Établissements de spectacles cinématographiques dans les outre-mer (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à assurer la pérennité des établissements de spectacles cinématographiques et l'accès au cinéma dans les outre-mer, présentée par Mme Catherine Conconne et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Discussion générale
Mme Catherine Conconne, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.) Je remercie tous ceux qui ont permis à cette initiative de prospérer : mon groupe politique qui l'a inscrite dans sa niche, les ministères, les professionnels du secteur.
Ce texte est symbolique pour ladite outre-mer. Je vous parlerai de culture, dans des territoires où l'offre repose sur des acteurs fragiles.
Qu'est-ce que la culture ? demandait le père de la nation martiniquaise. C'est ce qui rend le monde vivable et la mort affrontable. Elle repousse les horizons, ouvre les imaginaires, et doit à ce titre être préservée des règles qui régissent l'économie. La France le sait bien, qui est à l'origine de l'exception culturelle.
Je vous parlerai aussi de vie chère : bien des familles consacrent l'intégralité de leurs revenus au logement, à la nourriture et au transport. Autant dire que la culture est loin d'être prioritaire. Le cinéma reste un loisir accessible, cependant, et une sortie prisée des familles et des jeunes. Nous devons donc en assurer la survie.
En effet, les cinémas en outre-mer subissent l'attaque coordonnée des distributeurs, notamment américains, qui veulent augmenter le taux de location, c'est-à-dire leur part dans les entrées. Historiquement fixé, chez nous, à 35 %, ce taux permet aux distributeurs de se rémunérer, aux exploitants de se développer, avec un ticket abordable. Sans contrainte légale, il s'est imposé sur tout le territoire car il correspond à une réalité économique.
Les distributeurs veulent désormais le fixer à 50 % comme dans l'Hexagone, ce que rien ne justifie. Un tel taux ne pourrait être absorbé par les exploitants, a fortiori après deux ans de crise covid. Cela conduirait à fermer plusieurs établissements en Guyane, et tous ceux de Guadeloupe, à arrêter les projets d'investissement. En 2018, un inspecteur général des finances préconisait - déjà - un plafonnement du taux de location. Les cinémas ont tenté de négocier, en lien avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), mais les distributeurs n'ont rien voulu savoir. Le pot de terre affronte le pot de fer.
Quand le marché échoue, c'est à la puissance publique d'intervenir. La force de la France est dans sa culture de la solidarité et de l'équité. Notre population porte encore les stigmates de l'injustice : lors de la grande crise sociale de 2009, ce sentiment de révolte avait vu naître le néologisme légitime de pwofitasyon. Les enfants de ces pays, en responsabilité, doivent traquer tout ce qui contribue à cette impression.
Je salue votre action, monsieur le ministre. Hier, nous nous battions pour une meilleure continuité territoriale. Vous vous impliquez dans les initiatives des territoires pour réguler la vie chère, avec le bouclier qualité prix (BQP). Il faut oser, bousculer l'ordre établi, « marronner »...
Notre proposition de loi, de bon sens, plafonne les taux de location à 35 % en outre-mer et assure la pérennité des établissements. Ce taux est pourtant en vigueur depuis des décennies, les distributeurs l'ont toujours accepté ! Ils ne vont pas retirer leurs films parce qu'on leur impose de renoncer à une pwofitasyon supplémentaire. Je préfère croire que chacun retrouvera la raison. Nous en sortirons tous gagnants, exploitants, distributeurs et citoyens.
Je me réjouis que ce texte ait convaincu en commission et remercie Sylvie Robert, éprise de culture, de l'avoir défendu. J'espère que le Sénat partagera nos objectifs. Nos territoires dits d'outre-mer nous regardent et attendent qu'on les défende. Ne les décevons pas. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST ; MM. Thani Mohamed Soilihi, Michel Savin et François-Noël Buffet applaudissent également.)
