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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Mise au point au sujet d'un vote
Biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (Procédure accélérée)
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure de la commission de la culture
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture
Mises au point au sujet d'un vote
Instaurer une majorité numérique (Procédure accélérée)
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'enfance
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure de la commission de la culture
Modifications de l'ordre du jour
Ordre du jour du mercredi 24 mai 2023
SÉANCE
du mardi 23 mai 2023
89e séance de la session ordinaire 2022-2023
Présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente
Secrétaires : M. Dominique Théophile, Mme Corinne Imbert.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté sous les réserves d'usage.
Hommages
Mme la présidente. - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, se lèvent.) Nous avons appris avec une vive émotion le terrible accident de dimanche matin dans le Nord, près de Villeneuve-d'Ascq : un choc entre véhicules a entraîné la mort d'une policière et de deux policiers du commissariat de Roubaix, âgés de 24 et 25 ans.
Avec la même émotion, nous avons appris la violente agression au couteau, hier au CHU de Reims, d'une secrétaire médicale, grièvement blessée, et d'une infirmière, décédée la nuit dernière.
Au nom du Sénat tout entier, je leur rends hommage et présente à leur famille nos condoléances les plus attristées. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, observent un instant de recueillement.)
Décès d'un ancien sénateur
Mme la présidente. - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Madelain, sénateur d'Ille-et-Vilaine de 1980 à 1998.
Ferme France (Suite)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, présentée par MM. Laurent Duplomb, Pierre Louault, Serge Mérillou et plusieurs de leurs collègues.
Explications de vote
M. Laurent Duplomb . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Claude Malhuret applaudit également.) Sur ces travées, nous ne proposons pas tous les mêmes solutions et n'avons pas tous la même vision de l'agriculture française. Les débats de la semaine dernière ont fait apparaître des positions clairement antagonistes sur plusieurs articles de cette proposition de loi.
Mais je crois à la liberté d'opinion et à la confrontation des idées. Il est sain que ces divergences aient pu s'exprimer : c'est peut-être ce qui nous a manqué ces six dernières années, avec la prétention d'un pouvoir omniscient à dépasser tout clivage.
M. François Patriat. - Ça commence mal...
M. Laurent Duplomb. - Malgré une offensive médiatique injuste dénonçant une profonde régression consumériste, un cheval de Troie de l'agro-industrie ou une lettre au père Noël de la FNSEA,...
Plusieurs voix sur les travées du groupe SER. - C'est vrai !
M. Laurent Duplomb. - ... nous avons su montrer l'exemple : la ruralité nous sera reconnaissante d'avoir discuté longuement de ses problèmes de normes et de charges, ainsi que des impasses techniques auxquelles elle fait face, avec des arguments sérieux et tirés de la réalité quotidienne.
Il est dommage que nous ne nous entendions pas au moins sur le diagnostic. Si les constats de notre désindustrialisation et de notre dépendance énergétique sont désormais largement partagés, je regrette qu'une forme de déni persiste sur l'agriculture. Certains pèchent encore par naïveté, d'autres sont frappés de cécité idéologique. (Exclamations à gauche)
Risques de black-out ? Ruptures d'approvisionnement en composants industriels critiques ou en paracétamol ? Les mêmes phénomènes sont à l'oeuvre dans le domaine agricole.
L'histoire pourrait ressembler, comme l'écrit Géraldine Woessner, à un conte pour enfants dans lequel les habitants d'un pays comblé par la nature en viennent à se persuader que les bienfaits sous lesquels ils croulent sont le fruit non pas du labeur des générations précédentes ou du climat, mais de leur propre vertu : à force d'aveuglement, ils finissent par détruire leur trésor.
M. Bruno Retailleau. - Très bien !
M. Laurent Duplomb. - La recommandation de la Cour des comptes visant à réduire le cheptel de vaches françaises est la preuve de cet aveuglement. Et on s'étonnera, après, du creusement de notre déficit commercial ?
Cette proposition me rappelle ce propos de Tocqueville : « Cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu'il entend se substituer à eux dans l'organisation de leur propre vie. Ira-t-il jusqu'à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d'eux-mêmes ? Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. » (On apprécie la référence sur plusieurs travées à droite.)
Est-ce à la Cour des comptes de dire aux Français ce qu'ils doivent manger (vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC), alors qu'elle est incapable d'inverser la spirale de la dette ? (Protestations sur certaines travées à gauche)
M. Hussein Bourgi. - Ce serait le rôle du Gouvernement !
M. Laurent Duplomb. - Le rapport que j'ai réalisé l'an dernier avec MM. Louault et Mérillou confirme notre déclassement à partir de l'analyse de cinq produits emblématiques. Je salue le courage de M. Mérillou, qui n'a rien cédé à l'intimidation de l'écologisme dogmatique. (Exclamations sur les travées du GEST ; M. Franck Menonville applaudit.)
Non, nous ne sommes à la solde de personne, contrairement à ce qu'affirme le président d'UFC-Que choisir - qui ferait mieux de s'occuper du pouvoir d'achat des Français, en particulier des 16 % qui déclarent ne plus manger à leur faim ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Franck Menonville, Daniel Chasseing et Pierre Louault applaudissent également.)
Je me réjouis du caractère jusqu'au bout transpartisan de ce texte.
Reste que, ce texte adopté en première lecture, notre oeuvre ne sera pas achevée. Certains journalistes ont présenté notre proposition de loi comme un moyen de modifier le champ de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas.
M. Thomas Dossus. - C'est un peu vrai...
M. Laurent Duplomb. - Mais ce n'est pas la fenêtre d'Overton que nous avons ouverte : nous avons ouvert les yeux devant la réalité ! (On apprécie la formule sur les travées du groupe Les Républicains ; murmures sur plusieurs travées à gauche.)
Par vos votes de la semaine dernière, vous avez prouvé, dans votre grande majorité, que vous n'avez pas peur. J'appelle à les députés suivre votre exemple, mais aussi le ministre de l'agriculture, dont le soutien n'a pas été à toute épreuve, sauf sur le livret Agri et l'épandage par drones. (On ironise à gauche et sur certaines travées à droite.)
Car il faudra trouver une traduction concrète aux mesures que, dans sa grande majorité, le Sénat s'apprête à adopter : inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ou injection dans le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles attendu pour l'automne - l'avenir le dira. En tout cas, je ne lâcherai rien, nous ne lâcherons rien (exclamations à gauche) pour que ce texte poursuive son chemin, celui de l'espoir et de la fierté retrouvés. (On signale à gauche que l'orateur a dépassé son temps de parole.) Votons pour que vive notre agriculture française ! (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains, sur de nombreuses travées du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe UC)
Mme la présidente. - Je salue la présence en tribune d'auditeurs de l'Institut des hautes études de défense nationale. (Applaudissements sur plusieurs travées)
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Depuis 2019, la France ne produit plus autant que ce qu'elle consomme. Inédite, la situation interroge : comment en est-on arrivé à pareille aberration ?
Au pays de Sully, est-il normal de voir nos agriculteurs continuellement stigmatisés ? De subir un intégrisme écologique qui nous empêche de profiter des dernières innovations agro-technologiques ? De livrer en pâture nos agriculteurs aux agités des réseaux sociaux, dont les délires utopistes nous éloignent des réalités de cette noble profession ? De surtransposer les directives, pénalisant nos agriculteurs face à la concurrence européenne ? De devoir batailler sans cesse pour faire admettre des mesures de bon sens ?
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, du réchauffement climatique et compte tenu des prévisions démographiques, notre agriculture doit absolument prendre un nouveau virage. Nous devons produire plus et mieux, alors que stress hydrique et catastrophes naturelles iront croissant.
Trop souvent, les médias n'écoutent que les détracteurs de notre modèle agricole et les marchands de peur. Il est facile de s'émouvoir des contrats signés avec les autres continents, mais le danger ne vient pas toujours d'ailleurs. Nos principaux concurrents pour les productions bovine et maraîchère sont à nos portes...
L'Europe doit se doter d'un cadre législatif harmonisé pour peser sur les marchés mondiaux : il y va de la survie de notre production nationale et européenne.
La recherche de compétitivité prévue au titre Ier de la proposition de loi est une priorité absolue. Nous soutenons la consécration de la souveraineté alimentaire comme un intérêt fondamental de la Nation et la création d'un fonds spécial de soutien à la compétitivité des secteurs en difficulté. L'investissement, le « produire local » et la réorganisation des filières doivent nous permettre de relancer la productivité de la ferme France.
Je salue les crédits d'impôts pour l'investissement et le livret Agri prévus au titre II, mesures indispensables à la modernisation de nos exploitations. Nous ne pouvons plus nous en tenir aux discours rétrogrades des adeptes de l'agriculture de grand-papa ! Cessons de trembler devant des exploitations de dimension plus importante, car seule la rentabilité de ces structures permettra l'attractivité de la profession. Trop d'agriculteurs, isolés et peu soutenus, finissent par renoncer.
Je me félicite de la dérogation à l'interdiction de pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques, qui illustrait le refus du progrès : ce système permet d'épandre moins de produits et représente une sécurité indispensable dans les zones collinaires.
L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et les écoles d'agriculture et d'agronomie ne cessent de nous montrer le bénéfice des évolutions technologiques. Ainsi, la surveillance satellitaire des cultures permet d'épandre beaucoup moins de produit en ciblant mieux les zones.
Les discussions ont été vives sur les prérogatives de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Enviée à l'étranger, cette agence est à l'origine du concept - révolutionnaire, à l'époque - de phytopharmacovigilance. Rapporteur pour avis du projet de loi Égalim I, j'avais demandé que son avis soit davantage pris en compte. Il convient d'augmenter ses crédits pour débloquer plusieurs dossiers d'autorisation de mise sur le marché de start-up proposant des molécules très novatrices, notamment dans le domaine des biocontrôles.
Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Exact !
M. Pierre Médevielle. - En matière de produits phytopharmaceutiques, nous avons commis des erreurs, mais la qualité des expertises progresse. S'imaginer qu'on pourrait vider complètement la trousse à pharmacie relève de l'idéologie et du fantasme : il y aura toujours des attaques bactériennes, fongiques ou d'insectes - je pense aux attaques de la pyrale du buis dans le Sud-Ouest...
Cessons les polémiques idéologiques dont la profession à trop souffert ces dernières décennies. Nous voterons ce texte qui contient plusieurs mesures de bon sens, nécessaires à la modernisation de notre agriculture. Nous aurons bientôt d'autres débats essentiels, dont celui de l'eau. Fin connaisseur des sujets agricoles, le Sénat doit jouer à plein son rôle de créateur de solutions, dans le seul intérêt de l'agriculture française. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Joël Labbé . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Angèle Préville et Émilienne Poumirol applaudissent également.) Choc de régression, cheval de Troie de l'agro-industrie, proposition de loi d'un autre temps... Ces mots sont ceux des associations paysannes, environnementales et de consommateurs, pour décrire les reculs contenus dans ce texte.
Mme Sophie Primas, rapporteur. - Ce sont les vôtres !
M. Joël Labbé. - Ce texte choque ceux qui, depuis des années, travaillent à construire un modèle agricole plus durable et équitable.
De fait, les reculs sont nombreux : remise en cause de l'Anses, mise en balance de la santé et de l'environnement avec les enjeux économiques, épandage par drone, fin de la séparation entre vente et conseil pour les pesticides, priorisation du stockage de l'eau pour l'irrigation sans réflexion sur le partage de la ressource. (Mme Sophie Primas le conteste.) En outre, dans un contexte de tensions sociales, ce texte réforme Pôle emploi et le cumul RSA-revenus d'activité au détriment des droits sociaux.
Dans les concertations sur la loi d'orientation et d'avenir agricole, la transition agroécologique est bien présente. Or ce texte l'ignore complètement, opérant un dangereux déplacement du débat vers l'objectif unique de compétitivité prix.
Les solutions proposées ne répondent pas aux questions du revenu des agriculteurs et de la hausse des importations. La course au moins-disant accélérera notre dépendance aux intrants importés, dont le coût explose.
La solution réside dans la régulation des marchés, la sortie des accords de libre-échange et une répartition équitable de la valeur, ainsi que dans le rééquilibrage des aides PAC et une relocalisation volontariste de l'alimentation. Je déplore l'abandon du chèque alimentation durable, bénéfique pour les agriculteurs et nos concitoyens en cette période d'explosion de la précarité. Nous continuerons de défendre une sécurité sociale de l'alimentation conjuguant droit à une alimentation durable et rémunération équitable des agriculteurs.
L'agroécologie, combinée à des politiques alimentaires fortes, permettra de réussir la transition. Malheureusement, 1 % seulement de la dépense publique agricole soutient la sortie des pesticides. Quant à ce texte, il ne contient pas une seule ligne sur l'agriculture biologique...
Le directeur de l'Inrae insiste sur la nécessaire stabilité des politiques publiques et estime possible de sortir des produits phytosanitaires d'ici à 2050. Seulement, pour cela, il faut un budget de recherche : or celui de Bayer est quatre fois supérieur à celui de l'Inrae !
Bien que caricaturées, nos propositions portent parfois leurs fruits. Sur l'application de la loi Égalim en restauration collective, les annonces récentes du Gouvernement semblent aller dans le bon sens. (M. le ministre lève les bras au ciel.) Il en va de même pour le soutien à l'agriculture bio, même si les financements annoncés restent insuffisants.
Nous sommes fermement opposés à ce texte et resterons combatifs pour que les débats sur la loi d'orientation et d'avenir agricole permettent de construire de véritables solutions pour notre agriculture.
Dans les quelques minutes qui me restent...
Nombreuses voix à droite. - Quelques secondes !
M. Joël Labbé. - ... je parlerai des projets alimentaires territoriaux, obtenus dans la loi de 2014 et qui jouent bien leur rôle. Un voeu pieux : que tout le territoire soit couvert par ces projets. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER ; M. Éric Gold applaudit également.) Utopie, me direz-vous ? Je vous répondrai : c'est l'utopie qui nous sauvera la vie. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur de nombreuses travées du groupe SER ; Mme Laurence Cohen et M. Frédéric Marchand applaudissent également.)
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Du rapport de l'automne dernier à aujourd'hui, le chemin parcouru est positif. Ne cédons pas à l'opposition stérile entre les modèles et à la caricature d'une agriculture productiviste, dont la France est loin.
Il nous faut restaurer la puissance agricole de la France après plusieurs décennies de déclin, tout en relevant le défi du changement climatique. Adapter notre modèle à la raréfaction de la ressource en eau, assurer le renouvellement des générations et garantir notre souveraineté alimentaire sont des priorités vitales. La future loi d'orientation et d'avenir permettra d'aborder ces sujets.
De nombreux producteurs français ont fait le choix du bio ou de productions de qualité, avec des prix plus rémunérateurs. Les jeunes agriculteurs ont souvent la volonté de participer au changement : nous devons les accompagner, car leur réussite sera la nôtre !
C'est le sens du renforcement du plan de soutien à l'agriculture bio à hauteur de 60 millions d'euros. D'ici à la fin de l'année, nous respecterons les objectifs de 50 % de produits sous signe de qualité et de 20 % de produits bio dans la restauration collective.
Mais il nous faut accompagner tous les agriculteurs, pas seulement ceux en agriculture biologique. Tous les agriculteurs ont leur métier à coeur et la volonté de nourrir au mieux les Français.
Notre objectif est clair : poser des bases durables pour la puissance agricole et la souveraineté alimentaire de la France au XXIe siècle. C'est le sens de notre engagement depuis six ans au côté du Gouvernement, pour que les transitions nécessaires s'engagent rapidement et de manière pragmatique.
Nous sommes convaincus que certains articles de cette proposition de loi pourront être intégrés dans la loi d'orientation et d'avenir agricole. Je pense notamment à l'article 9, qui assure une meilleure reconnaissance des externalités positives de l'agriculture en matière de stockage du carbone. Je songe aussi à l'article 16, qui renforce les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) et y introduit une concertation pour créer du consensus autour de la gestion de l'eau.
À l'article 8, sur l'épandage par drone, le dispositif proposé par Mme la rapporteure est très bien cadré : seules seront concernées les surfaces en pente et l'agriculture de précision ; l'évaluation par l'Anses pourra déboucher sur une dérogation de cinq ans, permettant d'exploiter le potentiel de cette technologie en matière de réduction de l'usage des produits phytosanitaires. Cet équilibre préserve l'innovation au service de la transition et de la compétitivité de notre agriculture.
Cependant, des points de blocage subsistent, comme l'article 15. Nous devons adapter à la raréfaction de l'eau nos modes de production et l'aménagement de nos territoires. Les ouvrages de stockage auront une importance majeure pour remplir ces deux objectifs. Mais chaque projet est différent : à chaque territoire, donc, de s'organiser. La déclaration d'intérêt général majeur prévue à l'article 15 nous paraît ainsi disproportionnée.
Quant aux mesures liées au travail et à la fiscalité, intéressantes et parfois pertinentes, elles relèvent de la loi de finances ou de la loi Travail. Je pense notamment à la pérennisation du TO-DE, à laquelle nous sommes attachés pour offrir aux agriculteurs une meilleure visibilité.
La compétitivité de l'agriculture n'est pas un gros mot, la préservation de l'environnement non plus. Pour assurer demain notre souveraineté alimentaire, nous devons agir aujourd'hui pour la qualité de nos sols, de nos savoir-faire et de nos produits.
Le groupe RDPI laisse à ses membres la liberté de se déterminer sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme le rapporteur applaudit également.)
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du GEST) Les huit heures de débat sur ce texte auront permis de clarifier les divergences entre la droite sénatoriale et les groupes de gauche. Mais je regrette que le débat parlementaire ait été aussi bref, et mené sans étude d'impact, sur des sujets aussi centraux.
Dès la discussion générale, nous avons compris la stratégie de la majorité sénatoriale : imposer des concepts, à la définition imprécise, dans la perspective de la loi en cours de préparation.
Sur bien des points, ce texte marque un retour en arrière. Monsieur le ministre, vous l'avez dans un premier temps vigoureusement défendu, avant d'adopter une position plus modérée, comme en témoignent vos avis favorables à nos amendements de suppression des articles 6, 7, 11, 13, 15, 17 et 22.
Vous avez appelé à ne pas tomber dans la caricature, vous tournant le plus souvent vers notre côté de l'hémicycle. Or la lecture des comptes rendus des débats montre que la caricature et le simplisme n'étaient pas de notre côté !
