Quelles solutions pour développer l'hydrogène au sein de notre mix énergétique ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quelles solutions pour développer l'hydrogène au sein de notre mix énergétique ? », à la demande du groupe Les Républicains.
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Évelyne Perrot applaudit également.) L'inclusion de l'hydrogène au côté du nucléaire dans les textes européens fait l'objet de vifs débats. C'est regrettable pour notre transition écologique : atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 suppose de mobiliser toutes les sources d'énergie décarbonée. C'est, en outre, contraire à notre souveraineté énergétique, garantie par le droit européen. Enfin, c'est malvenu au vu du contexte international : l'Europe ergote sur la définition de l'hydrogène, pendant que les États-Unis, avec l'Inflation Reduction Act (IRA), instaurent une remise fiscale pour toutes les formes d'hydrogène décarboné. Que de temps perdu, que d'opportunités gâchées en Europe !
L'hydrogène est un vecteur de premier plan pour la décarbonation. Sa capacité de stockage est essentielle pour promouvoir la mobilité propre, en complément des énergies renouvelables.
La commission des affaires économiques du Sénat s'est mobilisée en faveur de l'hydrogène avant le Gouvernement - et souvent contre lui.
En 2019, dans la loi Énergie-Climat, nous avons rehaussé de 20 à 40 % notre objectif d'hydrogène décarboné d'ici à 2030. L'année suivante, dans notre plan de relance Énergie, nous avons appelé à révéler le potentiel de l'hydrogène en consolidant la gouvernance et les moyens de la filière. Puis, en 2021, nous avons intégré dans la loi Climat-Résilience un paquet hydrogène ; dans ce cadre, nous avons notamment prévu l'inclusion de l'hydrogène dans les appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur le stockage.
Plus récemment, dans notre rapport sur la relance du nucléaire, nous avons plaidé pour une production massive d'hydrogène bas-carbone. Nous avons conforté en ce sens la loi Accélération des énergies renouvelables, en appliquant un bilan carbone à tous les projets d'hydrogène soutenus par appels d'offres pour favoriser les projets les moins émissifs et en intégrant l'hydrogène à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et aux débats des comités régionaux de l'énergie. Enfin, nous avons adopté plusieurs mesures de simplification : guichet unique, consolidation de l'autoconsommation.
Dans le projet de loi Nouveau nucléaire, nous avons proposé l'application des mesures d'accélération aux projets d'électrolyseurs d'hydrogène couplés à des réacteurs nucléaires.
Si nous nous félicitions de l'attention aujourd'hui portée à l'hydrogène, nous considérons qu'il faut faire davantage.
La loi quinquennale sur l'énergie doit fixer un cadre législatif pérenne. Nous espérons que son examen, prévu avant le 1er juillet prochain, ne sera ni reporté ni annulé. Ce texte est le fruit du compromis trouvé en CMP sur la loi Énergie-Climat : convaincus de la nécessité d'inverser la hiérarchie des normes en matière énergétique, nous voulions établir la préséance du législateur sur le pouvoir réglementaire, de la politique sur la technique.
Sur le plan de la gouvernance, le Conseil national de l'hydrogène devrait être réuni plus souvent et mieux associer les collectivités territoriales.
Les moyens annoncés pour l'hydrogène dans le cadre du plan de relance et du plan d'investissement, soit 7 et 1,9 milliards d'euros, doivent être engagés. À l'échelle nationale, il convient de pérenniser les appels d'offres de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) sur la mobilité et les écosystèmes. À l'échelle européenne, le budget des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) est en attente de bouclage.
L'avenir de l'hydrogène se joue dans les négociations européennes en cours. Dans notre résolution sur la taxonomie verte, nous avons appelé à maintenir une neutralité technologique entre l'hydrogène nucléaire et le renouvelable ; nous avons réaffirmé cette position dans notre résolution sur le paquet Ajustement à l'objectif 55. L'hydrogène bas-carbone ne doit pas être pénalisé par la directive sur la taxation de l'énergie ni exclu de la directive sur les énergies renouvelables ou du règlement sur les carburants alternatifs. Il doit bénéficier de dispositions plus simples et incitatives.
