Pollution lumineuse
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la pollution lumineuse, à la demande de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
Mme Annick Jacquemet, au nom de l'Opecst . - Le 26 janvier dernier, l'Opecst a adopté sa note scientifique sur la pollution lumineuse. Ce phénomène massif et en extension contribue, comme d'autres pressions anthropiques, au déclin de la biodiversité, et pose un problème de santé publique.
Seule une mobilisation des pouvoirs publics et des acteurs privés permettra de lutter contre ce phénomène. La réglementation française est ambitieuse, avec une temporalité encadrée et limitée des éclairages intérieurs de locaux à usage professionnel, des parcs et des jardins, des chantiers extérieurs, des parkings desservant une activité économique, du patrimoine, des vitrines de magasins ou encore des publicités et enseignes lumineuses. L'éclairage du ciel est interdit, l'éblouissement latéral est limité et les éclairages de couleurs réduits.
Toutefois, tous les arrêtés, dont celui fixant la luminance maximale des enseignes et de publicités lumineuses, ne sont toujours pas pris. Quand cet arrêté le sera-t-il, et dans quelle version, madame la ministre ?
En outre, la réglementation actuelle - le décret du 27 décembre 2018 - est incomplète, puisque les événements extérieurs et les équipements sportifs échappent à toute prescription de temporalité.
Autre lacune : les dispositions relatives à l'éclairage vers le ciel ne concernent que la voirie et le stationnement, et non l'éclairage privé. Les fabricants d'ampoules et les enseignes de bricolage devraient conseiller le consommateur dans le sens de la sobriété lumineuse, et pas seulement énergétique. La faible consommation des LED peut, en effet, encourager à augmenter la luminosité, alors que la forte proportion de bleu de leur lumière nuit à la biodiversité.
En outre, bien des dispositions sont, de fait, inappliquées, faute de sanctions, notamment la réglementation sur l'extinction nocturne des commerces, qui date pourtant de 2013 mais est peu connue et d'application fastidieuse, les maires devant mobiliser leurs services entre 1 heure et 7 heures du matin.
Il faudrait les sensibiliser et prévoir des outils de communication - guides, courriers types - tout en mettant en avant les bénéfices réputationnels pour les commerces. Simplifions la tâche des maires, qui croulent déjà sous le travail.
Il convient aussi de rappeler les sanctions qu'encourent les commerçants, et de les sensibiliser à des moments clés comme l'ouverture de nouveaux magasins ou les demandes d'aides, tout en sensibilisant les associations de commerçants et le syndicat de l'éclairage. Il s'agit d'éteindre les vitrines, mais aussi tous les points lumineux des magasins, y compris les enseignes internes aux vitrines, de plus en plus fréquentes.
Bien des collectivités manquent des outils juridiques nécessaires. Ainsi, un nombre croissant de communes éteignent l'éclairage des voiries la nuit, mais la responsabilité des maires peut être engagée en cas d'accident. Que proposez-vous pour les protéger ?
De même, certaines communes créent des trames noires, à l'instar des trames vertes ou bleues. Mais le cadre juridique reste précaire, en l'absence d'une mention de ces trames dans le code de l'environnement. Comment les rendre opposables dans les documents d'urbanisme ?
La rénovation des éclairages ne diminue la pollution lumineuse que si elle s'accompagne d'une réflexion avec les usagers sur leur réelle utilité. Changeons de paradigme en passant d'un éclairage systématique à une adaptation fine de l'éclairage.
Il faut aussi combattre les sources lumineuses phototoxiques, dangereuses pour la santé. Ainsi, seules les lampes sans risque - niveau zéro - ou à risque faible - niveau 1 - sont autorisées, sauf pour les lampes torches et les phares de voitures. Mais les normes internationales datent de 2013 et ne prennent pas en compte la sensibilisation spécifique des enfants et jeunes adultes.
Le quatrième plan national santé-environnement (PNSE) mentionne l'interdiction des LED d'un risque supérieur à 1 pour les lampes frontales et la demande de la France de leur interdiction pour les phares. Où en est le Gouvernement ?
Enfin, les cycles circadiens souffrent de l'exposition à la lumière bleue. Toute la population, notamment les enfants et les adolescents, doit être sensibilisée à cette question. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, SER et du GEST)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie . - Cinquante pour cent : c'est l'augmentation du nombre de points lumineux en France en trente ans. Or la pollution lumineuse nuit à la biodiversité, à la santé publique, elle consomme de l'énergie et prive beaucoup de nos concitoyens de la vision d'un ciel étoilé.
