Indices locatifs (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs.

Discussion générale

M. Olivier Klein, ministre délégué chargé de la ville et du logement .  - Il y a près d'un an, vous étiez majoritairement d'accord pour voter des mesures de lutte contre l'inflation, dont le plafonnement de l'indice de référence des loyers (IRL) et de l'indice des loyers commerciaux (ILC). C'est sous l'impulsion de votre chambre que le dispositif ILC a été introduit dans la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Olivia Grégoire - qui s'excuse de ne pouvoir être présente - avait réuni tout le monde autour de la table, pour parvenir à un accord essentiel pour nos 430 000 petits commerces, en leur offrant un véritable bol d'air.

Sans le plafonnement à 3,5 %, la hausse aurait été double. Il ne faut pas relâcher l'effort. La hausse va continuer, et cette proposition de loi revêt donc une très haute importance, pour protéger nos petits commerces, en proposant un dispositif équilibré, dans son périmètre, son intensité et sa durée. Nous agissons avec prudence, pour respecter nos principes constitutionnels de liberté et de stabilité contractuelle.

Non, il n'y a pas eu d'impréparation. Il n'est jamais neutre que l'État intervienne dans des relations contractuelles. Ainsi, nous avons veillé à viser les TPE et les PME - entreprises les plus exposées avec le moins de marges et une faible capacité de négociation - et à borner dans le temps -- 1er trimestre 2024 - les mesures.

La nécessité dicte cette mesure ponctuelle et le Conseil national du commerce reste bien le lieu de concertation pour régler les problèmes structurels. Je réitère donc, au nom d'Olivia Grégoire, l'invitation à discuter d'une réforme des baux commerciaux, qui englobera entre autres l'ILC. Toutes vos idées seront les bienvenues.

Vous critiquez une forme d'impréparation et un manque d'évaluation. Je remercie les députés de la majorité de s'être emparés du sujet. Le plafonnement de l'IRL doit être voté avant le 1er octobre 2023 : il n'y a pas urgence, mais nous voulons donner de la visibilité aux Français. Cette mesure est simple, elle protège les locataires, et n'empêche en rien les travaux parlementaires. De plus, les prévisions d'inflation étaient changeantes, de plus ou moins 1 % pour le deuxième trimestre. Il nous fallait attendre des prévisions stabilisées, qui aujourd'hui sont de qualité. La situation se stabilise, et toutes les banques centrales s'accordent sur ce point, en stoppant la remontée des taux.

Nous disposons d'éléments d'évaluation : 490 millions d'euros seront économisés par les locataires en année pleine avec le rythme des revalorisations de loyers, si toutes les revalorisations se font à l'IRL. Or le taux de hausse des loyers en 2022 est de 2 %. Nous faisons le pari scientifique d'appliquer aux mêmes causes les mêmes solutions, plutôt que de faire des évaluations risquées.

Je vous laisse le soin de justifier cette hausse des ILC aux 430 000 commerçants.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.  - Aucun problème !

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Et celle des IRL aux ménages les plus modestes et aux élus locaux, si le bouclier loyer n'est pas adopté.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission.  - On devrait faire le loyer gratuit. En voilà une bonne idée !

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Vous assumeriez en fait une hausse des loyers de 10 % ! En 2022, un bailleur pouvait revaloriser son loyer d'au maximum 3,6 %. En 2023, il pourrait revaloriser jusqu'à 6,1 %. Sur deux ans, cela revient à 60 euros par mois supplémentaires en moyenne. Avec le prolongement, la hausse sur la période sera donc de 7 % au lieu de 12 % sans aucun plafonnement. Le bouclier permet une économie de 1 milliard d'euros par an pour les locataires du parc privé, qui s'ajoute aux revalorisations structurelles des aides personnalisées au logement (APL).

Le dispositif a fait ses preuves pour protéger les locataires, sans fragiliser les propriétaires. En pratique, la hausse a été de 2 % en 2022, contre 0,6 % en 2021. Le dispositif est donc efficace. Les propriétaires ne revalorisent pas au maximum.

Mmes Sophie Primas et Dominique Estrosi Sassone.  - Précisément !

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - J'ai confiance en eux. Certains, modestes, sont obligés d'augmenter les loyers pour faire face à l'inflation. (M. François Bonhomme et Mme Catherine Di Folco le confirment.)

La majorité des autres, quand ils le peuvent, prennent part à l'effort de solidarité. Les propriétaires recherchent souvent un équilibre intelligent. L'inflation va diminuer, certes, mais pas aussi vite qu'attendu. Les prochains mois vont rester difficiles. (M. François Bonhomme acquiesce.) La prolongation permet d'agir en responsabilité en préparant au mieux un avenir incertain. Nous pourrons ainsi protéger les Français durant toute la période de forte inflation, en accord avec les professionnels. Oui, ils ont été associés, et je salue le travail de Thomas Cazenave, qui a échangé avec plusieurs acteurs avant l'examen du texte.

Les bailleurs sociaux ne sont pas concernés par le plafonnement actuel. Ils sont libres de fixer leurs loyers au 1er janvier 2025, mais je compte sur leur responsabilité pour limiter les hausses. Les bailleurs sont favorables à la protection de leurs locataires.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission.  - Alors pourquoi ce texte ?

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - J'ai reçu des engagements de leur part.

L'objectif du texte n'est pas de régler la crise du logement. Le logement est un sujet qui concerne de nombreux parlementaires, je m'en félicite.

M. François Bonhomme.  - Bravo !

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - La restitution du Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement a été l'occasion pour la Première ministre de faire de nombreuses annonces, que j'ai pu détailler dans les questions au Gouvernement.

J'espère que nous pourrons débattre, et je regrette la question préalable déposée par le groupe Les Républicains.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission.  - Par la commission !

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Je regrette cette instrumentalisation politique du texte, qui n'est pas à la hauteur des enjeux. (Mme Dominique Estrosi Sassone s'exclame ; marques d'indignation sur diverses travées.)

M. François Bonhomme.  - Parlez-en au ministre !

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Nous prenons nos responsabilités pour protéger les locataires et les commerçants.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Oui, nous sommes bien saisis en urgence de cette proposition de loi, qui prolonge jusqu'en 2024 le plafonnement de la hausse des IRL et ILC de 3,5 %, décidé dans le texte sur le pouvoir d'achat.

