Reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915-1918, présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Valérie Boyer, M. Bruno Retailleau et plusieurs de leurs collègues.
Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de résolution . - Je salue, parmi les personnes présentes en tribune, Marius Yaramis, président de l'Association des Assyro-Chaldéens de France, François Pupponi, le professeur Efrem Yildiz et le président du Seyfo Center, Sabri Atman. J'adresse un salut particulier au professeur Joseph Yacoub et à son épouse.
Ils sont les rescapés d'une entreprise de destruction massive, d'un génocide.
Voilà onze ans, le Sénat marquait l'Histoire en votant un texte que j'avais défendu à l'Assemblée nationale réprimant le négationnisme du génocide de 1915. Il y a près de vingt-deux ans, le Parlement votait la reconnaissance du génocide arménien.
Je remercie le président Larcher d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette résolution appelant à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens entre 1915 et 1918 et Bruno Retailleau de s'être toujours mobilisé sur ce sujet, ainsi qu'Hervé Marseille pour son soutien.
J'espère que nous saurons nous rassembler pour une cause qui nous transcende : la justice et les droits humains. Si l'histoire est un perpétuel recommencement, elle ne doit pas être un renoncement éternel.
Oui, l'avenir de l'Occident et celui de l'Orient sont intimement liés. Le sort des chrétiens d'Orient et des autres minorités est un prélude à notre propre destin.
Or les chrétiens d'Orient sont en danger de mort, et nous sommes les témoins de ce massacre revendiqué. En juin 2014, Daech en Irak et au Levant prenait le contrôle de Mossoul, l'ancienne Ninive, qui compta jusqu'à 30 000 chrétiens assyro-chaldéens. Ces barbares ont provoqué la fuite de près de 10 000 chrétiens, sommés de se convertir à l'islam ou de quitter la ville sans rien emporter.
« S'ils se taisent, les pierres crieront », écrit saint Luc. (Murmures sur certaines travées à gauche) Mais, demain, qui parlera l'araméen, la langue du Christ ? Plus d'un siècle après 1915, l'histoire bégaie.
Ce fut le premier génocide du XXe siècle, perpétré par l'Empire ottoman turc ; plus de 2,5 millions de chrétiens périrent, d'origine arménienne, assyro-chaldéenne, syriaque ou grecque pontique. Les motifs étaient à l'époque laïcistes, mais il s'agissait d'épuration ethnique ; ils sont islamistes aujourd'hui, mais la méthode reste la même.
Ce génocide fut physique, culturel et cultuel. Un demi-million de personnes furent martyrisées.
Dès 2015, j'ai déposé à l'Assemblée nationale une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens. Je l'ai déposée de nouveau, au Sénat, en février 2022, avec Bruno Retailleau. À l'Assemblée nationale, Raphaël Schellenberger vient de déposer une résolution similaire.
Nous avons un rôle de protection des chrétiens d'Orient, héritage d'une longue histoire remontant à François ler et Soliman le Magnifique. Ne laissons pas la France faillir à son devoir historique et moral !
Malheureusement, nous parlons cet après-midi autant d'histoire que d'actualité. Les chrétiens d'Orient font toujours face à une volonté d'éradication. Dans le monde, un chrétien sur sept est persécuté, soit 360 millions de personnes. Erdogan fait régulièrement allusion aux « résidus de l'épée », expression abjecte.
Nous parlons d'une communauté petite en nombre, mais majestueuse par sa culture ; d'un peuple bouc émissaire de ceux qui veulent imposer par la force un régime qui n'a rien à voir avec la religion, mais tout avec l'assouvissement des pires instincts humains.
Contrairement au génocide arménien, reconnu par de nombreux pays et organisations internationales, le massacre des Assyriens souffre d'un manque de reconnaissance en tant que génocide. Si, comme le dit Emmanuel Macron, la France veut regarder l'Histoire en face, elle ne doit oublier personne.