Nous avons besoin d'une stratégie claire, d'une gouvernance solide et de financements pérennes pour soutenir activement l'hydrogène dans l'industrie comme dans les transports. Le Gouvernement doit faire de la prochaine loi quinquennale sur l'énergie le texte d'amorçage de la filière française de l'hydrogène. Quant à la Commission européenne, elle doit garantir une complète neutralité technologique.
Monsieur le ministre, quelles dispositions sur l'hydrogène, nucléaire comme renouvelable, la loi quinquennale sur l'énergie comportera-t-elle ? Comment la France entend-elle défendre l'hydrogène nucléaire dans le cadre du paquet Ajustement à l'objectif 55 ? Enfin, si un compromis a été trouvé sur la directive relative aux énergies renouvelables, qu'en est-il des autres textes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je remercie le groupe Les Républicains d'avoir inscrit cette question importante à l'ordre du jour de la reprise de vos travaux.
L'hydrogène n'est pas la pierre philosophale de la décarbonation, mais il en est un vecteur essentiel. En particulier, c'est le seul moyen de décarboner certaines industries, comme la production d'acier. De même, inventer des procédés décarbonés pour la production d'engrais nécessitera de l'hydrogène. Celui-ci apportera aussi à la mobilité lourde une autonomie qui serait hors de portée avec les batteries traditionnelles.
Reste que l'hydrogène ne remplacera pas le gaz naturel dans tous ses usages. Il est coûteux à produire et difficile à transporter. Nous ne ferons pas chauffer nos casseroles, appréciées ces temps-ci (sourires), avec de l'hydrogène...
Notre mix sera, demain, plus diversifié qu'aujourd'hui. Dans ce cadre, l'hydrogène sera utilisé pour les usages à haute valeur ajoutée. Il nous faut garantir l'accès à un hydrogène bas-carbone, notamment pour l'industrie lourde : c'est un enjeu de souveraineté industrielle.
Le Président de la République m'a chargé d'établir une feuille de route pour les cinquante sites industriels les plus polluants, totalisant plus de 60 % de nos émissions. Parmi eux, dix-huit sont stratégiques et auront besoin d'hydrogène pour se décarboner.
S'agissant de la loi quinquennale, monsieur Gremillet, je préfère un texte quelque peu décalé à un texte qui risquerait d'être incomplet. Le Conseil de planification écologique doit se réunir dans quelques semaines, puis la loi sera présentée à l'automne.
Quelque 50 % d'hydrogène supplémentaires seront nécessaires d'ici à 2030 : un tiers pour remplacer les usagers fossiles, deux tiers pour de nouveaux usages.
Quel modèle de production ? Comment réussir ce défi ? Tels sont les deux enjeux.
Nos voisins allemands privilégient l'importation d'hydrogène vert par rapport à la production d'hydrogène bas-carbone. Nous ne sommes pas encore totalement tombés d'accord, mais nous sommes sur la bonne voie, notamment sur le pourcentage d'hydrogène vert nécessaire. J'ai confiance en Agnès Pannier-Runacher pour obtenir un compromis.
Les conditions de transport de l'hydrogène ne sont pas garanties : infrastructures insuffisantes, prix incertain, risques géopolitiques... Remplacer une dépendance au gaz par une autre, à l'hydrogène, serait une erreur.
Produire sur notre sol présente deux avantages majeurs : renforcer notre souveraineté et améliorer notre attractivité. La maîtrise des coûts sera un enjeu essentiel. Aux États-Unis, l'IRA fixe le prix à 0,80 euro le kilo avant transport. L'hydrogène made in France aurait un coût de 3 à 4 euros le kilo. Nous devons donc aider la filière en lui fournissant une électricité à prix compétitif. Nous devons aussi améliorer les capacités de production, notamment en créant des hubs à proximité des centrales nucléaires.
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À l'heure du défi climatique, l'hydrogène vert connaît un développement fulgurant. Nous nous réjouissons qu'une stratégie française se dessine enfin. Les objectifs sont ambitieux : remplacer progressivement l'hydrogène gris, qui représente 90 % de la production actuelle, par de l'hydrogène décarboné.
Plusieurs sites se déploient sur le territoire, avec le soutien d'aides diverses : 7 milliards d'euros dans le cadre de France 2030, dispositifs de soutien de l'Ademe, programme d'investissements d'avenir (PIA).