Sur la méthode, je fais un quintuple constat d'impréparation, de précipitation, d'absence d'évaluation, de manque de concertation et de non-accompagnement financier des mesures édictées.

L'encadrement de l'ILC est déjà juridiquement échu.

M. François Bonhomme.  - Ce n'est pas une surprise ! Le Gouvernement est touché par la grâce !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur.  - Nous aurions dû examiner ce texte en janvier. Les délais d'examen ont été une course de vitesse législative. Déposée le 23 mai, la proposition de loi a été examinée en commission par l'Assemblée nationale moins d'une semaine plus tard en commission et en séance. Nous avons eu sept jours pour examiner le texte en commission, et 24 heures seulement avant l'examen en séance publique.

M. François Bonhomme.  - Félicitations !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur.  - Selon l'article 42.3 de la Constitution, « la discussion en séance, en première lecture, d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir, devant la première assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de six semaines après son dépôt. Elle ne peut intervenir, devant la seconde assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de quatre semaines à compter de sa transmission. » Un délai de deux semaines est ménagé entre l'examen en commission et la séance. (Mme Catherine Di Folco renchérit.)

Avec vos délais, vous dépassez les bornes. Aucune concertation ou audition n'est possible ; les acteurs ont été placés devant le fait accompli. Ce texte va contre la parole même du ministre, le texte sur le pouvoir d'achat devait être une mesure exceptionnelle non reconduite.

M. François Bonhomme.  - On n'est même plus surpris !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur.  - En choisissant de passer par le faux-nez d'une proposition de loi, le Gouvernement se dispense de toute étude d'impact. (M. François Bonhomme le confirme.) Pourtant, l'an passé, le coût pour les propriétaires du plafonnement de la hausse de l'IRL avait été évalué à 705 millions d'euros - ce n'est pas négligeable.

Le plafonnement de la hausse de l'ILC, proposé par l'amendement de Jean-Baptiste Lemoyne, n'avait pas fait l'objet d'une étude d'impact, mais au moins, il y avait eu concertation !

Cette proposition de loi ne prévoit pas d'accompagnement financier ni de garanties pour les bailleurs sociaux. L'an passé, une hausse des APL accompagnait le plafonnement. Or ce n'est pas possible au sein de cette proposition de loi, en raison de l'article 40 de la Constitution.

Une telle mesure ne peut dispenser le Gouvernement d'une véritable politique du logement et du pouvoir d'achat. La crise est sans précédent, les mesurettes du CNR Logement ne changeront pas la donne.

Comment relancer la construction et encourager la location, quand on plafonne les indices de référence mais que les loyers saisonniers ne sont pas régulés ? Le message est contradictoire.

De plus, les charges pesant sur les propriétaires ne sont pas allégées et la revalorisation des valeurs locatives sur l'inflation pour le calcul de la taxe foncière n'a pas été plafonnée. L'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) la chiffre à 3 milliards d'euros. Enfin, la rénovation énergétique des logements reste à la charge des propriétaires.

L'impact du plafonnement est lourd de conséquences pour les bailleurs sociaux : le livret A est passé de 0,5 à 3 % en un an, la capacité d'investissement des bailleurs sociaux en est fortement impactée. Vous ne proposez aucune compensation, et imposez une nouvelle ponction aux bailleurs sociaux. Comment espérer qu'ils puissent répondre présents en matière de construction et de rénovation énergétique ?

Ce texte n'apporte aucune garantie sur la revalorisation des APL, dont la hausse a été déconnectée de l'IRL - voyez le forfait de charges, qui ne couvre plus que 40 % des charges effectives. Or les charges augmentent plus vite que les loyers !

Enfin, il faut réfléchir aux salaires. La baisse de fréquentation des commerces est estimée à 20 %, et les achats alimentaires ont baissé de 10 % sur un an, en moyenne.

La commission des affaires économiques a donc décidé de rejeter cette proposition de loi. Nous réfutons la méthode comme l'absence de prise en compte globale de la crise du logement et du pouvoir d'achat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - (Mme Viviane Artigalas applaudit.) Le sujet pose deux problèmes : l'un de fond, et l'autre de forme.

Sur la forme, le sentiment du mépris profond du Parlement est récurrent, tout comme le sentiment d'impréparation des politiques publiques. Le débat aurait dû avoir lieu en amont. Ce mépris est chronique, comme en témoigne son dernier avatar : le non-vote à l'Assemblée...

Sur le fond, les dépenses de logement des Français ont décroché de l'évolution de leurs revenus ; c'est un élément déterminant, avec le niveau des salaires, qui plombe le pouvoir d'achat. Le décrochage est plus fort encore que chez nos voisins européens. Le plafonnement à 3,5 % lui-même ne réduit pas la part du logement dans les dépenses, car la plupart des salaires eux-mêmes n'augmentent pas de 3,5 % ! Dans les agglomérations, à cause des rotations de locataires, les hausses sont très fortes, parfois de 7 à 8 %. Enfin, les charges locatives sont en hausse constante, malgré le bouclier. La situation sera pire cette année, notamment à cause de la suppression du tarif réglementé pour le gaz et du bouclier tarifaire.

Ainsi, notre groupe plaide pour un gel des loyers. Certes la stratégie ne peut être pérenne, mais cela sera absorbable par les propriétaires. Les locataires privés ont fait appel à des taux d'emprunt fixes bas, tandis que les bailleurs sociaux ont des taux variables indexés sur le livret A... Il faut agir pour ces derniers.

La question du prix du logement est essentielle et je ne comprends pas la position du Gouvernement. M. Descrozaille explique que l'on ne peut pas baisser le prix de l'alimentation, et qu'il faut jouer sur la baisse des dépenses de logement - or vous n'en faites rien ! (Mme Valérie Létard renchérit.) Or ni par cette proposition de loi ni dans les annonces du CNR, vous ne régulez le prix du foncier ni n'étendez la loi encadrant les loyers. Vous ne proposez aucune mesure d'aide à la pierre ou au logement. Mme Estrosi Sassone a raison de dire que l'on ne peut parler de loyer sans les charges, or vous ne les prenez pas en compte. Vous allez en fait durcir des situations sociales insupportables. Les populations modestes seront percutées par votre non-prise en compte de la hausse des dépenses de logement. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER ; Mme Sophie Primas applaudit également.)