Mme Sylvie Robert, rapporteure de la commission de la culture . - Cette proposition de loi tire la conséquence de l'échec des négociations menées sous l'égide du CNC entre exploitants et distributeurs.
Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et Jérémy Bacchi se sont intéressés, dans leur récent rapport sur l'industrie cinématographique, à la situation des distributeurs, chaînon entre les exploitants et les producteurs. La loi encadre la fraction des recettes qui leur revient : entre 25 et 50 %. En métropole, elle est en moyenne de 47 % ; le reste va aux exploitants.
L'outre-mer se singularise de deux manières : TVA de 2,1 % contre 5,5 % en métropole, et taxe sur le prix des entrées, dite TSA, de 5 % contre 10,72 %. Le prix du billet y est plus élevé, l'assiette est donc plus importante. La distribution était assurée au niveau local, souvent par les exploitants eux-mêmes. De ce fait, le taux revenant aux distributeurs s'est établi à 35 %, divisé à parité entre distributeurs nationaux et locaux.
En accord avec les exploitants, les distributeurs ont cependant voulu assumer directement la distribution en outre-mer, d'où des négociations pour fixer la nouvelle répartition des recettes.
Marché étroit, salaires : la vie est chère outre-mer et l'activité économique difficile, le coût d'exploitation des cinémas plus élevé, comme l'ont montré plusieurs rapports des inspections générales. Dès lors, les négociations devraient prendre en compte la volonté des distributeurs d'améliorer leurs revenus en contrepartie d'investissements, et la nécessité pour les cinémas d'une exploitation économique viable.
Mais la négociation a échoué, et une large majorité des exploitants fait valoir le risque de déstabilisation qu'engendrerait un alignement du taux sur la métropole. La situation est bloquée, le législateur se devait de prendre position. Un accord peut encore être conclu.
Je regrette cette scission entre distributeurs et exploitants, et entre exploitants eux-mêmes car l'un d'entre eux s'est dissocié des autres.
Pour les distributeurs, les conséquences sont à relativiser. Les départements d'outre-mer représentent 1,7 % des entrées nationales. Avec une part de 35 %, ils toucheraient, en valeur absolue, à peu près le même montant sur chaque billet qu'en métropole : autour de 2,70 euros. C'est une nette amélioration par rapport à la situation antérieure où ils ne touchaient que la moitié des 35 % revenant à la distribution.
Nous ne pouvons nier le risque d'une moindre implication des distributeurs en outre-mer, mais la grande majorité suivra le chemin tracé par cette proposition de loi. Je vous invite donc à la voter, pour préserver les droits culturels en outre-mer. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que du GEST ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer . - J'arrive de l'Assemblée nationale où la proposition de loi de Françoise Gatel sur la représentation des communes au sein des conseils communautaires vient d'être adoptée conforme. (Applaudissements sur plusieurs travées)
Andreï Tarkovski disait que le cinéma, c'est l'art de sculpter le temps. Depuis ma prise de fonctions, je m'efforce, avec les forces vives des sociétés ultramarines, de faire de la culture un moteur central du développement de ces territoires.
Le cinéma est l'un des derniers venus dans la panoplie des arts. Mais avec quel panache il est entré dans notre imaginaire, avec son cortège de métiers, manuels, artistiques, artisanaux, et le désir de peindre la vie comme de la changer, de transfigurer la réalité ou de la condamner ! C'est un art total, et il est comme chez lui en outre-mer.
Mais c'est aussi une industrie, et je salue l'engagement de France 2030 pour le financement de studios en outre-mer. La régulation publique doit être partout.
Comment accède-t-on au cinéma dans nos territoires ultramarins ? On se résigne trop à dire que l'art y arrivera de toute façon, au hasard des conjonctures. Il faut parfois suspendre la chance, actionner la volonté, comme le fait la proposition de loi de Catherine Conconne.