Plus largement, l'Europe n'a jamais fait du sort des chrétiens d'Orient une de ses priorités, soucieuse de protéger ses sources d'approvisionnement en énergie et portant la mauvaise conscience de sa responsabilité dans les conflits qui ravagent le Moyen-Orient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Mais nous avons appris de nos erreurs et payé le prix de nos fautes. Parce que nous sommes à la fois des protecteurs historiques des chrétiens d'Orient et le pays des droits de l'homme, nous ne pouvons rester passifs devant les génocides du XXe comme du XXIe siècle. Les actes commis par les forces ottomanes il y a plus d'un siècle comme ceux commis aujourd'hui par Daech doivent être considérés comme des génocides et des crimes contre l'humanité.
Ban Ki-Moon, secrétaire général de l'ONU, avait affirmé en 2015 que les actions intentées contre les chrétiens pouvaient être considérées comme un crime contre l'humanité. Mais il s'agit d'un véritable génocide.
Ces génocides nous obligent à agir au nom de l'histoire et des engagements de la France. D'autant que, comme l'explique Joseph Yacoub, le génocide s'est accompagné d'atteintes graves à l'héritage culturel. Les Assyro-Chaldéens se sont vus déposséder d'une grande partie de leurs lieux de culture et de mémoire ; plus de 400 églises et monastères ont été détruits.
Nous demandons au Gouvernement de reconnaître l'extermination de masse, la déportation et la suppression de l'héritage culturel de plus de 250 000 Assyro-Chaldéens par les autorités ottomanes entre 1915 et 1918 comme un génocide. Nous l'invitons aussi à faire du 24 avril la date de commémoration du génocide arménien et du génocide assyro-chaldéen.
À ceux qui parlent de concurrence des victimes, je réponds : universalité. Comme le disait Elie Wiesel, « en niant l'existence d'un génocide, en l'oubliant, on assassine les victimes une seconde fois ». Faisons des Assyro-Chaldéens un peuple non plus en marge, mais inséré dans l'histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Joël Guerriau applaudit également.)
M. André Guiol . - (M. Christian Bilhac applaudit.) Cette proposition s'inscrit dans le prolongement de la reconnaissance du génocide des Arméniens de 1915. Le génocide est la pire abomination de l'humanité.
Nous portons tous la même appréciation sur ces moments tragiques de l'histoire. Bien entendu, il faut condamner les massacres perpétrés entre 1915 et 1918 contre les Assyro-Chaldéens, un peuple réduit par sa taille, mais riche de sa culture et immense par les gloires qu'il rappelle ; un peuple qui a presque entièrement péri sans que nul ou presque ne s'en émeuve ; un peuple sans État, oublié, il y a un siècle, par le climat favorable aux nationalités.
Après s'être engagée à apporter des garanties pour la protection des Assyro-Chaldéens et des autres minorités à l'intérieur de l'Empire ottoman, la France a finalement rendu caduc tout accord intervenu.
Elle doit aujourd'hui jouer de nouveau son rôle de porte-étendard et protectrice des minorités.
La qualification de génocide fait l'objet de débats. Nous ne pouvons adopter des positions à géométrie variable. Ces massacres répondent assurément à la notion de crime contre l'Humanité. Il ne faut pas de concurrence des victimes et des mémoires : nos indignations ne peuvent être sélectives.
La liste des génocides serait longue - je pense aux Tutsis, par exemple - , mais la reconnaissance du génocide assyro-chaldéen est une étape. Cet acte mémoriel ne doit pas diviser les descendants des peuples, mais servir de fondement à la réconciliation. L'Association internationale des spécialistes des génocides, l'Allemagne et le Saint-Siège ont déjà fait ce pas.
Je rappelle toutefois que, en 2012, la reconnaissance du génocide arménien avait suscité des tensions avec la Turquie. Je ne suis pas certain que le moment soit opportun pour adopter ce texte, alors que la Turquie souffre à la suite des tremblements de terre.
