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Table des matières
Salut à une délégation parlementaire marocaine
M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports
Réponse européenne à la hausse du prix de l'énergie
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
Exploitation du lithium dans l'Allier
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
Crise dans les services pédiatriques
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture
Transports en commun et suppression de TER
M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Absence de diffusion de TF1 par Canal+
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture
Rayonnement international de la France et place en Europe
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
Restitution de restes humains à l'Algérie
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention
Zones de revitalisation rurale
Mme Dominique Faure, secrétaire d'État chargée de la ruralité
M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports
Risques de coupures d'électricité et de gaz
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
Conventions internationales(Procédure simplifiée)
Traité de coopération entre la France et l'Italie (Procédure accélérée)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe
Discussion de l'article unique
Déclaration du Gouvernement relative à la guerre en Ukraine et aux conséquences pour la France
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
Ordre du jour du mercredi 2 novembre 2022
SÉANCE
du mercredi 26 octobre 2022
11e séance de la session ordinaire 2022-2023
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Salut à une délégation parlementaire marocaine
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement.) J'ai le plaisir de saluer la présence, dans la tribune d'honneur, des trois questeurs de la Chambre des conseillers du Royaume du Maroc, MM. Mohamed Salem Benmassaoud, Abdelilah Hifdi et Miloud Maasside. Ils sont accompagnés par le secrétaire général de la Chambre des conseillers.
Notre collègue Christian Cambon, président du groupe d'amitié France-Maroc, est présent à leurs côtés. Ils ont rencontré hier les Questeurs du Sénat, ainsi que Roger Karoutchi et les membres du groupe d'amitié.
La visite de nos collègues Questeurs et le jumelage en cours entre nos deux Assemblées sont le reflet du partenariat qui nous unit et de l'importance - j'y insiste - des relations d'amitié entre la France et le Maroc.
En votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter aux trois questeurs de la Chambre des conseillers du Maroc la plus cordiale bienvenue au Sénat français. (Applaudissements nourris)
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet. Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.
Transports du quotidien
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La semaine dernière, la Première ministre présentait l'ambitieux plan France Nation verte, la mobilité étant identifiée comme l'une de six priorités pour l'horizon 2030-2050.
Mais le Gouvernement se donne-t-il dès à présent les moyens de ses ambitions ? Les transports publics du quotidien - ferroviaires, urbains, ruraux - apparaissent plus que jamais nécessaires pour le pouvoir d'achat, la décarbonation et la vitalité économique de nos territoires.
Faute d'investissements, ceux-ci ne pourront se maintenir ni prospérer. Ne risquons-nous pas de laisser passer la chance d'établir un véritable new deal des transports du quotidien ? Comment peuvent-ils résister sans plafonnement des tarifs de l'électricité, si les péages ferroviaires - parmi les plus élevés d'Europe - sont maintenus ou continuent d'augmenter et si le versement transport des employeurs n'est pas réévalué ? Comment, avec les moyens limités du projet de loi de finances 2023, créer un véritable choc d'offre des transports urbains, électrifier les bus et moderniser le réseau ferroviaire ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports . - Vous avez raison : le ferroviaire est la colonne vertébrale de la mobilité propre. Le projet de loi de finances le démontre déjà, même s'il ne représente que 4 des 12 milliards d'euros mobilisés par l'État, dont plus de la moitié sera consacrée au ferroviaire.
Le réseau est la priorité absolue. Nous attendons le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures pour définir les priorités. Nous travaillons aussi sur ce sujet dans le cadre des contrats de plan État-régions. Nous sommes prêts à envisager d'autres pistes, telles que le plafonnement des tarifs de l'électricité. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Jacques Fernique. - Le président du Grand Est parle de fermeture de lignes. Agissez vite et fort ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
Réponse européenne à la hausse du prix de l'énergie
M. Pierre-Jean Verzelen . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC) Les causes sont multiples - guerre déclenchée par Poutine, manque d'entretien du parc nucléaire, système de fixation des prix dépassé -, mais le prix de l'électricité n'est plus maîtrisé.
Les ménages sont plus ou moins protégés, mais les artisans et commerçants sont démunis : à un boulanger qui a payé 2 500 euros l'an dernier, on propose un contrat à 20 000 euros pour l'an prochain. Intenable ! Pour les collectivités, c'est la même chose, et ce ne sera pas sans effets sur les investissements et les services publics du quotidien. Il faut trouver une réponse de fond, mais il faut aussi, pour tout de suite, une réponse d'urgence coordonnée à l'échelle européenne. Or l'Allemagne fait cavalier seul avec son plan de 200 milliards d'euros, le Conseil européen n'a débouché sur rien et le Conseil franco-allemand s'est transformé en déjeuner à l'Élysée...(Sourires) Les entreprises, les collectivités territoriales doivent prendre des décisions avant la fin de l'année. Madame la ministre, où en sont les négociations avec nos partenaires européens ? Le temps presse. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique . - Vous avez cité à juste titre l'action du Gouvernement pour les ménages ; mais le bouclier énergétique couvre aussi les petites entreprises et les petites collectivités territoriales, qui bénéficient du prix de l'électricité le plus bas d'Europe. Pour les autres, il faut trouver quelque chose. Nous avons déjà proposé un filet de sécurité. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Le Conseil européen, dégageant un consensus des 27, a demandé à la Commission de faire des propositions, notamment un découplage des prix de l'électricité et du gaz, une plateforme commune d'achat de gaz et des mesures techniques. Le Président de la République a obtenu ces avancées majeures.
M. François Patriat. - Ce n'est pas rien !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Sur le plan national, nous préparons une garantie électricité et des aides appropriées pour les entreprises de taille intermédiaire, les grandes entreprises et les collectivités non couvertes ; Bruno Le Maire négocie un relâchement des conditions pour obtenir des aides pour 10 millions d'euros. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Revenants du djihad
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) Le Gouvernement a finalement changé de politique et décidé le rapatriement collectif des femmes et enfants de djihadistes retenus en Syrie. Pourquoi ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; on s'amuse de la brièveté de la question.)
M. Fabien Gay. - Parce que ! (Rires)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je serais tenté de vous répondre : « parce que ». (Rires)
M. Gérard Longuet. - La question mérite mieux !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - En réalité, nous rapatrions chaque fois que c'est possible et compatible avec la sécurité de nos agents - que je salue. Notre doctrine n'a pas bougé d'un millimètre. S'agissant des femmes, elles doivent demander le rapatriement. Elles sont systématiquement judiciarisées et elles ont toutes fait l'objet d'un mandat de dépôt, sauf une, pour raisons médicales ; elles ont en effet choisi de nous combattre.
S'agissant des enfants, nous avons un devoir d'humanité et de vigilance. Humanité, parce que ce sont des enfants français, qui n'ont rien demandé. Vigilance, car ce sont aussi des bombes à retardement ; il faut veiller sur eux, car si nous les laissons là-bas, ils pourraient revenir ici pour commettre des attentats. (M. Stéphane Ravier proteste.)
Lisez mon intervention devant la commission des lois du Sénat : le président Buffet a dit lui-même combien elle était claire ! (Applaudissements sur les travées du RDPI, du GEST et sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE)
M. Roger Karoutchi. - Les femmes qui demandent à revenir le font, car elles n'ont pas été déchues de la nationalité comme au Royaume-Uni. (On s'indigne à gauche ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Votre prédécesseure, Nicole Belloubet, disait préférer des jugements en Irak. Comme ce n'était pas possible, elle a dit qu'elle ne ferait revenir que les femmes sans dangerosité.
Je rappelle que c'est Donald Trump qui demandait le rapatriement ; Emmanuel Macron lui avait répondu : « Pas question : c'est trop dangereux pour les Français ». Pourquoi ce qui était dangereux en 2019 l'est moins en 2022 ?
La plupart de ces femmes ont continué, sur les réseaux sociaux et depuis les camps, à vanter les mérites de Daech et la nécessité de continuer la lutte. Voilà qui nous avons fait rentrer ! (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; huées à gauche)
Exploitation du lithium dans l'Allier
Mme Amel Gacquerre . - Je salue la mémoire du gendarme récemment décédé.
Le groupe Imerys a annoncé l'exploitation d'un gisement de lithium dans l'Allier : c'est une bonne chose, car les besoins augmenteront de 42 % d'ici 2040 et nous dépendons actuellement entièrement de la Chine pour ce minerai.
Le projet est une bonne nouvelle écologique, mais aussi économique, avec la création de 1 000 emplois directs et indirects.
Cependant, ce n'est pas un projet neutre : certains craignent des rejets toxiques, malgré la promesse d'Imerys de construire une mine exemplaire. La question de l'acceptabilité sociale ne doit pas être sous-estimée.
Comment le Gouvernement accompagnera-t-il le respect des engagements pris ? La mine durable va-t-elle voir le jour en France ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique . - Ce projet participe d'une politique de transition énergétique anticipatrice, car il ne s'agit pas remplacer une dépendance aux hydrocarbures par une dépendance au lithium, au nickel ou au cobalt. Il fait partie des cinq projets que nous soutenons à travers France 2030 autour des métaux critiques.
Depuis dix-huit mois, nous veillons à construire une filière verte, à sécuriser les approvisionnements à l'étranger, à développer le recyclage et à créer des mines responsables, comme celle de tungstène située au milieu d'un parc naturel en Autriche.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous poursuivons notre action en ce sens, à l'échelle nationale et européenne. (Quelques applaudissements sur les travées du RDPI)
Crise dans les services pédiatriques
Mme Laurence Cohen . - Notre système de santé est à bout, des urgences à la pédiatrie, en passant par la neurologie et la psychiatrie.
Tous les voyants sont au rouge à l'hôpital public : personnel épuisé, soignants dégoûtés par leurs conditions de travail... Quatre mille professionnels de la pédiatrie viennent de dénoncer la situation dans une lettre ouverte au Président de la République : conditions désastreuses de prise en charge des enfants, transferts multiples, affectations dans des services adultes, sorties trop précoces... Ce n'est pas la faute de la bronchiolite, mais de la politique que vous menez. Nous relayons ces cris d'alerte, mais vous les ignorez, comme vos prédécesseurs.
Face à l'urgence, vous débloquez 150 millions d'euros et annoncez des assises de la pédiatrie - mais vous n'avez convaincu personne.
Quand entendrez-vous ces professionnels qui parlent de perte de sens dans leur métier, conséquence de la gouvernance bureaucratique et de la tarification à l'activité ? Quand rouvrirez-vous des lits et recruterez-vous des jeunes passionnés ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; M. Jean Hingray applaudit également.)
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention . - Je connais la situation de l'hôpital depuis longtemps - depuis avant mon arrivée au ministère. L'hôpital ne va pas bien depuis plusieurs décennies, pas depuis plusieurs mois. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains)
Le Gouvernement a dépensé 53 milliards d'euros de plus pour l'hôpital depuis 2017.
Il y a une épidémie de bronchiolite plus précoce ; je salue les services pédiatriques qui travaillent dans des conditions difficiles. Je comprends l'inquiétude des parents, mais rappelons que la prise en charge doit se faire d'abord par les généralistes.
Une voix à droite. - Quand il y en a !
M. François Braun, ministre. - Des crédits de 150 millions ont été débloqués en urgence. Nous apportons une réponse structurelle avec des assises de la pédiatrie au printemps. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Laurence Cohen. - Le diagnostic est connu, c'est l'ordonnance qui est mauvaise ! Le CRCE n'a pas voté les budgets austéritaires. Quand allez-vous aligner l'Ondam sur l'inflation ? Y a-t-il pire chose que de choisir entre deux enfants ? (M. François Braun fait signe que cela ne se produit pas.)
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. - C'est honteux !
Mme Laurence Cohen. - C'est votre gouvernement qui est responsable. Les professionnels sont très en colère contre vous. Agissez ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du GEST, des groupes SER et Les Républicains)
Fréquentation des cinémas
M. Julien Bargeton . - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; par des « Allô ! », on suggère, sur les travées du groupe Les Républicains, que la question serait téléphonée.) La baisse de la fréquentation des salles de cinéma de 25 % par rapport à 2019 inquiète les professionnels, de même que la consommation de films sur les plateformes. Simone, Harkis, Novembre, Un beau matin, L'innocente : la rentrée montre la diversité et la vitalité de notre cinéma, dont le modèle est fondé sur la mutualisation, les films à succès finançant les plus fragiles. Le cinéma d'auteur est né en France dans les années 1950 en réaction à un cinéma américain plus industriel. Les films dits « du milieu », autre spécificité française, souffrent également.