Mme Valérie Létard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Sophie Primas applaudit également.) Le décor a été bien balayé par la rapporteure et Mme Lienemann. Le contexte est clair, la séance des questions au Gouvernement a été très éclairante. L'initiative parlementaire présentée ici est complètement déconnectée des réalités de la crise qui ne fait que s'amorcer. Il faut s'interroger sérieusement, car 2,4 millions de personnes n'ont pas de solution de logement. Le parcours résidentiel ne cesse de s'aggraver, alors que le logement grève le budget des ménages, dont le pouvoir d'achat baisse : ils n'ont plus le choix, les situations sont de plus en plus inquiétantes. De plus en plus de Français demandent un logement social.

Attention, le jour où on mettra les bailleurs en situation de ne plus pouvoir rénover ni supporter les charges, on se posera la question de quel toit on met sur la tête des gens. (Mmes Sophie Primas et Brigitte Lherbier applaudissent.)

Pas de recul, pas de concertation, aucune vision, aucune perspective... Comment peut-on dire les choses aussi brutalement ?

Personne ici ne souhaite que les loyers pèsent trop lourdement sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

On va demander aux petits propriétaires privés de rénover leur logement et en même temps de plafonner leur loyer. Comment feront-ils ? Vos propositions ne sont pas protectrices pour les locataires et sont punitives pour les propriétaires, avec une fiscalité confiscatoire.

Hier, on a pu lire que les 75 personnes les plus riches de France paient des impôts à hauteur de 26 % de leurs revenus, contre 46 % pour les 38 000 personnes les plus riches. Les premiers paient la fiscalité sur l'actionnariat, les seconds la fiscalité sur l'immobilier. Il y a aussi les bons et les mauvais riches...

Au moment où l'on a besoin d'un engagement sur la production de logements, on crée une fiscalité qui est rédhibitoire et qui envoie comme signal de ne pas investir dans la pierre. C'est fou ! (Mme Sophie Primas applaudit.)

Dernier élément : le relèvement du taux du livret A à 3 % a coûté 75 milliards d'euros supplémentaires cette année ; un nouveau relèvement de 1 %, ce sera une réduction de loyer de solidarité (RLS) en plus pour les bailleurs sociaux. Nous rejetons cette demande déconnectée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Au coeur de l'été 2022, le Gouvernement avait mis à l'ordre du jour un texte sur le pouvoir d'achat. Notre groupe avait voté pour. Cette loi contenait à l'article 14 un dispositif de plafonnement de l'ILC, issu entre autres d'un amendement de notre groupe, et à l'article 12 le plafonnement de l'IRL. La revalorisation ne pouvait excéder 3,5 %. Un gel des loyers locatifs aurait certes été préférable, car le loyer est le plus gros poste de dépense des ménages, aux alentours de 34 %.

Le constat des acteurs du logement est sans appel : 4,1 millions de personnes sont non ou mal logées ; 12,1 millions sont fragilisées par la crise du logement ; 12 millions souffrent de précarité énergétique ; et 2,3 millions de personnes attendent un logement social.

Lors de la restitution des travaux du CNR Logement, le Gouvernement a décliné cinq axes ambitieux, qui doivent être suivis d'effets. Notre groupe s'interroge sur la signification de certains points, comme l'intention de « lever les freins juridiques à la production de logements compatible avec nos objectifs de sobriété foncière ». Le fameux « en même temps » ? (M. le ministre sourit.) Est-ce une future simplification de l'application de l'objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) fixé par la loi Climat et résilience ?

Les acteurs du secteur nous alertent sur leurs difficultés. Il faut redonner des marges de manoeuvre sur le terrain et du pouvoir d'achat aux Français.

Toutefois, il ne faut pas agir à la va-vite. Nous regrettons la méthode et la précipitation. Ce texte donne un sentiment de frustration et, pire, de panique à bord. Comment légiférer sans étude d'impact ?

À défaut de politique ambitieuse, la majorité se contente de reconduire un dispositif théoriquement temporaire. Le RDSE s'opposera néanmoins à la question préalable déposée par la rapporteure, même si nous partageons ses arguments. C'est conforme à la ligne constante de notre groupe.

Nous aurions préféré un examen législatif en bonne et due forme. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également.)

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Trop, c'est trop ! Pardon, mais je voudrais pousser un vrai coup de gueule, en réaction au mépris du Gouvernement envers le Parlement en général et le Sénat en particulier. Un examen en moins de deux semaines n'est explicable que par l'impréparation du Gouvernement, à moins qu'il ne soit le fruit d'un désaccord entre ministères, victimes de ce poison qu'est le « en même temps ».

Le Gouvernement prend le Sénat pour une chambre d'enregistrement : nulle étude d'impact, nulle évaluation des mesures prises l'été dernier, nulle évaluation de la hausse effective des loyers ni des conséquences pour les propriétaires privés et les bailleurs sociaux. On nous demande de voter non seulement à la sauvette, mais aussi à l'aveuglette.

Ce texte est aussi méprisant pour les acteurs du secteur, qui n'ont pas été concertés. Réunir plusieurs milliers d'acteurs du CNR aura donc été vain. Ils n'ont même pas été informés de cette proposition de loi faux-nez. La prolongation d'une mesure en urgence ne fait pas une politique de long terme.

Le Gouvernement prend à la légère la crise du logement. Je le dis avec gravité. Le nombre de demandeurs de logements sociaux a augmenté de 18 % depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Élysée en 2017. Voilà le bilan de la politique du logement du Gouvernement.

Tous les acteurs sont dans l'incompréhension. Les élus locaux n'ont plus les moyens d'accueillir les nouveaux habitants face aux injonctions contradictoires dans lesquelles ils sont pris, notamment à cause d'une vision intégriste du ZAN.

Le logement, premier poste de dépenses et premier sujet de préoccupation des Français, est le premier poste d'économie budgétaire et la dernière des priorités du Gouvernement.

Pourtant, une politique ambitieuse était possible, comme par exemple, le soutien aux maires bâtisseurs. Depuis la suppression de la taxe d'habitation, ils n'ont plus de recettes fiscales dynamiques et pérennes pour faire face à la croissance de leur population. Il est nécessaire d'aller au-delà de la prime au permis ou de l'exonération temporaire de taxe foncière dont bénéficient les logements sociaux, arrachées ici à Jean Castex. Les élus n'en peuvent plus de ne pas pouvoir donner satisfaction à leurs administrés. (Mme Marie-Pierre Richer abonde.)