Pour nous aussi, la compétitivité n'est pas un gros mot. Nous avons démontré que les exploitations agroécologiques peuvent être parfaitement compétitives et rentables, tout en préservant la santé de l'agriculteur et son environnement. (Applaudissements sur des travées du groupe SER et du GEST)
Il est anormal qu'un texte sur notre modèle agricole ne mentionne jamais l'agriculture biologique et l'agroécologie. Les maigres ajouts que nous avons obtenus, comme le rapport sur les paiements pour services environnementaux, sont des premiers pas, mais ne contrebalancent pas la teneur générale du texte.
Je rappelle notre opposition aux mesures fiscales proposées, qui ne bénéficieront ni aux agriculteurs en difficulté ni à ceux qui débutent. Pour favoriser l'installation d'agriculteurs, réfléchissons plutôt au renforcement des mesures ciblées et limitées dans le temps, plutôt qu'au relèvement de plafonds pour ceux qui peuvent déjà mettre de côté des sommes importantes.
M. Laurent Duplomb. - Ça, on ne l'oubliera pas !
M. Jean-Claude Tissot. - Nous sommes opposés aussi à la réécriture du droit du travail. Nous sommes conscients des besoins spécifiques et avons soutenu le TO-DE, mais la généralisation du cumul RSA-emploi nous paraît à contresens des attentes des agriculteurs et des salariés agricoles. Il faut mettre l'accent sur la formation au lieu de précariser davantage le marché du travail. Les positions prises par le Gouvernement sont très inquiétantes : espérons que le futur projet de loi Travail ne sera pas de la même teneur...
Nous regrettons profondément, monsieur le ministre, la publication en catimini d'un décret redéfinissant le statut d'agriculteur actif. C'est une porte ouverte à la financiarisation sans limite de l'agriculture. (M. le ministre soupire.)
Cette proposition de loi comporte de nombreuses dispositions rétrogrades pour la préservation de notre environnement, mais aussi pour la santé humaine. Sur ces sujets, monsieur le ministre, vous avez adopté des positions différentes, soutenant l'article 8 mais vous opposant aux articles 13 et 18. Alors que le Gouvernement réfléchit à des solutions pour adapter la France à une hausse de quatre degrés des températures, il serait peut-être bon de tenir un discours plus cohérent. Je rappelle que l'agriculture représente 21 % des émissions de gaz à effet de serre ; elle est aussi la première victime du changement climatique.
Déclarer d'intérêt général majeur par principe un projet de stockage d'eau est la marque d'une vision idéologique : vous voulez privatiser l'eau au profit de quelques-uns...
Mme Sophie Primas, rapporteur. - C'est n'importe quoi !
M. Jean-Claude Tissot. - ... alors qu'il faut en faire un bien commun.
Nous voterons contre cette proposition de loi. Nous aussi, monsieur Duplomb, nous voulons aider les 16 % de Français qui déclarent ne pas manger à leur faim. Mais nous ne pouvons pas nous résoudre à leur fournir des aliments de faible qualité, qui ne seraient que des bombes à retardement sanitaires produites par des agriculteurs étranglés par le marché. Nous voulons une restructuration de notre modèle agricole, avec une véritable répartition de la valeur et un accompagnement public des transitions nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE)
M. Fabien Gay . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Hussein Bourgi applaudit également.) Si nous ne partageons presque rien du contenu de ce texte, il a au moins une vertu : parler de la France rurale, cette France des paysannes et des paysans qui se sentent ignorés, voire conspués...
M. Laurent Duplomb. - C'est vrai ! Par qui ?
M. Fabien Gay. - ... alors qu'ils remplissent une mission d'intérêt général et sont seuls face à la transition climatique. Ils sont les premiers sacrifiés dans les traités de libre-échange.
N'opposons pas agriculture conventionnelle et agriculture biologique.
La première, de grande qualité, nourrit une grande majorité de la Nation, et est souvent stigmatisée. Il faut produire toujours plus, toujours mieux et toujours moins cher, face à des pays dont les normes sont inférieures aux nôtres. On ne soigne pas le libéralisme par l'ultralibéralisme. C'est tout le système qu'il faut changer : nous devons sortir du schéma de l'agrobusiness.
Ne raillons pas l'agriculture biologique, mais aidons-la pour qu'elle soit accessible à toutes et tous ; demain, elle deviendra la norme.
Attaquons-nous plutôt à la puissance des centrales d'achat et des industriels. De l'autre côté de la chaîne, il faut augmenter les salaires des consommateurs.
Continuer à appauvrir les sols avec des pesticides (M. Laurent Duplomb s'exclame) ne relève pas d'une vision de long terme.
Les drones n'y changeront rien. Rejeter l'avis de l'Anses n'est pas sérieux : si cette instance avait existé il y a 40 ans, nous aurions interdit le chlordécone aux Antilles. (M. Victorin Lurel renchérit.)
Conditionner le versement du RSA à 15 ou 20 heures de travail agricole ne va pas dans le bon sens. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Mme Sophie Primas, rapporteur. - Ce n'est pas obligatoire !
M. Fabien Gay. - On ne résoudra pas le départ à la retraite de la moitié des exploitants agricoles avec ces solutions d'un autre temps. Il faut moderniser les pratiques !
Déjà quatre villages sont privés d'eau : il n'est pas sérieux de généraliser les projets de bassines, car l'eau est un bien commun et doit sortir du secteur marchand. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
Il faut sortir des traités de libre-échange : nous voulons commercer, mais sur une base équilibrée.
Le Gouvernement prétend être exemplaire, évoquant les clauses miroirs. Mais voyez l'accord conclu l'an dernier avec la Nouvelle-Zélande : ce pays est le premier importateur mondial de tourteaux de palme, une monoculture qui conduit à la déforestation des forêts primaires. On encourage ailleurs ce qu'on interdit chez nous ! Nous allons importer des milliers de tonnes de viande contenant des produits phytosanitaires interdits en Europe depuis des années, car cancérigènes. Voilà ce que sont les clauses miroirs...
S'il y a bien un scandale, c'est que le CETA s'applique à 90 %, sans ratification du Parlement. Puisque le Gouvernement refuse d'inscrire cette ratification à l'ordre du jour, nous vous faisons une proposition : inscrivons le projet de loi dans l'un de nos espaces réservés et votons contre ! Cela redonnerait du pouvoir au Parlement, si souvent piétiné par ce gouvernement, rendrait un grand service aux agriculteurs et ouvrirait une nouvelle ère pour nos relations commerciales. Chiche ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur de nombreuses travées du groupe SER et du GEST)
M. Pierre Louault . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains) Après la remise de notre rapport, Serge Mérillou, Laurent Duplomb et moi-même avons jugé nécessaire de déposer cette proposition de loi pour réparer notre agriculture, dans une situation alarmante.
Je salue le travail de la rapporteure. Monsieur Duplomb, on choisit de voir la bouteille à moitié pleine ou à moitié vide... Pour ma part, je trouve que le ministre est allé dans le bon sens et je salue sa collaboration. (M. Laurent Duplomb ironise.)
Les surtranspositions sont la plaie principale de notre agriculture. Les agriculteurs, comme les entreprises, n'en peuvent plus de cette réglementation à n'en plus finir. Je pense à des arboriculteurs bio qui ont dû laisser perdre leur production, une loi scélérate les empêchant de la protéger. On veut toujours en faire plus dans l'imbécilité !
On ne nourrira pas huit milliards d'êtres humains avec les méthodes qui permettaient d'en nourrir un milliard. On a érigé le Sri Lanka en modèle, mais ça a duré deux ans...
M. Laurent Duplomb. - C'est vrai !
M. Pierre Louault. - Ensuite, la production a diminué de moitié, plongeant un tiers du pays dans la famine. Revenons aux réalités ! (Applaudissements sur de nombreuses travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)
Je suis très favorable à une agriculture plus respectueuse de l'environnement, mais il ne s'agit pas de copier les méthodes du XIXe siècle. (Protestations à gauche) Seules les technologies amélioreront la situation (On le conteste sur les travées du GEST), or vous ne voulez pas en entendre parler ! (Nouvelles protestations à gauche)
Les recettes des agriculteurs sont trop faibles : ils ne peuvent plus investir. J'espère que le livret Agri permettra de rapprocher la population de nos agriculteurs.
Par ailleurs, ne soyons pas toujours contre la productivité et contre l'utilisation de l'eau, alors que depuis vingt ans, les gouvernements s'acharnent à mettre les rivières à sec et à vider les nappes par siphonnage. On a mis le feu, puis on crie au feu ! Il faut un peu moins de doctrine et un peu plus de réalisme pour passer l'été prochain.
J'en viens aux salariés agricoles. Je citerai l'Internationale : « Ouvriers, paysans, nous sommes le grand parti des travailleurs ; la terre n'appartient qu'aux hommes, l'oisif ira loger ailleurs ». (Protestations à gauche ; M. Ronan Dantec se prend la tête entre les mains.) Donnons l'occasion aux oisifs de revenir au travail et de contribuer à nourrir la Nation ! (Protestations et marques de consternation à gauche ; on sourit sur des travées du groupe Les Républicains.)
La passion qui nous anime tous témoigne de l'importance que notre assemblée accorde à l'agriculture et à sa compétitivité. Je salue tous ceux qui y ont participé à l'élaboration de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean Louis Masson . - Tant sur la forme que sur le fond, je suis réservé sur ce texte.
La forme, d'abord : le site du Sénat présente cette proposition de loi comme transpartisane, un mot à la mode dans les médias. Mais sur les 175 signataires du texte, 166 appartiennent aux groupes Les Républicains et UC. À titre personnel, je n'ai pas pu m'associer à cette initiative, n'en ayant pas été informé. C'est, en réalité, un texte partisan.
Par ailleurs, la procédure du scrutin solennel est utilisée pour les textes très importants : je suis surpris que ce texte en bénéficie. (M. Olivier Paccaud se récrie.) Mais les élections sénatoriales approchent : ceci explique peut-être cela... (Applaudissements sur plusieurs travées du GEST)
Certaines propositions de ce texte sont au demeurant intéressantes.
M. François Bonhomme. - Merci !
M. Jean Louis Masson. - D'autres sont politiciennes. Quand on veut étouffer un problème, on crée une commission. Et quand on veut faire du vent médiatique, on nomme un Haut-Commissaire auprès du ministre de l'agriculture !
Sera-t-il un magicien réglant tous les problèmes ? Monsieur le ministre, je serais inquiet à votre place : à quoi servirez-vous s'il faut un haut-commissaire à vos côtés ? (Sourires ; Mme Laurence Harribey applaudit.)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP ; M. Pierre Louault applaudit également.) Une fois encore, nous voilà réunis pour parler du déclin de l'agriculture et de ses causes multifactorielles, ainsi que pour regretter l'absence de politique transversale dans ce domaine.
Je remercie les auteurs du texte pour leur engagement, mais je milite depuis des années pour une loi qui prenne en compte tous les enjeux de l'agriculture : services publics, protection de l'environnement, foncier, ressource en eau, emplois non localisables, sauvegarde des paysages, etc. Les dissocier conduit à des politiques morcelées dont la compétitivité est oubliée.
On oppose souvent l'économie et l'écologie ; c'est une erreur : les politiques agricoles ne doivent pas être envisagées par le petit bout de la lorgnette.
Avec le réchauffement climatique, des milliers d'espèces d'oiseaux ont disparu, certaines communes du sud doivent être ravitaillées en eau potable. Il faut raisonner globalement sur la gestion de l'eau.
Le triptyque santé, économie et environnement doit être au coeur de l'argumentation, car nous avons un devoir moral envers les générations futures.
Il y a de la place pour toute agriculture sincère : je pense au bio, qui a bénéficié des aides de la PAC, et qui traverse la même crise que l'agriculture conventionnelle par le passé. Certains agriculteurs pensent à revenir sur leur conversion ; c'est une erreur. Il faut soutenir cette filière.
Les organisations professionnelles doivent se solidariser : il n'y a pas de stratégie nationale dans le secteur du vin, par exemple, mais des concurrences entre appellations que nous ne pouvons pas nous permettre. Il faut des stratégies communes et offensives, à l'exemple de ce que font nos voisins espagnols et italiens.
Un vin se vendant en sortie de cave à 0,75 euro le litre se retrouve parfois dans les restaurants à 5 euros le verre : cherchez l'erreur... Il faut un partage de la valeur produite ; comment ce texte y contribue-t-il ? Avec des propositions présentées sous le seul angle de la compétitivité, on reproduit le morcellement des politiques agricoles.
Le RDSE se félicite cependant des avancées sur les clauses miroirs, les transpositions, ou le livret Agri. Je me réjouis également de l'article 8 bis sur le paiement pour services environnementaux (PSE). Depuis 2016, avec Franck Montaugé, nous ne cessons de porter ce sujet. Les externalités positives de l'agriculture doivent être rétribuées.
En revanche, je ne comprends pas l'article 1er, qui, alors que l'objectif est de simplifier, ajoute une couche aux chambres d'agriculture et au ministère de l'agriculture avec le haut-commissaire à la compétitivité. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué... Ces structures ne s'intéresseraient-elles pas à la compétitivité ?
De même, au lieu de revenir sur la loi Égalim, et de repousser de 2022 à 2025 l'échéance pour la part de produits de qualité durable, comme le fait l'article 11, ne faudrait-il pas privilégier des projets alimentaires territoriaux (PAT), qui structurent la demande et l'offre locales autour d'objectifs de qualité ? Dans l'Hérault, dix PAT ont été mis en place, dont un départemental.
Enfin, l'article 18, qui réhabilite le cumul entre conseil et vente de produits phytopharmaceutiques, m'étonne : comment être à la fois juge et partie ?
Pour toutes ces raisons, je m'abstiendrai, comme la majorité de mon groupe. Ce texte est politique, car la loi d'orientation pour l'agriculture se dessine. Il faudra qu'elle prenne en compte tous les enjeux de la question. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du RDPI ; M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°291 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Pour l'adoption | 210 |
Contre | 94 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Je salue la qualité du travail réalisé par les rapporteurs Duplomb, Mérillou et Louault, qui ont préparé cette proposition de loi. Nous n'avons pas toujours été d'accord, mais sur le sujet agricole il y a parfois trop de non-dits, et je me réjouis des consensus trouvés. Nous avons besoin de respect et non de mises au ban, de progrès et non du rejet de chaque avancée technique, sur les variétés ou les drones, et enfin de solutions et non d'injonctions, de réel et non de postures. Pourquoi l'agriculture serait-elle le seul secteur à ne pas bénéficier du progrès technique ?
La ferme France a perdu en compétitivité. On peut toujours aller chercher les causes en dehors des frontières, comme l'a fait M. Fabien Gay avec les traités de libre-échange, mais cela n'expliquera pas pourquoi la France est le seul pays à avoir ainsi perdu en compétitivité.
La loi Égalim a été un jalon important pour les rémunérations des agriculteurs. Quant aux projets alimentaires territoriaux, il y en avait 20 en 2019 et 400 aujourd'hui, alors que la loi date de 2014. Reconnaissons un progrès, monsieur Labbé.
Enfin, attention au discours que nous tenons sur l'agriculture ; évitons les caricatures. Nous avons besoin des agriculteurs pour nous nourrir. Croire que nous avons résolu ce problème pour toujours serait une erreur funeste, tant du point de vue du végétal que de l'animal.
En France, et jusqu'à la rue Cambon, nous avons besoin de souveraineté alimentaire et de l'élevage (applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC), pour maintenir les prairies, entretenir les paysages, lutter contre les incendies. Il faut le leur dire : cessons la chasse permanente aux éleveurs. (Mme Nathalie Goulet et M. Hugues Saury applaudissent.)
M. Loïc Hervé. - Et la Cour des comptes ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Je viens de l'évoquer. Nous devrons redonner une place à l'élevage, et arrêter cette stratégie mortifère qui réduit notre souveraineté. Je suis heureux, monsieur Duplomb, d'avoir pu échanger avec vous... (M. Christian Redon-Sarrazy s'exclame.) D'avoir échangé avec vous tous !
Il faut arrêter de prétendre que tout va bien (applaudissements sur plusieurs travées du GEST) : nous sommes collectivement en échec sur la question de la souveraineté, et il faudra aborder la question sans injonctions. Nous devrons être au rendez-vous, pour les agriculteurs, mais aussi parce que la souveraineté est tout aussi importante dans le domaine alimentaire que dans les autres secteurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Brigitte Devésa. - Lors du scrutin public n°291 sur la proposition de loi Ferme France, je voulais voter pour.
Mme la présidente. - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.
Biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.
Discussion générale
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture . - Il y a 80 ans, en Europe, le pouvoir nazi et ses collaborateurs ont confisqué aux juifs leurs biens avant de leur prendre la vie, de les contraindre à la clandestinité et à l'exil. En France, il a été décidé que leurs souvenirs, objets du quotidien, livres, biens pouvaient leur être enlevés. Les oeuvres et objets d'art n'ont pas échappé à ce destin, d'abord du fait de l'Allemagne nazie, puis avec la collaboration de l'État français et du commissariat général aux questions juives.
Les musées ont été aryanisés, les biens spoliés, les familles n'ayant parfois pas d'autre possibilité que de vendre leurs biens pour financer leur survie.
Derrière chaque oeuvre, il y a des drames familiaux et humains. Chaque restitution est un acte de justice.
Ce chemin de justice, nous devons continuer à le tracer alors que les derniers témoins de la Shoah sont encore là et que l'antisémitisme n'appartient pas au passé. (Mme Nathalie Goulet acquiesce.)
En 1995, au vélodrome d'hiver, Jacques Chirac reconnaissait la complicité de la France dans la déportation et l'assassinat des Juifs de France. En 1997, la mission Mattéoli a levé le voile sur le sujet longtemps oublié de la spoliation de leurs biens, en dénombrant les avoirs en déshérence et en dressant un bilan des oeuvres spoliées encore à la garde des musées nationaux.
La spoliation participait d'une volonté de priver les victimes de leur individualité. Je citerai donc quelques-uns de leurs noms.