« La photographie, c'est la vérité, et le cinéma, c'est la vérité 24 fois par seconde », disait Godard. Mais pour que cette vérité émerge, il faut une mise en scène, des chefs opérateurs, des comédiens... (Marques d'impatience à droite)
Madame la ministre (on manifeste son soulagement à droite), quelles perspectives donnez-vous aux professionnels pour redonner envie aux Français de revenir dans les salles obscures ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture . - Merci de poser cette question le jour même où nous lançons une campagne de communication autour du cinéma. (On ironise sur cette coïncidence à gauche et à droite.) Vous avez tous, j'en suis sûre, une bonne raison d'aller au cinéma. Nous avons tous de bonnes raisons de croire en l'avenir du cinéma français. La France reste une nation de cinéphiles. Si la fréquentation a baissé de 25 % en France, c'est moins que les baisses de 60 % en Italie, 50 % en Corée du Sud, 40 % en Espagne et en Allemagne. Le pass Culture a offert 2,5 millions d'entrées aux jeunes, dont 76 % disent aller plus souvent au cinéma grâce à lui. La filière résiste. On nous avait pourtant prédit sa mort. L'État la soutient financièrement : 300 millions d'euros pendant la crise sanitaire, 500 millions annuels pour le Centre national du cinéma (CNC), 100 millions de crédits d'impôt et 350 millions dans le cadre du plan France 2030. Je le dis aux jeunes présents en tribunes (murmures à droite) : il y a beaucoup de bons films à aller voir pendant les vacances ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Transports en commun et suppression de TER
Mme Laurence Rossignol . - Pas moins de 11 000 ! C'est le nombre de TER supprimés depuis le 1er janvier 2022 ; 129, c'est le nombre de trains retirés pendant les vacances de la Toussaint dans les Hauts-de-France ; trois heures et demie, c'est l'attente de certains voyageurs la semaine dernière à la gare du Nord avant de s'engouffrer dans le dernier train à onze heures et demie ; « supprimé », c'est la malédiction qui frappe trop de voyageurs.
Ce constat vaut également pour les autres régions. Les salariés sont contraints de prendre le train pour se rendre au travail, car ils n'ont pas pu se loger près de leur travail, ou travailler près de leur domicile : ces infrastructures leur sont essentielles.
Cette imprévisibilité a des conséquences multiples. Elle déstabilise leur vie - pensez aux parents inquiets de ne pas être à l'heure à l'école. Elle menace leur emploi - je pense aux femmes qui partent de Creil ou d'ailleurs le matin ou le soir pour aller nettoyer les bureaux. Les conséquences sont multiples : maltraitance des voyageurs, report sur la voiture, émissions de CO2, désorganisation du travail et de l'économie française... Monsieur le ministre, il y a urgence ! Que faites-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Pascale Gruny et Amel Gacquerre, MM. Stéphane Demilly et Antoine Lefèvre applaudissent également.)
M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports . - Je vous rejoins sur votre constat des galères vécues par nos concitoyens. (On ironise à droite.) Nous consacrons plus de moyens au réseau et aux transports du quotidien. Mais de quoi parlons-nous ? De transports régionaux ! Il faut que chacun mette les moyens nécessaires - j'en parlerai avec le président Bertrand. L'État sera là en soutien : réseau express métropolitain, livraison du train Alstom dans les prochains mois, réunion avec le PDG de la SNCF en fin de semaine.
Dans les Hauts-de-France, l'opérateur souffre de pénuries de personnel. La SNCF a lancé un plan exceptionnel de 440 nouveaux recrutements pour les TER. Certes, c'est difficile, mais chacun doit assumer ses responsabilités. (M. François Patriat applaudit.)
Problèmes de prédation
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Colette Mélot applaudit également.) Les Français se découvrent un engouement pour le tourisme en montagne. Concernant le versant de la vie montagnarde, la loi Montagne pose les principes de la préservation de l'activité contre les préjudices causés par les actes de prédation et celui de la régulation pour maintenir l'existence de l'élevage.
Mais le malaise persiste. À peine le loup était-il identifié dans le massif du Hautacam l'été dernier que les chiffres tombaient : 26 attaques pour 43 brebis tuées et, malgré la grande réactivité des services de l'État, que je salue. L'association nationale des élus de montagne a rappelé l'obligation de défense de l'agropastoralisme, cette activité d'excellence qui contribue à la régulation de la végétation et au développement de l'économie et du tourisme.
Quelles nouvelles mesures prendrez-vous pour défendre nos éleveurs, qui sont à bout ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées des autres groupes)
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - J'étais en fin de semaine dans le Doubs et dans les deux Savoie. J'ai rencontré un éleveur dont le troupeau venait d'être attaqué ; je connais le sentiment de détresse, d'impuissance qu'on éprouve dans cette situation. Le pastoralisme est un modèle exemplaire de préservation de la biodiversité - car il n'y a pas que celle des prédateurs...
Comment agir ? Au niveau européen, nous travaillons à l'évolution du statut des espèces à partir de données scientifiques.
Au niveau national, il y a le plan national loup qui prévoit une simplification des procédures de prélèvement et d'indemnisation - celle-ci devant prendre en compte l'ensemble des préjudices. Enfin, nous travaillons à un dénombrement des prédateurs qui fasse consensus pour pouvoir procéder aux prélèvements de 19 % des effectifs. (Mme Frédérique Puissat proteste.)
Nous devons aussi nous pencher sur le statut des patous, qui posent des problèmes aux éleveurs lorsqu'ils mordent les touristes...
Préservons l'agropastoralisme et la biodiversité. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Absence de diffusion de TF1 par Canal+
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Jocelyne Guidez applaudit également.) Le 2 septembre dernier, Canal+ a cessé de diffuser les cinq chaînes de TF1 à la suite d'un différend commercial. Cette situation pénalise particulièrement les zones rurales et de montagne, qui reçoivent la télévision numérique par satellite.
La Cour d'appel de Paris a constaté que la loi ne mettait à la charge de Canal+ aucune obligation de reprise des chaînes de la TNT et qu'aucun contrat entre les deux groupes ne prévoyait une telle obligation. Mais si la situation est clarifiée en droit, les difficultés rencontrées par des millions des Français demeurent.
Le Gouvernement reste très discret sur cette situation. (Mme Frédérique Puissat renchérit.) Quant à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), elle a proposé sa médiation, mais n'a pas les moyens juridiques d'imposer un compromis.
Comment comptez-vous rétablir l'accès à la TNT des Français qui en sont privés ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Jocelyne Guidez applaudit également.)
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture . - Je partage votre préoccupation. (Exclamations ironiques à droite) Il ne m'appartient pas de m'immiscer dans un différend commercial (marques de déception à droite et sur quelques travées à gauche), mais, comme ministre de la culture, je suis attentive à l'accès de tous à l'offre gratuite de la TNT.
J'ai écrit au président de Canal+ pour en appeler à son sens des responsabilités et de l'intérêt général, pour éviter de priver deux millions de Français de l'accès à ces chaînes. Une révision de la loi sera probablement nécessaire pour éviter, à l'avenir, que des téléspectateurs soient ainsi pris en otage ; nous y travaillerons ensemble, je l'espère.
À court terme, les discussions ont repris, à la faveur de l'arrivée d'un nouveau patron, Rodolphe Belmer, à la tête de TF1. Espérons qu'un accord sera conclu au plus vite. (MM. David Assouline et Bruno Retailleau s'exclament ; M. François Patriat applaudit.)
M. Jean-Raymond Hugonet. - On dit que l'espoir fait vivre... Mais la réalité est simple : la loi de 1986, modifiée plus 80 fois, est à genoux. Franck Riester avait commencé à préparer une réforme, abandonnée en rase campagne sous prétexte de covid. (Plusieurs marques de déploration à droite)
Nous sommes prêts, au Sénat, à travailler sur cette loi pour la revisiter. Nous devons nous mettre à jour des plateformes numériques et des nouveaux usages. Madame la ministre, mettons-nous au travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Colette Mélot et M. Franck Menonville applaudissent également.)
Rayonnement international de la France et place en Europe
M. Jean-Marc Todeschini . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Tandis que les médias français étaient occupés par le feuilleton du 49.3, le dernier Conseil européen a confiné à la débâcle pour notre pays, signant l'échec de cinq ans de politique européenne - projet phare, pourtant, du Président de la République.
L'Allemagne et d'autres pays ont fait prévaloir leur position sur le prix du gaz, nous renvoyant à nos problèmes de maintenance des centrales nucléaires. L'accord de principe sur un bouclier antimissile sans la France, salué par l'Otan, nous laisse isolés. En matière spatiale, l'Allemagne s'oppose à la préférence européenne et développe seule des projets de microlanceurs.
Le constat s'impose : notre influence en Europe recule, alors même qu'on nous reproche une certaine arrogance. Les dissensions dans le couple franco-allemand sont telles que le sommet prévu a été reporté trois fois.
Nous devons entendre ces multiples alertes. L'Allemagne regarde désormais à l'est et s'affirme comme leader de l'Union européenne. Quelles leçons la France tire-t-elle de cette situation ? Comment pouvons-nous éviter l'isolement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe . - Nous n'avons absolument pas la même vision des choses. (On ironise sur plusieurs travées à gauche et à droite.)
Les pays européens ont des enjeux communs : énergie, défense, spatial, notamment. Tous les pays y font face, mais pas de la même façon. Pendant la crise de la covid, les économies de services étaient les plus affectées ; avec la crise de l'énergie, ce sont les économies manufacturières. L'Allemagne fait face à des conditions très difficiles.
Le Président de la République a invité le chancelier Scholz à discuter. C'est lui qui a unifié les positions pour que le communiqué final étudie toutes les mesures en matière d'énergie. Il a invité le chancelier à déjeuner aujourd'hui. (Exclamations ironiques à droite)
M. Michel Savin. - On est sauvé !
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Nous travaillerons à des convergences d'ici au soixantième anniversaire du Traité de l'Élysée. Ces efforts, voyez-vous, demandent plus que des paroles : du travail et des actes.
M. Hussein Bourgi. - On les attend !
M. Jean-Marc Todeschini. - Tout va donc très bien, madame la marquise... Non, tout ne se résoudra pas autour d'un déjeuner. Il n'y a qu'en France qu'on parle du couple franco-allemand ! L'Allemagne, pendant ce temps, mène le jeu, et la réflexion française sur l'Europe est un encéphalogramme plat, pour reprendre une expression du Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Islamisme à l'école
M. Max Brisson . - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis Aristide Briand, la religion ne saurait faire obstacle à la loi. La République a peu à peu donné à la laïcité une dimension singulière dans nos écoles.
Seulement voilà : le mois dernier, 313 atteintes à la laïcité ont été recensées, soit 313 violations de la loi. Vous affirmez, monsieur le ministre de l'éducation nationale, ne pas avoir la main qui tremble. Vous rappelez que les équipes Valeurs de la République ont été renforcées, ainsi que la formation des professeurs, et annoncez un plan de communication sur les réseaux sociaux.
Face au projet politique radical qu'est l'islamisme, ne pensez-vous pas plutôt qu'il faille d'abord appliquer la loi, dans toute sa rigueur ?
La semaine dernière, un proviseur parisien l'expliquait dans une interview : on sanctionne un collégien qui fume, mais, pour un élève qui porte une tenue religieuse, c'est plus compliqué, faute d'un cadre précis...
Ce cadre précis, quand allez-vous le donner à tous les chefs d'établissement de France ? (M. Stéphane Demilly approuve.) Ils attendent des instructions précises et la certitude d'être soutenus pour appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi ! (« Bravo ! » et applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; MM. Daniel Chasseing, Christian Bilhac, Hussein Bourgi et Mme Cathy Apourceau-Poly applaudissent également.)
M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Monsieur Brisson, vous avez raison : notre boussole est la loi de 2004, qui doit être appliquée strictement. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
Vous avez mentionné le renforcement des équipes Valeurs de la République : nous parlons de plusieurs centaines de personnes à l'échelle du pays ; nous poursuivons leur renforcement. Vous avez rappelé aussi notre action en matière de formation.
Des sanctions ont été prises contre des élèves récalcitrants, y compris des exclusions définitives. D'autres seront prononcées, et nous allons préciser le cadre en la matière.
La question des réseaux sociaux est juridiquement délicate, mais nous sommes très actifs pour contrer les influenceurs néfastes qui ne veulent de bien ni aux élèves, ni à l'école, ni à la République. Je recevrai un certain nombre de dirigeants de ces réseaux pour les placer devant leurs responsabilités.