Tout cela crée une dynamique, mais il reste un défi majeur : le développement des usages, dans l'industrie comme dans la mobilité. L'acquisition d'un bus ou d'un camion est très onéreuse, et le plan Rétrofit ne contient que de timides mesures.
Il faut de vraies incitations financières, car seule une hausse de la demande fera baisser le prix de la production. Comment le Gouvernement compte-t-il encourager le développement des usages de l'hydrogène dans tous les secteurs de l'économie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Roland Lescure, ministre délégué. - L'essentiel est de disposer d'hydrogène décarboné à prix compétitif.
Toutefois, il faut, en effet, faciliter le développement des usages, surtout pour la mobilité lourde - autobus, poids lourds ou bennes à ordures.
C'est pourquoi nous avons lancé, dans le cadre de France 2030, un appel à projets Écosystèmes territoriaux hydrogène, pour 125 millions d'euros ; il s'agit notamment d'encourager l'achat de bus auprès de fabricants français.
M. Franck Menonville . - (M. Alain Marc applaudit.) Développer l'hydrogène au sein de notre mix énergétique est une nécessité pour accélérer notre transition énergétique et renforcer notre industrie.
Le développement d'une filière d'hydrogène décarboné est la garantie de notre indépendance énergétique. Si certains de nos voisins privilégient les importations, la situation géopolitique nous invite à renforcer notre souveraineté.
Privilégions les énergies bas-carbone : hydrogène et nucléaire participent du même objectif.
Monsieur le ministre, je connais votre engagement sur la taxonomie européenne. Sera-t-il suffisant pour favoriser la production d'hydrogène bas-carbone ? Quelle articulation entre cette énergie, le nucléaire et les énergies renouvelables ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Les négociations européennes sont en cours : je ne puis préjuger de leur point d'atterrissage. Toutefois, les choses sont en bonne voie : la cible de 42 % d'hydrogène vert d'ici à 2030 serait ramenée à 33 % si l'hydrogène fossile représente moins de 23 % du mix total - la France est sans doute capable d'y arriver. Ce sont les chiffres actuels, que nous ambitionnons de négocier encore.
Nous souhaitons tous favoriser le développement des énergies renouvelables, mais nous voulons aussi encourager l'hydrogène d'origine nucléaire. Si nous adoptions la position de nos amis allemands, nous manquerions d'hydrogène dans le monde.
M. Daniel Salmon . - À la différence de l'électricité, énergie de flux, l'hydrogène est une énergie de stock : c'est son intérêt. Il a toute sa place dans le mix énergétique.
Nous devons développer sa production, mais à partir d'énergies renouvelables : 95 % de l'hydrogène produit aujourd'hui est d'origine fossile.
Alors que le projet de pipeline H2Med a été lancé, la France s'appuiera-t-elle majoritairement sur des importations ou sur une production locale à base d'énergies renouvelables ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Pour décarboner l'industrie traditionnelle, créer emplois et prospérité dans nos territoires et réconcilier économie et écologie, nous devons avant tout produire l'hydrogène chez nous.
Cet hydrogène sera issu à la fois d'énergies renouvelables et d'énergies décarbonées. On doit faire l'un et l'autre. La prochaine loi de programmation pluriannuelle mettra cette stratégie en perspective.
M. Daniel Salmon. - Votre mix énergétique s'appuie essentiellement sur le nucléaire et les énergies renouvelables. Je ne suis pas favorable au premier, vous le savez bien...
Le rendement d'une centrale thermique pour la production d'électricité est de 35 %. Ensuite, le rendement de la production d'hydrogène est de 30 %. Bilan des courses : 90 % de l'énergie primaire est perdue ! En partant d'une électricité renouvelable, la première déperdition n'a pas lieu.
Il faut absolument développer l'hydrogène à partir d'énergies renouvelables qui seront, à l'avenir, bien plus compétitives que le nucléaire.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Vos chiffres ne tiennent pas compte de l'intermittence.