La suppression de tout ou partie de la RLS, qui pèse pour 1,3 milliard d'euros sur les capacités d'investissement des bailleurs sociaux, aurait été une autre piste. Vous auriez pu soutenir l'investissement locatif. Le dispositif Pinel n'est nullement remplacé. Le statut de bailleur privé pour reconnaître des investisseurs qui ne sont ni des rentiers ni des Thénardier doit être créé. Vous auriez pu débloquer le parcours résidentiel et plus particulièrement l'accès à la propriété, ce fameux rêve français qui n'est peut-être pas le vôtre mais qui est légitime pour des milliers de Français. Leur dénier ce droit, c'est les condamner à une forme de déclassement.

Vous n'offrez enfin aucune garantie pour les plus modestes. En rejetant ce texte, notre groupe ne souhaite pas s'opposer à une solution qui sera de toute façon adoptée à l'Assemblée nationale, mais nous souhaitons crier notre colère avec force et conviction contre la déconstruction méticuleuse depuis 2017 de la politique du logement.

Ce texte est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Nous respectons la volonté de débattre des autres groupes. Au groupe Les Républicains, nous souhaitons renverser la table. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE)

Mme Colette Mélot .  - Il y a moins d'un an, nous adoptions le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, parmi lesquelles le plafonnement à 3,5 % des indices locatifs. Pourquoi avoir attendu début juin pour prolonger une mesure qui arrive à son terme à la fin du mois ?

Mais la vraie question est : faut-il étendre jusqu'au premier trimestre 2024 le plafonnement à 3,5 % en métropole et à 2,5 % dans les outre-mer ? Rappelons que, sans ce dispositif, le taux des indices locatifs serait de 6 %. J'ai bien entendu les critiques de certains, d'un côté de l'hémicycle, qui estiment que le texte ne va pas assez loin, considérant que, même plafonnée, la hausse des loyers est difficilement surmontable en raison de la hausse des prix au supermarché ou à la station-service.

Certains disent que les petits commerçants et artisans ne pourront pas faire face, et ils ont raison. Pourrions-nous ne rien faire et laisser les loyers exploser ? Bien sûr que non. Geler totalement les loyers et pénaliser l'intégralité des propriétaires ? Non, car parmi les propriétaires, il y a aussi la veuve avec une petite pension, pour qui le loyer perçu représente un complément de revenu ; comme, parmi les locataires, il y a aussi le jeune couple qui ne peut conclure un prêt immobilier. Évitons les caricatures opposant pauvre locataire au propriétaire nanti, car les uns et les autres éprouvent des difficultés à régler leurs charges.

Cette proposition de loi me semble équilibrée. Elle protège les commerçants d'une hausse brutale de leur loyer sans trop pénaliser les propriétaires. Mais elle doit rester une mesure de court ou de moyen terme et ne pas perdurer, au risque d'aggraver la crise du logement.

Notre pays connaît en effet des problèmes structurels : alors qu'il faudrait construire entre 400 000 et 500 000 logements par an, le compte n'y est pas. Le Gouvernement partage ce constat, puisqu'il a lancé un plan Logement. Les hausses du coût de la construction et des taux du crédit immobilier n'ont rien arrangé.

Dans sa très grande majorité, mon groupe votera contre la question préalable - conformément à notre ADN - et pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Daniel Salmon .  - Nous discutons d'une loi essentielle pour la protection des locataires - mais le Gouvernement avait oublié l'échéance ! Or le dépôt précipité de cette proposition de loi escamote le débat démocratique.

Il ne faudrait pourtant pas prendre ce sujet à la légère : il est indispensable de ne pas ajouter la hausse du loyer à celle de l'alimentation et de l'énergie. Près de 31 % des Français se retrouvent, après paiement des dépenses essentielles, avec moins de 100 euros sur leur compte le 10 du mois.

Selon l'Union sociale pour l'habitat (USH), les retards de paiement de plus de trois mois ont augmenté de 10 % en 2022 : payer son loyer s'avère parfois un défi insurmontable. Le prix moyen d'un loyer s'élève aujourd'hui à 723 euros, et le plafonnement à 3,5 % limiterait la hausse des loyers à 25 euros par mois, somme toutefois importante pour les plus précaires.

C'est certes mieux que de laisser se produire une hausse de 6 ou 7 %, mais le problème, plus profond, ne vient pas que de l'inflation et tient à la faiblesse de la construction de logements. Fin 2022, on constate une hausse de 7 % des demandeurs de logements sociaux, alors même que la construction de ces logements atteint un nouveau record à la baisse, avec 95 000 constructions en 2022, soit le taux le plus bas depuis quinze ans. Entre mai 2022 et 2023, on a construit 14,3 % de moins que lors des douze mois précédents.

Diminution des APL, hausse de la TVA sur les constructions neuves, ponction sur le budget des bailleurs sociaux aggravent le problème. En Bretagne, Néotoa a ainsi perdu 22 millions d'euros sur un budget de 120 millions.

S'attaquer aux dépenses d'investissement, c'est mettre à mal toute la politique du logement, compte tenu des enjeux de rénovation énergétique.

Nous proposons de fixer le plafonnement à 1 % pour aider au mieux les locataires en compensant quelque peu l'inflation.

Ce bouclier ne réglerait pas pour autant la crise. Il y a un véritable problème dans le calcul des indices locatifs. S'agissant de l'IRL, comment peut-on calculer un indice sur la base de données de 2008 et sans tenir compte des spécificités géographiques ? Sa révision est primordiale.

Le CNR Logement a accouché d'une souris. Par des mesurettes, vous voulez faire croire à un big bang du logement, mais les mesures ne sont pas là, et les moyens encore moins. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. Bernard Buis .  - Face à l'inflation, nous avons fait le choix d'instaurer un plafond de l'IRL à 3,5 %, appliqué également à l'ILC pour les petites et moyennes entreprises, grâce à un amendement de Jean-Baptiste Lemoyne, identique à un autre de la présidente Delattre.

Nous devons nous prononcer sur le prolongement de ces deux mesures. Certes, nous aurions pu anticiper, mais notre vote porte sur ce maintien et non sur le calendrier.