Non, je n'aurai pas la main qui tremble pour sanctionner, mais la laïcité est aussi affaire de pédagogie : le combat continue pour faire comprendre qu'elle est une liberté, la condition de la transmission du savoir sans interférence et un moyen d'émancipation pour les futurs citoyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Jean-Paul Prince applaudit également.)
M. Max Brisson. - Je crains que vous ne répondiez pas aux chefs d'établissement. Ils attendent des consignes claires, ne les laissez pas seuls ! Gérald Darmanin parle d'une offensive islamiste visant les plus jeunes : elle passe par l'école. Précisez le cadre, monsieur le ministre, et soutenez vos chefs d'établissement pour que les violations de la loi soient sanctionnées ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Christian Bilhac applaudit également ; Mme Françoise Gatel manifeste son approbation.)
Restitution de restes humains à l'Algérie
Mme Catherine Morin-Desailly . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) En juillet 2020, pour le cinquante-huitième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, la France a restitué à Alger 24 crânes conservés au musée de l'Homme, supposés être ceux de chefs de la résistance tués pendant la conquête coloniale.
Or selon le New York Times, la majorité des crânes seraient en fait d'origine incertaine... Certains parlent d'imbroglio, d'autres de scandale d'État.
Le travail du comité d'experts franco-algérien aurait été écourté : pourquoi ? Nous ne contestons nullement ce geste de réconciliation sur le fond. Mais pourquoi le Gouvernement a-t-il décidé seul d'une convention de dépôt ? Pourquoi avoir dénaturé cette démarche hautement symbolique ?
Le Parlement, pourtant garant des collections nationales, a été totalement contourné. Il est en droit d'obtenir des réponses ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; MM. Rachid Temal et Rémi Féraud applaudissent également.)
Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la culture . - Je salue votre engagement de longue date sur ce sujet, qui me tient beaucoup à coeur. La politique de restitution, c'est regarder notre histoire en face et nouer des relations d'amitié nouvelles ; c'est le chemin, subtil et respectueux, de la reconnaissance, qui n'est ni le déni ni la repentance.
En 2017, les autorités françaises et algériennes ont mis en place un comité mixte chargé d'identifier ces restes humains dans les réserves du Muséum national d'histoire naturelle. Un travail rigoureux a été mené pendant dix-huit mois, au terme duquel la commission a conclu que 24 crânes sur 45 remplissaient les conditions pour être restitués.
C'est sur cette base documentée qu'ils ont été remis à l'Algérie, sous la forme - j'y insiste - d'un dépôt. Le communiqué du comité intergouvernemental de haut niveau mentionne bien des « restes humains présumés algériens ».
Plus largement, nous travaillerons ensemble à une loi-cadre fixant une doctrine et des critères en matière de restitution, qu'il s'agisse des restes humains, des biens spoliés juifs ou des biens pillés dans le cadre de la colonisation. (M. Alain Richard applaudit ; M. Philippe Tabarot ironise.)
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je me réjouis que ce travail soit mené, enfin. Le Sénat a entrepris des travaux très importants sur le sujet, sous l'égide du président de la commission de la culture, Laurent Lafon. Nous avons déjà formulé des propositions et adopté, à l'unanimité, une proposition de loi sur les restes humains dits sensibles. Si elle était entrée en vigueur, la question de la restitution des crânes à l'Algérie aurait été résolue.
Malgré tout, vous défendez l'indéfendable. La commission chargée d'examiner les propositions de restitution alertait, en juin 2020, sur le caractère précipité et autoritaire de l'opération. L'urgence diplomatique a interrompu le travail de mémoire réalisé par le comité d'experts. Il est regrettable que le ministère de la culture ait été, comme le Parlement, écarté de la procédure. Il faut remettre de l'ordre dans ce domaine, dans l'intérêt de la réconciliation des mémoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Sylvie Robert et M. Mickaël Vallet applaudissent également.)
Urgences pédiatriques
Mme Florence Lassarade . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Plus de 6 500 soignants en pédiatrie ont signé une lettre ouverte au Président de la République pour dénoncer la mise en danger quotidienne des patients dans des services saturés.
L'épidémie de bronchiolite aggrave la situation dans des services hospitaliers déjà très fragilisés, qui peinent à recruter du personnel et à le conserver. Cette épidémie est pourtant habituelle : elle était donc prévisible. En 2019 déjà, des enfants avaient dû être transférés hors d'Île-de-France. Aujourd'hui, les difficultés concernent l'ensemble du territoire, et il arrive que des enfants soient transférés à plus de 200 kilomètres...
Les capacités d'accueil des services se dégradent, en raison de la fermeture de lits et du manque de médecins libéraux. Le choix de ne plus faire appel aux kinésithérapeutes pour les bronchiolites est aussi en cause : cela permettait de faire baisser de 13 % les consultations au CHU de Bordeaux, par exemple.
Comme toujours, faute d'avoir anticipé, le Gouvernement gère la pénurie avec des rustines. Nous en sommes réduits à déclencher le plan blanc et à déprogrammer des opérations chirurgicales pour une simple épidémie de bronchiolite.
Vous avez annoncé 150 millions d'euros pour les services hospitaliers en tension. Mais allez-vous enfin prendre des mesures structurelles ? Je pense à la revalorisation de la permanence des soins la nuit et le week-end, à l'accroissement du nombre de pédiatres et à l'autorisation donnée aux kinés d'intervenir à nouveau contre l'épidémie de bronchiolite. (Mme Laurence Cohen manifeste son approbation.)
M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention . - La situation de nos hôpitaux face à la bronchiolite me préoccupe particulièrement.
Contrairement à ce que j'entends, on ne trie pas les enfants à l'entrée de l'hôpital. Les mots ont un sens : n'ajoutons pas à l'inquiétude des familles, au risque de pousser à des renoncements aux soins.
Notre système de santé prend en charge tous les enfants en situation de détresse, dans le cadre de parcours de soins conçus pour répondre aux besoins ; en revanche, toutes les bronchiolites ne doivent pas aboutir à l'hôpital.
La Haute Autorité de santé a mis en évidence que certaines pratiques de kinésithérapie habituelles en cas de bronchiolite étaient dangereuses. D'où la place moindre des kinésithérapeutes dans la prise en charge de cette pathologie.
En cas de difficultés respiratoires, les parents qui n'ont pas de médecin traitant doivent appeler le 15. Ils trouveront auprès du Samu des professionnels compétents qui les orienteront.
Mme Pascale Gruny. - Le Samu est saturé !
M. François Braun, ministre. - Oui, l'hôpital fait face à des problèmes structurels, qui ne sont pas nouveaux. Je me suis engagé à y travailler de manière globale. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 prévoit en ce sens des mesures de restructuration. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Zones de revitalisation rurale
M. Serge Mérillou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Travailler main dans la main avec les élus ruraux : telle est votre promesse, madame la secrétaire d'État à la ruralité, formulée le 19 octobre dernier dans la presse.
Le même jour, l'Association des maires de France (AMF) a publié un rapport sur la nécessité de préserver les zones de revitalisation rurale (ZRR). Sur ce sujet, les élus attendent toujours une main tendue. Pour l'heure, pas de calendrier. Pourquoi tant d'opacité ? La ruralité exige de la clarté !
Depuis 1995, les ZRR sont un vecteur essentiel du développement de nos territoires. Leur extinction, prévue en décembre 2023, inquiète les élus.
Ce dispositif bénéficie à près de 14 000 communes, pour 320 millions d'euros - somme dérisoire au regard des résultats positifs observés. Il a contribué à redonner vie à nombre de nos villages. Un récent rapport sénatorial salue d'ailleurs son efficacité.
L'AMF et les élus ruraux vous demandent de reconduire un dispositif réformé, qui prenne en compte les évolutions des territoires. Des mesures vous sont proposées, le travail est prémâché. Emparez-vous-en, et posons les fondations d'une nouvelle politique de dynamisation des zones rurales !
Comment comptez-vous pallier la disparition des ZRR ? Quelle place les élus auront-ils dans l'élaboration du nouveau dispositif ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme Dominique Faure, secrétaire d'État chargée de la ruralité . - Les ZRR ont été créées par la loi du 4 février 1995, pour l'adoption de laquelle le Sénat a joué un rôle déterminant. Il s'agit de prendre en compte les difficultés spécifiques liées au maintien d'activités en milieu rural, au moyen d'exonérations fiscales et sociales.
Ce dispositif concerne 13 712 communes, qui représentent 16 % de la population française. J'y suis très attachée. Afin de préparer l'avenir, Jean Castex avait confié une mission à vos collègues Espagnac et Delcros, ainsi qu'aux députés Blanc et Barrot.
Dès le 26 juillet, j'ai répondu à l'invitation du sénateur Delcros de travailler sur cette question. J'ai poursuivi les consultations avec les élus. Cet après-midi même, je recevrai les membres de la mission parlementaire, avec Christophe Béchu, pour examiner les quatorze propositions de leur rapport. Le Gouvernement est donc au travail.
En outre, une mission d'appui a été confiée à François Philizot, président du conseil d'orientation de l'Observatoire des territoires. Des propositions seront présentées à la Première ministre au début de l'année prochaine, nourries de consultations avec le groupe « ruralité » en cours de constitution à l'Assemblée nationale ; j'espère qu'un groupe similaire sera institutionnalisé au Sénat.
M. le président. - C'est là notre affaire, madame la secrétaire d'État. (Marques d'approbation sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains)
Mme Dominique Faure, secrétaire d'État. - Je vous tiendrai informé de nos travaux, monsieur le sénateur.
M. le président. - Votre temps de parole est épuisé.
M. Serge Mérillou. - À Eymet, lors du congrès des maires ruraux, vous avez déclaré que la ruralité est une chance pour notre pays. Prouvez-le en donnant aux territoires ruraux les moyens nécessaires, tant qu'il est temps ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Ligne Lyon-Turin
Mme Martine Berthet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans une récente tribune, nous sommes plus de 200 syndicalistes, représentants d'association, élus locaux ou parlementaires, de toutes les sensibilités, à rappeler notre engagement en faveur du Lyon-Turin et notre préférence pour le scénario grand gabarit.
Le Gouvernement devait prendre une position officielle en début d'année ; nous l'attendons toujours. Mes différents courriers à ce sujet sont restés sans réponse...
L'absence de décision ouvre une brèche à une minorité d'activistes qui se prétendent écologistes, mais manient la désinformation pour effrayer les populations. Depuis plus de trente ans, ils s'appuient sur les thèmes à la mode du moment : radioactivité et amiante autrefois et maintenant, dans le contexte des sécheresses, atteintes aux sources d'eau, alors que la société Telt suit de près la question.
C'est par le ferroutage que nous réduirons nos émissions carbonées et améliorerons la qualité de l'air dans nos vallées. La ligne historique n'a pas la capacité suffisante, d'autant que nous devons libérer des sillons pour les transports de voyageurs du quotidien.
La légitimité démocratique à faire des choix qui engagent l'avenir appartient aux élus, pas à une poignée de militants.
M. Christian Cambon. - Très bien !
Mme Martine Berthet. - Monsieur le ministre, ne vous laissez pas impressionner, prenez les décisions attendues ! Quand confirmerez-vous le scénario retenu ? Alors que l'Union européenne est prête à financer 50 % du coût des accès, quand postulerez-vous à son appel à projets ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Florence Blatrix Contat et M. Gilbert-Luc Devinaz applaudissent également.)
M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports . - Je partage votre engagement en faveur de ce projet, dont l'intérêt est incontestable sur le plan écologique comme sur le plan économique. C'est un grand projet européen, confirmé au plus haut niveau dans le traité d'amitié franco-italien signé il y a moins d'un an.
Les concertations ont été engagées par le préfet de région selon un calendrier transparent. Ce travail s'est terminé au début de cette année. Nous devons maintenant passer à la partie concrète et financière.
Je me suis rendu à Lyon dès septembre pour échanger avec l'ensemble des collectivités qui participent au financement. J'ai constaté que le scénario grand gabarit était privilégié par l'immense majorité des collectivités territoriales. Une concertation a été lancée pour que cette ambition ferroviaire s'accompagne d'une ambition budgétaire, car ce scénario est aussi le plus coûteux. (Mme Martine Berthet marque sa désapprobation.)
Mme Frédérique Puissat. - Et l'État ?
M. Bruno Retailleau. - C'est un projet d'intérêt national !
M. Clément Beaune, ministre délégué. - Il faut que chacun dise combien il est prêt à mettre sur la table. Nous sommes prêts à nous engager et à mobiliser les financements européens. Dans le projet de loi de finances pour 2023, les crédits sont là, conformément à la programmation. Quand le scénario sera arrêté, nous postulerons à l'appel à projets, pour un montant allant jusqu'à 50 % du coût des accès.