Je remercie Mme la rapporteure et l'Opecst pour ce travail étayé, qui suit le travail réalisé en 2021 sur le déclin des insectes. Un tiers des vertébrés et deux tiers des invertébrés sont nocturnes. Pour les espèces diurnes telles que l'être humain, le repos de nuit est essentiel.
Le développement urbain entraîne le recours à l'éclairage artificiel, et à la pollution lumineuse associée, ce qui perturbe le développement des espèces, fragmentant parfois leur habitat. Une route éclairée peut ainsi constituer une barrière infranchissable pour des amphibiens en migration, et les points lumineux attirent au contraire les papillons de nuit qui tournent autour jusqu'à épuisement.
Cette pollution, source de gaspillage d'énergie et d'argent, a un impact trop négatif sur la biodiversité. Bien sûr, l'éclairage est nécessaire, mais nous pouvons concilier biodiversité et cadre de vie. Il s'agit non de décroître, mais d'éviter tout surplus inutile. Certains élus précurseurs ont réduit l'éclairage, le plus souvent pour des raisons financières, mais nos concitoyens les approuvent pour des raisons environnementales.
J'ai étudié les préconisations de votre note et je souhaite que nous avancions ensemble.
En octobre dernier, nous avons instauré une obligation d'extinction nocturne de la publicité sur tout le territoire - elle ne concernait auparavant que les grandes agglomérations. Je confirme qu'elle n'est pas suffisamment appliquée, car la sanction doit passer par un juge, ce qui la rend inopérante. Je propose donc la forfaitisation de l'amende.
Quant à l'éclairage des bâtiments non résidentiels, il est actuellement interdit de 1 heure à 7 heures. Je propose d'étendre cette interdiction à une heure après la fin d'activité, jusqu'à une heure avant la reprise.
Seul 15 % de notre territoire est indemne de pollution lumineuse. Il faut généraliser les trames noires dans les espaces protégés : la prochaine stratégie nationale de la biodiversité les intégrera.
Les opérateurs de transport ont un rôle à jouer : ainsi, une charte, signée le 27 mars dernier, régule l'éclairage dans divers lieux comme les gares, aéroports et métros, où les panneaux lumineux seraient éteints dès la fermeture d'ici le 1er janvier 2024. La RATP, la SNCF et ADP se sont engagés à réduire leur consommation, respectivement de 30 % en 2026, de 45 % en 2031 et de 50 % en 2030. Voilà qui est concret, réaliste et efficace.
Réduire notre consommation et protéger la biodiversité suppose un travail collectif avec vous, parlementaires, et les collectivités, car chacun est concerné à son niveau.
Mme Annick Billon . - Le nombre de panneaux rétroéclairés par des néons augmente : ils sont 1 700 à Paris, par exemple. Ils ne sont pas moins polluants que les panneaux LED. Colmar, Rouen, Nice et Paris interdisent de plus en plus les écrans numériques sur le domaine privé, pour éviter une pollution visuelle et environnementale ; mais en parallèle, la mairie de Paris installe 180 panneaux numériques au titre de la sobriété énergétique...
Le Syndicat national de la publicité numérique (SNPN) déposera prochainement une plainte auprès de la Commission européenne pour entrave à la liberté du commerce et de l'industrie, en raison d'une non-application du principe de proportionnalité consacré par la jurisprudence européenne. Quelle est la position du Gouvernement ? Entend-il imposer le respect du principe de proportionnalité, comme cela se fait chez la plupart de nos voisins ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Le règlement national admet la publicité, selon plusieurs critères comme l'emplacement, la densité, la surface et la hauteur. Le règlement local de publicité peut définir des zones à la réglementation plus restrictive. Il s'agit de trouver un équilibre entre la préservation du paysage et le développement économique.
La proportionnalité est donc au coeur de cette recherche d'équilibre, sans qu'il soit besoin de l'ériger en principe. En outre, les services de l'État, dans le cadre du contrôle de légalité, et les juridictions administratives vérifient déjà l'équilibre entre ces intérêts.
