développer son activité, passer de 60 à 100 vaches ou décider de diversifier son activité pour sécuriser son revenu ? L'amendement de notre collègue Duplomb rend ce développement possible, pour une meilleure sécurisation des activités agricoles. (MM. Laurent Duplomb et André Reichardt renchérissent.)
Il y a là, monsieur le ministre, de quoi revenir vers le monde agricole pour lui présenter ce qu'il attend : du concret, du concret et encore du concret ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Blanc . - (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains) Ce texte mérite toute notre attention, mais je m'interroge sur ses implications potentielles. Nous devrions aspirer à une réforme profonde du droit de la responsabilité civile. L'exemple de la Belgique nous montre qu'une modernisation globale en la matière est non seulement possible, mais aussi bénéfique.
En adoptant une vision plus large englobant droit de la responsabilité civile et droit des biens, nous devrions pouvoir mieux répondre à la diversité des situations.
Sans définition claire des conséquences juridiques de la réforme, celle-ci pourrait miner la confiance du public dans la législation. Il est essentiel de définir des sanctions pragmatiques.
Cette proposition de loi pourrait ainsi constituer un premier pas vers une réforme plus complète, tenant compte des enjeux actuels, notamment des défis posés par la crise agricole. Je pense en particulier à l'objectif « zéro artificialisation nette ». On pointe en effet une explosion des troubles de voisinage liés à une densité mal pensée... (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Discussion de l'article unique
M. Olivier Paccaud . - Avec ma collègue Sylvie Valente, nous sommes mobilisés depuis plus de dix ans sur le cas de l'agriculteur Vincent Verschuere. C'est triste de devoir légiférer sur le vivre ensemble - le bon sens paysan devrait l'emporter - , mais nécessaire.
Il y a trois ans, nous avons voté un beau texte visant à protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises. (Mme Françoise Gatel acquiesce.) Malheureusement, il est resté lettre morte.
Le pauvre Vincent Verschuere, dont je salue l'avocat en tribune, a été condamné par la Cour de cassation à payer 106 000 euros de dommages et intérêts pour avoir voulu agrandir son étable. Il n'a commis qu'un seul crime : vouloir travailler !
Je salue l'amendement de Laurent Duplomb. Mais que voulons-nous ? Que nos campagnes deviennent des musées, des paysages de carte postale sans saveur ni odeur ?
Ce que nous souhaitons tous, dans ce palais de Marie de Médicis, c'est que, pour paraphraser Sully, labourage et pâturage demeurent les mamelles de la France, et soient ses mines et trésors du Pérou ! (On apprécie la référence ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Bitz et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Alinéa 5
Remplacer les mots :
économiques existant antérieurement à l'acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage mentionné au premier alinéa,
par les mots :
, quelle qu'en soit la nature, préexistant à l'installation de la personne lésée, qui sont
M. Olivier Bitz. - Nous souhaitons revenir au texte de l'Assemblée nationale. Ne limitons pas le dispositif aux seules activités économiques. Le principe selon lequel celui qui arrive doit s'adapter à ce qui existe doit s'appliquer largement.
La mention de l'acte ouvrant le droit de jouissance pose par ailleurs des difficultés juridiques.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Avis défavorable. La commission des lois a sécurisé le périmètre du texte, avec la notion d'activité économique. Nous avons été inspirés pour ce faire par la présidente de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, que nous avons auditionnée.
Le mot installation nous gêne par ailleurs. Il suffirait que quelqu'un, ayant acheté une maison, y pose quelques meubles pour se plaindre ensuite de troubles anormaux du voisinage.
Monsieur le ministre, je ne suis pas certaine que la notion d'installation couvre l'obtention d'un permis de construire. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le Gouvernement est favorable à votre amendement, monsieur Bitz.
M. André Reichardt. - C'est étonnant !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La direction des affaires civiles et du sceau (DACS) ne partage pas du tout l'analyse de la représentante de la Cour de cassation que vous avez auditionnée.