Hugo et Gertrud Simon furent contraints de laisser tous leurs biens en fuyant au Brésil, après un premier exil depuis l'Allemagne. Lorsque leur arrière-petit-fils, Rafael Cardoso, a récupéré le tableau Nus dans un paysage de Max Pechstein, il a déclaré : « Notre souhait est que cet objet serve à raconter l'histoire de nos aïeux et de tout ce que l'Europe a perdu au nom du délire de la pureté raciale. » Il a également évoqué le mot allemand pour la réparation, Wiedergutmachung, qui signifie littéralement « rendre bon de nouveau » - cela rend bien compte de cela.
Nora Stiasny, déportée en 1942, dut vendre ses biens à de faux amis qui trahirent sa confiance ; elle n'échappa pas à la mort. L'année dernière, grâce à la loi Bachelot, ses ayants droit ont pu récupérer le Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt, dont elle avait dû se séparer en fuyant l'Anschluss.
Mathilde Javal, dont l'appartement est pillé et les biens dispersés. Ce n'est que 70 ans plus tard que le lien est fait entre elle et deux de ses tableaux. C'est en contemplant ensemble l'une de ces oeuvres au musée du Louvre que les descendants d'Adolphe et Mathilde Javal se rencontrèrent pour la première fois.
Mais il y a tous ces destins encore anonymes, dont il faut continuer à rechercher les traces. Nous devons aussi poursuivre les investigations pour identifier les biens spoliés présents dans les collections publiques. On estime qu'aux côtés de millions de livres, plus de 100 000 objets d'art ont été spoliés pendant la guerre en France.
Si beaucoup ont été immédiatement restitués, certains restent dans les collections nationales. Aryaniser, piller, spolier, c'est effacer des êtres, leur histoire, leur individualité, leur postérité. C'est les réduire à un numéro sans bagage. Rien ne peut inverser le cours de l'Histoire, mais nous devons aux victimes d'hier et aux héritiers d'aujourd'hui de leur rendre un fragment de leur histoire familiale. La justice ne doit plus être un combat législatif, mais un droit.
La tâche est ardue, car les spoliateurs sont aussi des dissimulateurs. Dissiper les simulacres et les faux-semblants exige une somme considérable d'informations pour retracer l'itinéraire tortueux des oeuvres.
Ce que le législateur permettra aujourd'hui, c'est l'historien qui l'a construit. Les archives numérisées en France et en Allemagne ne peuvent plus être ignorées. Je salue le travail de l'ancienne sénatrice Corinne Bouchoux sur ce sujet en 2013.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - À l'occasion de la commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv' en 2018, le Premier ministre s'était engagé à « faire mieux » en matière de recherche et de restitution. C'est pourquoi nous avons créé en 2019 la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, au sein du ministère de la culture. Je remercie David Zivie et son équipe pour leur travail.
Les recherches se sont longtemps concentrées sur les oeuvres récupérées par les Alliés et de propriétaires inconnus. Inventoriées Musées nationaux récupération (MNR), elles ont été confiées aux musées. Jamais entrées dans les collections publiques, elles peuvent être restituées de droit, sans passer par la loi.
La constitution de la mission de recherche et de restitution a étendu le champ d'investigation aux oeuvres entrées légalement dans les collections. Dans deux cas sur trois, les oeuvres identifiées sont restituées à l'initiative du ministère de la culture.
Ces restitutions tissent aussi des liens entre les experts d'hier et d'aujourd'hui. Je pense à l'action héroïque de Rose Valland, qui inventoria clandestinement les oeuvres spoliées déposées au Jeu de Paume. Désormais, il s'agit d'expertiser les collections sur une autre échelle : les oeuvres d'origine douteuse entrées dans les collections publiques depuis 1933. La formation initiale des conservateurs et commissaires-priseurs prend désormais ces enjeux en compte. Un nouveau diplôme spécifiquement consacré à la recherche de provenance a été créé à l'université de Paris-Nanterre en 2022.
Une fois l'oeuvre repérée, le propriétaire identifié, l'accord des parties obtenu, on ne peut opérer la restitution que par une loi, en raison de l'inaliénabilité des collections publiques. Ainsi d'un tableau appartenant au galeriste Georges Bernheim conservé au musée Utrillo de Sannois : un accord sur la restitution a été trouvé en 2018, et il a fallu attendre quatre ans pour qu'elle ait lieu, avec une loi d'espèce, sur l'initiative de Roseline Bachelot, dont je salue l'engagement dans ce dossier.
Nous voulons désormais un horizon légal juste et clair, sans perdre des années à chaque restitution. Toutes les collections publiques, dans les musées nationaux, territoriaux, établissements publics non muséaux, bibliothèques seront concernées. Une fois la spoliation reconnue, la restitution sera de droit. Un décret simple suffira si l'État est concerné, une décision de l'organe délibérant pour les collectivités. En la matière, la commission consultative sera la CIVS, qui a fait la preuve de sa légitimité.
La loi s'imposera aussi aux futures acquisitions. Si la trajectoire d'une oeuvre entre 1933 et 1945 ne peut être établie avec certitude, elle ne pourra entrer dans les collections publiques.
Ce texte est le premier à reconnaître cette spoliation spécifique des Juifs, tant en France qu'à l'étranger. Je vous propose d'ouvrir un nouveau chapitre dans notre rapport avec notre histoire, dans le sens de la justice et de la vérité. Sous l'impulsion des chercheurs et après avis de la CIVS, chaque bien pourra désormais être restitué.
La CIVS verra son champ de compétence étendu au-delà de l'Occupation, entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945.
L'année de la mission Mattéoli, en 1997, Patrick Modiano écrivait dans Dora Bruder : « Il faut longtemps pour que resurgisse à la lumière ce qui a été effacé. Des traces subsistent dans des registres et l'on ignore où ils sont cachés et quels gardiens veillent sur eux et si ces gardiens consentiront à vous les montrer. Ou peut-être ont-ils oublié tout simplement que ces registres existaient. ».
Puis : « En écrivant ce livre, je lance des appels comme des signaux de phares, dont je doute malheureusement qu'ils puissent éclairer la nuit. »
Chercheurs, descendants, généalogistes, élus : ils ont été nombreux à entendre l'appel et à nous aider à éclairer la nuit. Rien ne réparera la Shoah et ne rendra aux familles tout ce qui a été spolié à des familles que l'État français a livrées aux nazis...
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - ... mais un chemin de justice, ouvert par les résistants comme Rose Valland, permet ces restitutions. Avec cette loi, nous rendons hommage à leur engagement ; nous nous en montrons dignes. (Applaudissements)
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure de la commission de la culture . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Certains moments législatifs sont empreints de solennité : ce projet de loi en est un. Le législateur n'écrit pas l'histoire, mais il panse des plaies du passé. Les spoliations font partie de la dette imprescriptible de la Shoah. Elles ne peuvent être dissociées de l'extermination des juifs d'Europe, à laquelle Vichy a pris toute sa part.
Avec leurs biens, c'est la dignité et l'identité des personnes qui leur ont été retirées. Nous devons faire preuve d'humanité en corrigeant ce qui peut l'être. Votre projet y contribue.
Ce texte s'inscrit dans la continuité de la loi de restitution de l'an dernier. Notre commission de la culture avait souscrit à la nécessité de lever l'inaliénabilité ; c'est pourquoi nous accueillons favorablement ce projet de loi-cadre. Le devoir de mémoire commande d'accélérer les restitutions, avant que la mémoire ne s'efface.
Il incombe à la France de prendre des mesures fortes vis-à-vis des spoliations, conformément aux principes énoncés à Washington en 1998. La loi-cadre est préférable aux lois d'espèce : elle symbolise un engagement à aller plus loin, elle est une réponse de long terme et transparente, sans autorisation au cas par cas. La perspective plus tangible d'une restitution sensibilisera les acteurs culturels et intensifiera les recherches proactives : la procédure parlementaire décourage aujourd'hui certains établissements.
La procédure administrative créée par ce texte permet les restitutions de biens spoliés entre 1933 et 1945, par dérogation à l'inaliénabilité, après avis de la CIVS.
La procédure retenue est satisfaisante. D'abord, la restitution s'imposera aux personnes publiques. Ensuite, elle s'appliquera à tous les biens du domaine public, y compris le mobilier et les livres. Enfin, le recours à la CIVS, dont l'expertise est désormais reconnue, est la garantie d'un examen scientifique et impartial. Toutefois, son avis simple responsabilise les collectivités publiques.
L'une des innovations de ce texte réside dans la possibilité offerte aux parties de conclure un accord amiable pour une solution autre que la restitution, comme le maintien du bien dans la collection en contrepartie d'une compensation financière. C'est la solution retenue par le musée Labenche de Brive-la-Gaillarde. Pour les familles des victimes, c'est le maintien dans l'espace public d'une trace mémorielle de la spoliation.
Toutefois, cette solution présente un risque financier, compte tenu des faibles crédits d'acquisition des établissements.
L'article 2 permet aux propriétaires de musées privés de restituer des biens spoliés acquis par don, legs ou concours publics. La commission y est favorable, car cela lève des obstacles juridiques à la restitution et incite ces propriétaires à engager des recherches. La commission entend faciliter cette implication.
En effet, si le projet de loi crée une impulsion, il reste un immense travail pour permettre les restitutions, qui ne pourront se faire à moyens constants. Malgré les récents progrès, l'engagement de la France reste modeste, en comparaison avec l'Allemagne qui a consacré 40 millions d'euros à la recherche de provenance en quinze ans.
Mme Nathalie Goulet. - C'est normal !
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Il conviendra de renforcer les moyens de la CIVS et de la mission constituée au ministère de la culture, mais aussi d'intensifier le travail de recherche de provenance, clé de voûte de l'ensemble. C'est un travail titanesque, qui impose d'enrichir l'offre de formation et de donner de nouveaux moyens de recrutement, même mutualisés, aux établissements. Nous ne saurions rester au milieu du gué.
Ce travail est une exigence pour retracer le parcours des oeuvres de nos collections. C'est une autre manière de rendre aux victimes une part de leur histoire et de leur identité, même quand la restitution est impossible. (Applaudissements)
M. Jean-Pierre Decool . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nous sommes face à un vaste débat de société. Dans les décennies précédentes, l'heure était au recueil des témoignages des ultimes témoins du passé : commissaires-priseurs, conservateurs, marchands d'art. Aujourd'hui, les biens culturels sont porteurs de cette mémoire, et nous devons formuler une politique française de restitution.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la déportation des Juifs de France s'accompagne du pillage méthodique de leurs biens. Des logements ont été vidés du sol au plafond - 40 000 à Paris. Leur contenu a d'abord été stocké à l'ambassade d'Allemagne, puis au Louvre, et enfin au musée du Jeu de Paume. Au moins 100 000 oeuvres ont été volées ou vendues sous la contrainte en France, un total sans doute sous-estimé car toutes les familles ne se sont pas manifestées. Une grande partie des 60 000 oeuvres revenues en France après-guerre ont été restituées. Certains biens ont été confiés aux musées français.
Le sujet revient sur le devant de la scène depuis le milieu des années 1990, et le nombre de restitutions augmente. En avril dernier, les tableaux La Vierge à l'enfant et Scène de bataille : siège de Carthage par Scipion Émilien étaient rendus aux ayants droit.
Toutefois, des oeuvres attendent encore leur propriétaire dans les musées. Commence alors le rôle des historiens, dont les enquêtes sont le travail de toute une vie, s'appuient sur un faisceau d'indices hétéroclites : archives nazies, services administratifs de I'État collaborateur, descriptions des familles spoliées, marques sur les oeuvres... Je salue ainsi la mémoire de Rose Valland, qui a pris de grands risques pour archiver les oeuvres spoliées et à qui nous devons une grande partie des restitutions d'après-guerre.
Aujourd'hui, une loi-cadre est nécessaire pour une restitution : nous nous félicitons que ce sujet soit une priorité du ministère. Mais les musées vont devoir se réinventer pour faire vivre les oeuvres : le numérique est une piste. L'accès du public aux biens restitués est un autre enjeu.
L'historien Philippe Verheyde écrivait que cette histoire de la restitution des biens juifs restait à faire. Nous en écrivons aujourd'hui un nouveau chapitre, essentiel au regard de l'immensité du défi. Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Applaudissements)
Mme Monique de Marco . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Comme l'écrivait Corinne Bouchoux en 2013, « Le passé non assumé ne se digère pas. Tout ce refoulement, cet oubli, il faut en sortir. »
Certains actes nous glacent toujours le sang, des décennies après. Hélas, les démocraties mettent des décennies à reconstruire ce que des régimes autoritaires ont détruit en quelques mois. Le devoir de réparation est pourtant aussi imprescriptible que les crimes contre l'humanité.
Au-delà de l'aspect patrimonial, c'est aussi une question d'art et d'humanité. Les spoliations, en France, ont aussi été le fait de Français, politiques, administratifs, anonymes, qui ont acquis des oeuvres. Je salue le travail de ceux qui s'y sont opposés, dès les premières heures. Parmi eux, des femmes, dont Rose Valland, qui a créé dès 1940 le premier registre français d'oeuvres spoliées. En 1945, promue capitaine, elle est envoyée en Allemagne sur le front de l'art. Sur les 100 000 oeuvres spoliées, 60 000 sont revenues en France et 45 000 ont été restituées dans l'après-guerre. Ensuite, rien ou presque : 184 restitutions, organisées en grande pompe médiatique.
Après la conférence de Washington de 1998, les travaux de Corinne Bouchoux ont enfin relancé la question au Sénat. Nous savons que le droit international est un important outil de communication, mais peu opérant en droit interne.
Il est impossible de dire aujourd'hui combien de biens des collections publiques ont été acquis dans des conditions douteuses. Il y a donc un immense travail de recherche à faire. Il faut lever les entraves à l'accès aux archives nationales, et identifier les ayants droit. Cela vaut aussi pour les collections des collectivités, pour lesquelles l'initiative repose souvent sur la bonne volonté des élus.
Notre intransigeance doit être aussi forte avec les collectionneurs privés, surtout s'ils bénéficient de largesses fiscales : l'article 2 est bienvenu.
Je salue cette initiative gouvernementale : la procédure ainsi instaurée lève un frein aux restitutions et élargit la période de recherche. Quelles leçons en tirer pour l'avenir ?
Dans sa célèbre Lettre au capitaine Butler, Victor Hugo écrivait : « Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.
L'empire français a empoché la moitié de cette victoire et il étale aujourd'hui avec une sorte de naïveté de propriétaire, le splendide bric-à-brac du Palais d'été.
J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.»
Nos musées exposent d'autres biens pillés. Sans moyens juridiques pour prévenir l'acquisition publique de biens d'origine douteuse, nous condamnons les générations futures à de nombreuses lois de réparation. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Julien Bargeton . - Avec ce premier projet de loi, madame la ministre, vous abordez un sujet douloureux et grave.
Dans La Tête d'obsidienne, Malraux, faisant référence à Picasso, écrit que l'art est la présence dans la vie de ce qui devrait appartenir à la mort. Ce texte, symboliquement, nous parle de la façon dont l'art transcende, transmue le réel.
Le moment est venu. Les archives sont désormais ouvertes, les travaux scientifiques se sont accélérés et les États coopèrent de plus en plus. Je pense au Rosiers sous un arbre, de Klimt, qui a pu être restitué après un travail mené par le musée d'Orsay et le musée du Belvédère à Vienne. Le temps écoulé depuis la Shoah permet d'insister sur la dimension de transmission de la mémoire.
Lors du précédent texte sur la restriction des biens culturels, déjà rapporté par Mme Gosselin, nous déplorions la lenteur des procédures administratives et appelions à élaborer une loi-cadre.
En 2019, la mission de recherche et de restitution des biens juifs spoliés a été créée au sein du ministère de la culture.
Avec la disparition des témoins directs de la Shoah, la mémoire se perd : il est temps de restituer les oeuvres d'art spoliées. C'est une question de justice, mais aussi de réparation intime. Mark Rothko, parti aux États-Unis en 1913, a été marqué par le traumatisme des pogroms d'Europe centrale : son oeuvre peut être interprétée comme les tombes, vibrantes de couleur, qui n'ont jamais été érigées pour les victimes.
Nous devons penser à ces personnes qui avaient fait le choix de se doter de collections, de faire vivre l'art. Nous leur restituons non seulement leurs biens, mais aussi leur mémoire et leur apport à l'art mondial. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
M. Lucien Stanzione . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je vous parle avec émotion car cette question nous renvoie aux heures sombres de notre histoire. Ce projet de loi est historique. Des biens ont été volés et dispersés dans le monde entier, leur inestimable valeur occultée par l'injustice. Plus de 80 ans après, il est temps d'apaiser et de réparer.
Ces biens culturels - oeuvres d'art, livres ou instruments de musique - étaient autrefois en harmonie avec l'âme de leurs propriétaires. Mais les nazis se sont livrés à des pillages abjects, avec le soutien d'un État français complice. Les lois du Reich, les rafles ont été l'occasion de dépouiller les Juifs. Des familles ont été dépossédées, des communautés ont été réduites au silence, des vies ont été brisées.
Au cours du débat relatif à la restitution des biens aux ayants droit, les parlementaires de tous bords avaient exprimé leur volonté de trouver une solution législative durable, afin de lever les barrières et de supprimer les procédures complexes. L'établissement de critères clairs et de délais raisonnables enverra un message clair : nous reconnaissons votre souffrance, honorons votre histoire et rétablirons l'équité.
Le droit en vigueur est un labyrinthe complexe. Dès 1943, plusieurs ordonnances ont été prises par le gouvernement de Londres qui prévoient la nullité de tels actes de spoliation. Un inventaire des biens spoliés a été dressé en 1949, mais il était incomplet.
Les oeuvres spoliées qui appartiennent aux musées français sont inaliénables et imprescriptibles. Pour être restituées aux ayants droit, il faut une procédure de nullité de l'acte de spoliation et une décision du juge autorisant la restitution des biens classés MNR.
Le projet de loi introduit trois nouveaux articles dans le code du patrimoine pour faciliter les restitutions. Le premier crée une dérogation au principe d'inaliénabilité des biens publics, le deuxième prévoit la nullité de plein droit des actes de spoliation, enfin le troisième crée une procédure spécifique de restitution.
En simplifiant les procédures, nous faciliterons la restitution, qui est non seulement un acte de justice mais aussi une réparation, une réconciliation.
Nous ne pouvons pas changer le passé, mais nous pouvons corriger les torts et tisser un avenir de solidarité et de justice. C'est notre devoir envers les victimes et envers nous-mêmes.