Mme Frédérique Puissat. - Et l'État ?
M. Clément Beaune, ministre délégué. - L'État sera au rendez-vous, mais il faut que tout le monde y soit aussi. Nous attendons la fin de la concertation financière, au début de l'année prochaine.
M. le président. - Je souligne que ce projet est inscrit à l'article 10 du projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée, que vous examinerez, mes chers collègues, à l'issue de cette séance de questions d'actualité.
Risques de coupures d'électricité et de gaz
M. François Bonneau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous faisons face à une crise de l'énergie sans précédent, au point de devoir nous préparer à des coupures d'électricité et de gaz.
En la matière, la guerre en Ukraine est le révélateur d'une situation qui se dégradait depuis plusieurs années, faute d'anticipation.
La moitié des réacteurs nucléaires sont encore à l'arrêt, et EDF ne cesse de différer leur remise en service. Les grèves dans les centrales aggravent encore la situation. Les énergies renouvelables sont importantes, mais non pilotables. En l'absence de vent, de soleil et de nucléaire, ce sont les centrales à gaz qui prendront le relais.
L'hiver s'annonce, et il pourrait être rigoureux. Nos réserves de gaz sont pleines, mais ne représentent que deux tiers de la consommation hivernale des PME et des particuliers. Les entreprises gazo-intensives risquent des coupures préjudiciables à leur activité.
Les Français sont prêts à faire des efforts, mais accepteront mal de ne pas être prévenus à temps. Comment inciterez-vous les entreprises à s'arrêter, avec quel délai et pour combien de temps ? Comment procéderez-vous à l'égard des particuliers et des collectivités territoriales ? Comment gérer les situations particulières, notamment médicales ? Comment utiliserez-vous les compteurs Linky ?
À bien nommer les choses, on contribue à régler les problèmes du pays. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique . - Cette crise énergétique est la plus grave depuis les années soixante-dix. Le gaz russe, dont la livraison est quasi arrêtée, représentait 40 % des approvisionnements en gaz de l'Europe. De là le stress sur notre système énergétique, à l'échelle européenne.
Au même moment, les problèmes de maintenance et les sécheresses diminuent notre production d'électricité nucléaire et hydraulique.
Le Gouvernement a agi pour que l'hiver se passe dans les meilleures conditions. Les stocks stratégiques de gaz sont remplis dans toute l'Europe, à l'initiative de la France, et les terminaux continuent d'acheminer du gaz à pleine capacité. Nous avons aussi prévu d'augmenter la puissance de certains barrages hydrauliques, entre autres mesures.
Je salue l'accord trouvé au sein d'EDF et la reprise du travail ce week-end, qui permettra la poursuite des maintenances. Les syndicats et la direction ont fait preuve d'une grande responsabilité.
Les risques de difficultés sont très limités, selon RTE, si l'hiver est normal. Les réponses sont l'interruptibilité, l'effacement et la sécurisation des interconnexions. Les coupures dureraient deux heures par jour dans le scénario le plus grave. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. François Bonneau. - Les coupures de gaz qui pourraient affecter les entreprises doivent être préparées en amont et dans la concertation. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
La séance est suspendue à 16 h 20.
présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
La séance reprend à 16 h 30.
Avis sur une nomination
Mme la présidente. - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n°2010-837 et de la loi n°2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis lors, de sa réunion de ce jour, un avis favorable (vingt-six voix pour, dix-neuf voix contre) à la nomination de M. Luc Rémont aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France (EDF).
CMP (Nominations)
Mme la présidente. - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur le projet de loi portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
Conventions internationales(Procédure simplifiée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de quatre projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l'approbation de conventions internationales.
Pour ces quatre projets de loi, la Conférence des présidents a retenu la procédure d'examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix. La commission des affaires étrangères et de la défense est favorable à leur adoption.
Le projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur la manipulation de compétitions sportives est définitivement adopté.
Le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord pour la mise en place d'un mécanisme d'échange et de partage de l'information maritime dans l'océan Indien occidental et de l'accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l'océan Indien occidental est définitivement adopté.
Le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord de siège entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux relatif au statut et aux activités de la Banque des règlements internationaux en France, et de l'accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et la Banque des règlements internationaux est définitivement adopté.
Le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention portant création de l'Organisation internationale pour les aides à la navigation maritime est définitivement adopté.
Traité de coopération entre la France et l'Italie (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du Traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée.
Discussion générale
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe . - Ce projet de loi vise à ratifier le traité dit du Quirinal, signé à Rome le 26 novembre 2021. Il a été adopté par l'Assemblée nationale le 28 juillet dernier.
Il s'agit du premier traité de cette ampleur conclu avec l'Italie. Le choix du palais présidentiel italien pour sa signature témoigne de son caractère historique. Il déterminera les relations entre nos deux pays pour les décennies à venir.
Entre-temps, le 22 octobre, un nouveau gouvernement a été nommé en Italie. Le Président de la République s'est entretenu avec la nouvelle présidente du Conseil, Mme Giorgia Meloni, dimanche dernier.
Une nouvelle phase s'ouvre : certes, des divergences existeront peut-être, mais n'oublions pas l'immense potentiel des relations entre nos deux nations. Le traité s'appuie sur l'amitié de longue date qui nous lie.
Un cadre institutionnel formalisé permettra de structurer davantage nos échanges et nos coopérations. Depuis la signature du traité, les échanges se sont déjà renforcés au niveau national, mais aussi au niveau des collectivités territoriales, de la société civile et des acteurs économiques. Nous allons ainsi approfondir notre coopération sur des sujets d'intérêt commun et stabiliser dans la durée une relation qui a connu des hauts et des bas.
Le traité du Quirinal est profondément européen dans ses valeurs et ses objectifs. La relation franco-italienne est l'un des ciments de la construction européenne, et l'Italie est un partenaire indispensable pour promouvoir l'agenda de souveraineté et d'autonomie stratégique de l'Union européenne, préserver l'unité européenne et développer une réponse commune face à la guerre en Ukraine. C'est pourquoi les coopérations bilatérales prévues par le traité ont elles aussi une dimension européenne ; elles doivent contribuer à renforcer l'Union, y compris à travers une meilleure intégration de nos territoires.
Le traité fixe d'abord l'objectif d'un approfondissement de nos coopérations en matière de défense. Il rappelle la solidarité entre nos deux pays en cas d'agression : cette disposition est conforme à la charte de l'Otan et aux traités européens. C'est toutefois un symbole fort dans un contexte international dégradé.
Ensuite, le traité fait de la Méditerranée un espace de coopération privilégié, notamment en matière de politique de voisinage, de développement, d'économie bleue, de sécurité, d'environnement et dans la gestion de notre frontière maritime commune.
Le traité prévoit également que nos deux pays favoriseront le rapprochement entre acteurs économiques, en particulier pour favoriser le développement de nos industries dans le numérique, la transition écologique et l'industrie spatiale, entre autres secteurs.
Le développement d'une coopération transfrontalière transversale permettra de réaliser des projets concrets, notamment en matière de mobilité, de secours, de développement économique et de protection de l'environnement. Un comité de coopération transfrontalier sera créé, à l'instar de ce qui existe déjà entre la France et l'Allemagne.
Enfin, un point du traité est consacré au rapprochement de nos jeunesses : un service civique franco-italien sera créé, avec l'objectif de 150 volontaires qui effectueront des mobilités croisées. Je pense aussi à la mobilité des élèves, des étudiants et des apprentis.
Ce traité, au contenu extrêmement riche, sera structurant pour la relation de long terme entre la France et l'Italie. Je m'attacherai à sa pleine mise en oeuvre.
J'en viens à l'aspect central de la diplomatie parlementaire : nos parlements doivent être impliqués dans les relations bilatérales. Je connais l'engagement des présidents Rapin et Marseille en ce sens, et suis convaincue que les échanges anciens entre groupes parlementaires d'amitié seront à nouveau très utiles sous cette législature. (Applaudissements sur les travées du RDPI et des groupes UC et INDEP, ainsi que sur le banc des commissions)
M. Gilbert Bouchet, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - Je salue la présence en tribune de Mme l'ambassadrice d'Italie en France.
Ce projet de loi a été signé au palais du Quirinal le 26 novembre 2021 par le président Emmanuel Macron et le président du Conseil Mario Draghi, en présence du président de la République, Sergio Mattarella.
Le GEST a souhaité le retour à la procédure normale pour l'examen de ce traité, adopté par notre commission des affaires étrangères le 27 septembre. Je rappelle que nous ne pouvons pas amender ce texte, qui sera donc soit adopté, soit rejeté.
Notre histoire commune a connu des hauts et des bas. Au printemps 2018, l'arrivée au pouvoir de l'alliance entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles a fait prospérer un discours anti-élites et anti-européen, voire anti-français. Le summum de la crise est atteint lorsque, en janvier 2019, le vice-président du Conseil apporte son appui au mouvement des gilets jaunes : le 7 février 2019, l'ambassadeur français est rappelé, fait inédit depuis 1940 et la déclaration de guerre de Mussolini à la France...
Le 29 juin 2022, la Cour d'appel de Paris a donné un avis défavorable à l'extradition de dix anciens militants italiens d'extrême gauche, soulevant une forte émotion en Italie, apaisée seulement par les propos du Président de la République française et le pourvoi en cassation du Parquet.
À l'été 2019, une nouvelle coalition, puis l'arrivée de Mario Draghi à la présidence du Conseil en février 2021, ont permis de relancer le processus du traité du Quirinal. Les excellentes collaborations bilatérales ont favorisé son aboutissement.
Ce traité prévoit des domaines de coopération étendus : affaires étrangères, sécurité et défense, affaires européennes, politiques migratoires, justice et affaires intérieures, coopération économique, industrielle et numérique, droits sociaux, développement durable, espace, enseignement et recherche, culture et jeunesse et coopération transfrontalière. Les objectifs de coopération sont déclinés dans une feuille de route, qui sera examinée chaque année ; sa première version a été signée en même temps que le traité.
Celui-ci favorisera l'émergence d'un réflexe franco-italien. Des formats de consultation réguliers seront créés, de même qu'un comité stratégique paritaire. Des échanges administratifs sont prévus, notamment des réunions ministérielles bilatérales. Chaque trimestre, un ministre prendra part au conseil des ministres de l'autre État. Des échanges de fonctionnaires sont également programmés. Le texte prévoit enfin la création d'un conseil franco-italien de la jeunesse et d'un service civique commun.
Aux termes de l'article 3, nos deux pays adopteront des positions communes au niveau européen, notamment en matière d'extension de la majorité qualifiée ou de révision du pacte de stabilité. Le sujet de la réforme de la politique migratoire a fait l'objet de négociations plus soutenues ; un compromis a été trouvé par la référence à une « réforme en profondeur ».
Le traité reconnaît la vitalité des échanges entre les parlements. L'Assemblée nationale et la Chambre des députés ont déjà conclu un protocole de coopération le 29 novembre 2021. La commission des affaires étrangères du Sénat s'est déplacée en Italie en décembre 2021 ; un accord avec le Sénat italien a été évoqué.
Le traité du Quirinal est le second traité de ce type signé par la France au niveau européen, après le traité de l'Élysée entre la France et l'Allemagne.
En Italie, il a été ratifié à une très large majorité ; seuls les membres de Fratelli d'Italia et quelques dissidents anti-européens du Mouvement 5 étoiles ont voté contre. En France, l'Assemblée nationale l'a adopté à l'unanimité. Le Sénat est donc la dernière chambre à l'examiner.
Mais nous nous interrogeons sur la volonté de Giorgia Meloni de le mettre en oeuvre, puisque ce sont des parlementaires de son parti qui s'y étaient opposés, considérant que le traité servait avant tout les intérêts français. Toutefois, je constate que Mme Meloni a, depuis, mis de l'eau dans son vin : elle est désormais disposée à respecter les engagements internationaux de son pays. Par ailleurs, elle a soutenu sans ambiguïté le plan Draghi d'envoi d'armes à l'Ukraine.
Sergio Berlusconi a choqué en évoquant sa proximité avec Poutine. Mais il ne pèse pas autant au sein de la coalition qu'il veut bien le laisser croire.
Capitalisons sur ce qui nous rapproche. La mise en oeuvre du traité, notamment dans les secteurs de l'armement et de l'espace, fera figure de test.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. - Bien sûr !