Par ailleurs, chaque groupe avait la liberté d'anticiper les choses et de proposer un texte et des modalités différentes. (Mme la présidente de la commission proteste.)

Mme la présidente de la commission n'a pas organisé d'auditions, ce que je regrette : à l'Assemblée nationale, Thomas Cazenave a eu la possibilité d'auditionner dix organismes et de tenir compte de quatre propositions écrites. Nous aurions pu organiser des auditions communes à nos deux assemblées.

Le Sénat est cependant capable, grâce à ses fonctionnaires de qualité, de légiférer dans l'urgence quand la situation l'exige. L'expertise juridique a déjà été établie l'an dernier : nous savons, par exemple, qu'un gel des loyers exposerait à une censure constitutionnelle. Le rapport à charge sur ce texte dépasse ses enjeux.

La position de nos collègues de gauche est claire : gel ou plafonnement à 1 %. Mais il y a une grande absente : quelle alternative la majorité propose-t-elle si la proposition de loi devait être rejetée ? Faudrait-il accepter une hausse de 6 % ?

Quelle loi proposez-vous pour protéger les Français dès le 1er juillet ? Il s'agit de décider, pas de gloser. Nous regrettons les délais contraints d'examen du texte, et le fait que la concertation n'ait pas été menée faute de temps.

Si le dispositif doit rester exceptionnel, nous devons impérativement le prolonger tant que les Français subiront une inflation exceptionnelle. Le Président de la République a promis de protéger les plus faibles. Le RDPI rejettera la question préalable et votera cette proposition de loi.

Mme Viviane Artigalas .  - (Mme Anne-Catherine Loisier applaudit.) Les effets de l'inflation se font sentir depuis février 2022 et n'épargnent aucun secteur. Des familles doivent choisir parmi leurs postes de dépense ; or le logement ne doit souffrir d'aucune restriction.

Les dépenses de logement peuvent représenter plus de 36 % des dépenses des locataires dans le parc social et 42 % dans le parc privé.

L'expiration du plafonnement à 3,5 % des indices locatifs dans moins d'un mois a conduit le Gouvernement à légiférer, encore une fois, dans l'urgence.

Le choix d'une proposition de loi comme véhicule nous prive de toute étude d'impact sur les conséquences des mesures pour les bailleurs, privés comme sociaux. Nous dénonçons l'absence de mesures de compensation pour ces derniers, alors que leur capacité d'action est entravée par la multiplication par trois de leur taux d'emprunt, calqué sur les taux d'intérêt du livret A, et par l'érosion de 1,3 milliard d'euros du loyer de solidarité.

Nous avions demandé en juin dernier une clause de revoyure après une évaluation des surcoûts pour les bailleurs et les familles. Nous partageons les fortes réserves de la commission et ses critiques envers la méthode du Gouvernement.

Pour autant, les mesures d'aide aux familles fragilisées et aux PME-TPE en souffrance sont indispensables, vu l'inflation.

L'urgence aurait pu être évitée ; votre manque d'anticipation lève le dernier doute, si c'était nécessaire, sur votre absence totale de volonté de lutter contre le mal-logement. Le Gouvernement n'a rien proposé pour les familles modestes, ignorant toutes nos suggestions. Depuis 2017, il a enlevé 11 milliards d'euros au logement par la baisse des APL, la ponction sur Action Logement ou les restrictions d'accès aux PTZ. La proposition de loi anti-squat pénalise ceux qui ont des difficultés à payer leurs loyers et accélère les expulsions, alors qu'en 2022, les retards de paiement de plus de trois mois ont augmenté de plus de 10 % pour la moitié des bailleurs sociaux. Élus et associations attendent un plan d'urgence pour les quartiers populaires. Traiter le logement d'un point de vue comptable coûtera très cher au lien social. Le Gouvernement fait la sourde oreille, dont acte. Mais lorsque la bombe sociale explosera, il en portera la responsabilité ! (Applaudissements à gauche ; MmeBrigitte Lherbier et Valérie Létard applaudissent également.)

Mme Anne-Catherine Loisier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Selon l'USH, deux tiers des offices HLM constatent une augmentation du nombre de ménages en difficulté, liée à l'explosion des prix du gaz et de l'électricité. Prolonger le double plafonnement des loyers ne résoudra pas le problème du logement.

L'effort ne peut peser que sur les propriétaires : ce serait un pari risqué pour la construction et la transition énergétique. Les bailleurs ne peuvent être les variables d'ajustement des enjeux sociaux et climatiques, les palliatifs à l'absence d'une stratégie gouvernementale structurelle.

Le groupe UC demande une remise en cause rapide de la RLS et une revalorisation tout aussi rapide des APL. Ces leviers répondent tant aux besoins d'investissements qu'aux besoins des ménages, mais sans peser sur les petits propriétaires.

L'espoir d'accéder à la propriété anime encore nombre de Français, mais les ventes baissent de 15 % en un an, les coûts de construction explosent, et les taux d'emprunt flambent, dans un contexte de pouvoir d'achat réduit. La priorité est de redonner des marges financières aux Français, pour qu'ils puissent réaliser le rêve de leur vie, et devenir propriétaires de leur logement.

Alors que 2,4 millions de Français attendent un logement social, le nombre de permis de construire a chuté de près de 30 % en un an. Votre Gouvernement va à contre-courant des besoins.

Quant à la méthode, elle traduit une dérive démocratique, comme si le Parlement n'était qu'une chambre d'enregistrement des desiderata du Gouvernement. Nous savons travailler vite et bien : cela vaut mieux que votre méthode bâclée.

Le groupe UC ne votera pas la motion qui nous priverait de débat, mais nous ne voterons pas davantage ce texte partiel et partial qui n'est pas à la hauteur des besoins. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mmes Dominique Estrosi Sassone et Brigitte Lherbier applaudissent également.)

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'adage « les bonnes habitudes ne se perdent pas » ne s'applique manifestement pas au Gouvernement : il préfère une proposition de loi déposée en catimini, qui ne permet ni travaux préparatoires, ni avis du Conseil d'État, ni mesures d'impact. Une seule semaine pour rédiger le rapport, un jour entre la réunion en commission et la séance : comment travailler dans ces conditions ? Les échéances étaient pourtant connues depuis plus d'un an. Si vous aviez été plus réactif, nous n'en serions pas là, monsieur le ministre.