Le cinéma, donc, est l'art de sculpter le temps ; et les populations ultramarines voudraient le trouver chez eux. Dans un monde idéal, il y aurait une liberté commerciale régulée par la liberté des prix. Le code du cinéma et de l'image animée encadre cette liberté, avec une TVA réduite à 5,5 % et la TSA, qui finance le CNC, à 10,72 %. La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) perçoit entre 1,51 et 2,02 %. C'est sur ce qui reste du prix du billet que l'exploitant et le distributeur se mettent d'accord, avec un taux revenant au distributeur « librement débattu entre un pourcentage minimum fixé à 25 % et un pourcentage maximum fixé à 50 % », dit la loi. Ce qui est en débat, c'est la portée de ce « librement ».
On parle beaucoup de liberté dans notre société, et c'est tant mieux : nous n'aurions plus ni utilité ni estime si nous dussions échouer à la protéger contre la licence de dominer induite par une position trop avantageuse. L'action publique entre en scène s'il y a un doute sur l'équilibre des échanges et la justesse d'un accord obtenu, si l'intérêt général est lésé : c'est le cas.
Le taux de location est fixé en outre-mer à 35 %, contre 47 % dans l'Hexagone, ce que justifient les spécificités ultramarines. Non, on n'arrive pas à faire vivre nos compatriotes ultramarins avec les règles de tout le monde. Vingt et un établissements et 1 % du parc national : derrière ces chiffres se cache l'infini des imaginaires. Les coûts liés à la sécurité, aux charges d'exploitation, à l'usure accélérée des matériels, à l'investissement, aux contraintes de l'éloignement auraient enterré ces équipements sans adaptation si la République n'avait pas aménagé des adaptations : une TVA à 2,1 % et une TSA à 5 %.
Le rapport commandé par le CNC en 2018 recommandait déjà un plafonnement du taux de location par la loi, pointant la faible rentabilité des salles ultramarines. La proposition de loi prévoit donc un taux de location plafonné à 35 % et non de 50 % comme en métropole.
Sage compromis, alors que le dialogue est engagé depuis des années. Les positions ne se sont pas accordées, même si elles se sont rapprochées. Tout le monde souhaite faire évoluer le modèle de la sous-distribution. Ce texte n'épuise pas la marge de négociation des acteurs ; il existe d'autres outils de liberté commerciale.
Le danger de mort pour les exploitants est réel : avec une situation sanitaire plus difficile, les recettes ont baissé, même si le taux de fréquentation est récemment remonté.
Tout le monde a deux métiers : le sien et celui de critique de cinéma, disait Truffaut. (On apprécie la citation sur plusieurs travées.) Le cinéma est un art à partager, à comprendre, à disséquer. Priver nos compatriotes de la joie d'enrichir leur imaginaire serait une grande erreur. L'équilibre n'est pas aisé à trouver : peut-être y parviendrons-nous grâce à ce texte.
Je dois malheureusement partir à La Haye pour défendre nos outre-mer. M. Riester me suppléera pour la suite de la discussion. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Sylvie Robert . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je suis toujours ravie que l'on parle de culture dans cet hémicycle, en particulier dans nos outre-mer. Cette proposition de loi est une dernière chance de préserver le cinéma dans ces territoires, où la situation est très périlleuse en période de reprise post-covid.
Pourquoi le législateur doit-il intervenir ? Pour garantir l'accessibilité des populations ultramarines au cinéma, pilier de la culture française. Le législateur n'aime pas forcément se mêler de tout, mais il régule, par nécessité.
Les exploitants ne survivraient pas à un relèvement du taux de location. Or sans exploitant, pas de salle, pas de diffusion, pas de culture. Nous sommes des garants de l'intérêt général, non des exploitants ou des distributeurs, mais des populations ultramarines, qui ont le droit d'accéder à la culture - autant que celles de la métropole.
L'inspection générale des affaires culturelles (Igac) le soulignait en 2013 : l'offre est limitée et contrainte dans les outre-mer, alors que la sortie au cinéma y est une tradition forte. Les points de projection s'y étaient multipliés dans les années 1950 et 1960. Ce passé cinématographique est aujourd'hui mis à mal : en métropole, on compte un écran pour 11 340 habitants, contre un pour 27 300 en outre-mer.