Mme Annick Billon. - En 2021, le réseau de transport d'électricité (RTE) estimait que, sur une année normale, la réduction de la publicité lumineuse ne réduirait la consommation énergétique française que de 0,1 %. Il convient donc d'être pragmatique, ce dont je vous remercie.
Mme Guylène Pantel . - Je remercie l'Opecst pour cet important débat. Je suis sénatrice et conseillère départementale de la Lozère, territoire précurseur : ainsi, le 13 août 2018, le parc national des Cévennes a reçu le label de réserve internationale de ciel étoilé, la plus vaste d'Europe. J'y vis : j'atteste du bien être que cela procure, sans oublier les effets sur la faune, la flore et le budget des communes.
Les établissements publics, les syndicats d'électricité et les collectivités en gestion directe ont tous joué leur rôle. Toutefois, l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif à la limitation des nuisances lumineuses prévoit des échéances jusqu'à 2025. Des communes se sont engagées très tôt contre la pollution lumineuse. Prévoyez-vous des bonus incitatifs pour accompagner ces précurseurs ? Quel accompagnement prévoyez-vous pour les communes hors parcs naturels ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Le parc naturel des Cévennes est, en effet, un très bel exemple. Oui, il faut inciter financièrement les collectivités, pour aller vers une généralisation, et il faut récompenser les efforts.
Un double bonus existe déjà : l'économie d'énergie est aussi une économie financière, tout d'abord. Ensuite, les subventions du fonds vert financent jusqu'à 40 % d'un projet, déclenchant des investissements qui n'auraient pas eu lieu sans cela. Cela renforce le cercle vertueux d'économies. Je présenterai plus en détail un bilan du fonds vert dans la suite de la discussion.
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La pollution lumineuse augmente depuis cinquante ans. Mais la hausse du prix de l'énergie a accéléré la prise de conscience : en quelques mois, des milliers de communes ont supprimé l'éclairage public la nuit. La pollution lumineuse reste toutefois, avant tout, urbaine. Une approche différenciée saisirait mieux les réalités locales.
En outre, il y a là un enjeu juridique pour les collectivités : les maires peuvent voir leur responsabilité mise en cause en cas d'accident ou de violences en un endroit mal éclairé. Il faut donc un cadre législatif et réglementaire clair : la pratique doit faire évoluer le droit. Le Gouvernement compte-t-il légiférer sur ce sujet ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - En effet, le maire est chargé de la sûreté et de la commodité du passage dans la rue, mais il n'existe aucune obligation d'éclairage de l'ensemble des voies. S'il s'agit d'un service public obligatoire, il ne crée aucun droit à l'éclairage pour l'usager. En revanche, lorsqu'il a connaissance d'un danger, le maire doit le signaler aux usagers.
Pour ce faire, l'éclairage continu n'est pas la seule solution : des panneaux réfléchissants ou clignotants, ou encore un éclairage programmé, peuvent s'y substituer.
La luminosité ne fait pas tout : il y a plus de cambriolages et d'accidents en plein jour que la nuit. L'A15, qui n'est plus éclairée depuis 2010, n'a pas connu de hausse marquée des accidents, alors que sa fréquentation a augmenté. Nous veillerons à ce que les maires n'aient pas de difficultés.
M. Franck Menonville . - Les astronomes ne sont pas les seuls à subir la gêne de la lumière forte. Les méfaits de la pollution lumineuse touchent non seulement la faune et la flore, mais aussi nos concitoyens.
Cela dit, l'éclairage apporte aussi la sécurité et le confort. Les rues bien éclairées sont plus sûres.
En outre, il faut réduire la consommation d'énergie, surtout pour nos collectivités. Il y a des mesures de bon sens, comme l'extinction des vitrines commerçantes quand personne ne circule.
La technologie aussi offre des solutions. À Bordeaux, un éclairage intelligent autonome a été expérimenté. À Rambouillet, on teste l'éclairage bioluminescent. Dans les deux cas, ce sont des sociétés françaises qui apportent ces solutions innovantes.
En matière d'éclairage public, la France doit rester souveraine. Le Gouvernement soutient-il ces initiatives qui réduisent notre dépendance aux technologies étrangères ? Avec quels leviers ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Les LED sont les technologies d'avenir. Les entreprises françaises ont intérêt à se positionner sur les technologies intelligentes, notamment la reconnaissance d'objets au passage. Il faut passer du radar à l'acquisition d'images, pour identifier les objets ou corps qui passent et leur vitesse.