Les industriels disent avoir besoin d'un hydrogène compris entre 2 et 2,50 euros le kilo, alors que le prix de l'hydrogène obtenu à partir d'énergies renouvelables est de 4 à 6 euros le kilo. Aujourd'hui, les énergies renouvelables ne permettent pas de disposer d'un hydrogène compétitif, même si avec le développement des volumes, nous y parviendrons sans doute. D'ici là, le nucléaire est un élément essentiel du développement de l'hydrogène.
M. Daniel Salmon. - Vous ne m'avez pas convaincu : le rendement de l'hydrogène issu du nucléaire est déplorable, et le mégawattheure nucléaire sera autour de 120 euros dans les prochaines années. Avec Flamanville, on voit bien que ce prix augmente, alors que le développement de l'éolien offshore est massif.
M. Frédéric Marchand . - S'appuyer sur les laboratoires de recherche à la pointe et devenir un des leaders mondiaux de l'hydrogène obtenu par électrolyse, telle est la feuille de route de notre pays. Il nous faut améliorer les rendements, favoriser le stockage, baisser les coûts de production, réduire les risques industriels.
L'Union européenne entend soutenir la production d'hydrogène. Mais le mode d'octroi des contrats repose sur des enchères remportées par les projets les moins chers. Ce système défavorise les technologies plus coûteuses mais plus novatrices.
Une solution serait de conserver une forme de concurrence, mais entre paniers de technologies, comme le font les Pays-Bas et l'Angleterre pour l'électricité renouvelable.
Est-il envisagé de passer des contrats sur différence (CFD) entre États et acteurs privés pour accélérer la production d'hydrogène par électrolyse ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Les CFD peuvent avoir des effets pervers, mais ce n'est pas le cas pour l'hydrogène. Souvent, les projets les plus innovants ont les rendements les plus élevés. Si l'on finance les coûts en capital via les PIIEC, les coûts d'opération peuvent être plus faibles pour les secteurs les plus innovants. Le mécanisme est alors vertueux pour l'innovation.
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce débat soulève deux questions : celle de l'utilité réelle de l'hydrogène et celle de sa démocratisation.
Comme M. Salmon l'a souligné, la majeure partie de l'hydrogène produit aujourd'hui l'est à partir de combustibles fossiles ; l'hydrogène vert a un coût trop élevé. Comment la France compte-t-elle réussir la transition vers l'hydrogène vert ?
Le développement de l'hydrogène concerne essentiellement les transports lourds. Comment le Gouvernement prévoit-il de démocratiser l'hydrogène auprès des particuliers comme des collectivités territoriales ? Ces dernières manquent d'informations sur les projets industriels d'ampleur : comment les renseigner sur les aspects positifs et négatifs ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - L'hydrogène fait partie des piliers de l'énergie du futur, dans le B to B - commerce à commerce - plutôt que dans le B to C - commerce à consommateur.
La démocratisation de l'hydrogène n'est sûrement pas pour demain, compte tenu des coûts de transport. En revanche, les transports en commun, trains et bus à hydrogène, comme les poids lourds, peuvent être rentables.
Il faut développer l'hydrogène bas carbone. L'industrie, dans des territoires souvent déclassés, a une belle histoire devant elle : nous allons ainsi produire des engrais à partir de l'hydrogène. Nous avons là une belle histoire à raconter aux Français, et elle sera créatrice d'emplois.
M. Fabien Gay . - L'hydrogène est une énergie d'avenir, porteuse de nombreux espoirs pour la décarbonation. La stratégie nationale vise trois objectifs : disposer de suffisamment d'électrolyseurs, développer les mobilités propres et construire une filière industrielle, avec jusqu'à 150 000 emplois.
Mais se tourner vers l'avenir n'empêche pas d'apprendre des erreurs du passé. Quelque 7 milliards d'euros sont mis sur la table pour les entreprises : encore une fois, il s'agit de subventions publiques au secteur privé. Mais qu'est-ce qui garantira l'emploi si les investisseurs se rendent compte que les subventions sont plus fortes ailleurs, que les États-Unis sont plus attractifs que nous ? Si les industriels décident de s'installer outre-Atlantique, de quelle maîtrise disposerons-nous à long terme ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Nous y croyons, en dépit de votre américanophilie apparente... (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Fabien Gay. - Ce n'est pas sérieux !
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Je plaisantais, monsieur le sénateur.