S'y ajoutent les surcoûts structurels - coût de construction et exigences associées notamment - qui touchent tous les domaines artistiques. Le prix du livre, à cause du coût du transport, est ainsi plus élevé. Je suggère d'ailleurs un débat en séance publique sur l'accessibilité de la culture en outre-mer.
À travers le plafonnement du taux de location, nous tendons vers l'idéal politique d'un égal accès à la culture, formulé dans le préambule de la Constitution de 1946. Si le législateur ne mène pas ce combat, qui le fera ?
Comme en métropole, la population doit aussi avoir accès à des films d'auteur : il faudra évaluer l'impact de cette proposition de loi en la matière, sans oublier la réciprocité car le film d'auteur ultramarin, à la riche histoire, doit aussi être diffusé en métropole.
Je remercie Mme Conconne, qui oeuvre pour la justice et la promotion des droits culturels en présentant ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, UC et du GEST)
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. - Je demande une suspension de séance, pour laisser le temps à M. Riester de venir me remplacer.
M. le président. - M. Riester peut-il se presser ? Quand on doit relayer un ministre, on ne fait pas attendre tout le Sénat.
La séance est suspendue quelques instants.
Mme Éliane Assassi . - Il y a quelques semaines, la France accueillait le festival de Cannes. Aimé Césaire disait de la culture que « c'est tout ce que l'homme a inventé pour rendre le monde vivable et la mort affrontable ». Mon ami Jack Ralite, ce poète en politique, avait coutume de rappeler que la culture est un droit et un bonheur. Il faut donc s'assurer de son accessibilité pour toutes et tous.
Le cinéma, art populaire, a souffert de la crise sanitaire et de l'essor des plateformes, dans l'Hexagone comme en outre-mer. C'est dans ce contexte que les distributeurs de films veulent porter le taux de location de 35 à 50 %.
L'offre culturelle en outre-mer fait face à de nombreuses contraintes, déjà rappelées, et à des investissements et coûts d'exploitation plus élevés. Le billet y est plus cher, alors que la fiscalité est moindre.
L'échec des négociations engagées entre distributeurs et exploitants touche au principe fondamental de la diffusion culturelle. Les distributeurs prétendent éviter l'appauvrissement de l'offre, les exploitants pointent une menace existentielle, alors que les prix augmentent partout dans un contexte de crise sociale et renchérissement de l'énergie.
Il est regrettable que la seule issue soit la voie législative. Nous espérons cependant que ce texte sera un levier d'apaisement. Le groupe CRCE sera vigilant. Agissons avec responsabilité, car les conséquences pour le cinéma en outre-mer risquent d'être importantes. L'intérêt général est notre boussole : mon groupe votera cette proposition de loi. (Mme Catherine Conconne et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)
M. Pierre-Antoine Levi . - Le cinéma est une activité populaire dans les outre-mer, structurée autour de quelques acteurs privés. Les coûts d'exploitation y sont plus élevés qu'en métropole.
Le taux de location, pourcentage sur le prix du billet reversé par l'exploitant au distributeur, a historiquement été fixé à 35 % en outre-mer. Les grands distributeurs souhaitent l'aligner sur le taux en métropole, proche du plafond légal de 50 %, ce qui serait insoutenable pour les exploitants. On craint des fermetures de salle.
Cette proposition de loi, soutenue par les exploitants, maintient le plafond de 35 % dans ladite outre-mer. Toutefois, douze organisations professionnelles de distributeurs s'y sont opposées, soulignant ses effets contre-productifs sur la diversité de l'offre.
Reste que les coûts d'investissement par fauteuil des exploitants sont plus élevés outre-mer qu'en métropole - plus de 9 000 euros contre 4 500 -, tout comme les coûts d'acheminement des matériels, les normes parasismiques et anticycloniques, la climatisation permanente, l'usure des matériels due à l'humidité et la sécurité.
