Quelles solutions pour développer l'hydrogène au sein de notre mix énergétique (Suite)
Mme Martine Berthet . - La révision de la stratégie nationale hydrogène, annoncée en février, devrait être présentée d'ici l'été prochain. Que pouvez-vous nous dire des gigafactories, des équipements indispensables à cette industrie tels que les électrolyseurs, les piles à combustible, les réservoirs, qui devraient entraîner tout un tissu industriel ?
Les entreprises concernées disposeront-elles de débouchés suffisants d'ici 2030 pour se consolider et devenir des fleurons industriels durables ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Trois projets de gigafactories sont déjà en cours en France. Elogen, basé aux Ulis, souhaite en construire une à Vendôme, Genevia conduit un projet à Béziers et John Cockerill, une entreprise franco-belge, porte un projet en Alsace.
Ces trois unités devraient produire 2 GWh, pour des besoins aujourd'hui estimés à 6 GWh : il n'y a donc pas d'inquiétude sur les débouchés. Reste à produire à un coût compétitif.
Mme Martine Berthet. - Quel soutien sera apporté au développement de la mobilité professionnelle - véhicules utilitaires légers, camions notamment - et à la mise en place d'infrastructures de recharge sur l'ensemble du territoire national ?
Deux constructeurs français ont développé des véhicules utilitaires légers à hydrogène. Il serait dommage de ne pas potentialiser cette filière, alors que nous mettons en place les zones à faibles émissions.
M. Franck Montaugé . - (M. Christian Redon-Sarrazy applaudit.) L'hydrogène est un moyen de décarboner l'industrie, mais aussi une solution pour la production électrique dans son ensemble. En effet, plus la proportion des énergies renouvelables sera forte dans notre réseau, plus nous aurons besoin de faire appel au stockage d'hydrogène, qui apportera de la flexibilité.
Pour cela, il faudra intégrer des systèmes hydrogène au réseau, avec des électrolyseurs, des centrales thermiques, voire des interconnexions avec les pays limitrophes.
De la nature et de l'ampleur de ces systèmes dépendra la flexibilité du réseau électrique. Ce choix politique aura des conséquences sur le niveau d'énergies renouvelables dans le mix, donc sur la PPE elle-même.
Quelle est la vision du Gouvernement ? Où en est-on de la planification des infrastructures nécessaires ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Contrairement aux énergies renouvelables, l'hydrogène peut en effet être stocké en grande quantité dans les cavités salines. C'est un avantage réel.
En France, les cavités de Manosque, anciennement utilisées pour le gaz naturel, pourraient stocker jusqu'à 30 kilotonnes d'hydrogène.
Le stockage permet notamment des arbitrages sur le choix de l'horaire de production pour optimiser le coût de l'électricité, qui représente 70 % du coût total de production. À plus long terme, cela pourrait contribuer à l'équilibre du système électrique, notamment grâce aux piles à combustible. Une start-up française, HDF, va mener une expérimentation en Guyane. Il est aussi possible d'utiliser des cycles combinés avec le gaz naturel, comme cela se fait en Allemagne.
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'hydrogène est un vecteur énergétique de choix, mais aussi un outil de flexibilité du mix électrique.
Comme énergie, l'hydrogène bas-carbone est utilisable pour le transport collectif et de marchandises, où il est plus adapté que la batterie. La pile à combustible présente l'avantage de ne rejeter que de l'eau. Enfin, l'hydrogène peut être stocké.
En revanche, l'hydrogène renouvelable produit par électrolyse coûte cher : il faut réduire le coût de production de l'électricité solaire et éolienne.
Le défi immédiat pour accompagner la production d'hydrogène propre est d'assurer un approvisionnement suffisant en électricité décarbonée. L'hydrogène bas carbone produit à partir du nucléaire sera-t-il reconnu comme indispensable par les autorités européennes, comme l'énergie renouvelable ? Quid de la production offshore ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - En matière d'autonomie, l'hydrogène présente un avantage comparatif indéniable par rapport à la batterie, pour les trains et les véhicules de transport collectif. En revanche, pour les véhicules individuels, nous sommes loin du compte. Le coût de production est supérieur, et le rendement total équivaut au tiers de celui de la batterie. Stellantis conduit en ce moment un projet de véhicules utilitaires légers pour la logistique urbaine.
Concernant la production offshore, nous en sommes au stade expérimental, mais nous finançons les recherches.
Mme Sabine Drexler . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans le Haut-Rhin, le complexe Alsachimie regroupe trois entreprises fabricant du nylon, de l'ammoniaque et des engrais. Au total, il produit 75 000 tonnes d'hydrogène à partir de gaz, qui est très émetteur. Pour passer à de l'hydrogène vert, il faudrait un puissant électrolyseur.