Ces nouvelles technologies diviseraient la facture par six, contre trois pour les LED. L'expertise de nos entreprises pour la conception d'un parc luminaire clé en main est reconnue à l'international. Le retrofit, qui consiste à passer de l'éclairage classique aux LED sans modifier le design des réverbères, suscite lui aussi une forte demande.
Les industriels français disposent d'un savoir-faire et d'une capacité à innover, notamment en matière d'éclairage solaire où ils sont leaders mondiaux : je les encourage à aller dans cette voie.
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Joël Bigot applaudit également.) Contrairement à l'artificialisation, qui touche 3 % des sols, la pollution lumineuse, qui touche pourtant 23 % de la surface terrestre et 85 % du territoire français, reste négligée.
Une chanson enfantine dit bien que « la nuit, c'est pas comme le jour, c'est pas vrai, tout est différent ». On réapprend l'obscurité, on tâtonne... La nuit permet de s'extraire d'une vision anthropocentrée.
La pollution lumineuse est responsable de la disparition de milliers de milliards d'insectes. Depuis le Grenelle, on lutte contre le phénomène, mais où sont les résultats ? Les LED réduisent la consommation énergétique, mais aggravent les atteintes à la biodiversité. L'arrêté sur le seuil de luminance des publicités n'a toujours pas été publié, le contrôle et les sanctions restent trop rares.
En matière de biodiversité, le cadre législatif et réglementaire est trop léger : entendez-vous affermir la trame noire en l'intégrant dans le code de l'environnement ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Vous avez raison : la pollution lumineuse n'est pas anecdotique.
La publication des décrets a pris du retard, et le chemin est encore long. C'est pourquoi il était important de mettre ce sujet en débat.
L'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pointe le besoin de limiter l'utilisation des groupes de risque 2 et 3, c'est-à-dire les LED à forte teneur en couleur bleue. L'obtention de certificats d'économie d'énergie (CEE) impose des LED de groupe 0 et 1, désormais privilégiés par les industriels.
La révision du décret du 27 décembre 2018 permettra de mettre cette exigence en oeuvre pour l'éclairage public.
Je vous rejoins sur les trames noires, qu'il faut développer en parallèle de la prochaine stratégie nationale biodiversité (SNB). La commission du développement durable de l'Assemblée nationale proposait récemment que la puissance publique restreigne ou éteigne les éclairages en coeur de nuit, pour protéger la faune nocturne. La création de trames noires dans les espaces protégés serait également une avancée.
Ces mesures sont d'ordre réglementaire : nous pouvons avancer rapidement.
Mme Nadège Havet . - Plus de trois humains sur dix ne peuvent voir la Voie lactée - 6 sur 10 en Europe et 8 sur 10 aux États-Unis. En France, le nombre de points lumineux a augmenté de 50 % en 30 ans, avec des conséquences sur la faune et la flore : les oiseaux migrateurs et les chauves-souris sont les espèces les plus touchées.
L'arrêté de 2018 encadre les installations d'éclairage public et privé pour réduire l'impact sur la biodiversité. La COP15 de Montréal a abouti à un accord sur la réduction de la pollution, notamment lumineuse, à la source.
Il conviendrait d'intégrer les trames noires, qui constituent une véritable respiration pour les écosystèmes, à la SNB 2030.
Madame la ministre, quelle évaluation faites-vous de l'application de l'arrêté de 2018 ? En matière de pollution lumineuse, quelles actions de la SNB sont déjà mises en oeuvre ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - L'arrêté du 27 décembre 2018 fixe des obligations temporelles et techniques. Il revient au maire d'assurer les contrôles - les installations communales relèvent de l'État. Mais ce contrôle est insuffisant. Je plaide pour une amende forfaitaire, qui évite le passage par le juge ou le parquet.
Nous voulons également cibler les contrôles dans les zones les plus sensibles en matière de biodiversité. Le centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) travaille à une méthodologie plus simple pour la partie technique : vérification de la température, de la couleur, de l'intensité lumineuse.
Le second volet de la SNB prendra en compte l'ensemble de ces progrès.
M. Joël Bigot . - Un tiers de l'humanité ne peut plus distinguer la Voie lactée. Les animaux diurnes et nocturnes voient leurs sites de prédation perturbés. Le suréclairage est, après les pesticides, la deuxième cause de mortalité des insectes. Le rythme circadien humain est également déstabilisé.