Chaque membre du RDSE se prononcera en son âme et conscience, une majorité d'entre nous votant le texte. (M. Christian Bilhac, Mme Nicole Duranton et MM. Guillaume Gontard, Rachid Temal et Rémi Féraud applaudissent.)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le groupe Les Républicains exprime toute sa compassion envers le peuple turc et le peuple syrien endeuillés.
En parlant de M. Erdogan et du rôle de la Turquie, je parlerai d'un régime, en le distinguant bien du peuple turc.
Avec cette proposition de résolution, nous entendons poser deux actes : un acte de reconnaissance et un acte de résistance.
L'acte de reconnaissance est nécessaire. Qui sait encore que, entre 1915 et 1918, plus de la moitié du peuple assyro-chaldéen a été rayée de la carte ? Que 250 000 personnes ont été massacrées ? Nous devons reconnaître cette réalité. Ce crime génocidaire est contemporain du génocide arménien, reconnu il y a vingt-trois ans sur l'initiative du président Chirac ; les deux sont liés.
Un parallèle peut être tracé entre les histoires des peuples arménien et assyro-chaldéen. Leur massacre fut planifié, au nom de ce qu'ils étaient. On a visé à effacer leur culture, qui est le plus court chemin de l'homme à l'homme.
Il s'agit aussi d'un acte de résistance face au négationnisme et au fatalisme. L'histoire est aujourd'hui instrumentalisée, notamment par M. Erdogan qui veut réécrire l'histoire pour reconstruire l'Empire ottoman. Tous les régimes autoritaires procèdent ainsi.
Nous parlons d'un peuple numériquement peu important, mais à l'histoire multiséculaire. En 2014, premier parlementaire à me rendre en Irak après la proclamation du califat, j'ai vu son courage et sa résistance ; j'ai vu les efforts de ce peuple pour jeter des passerelles culturelles et religieuses entre toutes les communautés. Je salue en particulier l'action du cardinal Louis Raphaël Sako.
Ne laissons pas ce peuple sans État seul face à son malheur. Son avenir nous concerne. Il est trop tard pour sauver les victimes et punir les bourreaux, mais il n'est jamais trop tard pour rendre justice aux victimes d'hier et aux vivants d'aujourd'hui. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. François Bonneau, ainsi que plusieurs sénateurs du groupe SER, applaudissent également.)
M. Joël Guerriau . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Après le séisme à la frontière turco-syrienne, nous assurons de notre soutien les peuples kurde, syrien et turc.
La Première Guerre mondiale a fait 20 millions de morts ; ce fut, selon l'expression de Romain Rolland, un suicide de l'Europe. Une tragédie en entraîna une autre ; la Turquie ottomane a profité de la guerre pour régler ses comptes et perpétrer le génocide arménien, qu'Ankara refuse toujours de reconnaître. (Mme Valérie Boyer acquiesce.)
Les Arméniens ne furent pas seuls à subir un génocide : les Assyro-Chaldéens eurent à subir un sort similaire. La moitié du demi-million d'Assyro-Chaldéens disparut dans les massacres. Nous ne pouvons pas laisser dans l'ombre de tels crimes.
Reconnaître ce génocide est donc un acte de justice, mais aussi de protection.
Reconnaître ces massacres comme un génocide met en lumière des populations aujourd'hui persécutées. La communauté internationale serait ainsi plus attentive au sort de la population assyro-chaldéenne.
Alliés de la Turquie, nous attendons de ce pays qu'il agisse de manière conforme aux principes de l'Union européenne. Or, après avoir reçu des S-400 de la Russie, ce pays a menacé une frégate française, fait usage de la force contre ses minorités et celles de ses voisins, notamment en Syrie et en Irak. Loin de reconnaître le passé, Ankara efface ce qui la dérange.
Dans ces conditions, la France doit empêcher de nouvelles atrocités. Cette résolution sert la mémoire et la survie des populations concernées : le groupe INDEP la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Guillaume Gontard . - Qu'il me soit permis d'avoir une pensée pour les dizaines de milliers de victimes du séisme, pour celles et ceux qui sont encore coincés dans les décombres.