M. Gilbert Bouchet, rapporteur. - La visite du Président de la République à Rome le week-end dernier témoigne de notre volonté de maintenir le dialogue et de respecter le choix démocratique des Italiens. Je préconise l'adoption de ce texte, loin de toute démagogie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)
M. Hervé Marseille . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.) Je salue son excellence Mme Emanuela d'Alessandro, ambassadrice d'Italie en France, à la tribune présidentielle. (Applaudissements ; plusieurs sénatrices et sénateurs se lèvent.)
Le traité du Quirinal a fait l'objet de nombreuses et longues négociations. Après une crise diplomatique, puis une crise sanitaire, il a été conclu le 26 novembre 2021, scellant ainsi une longue tradition d'amitié entre nos deux pays, membres fondateurs de la Ceca et de la CEE.
Nos échanges sont anciens, et des sommets bilatéraux sont régulièrement organisés. Toutefois, le manque de cadre exposait notre relation bilatérale aux changements de majorité dans nos deux pays. Désormais, nos positions seront mieux coordonnées et plus influentes au niveau européen, comme l'a permis le traité de l'Élysée pour le couple franco-allemand.
Les enjeux sont multiples le long des 515 kilomètres de notre frontière commune ; nous partageons des bassins de vie, des espaces naturels et des infrastructures.
Le traité du Quirinal a un objectif simple : organiser la relation bilatérale en lui donnant un cadre et des orientations stratégiques qui permettront de l'inscrire dans la durée. Il promeut une politique étrangère visant à stabiliser la Méditerranée ; une politique de défense avec une assistance mutuelle en cas d'agression ; une politique de sécurité tournée vers la lutte contre les réseaux d'immigration clandestine, la criminalité, la corruption et la fraude - souvent, l'Italie a été abandonnée dans ce domaine ; une politique agricole qui protège la qualité des produits. Un service civique commun sera créé. Enfin, le traité évoque la coopération entre nos parlements.
Le 25 septembre dernier, les Italiens ont choisi de placer Mme Meloni à la tête de leur pays. Celle-ci considérait que ce traité n'était pas démocratique, et qu'il servait avant tout les intérêts français - parlant même d'impérialisme français. Son parti, Fratelli d'Italia, a voté contre sa ratification. Gageons qu'il ne s'agissait que de péripéties de campagne... Depuis, des signes encourageants ont été envoyés : Giorgia Meloni a rappelé que l'Italie faisait pleinement partie de l'Europe. J'espère que vous pourrez nous apporter des précisions sur les échanges de dimanche dernier entre le Président de la République et la présidente du Conseil.
Le groupe UC appelle à voter ce texte : il est plus que nécessaire de sceller une coopération historique et des ambitions communes. Grâce à MM. Draghi et Mattarella, le traité a pu aboutir. Ne ruinons pas ces efforts. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. André Guiol . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Voilà quelques mois, cette ratification n'aurait pas suscité beaucoup de commentaires, au vu de l'embellie de nos relations diplomatiques avec l'Italie. Le traité du Quirinal avait été signé le 26 novembre 2021 dans ce contexte.
Seulement voilà : les élections législatives ont porté au pouvoir Mme Meloni. Le parti d'extrême droite de la Présidente du Conseil, Fratelli d'Italia, et son admiration pour Mussolini interrogent - sans compter les propos propoutiniens ou ultraconservateurs de ses partenaires.
Pour autant, le traité, un engagement de long terme, doit être dissocié de la nouvelle donne politique, par nature conjoncturelle. Les dirigeants passent, les traités durent. Cet accord n'est-il pas un moyen de maintenir l'Italie dans les clous de la démocratie ?
L'article 9 place la jeunesse au coeur de la relation bilatérale ; le traité prévoit aussi un approfondissement des coopérations de défense, spatiales et industrielles.
Nous avons en partage une culture latine et une vision commune européenne : l'article 3 du traité évoque ainsi le développement de l'autonomie stratégique européenne.
Mme Meloni a rappelé hier devant les députés que l'Italie faisait pleinement partie de l'Europe et de l'Otan. Elle sera jugée sur les actes, comme l'a dit l'Élysée. Vu la dépendance de l'Italie au plan de relance européen, pour 200 milliards d'euros, elle n'aura guère intérêt à s'éloigner de l'Europe.
Il est de la responsabilité de l'Union de mieux appréhender les défis qui mettent à l'épreuve la cohésion européenne, dont la question migratoire, que les pays méditerranéens doivent gérer en première ligne. Il est bon que le traité mentionne ce sujet.
Le traité laisse entrevoir un approfondissement de la coopération. Il est vrai que ceux qui dirigent aujourd'hui l'Italie ne l'ont pas voté, et qu'il nous faudra donc être vigilant ; mais il convient de tirer vers le haut et de ratifier ce traité. Enfin, conservons notre confiance au peuple italien, et souvenons-nous d'où vient le chant « Bella ciao »... Le RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme Isabelle Raimond-Pavero . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a peu de nations dans le monde dont la France peut dire sans emphase excessive qu'elles sont des nations soeurs ; l'Italie en fait partie.
Au fil du temps, nos relations ont pu être tumultueuses - comment en serait-il autrement en vingt siècles d'histoire partagée, marqués par tant d'influences réciproques ? La profondeur de ces liens se reflète jusqu'au palais dans lequel nous siégeons, conçu dans un style italien pour une princesse italienne devenue reine de France.
M. André Gattolin. - Tout à fait !
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - La culture nous a toujours rapprochés, terreau d'une relation fondée sur une géographie commune et des liens économiques profonds. Nous avons en commun plus de 500 kilomètres de frontière alpine et une partie de la Méditerranée, ce qui détermine des enjeux migratoires, stratégiques et environnementaux communs. Avec 84 milliards d'euros d'échanges en 2019, nous sommes des partenaires commerciaux évidents.
Pourtant, nous n'avions signé jusqu'ici aucun traité d'amitié ou de coopération globale.
Ce texte concrétise cette relation en la sanctuarisant, en la structurant, en la valorisant. Nos deux pays, fondateurs de l'Union européenne, ont tout à y gagner.
Les élections du 25 septembre ont vu la victoire d'une coalition qui interroge et inquiète ; mais le peuple italien s'est exprimé souverainement, son choix doit être respecté. Gardons-nous de lui adresser un message, a fortiori une sanction.
D'autant que ce texte réaffirme des valeurs essentielles et ne crée pas d'obligations réciproques. Il propose une matrice, pour développer notre compréhension réciproque.
Aux gouvernements, aux administrations, aux collectivités et aux sociétés civiles de faire vivre ce cadre, qui couvre l'ensemble des domaines de la coopération : migration, économie, enseignement, culture, etc.
Je songe en particulier à la sécurité et à la défense, un champ fondamental, sinon existentiel. Face aux nombreux défis, aux nouvelles crises dans le bassin méditerranéen, il est nécessaire de renforcer la coopération pour la sécurité de l'Europe.
Nous avons de réelles convergences, notamment le souci constant de la sécurité et de la stabilité de la Méditerranée. Cette question figure d'ailleurs en bonne place dans le traité.
Toutefois, nos visions stratégiques ne sont pas toujours synchrones. Si la réflexion sur l'autonomie stratégique progresse en Italie, l'expression n'y a pas le même sens qu'en France...
Je me réjouis donc que le traité institutionnalise un dialogue stratégique soutenu, avec un accent mis sur les synergies et les alliances à développer entre nos industries de défense.
Saluons la volonté d'avancer dans le secteur spatial ; il faudra apprendre à mieux unir nos forces pour faire face à une concurrence internationale grandissante.
Sur l'immigration, les divergences ont conduit à une brouille diplomatique. La question n'est pas éludée, mais traitée succinctement. Un mécanisme de concertation renforcée est créé au niveau ministériel, qui s'appuiera sur une unité opérationnelle conjointe. Il n'y aura pas de solution efficace qui ne soit concertée. Le groupe Les Républicains restera attentif à l'évolution de la situation migratoire sur le terrain, mais ce nouveau dispositif est un progrès.
Un mot sur la jeunesse, enfin. Nous savons le rôle qu'a joué l'Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) dans le resserrement des liens franco-allemands : dix millions de jeunes en soixante ans ont participé à des programmes d'échanges. La création d'un conseil franco-italien de la jeunesse et d'un service civique franco-italien amplifiera les contacts noués par ceux qui feront l'avenir. C'est peut-être là le meilleur gage de succès du traité, car c'est bien le lien profond entre nos deux peuples qui fera que ce texte résistera à l'épreuve du temps.
Voici l'occasion de consolider l'amitié profonde entre nos deux peuples. Le groupe Les Républicains la saisira en votant la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. André Gattolin et Mme Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)
Mme Colette Mélot . - La France et l'Italie ont une très longue relation, qui tient à notre proximité et notre histoire commune, laquelle remonte aux Gaulois et aux Romains. Nous avons ensemble connu la Renaissance, dont ce palais est exemplaire.
Ensemble, nous avons fait l'Europe, dont nous sommes membres fondateurs.
La victoire de Mme Meloni le 25 septembre dernier peut paraître inquiétante dans le berceau du fascisme, mais l'Italie n'est pas un cas isolé en Europe. En France, les extrêmes sont arrivés en tête du premier tour de la présidentielle. Partout en Europe souffle un vent de radicalité.
Le peuple italien a voté, respectons le résultat, ce qui ne nous empêchera pas de lutter contre les idées de Mme Meloni. Le groupe Les Indépendants a toujours rejeté l'extrémisme et soutient les initiatives qui renforcent la coopération entre les États.
Ce traité resserre la coopération dans les domaines des affaires étrangères, de la défense, de la justice, des politiques migratoires. L'économie et le développement durable, deux des priorités de nos pays et de nos peuples, ne sont pas ignorés. C'est par le travail que nous améliorerons la situation de nos citoyens et de nos entreprises.
La convention prépare aussi l'avenir : sur l'espace ou le numérique, nous nous donnons les moyens de bâtir un avenir meilleur.
La vigilance s'impose - la nouvelle donne en Italie ne correspond pas à nos valeurs - , mais cela ne doit pas nous détourner de la coopération. Nos pays ont besoin l'un de l'autre. En travaillant ensemble, nous ferons rayonner nos idées et nos valeurs.
Notre groupe votera ce texte conforme à nos valeurs de coopération européenne. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Julien Bargeton. - Très bien !
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le GEST a demandé le retour à la procédure normale pour deux raisons.
Ce traité n'est que le deuxième de cette nature signé entre la France et un pays européen, le premier étant le traité de l'Élysée de 1963, qui a jeté les bases du couple franco-allemand. C'est donc un acte politique extrêmement fort.
Mais le Sénat se prononce alors que l'Italie est à un tournant politique de son histoire - vous en avez peu parlé, Mme la ministre : la victoire d'une coalition d'extrême droite et de droite qui a abouti à la désignation de la dirigeante fasciste Giorgia Meloni à la présidence du Conseil.
Cette victoire de l'extrême droite dans un pays fondateur de l'Union européenne est d'une gravité extrême. Elle signe l'échec de la politique communautaire, l'échec des politiques d'austérité qui ont appauvri les pays du sud de l'Europe, l'échec de notre politique migratoire - Dublin I, II et III qui forcent l'enregistrement de la demande d'asile dans le premier pays européen visité.
Sans exonérer les dirigeants italiens, à commencer par le triste sire Berlusconi, reconnaissons la responsabilité de la France et de l'Union européenne.
Si nous avions conclu ce traité il y a vingt ans, nous aurions sans doute évité à l'Italie de sombrer dans l'abîme fasciste. Ses dispositions, et notamment la construction d'un réflexe franco-italien, sont de nature à permettre à Rome de sortir de son isolement.
Nous ne rejetons pas ce traité, mais, alors que les héritiers de Mussolini sont au pouvoir, il faut être d'une intransigeance absolue sur le respect des droits fondamentaux, du droit des femmes et des minorités. La France suspendra-t-elle l'exécution du traité quand ces droits seront bafoués ? Refusera-t-elle d'extrader des militants antifascistes qui se réfugieraient sur son sol ? Ou veut-elle poursuivre la normalisation de l'extrême droite que le Président de la République semble avoir entamée dimanche ?
Nous avons besoin de garanties fermes du Gouvernement pour nous prononcer en faveur de la ratification. À défaut, le GEST sera contraint de s'abstenir. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. André Gattolin . - Ce n'est pas sans émotion que j'exprime la totale adhésion de mon groupe à ce traité, déjà ratifié par les deux chambres italiennes et par l'Assemblée nationale. Une émotion personnelle, partagée par nombre d'entre nous qui avons des ascendances transalpines. Mes deux grands-pères ont quitté l'Italie pour fuir le fascisme ; ils ont pris épouse en France et choisi de ne pas apprendre la langue de Dante à leurs enfants. Lorsque j'ai voulu apprendre l'italien au collège, ma mère m'a imposé l'allemand, la langue des bons élèves. C'est en adulte que j'ai découvert le pays de mes aïeux, allant jusqu'à adhérer à cet ovni politique qu'est le Partito Radicale de feu Marco Pannella.