Ce texte est une étape cruciale vers la réconciliation, un pas en avant dans la construction d'un avenir où les erreurs du passé sont rectifiées : c'est notre devoir de mémoire.
Je salue le travail de notre ancienne collègue, Corinne Bouchoux, qui avait rédigé un rapport à ce sujet, ainsi que les efforts de Catherine Morin-Desailly, de Béatrice Gosselin et de madame la ministre. Après les biens spoliés, nous aborderons les restes humains, puis, je l'espère, les biens mal acquis.
Le groupe SER votera ce projet de loi. Ensemble, oeuvrons pour réparer les injustices, pour que la mémoire des victimes soit honorée. Le temps est venu de rendre justice à ceux qui ont été privés de tout. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC, ainsi qu'au banc des commissions ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias . - Ce texte est le premier d'une série de trois lois destinées à donner un cadre législatif aux restitutions, sans passer par des textes ad hoc. Un débat préalable au dessaisissement du Parlement aurait été utile.
Lors de l'examen de la loi de restitution des biens culturels au Bénin et au Sénégal, le Gouvernement n'avait pas souhaité une loi de principe, soulignant le risque de censure du législateur pour incompétence négative. Il a finalement considéré que ce risque juridique pouvait être contourné par le dépôt de trois lois. Elles devront partager l'objectif de collégialité et de publicité de l'instruction des restitutions - en l'espèce, via une mission de recherche chargée du récolement des oeuvres et une commission administrative indépendante.
Reste à définir les modalités de l'information du Parlement, qui ne peut être exclu de procédures touchant à la domanialité publique. Nous attendons donc le décret relatif à la future commission.
Le rapport de M. Martinez est décevant : la constitution de groupes de travail au cas par cas ne peut apporter les mêmes garanties d'impartialité qu'une commission indépendante et pérenne. Et je doute que le Parlement se satisfasse d'une simple information annuelle à la seule commission de la culture.
Les conditions de restitution doivent être irréprochables, car ces oeuvres sont le témoignage bouleversant de drames humains.
Ce texte porte une reconnaissance législative des spoliations antisémites commises par les nazis et l'État français. En 1995, lors de la commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv', le président Jacques Chirac, employait ces termes : « La France, patrie des lumières et des droits de l'homme, terre d'accueil et d'asile, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. »
Trente ans après, nous poursuivons cet effort. Il est acquis que l'État français a mis en oeuvre de son propre chef et avec l'aide de l'occupant nazi une entreprise de persécution des Juifs de France, dont le but ultime fut la déportation. Ce projet, au coeur de la révolution nationale voulue par Pétain, fonde le programme de l'extrême droite française depuis Maurras et l'Action française, dont 2 000 nostalgiques ont défilé le week-end dernier avec les mêmes cris de haine que les ligues factieuses de 1934. Ces crimes antisémites sont des crimes contre l'humanité, imprescriptibles. La Nation doit les identifier, les dénoncer et aussi en tenter une compensation. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Pierre-Antoine Levi . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Je salue à mon tour le texte et je félicite notre rapporteure pour son travail.
Le Sénat a été moteur en la matière, et le groupe Union centriste en particulier. En témoigne la loi du 6 mars 2002, restituant la Vénus hottentote à l'Afrique du Sud, sous l'impulsion de Nicolas About, ou la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution de têtes maories à la Nouvelle-Zélande, grâce à Catherine Morin-Desailly.
Après les travaux de Corinne Bouchoux en 2013 sur les spoliations antisémites, il aura fallu dix ans pour agir. Certes, la loi du 21 février 2022 a restitué quatorze oeuvres des collections nationales et une oeuvre de collection municipale aux ayants droit de leurs propriétaires.
Mais les lois d'espèce ne suffisent plus : un cadre global s'impose.
Nous souscrivons à l'analyse de la rapporteure : le caractère simple de l'avis de la CIVS ne le vide pas de sa substance. Il faudra toutefois envisager le cas où son avis ne serait pas suivi.
Nous nous réjouissons que le texte soit flexible et envisage d'autres options que la restitution pour compenser la spoliation.
Fallait-il un texte plus global qui englobe toutes les restitutions ? Ce premier texte, sur les spoliations antisémites, sera suivi de deux autres, respectivement sur la restitution des restes humains et sur les restitutions coloniales. Pourquoi pas. Nous en comprenons l'intérêt mémoriel et politique, chaque situation étant singulière.
Nous veillerons à ce que les principes qui irriguent ce premier texte se retrouvent dans les deux autres. Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Pierre Ouzoulias, Lucien Stanzione et Alain Marc applaudissent également.)
M. Bernard Fialaire . - C'est toujours avec émotion que nous nous retournons vers cette sombre période de notre histoire. La complicité de l'État français de l'époque nous oblige, envers les victimes et leurs descendants.
Ce projet de loi attendu mérite notre soutien. Il revient sur l'inaliénabilité de biens culturels du domaine public, afin de les restituer au même titre que les biens MNR.
Pourquoi ne ferions-nous pas reposer l'inaliénabilité des biens culturels sur la seule dimension culturelle, plutôt que sur la patrimonialité ? Leur inscription au patrimoine mondial de l'humanité serait un formidable message de concorde : l'art jouerait ainsi pleinement son rôle.
La reconnaissance et la réparation des spoliations antisémites doivent s'intégrer dans un contexte plus large, notamment vis-à-vis des spoliations de l'époque coloniale. Au cours des auditions, nous avons été alertés sur les risques de ressentiment si nous négligions ces dernières. L'enfer est pavé de bonnes intentions... Une loi-cadre prenant en compte toutes les spoliations ne stigmatiserait personne.
Nous accueillons positivement les avancées du texte, mais nous nous interrogeons sur l'obtention automatique du certificat d'exportation pour les oeuvres qui ont toujours été sur notre territoire. Plutôt qu'une présence symbolique de parlementaires au sein de la CIVS, nous préférons un rapport annuel d'information des commissions de la culture des deux assemblées. Enfin, les moyens de recherche de provenance devront être réellement assurés : le devoir de réparation nous y oblige. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Qui sommes-nous ? Juste des parlementaires. Pas plus, pas moins.
Je voterai le texte, pas d'inquiétude. Mais je préférerais ne pas entendre dire dans cet hémicycle qu'un texte peut être une réparation, une réconciliation. La Shoah ne se répare pas, ne se réconcilie pas, car elle n'est pas du même domaine que le reste.
Ce texte évitera les lois spécifiques. En France, entre 100 000 et 150 000 biens ont été spoliés. Bien sûr, il y avait le train de Goering, le monument de Linz voulu par Hitler, des oeuvres d'art magnifiques chez les collectionneurs ou les galeristes. Mais beaucoup d'oeuvres n'étaient pas d'un niveau mondial. Certaines sont aujourd'hui dans nos musées. Beaucoup se sont retrouvées chez les collaborateurs, les profiteurs de guerre. De nombreuses restitutions sont intervenues à la Libération. Mais où sont passés les biens moins connus ? Nul ne le sait.
Il faut un texte pour permettre le retour des oeuvres présentes dans les collections publiques, mais n'oublions pas les autres - comme ce collectionneur viennois qui conservait des centaines de tableaux spoliés.
Je vous remercie, madame la ministre. Je salue aussi les travaux de Corinne Bouchoux et du groupe UC. Mais soyons modestes. On ne répare pas, on ne réconcilie pas la Shoah.
La restitution des biens n'est en rien une réconciliation : je n'accepte pas cette idée, qui serait une négation de la République. Rendre un tableau, ce n'est pas de la réparation, c'est de la justice. On ne peut réparer la déportation et les massacres.
Je remercie la commission pour ses travaux sur l'analyse, le suivi et l'accélération des restitutions. Mais le vrai travail serait déjà de dire comment encourager les musées et collectionneurs, privés ou publics, ayant un doute sur l'origine de leurs biens, à se tourner vers la CIVS.
L'activité publique d'enquête prend du temps. Beaucoup de familles n'ont plus d'héritiers, les biens ne leur seront jamais restitués. Nous pouvons avancer avec un tel texte, mais ne parlons pas de réconciliation ou de réparation. La Shoah est ce qu'elle a été, irréductible. Avançons, rendons la justice, et n'oublions pas. (Applaudissements)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Difficile d'intervenir après Roger Karoutchi...
Ce texte comporte à mes yeux une erreur historique en ce qu'il reprend une expression connotée, datant d'une ordonnance de 1944 : « se disant gouvernement de l'État français ». Ce n'est pas le « se disant gouvernement » qui a expulsé mon père du lycée Charlemagne, pas les « se disant » gendarmes qui ont raflé mon père et toute sa famille le 16 juillet 1942, pas le « se disant » commissaire-priseur, qui, sur ordre du préfet du Nord, a spolié ma grand-tante après la vente de son petit magasin de chapeaux à Douai. J'ai ici le document, daté du 24 août 1942, qui en dresse l'inventaire. (L'oratrice brandit une feuille manuscrite, jaunie.) Des pièces, des rayonnages, une caisse, pour 11 160 francs de l'époque. Et voici le document original du 25 juin 1942 où le commissaire-priseur demande des instructions au préfet du Nord.
C'est bien l'État français qui est responsable : appelons les choses par leur nom, comme l'a fait le président Chirac. Les spoliations sont des vols commis par l'État français. On ne peut laisser dire que Vichy a protégé les Juifs. Ces blessures, le temps ne les efface pas ; elles se transmettent de génération en génération. Les spoliations, ce sont des oeuvres d'art, mais aussi des meubles, du linge de maison, des instruments de cuisine. Hier était diffusé sur France 5 un documentaire remarquable sur l'Opération meubles, et les 44 000 foyers juifs parisiens vidés du sol au plafond, jusqu'aux petites cuillers. Il faut lancer un appel à tous ceux qui posséderaient de semblables documents, pour poursuivre le travail.
Ce texte est un texte mémoriel. Aujourd'hui, vous n'êtes pas seulement ministre de la culture, vous êtes aussi ministre de la justice. (Applaudissements ; Mme Nathalie Goulet présente à Mme la ministre des documents qu'elle a montrés à la tribune.)
Mme Else Joseph . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce texte ne traite pas que de restitutions patrimoniales : il s'inscrit dans la condamnation constante des persécutions antisémites, dénoncées par le général de Gaulle dès 1940, de cette injustice qui a déshonoré la France et la République au plus profond d'elle-même, de ce crime contre l'humanité.
Les biens visés ici n'auraient jamais dû se trouver dans les collections publiques, mais la demande de restitution a été laissée à l'initiative des familles spoliées, alors que la spoliation est une négation honteuse du droit de propriété. Il ne peut y être dérogé que pour des raisons d'intérêt général : la haine n'en est pas une. Pour les familles, cette spoliation est la négation de leur humanité, de leur mémoire.
Ce texte attendu institue une procédure de restitution simplifiée des biens culturels spoliés à l'initiative des personnes publiques, rappelant que l'État et les administrations ont aussi des devoirs.
Les autorités françaises ont reconnu leur responsabilité dans les persécutions, comme l'a fait Jacques Chirac dans son discours du Vél' d'Hiv'. La période est définie plus largement, pour éviter de buter sur des problèmes de chronologie. La spoliation n'a pas commencé avec Vichy, et ne s'est pas limitée au territoire français.
Les chiffres, sans doute sous-estimés, donnent le tournis : 5 millions de livres, 100 000 oeuvres spoliées en France pendant l'Occupation, dont seulement 45 000 ont été restituées après-guerre, 2 200 dans les collections nationales. Le texte prévoit une alternative à la restitution, par commun accord : saluons cette souplesse, mais suivons la réalité des restitutions, notamment pour les personnes morales de droit privé. Le texte soulève en effet la problématique des musées privés. Il encourage à poursuivre le mouvement de réparation.
Enfin, les modalités d'application ne sauraient être passées sous silence : quels établissements ou musées, notamment sous votre tutelle, seront concernés ? Quid des éventuels problèmes de financement ? Le décret fixera la composition, l'organisation et le fonctionnement de la commission administrative prévue, ainsi que les modalités des restitutions par des musées privés.
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
Mme Else Joseph. - Il convient d'avoir des garanties et un suivi sur son élaboration.
Nous voterons ce texte, qui constitue une démarche pour plus de justice. Il traduit une volonté politique, à travers l'émotion. Souhaitons qu'il inspire d'autres pays confrontés au même problème.
Seul un pays qui reconnaît ses fautes peut rester un modèle dans le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Discussion des articles
AVANT L'ARTICLE 1er
Mme la présidente. - Amendement n°18, présenté par Mme N. Goulet.
Avant l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La Nation reconnaît sa responsabilité à l'égard de la population juive vivant en France métropolitaine et dans les territoires administrés, dans les préjudices subis du fait des agissements de l'État français de 1940 à 1944.
Mme Nathalie Goulet. - Il n'existe aucune loi reconnaissant les crimes de l'État français. Cet amendement est peut-être mémoriel, mais le sujet est important.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - La responsabilité propre du régime de Vichy est indéniable. Mais le projet de loi n'est pas mémoriel : il couvre un champ plus étroit que l'amendement, mais un périmètre spatio-temporel plus large, puisqu'il vise toutes les spoliations entre 1933 et 1945, quel que soit le lieu. L'amendement de Pierre Ouzoulias ira dans votre sens. Avis défavorable.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Demande de retrait. Sans le discours du Vél' d'Hiv' de Jacques Chirac, ce projet de loi n'aurait pas été possible. Mais son objet est à la fois plus restreint, car la loi porte sur la sortie du domaine public des biens culturels spoliés plutôt que sur l'ensemble des persécutions, et plus vaste, puisqu'il s'agit de faire sortir du domaine public des biens spoliés dès 1933, en Allemagne et en Autriche notamment.
M. Roger Karoutchi. - J'invite Mme Goulet à retirer son amendement. Ce n'est pas la Nation qui est en cause, mais le régime de l'État français de Vichy. Dans la Nation, il y avait des résistants, des Justes. La Nation d'aujourd'hui ne peut assumer les responsabilités de celle d'hier, qui était diverse. Le régime de l'État français était collaborationniste, mais c'est la République qui le dit, et non la Nation, ensemble plus vaste et tellement différent du régime politique.
Votre amendement pourrait prêter à confusion. Mettons la responsabilité sur l'État Français, laissons la Nation à part.
Mme Nathalie Goulet. - Vos observations sont justes. Je le retire.
L'amendement n°18 est retiré.
ARTICLE 1er
M. Marc Laménie . - Je salue l'initiative de Mme la ministre, ainsi que le travail de la commission de la culture et de sa rapporteure sur ce sujet sensible.
L'article 1er crée une procédure administrative pour la restitution des biens spoliés appartenant aux collections publiques. Le 6 juin 2018, la commission des finances, dans le cadre de l'examen de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », adoptait un important rapport d'information sur la CIVS, vingt ans après sa création. En rappelant les propos du président Chirac, nous formulions des constats et des recommandations pour une CIVS augmentée, pour donner les moyens à la réparation, et respecter la mémoire comme les ayants droit. Je voterai cet article.
Mme la présidente. - Amendement n°4, présenté par M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéa 7
1° Après le mot :
nazie
remplacer le mot :
et
par le signe :
,
2° Remplacer le mot :
notamment
par les mots :
et par
M. Pierre Ouzoulias. - L'adverbe « notamment » est ambigu : il peut laisser entendre que l'État français a organisé la spoliation des Juifs sous l'influence de l'occupant nazi, ce qui ne correspond pas à la réalité. Il est établi que le Gouvernement français a organisé lui-même une partie des persécutions, et Henry du Moulin de Labarthète, directeur de cabinet de Pétain, écrit dans ses mémoires que la législation anti-juive de Vichy était « spontanée et autochtone ».
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Nous avons longuement débattu de cette rédaction en commission, et M. Ouzoulias a tenu compte de nos observations.
Même si l'on peut s'interroger sur le bien-fondé de distinguer le régime de Vichy de ceux des autres territoires occupés par l'Allemagne nazie, cet amendement permet d'inscrire cette loi dans la suite du discours du Vél' d'Hiv' de Jacques Chirac en 1995 et de reconnaître la responsabilité du régime de Vichy dans les persécutions. Avis favorable.
M. Pierre Ouzoulias. - Merci.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Merci pour ce regard précis. En effet, chaque mot compte. Notre intention n'était évidemment pas de minorer l'action du régime de Vichy. Avis favorable.
M. Max Brisson. - Je remercie Pierre Ouzoulias de cet amendement. J'ai davantage de réserves sur ses propos en discussion générale, mais nous en parlerons en dehors de l'hémicycle... (Sourires)
Ce travail permet d'aboutir à une écriture qui s'inscrit dans le droit fil des propos de Jacques Chirac lors des commémorations de la rafle du Vél' d'Hiv'. La politique antisémite de Vichy était autonome et anticipait les désirs de l'occupant. Je suis heureux que le texte l'indique clairement.
M. David Assouline. - Je soutiens également cette précision. Mais n'ayons pas une vision réductrice du discours de Jacques Chirac : il mit fin à une longue période pendant laquelle la France disait ne pas avoir à s'excuser pour les crimes d'un État qui ne représentait ni la Nation ni la République. Jacques Chirac a eu le courage de ne pas esquiver les choses, de dire qu'on ne peut s'exonérer des moments sombres de notre histoire. Saluons, pour ceux qui se réclament du chiraquisme, cet héritage.
L'amendement n°4 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°7, présenté par Mme N. Goulet.
Alinéa 7
Remplacer les mots :
se disant "gouvernement de l'État français"
par les mots :
"L'État français"
Mme Nathalie Goulet. - Cet amendement va dans le même sens. Il correspond au discours dans lequel Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs de France.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Il ne s'agit pas de minimiser la responsabilité de l'État français, mais les mots « se disant gouvernement de l'État français » sont ceux de l'ordonnance du 21 avril 1945 portant deuxième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi : c'était le seul texte de loi en vigueur à traiter des spoliations antisémites.
Il y a intérêt à créer une continuité avec cette ordonnance, dans la mesure où c'est sur son fondement qu'un juge peut aujourd'hui annuler l'entrée dans les collections publiques d'un bien culturel et ordonner sa restitution. Retrait ou avis défavorable.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Les explications de la rapporteure sont limpides. Nous avons retenu cette formulation après échanges avec le Conseil d'État. Demande de retrait.