Les progrès dans la performance de l'éclairage conduisent à un effet rebond, qui se traduit par l'élargissement des zones éclairées à hauteur de 2 % par an.
Les LED sont donc pourfendues par les associations, qui essaient de faire respecter l'arrêté de 2018 - France nature environnement et la Ligue de protection des oiseaux sont très actives dans le Maine-et-Loire contre l'éclairage illégal.
Les communes d'Anjou sont volontaires : à Saumur, depuis huit ans, les lampadaires sont dotés de cellules de détection, permettant des économies de 90 000 euros par an.
Madame la ministre, comment comptez-vous accompagner ces politiques locales et concrètes ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je partage votre constat. Nous venons d'aboutir à un accord mondial dans le cadre de la COP15, qui sera repris dans la SNB.
Dans le cadre de cette dernière, nous prévoyons notamment d'améliorer la connaissance de l'impact de la pollution lumineuse sur la biodiversité, d'éviter l'impact des équipements lumineux en améliorant le conseil au client, de développer les trames noires, de mieux cibler les contrôles sur les espaces les plus sensibles.
Saumur a eu une action pionnière en matière d'éclairage public. Le fonds vert accompagne les collectivités territoriales dans ces initiatives. Il faut poursuivre dans cette direction, et Christophe Béchu et moi-même avons bon espoir de pérenniser le fonds vert.
M. Jean-François Longeot . - La pollution est multifacettes : déchets, carbone, transports, mais aussi lumière. Nous ouvrons à peine les yeux sur ce problème, si j'ose dire ; c'est pourquoi la note de l'Opecst est si précieuse. Je salue le travail d'Annick Jacquemet, car c'est la première fois que le Parlement s'intéresse au sujet.
Pour aller de l'éclairage systématique à l'adaptation fine, nous disposons de plusieurs outils, notamment le fonds vert, guichet unique ouvert en janvier pour les collectivités territoriales. Doté de 2 milliards d'euros, il subventionne à hauteur de 40 % les projets de transition écologique des collectivités. Les premiers lauréats ont été désignés la semaine dernière, et l'enveloppe a déjà été atteinte. Beaucoup de projets portent sur l'éclairage public. En quoi consistent-ils ? Quel est leur nombre total, et quel sera leur impact sur la pollution lumineuse ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Le fonds vert a été présenté le 27 août dernier par la Première ministre. Piloté par les préfets, c'est un guichet unique pour aider les collectivités territoriales.
Le succès est réel : environ 7 000 dossiers ont été déposés, et l'enveloppe de 2 milliards d'euros a bien été atteinte, mais non encore dépensée - les dossiers sont en cours d'étude. Vous pouvez encore inciter les collectivités à candidater.
La rénovation énergétique et l'éclairage public sont au coeur des projets des collectivités territoriales, ce qui est une bonne nouvelle. Le fonds vert permet de financer des diagnostics territoriaux, des stratégies d'extinction en coeur de nuit, des trames noires ou des études d'ingénierie. C'est un vrai levier pour accompagner les collectivités territoriales dans la dépollution lumineuse.
Environ 2 000 dossiers, soit 28 % des projets déposés, concernent l'éclairage public. L'objectif de 10 % de rénovation du parc sera atteint. En revanche, l'enveloppe de 150 millions du fonds vert consacrée à la biodiversité n'est pas épuisée. Je vous encourage à mobiliser les collectivités territoriales sur ce sujet.
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Effondrement de la biodiversité, halo lumineux, altération du sommeil, augmentation des risques cardiovasculaires et de cancer : on ne compte plus les effets nocifs de la pollution lumineuse sur la santé des humains, des animaux, de la faune et de la flore.
L'éclairage artificiel correspond à 41 % de la consommation d'électricité des communes, pour 670 000 tonnes de CO2 émises par an.
La réglementation française, ambitieuse, désigne le maire comme autorité de contrôle de la sobriété de l'éclairage nocturne. L'action à l'échelle communale est importante. Les élus de la Mayenne sont particulièrement mobilisés : la commune de La Bazouge-des-Alleux a reçu le label « Village étoilé » et installe des réverbères équipés d'un détecteur de mouvements.