C'est par ce biculturalisme que j'ai véritablement saisi l'enjeu de la construction européenne.
J'ai compris que l'Union européenne ne pouvait tout, que les leviers essentiels d'un vivre-ensemble européen - la culture, l'éducation, l'agir politique - demeuraient compétence nationale. Les dépenses en faveur de l'enseignement et de la culture, 5 % de nos PIB nationaux, représentent à peine 1,4 % du budget de l'Union.
Se vivre Européen ne se décrète pas. On peut vivre sous le même toit et ne pas s'aimer. C'est le cas quand nous ne voyons pas ce que l'autre tient de nous en lui et ce que nous tenons de lui en nous.
Au-delà des guerres et rivalités, il faut retrouver le fil long de notre histoire et de notre culture communes. La réconciliation franco-allemande, défi impensable en 1945, s'est réalisée. Jamais, sans elle, la réunification franco-allemande n'eût été possible. Le traité de l'Élysée a joué un rôle majeur dans ce rapprochement.
Nous n'avons que trop attendu pour avoir une relation similaire avec l'Italie, notre deuxième partenaire économique, le pays avec lequel notre filiation culturelle est la plus ancienne et la plus intense. Il est impératif aujourd'hui d'apaiser nos querelles de voisinage et de cousinage, de raviver les liens qui nous rassemblent. Ce traité est plus ambitieux que celui de l'Élysée.
Oui, l'Italie s'est dotée d'un Gouvernement dominé par le seul parti qui se soit opposé à sa ratification. Mais c'est une chose d'avoir des postures quand on est dans l'opposition, une autre que d'être en responsabilité... (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. André Vallini . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'ai été touché par les paroles de M. Gattolin, avec qui je partage des origines italiennes, à défaut du même lyrisme. Ce moment est important pour la très nombreuse communauté française d'origine italienne.
Tout a été dit sur le contenu du traité : je me concentrerai sur la question de son devenir. Il peut rester un parchemin, ou au contraire servir de tremplin à une coopération approfondie entre nos deux pays.
La France est la deuxième destination des étudiants italiens à l'étranger ; elle est le deuxième pays d'origine des étudiants en mobilité en Italie. Le Medef et son équivalent italien ont des liens très étroits. Nos relations culturelles et universitaires sont intenses.
La droite italienne, qui est l'équivalent de notre extrême droite, a gagné les élections et ne s'est guère montrée francophile jusqu'ici. Fratelli d'Italia et la Lega ont voté contre le traité, considérant qu'il servait d'abord les intérêts français. Pas moins de 40 % des Italiens disent avoir de l'antipathie pour la France ; ils nous reprochent notre arrogance - un sentiment partagé par d'autres peuples européens. Voyez le traitement médiatique réservé à ce traité : on en a beaucoup parlé en Italie, à peine en France.
Qualifier le nouveau gouvernement de fasciste, comme l'a fait Guillaume Gontard, est un peu rapide. Certes, Mme Meloni s'inscrit dans l'histoire du mouvement néo-fasciste, le MSI ; Ignazio Benito La Russa, président du Sénat italien, se réclame ouvertement de Mussolini. Mais Mme Meloni ne propose pas une nouvelle marche sur Rome ! Au fond, elle a réussi une synthèse entre le cadre géopolitique de l'Alliance atlantique, le cadre économique de l'Union européenne et des valeurs très conservatrices sur le plan sociétal.
Elle a réussi une opération compliquée pour se recentrer et rassurer les milieux économiques comme les alliés de l'Italie. « L'Italie est pleinement et la tête haute dans l'Union européenne et l'Otan », a-t-elle déclaré. Hier, elle a abjuré le fascisme et les lois raciales de 1938.
Va-t-elle réaffirmer la prééminence des nations et de leur souveraineté, voire emprunter la voie polonaise ou hongroise au regard des valeurs européennes ? Ce sera à la Commission et au Parlement européen de le constater et d'y répondre.
À ce jour, les nominations auxquelles elle a procédé situent son gouvernement dans une forme de continuité européenne : Antonio Tajani aux affaires étrangères, Giancarlo Giorgetti, déjà en poste sous Draghi, à l'économie.
J'ajoute que la solidité de son gouvernement dans la durée n'est pas évidente. Évitons des jugements hâtifs pour ne pas être taxés d'arrogance. Vous avez eu il y a quelques jours, madame la ministre, une formule maladroite.
Saisissons l'occasion de donner à notre relation avec l'Italie l'importance qu'elle mérite. Le groupe SER votera ce texte ; pour ma part, ce sera avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDPI, et sur le banc des commissions)
M. Christian Cambon, président de la commission. - Parfait, c'est ce qu'il faut dire.
Mme Éliane Assassi . - Ce traité de coopération renforcée entre notre pays et l'Italie contient plusieurs mesures qui recueillent notre approbation. Mais il y a le texte et le contexte. Nous ne pouvons ignorer le résultat des élections italiennes.
La belle devise de l'Europe, « unie dans la diversité », est menacée par la victoire de la coalition emmenée par Fratelli d'Italia, un parti non de droite mais bien d'extrême droite, issu de la mouvance postfasciste. La nomination de Mme Meloni n'augure rien de bon : ce n'est pas qu'un mauvais moment à passer !
Parmi les mesures de ce traité figure un durcissement de la politique migratoire. Or Mme Meloni entend fermer les ports où les navires d'ONG débarquent les migrants et multiplier les centres de surveillance et les expulsions. En août 2019, d'une rigidité glaciale, elle proposait un blocus naval qui empêcherait l'embarquement des migrants depuis la Lybie ou la Tunisie.
Ce traité appréhende la coopération en matière migratoire sous un prisme répressif et non solidaire. Il n'envisage aucune opération commune de sauvetage, alors que la Méditerranée est devenue un véritable cimetière pour les migrants : 2 836 décès depuis 2021 selon l'ONU !
Nous craignons que les positions de la nouvelle présidente du Conseil n'aggravent cette situation. Elles ne rendent pas justice à l'histoire, à la richesse et la diversité de la culture de l'Italie.
Comment ignorer l'épée de Damoclès qui plane au-dessus des réfugiés ? Mme Meloni ne tend pas la main. Elle n'incarne pas « la main ouverte, les yeux attentifs, la vie à se partager » que chante Paul Eluard.
Nous ne voterons pas contre ce texte, mais nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST)
M. Christian Cambon, président de la commission. - Ramenons ce débat à sa juste mesure. Les traités sont signés entre les peuples, entre les pays. Celui-ci a été négocié par le gouvernement Draghi. La couleur politique du gouvernement italien - qui ne l'a d'ailleurs pas dénoncé - n'entre pas en ligne de compte. Laissons sa chance à un gouvernement démocratiquement élu.
Nous devons renforcer nos liens avec l'Italie, tout particulièrement sur les sujets de défense. Donnons sa chance à ce traité !
Nos liens avec ce grand pays sont nombreux. Je souhaite une réponse franche du Sénat pour renforcer notre amitié. Que Mme l'ambassadrice ne soit pas déçue par le vote des sénateurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, et INDEP, ainsi que du RDPI et du RDSE)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - De nombreuses manifestations d'amitié envers le peuple italien s'expriment au Sénat. Monsieur Gontard, je vous laisse la responsabilité de vos propos. Mme Meloni s'est exprimée sur son histoire : lors de son discours de politique générale, elle a dit que le fascisme avait constitué le point le plus bas de cette histoire.
Mme Éliane Assassi. - Elle n'a pas dit cela.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Nous ne partageons pas sa ligne politique, et nous défendrons une toute autre offre politique dans la perspective des élections européennes de 2024. C'est un combat légitime qu'il faudra avoir de manière respectueuse devant les électeurs.
Mme Éliane Assassi. - Il faut dire la vérité, madame la ministre ! (Protestation sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. André Gattolin proteste également.)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Ce traité est une matrice. Il sera ce que nos deux peuples en feront. Les opportunités économiques sont nombreuses, dans l'automobile avec Stellantis, ou dans le domaine des microprocesseurs avec STMicroelectronics, qui va ouvrir une usine à Crolles.
Nous avons des intérêts de défense conjoints, des synergies opérationnelles avec Irini, des coopérations spatiales en cours au sein de l'Agence spatiale européenne. Je pense surtout au rapprochement entre les jeunes Français et les jeunes Italiens, notamment via le service civique ou le renforcement de la mobilité.
Enfin, dans le cadre de la présidence française, nous avons avancé sur le pacte asile et migration, autour des notions de responsabilité et de solidarité : responsabilité des pays d'entrée dans l'accueil des migrants, solidarité des pays de flux secondaires vis-à-vis des premiers.
Je vous remercie pour ce riche débat. (Applaudissements sur les travées du RDPI, des groupes INDEP et UC ; M. Sébastien Meurant applaudit également.)
Discussion de l'article unique
M. Philippe Tabarot . - Je souhaite que la France ne rompe pas ses liens avec son voisin. Nos relations doivent se poursuivre. La coopération transfrontalière occupe dans ce texte une place renforcée, notamment en matière ferroviaire : le chantier Lyon-Turin, mais aussi la ligne Coni-Vintimille et le tunnel routier de Tende. Ces infrastructures, touchées par la tempête Alex, doivent être modernisées.
Ce traité consacre des instances de dialogue politique bilatérales existantes comme les conférences intergouvernementales, qui n'ont pas donné encore de réponses satisfaisantes. Je pense à la révision de la convention d'exploitation de la ligne de 1970.
Vitaminé par le traité du Quirinal, j'accorde à ce traité un satisfecit, mais à la condition qu'il porte ses fruits sur la question des transports, qui m'est chère. En éternel optimiste, j'y crois ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Christian Cambon, président de la commission. - Très bien !
Mme Mélanie Vogel . - Il s'agit d'un vote compliqué pour le GEST. Les écologistes sont profondément européens, fédéralistes, et le renforcement des liens entre les peuples nous est cher.
M. Christian Cambon, président de la commission. - Prouvez-le !
Mme Mélanie Vogel. - Espérons que ce traité durera plus longtemps que le gouvernement italien actuel. N'en déplaise à M. Vallini, je considère que ce gouvernement est bien d'extrême droite, et je n'hésite pas à qualifier Mme Meloni de néofasciste.
Son gouvernement porte des valeurs qui sont à l'opposé des nôtres et de celles de l'Union européenne. Que fera le Gouvernement français le jour où les libertés fondamentales seront violées en Italie ? En l'absence de réponse claire de la part de Mme la ministre, nous nous abstiendrons.
M. Hervé Marseille . - Président du groupe d'amitié France-Italie, je fais miens les propos du président Cambon. Nous n'avons pas à nous immiscer dans les choix des autres pays (applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et sur le banc des commissions), autrement nous ne parlerons plus avec les Polonais, les Hongrois, les Autrichiens... Il faudrait rétrécir les salles de réunion européennes.
Nous pouvons avoir des opinions et des sensibilités, mais les traités sont faits pour durer. Il s'agit ici des relations entre la France et l'Italie, et non pas des relations entre deux gouvernements.
M. Christian Cambon, président de la commission. - Tout à fait !
M. Hervé Marseille. - Nous ne sommes pas nous-mêmes irréprochables... Gardons-nous de donner des leçons. Marquons ce qui fait le lien très fort entre la France et l'Italie. Le travail parlementaire a permis de maintenir le lien entre nos deux pays pendant les crises. J'appelle évidemment à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, ainsi que sur le banc des commissions)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Vous connaissez nos valeurs et je crois que vous les partagez. Vous connaissez les valeurs de l'Union européenne, son cadre légal et réglementaire. Je ne spéculerai pas sur les actions du gouvernement italien. Ce traité sera ce que nous en ferons.
L'article unique est adopté et le projet de loi est définitivement adopté.
(Applaudissements sur toutes les travées à l'exception de celles du groupe CRCE et du GEST)
La séance est suspendue à 17 h 55.
présidence de M. Gérard Larcher
La séance reprend à 21 h 30.
Déclaration du Gouvernement relative à la guerre en Ukraine et aux conséquences pour la France
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la guerre en Ukraine et aux conséquences pour la France.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre . - Il y a huit mois, la Russie a attaqué l'Ukraine. Cette guerre illégale provoque chaque jour plus de dommages. Cette guerre est cynique, la Russie manipule sans vergogne et multiplie les mensonges et les pires chantages.