Nous sommes convaincus que l'Europe a des avantages. La France, en particulier, dispose d'un avantage énorme : sa recherche. Nous sommes le deuxième pays au monde pour les brevets sur l'hydrogène ; le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a le plus gros portefeuille de brevets au monde. Profitons-en pour investir !
Les États-Unis, chantres du libéralisme, se sont lancés dans une course aux subventions massives, parfois délétère. Nous continuerons à subventionner nos acteurs pour disposer d'une industrie souveraine et autonome.
EDF va devenir une entreprise entièrement nationalisée. En matière d'hydrogène, les enjeux de diversité des solutions sont trop importants pour que l'État choisisse à la place des investisseurs. Nous croyons à l'innovation, à l'entrepreneuriat. Le modèle que nous choisissons est le meilleur pour disposer d'un hydrogène compétitif.
M. Patrick Chauvet . - L'Union européenne s'est fixé comme objectif de produire 10 millions de tonnes d'hydrogène vert d'ici à 2030. Il faudra pour cela augmenter nos importations d'énergies renouvelables.
L'Union européenne a signé des protocoles d'accord dans cette perspective, notamment avec des pays africains. Mais des limites apparaissent : les pays producteurs d'énergies renouvelables devront puiser dans leurs ressources pour satisfaire la demande. Or seuls 56 % des Namibiens, par exemple, ont accès à l'électricité.
La transition énergétique sera mondiale ou ne sera pas. Allons-nous, pour développer l'hydrogène vert, renforcer la dépendance d'autres pays aux énergies fossiles ?
La majorité de l'hydrogène produit aujourd'hui est bleu, monsieur le ministre. Le vert le remplacera-t-il vraiment ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Je le répète : produire son propre hydrogène, décarboné ou renouvelable, est une bonne solution pour assurer sa souveraineté et ne pas remplacer une dépendance aux hydrocarbures, par une autre aux importations d'énergies renouvelables.
Vous apportez un argument de plus en ce sens : importer de l'énergie renouvelable pourrait accroître la consommation d'énergies carbonées dans les pays où elle est produite.
L'Allemagne connaît actuellement une forte hausse de sa consommation d'énergies renouvelables, mais aussi, du fait de la fermeture de ses centrales, d'énergies carbonées. (M. Daniel Salmon le conteste énergiquement.)
Via le nucléaire et les énergies renouvelables, nous pouvons produire l'hydrogène dont nous avons besoin pour assurer la souveraineté française et européenne.
M. Patrick Chauvet. - Je suis d'accord pour produire l'hydrogène vert en France, mais serons-nous compétitifs ?
M. Jean-Pierre Corbisez . - Pour atteindre la neutralité carbone, notre pays a l'ambition de déployer 6,5 gigawatts d'électrolyseurs à l'horizon 2030. Nous partageons cet objectif : l'hydrogène dit vert ou décarboné est un vecteur incontournable de décarbonation dans l'industrie lourde, les mobilités routières intensives ou les transports maritimes ou aériens.
Toutefois, l'électrolyse mobilise la ressource en eau. Certes, la production de 1 million de tonnes d'hydrogène ne représente que 0,2 % de la consommation d'eau de notre pays, contre un tiers pour l'ensemble du secteur de l'énergie. Mais, dans le contexte actuel de sécheresse, quelle stratégie adopter ? Réutilisation des eaux usées industrielles, désalinisation partielle ?
L'autonomie minière est aussi un enjeu majeur. La filière hydrogène n'échappe pas aux besoins de métaux critiques, en l'espèce l'iridium et le platine. Comment sécuriser nos approvisionnements pour les prochaines décennies ?
Enfin, où sont les 4,2 milliards d'euros promis au titre du mécanisme de soutien à la production ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - L'hydrogène n'échappe pas aux enjeux de sobriété pour la consommation d'eau.
L'industrie a réduit sa consommation en eau depuis une dizaine d'années et contribue au plan de sobriété annoncé par le Président de la République. La réutilisation des eaux usées de l'industrie limitera la consommation d'eau pour la production d'hydrogène.
S'agissant de la dépendance aux métaux critiques, un fonds d'investissement doit sécuriser les approvisionnements. Les nouvelles technologies ne font plus appel aux métaux rares que vous avez cités.