Appliquer le principe de responsabilité pour troubles anormaux du voisinage à l'ensemble des activités me paraît important. Ne le limitons pas aux seules activités économiques.
Par ailleurs, la notion d'acte ouvrant le droit de jouissance ne répond pas clairement à l'acte juridique concerné ni ne couvre toutes les situations envisagées. Une rédaction plus large paraît préférable.
Mme Audrey Linkenheld. - Ce dialogue illustre la difficulté soulevée cette proposition de loi. Pourquoi le trouble anormal de voisinage serait-il limité à des activités économiques ? Et qu'en est-il du droit à réparation ?
L'article du code de la construction et de l'habitation auquel l'amendement de M. Bitz fait référence est circonscrit aux activités économiques. Quand on veut mélanger la jurisprudence des juges en matière civile avec les articles du code, on aboutit à une certaine confusion... Nous voterons contre cet amendement.
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les installations classées pour la protection de l'environnement sont exclues des exonérations de responsabilité pour trouble anormal de voisinage.
M. Guy Benarroche. - Cet amendement exclut les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) du champ de l'exonération de responsabilité pour trouble anormal de voisinage.
Ne fragilisons pas les équilibres dégagés par la jurisprudence - je pense au contentieux opposant ArcelorMittal à quatorze riverains à Fos-sur-Mer. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Vous avez dit que nous étions excessifs, mais vous l'êtes particulièrement avec votre amendement ! Vous videz ni plus ni moins le texte de sa substance. Les ICPE incluent de très nombreuses installations, y compris des éoliennes terrestres...
Cette proposition de loi ne crée pas un droit à polluer. C'est tout l'inverse ! Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°1 rectifié ter, présenté par Mme Jacquemet, MM. Longeot, Mizzon et Henno, Mme Antoine, MM. Cambier et Canévet, Mme Sollogoub, M. Courtial, Mme Billon, M. Fargeot, Mmes O. Richard, Perrot, de La Provôté et Saint-Pé, MM. Duffourg et Hingray et Mme Romagny.
Après l'alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les effets sonores causés par les enfants dans les services aux familles, les aires de jeux pour enfants et les installations similaires ne sont pas des troubles anormaux de voisinage.
Mme Annick Jacquemet. - Cet amendement exclut des troubles anormaux de voisinage les effets sonores causés par les enfants, dans les services aux familles et autres aires de jeux.
L'espace extérieur est obligatoire dans les nouvelles crèches dans certains cas. Or de nombreuses crèches sont visées par des plaintes pour troubles de voisinage.
Consacrons un droit des enfants à faire du bruit ! Les enfants accueillis en crèche doivent avoir le droit de jouer dehors.
L'amendement n°2 rectifié ter n'est pas défendu.
M. le président. - Amendement identique n°3 rectifié octies, présenté par Mmes Joseph, Gruny et Demas, M. Paccaud, Mme Josende, M. Laménie, Mmes L. Darcos et Berthet, MM. Panunzi, H. Leroy, Sautarel, Burgoa et Cadec, Mme Gosselin, MM. Pellevat et Savin, Mme Ventalon, MM. Darnaud et Brisson, Mme Imbert, M. de Legge, Mme Eustache-Brinio, M. Lefèvre, Mme Pluchet, MM. Naturel et Folliot, Mmes Dumont et Di Folco, M. Genet, Mmes Petrus, Muller-Bronn et Borchio Fontimp, MM. Belin et Sido, Mme Aeschlimann, M. Reynaud et Mmes Drexler et Nédélec.
Mme Else Joseph. - N'assimilons pas le bruit des enfants des crèches à des troubles anormaux de voisinage. Leurs rires et leurs joies sont stigmatisés, signe du recul de vivre ensemble. On est pourtant loin du bruit des marteaux-piqueurs !