M. Pierre Ouzoulias. - J'ai un doute. Lorsque le général de Gaulle signe l'ordonnance de 1945, il veut montrer par cette formule que la République était à Londres quand l'État français était à Vichy, et que les deux ne pouvaient être confondus.
En 2023, la formule n'a plus le même sens. Une formule plus courte pourrait sembler plus justifiée.
M. Roger Karoutchi. - Les deux rédactions sont perfectibles, selon moi. (Sourires) « Se disant gouvernement de l'État français », cela ne veut pas dire grand-chose. La légitimité - je ne parle pas de la légalité - de la République était clairement à Londres.
Mais dire « l'État français » pourrait prêter à confusion. Une rédaction possible serait « le régime de l'État français », dont on sait très bien qu'il s'agit du gouvernement de Vichy des années 1940-1944. Le « se disant gouvernement de l'État français » était bien le gouvernement légal, et exerçait le pouvoir, même s'il était illégitime !
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien. Je suis d'accord.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je remercie les collègues de soulever cette question complexe. Je ne suis pas convaincu par le terme « le régime de l'État français ». Restons-en plutôt au texte de la commission. C'est le sens de la recommandation du Conseil d'État, qui préconise de se référer à l'ordonnance de 1945.
Mme Nathalie Goulet. - Je remercie Roger Karoutchi pour son intervention. L'expression est reprise par le Conseil d'État parce que c'est ce qui existe dans la loi. Ce sujet nous touche tous, mais peut-être moi plus que d'autres. J'avais retiré mon amendement qui visait le gouvernement de Vichy, mais nous pouvons y revenir. La solution proposée par Roger Karoutchi m'aurait aussi convenu.
En tout état de cause, « se disant » est très connoté, surtout dans le contexte actuel, troublé. Je rectifie donc mon amendement pour viser « le régime de Vichy ».
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié, présenté par Mme N. Goulet.
Alinéa 7
Remplacer les mots :
se disant "gouvernement de l'État français"
par les mots :
"Le régime de Vichy"
L'amendement n°7 rectifié est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°11 rectifié bis, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gold, Mme Pantel et MM. Requier et Cabanel.
Alinéa 8
Après le mot :
culturels
insérer les mots :
ayant été importés sur le territoire français et
M. Bernard Fialaire. - Cet amendement revient sur l'automaticité des certificats d'exportation. Cela ne concernerait pas les biens provenant d'autres pays, mais ceux qui n'ont jamais quitté la France : il faut s'interroger sur le moyen de les y conserver, moyennant compensation.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Nous n'apporterions plus qu'une réparation partielle de la spoliation. Les descendants de ces familles pourraient se voir refuser la restitution de l'oeuvre. Les modalités doivent être les mêmes pour toutes les victimes. Le texte prévoit déjà la négociation à l'amiable. Avis défavorable.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Même avis.
M. Bernard Fialaire. - Il n'y a pas de préjudice : les biens seraient rendus.
L'amendement n°11 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par M. Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Par accord entre la personne publique et le propriétaire ou ses ayants droit et le cas échéant conformément aux dispositions de l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, la reproduction du bien culturel restitué peut être prévue, aux fins d'exposition dans la collection dans laquelle ce bien figurait avant sa restitution.
M. Lucien Stanzione. - Le code de la propriété intellectuelle dispose que toute reproduction d'une oeuvre sans l'accord de l'ayant droit est illicite. Nous prévoyons donc un accord tripartite, incluant l'ayant droit, afin de conserver, grâce à une reproduction, une trace de l'oeuvre qui quitte une collection publique. Cela permet de se conformer à l'objectif de partage universel d'un bien culturel, mais aussi de cultiver la mémoire du processus de restitution.
Nous avons retravaillé l'amendement à la suite des échanges en commission.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Certes, l'accessibilité des biens au public doit être préservée, mais les établissements peuvent déjà prévoir une convention sans cadre législatif, et l'artiste lui-même peut déjà se prononcer. Retrait, sinon avis défavorable.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Le code de la propriété intellectuelle répond déjà à vos préoccupations. Votre amendement sous-entend que la restitution appauvrit les collections - mais ces oeuvres n'auraient jamais dû y entrer ! (M. Pierre Ouzoulias opine du chef.) Cela me met un peu mal à l'aise : avis défavorable.
M. Lucien Stanzione. - Le code de la propriété intellectuelle mentionne bien l'oeuvre et son auteur.
Madame la ministre, nous réparons ce qui n'aurait jamais dû être, mais une oeuvre culturelle a une dimension universelle. Il faut restituer tout en continuant à faire profiter nos enfants de l'oeuvre et en expliquant la démarche de restitution.
M. Max Brisson. - Je partage le malaise exprimé par Mme la ministre et ne voterai pas l'amendement.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°12 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
L'avis de la commission est rendu public.
Mme Monique de Marco. - Dans la droite ligne des travaux de Corinne Bouchoux, nous soutenons la volonté d'accélérer les restitutions. Le texte lève d'importantes rigidités liées au déclassement. Renforçons l'opposabilité de la décision de la CIVS en prévoyant que ses avis soient publics.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - La CIVS propose non des recommandations mais des avis sur l'origine des biens. Leur publicité serait utile à la transparence et à l'élaboration d'une doctrine, comme cela se fait dans d'autres pays. Avis favorable.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Avis favorable à cette transparence.
L'amendement n°12 rectifié est adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°5, présenté par M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéa 2, première phrase
1° Après le mot :
nazie
remplacer le mot :
et
par le signe :
,
2° Remplacer le mot :
notamment
par les mots :
et par
L'amendement de coordination n°5, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°8, présenté par Mme N. Goulet.
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
se disant "gouvernement de l'État français"
par les mots :
"L'État français"
Mme Nathalie Goulet. - Coordination avec mon amendement n°7. Je le rectifie dans le même sens pour viser le régime de Vichy.
Mme la présidente. - C'est donc l'amendement n° 8 rectifié.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Défavorable, par cohérence.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - S'il est adopté, il faudra revenir sur les mots qui précèdent : « notamment l'autorité de fait... ». Je reste cependant sur mon avis défavorable.
L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°13 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
peuvent être
par le mot
sont
Mme Monique de Marco. - Parmi les 1 200 musées de France, 13 % sont des personnes morales de droit privé, qui bénéficient, grâce à ce label, des aides publiques, des transferts de propriété et des dépôts. Pendant l'Occupation, des collectionneurs privés ont acquis des biens qui peuvent se retrouver dans ces musées. Or l'article 2 ne prévoit pas de restitution systématique. Cela fragilisera les collections publiques. Les principes de Washington me semblent devoir avoir préséance, sur le modèle de ce que font les États-Unis.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure - Nous ne pouvons contraindre un musée privé, propriétaire de sa collection, à restituer un bien privé. (Mme Monique de Marco proteste.) L'article 2 est avant tout incitatif. Le Haut conseil des musées de France engagera le dialogue avec le propriétaire de l'établissement en cas de refus de restitution. Avis défavorable.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Le juge judiciaire est le gardien de la propriété privée et peut ordonner une mesure de cession en application de l'ordonnance de 1945. Ce texte crée une incitation ; en cas de non-restitution, l'avis de la CIVS pourra servir aux ayants droit à étayer leur position devant le juge. Avis défavorable.
L'amendement n°13 rectifié n'est pas adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°14 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 213-2 du code du patrimoine est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« .... - Ces dérogations ne s'appliquent pas aux demandes de communication émanant de la commission administrative mentionnée à l'article L. 115-3 du présent code, pour la stricte fin de recherche des propriétaires ou des ayants droit des biens ayant fait l'objet d'une spoliation entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées par l'Allemagne nazie et par les autorités des territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés, notamment l'autorité de fait se disant ?gouvernement de l'État français?. »
Mme Monique de Marco. - Le rapport d'information de 2013 de Corinne Bouchoux relevait le problème de l'inaccessibilité des archives, contraire au principe n°2 de Washington. La modernisation du site des archives du ministère des affaires étrangères à La Courneuve met en évidence notre retard. Les archives des ministères concernés par les lois d'aryanisation doivent lever les freins à la consultation, via des dérogations exceptionnelles si nécessaire.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - L'accès aux archives est essentiel pour documenter le parcours des biens. Toutefois, la CIVS ne semble pas rencontrer de difficultés particulières à cet égard : ainsi, le décret de 2015 a ouvert des archives de juridictions d'exception de Vichy et de la police judiciaire, entre autres. Les délais de couverture par le secret-défense sont échus. En outre, l'article L. 213-3 du code du patrimoine permet la consultation des archives publiques avant expiration des délais de communicabilité si l'atteinte n'est pas excessive. Nul besoin de prévoir une procédure dérogatoire : avis défavorable.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Nous ne constatons pas de difficulté d'accès aux archives publiques sur la période de la Seconde Guerre mondiale, y compris celles du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Les procès-verbaux des ventes sont désormais accessibles, plus de 75 ans après les faits, et des dérogations restent possibles pour les faits plus récents.
L'arrêté du 24 novembre 2015 permet la libre consultation avant les délais prévus par le code du patrimoine dans toutes les archives des ministères, et la circulaire du 2 octobre 1997 ouvre l'accès pour les archives de la période 1939-1945. Avis défavorable.
L'amendement n°14 rectifié est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°17 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 13° de l'article L. 321-18 du code de commerce, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« ...° De prévenir la vente de biens ayant fait l'objet d'une spoliation entre le 30 janvier 1933 et le 8 mai 1945 dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées par l'Allemagne nazie et par les autorités des territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés, notamment l'autorité de fait se disant ?Gouvernement de l'État français?. »
Mme Monique de Marco. - La restitution constituera un effort supplémentaire, notamment pour les collectivités territoriales. Afin que la responsabilité ne pèse pas uniquement sur elles, tous les intermédiaires du marché de l'art doivent être mobilisés. Lors de la restitution de Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo, une maison d'enchères avait fait un geste : il faut que cela soit systématisé.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Retrait. Nous avons déjà tout ce qu'il faut.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Même avis.
L'amendement n°17 rectifié est retiré.
L'article 3 est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 3
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié quater, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gold, Mme Pantel et MM. Requier et Cabanel.
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Un rapport du Gouvernement, remis annuellement au Parlement, dresse l'inventaire des biens culturels des collections publiques, des biens culturels des collections des musées de France appartenant aux personnes de droit privé à but non lucratif et des biens Musées Nationaux Récupération ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 restitués à leurs ayants droit au cours de l'année calendaire écoulée.
M. Bernard Fialaire. - Le Parlement doit être informé des restitutions. Cette loi-cadre ne peut faire l'économie d'un inventaire et de cette information, d'autant que les parlementaires se voient retirer leur capacité d'examen. Un document unique recensant les biens restitués serait utile.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Même s'il s'agit d'une demande de rapport, l'information du Parlement est logique. Sagesse.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°1 rectifié quater est adopté et devient un article additionnel.
Interventions sur l'ensemble
Mme Nathalie Goulet . - Même si les ordonnances de 1944 et de 1945 ont valeur législative, je reste convaincue que le maintien de la mention « se disant » est inapproprié. Nous devons y retravailler, afin d'éclaircir le droit.
Le texte est parfait, sous réserve de cette précision. Le vocabulaire juridique change dans le temps : retravaillons ces deux articles afin de les adapter à l'histoire telle qu'on la fait aujourd'hui.
Notre groupe votera ce texte avec enthousiasme.
M. Max Brisson . - Le groupe Les Républicains votera ce texte, première étape d'un triptyque. Le second, relatif aux restes humains, sera examiné en juin. Les choses sont peut-être plus incertaines pour le troisième volet, comme M. Levi l'a indiqué.
Je note une discordance entre l'article 1er et l'article 2 : la navette y pourvoira. Je regrette que nous ne soyons pas parvenus à un accord.
M. Pierre Ouzoulias . - Ce texte d'apparence technique est justifié. Roger Karoutchi l'a dit avec force : jamais un texte de loi ne pourra réparer la Shoah, plaie ouverte au flanc de notre humanité. Nous ne faisons qu'apporter une réponse de droit, nous ne réparons pas l'irréparable. Je salue la relation de confiance avec le Gouvernement et regrette qu'il n'en ait pas toujours été de même...
Aujourd'hui, nous posons des principes juridiques très forts. L'instruction des dossiers à la fois par une commission scientifique et une commission administrative constitue un bon modèle. Je souhaite que les universités, à travers les nouvelles générations de doctorants, participent au travail de mémoire et au récolement des données.
Comme Max Brisson, j'espère que le troisième texte s'inspirera de ces principes.
M. Lucien Stanzione . - Nous sommes satisfaits du travail mené, même si nous aurions apprécié quelques améliorations. Ce soir, nous instaurons une automaticité de la restitution. Mais l'automaticité ne doit pas être synonyme d'oubli. Les projets de loi de restitution permettaient un débat bien au-delà des murs de cet hémicycle ; il faut trouver le moyen de continuer à en parler.
Il reste encore deux textes à examiner. Le troisième, sur la restitution des biens mal acquis, est particulièrement important.
M. Bernard Fialaire . - Nos collègues Karoutchi et Ouzoulias ont rappelé à raison que ce texte technique ne pourrait réparer les exactions commises. Cependant, chaque pas symbolique compte.
N'oublions pas de former des professionnels de la recherche de provenance, et de leur donner les moyens d'agir. Leur travail participe du devoir de mémoire.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Ce texte accélérera la restitution des biens. Cet exemple de loi-cadre pourra sans doute se dupliquer. Nous sommes face à un travail monumental de recherche de provenance, qu'il faut soutenir.
Je remercie tous ceux qui nous ont aidés à écrire ce texte.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture . - Ce texte n'a pas vocation à réparer la Shoah - comment le prétendre ? Mais il a vocation à rendre justice aux familles. Nous devons nous satisfaire de ce consensus pour l'accélération du processus.
Entre 1933 et 2023, trois générations auront passé : comment ne pas penser à ceux qui ne sont plus là aujourd'hui ? En 1995, il y a 28 ans, le président Chirac déclenchait le processus de justice.
Nous ne connaissons pas le nombre exact de spoliations - 100 000, 150 000. Nous n'en restituerons malheureusement que très peu.
Mais pour que le processus s'accélère, encore faut-il que les moyens humains suivent, madame la ministre. Nous attendons avec impatience les deux autres textes. (Applaudissements)
Le projet de loi est adopté.
Mme la présidente. - Merci pour cette unanimité.
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture . - Je remercie le Sénat pour la qualité de nos débats. J'étais heureuse que le texte soit examiné en premier lieu par la Chambre Haute, qui mène un travail de longue date sur le sujet - je salue notamment le travail de l'ancienne sénatrice Corinne Bouchoux.
Monsieur Karoutchi, dans mon discours, j'ai pesé chaque mot : la restitution est un acte de justice, non de réparation. Rien ne pourra réparer la Shoah, mais cette loi est une loi de reconnaissance et une loi d'action. Le ministère de la culture et les musées sont pleinement mobilisés pour agir en faveur de la restitution. Les formations du personnel des musées tiennent désormais compte de cette réalité historique. Soyez assurés de mon engagement pour rendre cette loi effective. (Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.
Mises au point au sujet d'un vote
Mme Micheline Jacques. - Lors du scrutin public n°291, Mme Françoise Dumont, Mme Viviane Malet, et M. Dominique de Legge souhaitaient voter pour.
Mme la présidente. - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.
Instaurer une majorité numérique (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.
Discussion générale
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications . - L'insécurité sur internet progresse de jour en jour et nos enfants en sont les principales victimes : surexposition aux écrans, addiction aux réseaux sociaux, cyberharcèlement, exposition à des contenus inappropriés, autant de violences faites à une génération qui menace d'être sacrifiée si rien n'est fait. Nous devons à nos enfants d'agir.
Sous l'impulsion du Président de la République et des parlementaires, la France agit depuis quelques années. Mieux : elle montre la voie. Grâce à une initiative parlementaire, elle sera le premier pays au monde à imposer le contrôle parental pour tous les équipements vendus sur son sol.
Tous les élèves de sixième bénéficieront dès l'année prochaine d'un passeport numérique qui les sensibilisera à ces risques.
Un site internet, jeprotegemonenfant.gouv.fr, a été conçu pour aider les parents à mieux accompagner leurs enfants. Une campagne nationale de communication a été lancée pour faire connaître cette aide à la parentalité numérique.
L'an dernier, c'est grâce au volontarisme de la France qu'a été adopté un règlement sur les services numériques qui fait entrer les plateformes dans l'ère de la responsabilité. Au-delà des obligations générales telles que la modération des contenus illicites, l'audit par de tierces parties des algorithmes, le partage des données avec les chercheurs pour leur permettre d'analyser les dérives, il comporte aussi des mesures concrètes pour protéger les enfants : publication de conditions générales faciles à lire, protection renforcée de la vie privée et interdiction de la publicité ciblée.
C'est une véritable révolution dans la régulation des éditeurs de réseaux sociaux qui entrera en vigueur en août prochain. Les pénalités s'élèveront à 6 % du chiffre d'affaires des plateformes, qui, en cas de récidive, ne seront plus autorisées à émettre.
Une mesure issue des travaux de la rapporteure et des sénatrices Billon, Cohen et Rossignol, vise à autoriser l'Arcom à bloquer les sites pornographiques qui ne respectent pas l'obligation de vérifier l'âge de leurs utilisateurs.
En outre, une peine d'un an d'emprisonnement et 250 000 euros d'amende est prévue pour les hébergeurs ne retirant pas sous 24 heures les contenus signalés par les forces de l'ordre, sur le modèle de ce qui existe pour le terrorisme.
Mais nous devons aller plus loin : c'est l'objet de cette proposition de loi du président Marcangeli, aux termes de laquelle les plateformes devront contrôler l'âge de leurs usagers et recueillir le consentement parental si les utilisateurs ont moins de 15 ans. Merci à la commission et à sa rapporteure, qui ont su éviter deux écueils : empiéter sur le règlement numérique européen et déposséder l'autorité parentale.
Le Gouvernement soutiendra cette proposition de loi amendée par la commission.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'enfance . - L'espace numérique a des atouts formidables, mais il est aussi source de dangers, notamment pour les enfants. Dans le monde réel comme dans le monde virtuel, nous devons garantir leur sécurité et leurs droits. C'est l'un des cinq chantiers prioritaires fixés par la Première ministre lors du premier comité interministériel de l'enfance.