Voici une proposition de résolution pour la reconnaissance du génocide assyro-chaldéen. Mais, comme l'a justement signalé M. Temal, lorsque nous proposons de réparer une faute commise par la République envers ses fusillés, la majorité sénatoriale nous accuse de réécrire l'Histoire. En revanche, les lois et les résolutions mémorielles qui portent sur d'autres pays ne vous posent aucun problème...
M. Bruno Retailleau. - C'est un autre sujet !
M. Guillaume Gontard. - L'histoire est mouvante ; c'est une construction scientifique et sociale, qui évolue avec les découvertes et le point de vue des sociétés. Il paraît donc normal que le Parlement se penche sur la question.
La fin du XIXe siècle est l'une des périodes plus douloureuses de l'Histoire : les atrocités de l'Empire ottoman continuent de hanter nos mémoires. Les différentes populations non musulmanes, citoyens de second ordre - Arméniens, Syriaques, Yézidis, Chaldéens, Grecs pontiques - ont subi des massacres. Arrivés au pouvoir en 1909, les Jeunes Turcs entament un processus de turquisation. Pour éviter une révolte des populations chrétiennes soutenues par l'ennemi russe, ils prennent la décision de les exterminer : entre 1 et 1,5 million de personnes sont massacrées, des centaines de milliers sont déplacées. Les raisons en sont à la fois politiques et religieuses, ce que l'exposé des motifs oublie de préciser.
Le génocide arménien fait l'objet d'un consensus auquel la Turquie fait exception. Or toutes ces populations ont été massacrées sans distinction. Peut-on distinguer entre elles et parler de génocide des Assyro-Chaldéens ? La définition des Nations unies indique que le génocide vise un groupe national, ethnique, racial ou religieux.
Si les Assyriens, les Syriaques et les Chaldéens ont une langue commune, il n'y a pas de consensus des historiens sur le fait qu'ils forment une même population. La Suède ou les Pays-Bas, qui reconnaissent la nature génocidaire des massacres, distinguent Assyriens, Syriaques, Chaldéens et Grecs pontiques, ces derniers étant étrangement absents de la proposition de résolution. (Mme Valérie Boyer se récrie.)
La résolution sur le génocide arménien du 29 janvier 2001 satisfait déjà cette proposition de résolution, car elle inclut toutes les populations massacrées.
Considérant que la réflexion qui soutient cette proposition de résolution n'est pas aboutie, et au vu du contexte géopolitique complexe et de la situation humanitaire dramatique, le GEST s'abstiendra.
Mme Nicole Duranton . - Au nom du RDPI, j'ai une pensée émue pour les victimes des terribles séismes de Turquie et de Syrie dont le nombre de victimes dépasse les 10 000.
Comme l'ont rappelé mes collègues, la population assyrienne dans le nord de l'actuelle Turquie a été déplacée de force entre 1915 et 1918, avec un nombre de victimes compris entre 180 000 et 275 000. Le sujet arménien a longtemps occupé le devant de la scène. Ce texte symbolique n'a pas de portée législative, et ne porte aucune amélioration pour les chrétiens d'Orient encore persécutés et les descendants des victimes exilés.
De plus, le dispositif prévu par la proposition de résolution semble simple, mais l'exposé des motifs laisse entrevoir une autre volonté : « comme en 1915, les victimes sont chrétiennes et les bourreaux musulmans », y lit-on.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est vrai !
Mme Nicole Duranton. - Un tel amalgame renforce les sentiments négatifs à l'égard de cette religion. (M. Patrick Chaize manifeste son agacement.) Ce filtre déformant simplificateur recouvre une question plus complexe où l'on trouve aussi des agendas politiques, une concurrence mémorielle et des relations diplomatiques multilatérales. Ce n'est pas un noeud gordien à trancher.
La politique mémorielle a un caractère symbolique très fort. Le Président de la République a déclaré : « La France, c'est d'abord et avant tout ce pays qui sait regarder l'Histoire en face, qui dénonça parmi les premiers la traque assassine du peuple arménien ».