Sur le fond, la question du maintien de ce plafonnement se pose, sachant que l'augmentation des loyers a été de 1,3 % en moyenne, car de nombreux bailleurs ne les augmentent pas. Il faut certes limiter la perte de pouvoir d'achat des Français, mais ils sont principalement touchés par la hausse des prix des produits alimentaires, qu'ils soient locataires ou propriétaires - dans la majorité des cas des Français comme les autres qui ont investi dans la pierre pour un complément de revenu essentiel. La démagogie consistant à placer les bailleurs contre les locataires n'est pas une solution.

Près d'un milliard d'euros d'efforts ont été demandés aux bailleurs ; ceux n'ayant pas revalorisé les loyers seraient très pénalisés. Les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux subiront une baisse de recettes sans compensation, ce qui grèvera leurs capacités de construction.

Ce plafonnement aurait été plus acceptable s'il avait été compensé par des crédits d'impôt, par exemple, mais tel n'est pas le cas. La revalorisation des APL est insuffisante après la baisse de 5 euros, alors qu'une hausse des prestations sociales aurait pu soulager les locataires en difficulté sans peser sur les bailleurs.

Alors que 82 % des Français estiment que le logement devrait être une priorité du Gouvernement, les propositions issues du CNR Logement ne sont pas à la hauteur des enjeux : 42 millions de Français sont en attente d'un logement social et 330 000 sont sans domicile.

Seule la hausse des plafonds d'accès aux baux réels solidaires (BRS) est positive ; encore faudrait-il qu'ils soient adaptés à la réalité des territoires. Certaines propositions sur les zones touristiques ont réussi à mettre vent debout tous les acteurs.

La suppression de la taxe d'habitation entraîne une explosion de la taxe foncière. Les bailleurs ne peuvent plus louer les passoires, mais n'ont pas les capacités de rénover leurs biens. La construction de nouveaux logements est quasi interdite - merci le ZAN. Vous avez parlé de bombe sociale, monsieur le ministre : nous fonçons vers elle tête baissée.

L'observatoire Clameur fait un bilan alarmant de la politique du Gouvernement, qui, en réduisant la rentabilité locative, conduit les investisseurs à rechercher plutôt la plus-value, ce qui accroît le caractère spéculatif du marché.

La protection du pouvoir d'achat est insuffisante, il n'y a pas de mesures luttant contre la crise du logement, les conditions d'examen ne permettent pas de débattre sereinement ; je voterai donc la question préalable. (Applaudissements au banc des commissions)

M. Rémi Cardon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Si nous nous réunissons dans l'urgence, c'est que le Gouvernement n'a pas suffisamment anticipé la question essentielle du logement, qui pèse lourdement dans le budget des ménages.

Les conclusions du CNR Logement confirment ce que nous savons déjà : vous n'êtes pas capables de répondre ni aux Français ni aux professionnels du secteur.

Dans une mauvaise mise en scène, vous offrez un triste spectacle, qu'on pourrait nommer « Convention citoyenne acte II ». L'union sacrée des acteurs était à portée de main : des centaines de propositions pour un logement abordable, redonner de la vigueur au territoire et endiguer le mal-logement, aboutissent à un camouflet.

C'est qu'il y a l'envers du décor : un Président de la République qui qualifie la politique du logement de surdépense publique pour de l'inefficacité collective. Vous dites avoir conscience de la crise - mais quelle crise ! Pas moins de 2,4 millions de personnes attendent un logement social, 330 000 sont sans abri. Il reste sept millions de passoires thermiques, nombre stable depuis cinq ans : ce bilan, c'est aussi le vôtre.

Vous parlez vous-même d'un risque de bombe sociale. Nous attendions donc que vous la désamorciez, mais rien : votre non-politique en matière de logement s'installe depuis des années, en raison de votre austérité et de votre manque de vision. Vous avez grevé les capacités d'investissement des bailleurs sociaux de 1,3 milliard d'euros par an. Votre acte manqué sur le plafonnement n'est qu'un rouage de plus à votre machine à déception, pour reprendre l'un de vos collègues.

Nos maires et élus locaux sont des bâtisseurs ; ils sont les mieux placés pour relancer la dynamique perdue des constructions. Mais vous leur envoyez des signaux négatifs. Il est temps de les écouter. L'impression que ce CNR est un tour de table pour faire des économies est terrible... (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Ne faisons pas de ce texte autre chose que ce qu'il est : une volonté de protéger les petits commerçants et artisans, les propriétaires et les locataires. Je me réjouis d'entendre que le CNR a su faire travailler la totalité des acteurs. Ses conclusions ne sont pas un point final : il y aura une réunion plénière, une transmission au Président de la République, des contributions de François Bayrou.

Un nouvel acte sera la signature de la convention quinquennale avec Action Logement.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Qu'est-ce que cela change ?

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Le pacte de confiance que la Première ministre nous a demandé de conclure avec l'USH nous permettra de redonner des fonds propres aux bailleurs, pour qu'ils produisent et qu'ils rénovent, notamment avec la seconde vie.

L'accession à la propriété est possible grâce aux PTZ. Les promoteurs sont protégés par les 47 000 acquisitions d'Action Logement et de CDC Habitat.

Ce soir, nous avons un débat sur les moyens. Il n'est pas précipité : il fallait attendre de connaître avec précision les chiffres de l'inflation pour ne pas risquer l'inconstitutionnalité.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°5, présentée par Mme Estrosi Sassone, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de la revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs (n° 667, 2022-2023).

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - La commission des affaires économiques a déposé cette motion de procédure après la discussion générale afin de ne pas limiter l'expression des groupes politiques. Chacun a exprimé son opinion et, souvent, son opposition.

La commission propose de rejeter une méthode inacceptable, témoignant du mépris envers le Parlement, et une politique indigente du logement.

Nous dénonçons la fausse urgence entourant l'examen du texte, justifiant cet examen brusqué, qui vise à masquer l'impréparation du Gouvernement alors que les délais sont connus depuis un an. On parle de prolongation, mais le plafonnement de l'ILC est déjà échu : c'est un rétablissement.

Nous dénonçons également le fait que les acteurs soient placés devant le fait accompli : ni concertation ni évaluation. Nous avons voté des mesures d'urgence en juillet dernier, lorsqu'elles se justifiaient : la guerre en Ukraine s'était déclenchée, et malgré l'urgence nous avions débattu d'un projet de loi issu d'une concertation, doté d'une étude d'impact, et dans des délais moins ramassés.