Il est essentiel de préserver la culture outre-mer via des taux de location équitables. Il faut aussi prendre en compte les pertes de recettes occasionnées par la crise covid. Le risque est aussi important pour le consommateur : des places à plus de 14 euros aggraveraient encore la crise du secteur. Le cinéma doit être accessible à tous, indépendamment du lieu de résidence. Nous voterons ce texte. (Applaudissements)
M. Bernard Fialaire . - « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture, » proclame l'alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946.
Tout le monde ne peut pas aller au Louvre et à l'Opéra. Le cinéma, lui, est une expérience authentique et accessible à tous.
La situation des salles outre-mer diffère de celles de métropole : l'équilibre économique est particulier, le marché restreint, les coûts d'exploitation plus élevés. La rentabilité est donc moindre, malgré la taxation avantageuse et un prix du billet élevé. Le taux de location, fixé entre 25 et 50 %, est historiquement de 35 % outre-mer.
Mais compte tenu du prix du billet et de la fiscalité, la différence reste faible entre ce que perçoit le distributeur outre-mer et en métropole : 2,70 euros contre 2,78 euros. Or les distributeurs veulent un taux de location aligné sur la métropole, tout en reprenant à leur charge la distribution locale, jusqu'ici assurée par un intermédiaire spécialisé.
De nombreux exploitants craignent de devoir mettre la clé sous la porte ; les distributeurs, eux, menacent de réduire l'offre outre-mer et donc l'accessibilité des oeuvres. Le rapport de force est déséquilibré, même si l'enjeu financier est limité.
L'exception culturelle française prend tout son sens : l'égalité n'est pas l'uniformité. Nous espérons que cette proposition de loi, que nous voterons, donnera un nouveau souffle aux négociations. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Les territoires régis par l'article 73 de la Constitution comptent 21 établissements actifs. En outre-mer, le cinéma est un vecteur essentiel de divertissement, d'ouverture au monde et de socialisation. Depuis le covid, avec l'essor les plateformes, le secteur est en crise, même si les spectateurs reviennent dans les salles.
Le rapport de notre mission d'information, rédigé avec Sonia de La Provôté, Jérémy Bacchi, identifie trois atouts majeurs : une offre diversifiée, un succès populaire jamais démenti, et des financements publics à hauteur de 25 %, ce qui est unique. Outre-mer, exploiter une salle coûte plus cher : la sécurité y représente 10 % des charges, contre 1 % en métropole - ce qui justifie une TVA et une TSA plus faibles.
Le taux de location, plus avantageux, est le fruit d'un consensus ancien que les distributeurs veulent remettre en cause, invoquant les coûts nouveaux liés à la distribution directe. La rapporteure Sylvie Robert, dont je salue le travail, y voit plutôt d'une position du principe. La viabilité des exploitants est en jeu, alors que le prix du billet est sensiblement plus élevé qu'en métropole. Évitons des prix dissuasifs pour les familles. Le maintien d'un taux à 35 % était d'ailleurs préconisé par l'IGF en 2018.
En attendant une reprise apaisée des négociations lancées à l'initiative du CNC, notre groupe soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Thani Mohamed Soilihi et Mme Catherine Conconne applaudissent également.)
M. Jean-Pierre Grand . - Malgré une reprise début 2023, la crise sanitaire a fait du mal aux exploitants partout en France. Outre-mer, elle s'ajoute aux surcoûts. La base film y est plus élevée, mais l'équilibre économique des exploitants est menacé. Le billet y coûte plus cher, ce qui questionne sur l'égalité de l'accès à la culture.
La rentabilité économique des établissements est précaire. Augmenter le taux de location entraînerait sûrement des fermetures, alors qu'il n'y a que trois établissements en Martinique, un seul à Mayotte.