Le président de l'Association des Assyro-Chaldéens de France (AACF) estime que son peuple se sent oublié : c'est bien une question d'égalité dans la reconnaissance, au-delà de celle de la vérité.
Les groupes de la diaspora ont commencé à communiquer auprès des gouvernements sur ce sujet dans les années 1990. Avec les premières recherches, l'association internationale des chercheurs sur les génocides a adopté une résolution reconnaissant le génocide. Le Parlement suédois s'est prononcé en ce sens en 2010, puis ses homologues néerlandais et suédois en 2015, et l'Allemagne en 2016. En revanche, Israël et le Royaume-Uni n'ont pas suivi cette voie.
La France est l'amie des chrétiens d'Orient. En tant que vice-présidente du groupe de liaison avec les chrétiens, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes, et vice-présidente du groupe d'amitié France-Turquie,...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - On comprend mieux !
Mme Nicole Duranton. - ... j'ai fait de nombreux déplacements dans la région et connais bien le sujet. La communauté turque de mon territoire n'est pas ignorante du sujet. (Marques d'agacement sur les travées du groupe Les Républicains) La France s'est toujours montrée solidaire des voix opprimées, par la voix de membres du clergé ou d'élus comme Denys Cochin, député de Paris.
Plus récemment, le 31 janvier, devant les défenseurs des chrétiens d'Orient, le Président de la République a annoncé un doublement des fonds de soutien aux écoles chrétiennes du Moyen-Orient. C'est une mission historique, un engagement séculaire de la France.
Nous ne pensons pas que ce texte qui comporte des raccourcis plus que discutables contribue à la relation entre la France et les chrétiens d'Orient. Le groupe RDPI s'abstiendra, en laissant la liberté de leur vote à ses membres.
M. Rachid Temal . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Avant d'évoquer ce texte, je voudrais dire quelques mots des séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie, avec Gaziantep comme épicentre. Plus de 11 000 morts sont déjà recensés. Une course contre la montre est lancée pour retrouver des survivants dans des températures glaciales. À jamais, ces hommes et femmes seront touchés dans leur chair. La France est au côté de ceux qui souffrent.
Je souligne la formidable solidarité internationale, à laquelle la France prend toute sa part. Saluons l'action du Président de la République sur ce point.
Ce jour est attendu par la communauté assyro-chaldéenne - j'entends par là nos compatriotes pleinement français, qui descendent de ce peuple. J'y associe ceux qui résident en Irak et qui nous regardent. Il nous revient de reconnaître ce génocide.
À ceux qui s'interrogent sur le sens de cette résolution, je pourrais leur répondre que la France a toujours protégé les chrétiens d'Orient. Je salue les actions des présidents Hollande et Macron, qui ont pris leurs responsabilités en accueillant des réfugiés chrétiens d'Orient menacés par Daech. La France a toujours protégé les minorités, sans distinction religieuse entre chrétiens, musulmans et juifs. Il y a plus de deux siècles, elle est devenue la patrie des droits de l'Homme, faisant de l'universalisme son horizon d'action permanent.
Le groupe SER n'entend pas peser sur les relations diplomatiques avec la Turquie ou la Syrie ; il ne s'inscrit pas dans une logique de guerre des civilisations, infondée et mortifère.
Le Sénat n'a pas à écrire l'Histoire - laissons les historiens s'en charger -, mais doit en prendre acte. Le génocide est avéré : près de la moitié des 500 000 Assyro-Chaldéens ont été pourchassés, tués par les Ottomans, voyant leurs maisons détruites et leurs biens confisqués, dans le premier génocide du XXe siècle. Cela répond en effet à la définition donnée en 1948 par la convention de l'ONU : un acte « commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».
Les documents existent, tant sous la plume d'observateurs que de bourreaux. La presse française de l'époque dénonçait déjà les massacres. La mémoire du génocide se transmet de génération en génération, et voyage au gré de l'exil, des villages et des montagnes, jusqu'à Sarcelles, dans mon département, qui est la nouvelle capitale de cette communauté.