Aujourd'hui, l'inflation donne des premiers signes de repli, mais le Gouvernement pérennise des mesures d'urgence, sans accompagnement dans la durée pour les bailleurs, privés et sociaux, ni garantie pour les locataires d'être accompagnés.

La commission dénonce également l'indigence de la politique du Gouvernement, deux jours après les conclusions du CNR, perçues comme un témoignage de mépris par l'ensemble des acteurs, qui ont travaillé sept mois pour rien. Les réservations auprès des promoteurs atteignent le niveau du printemps 2020, au coeur de la crise sanitaire.

La RLS et la hausse du livret A assèchent les capacités de constructions des bailleurs sociaux. Hier, devant la commission d'enquête rénovation énergétique, Christophe Béchu indiquait qu'un point supplémentaire de livret A équivalait à une nouvelle RLS en plus pour les bailleurs, soit 1,3 milliard d'euros de charges. C'est ce qui nous attend en août !

La maison brûle et on regarde ailleurs, disait Jacques Chirac : c'est ce que m'inspire cette politique de gribouille.

On prolonge le PTZ, mais on le limite aux zones tendues, excluant les maisons et 90 % des communes. Les demandeurs de logements sociaux n'ont jamais été aussi nombreux, mais on continue d'étrangler les bailleurs sociaux qui seraient des dodus dormants. On veut des investisseurs dans le logement locatif intermédiaire, mais on bloque les revenus. Si l'on en croit le président Macron, la France serait un paradis fiscal pour les investisseurs immobiliers ? Drôle de paradis, dans lequel l'État perçoit 90 milliards de recettes pour 38 milliards de dépenses ! Le seul dodu dormant dans ce domaine, c'est le Gouvernement ! (Mmes Valérie Létard et Anne-Catherine Loisier apprécient.)

Sa politique se réduit à deux chiffres : 18 % de demandeurs de logements sociaux en plus, et 81 % de recettes budgétaires supplémentaires issues du logement.

Le parcours résidentiel, symbole d'ascension sociale, est bloqué. Le logement, premier poste de dépenses des ménages, grève le pouvoir d'achat.

J'entends les alertes sur la hausse des charges et sur les impayés de loyers, ainsi que de la baisse de la consommation alimentaire des Français. Mais quelle réponse recevons-nous ? Des mesurettes techniques, sans hausse des APL, et pas d'espérance pour les Français de retrouver du pouvoir d'achat.

Voilà l'ensemble des raisons qui me conduisent à demander au Sénat d'adopter cette question préalable, pour s'opposer à cette législation à la sauvette et à cette politique sans vision ni stratégie. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; Mme Valérie Létard applaudit également.)

M. Serge Babary.  - La motion se justifie sur la forme et sur le fond.

Les échéances étant connues, ce texte est une insulte au travail parlementaire : une semaine de navette ; 24 heures entre commission et séance ; choix d'une proposition de loi excluant une étude d'impact... Nous ne sommes pas la chambre d'enregistrement comptable des oublis du Gouvernement !

Elle se justifie aussi sur le fond. Dans une crise du logement sans précédent, le message pour les propriétaires est délétère et pèsera sur l'investissement locatif ; c'est aussi une mauvaise manière pour les bailleurs sociaux.

Cette proposition de loi n'est pas une réponse adéquate à l'inflation. Bloquer dans l'urgence n'apporte aucune solution. Renvoyons plutôt le Gouvernement à ses responsabilités.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Nous protestons sur la méthode, mais nous devons aussi débattre devant nos concitoyens, notamment sur le gel du loyer que notre groupe propose.

Mme Estrosi Sassone a raison de vouloir sanctionner les conclusions du CNR, mais le débat est aussi l'occasion de rappeler des vérités. Monsieur le ministre, vous ne pouvez dire que vous maintenez le PTZ quand 93 % du territoire n'y aura plus accès, et que les sommes sont divisées par deux !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur.  - Exactement !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Pacte de confiance avec l'USH, dites-vous ? Elle considère qu'aucune de ses demandes n'est prise en compte, et que la négociation d'Action Logement risque de conduire à une baisse des aides à la pierre. Nous souhaitons débattre.

M. Daniel Salmon.  - La question du pouvoir d'achat est de toutes les conversations, et le logement est central. Ne pas en débattre serait un mauvais signal, même si je rejoins la position de la rapporteure : la forme est calamiteuse, cette proposition de loi de dernière minute est un déni du Parlement. Nous privilégions toutefois le débat, c'est le coeur du Sénat.

Mme Viviane Artigalas.  - La méthode du Gouvernement est inacceptable : pas d'étude d'impact ni d'évaluation du dispositif voté il y a un an, aucune concertation avec les acteurs institutionnels, mépris du Parlement et de la société civile. Après six ans, nous y sommes, hélas, habitués.

Cependant, ne nous abstenons pas d'examiner un texte, certes tardif, mais nécessaire pour soutenir ménages et commerces. Le groupe SER votera contre la motion.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.  - J'entends vos arguments, mais voilà déjà 1 heure et demi que nous débattons, avec des arguments opposés mais cohérents. Deux articles, quatre amendements : je ne suis pas certaine que nous sortirons plus éclairés de la discussion si elle se poursuit. (Mme Catherine Di Folco acquiesce.)

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Avis défavorable à la motion.

À la demande du RDPI, la motion n° 5 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°295 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption 146
Contre 196

La motion n'est pas adoptée.

Discussion des articles

ARTICLE 1er

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa de l'article 14 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat est ainsi modifié :

1° L'année : « 2023 » est remplacée par l'année : « 2024 » ;

2° Les deux occurrences du taux : « 3,5 % » sont remplacées par le taux : « 1 % ».

M. Daniel Salmon.  - Les commerçants consacrent parfois jusqu'à 20 % de leur chiffre d'affaires aux loyers, dans un contexte de hausse du prix des matières premières et de l'énergie. La hausse de l'ILC a déjà entraîné de nombreuses fermetures. Il faut la contenir à 1 % pour endiguer la vague de faillites.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur.  - Le taux de 3,5 % est un compromis entre la fluctuation liée à l'inflation et le gel. Sans nier les difficultés des commerces, leurs propriétaires subissent aussi les hausses de charges, ne serait-ce que la revalorisation des valeurs locatives, qui n'est pas plafonnée.