On peut regretter que les négociations aient échoué. Cette proposition de loi illustre la nécessité d'adapter notre droit aux spécificités des outre-mer. Nous espérons cependant qu'elle ne conduira pas à un appauvrissement de l'offre, mais au contraire relancera les négociations entre acteurs ; nous la voterons. (Mme Catherine Conconne et M. Thani Mohamed Soilihi applaudissent.)
Mme Monique de Marco . - Les salles de cinéma outre-mer ne sont pas qu'obscures, elles sont aussi fraîches, et l'on s'y réfugie volontiers. Dans ce pays de la saison unique, pour reprendre les mots d'Édouard Glissant, la climatisation y est permanente. D'où un coût d'investissement par fauteuil deux fois plus élevé que dans l'Hexagone, qui explique un taux de location plus faible depuis cinquante ans.
Les distributeurs le remettent aujourd'hui en cause, après le contournement des intermédiaires locaux au profit d'une distribution en direct, le tout dans un contexte d'inflation grave. Une commission d'enquête de l'Assemblée nationale invite le Gouvernement à agir sur le coût de la vie outre-mer. Les exploitants subissent la « captivité économique », contrairement aux distributeurs, d'autant que dans ces territoires durement touchés par le covid, la fréquentation reste inférieure de 32 % en 2022 par rapport à 2017-2019.
Nous voterons cette proposition de loi, qui favorise l'accès au cinéma dans ces territoires. Espérons qu'à terme, le goût du cinéma fasse naître de nouvelles vocations dans des territoires qui disposent de tous les atouts pour attirer les tournages, grâce à une formation renforcée des jeunes et l'aide sélective du CNC. Mais va-t-on soutenir le développement des films si les salles ferment ? (Quelques applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Le cinéma transcende les frontières, les langues et les cultures, nous divertit, nous fait réfléchir et nous connecte avec le monde entier : chacun, dans l'Hexagone et outre-mer, devrait y avoir accès. Or à Mayotte, par exemple, il n'existe que deux établissements, au fonctionnement irrégulier.
Prix du billet plus élevé, contraintes géologiques et climatiques : les cinémas d'outre-mer sont fragilisés, d'où un fossé culturel inacceptable. Les distributeurs pèsent de tout leur poids pour aligner le taux de location sur celui de l'Hexagone. C'est David contre Goliath !
La hausse de ce taux entraînerait celle du prix du billet, accentuerait le report vers les plateformes et pousserait les établissements à la fermeture. Pourtant, le cinéma combat l'oisiveté et favorise la cohésion sociale - dans mon département, la fermeture des cinémas serait délétère. Aussi le RDPI soutiendra-t-il vivement la proposition de loi. Merci au Gouvernement d'avoir engagé la procédure accélérée.
M. le ministre exposait tout à l'heure les mesures de soutien à nos établissements. L'investissement est essentiel ; il faut aussi soutenir la création locale et son rayonnement national et international.
En votant cette proposition de loi, nous rappelons que l'accès au cinéma est un droit fondamental, indépendamment de la géographie. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes UC et SER)
Discussion de l'article unique
À la demande du groupe SER, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°304 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l'adoption | 341 |
Contre | 0 |
L'article unique est adopté. En conséquence, la proposition de loi est adoptée. (Applaudissements)
M. le président. - Je vous félicite, madame Conconne, pour cette rare unanimité.
Mme Catherine Conconne. - Merci pour cette belle unanimité. Le grand poète a dit : « Tous les hommes ont des devoirs, mais du lot commun il y en a qui ont plus de devoirs que d'autres ».
C'est par sens du devoir que je me bats, au quotidien, pour réclamer plus d'équité et un regard différent sur nos pays à cette République qui s'accommode désormais de sa bienfaisante diversité et fait aujourd'hui honneur à la notion d'équité. Le lien ne doit pas se couper, tel est mon message aux distributeurs : ce n'est pas une loi contre vous ! Le principe des négociations, ce devrait être ces valeurs républicaines. (Applaudissements)