Plus de quarante ans après leur arrivée dans le pays qui est devenu le leur, saluons leur volonté de grandir dans la République sans oublier leur histoire.
Mme Valérie Boyer. - Bravo !
M. Rachid Temal. - À la partie droite de l'hémicycle, je dis que si le Sénat doit prendre acte de l'histoire, celle de notre pays ne saurait en être exclue.
Je tiens à saluer l'AACF et Joseph Yacoub, en tribune, qui portent depuis des années la mémoire de la souffrance d'un peuple. Le groupe SER votera cette proposition de résolution.
Celle-ci n'ayant pas de valeur contraignante, nous déposerons une proposition de loi de reconnaissance du génocide assyro-chaldéen, qui serait commémoré, comme le génocide arménien, le 24 avril.
Mme Valérie Boyer. - Nous en avons déjà déposé une.
M. Bruno Retailleau. - Nous dépasserons nos clivages !
M. Rachid Temal. - Comme toujours, monsieur Retailleau, lorsqu'il s'agit de servir les intérêts de la Nation et de l'humanité.
Je ne doute pas que le Sénat adoptera cette proposition de loi - et qu'avec l'appui des groupes socialiste et Les Républicains, l'Assemblée nationale l'adoptera dans les mêmes termes. La reconnaissance sera alors effective, couronnant le long combat pour la mémoire et la vérité.
Victor Hugo disait : « Servir la patrie est la moitié du devoir ; servir l'humanité est l'autre partie ». C'est cela qui reste devant nous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias . - Pour Walter Benjamin, le progrès humain ne peut se réaliser tant que justice n'a pas été rendue aux victimes des persécutions. Nous devons aux Arméniens qu'une instance juridique internationale établisse les faits et les culpabilités.
Comme les Juifs de la Shoah, les Bosniaques de Srebrenica, les Tutsis du Rwanda, les victimes de l'Empire ottoman - Grecs pontiques, Arméniens, Assyro-Chaldéens - doivent être reconnues par un tribunal pénal international sous mandat des Nations unies.
La recherche a montré que le génocide de 1915 n'est pas un accident, mais la phase paroxystique d'une administration de plus en plus criminelle des minorités ethniques et religieuses de l'Empire ottoman. Celles-ci représentaient près de 19 % de la population ottomane en 1914, contre 0,2 % aujourd'hui.
L'État turc moderne s'est construit autour du sunnisme et de la turcité en éliminant les minorités : les chrétiens, puis les Juifs expulsés de Thrace en 1934 et les minorités de l'islam - chiites, alaouites, alévis, ces derniers victimes des massacres de Sivas en 1993 et Istanbul en 1995.
Le traité de Sèvres promettait un territoire autonome aux Kurdes, offrant en son article 62 des garanties complètes aux Assyro-Chaldéens et autres minorités dans ce territoire. Mais la France et le Royaume-Uni s'empressèrent de remplacer ce traité par celui de Lausanne, abandonnant Arméniens et Kurdes à leur triste sort au profit du projet kémaliste de « stabilisation et d'homogénéisation éthnoreligieuse », qui se traduisit par l'expulsion de tous les Grecs d'Asie mineure, dont le tiers périt avant leur arrivée en Grèce. Le génocide des Grecs de Turquie ne doit pas être oublié. (M. Rachid Temal, Mmes Valérie Boyer et Jacqueline Eustache-Brinio acquiescent.)
Le ministre de la justice d'Atatürk déclarait en 1930 : « Que tous les amis, les ennemis et aussi les montagnes sachent bien que le maître de ce pays, c'est le Turc. Ceux qui ne sont pas de purs n'ont qu'un seul droit dans la patrie turque, c'est le droit d'être le serviteur, c'est le droit à l'esclavage. »
La France alla jusqu'à accepter l'opprobre de céder à la Turquie le Sandjak d'Alexandrette, part de la Syrie mandataire. Les 50 000 Arméniens et Grecs qui y vivaient prirent alors le chemin de l'exil.