Les débats au Sénat doivent consacrer le droit effectif des enfants à faire du bruit. Laissons jouer nos enfants ! (Sourires)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Encourageons les enfants à crier et à exploser de joie ; s'ils ne le faisaient pas, c'est qu'ils seraient en mauvaise santé ! Les habitants d'un collectif, parfois, n'aiment pas entendre le bruit des crèches, mais cela ne constitue pas un trouble anormal de voisinage. Le juge le sait. En outre, une crèche mène une activité économique ; elle est donc couverte par la clause exonératoire. Retrait ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai lu ces amendements avec tendresse. Sachez qu'une école de tout-petits jouxte la Chancellerie. (« Ah ! » sur plusieurs travées) De temps en temps, c'est très animé ; je renvoie même parfois des ballons. (Sourires) Cela dit, ce n'est pas anormal. Ce qui le serait, c'est qu'on ne les entende pas pendant la récréation. (Mme Cathy Apourceau-Poly acquiesce.) En cas de difficulté, laissons le juge trancher. Avis défavorable.
Les amendements identiques nos1 rectifié ter et 3 rectifié octies sont adoptés.
M. le président. - Amendement n°8 rectifié bis, présenté par Mmes Aeschlimann et Dumont, M. J.M. Boyer, Mmes Nédélec et Petrus, MM. Belin et Bouchet, Mme Belrhiti, M. Savin, Mme Lassarade, M. de Legge, Mme Garnier, MM. Courtial et Joyandet, Mme Gruny, MM. Sautarel, Milon et Burgoa, Mme Noël et MM. Khalifé, Genet, Panunzi, Cadec et Sido.
Après l'alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les effets sonores causés par les enfants dans le périmètre des écoles, collèges et lycées ne sont pas des troubles anormaux de voisinage.
Mme Marie-Do Aeschlimann, - Après les crèches, les écoles ! Il faut accepter la campagne telle qu'elle est ; il doit en aller de même pour les établissements scolaires. Or des collectivités ont été condamnées pour le bruit d'une cour de récréation - c'est du vécu !
Cet amendement élargit la clause exonératoire aux établissements scolaires, afin qu'ils ne soient pas traduits en justice par des riverains récemment installés.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Même avis que précédemment : le juge sait apprécier les troubles anormaux.
On pourrait aussi protéger les Ehpad et autres... (Protestations sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je n'y suis pas défavorable : j'y suis extrêmement défavorable !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - C'est de la loi bavarde, il faut faire du droit !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il ne s'agit pas de troubles anormaux du voisinage ! Je me rassois, désespéré.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Ce n'est pas du virtuel. (Brandissant une liasse de papiers) J'ai ici une décision de justice : ma commune a été condamnée à cause d'une cour de récréation. (Protestations au banc des commissions et au banc du Gouvernement)
L'amendement n°8 rectifié bis n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par M. Bitz et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 311-1-1. - La responsabilité de plein droit prévue au premier alinéa de l'article 1253 du code civil n'est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d'activités agricoles au sens de l'article L. 311-1, préexistant à l'installation de la personne lésée, qui sont conformes aux lois et aux règlements et qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions ou sans modification substantielle de ces conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine d'une aggravation du trouble anormal. »
M. Olivier Bitz. - Cet amendement est particulièrement important. En l'état actuel du texte, nous nous référons à la date d'installation du nouveau venu pour évaluer la nuisance de l'activité agricole. Sauf mise en conformité, dès lors, il n'est pas possible d'amplifier les nuisances existantes. C'est bien trop limitatif. Une exploitation doit pouvoir se développer. Ne figeons pas le niveau d'activité lors de l'installation du voisin. Pour ne pas non plus permettre tout et n'importe quoi, nous limitons ces évolutions en excluant les modifications substantielles.