À Montjean, c'est la rénovation de l'éclairage public qui est engagée : tous les luminaires auront été remplacés à l'horizon 2026, y compris le mât et le câble pour les plus anciens.
Les dépenses s'élèvent à plusieurs millions d'euros, et le fonds vert est une aide bienvenue. Comment le Gouvernement compte-t-il accompagner davantage encore les collectivités territoriales ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Nous voulons mieux accompagner les collectivités territoriales, notamment via le fonds vert et la forfaitisation de l'amende.
Il faut également apporter un soutien à l'ingénierie, à la formation et à l'information des élus. L'État et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) peuvent être force de proposition pour les choix technologiques.
Le ministère accorde un soutien important à l'association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturnes, qui organise le concours des Villes et villages étoilés.
Enfin, le ministère, via ses parcs nationaux et régionaux, soutient aussi les projets de réserves internationales de ciel étoilé.
Mme Martine Filleul . - Les élus locaux se mobilisent depuis plusieurs années sur ce sujet. À Douai, une trame sombre a été créée, avec une baisse de la luminosité nocturne de 90 % et des détecteurs de présence. À Lille, on remplace les anciennes LED à lumière blanche ou bleue, véritables catastrophes pour la biodiversité, par de nouvelles LED ambrées qui ne gênent plus les animaux.
Les humains aussi sont concernés : altération du sommeil, troubles de la mémoire, risques cardiovasculaires et cancers sont autant de conséquences de la pollution lumineuse. Il faut encourager l'adoption, pour l'éclairage public et privé, de LED de nouvelle génération.
Quelles seront les orientations du Gouvernement pour la santé de nos concitoyens ? Comptez-vous compléter la législation pour lutter contre la phototoxicité ? L'État a-t-il répertorié les bonnes pratiques et initiatives des territoires ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Merci d'avoir cité les bonnes pratiques des collectivités. Il est toujours intéressant de s'en inspirer.
Les concertations avec les habitants doivent aboutir à une meilleure utilisation de l'espace public.
Il faut aller plus loin dans ce que nous demandons aux acteurs. C'est pourquoi je me réjouis de la signature, le 27 mars, de la charte d'engagement des acteurs du transport relative à l'extinction des panneaux lumineux.
Nous voulons aussi étendre la période d'extinction des bâtiments non résidentiels, aujourd'hui fixée entre une heure et sept heures du matin, avec une extinction une heure après la fin de l'activité et un rallumage une heure avant la reprise.
Il faut aussi réduire les émissions lumineuses des serres et verrières, dont les éclairages non directifs ont des conséquences néfastes pour le ciel et la faune.
Travaillons également à une diminution de la puissance d'éclairage des stades avant et après les événements sportifs.
Sur toutes ces questions, il est possible d'agir rapidement par voie réglementaire.
Il faudra également agir contre les nuisances que la lumière bleue cause aux enfants.
Mme Marie-Pierre Richer . - Je pose cette question au nom de Marta de Cidrac.
Près de 60 % des Européens et 80 % des Américains ne voient plus la voie lactée. Un tiers de l'humanité est touchée par la pollution lumineuse, qui nuit aussi à la biodiversité.
Entre 1990 et 2010, les zones illuminées ont progressé de 6 % par an. Le rythme d'augmentation reste soutenu, en dépit d'une prise de conscience.
La pollution lumineuse entraîne stress, anxiété et troubles du sommeil. Elle porte préjudice au monde vivant - je pense aux insectes, indispensables aux réseaux trophiques.
Nos collectivités territoriales ont déjà pris des mesures. Mais nous devons aller plus loin pour aboutir à un équilibre entre éclairage et protection de la biodiversité. Quelle feuille de route le Gouvernement compte-t-il fixer, et dans quel délai ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Les solutions sont multiples, grâce au développement des technologies.
Ainsi, l'extinction peut être totale, comme dans le parc naturel régional du Gâtinais français. On peut aussi recourir à un pilotage intelligent, comme à Paris, Bordeaux ou Toulouse. Il y a aussi les trames noires. Les LED ont l'avantage de pouvoir être modulées à distance.
Les collectivités territoriales peuvent décider de la meilleure option, en fonction de leur situation.
Mme Marie-Pierre Richer. - New York, ville qui ne dort jamais, suscitait jadis l'admiration. C'est vers l'inverse que nous devons tendre aujourd'hui. Les maires ont un rôle fondamental à jouer en la matière. Il y va de la qualité de vie des générations à venir !