Les négociations continuent avec la Commission européenne sur les subventions accordées.
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'hydrogène occupera une place de choix dans notre futur mix énergétique. Il ouvre la voie à la décarbonation de certaines industries, mais aussi de certains transports. Notre industrie du décolletage, dans la vallée de l'Arve, y voit une piste de développement importante.
Néanmoins, considérer l'hydrogène comme une solution miracle serait se méprendre. L'éolien et l'hydroélectricité devront monter en puissance. La France doit accélérer sa production d'énergies renouvelables.
Il est essentiel que l'hydrogène dit rose, issu du nucléaire, soit considéré comme renouvelable - sans quoi nous ne pourrons répondre à notre demande intérieure, encore moins exporter. Une porte a été ouverte par Bruxelles en février dernier, mais sept États membres font barrage. Où en sont les négociations et comment le Gouvernement compte-t-il surmonter les oppositions ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Dans la vallée de l'Arve, des projets de moteurs thermiques à hydrogène existent - nous les subventionnons, notamment Symbio.
L'hydrogène rose est une sorte de tabou de part et d'autre du Rhin. Réduire les objectifs d'hydrogène vert revient à donner, de manière implicite, un avantage à ceux qui souhaitent produire de l'hydrogène rose, comme nous.
Nous ne sommes pas encore tout à fait parvenus à un compromis qui nous satisfait, mais les choses vont dans le bon sens.
M. Christian Redon-Sarrazy . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous partageons le constat : l'hydrogène est utile pour accélérer la transition énergétique. Mais encore faut-il s'entendre sur son mode de production, actuellement fondé sur les énergies fossiles. L'hydrogène gris n'entraîne aucune décarbonation des économies.
La voie offerte par l'électrolyse est intéressante. Coupler l'électrolyseur à une source d'énergie décarbonée permet d'obtenir de l'hydrogène vert. Ce système répond à la variabilité de l'éolien et du photovoltaïque, en permettant le stockage de l'énergie. Mais son déploiement à grande échelle posera d'autres problèmes, notamment en matière d'artificialisation des sols.
On estime que le déploiement des infrastructures nécessaires ne pourra se faire avant le milieu de la décennie. En attendant, on continuera à produire de l'hydrogène carboné. Pouvez-vous détailler le calendrier prévu pour le développement d'une filière de production d'hydrogène vert ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Nous visons une augmentation de 50 % de l'hydrogène vert ou décarboné d'ici 2030 et de 100 % d'ici 2035. Ambitieux, ces objectifs sont cohérents avec les moyens mobilisés et l'accompagnement proposé aux porteurs de projet. Ils répondent aux objectifs européens et à nos besoins. Pour décarboner nos aciéries, nos usines d'engrais, il faut pouvoir y utiliser de l'hydrogène décarboné.
M. Stéphane Demilly . - J'associe à cette question ma collègue Denise Saint-Pé.
L'hydrogène prendra une place capitale dans le cadre de la transition énergétique. Nous menons une politique offensive dans ce domaine avec le plan Hydrogène 2030, ce qui est une excellente chose.
L'hydrogène, pour peu qu'il soit vert, peut décarboner l'industrie, les mobilités lourdes et le chauffage des bâtiments, avec les chaudières gaz à condensation.
Mais la production à moins de 10 euros le kilo n'est pas encore envisageable. Quid, dans ces conditions, de la possibilité d'extraction de l'hydrogène présent dans le sous-sol, dit hydrogène blanc ? De récentes expérimentations menées au Mali, aux États-Unis ou en Chine montrent que de telles extractions sont possibles. Le Gouvernement envisage-t-il d'accorder des autorisations de recherche aux entreprises françaises qui le demandent ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Après l'hydrogène vert, bleu et rose, voici l'hydrogène blanc : vous ajoutez une couleur à l'arc-en-ciel... (M. Jérôme Bascher s'en amuse.)
Nous étudions toutes les opportunités pour disposer d'hydrogène en quantité importante. Nous envisageons la production à partir de la biomasse, mais aussi de l'hydrogène natif, inclus dans le code minier dès 2021. Nous avons identifié quelques projets qui pourraient ouvrir des perspectives : l'État doit déterminer le potentiel des gisements et les enjeux économiques et environnementaux.