Le conflit touche avant tout un pays, l'Ukraine, et son peuple. Les Ukrainiens sont regroupés autour de leur président, Volodymyr Zelensky, de leur premier ministre, Denys Chmyhal, et de leur armée. Leur courage et leur héroïsme forcent l'admiration et le respect. Malgré les morts et les drames, le peuple ukrainien se bat avec courage. Je leur affirme notre soutien et notre solidarité, en notre nom à tous. (Applaudissements)
Ce qui se joue dans le conflit dépasse les frontières ukrainiennes. Le Président de la République l'a rappelé : ce conflit engage notre responsabilité à tous. Ce sont nos valeurs qui sont attaquées. Vladimir Poutine l'a reconnu : c'est notre modèle démocratique qu'il vise, ce sont les droits de l'homme qu'il veut faire flancher. Mais nos valeurs sont fortes. On ne peut s'en prendre sans conséquence à la démocratie.
Cette guerre est un moment de vérité. L'ordre international est bouleversé, l'espoir d'une paix durable en Europe est balayé. Face à cela, nous avons un devoir de solidarité, envers les Ukrainiens et entre Européens : la solidarité entre alliés est nécessaire pour dissuader la Russie d'aller plus loin.
Ce conflit dure et va durer ; nous n'avons pas fini d'en mesurer les conséquences.
En termes opérationnels, l'attaque russe se fait au mépris des règles, touchant les civils, les écoles et même les convois humanitaires. Les grandes villes, notamment Kiev, sont ciblées par les drones. L'objectif n'est pas militaire, il est de détruire et de terroriser.
Les Russes ciblent l'infrastructure énergétique, ce qui fait courir des risques majeurs à l'Ukraine, à l'Europe et à la Russie elle-même. Nous soutenons la proposition du directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de créer une zone de protection autour de la centrale de Zaporijjia. Depuis le 10 octobre, le réseau ukrainien est en péril, un tiers étant déjà hors d'usage.
Dans les territoires occupés, on assiste à des transferts forcés de population. L'armée ukrainienne découvre des charniers, comme à Boutcha ou à Izioum, après le départ des Russes. La Russie devra répondre de ces actes barbares, qui doivent être documentés, jugés et punis : la France y contribue.
La Russie mène sa guerre sur tous les fronts : cyberattaques, manipulation. Les déclarations du ministre de la défense russe sur une bombe sale ukrainienne ne sont qu'un mensonge de plus pour légitimer l'escalade. La Russie est prête à aller plus loin, avec toutes les armes à sa disposition.
Malgré ces méthodes, l'Ukraine repousse l'assaut. Dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk, l'offensive est arrêtée et l'armée ukrainienne réussit des percées autour de Kharkiv, Lyman et Kherson ; 600 villages ont déjà été libérés.
La Russie y répond de manière cynique, avec la mobilisation partielle du 21 septembre et la mascarade des référendums truqués dans l'est de l'Ukraine. La France, par la voix du Président de la République, l'Union européenne et l'assemblée générale des Nations unies ont tous condamné cette annexion illégale.
La mobilisation russe apportera de nouveaux soldats et l'arrivée de troupes en Biélorussie nous préoccupe. La Russie est prête à tout. Ce n'est qu'autour de la table des négociations que nous trouverons une issue à la guerre. En attendant, notre devoir est d'aider l'Ukraine autant que nous pouvons, sans entrer en guerre contre la Russie. Cette guerre marque une rupture.
Nous n'avons pas hésité une seconde à agir en Européens, en alliés, en nation libre et fidèle à ses valeurs. Sans cela, nous aurions ouvert la porte à un ordre international brutalisé, laissant penser que les démocraties étaient faibles et plantant les germes de conflits futurs. Nous avons livré du matériel militaire dès la fin février : armes individuelles, munitions et carburant, puis canons Caesar et véhicules blindés, et bientôt des missiles antiaériens Crotale et des lance-roquettes unitaires (LRU).
Nous continuons à agir en Européens. L'Union européenne a mobilisé 2,5 milliards d'euros au titre de la Facilité européenne pour la paix (FEP), à laquelle s'ajoutent 500 millions d'euros débloqués récemment. Les États membres fournissent également une assistance militaire ; la France accueillera 2 000 des 15 000 militaires ukrainiens qui seront formés au sein de l'Union.
Nous mettons en place un fonds spécial de 100 millions d'euros pour que l'Ukraine commande des matériels directement auprès de nos industriels. Les premières commandes ont été passées.
Au-delà, la France agit en allié fiable et crédible. À la demande du Président de la République, nous avons renforcé notre dispositif sur le flanc est de l'Otan. Dans les prochains jours, nous projetterons des chars Leclerc en Roumanie où nous sommes nation-cadre de l'Otan. Nous déploierons des Rafale en Lituanie et des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) Griffon en Estonie.
La Russie pensait trouver une Otan faible et divisée, elle l'a ressoudée. Mais notre action dépasse le cadre militaire. Dès les premiers jours, nous avons pris des sanctions fortes. La Russie pensait diviser l'Europe : nous faisons face, de front. Le premier paquet de sanctions a été adopté en 24 heures, huit paquets au total ont été adoptés par l'Union européenne. Notre objectif est de rendre le coût de la guerre insupportable pour la Russie.
Les sanctions sont massives et de tout ordre : financières, bancaires et commerciales, contre la propagande et les oligarques - 1 300 personnes sont touchées par des gels d'avoirs ou des interdictions de voyage en Europe. L'Europe n'a pas hésité à décréter un embargo sur les importations de charbon, de pétrole brut et de produits raffinés. Moscou préserve l'illusion grâce au prix de l'énergie, mais la Russie est entrée en récession. Vladimir Poutine appauvrit son propre peuple. Nous sanctionnons aussi ses soutiens : ainsi de l'Iran, fournisseur de drones.
Abandonner les sanctions reviendrait à abandonner l'Ukraine et nos valeurs. Les sanctions continueront tant que Poutine poursuivra sa spirale belliqueuse.
Notre soutien s'incarne aussi dans une action humanitaire résolue : plus de 200 millions d'euros ont été mobilisés et 2 500 tonnes de matériel livrées. Près de 100 000 Ukrainiens ont été accueillis et 19 000 enfants scolarisés. Cela s'est fait rapidement, efficacement et dignement.
L'action rapide et exemplaire de l'Europe nous a permis d'agir en accordant la protection temporaire aux réfugiés ukrainiens dès le 3 mars. Quatre millions de personnes en bénéficient dans l'Union européenne.
Nos ONG, nos entreprises et nos compatriotes se sont mobilisés dans un élan de solidarité nationale. Ceux qui accueillent des Ukrainiens recevront une aide. Les collectivités territoriales facilitent l'accueil et la scolarisation : leur rôle est indispensable et je salue leur action.
Notre action est également diplomatique. Le Conseil européen de juin a accordé le statut de pays candidat à l'Ukraine. Le chemin de l'adhésion est long et exigeant : il n'y aura pas de procédure accélérée ou de critères au rabais qui ne seraient dans l'intérêt de personne.
La communauté politique européenne proposée par le Président de la République se met en place : ses membres, dont l'Ukraine, bénéficieront de coopérations concrètes dans les domaines de l'énergie, des infrastructures et de la sécurité. Son premier sommet à Prague le 6 octobre dernier, autour de 44 chefs d'État et de gouvernement, a été un succès, c'est de bon augure pour la réunion prévue en Moldavie au prochain semestre.
Les besoins de reconstruction de l'Ukraine sont évalués à 350 milliards d'euros, un montant colossal appelé à s'accroître. Nous serons aux côtés de l'Ukraine.
Les conséquences de la guerre dépassent les frontières ukrainiennes. C'est pourquoi mon Gouvernement agit pour limiter l'impact sur notre pays.
Le premier défi est énergétique. C'est la Russie qui a lancé la guerre et qui fait du gaz un objet de chantage. Tout indique que des actes de sabotage ont été commis sur les gazoducs Nord Stream I et II. Je ne commenterai pas les enquêtes en cours mais nous répondrons en tant qu'Européens unis face à ces attaques.
Grâce à nos actions préventives et à la solidarité européenne, nous pourrons traverser l'hiver sans coupures. Nos mesures sont les plus protectrices d'Europe : le bouclier tarifaire pour le gaz et l'électricité est prolongé, la hausse est limitée à 15 % au lieu du doublement prévu.
Il est crucial de faire baisser les prix. Le Conseil européen des 20 et 21 octobre a autorisé des achats communs de gaz et étendu à toute l'Europe le dispositif ayant permis la division par deux, voire trois, des prix en Espagne. Une réforme structurelle du marché de l'énergie s'impose également.
Nous travaillons aussi à protéger les entreprises et les collectivités ; le Gouvernement présentera des mesures d'ici à la fin de la semaine.
Nous devons préparer l'avenir. Le conflit rappelle l'importance de la souveraineté française et européenne. Souveraineté énergétique tout d'abord, avec la sortie des énergies fossiles fondée sur la sobriété, le nucléaire et le renouvelable. Le projet de loi que vous vous apprêtez à examiner sera l'occasion d'avancer ensemble.
Souveraineté alimentaire ensuite. Dès mars, nous avons pris des mesures, au niveau national et européen. Cela passera par les investissements de France 2030 et la future loi d'orientation et d'avenir pour l'agriculture.
Souveraineté stratégique, enfin. Les efforts de la loi de programmation militaire (LPM) doivent être amplifiés. Le Président de la République a réaffirmé notre ambition d'une armée au meilleur niveau, prête à prendre l'ascendant dans tous les milieux. Sur le fondement de la Revue stratégique, une nouvelle LPM sera présentée au premier semestre 2023.
Le multilatéralisme et l'autonomie stratégique, voilà notre cap. La présidence française de l'Union européenne a été l'occasion d'avancées historiques, avec la Facilité européenne pour la paix et la boussole stratégique. Le sommet de Versailles a marqué notre engagement à réduire nos dépendances. Nous devons peser pour faire valoir notre modèle.
Ce conflit dure mais il devra trouver une issue. L'Ukraine doit rester souveraine, et la Russie restera notre voisine et une grande puissance. C'est pourquoi nous maintenons des canaux d'échange avec elle. Des négociations devront avoir lieu quand l'Ukraine estimera qu'elle pourra faire valoir sa position.
La démocratie est un acquis fragile, qui doit être défendu. Avec l'Europe et ses alliés, la France restera jusqu'au bout aux côtés de l'Ukraine. Nous ne céderons rien face à l'agresseur russe et protégerons toujours les Français. (Applaudissements sur toutes les travées à l'exception de celles du groupe CRCE)
M. Christian Cambon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Vincent Capo-Canellas et Jacques Le Nay applaudissent également.) À la chute du mur de Berlin, le monde a vécu un tournant historique. Il y a trente ans, qui imaginait le retour de la guerre en Europe, qui colorera les prochaines décennies ?
Après 245 jours de combat, la résistance des Ukrainiens à l'agression russe a changé de visage, d'un combat pour l'honneur, presque perdu d'avance, à la mise en échec d'une des armées les plus puissantes au monde. Elle devient une légende, mais ce peuple courageux paie le prix fort : nous nous inclinons devant ses martyrs. Qu'un jour, justice leur soit rendue.
Confrontée à une brutalité d'un autre âge, l'Ukraine n'a pas sombré. Avec bravoure, qualité militaire et détermination, cette nation s'est révélée à elle-même, au monde et surtout à Vladimir Poutine, qui nie son existence même.
En 2016, Poutine avait affirmé : « les frontières de la Russie ne se terminent nulle part ». Nous avons eu tort de ne pas y voir un programme sinistre. Nous avons été aveugles aux signaux de l'ambition russe, en Tchétchénie, en Géorgie, en Crimée ou dans le Donbass. Nous avons fait le pari du dialogue, y compris au Sénat ; les dérives du régime ont été les plus fortes.
Le 24 février fut un réveil brutal et dramatique, même si tous en France n'ont pas ouvert les yeux. Ce choc a été révélateur : le multilatéralisme et ses règles vivent une crise existentielle. Les mouvements dessinent une nouvelle géographie des rapports de force. Dans ce face-à-face, le pouvoir russe peut compter sur les régimes qui lui ressemblent, autocratiques et violents. Comme lui, ils rejettent l'État de droit, la séparation des pouvoirs. Comme lui, ils méprisent le droit international et la souveraineté des États. Ils voient dans la force le moyen de parvenir à leurs fins.