M. Jean-Pierre Sueur . - Madame la ministre, vous avez mentionné la charte. Vous avez probablement lu ce qu'en dit Stéphane Foucart, dans un récent article paru dans Le Monde.
Il relève par exemple ce chef-d'oeuvre : il faut « établir une stratégie sobriété fondée sur des trajectoires de réduction des consommations électriques et d'émissions carbone du parc des publicités lumineuses en tenant compte des caractéristiques, usages et besoins des univers de transports selon leurs périmètres à la date de signature de la présente charte »... Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas très clair !
Comptez-vous muscler ce dispositif ? Vous devez aller au-delà des intentions.
Par ailleurs, les publicités aux entrées de ville sont des catastrophes urbanistiques. On ne voit qu'elles, de jour comme de nuit. Comment mettre fin à cette pollution inutile ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je n'ai pas échappé à cet article sur la charte signée par Clément Beaune et Agnès Pannier-Runacher.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est un festival !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Les opérateurs se sont engagés à éteindre 100 % des panneaux à la fermeture des gares, dès 2024. J'ai mentionné les objectifs de réduction de la consommation de la RATP, de la SNCF et d'ADP. Nous pouvons faire confiance à des opérateurs de cette importance. (M. Daniel Salmon ironise.) Nous parlons d'opérateurs qui ont pignon sur rue, avec lesquels nous discutons. Il y a aussi la parole politique que je porte devant vous ce soir.
Sur les entrées de ville, des évolutions réglementaires sont en préparation : un arrêté formulera des préconisations techniques et un décret réglementera le format des affichages lumineux et non lumineux.
Mme Else Joseph . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) C'est un cauchemar : je ne vois plus la voie lactée et ne peux plus méditer sous le ciel étoilé, comme le faisait Kant... Pourtant, ces trésors pour la vue sont aussi des trésors pour l'esprit.
La lutte contre la pollution lumineuse est une nécessité pour la santé et l'écologie - je pense aux oiseaux migrateurs, dont l'orientation est perturbée. Elle est aussi un levier de maîtrise des coûts de l'énergie.
Beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire. Ne tombons pas d'un extrême à l'autre, de la pollution lumineuse à l'obscurité intégrale. Il ne faut pas une énième démarche punitive qui opposerait les uns aux autres, mais un combat mené avec un réel pilotage.
Quelles leçons tirez-vous des expérimentations dans les espaces protégés ? Comment accompagnerez-vous les collectivités territoriales en matière d'ingénierie et d'investissement ? Enfin, comment mieux protéger l'environnement nocturne ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Les aires protégées sont d'excellents territoires d'expérimentation, en raison de leurs enjeux de préservation et de leurs instances de concertation, qui permettent de mobiliser tous les acteurs concernés - je pense au parc national des Cévennes, dont a parlé Mme Pantel.
Les parcs naturels régionaux sont des territoires actifs et précurseurs. Ils peuvent réduire l'éclairage nocturne et rénover l'éclairage vétuste via le financement des projets innovants, comme l'ont fait le parc naturel régional des Causses du Quercy et celui des Préalpes d'Azur. Je souhaite généraliser ces démarches.
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me félicite de ce débat de qualité suscité par l'Opecst.
Les collectivités territoriales sont au coeur des enjeux. Parmi les 449 communes des Ardennes, dont nombre de villages et de bourgs, beaucoup interrompent, désormais, leur éclairage de nuit. Le coût de l'énergie n'y est pas étranger.
Comment articulez-vous le fonds vert, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'initiative locale (DSIL) et les autres financements ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Le fonds vert est un accompagnement pertinent et efficace pour les collectivités territoriales. Les réflexions sur sa pérennisation en 2024 sont en cours. Nous pourrions octroyer des aides de renouvellement du parc d'éclairage au titre de la biodiversité et réorienter les enveloppes dont le plafond n'est pas atteint.
M. Marc Laménie. - Les élus de proximité rencontrent souvent des difficultés pour constituer leurs dossiers. Nous comptons sur l'aide des services de l'État.
Mme Laurence Muller-Bronn . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La conversion des parcs d'éclairage public est urgente, alors que 40 % des installations ont plus de 25 ans. Les communes peuvent réaliser jusqu'à 80 % d'économies sur leur facture énergétique, sans compter les bénéfices pour la biodiversité et la santé humaine.