En moyenne, le loyer représente 16 % des charges des commerces, qui souffrent à mon avis davantage de la perte de pouvoir d'achat des Français. Avis défavorable.

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Le taux de 3,5 % est une proposition équilibrée et constitutionnelle, respectueuse du cadre du droit des contrats. Avis défavorable.

M. Daniel Salmon.  - La fragilisation des commerces est multifactorielle, mais le loyer en fait partie. Les propriétaires ont plus de capacités de résilience.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'amendement n°6 rectifié n'est pas défendu.

L'article 1er n'est pas adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Rédiger ainsi cet article :

Les quatrième à douzième alinéas de l'article 12 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« II.  -  L'indice de référence des loyers s'établit, jusqu'au premier trimestre 2024, au niveau de l'indice publié le 16 avril 2023 au Journal officiel. »

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Je plaide pour un gel des loyers.

J'entends les difficultés des bailleurs privés, mais ils sont résilients. De 1984 à 2018, les loyers ont été multipliés par 2,5, après inflation : aucun autre revenu n'a connu pareille progression. Le résultat brut courant par logement, charges déduites, a triplé.

En outre, les propriétaires bailleurs sont de plus en plus multipropriétaires et à revenu élevé. Nous pouvons donc geler les loyers en parallèle d'une régulation plus générale des prix du logement.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 12 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat est ainsi modifié :

1° Le II est ainsi modifié :

a) Les mots : « deuxième trimestre de l'année 2023 » sont remplacés par les mots : « premier trimestre de l'année 2024 » ;

b)  Le taux :« 3,5 % » est remplacé par le taux : « 1 % » ;

2° Le III est ainsi modifié :

a) Les mots : « deuxième trimestre de l'année 2023 » sont remplacés par les mots : « premier trimestre de l'année 2024 » ;

b)  Le taux : « 2,5 % » est remplacé par le taux : « 1 % » ;

3° Au premier alinéa du IV, les mots : « deuxième trimestre 2023 » sont remplacés par les mots : « premier trimestre de l'année 2024 ».

M. Daniel Salmon.  - Les plus précaires sont les premiers touchés par l'inflation : la fréquentation des banques alimentaires augmente de 22 %, les impayés d'énergie de 10 %. Le plafonnement des loyers ne suffit pas.

Depuis 2017, l'État a économisé 4,2 milliards d'euros par an sur les APL, et ponctionne 1,3 milliard sur la RLS. Confrontés à une nouvelle hausse, les locataires ne pourront bientôt plus respecter leurs échéances et s'assurer un logement digne.

Pourquoi proposons-nous 1 %, et non un gel ? Pour envoyer un signal aux propriétaires, qui devront investir dans la rénovation thermique.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur.  - Je comprends les inquiétudes des locataires et déplore l'absence de toute garantie de revalorisation des APL et du forfait charges dans ce texte. Cependant, le plafonnement de l'IRL à 3,5 % résulte d'un compromis équilibré. N'allons pas au-delà, surtout au regard des besoins d'investissement et de rénovation du parc privé.

Pour le parc social, la compensation devrait selon nous passer par un allégement ou une suppression de la RLS, mais le Gouvernement a rejeté cette option. Avis défavorable aux deux amendements.

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Pour assurer une réponse équilibrée entre propriétaires et locataires, restons à 3,5 %. Avis défavorable.

L'amendement n°1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°3.

L'article 2 n'est pas adopté.

APRÈS L'ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l'opportunité de réviser le mode de calcul de l'Indice de référence des loyers. Il évalue notamment l'opportunité de ne plus le corréler à l'inflation et fait des propositions afin que son évolution protège mieux les locataires et soit mieux corrélée aux charges réelles des propriétaires bailleurs.

M. Daniel Salmon.  - Nous demandons un rapport sur les hypothèses de révision de la méthode de calcul de l'IRL, bien désuète. L'inflation révèle les problèmes structurels de ce système dépassé, dont la formule date de 1986. La révision de 2008 n'y a rien chargé, l'IRL ne tenant toujours pas compte des disparités géographiques.

La méthode de calcul actuelle, qui dépend de l'évolution des prix, conduit à augmenter directement les loyers. Interrogeons-nous sur ses modalités et réfléchissons à un nouveau mode de calcul.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur.  - Nonobstant notre position sur les rapports, la question de la pertinence du mode de calcul de l'IRL est posée. La loi Quilliot de 1982 a conduit à réévaluer les loyers selon l'indice des coûts de la construction, dans un contexte de forte inflation et d'extinction du régime de 1948. Lorsque l'indice baissait, il dissuadait l'investissement ; lorsqu'il augmentait, c'était parfois plus que l'inflation. D'où la création de l'IRL en 2005, qui lisse l'indice des prix à la consommation. C'est l'indicateur le plus large pour retracer l'évolution des coûts des propriétaires et des revenus des locataires.

En parallèle, les locataires devraient bénéficier d'une hausse des APL, calculée sur l'IRL, et de leur salaire ; or ce n'est pas le cas. Quant aux propriétaires, ils supportent la hausse des charges, dont la taxe foncière.

Avis défavorable, même si je reconnais l'intérêt d'un tel travail de fond. Une commission parlementaire pourrait se saisir de la question.

M. Olivier Klein, ministre délégué.  - Retrait ou avis défavorable. Le mode de calcul de l'IRL tient compte des prix sur douze mois, hors tabac, ce qui nous semble être la méthode la plus pertinente.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Un rapport servirait de base à une réflexion stratégique. Non, monsieur le ministre, suivre l'inflation n'est pas un bon calcul. Lorsqu'il y avait indexation automatique des salaires et un faible taux de chômage, l'effet inflation était faible ; c'est alors qu'on a survalorisé l'évolution du coût des travaux. Quand l'inflation a chuté, on s'est tenu à celle-ci.

Le paradigme est nouveau, avec d'importants travaux de rénovation énergétique à mener. Nous plaidons pour l'indexation des salaires sur l'inflation, même si nous sommes un peu seuls. Une réflexion stratégique est impérative.

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Nominations à une éventuelle CMP

M. le président.  - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l'éventuelle commission mixte paritaire sur ce texte ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

La séance est suspendue quelques instants.