Dans votre résolution, vous écrivez que la France a un devoir historique et moral de protection des minorités chrétiennes d'Orient. L'histoire nous enseigne malheureusement qu'elle ne l'a assumé que lorsqu'il pouvait satisfaire ses ambitions géopolitiques. Ce pragmatisme sans scrupules a aggravé l'affaiblissement des minorités, à commencer par les Assyro-Chaldéens.
Mme Valérie Boyer. - C'est vrai !
M. Pierre Ouzoulias. - Minorité parmi les minorités, oubliés parmi les oubliés, les Assyro-Chaldéens ont subi les conséquences de cette histoire tumultueuse.
La France, en reconnaissant le génocide arménien, ne les a pas ignorés ; mais cette résolution a le mérite de les associer plus distinctement à l'hommage rendu à tous les morts du génocide. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du GEST et du RDPI)
M. François Bonneau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Notre groupe a lui aussi une pensée pour les victimes des séismes de Turquie et de Syrie, avec leur cortège de drames humains au coeur de l'hiver.
En 1920, Joseph Naayem, aumônier et prisonnier de guerre, a rapporté dans un ouvrage les témoignages de victimes et de témoins oculaires. Alors que la Conférence pour la paix allait se prononcer, il voulait faire connaître le sort terrible de ce peuple, graver dans le marbre sa mémoire - ce « petit peuple le plus intéressant, mais en même temps le plus abandonné, issu d'un grand empire de la plus ancienne civilisation du monde ».
L'article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est pourtant clair. Exode, famine, déportation, enlèvement, acculturation ou conversion forcée : voilà ce qu'ont subi les populations assyro-chaldéennes entre 1915 et 1918. Les massacres se commettaient dans les mêmes lieux que le génocide des Arméniens : Anatolie orientale, Perse, province de Mossoul. Les nationalistes turcs voulaient éliminer les non-Turcs et les non-musulmans pour homogénéiser l'empire.
Le doute n'est pas permis : il s'agissait d'un génocide. Il est de notre honneur de le reconnaître officiellement.
Alors que les yeux du monde étaient tournés vers le conflit mondial, l'Empire ottoman a profité de la guerre pour massacrer ces hommes, femmes et enfants qui n'aspiraient qu'à rester sur la terre de leurs ancêtres.
Les autorités turques actuelles, nostalgiques de l'Empire ottoman, refusent de reconnaître les génocides arménien et assyro-chaldéen. Ce dernier est reconnu par la Suède, le parlement hollandais, l'Arménie, l'Australie et le Vatican.
Cette reconnaissance est nécessaire, pour que la Turquie l'admette un jour. L'hostilité à l'égard de ces minorités reste prégnante, comme en témoigne l'engagement de la Turquie auprès de l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh.
Comment ne pas penser au massacre des chrétiens et des yazidis par Daech ? Dans ces deux cas, des minorités religieuses ont été condamnées sans autre issue : fuir ou mourir. La reconnaissance du génocide assyro-chaldéen et la condamnation des actes de Daech sont des premiers pas pour prévenir leur répétition.
Oui, cela fait plus d'un siècle, mais il n'est jamais trop tard pour rendre hommage aux victimes. Nous honorons leurs sacrifices pour maintenir leur identité culturelle et religieuse. Il n'est jamais trop tard pour apporter la justice aux victimes, car c'est une forme de réparation. Enfin, il n'est jamais trop tard pour réveiller les consciences : la reconnaissance ne pourra que sensibiliser l'opinion publique.
La démarche de Mme Boyer et M. Retailleau ne procède pas à une réécriture de l'Histoire, mais met des mots sur une réalité. Le groupe UC, dans sa grande majorité, votera cette résolution. (Applaudissements sur toutes les travées, à l'exception de celles du RDPI et du GEST)
Mme Valérie Boyer. - Bravo !
M. Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger . - À l'heure où les populations de Turquie et de Syrie cherchent encore des survivants dans les décombres, j'adresse les pensées et les condoléances du Gouvernement aux peuples de ces deux pays. La France déploie en ce moment même sur le terrain son hôpital de campagne de la sécurité civile.