Nous devons lutter contre l'utilisation excessive des écrans, qui provoque troubles du comportement, du langage, addictions et troubles du sommeil. Nous devons également interdire aux mineurs l'accès à des contenus inadaptés à leur âge, la pornographie notamment. Nous devons aussi combattre le cyberharcèlement et toute forme d'infraction dont les mineurs peuvent être victimes sur Internet. Nous devons enfin les garantir contre le détournement d'images sur les réseaux sociaux - qui constituent la moitié des images trouvées sur les ordinateurs des pédocriminels.
Mes collègues Pap Ndiaye, Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti sont mobilisés. Nous savons pouvoir compter sur l'action des parlementaires. Collectivement, nous mesurons chaque jour la capacité de nuisance des écrans sur nos enfants. Nous bâtissons une véritable stratégie pour prévenir les risques, mieux accompagner les parents et responsabiliser les plateformes.
Au Parlement, trois propositions de loi visant à mieux protéger les enfants en ligne sont examinées depuis le début de l'année. C'est un message politique clair et fort. En janvier, le texte de Bruno Studer et Laurent Marcangeli a été largement adopté à l'Assemblée nationale. Je salue le travail du Sénat en matière de lutte contre la pédopornographie, ainsi que le travail de la commission d'enquête sur TikTok conduite par le président Malhuret.
La protection des enfants en ligne peut nous unir. Les algorithmes causent de nombreux dégâts - comportements addictifs, désinformation, violences...
Loin de moi l'idée de diaboliser les réseaux sociaux et les grandes plateformes, mais je dois alerter sur les risques qui abîment la santé des plus jeunes. Par imprudence ou méconnaissance, nous avons baissé la garde : il faut rattraper le temps perdu.
Nous avons choisi de renforcer l'éducation des enfants, l'accompagnement des parents et la formation des parents comme des professionnels. Nous généralisons les ateliers de parentalité numérique sur l'ensemble du territoire et nous renforçons les obligations de l'autorité parentale dans l'environnement numérique, en précisant l'âge à partir duquel un enfant peut s'inscrire sur un réseau social, ce qui n'est jamais anodin. Les enfants y sont confrontés à des risques de cyberharcèlement ; là où il y avait incitation ponctuelle à la haine, il y a démultiplication des dangers. Contrôler l'accès des mineurs aux réseaux sociaux est une réponse efficace.
Je soutiens ainsi cette proposition de loi de Laurent Marcangeli : interdire aux enfants de moins de 15 ans de s'inscrire sur les réseaux sociaux sans l'accord de leurs parents les protégera. On nous objectera que l'intérêt supérieur de l'enfant limite la liberté des adultes, mais il ne faut pas céder à la facilité. Prendre soin des enfants est la priorité du Président de la République, du Gouvernement, comme la mienne.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure de la commission de la culture . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans leur monde idéal, les réseaux sociaux constituent un formidable espace de partage, de création et de débat ; c'est également un outil de culture et de connaissance. Cet idéal est malheureusement resté une projection, un leurre, en attirant parfois des utilisateurs aveuglés par les sirènes manipulatrices leur avançant que leur utilisation était sans danger. Conçues pour attirer l'attention, ces plateformes ont su créer un écosystème qui fait désormais partie de notre société.
Je me penche depuis plusieurs années sur les conséquences de la surutilisation d'internet par les mineurs. Mère d'adolescents, je suis un témoin éclairé de ce qu'internet fait aux jeunes. Cette proposition de loi fait consensus. Faut-il expliquer pourquoi nous nous concentrons sur les réseaux sociaux ? Ils sont partout. Nos enfants n'imaginent plus vivre sans eux. Nul procès ni posture moraliste : les réseaux sociaux ne sont pas responsables de toutes les dérives d'internet, mais ne nions pas les dérives qui leur sont spécifiques. Près de la moitié des enfants de 6-10 ans ont un smartphone - 6 ans, c'est l'âge du CP - et 65 % des adolescents ont un compte sur les réseaux sociaux. La moitié d'entre eux estiment qu'ils seraient dévastés sans cet accès, ne serait-ce que plusieurs jours.
Un scroll vers le bas, un coup d'oeil aux commentaires nous entraînent vers un tunnel sans fin : les algorithmes retiennent des contenus adaptés à nos intérêts avec deux variables, la satisfaction due à un commentaire positif et le partage d'expérience qui marque l'appartenance à une communauté.
C'est le marché de l'attention. Le mécanisme serait similaire à l'addiction aux drogues : TikTok, c'est le tabac de la nouvelle génération, selon le témoignage d'une adolescente dans un grand quotidien. Connaissez-vous le FOMO, en anglais Fear of missing out, la peur de manquer quelque chose, conséquence des réseaux sociaux, syndrome présent chez les adolescents. La comparaison est parfois source de plaisir, mais aussi un poison qui détruit l'estime de soi, engendrant envie et jalousie : on a le sentiment de voyager trop peu, d'être moche, d'avoir une vie de famille triste.
Notre cerveau nous compare aux autres, mais le discernement des adultes n'est qu'en cours d'acquisition chez les enfants. Les réseaux sociaux sont la vitrine d'une vie rêvée. Leur surutilisation a des impacts : un lien direct avec l'isolement social est prouvé, selon l'université de Pittsburgh. Les indices sont nombreux : les enfants et adolescents, plus sensibles que les adultes, sont les premiers concernés par ces risques psychiques et sociaux. Près de 50 % des adolescentes présentent des symptômes de dépression, pour 5 heures par jour passées sur les réseaux sociaux. « Encore cinq minutes de TikTok et je me couche » : nombre de parents entendent ces phrases, alors que les études sur les conséquences sur la mémoire sont établies. En outre, autoriser est une chose, contrôler une autre : 82 % des 10-14 ans consultent les réseaux sociaux sans leurs parents.
Les dérives sont nombreuses, notamment pour la haine en ligne, trouvant un terreau privilégié pour être diffusée, lâchement et plus facilement, à un public plus large. L'anonymat derrière l'écran fait des réseaux sociaux un espace de défoulement pour les uns et le début d'un cauchemar pour les autres. Près de 12 % des 8-18 ans ont été victimes de cyberharcèlement, selon l'association e-Enfance. Les dispositifs existants ne les protègent pas assez, sans même parler des prédateurs sexuels et des vendeurs de drogue.
L'éducation nationale a aussi pour mission d'apprendre les règles de vie en société : notre société faisant corps avec le numérique, le cyberharcèlement doit être abordé en classe.
Ce texte relève du bon sens : avant 15 ans, l'inscription sur un réseau social n'aura lieu qu'avec l'accord d'un des deux parents, selon le principe de la majorité numérique à l'article 2. J'ai tenu à rendre le texte plus opératoire : la commission de la culture a adopté des amendements à l'unanimité pour renforcer les pouvoirs de la Cnil en matière de respect des données personnelles notamment.
L'autorité parentale est placée au coeur du dispositif : il faut un dialogue en famille pour être conscient des dangers d'une surexposition aux réseaux sociaux, surtout lorsqu'on voit la proportion des moins de 13 ans inscrits sur les réseaux sociaux, malgré l'interdiction fixée actuellement par les plateformes. Tout montre que la puberté numérique est de plus en plus précoce, et les parents de plus en plus débordés : 83 % des parents indiquent ne pas savoir exactement ce que leurs enfants font sur internet.
Ce texte complétera les deux autres votés récemment, l'un visant à encadrer l'influence commerciale des influenceurs, et l'autre visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants. Le Sénat prouve son intérêt pour ce grand défi du siècle. L'article 2 du prochain projet de loi Sécuriser et réguler l'espace numérique portera sur le contrôle de l'accès des mineurs aux sites pornographiques. Notre délégation aux droits des femmes, avec son rapport Porno : l'enfer du décor faisait plusieurs recommandations : je vous remercie d'en avoir tenu compte.
Cette proposition de loi ne prétend pas résoudre l'ensemble des problèmes, mais est une pierre dans un édifice global de prévention des risques - cyberharcèlement, violences sexuelles et sexistes, fausses informations - la théorie de la terre plate séduit un jeune sur six.
Il s'agit d'un signal fort en Europe avec un cadre juridique solide et des garde-fous indispensables à la protection des mineurs. Je vous remercie de vos amendements porteurs de propositions d'améliorations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Billon applaudit également.)
M. Thomas Dossus . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.) Cette proposition de loi traite une question essentielle, déjà abordée par la proposition de loi visant à lutter contre le cyberharcèlement, celle pour protéger l'image des mineurs en ligne, ou la commission d'enquête sur l'usage de TikTok.
Ce texte vise à réguler la présence des mineurs sur les plateformes des réseaux sociaux, en fixant une majorité numérique à 15 ans, en dessous de laquelle l'accord parental est obligatoire pour s'y inscrire. Ce texte, pour la première fois, inscrit dans la loi une définition juridique des réseaux sociaux reprenant celle du DMA (Digital Markets Act). Corrigé avec l'amendement qui exclut Wikipédia, c'est un pas en avant.
Un cadre contraignant impose aux plateformes de répondre aux réquisitions judiciaires dans le cadre d'une enquête préliminaire ou de flagrance. Le texte va dans le bon sens.
Mais il reste flou dans sa mise en oeuvre, notamment pour la mesure phare : comment contrôler effectivement l'âge des personnes s'inscrivant sur les plateformes ? L'Arcom devra se débrouiller pour mettre en oeuvre une solution technique qui n'existe pas, après consultation de la Cnil. Celle-ci constate que les dispositifs existants ou envisagés sont peu satisfaisants, car ils reposent sur une collecte massive de données ou sont trop facilement contournables, notamment s'ils sont déclaratifs. Les professionnels reconnaissent leur incapacité et le flou juridique.
Ce texte relève d'un voeu pieux, d'une pensée magique selon laquelle nous pourrions résoudre maintenant un problème aussi vieux qu'internet. Pourquoi décharger le législateur de sa responsabilité ? La solution n'est pas que technique, elle est politique. L'anonymat sur internet, la protection des données, le rôle d'internet dans la vie de la cité, la place des contenus haineux ou violents, la protection des enfants, toutes ces questions sont trop importantes pour s'en dessaisir avec hypocrisie.
Toutefois, comme ce texte ne comporte pas de mesures néfastes et peut aider les familles à accompagner leurs enfants sur internet, le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. David Assouline et Jean-Jacques Michau applaudissent également.)
M. Julien Bargeton . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le numérique ouvre de nombreuses possibilités, mais aussi des dangers.
Les conséquences de l'utilisation du numérique pour les jeunes, c'est une exposition accrue aux risques : 82 % des enfants de 10 à 14 ans vont sur internet sans leurs parents, 95 % des adolescents sur les réseaux sociaux. L'âge moyen de la première inscription, c'est 8 ans et demi.
La progression des jeux vidéo au détriment des devoirs ou des cours, accrue par le confinement, accompagne cette dynamique. TikTok est utilisé massivement, pas seulement par des jeunes, avec 15 à 20 millions d'utilisateurs en France, contre 4,5 millions il y a trois ans. Ainsi, 60 % des jeunes utilisent un réseau social. Cette massification maximise les risques.
Dépendance liée aux algorithmes, confrontation à des prédateurs ou à des dealers, isolement, baisse de l'estime de soi, sédentarité accrue : voilà les dangers.
Le contrôle de l'âge s'est accru. Les jeux en ligne sont mieux protégés, mais un effort reste à faire pour les sites pornographiques.
Une étude récente de la Fondation Jean Jaurès indique qu'une plus grande exposition aux réseaux sociaux provoque de fausses croyances. Ainsi, seuls 33 % des jeunes pensent que la science apporte plus de bien que de mal, contre 55 % en 1972. La croyance dans le climatoscepticisme atteint 82 % des jeunes utilisant fréquemment les réseaux sociaux.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'isolement social perçu est plus grand avec les réseaux sociaux. D'autres études montrent un effet psychologique faisant appel à la dopamine, proche de celui en jeu pour les machines à sous. Enfin, l'utilisation des réseaux sociaux impose les mêmes normes, et entraîne des comparaisons pouvant être négatives.
Nous avons étudié plusieurs textes sur ces sujets : encadrement de l'utilisation des téléphones dans les établissements scolaires en 2018, plus récemment, enfants influenceurs, protection de l'image des enfants, ou cyberharcèlement. Ces autres textes seront complétés par cette proposition de loi et le projet de loi sur la sécurisation de l'espace numérique.
Nous construisons, jalon après jalon, un encadrement de l'utilisation du numérique par les jeunes. Lors de la création d'internet, ou des réseaux sociaux, l'espoir était grand ; aujourd'hui, on en perçoit les risques. Doit enfin venir le temps d'un internet régulé et apaisé, pour le bénéfice de nos jeunes. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. David Assouline . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les sujets concernant la jeunesse et la haine en ligne ont toujours été au coeur des combats du groupe SER. Rapporteur en 2008 de la mission d'information « nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ? », je mettais la problématique sur la table. Nous parlions alors de libération, mais également d'abandon de la part des parents et de l'éducation nationale.
Ce texte va dans le bon sens. La situation est toujours plus inquiétante, comme l'indiquent les chiffres. Les enfants s'inscrivent de plus en plus tôt sur les réseaux sociaux, en moyenne vers 8 ans et demi selon la Cnil, et plus de la moitié des 10-14 ans y sont présents. De plus, 63 % des moins de 13 ans ont un compte sur un réseau social, ce qu'interdisent les conditions générales d'utilisation.
Les parents supervisent peu les pratiques de leurs enfants : 50 % seulement décident du moment et de la durée de connexion de leurs enfants, et 80 % déclarent ne pas exactement savoir ce que leurs enfants font en ligne, chiffre n'ayant presque pas évolué depuis 2008.
Les troubles de l'humeur, du sommeil, de l'anxiété, la désinformation ou le cyberharcèlement sont des risques. L'anarchie libérale qui existe sur internet et sur les plateformes est un danger : les enfants sont des proies faciles pour ces entreprises qui ne cherchent qu'à maximiser le profit.
L'exemple le plus criant est TikTok : la commission d'enquête créée par le Sénat sur cet acteur chinois n'est pas anodine. Il faut mieux comprendre l'effet des réseaux sociaux sur nos jeunes. Des travaux ont déjà été menés : l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique vise à protéger les mineurs de la pornographie.
La loi Avia et la loi sur les séparatismes ont ensuite apporté des avancées. Le texte dont nous parlons poursuit cette logique, vers plus d'encadrement, mais aussi une actualisation avec la création d'une majorité numérique.
Cela complète des dispositifs encore insuffisants à protéger les enfants en ligne, comme le contrôle parental par défaut. La proposition de loi définit aussi les réseaux sociaux, reprenant celle du DMA. Notre groupe proposera d'exclure les encyclopédies en ligne à but non lucratif de cette définition, à l'instar de ce que fait la directive européenne.
Les plateformes devront vérifier l'âge des utilisateurs pour respecter la condition des 15 ans, sauf accord parental. L'Arcom devra certifier le dispositif technique, sous peine d'amende allant jusqu'à 1 % du chiffre d'affaires mondial. Actuellement, aucun contrôle n'est satisfaisant.
L'Assemblée nationale a amélioré le texte, avec la possibilité pour les parents de demander la suspension du compte de leur enfant sur un réseau social, l'obligation pour les plateformes de diffuser des messages de prévention contre le harcèlement et de publier le numéro vert 3018 contre le cyberharcèlement, et l'extension de la liste des contenus illicites signalés par les utilisateurs.
Mais le texte ne va pas encore assez loin. Dès 2008, j'insistais sur la nécessité d'une éducation aux médias et aux réseaux sociaux. Mon rapport proposait déjà le renforcement des messages de prévention, une étude sur l'effet de la publicité en ligne et le renforcement du rôle des professeurs documentalistes, l'utilisation des nouveaux médias comme support pédagogique prioritaire dans les cours d'éducation civique, ainsi qu'un module de dix heures annuelles d'éducation aux médias en quatrième et en seconde. Je regrette que nombre de ces propositions n'aient pas été appliquées, le plus souvent faute de moyens. Il faudra donc continuer à avancer.
L'article 1er ter est une recommandation de la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, présidée par Sabine Van Heghe. Nous sommes aussi favorables à l'article 5 : il ne faut pas fusionner le 3018 et le 3020, qui ont leurs spécificités. Nos amendements visent à mieux prendre en compte le rapport fait par Sylvie Robert au nom de la Cnil.
Le projet de loi Sécuriser et réguler l'espace numérique sera l'occasion de revenir sur ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. Jérémy Bacchi . - Le sujet de l'accès et de l'usage d'internet et des réseaux sociaux par les mineurs est majeur. C'est une tendance lourde, avec une première inscription à 8 ans et demi. Un quart des 7-10 ans se rendraient régulièrement sur les réseaux sociaux : le risque d'addiction est réfléchi et organisé par les multinationales.
Près de 60 % des enfants et adolescents déclarent avoir subi du cyberharcèlement, qui peut mener au suicide - 16 % des décès chez les jeunes. Un enfant cyberharcelé sur deux y a songé.
L'accès à internet induit aussi un risque d'uniformisation et l'exposition à des sites à caractère sexuel, raciste, antisémite ou homophobe. Indéniablement, les plateformes apportent des connaissances mais exposent aussi à des stéréotypes et à la violence. Aujourd'hui, il existe un gouffre entre les obligations réglementaires des plateformes et la réalité du monde en ligne.
Alors qu'un âge minimum est requis, plus de la moitié des moins de 13 ans sont inscrits sur un réseau social. Cela va de pair avec la précocité croissante de l'accès au smartphone. Il faut un encadrement plus ferme. En tant que parlementaires, notre main ne doit pas trembler pour protéger les jeunes de façon exigeante et contraignante.
Nous devons aussi accompagner les parents dans l'accès de leurs enfants à internet. C'est pourquoi nous approuvons la majorité numérique à 15 ans, conforme à la législation européenne et aux recommandations de la Cnil.
En revanche, nous devons être vigilants quant aux données requises pour authentifier l'âge. Les délais prévus sont de huit heures pour les cas urgents, de dix jours sinon - nous aurions préféré un délai de 48 heures.
De plus, la sanction n'est pas en adéquation avec le poids économique de ces entreprises, alors que le texte initial prévoyait une amende de 1 % du chiffre d'affaires mondial.
Nous souscrivons à la demande de rapport de l'article 4 : ces connaissances permettront un gain d'efficacité. En revanche, la fusion des plateformes d'appel pour le cyberharcèlement et le harcèlement scolaire ne doit pas signifier une baisse de moyens.