M. le président. - Amendement n°4 rectifié bis, présenté par MM. Duplomb et J.M. Boyer, Mmes Estrosi Sassone et Primas, MM. Cuypers, D. Laurent, Darnaud, Klinger, Sol et Karoutchi, Mme Puissat, M. Paccaud, Mmes Noël, Di Folco et Berthet, MM. Panunzi, Daubresse et Cadec, Mme Gosselin, MM. Pellevat, Savin, Hugonet, J.P. Vogel, Chatillon, Brisson, Grosperrin et Laménie, Mme Belrhiti, MM. Milon, Michallet et Anglars, Mmes Imbert et Bellurot, MM. de Legge, Reynaud, Genet, Bonhomme et Somon, Mme Muller-Bronn, MM. Tabarot et Sido, Mme Borchio Fontimp, MM. J.B. Blanc et Belin, Mme Gruny, MM. Chasseing et Favreau, Mmes Bonfanti-Dossat, Lassarade, Micouleau, Demas, P. Martin, Dumont et Joseph, M. Gremillet et Mme Aeschlimann.
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par les mots :
ou dans des conditions telles qu'il n'en ait pas résulté une aggravation substantielle du trouble par sa nature ou son intensité
M. Laurent Duplomb. - Il faut donner à l'agriculteur la possibilité d'évoluer.
Le juge doit se référer en priorité au code civil. Mme le rapporteur a fait inscrire en commission une référence au code rural pour exonérer les évolutions liées aux mises aux normes. L'agriculteur, victime d'injonctions contradictoires, ne doit pas être condamné à cause d'une mise aux normes. Ce serait une injustice flagrante !
Faisons grâce également à une évolution naturelle de l'exploitation : passer de 60 à 100 vaches laitières, c'est de même nature ; mais créer un élevage de poulets ou autres, c'est différent : c'est une aggravation substantielle. Mon amendement prévoit les deux cas.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - L'amendement n°6 revient excessivement sur texte de la commission.
Nous avons prévu trois critères alternatifs. N'ajoutons pas du flou par une acception trop large et sécurisons la rédaction. Avis défavorable.
Nous préférons nettement l'amendement n°4 de M. Duplomb, qui me semble respecter l'esprit de l'auteur de la proposition de loi. Je vous invite à vous effacer, monsieur le garde des sceaux, à son profit. (Sourires)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le Gouvernement n'a pas la même préférence que la rapporteure... L'amendement n°6 permet à l'agriculteur de bénéficier d'une exonération lorsque son activité a connu une modification non substantielle, et ainsi de passer d'un élevage de 20 à 25 chiens, par exemple. Avis favorable à l'amendement n°6.
L'amendement n°4 rectifié bis me pose davantage de problèmes. Il ajoute une nouvelle clause d'exonération de responsabilité pour un exploitant qui modifie de façon importante son exploitation, s'il démontre qu'il n'en résulte pas pour son voisin une aggravation substantielle.
Monsieur Duplomb, votre rédaction manque de clarté et crée une insécurité juridique. Elle revient à exonérer l'exploitant au motif que la nature ou l'intensité de l'activité n'aurait pas été modifiée. Vous privez dans ce cas la victime de tout droit à réparation.
Je souhaite profiter de ma prise de parole pour exprimer le soutien indéfectible du Gouvernement au président Patriat. S'en prendre à un élu, c'est s'en prendre à la République. La justice a été saisie ; je sais qu'elle fera son travail et prendra en considération sa qualité d'élu. Aucune cause ne justifie de telles exactions. (Applaudissements)
M. Laurent Duplomb. - Les mots ont un sens. Ne pas préciser que l'activité est « de même nature » laisse au juge une marge d'appréciation trop grande. Sur mon exploitation, je suis passé de 60 à 120 vaches, pour des raisons économiques - cela ne m'a pas fait plaisir : est-ce une modification substantielle ? Qu'elles soient 60 ou 120, les vaches sont de même nature. Mais la machine à traire fonctionne deux heures au lieu d'une heure et demie. Ma rédaction offre une vision très claire au juge.
Trop souvent, nous laissons le juge faire la loi à la place du parlementaire et ce n'est pas ma façon de voir. (M. Olivier Paccaud renchérit.)
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
L'amendement n°4 rectifié bis est adopté.
L'article unique, modifié, constituant l'ensemble de la proposition de loi, est adopté.