Vu le coût du gaz en Europe, ces entreprises ont dû réduire leur production : Butachimie tourne à 30 % de sa capacité. Le complexe va au-devant d'importantes difficultés. Le plafonnement à 4 millions d'euros des aides pour l'hydrogène vert est insuffisant. Il faut revoir notre modèle de soutien à cette industrie afin de la pérenniser et de lui donner de la stabilité. À défaut, 2 000 emplois directs et autant d'emplois indirects seraient sacrifiés, dans une région déjà frappée par la fermeture de Fessenheim.
Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous pour éviter un nouveau désastre économique et social ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - J'ai échangé avec les responsables de ces entreprises. Elles vont mieux, en tout cas moins mal, et la baisse des prix de l'énergie n'y est pas étrangère.
L'aide européenne ne peut dépasser 4 millions d'euros, en raison de la manière dont les prix des intrants et des extrants sont fixés. Faut-il pour autant abandonner ? Non. Il y a des projets très ambitieux en matière d'hydrogène vert. Je pense au projet Borealis, avec 200 emplois à la clé, à Ottmarsheim (Mme Sabine Drexler acquiesce.) Une aide de 100 millions d'euros pour la décarbonation du site a été notifiée à l'Union européenne. Nous sommes prêts à aider dans leurs efforts de décarbonation les entreprises que vous avez mentionnées.
M. François Calvet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans le cadre du plan d'investissement 2030, le Gouvernement a lancé une accélération du plan Hydrogène décarboné.
Je m'étonne que l'on n'y trouve aucune mesure sur l'hydrogène naturel. Depuis la découverte d'un puits au Mali il y a dix ans, nous savons qu'il en existe un peu partout dans le monde. En Australie du Sud, 35 demandes de permis d'exploration ont été déposées. La France possède des poches d'hydrogène qui intéressent les entreprises de prospection, notamment dans les Pyrénées. Dans les Pyrénées-Atlantiques, une société de prospection a déposé une demande de prospection exclusive pour une zone de 226 km2. Si le projet aboutit, le coût de production de cette exploitation serait de moins d'1 euro le kilo. La France devrait examiner attentivement ce potentiel.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Vous faites référence au projet dit « Sauve Terre ». La surface est certes importante, mais il faudrait creuser très profond, à 6 000 mètres. Les perspectives de cette exploitation sont très intéressantes, avec un coût d'extraction compétitif. Il faut déterminer l'ampleur potentielle du gisement, les fondements économiques du projet, les bénéfices et impacts environnementaux. Nous accordons un vif intérêt à ce projet qui offre une perspective d'hydrogène peu cher et souverain. Il reste quelques obstacles à lever.
M. Stéphane Piednoir, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat qui permet d'aborder, en dehors de toute pression législative, la question de notre mix énergétique.
Une orientation pragmatique se dégage : nous devons diversifier nos modes de production d'énergie tout en décarbonant notre industrie. L'hydrogène est incontestablement un levier d'action, mais pose de nombreux défis, car il n'y aura pas d'hydrogène magique.
Premier défi : cet élément chimique abondant n'est pas facilement accessible. De plus, les modes de production ne sont pas tous vertueux. Nous sommes encore loin d'une production neutre en CO2, avec 11 millions de tonnes émises actuellement.
Deuxième défi : le coût de production de l'hydrogène bas carbone, essentiellement par électrolyse de l'eau, peut atteindre 8 euros le kilo, contre 2 euros pour un kilo d'hydrogène gris. La marche est haute, et l'équilibre ne pourra être atteint sans aides publiques.
Le Gouvernement a bien identifié ce sujet, avec néanmoins plusieurs biais. D'abord l'ambition : en 2018, la France consacrait 100 millions d'euros à la filière, alors que l'Allemagne a mis 7 milliards d'euros sur la table - il est vrai que le Gouvernement a rectifié le tir en 2020 avec un nouveau plan, mais il ne couvre pas tous les enjeux.
Le coût d'un électrolyseur a été divisé par quatre en dix ans. Le secteur évolue rapidement, et l'électrolyse à haute température apporte désormais de bien meilleurs rendements.
Le stockage est un axe important. Les batteries seront bientôt produites en série. Nous aurons bientôt des batteries XXL produites dans deux gigafactories, qui pourront stocker les surplus de production.
Reste à identifier les sources de production. Le surplus de production des énergies renouvelables intermittentes, associé à la production d'hydrogène mis à disposition pour des pics de consommation, présente un intérêt certain.
En revanche, pas un mot sur le couplage avec le nucléaire, malgré la récente conversion du Président de la République - après le sacrifice industriel et commercial de la filière, pour raisons politiciennes. Il est temps d'en finir avec cette schizophrénie.
La loi de programmation sur l'énergie et le climat nous permettra d'évoquer cette question.
Deux points de vigilance sont à noter. Premièrement, la combinaison de l'hydrogène vert avec le dioxyde de carbone permettrait de produire du méthane de synthèse. Deuxièmement, il faudra mailler le territoire d'un réseau de distribution, avant de structurer des partenariats avec nos partenaires européens.
La séance est suspendue quelques instants.