Pourtant, ces projets ne représentent que 28 % de l'enveloppe du fonds vert : c'est trop peu. Ce potentiel immense, aux retombées immédiates, devrait être prioritaire. Pourquoi intégrer les aides à la modernisation de l'éclairage public dans ce fonds, en concurrence avec d'autres projets ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - L'instruction des dossiers est encore en cours. Un critère obligatoire est l'impact écologique : il y va de la crédibilité du fonds vert. Par exemple, 20 % des dossiers pour la rénovation énergétique des bâtiments publics locaux déclarent un gain inférieur aux 30 % exigés pour l'éligibilité.
Pour l'éclairage public, l'objectif est de rénover 10 % du parc existant : les dossiers déposés permettent déjà d'atteindre cet objectif. Au total, 414 millions d'euros d'aides pourraient abonder 1 milliard d'euros d'investissements : c'est presque un quart de l'enveloppe globale. Sur les 4 millions de points d'éclairage déclarés comme devant être rénovés, 1 million pourront l'être grâce à ces fonds.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Le fonds vert est un recyclage du programme 362, avec passage d'une gestion centralisée à une gestion pseudo-décentralisée. Un guichet unique et un accompagnement auraient été plus appréciés des élus.
Mme Annick Jacquemet, au nom de l'Opecst . - Je constate avec satisfaction qu'un consensus se dégage pour lutter contre la pollution lumineuse.
Madame la ministre, j'ai entendu vos propositions : réduction de l'éclairage intérieur, généralisation des trames noires, engagement des opérateurs de transport, forfaitisation des amendes.
En revanche, vous n'avez pas dit quand paraîtra l'arrêté fixant les seuils de luminosité des enseignes, ni quelles en seront les grandes lignes.
M. Anglars et moi-même avons souligné la responsabilité du maire en cas d'accident. Vous dites qu'il n'y a pas d'obligation générale, mais la jurisprudence établit une distinction entre les zones n'ayant jamais été éclairées et celles où le maire a décidé l'extinction des lumières. Il faut résoudre cette difficulté pour ne pas compromettre les initiatives des maires en matière de sobriété lumineuse.
Les trames noires ne figurent pas dans le code de l'environnement : faut-il les y intégrer ? Vous n'avez pas répondu non plus sur les phares de voiture.
Je compte déposer une proposition de loi sur ces sujets et me réjouis de votre volonté de travailler avec le Sénat.
Il faut aussi éduquer et sensibiliser nos concitoyens, notamment les plus jeunes. L'association française d'astronomie nous a fait remarquer que l'observation du ciel et l'émerveillement qu'elle suscite sont l'un des rares spectacles gratuits. Pourtant, nombre de nos concitoyens en sont privés. La nuit permet pourtant à l'homme de s'extraire de la vision anthropocentrée de son environnement.
Plusieurs études ont montré une réelle adhésion de nos concitoyens aux mesures de sobriété. Réfléchissons à l'utilité réelle des éclairages et utilisons les technologies les plus sobres.
Les acteurs privés doivent se mobiliser également, par le biais d'une communication massive sur les règles et bonnes pratiques à respecter. Les magasins de bricolage et les fabricants d'ampoules doivent conseiller leurs clients pour optimiser leur éclairage. Les fédérations d'éclairage doivent aussi mieux communiquer sur les règles en vigueur.
Contrairement à d'autres pollutions, la pollution lumineuse est très facilement réversible : il suffit d'éteindre la lumière. Prenons tous notre bâton de pèlerin pour protéger notre environnement nocturne et garantir notre cohabitation avec le monde vivant non humain. (Applaudissements sur de nombreuses travées)
Prochaine séance demain, jeudi 13 avril 2023, à 10 h 30.
La séance est levée à 22 h 55.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 13 avril 2023
Séance publique
À 10 h 30 et à 14 h 30
Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président, Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
Secrétaires : Mme Victoire Jasmin - M. Pierre Cuypers
1. Vingt-huit questions orales
2. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs d'emballages ménagers et des producteurs de papier (texte de la commission, n°486, 2022-2023) (demande du Gouvernement)
3. Débat sur l'état de la justice dans les outre-mer (demande du groupe SER)