Malgré quelques points de vigilance, ce texte est une première étape : notre groupe le votera.
M. Jean Hingray . - Le numérique, l'internet, les tablettes ont pris une place centrale chez les enfants et les adolescents. Leur impact est inquiétant, le bilan de la rapporteure est éclairant. Ainsi, 60 % des 11-18 ans sont inscrits sur un réseau social ; 80 % des parents ne savent pas ce que font leurs enfants en ligne. En réalité, 20 % des parents ignorent qu'ils ne savent pas ce que leurs enfants font en ligne...
Les dangers du numérique sont nombreux. La proposition centrale du texte est double : obliger à vérifier l'âge de l'utilisateur et garantir le consentement du titulaire de l'autorité parentale.
L'Assemblée nationale prévoyait un dispositif plus complexe, avec une inscription dès 13 ans sur des sites labellisés, mais cela laissait bien des questions en suspens. Qui labelliserait ? Sur quels critères ? C'est pourquoi la commission l'a supprimé, nous nous en réjouissons.
Ce texte fait écho au rapport d'Annick Billon sur la pornographie en ligne et aux travaux de Catherine Morin-Desailly qui milite pour la régulation des plateformes. C'est le nerf de la guerre : sans contrainte, nous nous limitons à un acte performatif, aussi beau qu'il est platonique.
Heureusement, les choses évoluent. Le DSA renforcera la responsabilité des plateformes en matière de modération, et le DMA opérera un rééquilibrage avec les entreprises qui recourent à leurs services. Le projet de loi s'inscrit dans cette démarche.
Le groupe UC votera cette proposition de loi, à laquelle le texte sénatorial donnera les moyens de se concrétiser. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Bernard Fialaire . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Si la petite Poucette de Michel Serres a, au bout de ses doigts, toute l'information des encyclopédies, le risque d'addiction aux réseaux sociaux colle à ceux de nos enfants. Sans régulation, les algorithmes augmentent leur emprise sur le cerveau des enfants.
Ainsi, 82 % des 10-14 ans consultent internet sans leurs parents, et 46 % des 6-10 ans ont un smartphone. Les conséquences psychologiques et sociales vont de l'addiction au suicide, en passant par le cyberharcèlement. La régulation est donc nécessaire et urgente. J'avais donc déposé un amendement prévoyant un message d'avertissement sur les conséquences néfastes des réseaux sociaux sur la santé physique et mentale.
Il ne s'agit pas de punir les plus jeunes, mais de remettre les parents au coeur de la relation entre le mineur et le numérique. Ce texte prolonge et améliore l'article 8 du règlement général sur la protection des données (RGPD) qui fixe l'âge de 15 ans pour le consentement à l'utilisation des données personnelles.
Mais le 100 % sécurité n'existe pas : la tentation de jouer avec les règles, caché derrière l'écran, est grande. Aucune solution technique ne répond au défi de l'authentification de l'âge, même s'il faut suivre, par exemple, l'initiative européenne de consentement éclairé électronique, eConsent.
Les algorithmes savent déjà très bien identifier les contenus vers lesquels orienter les utilisateurs. Si les opérateurs ne jouent pas le jeu, il faut des sanctions dissuasives.
Le cyberharcèlement touche un million d'élèves chaque année. Si le 3818 et le 3820 vont dans le bon sens, un seul numéro, facilement repérable et avec un standard unique, est plus souhaitable. L'État ne doit laisser aucun enfant en détresse derrière son écran : le RDSE votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Chaque jour, nous constatons les effets toxiques des plateformes de réseaux sociaux sur les enfants et les adolescents. Le défi est de taille. L'excellent rapport d'Alexandra Borchio Fontimp est éloquent, avec 28 % des 6-10 ans se rendant régulièrement sur un réseau social. 60 % des 11-18 ans seraient inscrits sur TikTok. Dépression, isolement, troubles du sommeil et de la mémoire : les conséquences sont nombreuses.
La Cnil rappelle que 6 % des collégiens sont harcelés jusque dans leur chambre. De leur côté, les parents ignorent comment superviser la vie numérique de leurs enfants, que les plateformes sursollicitent. La régulation est donc un enjeu de santé publique.
La borne de 15 ans doit être une boussole pour les parents et un message aux réseaux sociaux, alors que nos voisins européens encadrent les outils numériques. La remise d'un rapport au Parlement contribuera à animer le débat public sur ce sujet.
Techniquement, ce texte incite les plateformes à développer des solutions d'identification de l'âge de l'enfant et de recueillement du consentement des parents. Cependant, sa mise en oeuvre sera complexe. Il faudra compter sur la bonne volonté des plateformes. Les précisions techniques de la rapporteure compléteront les sanctions.
L'entrée en vigueur de la loi est décalée pour respecter le délai de consultation de la Commission européenne.
Ce texte ambitieux est donc une partie de la réponse, mais il rencontrera d'autres obstacles. Ainsi, le Sénat a récemment adopté la proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs, et celle visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants.
Exposer trop tôt un enfant aux écrans et à internet nuit à la construction de sa personne. Il faut trouver les bons équilibres face aux nouvelles technologies. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Claude Malhuret . - Nous connaissons tous, désormais, les dangers des réseaux sociaux : fake news, violences, challenges dangereux et bien d'autres. Nous sommes bien loin des premiers réseaux, qui ne servaient qu'à conserver des liens avec la famille et des amis éloignés.
Le défi est double : protection de l'enfance et santé publique. Ainsi, 55 % des 10-14 ans ont au moins un compte, alors que cela est interdit aux moins de 13 ans. Or la première inscription a lieu à 8 ans et demi en moyenne.
Ces réseaux sont construits sur l'économie de l'attention. Leurs algorithmes ciblent le contenu, qui est donc addictif. Les mineurs ne sont pas épargnés : confrontés aux théories du complot les plus diverses, ils ne savent pas toujours trier la surcharge d'informations. Ainsi, un jeune Français sur six pense possible que la terre soit plate, un sur cinq que les pyramides d'Égypte ont été bâties par des extraterrestres. Il est loin le temps du vidéoclub où il fallait passer l'obstacle du vendeur pour louer une cassette... Désormais, les contenus pornographiques sont accessibles gratuitement sans vérification d'âge. Deux millions de mineurs en France sont exposés, chaque mois, à la pornographie en ligne. Cela nous engage à agir.
Les réseaux sociaux permettent l'anonymat, favorisant tous les excès, comme le soulignait Colette Mélot dans son rapport sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Un enfant sur dix en souffre, alors qu'il se poursuit jusqu'au domicile familial.
De même, certains réseaux sociaux participent à l'hypersexualisation des jeunes et permettent des échanges avec des majeurs malintentionnés. Cela ne peut plus durer.
Cette proposition de loi est donc une première étape. Elle va dans le bon sens. Je salue Laurent Marcangeli pour son engagement et remercie notre rapporteure pour son travail.
Lors de l'examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République, j'avais déposé un amendement pour rendre les plateformes responsables des données qu'elles stockent : malgré un vote unanime au Sénat, il n'a pas été retenu à l'Assemblée nationale. Je le regrette. Il faut aussi sensibiliser les parents.
Le nombre de textes sur le numérique examinés ces derniers mois témoigne de l'engagement du Parlement sur ce thème, du respect du droit à l'image des enfants aux dérives des influenceurs, sans oublier la commission d'enquête sur TikTok dont je suis rapporteur.
Il faut un internet sûr et sain. Nos travaux se poursuivront avec le projet de loi sur la sécurisation de l'espace numérique. Le groupe INDEP votera ce texte.
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Max Brisson applaudit également.) Je remercie la rapporteure pour la qualité de son travail. En ce moment même, des jeunes sont harcelés en ligne, ou visionnent des contenus pornographiques.
La législation européenne impose aux réseaux sociaux de fixer une majorité numérique entre 13 et 16 ans. En dessous de 13 ans, les enfants ne devraient pas y avoir accès. Pourtant, 87 % des 11-12 ans ont déjà un compte.
La proposition de loi crée une majorité numérique fixée à 15 ans : en dessous de cet âge, l'autorisation parentale sera nécessaire.
Malheureusement, il suffit d'un clic pour transgresser l'interdit numérique. Contourner l'accord parental est plus simple que contrefaire la signature d'un parent sur un mauvais devoir. Les outils techniques de contrôle parental sont insuffisants. Notre rapport Porno : l'enfer du décor formule des recommandations en ce sens, avec des critères exigeants en matière d'évaluation des solutions techniques et une vérification d'âge fondée sur le double anonymat.
L'appel du Sénat a été entendu par le Gouvernement, et les premiers articles du projet de loi sur l'espace numérique reprennent une dizaine de nos recommandations.
Plusieurs solutions de contrôle de l'âge ont été évoquées, notamment la double authentification développée par le PEReN (Pôle d'expertise de la régulation numérique) et la Cnil. Nous en attendons les premières conclusions. Mais les dispositifs prévus pour les sites pornos ne seront pas aisément transposables aux réseaux sociaux : l'âge minimal n'est pas le même, et la protection des mineurs doit se penser à l'échelle des réseaux, car les VPN permettent déjà de contourner la loi française.
Nous sommes face à un enjeu de santé publique : l'exposition aux écrans et aux réseaux sociaux a des conséquences avérées sur l'estime de soi et sur le rapport aux autres.
Il faut combler les vides juridiques pour protéger les enfants, mais aussi notre modèle de société. Nous devons tout tenter pour, enfin, réussir à contrôler l'accès à la toile. Contrôler, sanctionner, former, éduquer : la tâche est immense. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Max Brisson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Notre droit doit sans cesse s'adapter face aux nouvelles pratiques constatées sur internet. À peine votée la proposition de loi sur le droit à l'image des enfants, nous nous retrouvons pour délibérer sur les réseaux sociaux.
Mais les difficultés techniques sont nombreuses. Comment les plateformes pourront-elles s'assurer que l'âge communiqué est bien l'âge effectif ? Comment vérifier le consentement des parents ?
Dans ces conditions, pourquoi légiférer ? D'abord parce que les plateformes ont évoqué des pistes de solutions technologiques : la proposition de loi les y incite fortement, en prévoyant des sanctions. Ensuite pour démontrer une volonté politique de protéger nos jeunes, en s'inscrivant dans une démarche globale au sein de l'Union européenne. La France doit donner l'exemple. La protection des mineurs, qui a une longue histoire dans notre pays, doit s'adapter au numérique.
Il nous faut aussi développer la prévention et inscrire dans notre droit la place des parents dans le rapport des jeunes aux réseaux sociaux. Les enfants y sont massivement connectés, et de plus en plus tôt : 83 % des 10-14 ans consultent régulièrement internet sans leurs parents. La première inscription aux réseaux sociaux intervient à 8 ans et demi, un quart des 7-10 ans les utilisent régulièrement, phénomène renforcé par la crise sanitaire. Or les parents, par impuissance et par méconnaissance, ne surveillent pas les activités de leurs enfants sur internet : à peine 50 % d'entre eux décident du moment et de la durée de connexion, 80 % ne savent pas exactement ce qu'ils consultent.
Cette surexposition induit de nombreux risques sur leur développement et leur construction sociale, mais aussi en matière de cyberharcèlement.
Certes, internet ne se résume pas à ces seules expériences, mais la société est confrontée à un double défi de santé publique et de protection de l'enfance qui n'a pas été anticipé.
Ce texte permet aux parents de mieux contrôler la présence de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Il intègre enfin la définition européenne des réseaux sociaux et édicte des règles, notamment sur les numéros verts ou la procédure de réquisition judiciaire.
Je salue le travail de notre rapporteure, qui a voulu rendre le texte plus opérationnel et lui laisser sa chance.
Le groupe Les Républicains votera ce texte. Monsieur le ministre, vos échanges avec les fournisseurs de services et de contenus sont essentiels : la balle est désormais dans votre camp. S'ils le veulent vraiment, ils donneront un contenu à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis des années, la législation française n'est pas à la hauteur de l'utilisation d'internet par les mineurs. Exposition à la haine en ligne, hausse des tendances suicidaires, risque de revenge porn, autant de dangers auxquels sont confrontés nos enfants.
Certes, le droit européen interdit l'accès aux réseaux sociaux avant 13 ans, avec possibilité pour les États membres d'aller jusqu'à 16 ans. Nous avons aussi acté l'obligation pour certains sites, notamment pornographiques, de refuser l'accès aux mineurs.
Mais la plupart du temps, ces sites exigent une simple déclaration : c'est là que le bât blesse. La reconnaissance faciale ou l'utilisation d'une carte bancaire - possible dès 12 ans, ou en prenant celle des parents - sont insuffisantes, et le portefeuille européen d'identité numérique reposant sur le recours aux documents officiels n'est pas au point. Faute de solutions techniques éprouvées, les plateformes ne respectent pas leurs obligations et ne sont pas sanctionnées.
C'est ici qu'intervient le texte. Il fixe une majorité numérique à 15 ans : en dessous, les réseaux sociaux devront refuser l'accès, sauf accord exprès des parents. Les plateformes devront aussi respecter le référentiel de l'Arcom, qui pourra saisir l'autorité judiciaire en cas de contravention manifeste.
Le compromis me semblant satisfaisant, je voterai le texte. Cependant, quelques angles morts subsistent.
Si les sites de rencontres ont volontairement interdit l'accès aux mineurs, l'inscription de jeunes de plus de 15 ans ne sera pas sanctionnée.
De plus, le texte vise les réseaux sociaux, mais les sites de location de trottinettes électriques, de vente d'alcool et de jeux en ligne devraient eux aussi être interdits aux mineurs. Point d'obligation de vérification d'âge pour ces sites : je le regrette.
Il nous faudra être attentifs à ces questions à l'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
ARTICLE 1er
Mme Marie-Pierre Monier . - Cette proposition de loi affirme un principe : l'accord préalable des parents pour l'inscription des moins de 15 ans à un réseau social, alors que 46 % des 6-10 ans ont déjà un smartphone, et que 28 % des 7-10 ans se rendent régulièrement sur les réseaux sociaux.
Toutefois, ce principe se heurtera à des difficultés pratiques. Le rapport Porno : l'enfer du décor a montré la difficulté d'interdire l'accès à des sites pornographiques, pourtant sanctionné par l'article 227-24 du code pénal depuis 1994. Il y a un gouffre entre la loi et la réalité.
Certes, la loi du 30 juillet 2020 permet à l'Arcom d'intervenir auprès des sites qui ne respectent pas l'interdiction, mais il a fallu un an pour que le décret soit publié. Pour cinq de ces sites, une décision judiciaire est attendue le 7 juillet prochain. Le Gouvernement prévoit dans son projet de loi sur l'espace numérique que l'Arcom puisse se prononcer sur le blocage, l'amende et le déréférencement en cas d'infraction.
Nos garde-fous doivent être solides et placer le bien-être de nos enfants avant l'intérêt des plateformes privées. Il faut en outre doter l'Arcom des moyens nécessaires pour faire vivre cette politique.
L'article 1er est adopté.
Les articles 1er bis et 1er ter sont successivement adoptés.
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°8, présenté par M. Assouline et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Lors de l'inscription, ces entreprises délivrent une information à l'utilisateur de moins de quinze ans et au titulaire de l'autorité parentale sur les risques liés aux usages numériques et les moyens de prévention.
Mme Sylvie Robert. - Cet amendement oblige les réseaux sociaux à délivrer aux enfants et à leurs parents, au moment de l'inscription, une information sur les risques liés à l'usage du numérique, le droit à l'oubli, la protection des données, le numéro vert contre le harcèlement en ligne.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Cette information est déjà présente sur la plupart des réseaux sociaux, même si sa visibilité laisse parfois à désirer. Avis favorable cependant : faisons passer l'intérêt des mineurs avant l'articulation des normes.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - L'argumentation de la rapporteure est imparable... (Sourires)
Toutefois, le DSA est le fruit d'un compromis dont la France a obtenu qu'il soit exigeant, même s'il n'intègre pas tous nos desiderata. Il convient d'être prudent et d'éviter d'empiéter sur ce règlement.
Cet amendement nous semble satisfait. Toutefois, sagesse. Mais s'il était adopté, l'amendement n°9 deviendrait doublement satisfait.
L'amendement n°8 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°9, présenté par M. Assouline et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Lors de l'inscription, ces entreprises délivrent une information à l'utilisateur de moins de quinze ans claire et adaptée des conditions d'utilisation de ses données et de ses droits informatique et libertés.
Mme Sylvie Robert. - Cet amendement reprend une recommandation de la Cnil. Le RGPD impose de transmettre aux utilisateurs une information en termes clairs et simples, accessibles à des enfants. C'est loin d'être le cas sur de nombreuses plateformes, alors que c'est une condition du consentement éclairé.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Cet amendement participe de la même logique que le précédent : avis favorable.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Retrait, pour les raisons que j'ai indiquées.
L'amendement n°9 est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gold, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Cabanel.
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne exerçant leur activité en France empêchent la consultation de contenus inappropriés aux mineurs de quinze ans. Le non-respect de cette obligation est puni d'une amende ne pouvant excéder 1 % de leur chiffre d'affaires mondial pour l'exercice précédent.
M. Bernard Fialaire. - Nous voulons obliger les réseaux sociaux à empêcher les mineurs de consulter des contenus inappropriés. Certains fournisseurs ont créé des outils de contrôle comme le mode restreint, mais poser une obligation de résultat les pousserait à améliorer les algorithmes, qui peuvent orienter l'adolescent vers une « bulle » dépressive. On a constaté une augmentation des automutilations pour cette raison.
Le DSA n'entrera en vigueur que le 17 février 2024, le 25 août 2024 pour les très grandes plateformes. Aux termes de son article 42, il revient aux États membres de définir les sanctions prévues. Cet amendement prévoit une amende pouvant aller jusqu'à 1 % du chiffre d'affaires mondial.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - La réalité est incontestable : les jeunes sont confrontés à des contenus douteux. Toutefois, il n'existe pas de définition du contenu inapproprié, et la frontière est souvent floue. De plus, une procédure de signalement des contenus illégaux existe déjà. Ne fragilisons pas l'existant.