Concernant cette proposition de résolution, j'attire votre attention sur l'amalgame opéré entre le travail mémoriel sur les massacres de l'Empire ottoman et la situation contemporaine des chrétiens d'Orient.
Le travail mémoriel relève des historiens. Pour reconnaître un génocide, une lecture juridique est également nécessaire (Mme Valérie Boyer s'exclame.), sur la base d'un corpus international constitué par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et par les statuts des tribunaux internationaux.
Il est essentiel de tenir compte du contexte. En 1915, les victimes étaient toutes chrétiennes. C'est en revanche parmi les musulmans que les victimes de Daech ont été les plus nombreuses. (M. Rachid Temal se désole ; protestations sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Cette affirmation relève d'une vision partiale et partielle de l'Histoire.
M. Rachid Temal. - C'est une proposition de résolution !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est incroyable !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - C'est pourquoi le Gouvernement ne soutiendra pas cette proposition de résolution.
Mme Valérie Boyer. - Qui vous a préparé ce texte ?
M. Olivier Becht, ministre délégué. - L'histoire de la France et des chrétiens d'Orient est ancienne : c'est l'accord des Capitulations, signé par François Ier et Soliman le Magnifique en 1536, qui confia à la France la responsabilité de protéger les catholiques de l'Empire ottoman.
Comme l'a dit le Président à plusieurs reprises, ce passé nous oblige. (Signes d'exaspération à droite)
M. Rachid Temal. - Faites voter ce texte alors !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Le maintien de la diversité religieuse au Moyen-Orient est une condition indispensable à son évolution vers la paix. C'est pourquoi notre pays s'engage pour toutes les minorités. Il a réuni en mars 2015 le Conseil de sécurité des Nations unies sur ce sujet, avant d'organiser une conférence internationale sur les victimes de violences...
M. Rachid Temal et Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ce n'est pas le sujet !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Au niveau national, nous apportons un appui financier important à la prévention des violences religieuses, à travers un fonds de soutien doté de 34,9 millions d'euros.
M. Rachid Temal. - En 1915 !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Nous avons créé un fonds pour les écoles d'Orient, cofinancé par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et l'?uvre d'Orient. En 2022, 4 millions d'euros ont été versés à ces écoles confessionnelles qui diffusent la francophonie.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le ministre s'est trompé de texte !
M. Pierre Ouzoulias. - On parle de morts, cela devient indécent !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Nous apportons notre soutien à l'Alliance pour la préservation du patrimoine dans les zones de conflit (Aliph) qui restaure, par exemple, l'église chaldéenne de Mossoul, dont le dôme était effondré.
En 2022, un nouveau département du musée du Louvre a été créé... (L'exaspération redouble sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est indécent !
M. Bernard Bonne. - Vous n'avez pas honte ?
M. Olivier Becht, ministre délégué. - Nous mettons tout en oeuvre pour que les responsables des crimes de Daech soient jugés. Nous entretenons également un dialogue de haut niveau avec les autorités religieuses. Lors de son audience papale, le Président de la République a évoqué les chrétiens d'Orient. Le Président de la République, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères et les ambassadeurs rencontrent les dirigeants chrétiens et musulmans et les incitent à promouvoir une culture de paix, dans l'esprit du document d'Abu Dhabi signé par le pape François et le grand imam d'Al-Azhar en 2019. (Nouvelles protestations)
M. Lucien Stanzione. - La résolution !
M. Olivier Becht, ministre délégué. - L'avenir des chrétiens d'Orient est aux côtés de leurs compatriotes musulmans. Nous soutenons les initiatives promouvant un islam ouvert, tolérant et respectueux de la diversité.
M. Rachid Temal. - Personne ne conteste cela !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ce n'est pas glorieux !
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°126 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 302 |
Pour l'adoption | 300 |
Contre | 2 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE)
La séance est suspendue à 19 h 15.
Présidence de M. Alain Richard, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.