Enfin, il n'est pas question d'exercer un contrôle a priori sur le contenu posté par les utilisateurs. Le DSA sera prochainement examiné par le Sénat. Avis défavorable.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Même avis. Votre amendement est satisfait par le DSA : chaque plateforme devra mettre au point une procédure de signalement par les usagers et par des signaleurs de confiance, comme les associations de protection de l'enfance. Il prévoit aussi des sanctions allant jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires.
L'amendement n°2 rectifié bis est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°10, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 3
Après le mot :
parentale
insérer les mots :
ou le mineur de quinze ans
Mme Sylvie Robert. - Cet amendement donne la possibilité aux mineurs de 15 ans de demander la suspension de leur compte sur une plateforme, sans que l'autorisation parentale soit nécessaire. Selon le rapport de la Cnil de 2021, le RGPD invite à favoriser l'autonomisation des mineurs : son article 1er garantit le droit à l'autodétermination informationnelle, c'est-à-dire le contrôle sur ses données. De plus, les parents ne sont pas toujours au courant de l'activité de leurs enfants ; permettre aux enfants de supprimer leur compte complète le dispositif.
Monsieur le ministre, vous me répondrez que c'est déjà possible, mais j'aimerais que cela soit inscrit dans le marbre de la loi afin d'éviter que demain, un réseau social ne se prévale de l'autorisation parentale pour s'opposer à une demande de suspension de compte.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - La faculté de suspendre un compte existe sur toutes les plateformes - je l'ai vérifié personnellement, même si je partage votre préoccupation. L'amendement étant satisfait, avis défavorable.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Même avis.
L'amendement n°10 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le mineur de quinze ans peut demander aux fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne la suppression de son compte.
Mme Sylvie Robert. - Cet amendement va plus loin. L'enjeu de la protection des mineurs est triple : santé publique, éducation et sécurité. Il faut un ordre public numérique, dont la protection des mineurs est une composante essentielle. Le foisonnement de textes montre que l'édifice juridique est en cours de construction. Je regrette cependant cet éclatement, qui rend difficilement lisible le corpus juridique. Il nous faut être vigilants et anticiper.
Actuellement, la proposition de loi ne prévoit que la possibilité de suspendre le compte, ce qui est insuffisant. Pour respecter le droit à l'oubli, le mineur de 15 ans doit pouvoir supprimer son compte.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Comme pour la suspension, la faculté de supprimer son compte existe sur toutes les plateformes, et heureusement. Avis défavorable, car satisfait.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Même avis.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4, présenté par M. Assouline et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les entreprises mentionnées au premier alinéa proposent d'activer un dispositif permettant de contrôler le temps d'utilisation de leur service lors de l'inscription d'un mineur.
Mme Sylvie Robert. - La surexposition aux écrans a des effets sur les résultats scolaires, sur le sommeil - la lumière bleue bloque la production de mélatonine - ainsi que des conséquences psychologiques et physiques. Il y a un risque d'addiction aux jeux vidéo ou aux jeux de hasard, d'exposition à des contenus choquants et de mauvaises rencontres en ligne.
Cet amendement prévoit que les entreprises de réseaux sociaux proposent un décompte du temps d'utilisation quotidien qui serait envoyé aux utilisateurs mineurs. Prendre conscience du temps passé en ligne est un premier pas pour lutter contre l'addiction. Je remercie la rapporteure pour son sous-amendement, plus contraignant.
Mme la présidente. - Sous-amendement n°15 à l'amendement n 4 de M. Assouline et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, présenté par Mme Borchio Fontimp, au nom de la commission.
Amendement n° 4, alinéa 3
1° Remplacer les mots :
proposent d'activer
par les mots :
activent
2° Compléter cet alinéa par les mots :
et informent régulièrement de cette durée l'usager par le biais de notifications
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Mme Robert propose une fonctionnalité utile : ce sous-amendement la rend obligatoire, sous forme de notification régulière, plus pédagogique.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Le Gouvernement veille à ce que la loi nationale n'empiète pas sur le champ délimité par le législateur européen. Le DSA prévoit déjà que les plateformes et réseaux sociaux garantissent le plus haut niveau de sécurité et de protection de la vie privée des mineurs. Je m'en remets toutefois à votre sagesse, car il s'agit de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Le sous-amendement n°15 est adopté.
L'amendement n°4, sous-amendé, est adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°5, présenté par M. Assouline et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les fournisseurs de services de réseaux sociaux, quel que soit leur lieu d'établissement, sont tenus de procéder à un traitement réalisé par une personne physique dès lors qu'un contenu est signalé par un mineur ou que le signalement concerne un mineur.
Mme Sylvie Robert. - Nous souhaitons que les fournisseurs de réseaux sociaux assurent le traitement par une personne humaine, et non par un algorithme, de contenus signalés par un mineur ou concernant un mineur, car il s'agit d'n public par nature plus vulnérable.
La rapporteure avance qu'un traitement mixte, avec un premier tri par algorithme, serait plus rapide et efficace. Cependant, la recrudescence des cas de harcèlement aboutissant à des suicides me laisse sceptique.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'algorithme ne doit jamais remplacer l'appréciation humaine, mais votre amendement allongerait les délais de traitement, et pourrait même être utilisé pour surcharger volontairement les équipes.
En outre, le DSA, d'application directe, prévoit déjà une modération spécifique et proportionnée aux besoins. Avis défavorable.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Même avis. C'est bien une personne humaine qui prend les décisions les plus difficiles. Mais reconnaissons à l'intelligence artificielle la capacité de modérer plus efficacement les réseaux sociaux et de repérer bien plus rapidement des contenus manifestement illicites ou inappropriés.
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°12 rectifié bis, présenté par MM. Fialaire, Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gold, Mme Pantel et MM. Requier et Roux.
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne exerçant leur activité en France doivent diffuser des messages d'informations contenant un avertissement général quant aux risques d'externalités négatives dont sont à l'origine les réseaux sociaux sur la santé physique et mentale des jeunes, notamment des mineurs.
M. Bernard Fialaire. - Nous obligeons les fournisseurs de réseaux sociaux à diffuser un avertissement général quant aux risques d'externalités négatives sur la santé physique et mentale. Si l'article 1er ter prévoit déjà un avertissement spécifique au cyberharcèlement, pourquoi s'arrêter là ?
Le rapport prévu à l'article 4 pourra d'ailleurs prolonger cette démarche. On constate les effets des messages apposés sur les paquets de cigarettes.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Les amendements nos8 et 9 renforcent déjà l'obligation d'information, lors de l'inscription, sur les risques des réseaux sociaux et l'usage des données personnelles. En outre, votre amendement dépasse le champ des seuls mineurs et ne précise pas le moment de diffusion des messages. Avis défavorable.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - L'information doit parvenir à l'utilisateur, notamment les mineurs et leurs parents. C'est pourquoi nous généralisons le passeport numérique en sixième. Le Gouvernement encourage l'action des réseaux associatifs engagés dans la prévention, comme l'Union nationale des associations familiales (Unaf), Tralalère, l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open), Génération numérique ou encore e-Enfance. Avis défavorable.
L'amendement n°12 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°16, présenté par Mme Borchio Fontimp, au nom de la commission.
Après l'alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« .... - Le présent article ne s'applique pas aux encyclopédies en ligne à but non lucratif et aux répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - En réponse aux préoccupations de Sylvie Robert et Catherine Morin-Desailly, cet amendement exclut explicitement les encyclopédies en ligne à but non lucratif, dont Wikipédia, du champ de la proposition de loi, dans une rédaction compatible avec le droit européen.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Merci à Sylvie Robert, à Catherine Morin-Desailly et à la rapporteure pour ce travail collaboratif. Avis favorable.
L'amendement n°16 est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°14 rectifié bis, présenté par Mmes Morin-Desailly, Billon, Guidez et Herzog, MM. Henno et Laugier, Mmes Férat, Gacquerre, Gatel et Jacquemet, MM. Canévet et Détraigne, Mme Perrot et MM. Le Nay, Duffourg, J.M. Arnaud, Kern et Chauvet.
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique est ainsi modifiée :
1° Le IV de l'article 1er est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« On entend par boutique d'applications logicielles, un type de services d'intermédiation en ligne qui se concentre sur les applications logicielles en tant que produit ou service intermédié ; et par application logicielle, tout produit ou service numérique fonctionnant sur un système d'exploitation au sens du règlement (EU) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828. » ;
2° Après l'article 6-5, il est inséré un article 6 - ... ainsi rédigé :
« Art. 6-.... - I. - Les boutiques d'applications logicielles exerçant leur activité en France, bloquent le téléchargement des applications logicielles de services de réseaux sociaux soumises à une restriction d'âge du fait de la loi ou spécifiée par le fournisseur de l'application logicielle pour les mineurs de moins de 18 ans, après avoir pris des mesures de vérification de l'âge des utilisateurs. Elles notifient à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique la mise en place de ces mesures de vérifications et de blocage et en informent la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
« II. - Lorsqu'il constate qu'une boutique d'applications logicielles n'a pas bloqué le téléchargement d'une application logicielle de services de réseaux sociaux en ligne soumises à une restriction d'âge du fait de la loi ou spécifiée par le fournisseur de l'application logicielle pour les mineurs de moins de 18 ans, le président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique adresse à cette boutique d'applications de logicielles, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure de prendre toutes les mesures requises pour satisfaire l'obligation prévue au présent article. La boutique d'applications logicielles dispose d'un délai de quinze jours à compter de la mise en demeure pour présenter ses observations.
« À l'expiration de ce délai, en cas d'inexécution de la mise en demeure, le président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'ordonner à la boutique d'applications logicielles d'annuler le téléchargement de l'application ou des applications logicielles concernées.
« Le fait pour une boutique d'applications logicielles de ne pas satisfaire aux obligations prévues au I est puni d'une amende ne pouvant excéder 1 % de son chiffre d'affaires mondial pour l'exercice précédent.
« III. - Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. »
Mme Annick Billon. - Cet amendement introduit une protection supplémentaire en obligeant les boutiques d'applications logicielles à bloquer le téléchargement par des mineurs d'applications réservées aux majeurs. En effet, elles connaissent l'âge de leurs utilisateurs. Les téléphones connectés sont le premier moyen de téléchargement pour les mineurs : c'est donc un moyen de contrôle.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - La place des magasins d'applications et la responsabilité des systèmes d'exploitation sont lourdes d'enjeux. Le sujet a été soulevé lors des auditions, mais l'adoption d'un tel amendement complexifierait une procédure déjà lourde, qui repose sur les seules plateformes. Ce partage de responsabilité ne risque-t-il pas de conduire les deux parties à se renvoyer la balle ?
De plus, l'article 2 prévoit le recueil de l'autorisation parentale pour une inscription sur un réseau social avant 15 ans.
J'aimerais toutefois entendre le Gouvernement, car le sujet mérite d'être creusé d'ici à l'examen du projet de loi sur l'espace numérique.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Je remercie les auteurs de l'amendement. Ce peut être une solution au problème de la vérification de l'âge, tant pour l'accès aux réseaux sociaux que pour les contenus réservés aux adultes.
Cependant, votre amendement aurait davantage sa place dans le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique. En effet, cette proposition de loi traite de l'accès aux réseaux sociaux pour les mineurs de 15 ans, votre amendement de l'accès aux contenus réservés aux plus de 18 ans, dont les sites de rencontre. Ces sujets seront traités dans le futur projet de loi, qui s'inspire des propositions du rapport sénatorial. Des améliorations techniques devront également être apportées. Je m'engage à y travailler avec Mmes Annick Billon et Catherine Morin-Desailly. Demande de retrait, en contrepartie de cet engagement.
Mme Annick Billon. - On le sait, il est très difficile de protéger les mineurs des contenus qui leur sont interdits. Les propositions issues de notre rapport Porno, l'enfer du décor méritaient un travail de coconstruction, raison pour laquelle nous vous avions consultés, madame et monsieur les ministres.
Avec Catherine Morin-Desailly, nous sommes disposées à travailler avec vous d'ici à l'été pour améliorer cet amendement. Tout doit être tenté. Je retire donc l'amendement.
L'amendement n°14 rectifié bis est retiré.
L'article 3 est adopté.
ARTICLE 4
Mme la présidente. - Amendement n°6, présenté par Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
Le rapport présente des préconisations pour mieux accompagner les parents dans l'éducation et la prévention de l'utilisation des plateformes en ligne par les mineurs.
Mme Sylvie Robert. - Je complète la demande de rapport. L'accompagnement des parents est un angle mort du texte.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'idée est plutôt bonne. Toutefois, le site officiel « Je protège mon enfant » satisfait largement votre demande, avec de nombreux outils et ressources pratiques. Ne surchargeons pas un rapport déjà enrichi par l'Assemblée nationale. Avis défavorable.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Le Gouvernement est engagé dans une politique complète à destination des familles, bien au-delà d'un simple rapport : ateliers de parentalité, documents, etc. Nous ne pourrons régler les problèmes sans les parents et sommes en contact régulier avec les associations. Avis défavorable.
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté.
APRÈS L'ARTICLE 5
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par MM. Fialaire, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gold, Mme Pantel et MM. Requier, Roux et Cabanel.
Après l'article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les victimes de harcèlement scolaire et de harcèlement en ligne composent un numéro unique pour avoir accès à l'ensemble des plateformes d'aide et d'écoute.
M. Bernard Fialaire. - Je reviens sur la proposition de numéro unique. Les victimes de harcèlement peuvent appeler le 3020 en cas de harcèlement scolaire, le 3018 en cas de cyberharcèlement. Or les deux sont souvent liés. Un numéro unique permettrait une prise en charge plus rapide et efficace, en orientant la victime vers le bon interlocuteur. Le flux d'appels important ne saurait y faire obstacle, car il ne s'agit pas de limiter les effectifs. On croule sous les numéros d'appel : simplifions !
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'article 5 prévoyait initialement un rapport sur le sujet. Je rappelle que le 3018, opéré par l'association e-Enfance et soutenu par le ministère de l'éducation nationale, s'adresse aux victimes de violences numériques. Le 3020, opéré par l'École des parents et des éducateurs d'Île-de-France (EPE-IDF), fait appel à des professionnels témoins ou victimes de harcèlement entre élèves.
Ils ne visent pas tout à fait les mêmes publics ou les mêmes problématiques - le revenge porn n'est pas le harcèlement scolaire. La question d'un éventuel rapprochement doit être mûrement réfléchie. Avis défavorable, d'autant que cela relève plutôt du Gouvernement.
Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État. - Outre le 3020 et le 3018, il y a aussi le 119 : ce ne sont pas les mêmes publics, les mêmes réponses, les mêmes écoutants. Le 3020 est surtout utilisé par les familles, dans des cas de harcèlement physique à l'école primaire. Les écoutants, issus de l'Éducation nationale, ont obligation de prendre l'attache de l'école, ce qui en fait un obstacle majeur pour les adolescents qui appellent, eux, pour des problématiques de contenus, revenge porn par exemple. Le 3018 leur offre une confidentialité à l'égard de leurs parents et de l'établissement. Difficile donc de fusionner.
De plus, le 3018 est un signaleur de confiance au niveau européen, ce qui lui permet de conventionner avec les plateformes et d'obtenir le retrait rapide de contenus. Ce n'est pas le rôle de l'Éducation nationale.
Je vous rassure : ces trois numéros ont des mécanismes de relais. Ainsi, le 3018 invite l'enfant à se confier à ses parents et peut enclencher une saisine de la justice au titre de l'article 40.
On ne peut pas fusionner ces numéros, tant les démarches sont différentes. Avis défavorable.
M. Bernard Fialaire. - Je me suis mal fait comprendre : je ne souhaite pas que les services fusionnent. Je plaide seulement pour un numéro unique, d'accès simple, à charge pour la plateforme ensuite de répartir les demandes. Un jour, il nous faudra un téléphone supplémentaire pour noter tous les numéros d'urgence ! Ne peut-on pas simplifier les choses ?
L'amendement n°1 rectifié bis n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
Intervention sur l'ensemble
Mme Marie Mercier . - On ne peut qu'être favorable à une proposition de loi protégeant nos enfants contre un monde numérique qui échappe aux adultes. Mais je remarque que mon amendement à la loi du 30 juillet 2020 n'est toujours pas appliqué.
On peut créer des outils, mais il ne faut pas exonérer les sites de leur responsabilité. Ceux qui diffusent des contenus destinés non pas à des enfants, mais à des adultes, doivent contrôler l'âge des usagers. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
La proposition de loi est adoptée.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Je remercie les collègues présents, ainsi que le président Laurent Lafon. Merci également à vous, madame et monsieur les ministres. Je suis ravie de cette première expérience au banc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Modifications de l'ordre du jour
Mme la présidente. - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du jeudi 8 juin, le matin, en premier point de l'ordre du jour, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants.
Il en est ainsi décidé.
Par ailleurs, à la demande de plusieurs groupes, nous pourrions fixer à 1 h 30 le temps réservé aux groupes dans la discussion générale commune sur le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et le projet de loi organique relatif à l'ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire, prévue le 6 juin, ainsi que dans la discussion générale sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, prévue le 27 juin prochain.
Il en est ainsi décidé.
Prochaine séance demain, mercredi 24 mai 2023, à 15 heures.
La séance est levée à 20 h 35.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 24 mai 2023
Séance publique
À 15 heures, 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président, Mme Valérie Létard, vice-présidente, M. Vincent Delahaye, vice-président
Secrétaires : Mme Martine Filleul - M. Jacques Grosperrin
1. Questions d'actualité au Gouvernement
2. Quatre conventions internationales examinées selon la procédure d'examen simplifié :
=> Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal sur l'octroi de l'autorisation d'exercer une activité professionnelle aux personnes à charge des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, signé à Paris le 7 septembre 2021, et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République démocratique socialiste de Sri Lanka relatif à l'autorisation d'exercice d'une activité professionnelle salariée par les membres de la famille des agents des missions officielles de chaque État dans l'autre, signé à Paris le 23 février 2022 (procédure accélérée) (texte de la commission, n°592, 2022-2023)
=> Projet de loi autorisant la ratification du Protocole du 30 avril 2010 à la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses (procédure accélérée) (n°617, 2022-2023)
=> Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal et de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal (n°619, 2022-2023)
=> Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre concernant l'amélioration de la résilience climatique et de la viabilité des routes nationales 116, 20, 320 et 22 liées aux risques naturels entre Prades et la frontière franco-andorrane (n°621, 2022-2023)
3. Projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces (procédure accélérée) (texte de la commission, n°615, 2022-2023)