Pourquoi la France doit-elle s'engager ? Parfois, ne rien faire constitue le plus grand des risques. La Russie veut imposer son modèle à l'Europe. Voilà huit mois, la Russie a envahi un pays voisin et souverain, qui ne la menaçait pas mais tournait le regard vers l'Europe, honnie par Poutine. Notre détermination ne doit pas faiblir, ni dans notre soutien ni dans les sanctions. Pouvons-nous écouter ces thuriféraires de la Russie qui ont l'indécence de demander à l'Ukraine de tendre l'autre joue ? Rappelons-nous notre histoire ! Comment un Français pourrait-il accepter de se soumettre à l'envahisseur ?
Une puissance d'équilibre ne doit pas ménager le camp de l'agresseur. Bien sûr, il faudra un jour négocier. Mais comme l'a rappelé le président Larcher le 7 juin en recevant le président de la Rada, seuls les Ukrainiens peuvent décider quand et comment. Le Président de la République semble s'être rangé à ce constat après plusieurs épisodes de diplomatie du téléphone.
À présent, ce sont les critiques émises sur notre aide militaire qui jettent le trouble. Notre pays serait très loin dans le classement des contributeurs à l'effort de guerre ukrainien. Nous savons tout le prix qu'ils accordent à nos canons Caesar. Mais sont-ils l'arbre qui cache le désert ?
Nous comprenons les exigences de confidentialité, mais votre sincérité est désormais mise en cause. Je vous donne acte des indications que vous venez de fournir, mais nous aurons besoin d'en savoir davantage lors de l'examen de la LPM.
Nous ne pouvons plus accepter notre vulnérabilité dans le secteur de l'énergie. Les Européens parent au plus pressé, dans une unité toujours plus fragile. Or notre continent connaît une crise qui va durer. L'énergie nucléaire sera incontournable. En 2015, faute historique, la France a décidé que sa part dans notre mix devait baisser ; en 2018, elle a acté la fermeture de quatorze réacteurs, décision qui n'a toujours pas été inversée. L'Europe s'obstine à ne pas reconnaître le rôle du nucléaire, or le meilleur bouclier énergétique passe par l'indépendance énergétique.
Sans armée capable de défendre ses frontières, un pays est une proie. L'Arménie en paie chèrement le prix. Mais nos armées ont été éreintées par trente ans de saignées budgétaires. Leur masse est insuffisante. En cas d'engagement majeur, elles ne pourraient pas tenir un front de plus de 80 kilomètres (M. le ministre des armées le conteste) - il est de 1 000 kilomètres en Ukraine. Fin 2025, nous aurons un stock de munitions équivalent à ce qui est tombé la semaine dernière sur l'Ukraine. Notre soutien à Kiev ne dépouille-t-il pas trop nos forces armées ? Monsieur le ministre, tirons-en les conséquences.
Se pose aussi la question des coopérations. L'Union européenne se réveille de sa torpeur stratégique. Tant mieux ! Mais cette prise de conscience se fait à l'ombre du bouclier atlantique : l'Otan reste notre protection la plus solide. Sur le flanc est, le danger n'est pas simplement en Ukraine. La Biélorussie s'invente des menaces lituano-polonaises à ses frontières. Mme Svetlana Tikhanovskaïa, reçue ici même par le président Larcher, fédère les oppositions ; pendant ce temps, son mari est torturé en prison. Les destins de la Biélorussie et de l'Ukraine ne peuvent être envisagés séparément.
Soutenons aussi la Moldavie, menacée de l'intérieur par la présence russe en Transnistrie et de l'extérieur par sa dépendance totale au gaz russe, qu'elle ne peut plus payer. La Moldavie a vocation à rejoindre l'Union européenne : nous devrions lui fournir des moyens de défense.
L'Alliance atlantique est capitale, mais l'Europe doit être prête à faire face seule. Qu'en sera-t-il demain face à des menaces que Washington déciderait d'ignorer ? Le chemin vers une défense européenne commune est long et sinueux. Même pendant la présidence française de l'Union, nous n'avons pas réussi à persuader nos partenaires. Avançons ensemble quand c'est possible, et seuls quand c'est nécessaire.
L'actuelle LPM, j'en donne acte au Président de la République, a stoppé l'hémorragie. La prochaine devra projeter notre modèle d'armée face à de nouvelles menaces.
L'avenir n'est pas écrit, l'apocalypse nucléaire n'est pas à exclure. Notre dissuasion est une garantie. Veillons à ne pas l'affaiblir en révélant une absence de réponses françaises. Face à l'incertitude, gardons le cap. La Russie a tenté de voler la liberté et la souveraineté de l'Ukraine : nous devons l'aider à les recouvrer. N'offrons pas au Kremlin l'aubaine de nos divisions. Ce sera notre intérêt mais aussi l'honneur de la France. (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, et sur plusieurs travées du RDPI et du groupe SER)
M. Patrick Kanner . - En juillet dernier, j'ai eu l'honneur d'accompagner le président du Sénat en Ukraine. J'ai été profondément marqué par la visite des villes martyres de Boutcha et d'Irpin. Nul ne peut en revenir indemne.
Le soutien d'États étrangers est une reconnaissance de la juste cause du peuple ukrainien, qui se bat à armes inégales.
Le retour de la guerre en Europe, c'est le retour des heures sombres, que toute la construction du droit international depuis 1945 visait à conjurer. Savoir, c'est se souvenir, dit Aristote. Mais le souvenir et la crainte de la guerre s'étiole au fil des ans.
Nous ne pouvons que nous révolter contre l'accaparement de territoires par la force et les crimes de guerre perpétrés. Des centaines de milliers d'enfants, à qui l'on fait croire que leurs parents sont morts, sont placés dans des familles. Ce sont les mêmes acteurs qu'en Syrie : la réputation sanglante de Sergueï Sourovikine, nouveau commandant des forces russes en Ukraine, n'est plus à faire.
Comme me l'a confié dernièrement Robert Badinter, « les empires ne survivent pas aux défaites ». Vladimir Poutine le sait.
J'ai une pensée pour les jeunes générations, qui aspirent à une humanité meilleure. Une amie ukrainienne me confiait avoir découvert le sentiment de haine. Kennedy disait : « L'humanité devra mettre un terme à la guerre, ou la guerre mettra un terme à l'humanité. »
Tout a une fin, et Poutine devra répondre de ses crimes. En attendant, l'escalade est très inquiétante, avec une menace désormais nucléaire. La Russie réplique à ses défaites par la destruction d'infrastructures. De nouvelles menaces se font jour, comme la destruction du barrage de Kakhovka. Poutine tente de saper le moral du peuple ukrainien, qui fait preuve d'une remarquable résilience.
Notre aide ne passe pas uniquement par la fourniture d'armes : notre groupe plaide pour la création de fonds spéciaux en vue d'une aide humanitaire plus poussée.
La Chine et l'Inde doivent confirmer leur prise de distance exprimée au Conseil de sécurité des Nations unies par rapport à la Russie.
La Biélorussie, trop longtemps oubliée, a, elle aussi, une histoire européenne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, un quart de sa population a disparu. Récemment, Loukachenko, dans un chantage cynique, a amené des centaines de milliers de migrants aux portes de l'Union européenne. Le Belarus, c'est un peuple à qui un homme impose sa loi en truquant les élections ; c'est aussi une présidente élue, Svetlana Tikhanovskaïa, qui se bat en exil pour préparer l'avenir démocratique de son pays. Tenons-nous à ses côtés.
La pseudo-démocratie russe ne trompe personne. Les référendums en zone occupée n'étaient qu'un simulacre, avec des militaires encadrant les électeurs. Cette violation du droit international doit être sanctionnée. Mais les habitants de ces zones sont désormais considérés comme russes.
Nous sommes tous d'accord pour soutenir le peuple ukrainien et ceux qui, en Russie, résistent courageusement au régime de Poutine, au péril de leur vie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDSE et du RDPI et des groupes UC et Les Républicains)
Si le monde entier est conscient des implications de cette guerre, le rôle de la France et de l'Union européenne est primordial, comme pôle de stabilité. Nous ne pouvons fuir notre responsabilité. Le Sénat peut apporter sa contribution, modeste mais efficace, à ce processus. Les coopérations décentralisées aussi sont utiles, si elles sont coordonnées.
En 2014, sous la présidence de François Hollande, le format Normandie a été créé. L'année suivante, la suspension de la livraison de Mistral à la Russie n'a pas été une décision facile à prendre. J'étais au Gouvernement et je me souviens des oppositions de certains...
Poutine compte sur nos failles. Pénétrer par la force dans un pays suscite des inquiétudes : surveillons la Chine et Taïwan. Toutes ces tensions sont autant de torches risquant d'embraser le monde.
La crise énergétique qui nous frappe est la conséquence de la guerre. En France, l'opinion est solidaire : je salue la position de nos élus et de nos concitoyens. Mais qu'en sera-t-il si notre engagement perdure ? Nous sommes à un moment charnière : les revers militaires s'enchaînent pour la Russie, mais Poutine durcit son action. Une autre menace m'inquiète : l'habitude et la lassitude.
Faisons gagner l'intelligence contre l'obscurantisme, l'humanité contre la barbarie, le droit contre la force. Pour y parvenir, madame la Première ministre, je vous poserai cinq questions.
Premièrement, j'aimerais bien comprendre le sens des propos tenus par Emmanuel Macron dimanche dernier : « Une paix est possible, celle-là seule que les Ukrainiens décideront, quand ils le décideront ». L'Ukraine est-elle seule responsable de la paix ? À quel prix pour ses frontières ?
Deuxièmement, l'Ukraine demande plus d'armes : nos stocks ne sont-ils pas menacés ?
Troisièmement, en cas de menace nucléaire, quelles seraient notre volonté de répondre et notre capacité à le faire ?
Quatrièmement, sous quelle forme la France apporte-t-elle son soutien à la population ukrainienne ?
Cinquièmement, quelle initiative nouvelle la France compte-t-elle prendre ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du RDSE, du GEST et du RDPI ainsi que des groupes INDEP, UC et Les Républicains ; Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. le président. - La parole est à Nadia Sollogoub, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine, dont je salue l'engagement déterminé et concret. (Applaudissements)
Mme Nadia Sollogoub . - L'Ukraine n'est pas en guerre avec la Russie depuis février 2022, mais depuis l'annexion de la Crimée, en février 2014. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du RDPI ; M. Patrick Kanner applaudit également.) Elle l'est, en réalité, depuis les années 1930 et l'Holodomor, quand Staline a exterminé des millions d'Ukrainiens pour piller leur grenier à blé.
L'Ukraine et la Russie sont en guerre depuis fort longtemps, mais cela ne nous dérangeait pas. Avec l'invasion russe, le voile s'est déchiré. Cette guerre a aussi mis en lumière la vulnérabilité de notre pays dans des secteurs stratégiques essentiels.
Les enjeux de sécurité sont devenus prioritaires. J'ai eu la chance d'être présente à la Rada, lorsque les députés ukrainiens ont applaudi le président Larcher et nos canons Caesar. Quels moyens sont-ils prévus pour l'Ukraine dans le projet de loi de finances pour 2023 ?
Le Parlement ressent une certaine frustration face à l'opacité qui entoure l'aide accordée. Que contient le nouveau paquet militaire annoncé ? Madame la Première ministre, nous avons besoin d'informations fiables et régulières. Bien sûr, cela ne remet pas en cause notre soutien à votre action.
Les combats vont durer. L'offensive ukrainienne ralentit, et la mobilisation partielle russe va renforcer l'armée de Poutine. Nous devons nous donner les moyens de faire durablement face à un conflit de haute intensité en Europe.
Face à une menace nucléaire, quel est le plan du Gouvernement pour protéger nos populations civiles ? Quels abris atomiques et comprimés d'iode sont-ils prévus, alors que les agences de notation évoquent le risque nucléaire ?
Cette guerre bouleverse les grands équilibres géopolitiques, et nous sommes à l'heure des choix. Comment la France peut-elle éviter l'extension du conflit ? Comment aider les pays d'Asie centrale à construire une autonomie entre Russie, Chine et Turquie ?
La guerre se joue aussi sur le terrain des images : la France doit mettre en lumière les crimes russes et, en Afrique, couper court à la désinformation.
La crise géostratégique est devenue énergétique et économique. La concertation européenne achoppe. Entreprises et collectivités territoriales sont dans une situation intenable, et de nombreux ménages risquent de basculer dans la précarité. Quelle est notre démarche de recherche de fournisseurs alternatifs d'énergie ?
Les perturbations de la production agricole font s'envoler les prix mondiaux. La Russie fait de l'alimentation une arme : elle a provoqué une crise mondiale de sécurité alimentaire. Les corridors céréaliers de la mer Noire doivent rester ouverts, car le grenier du monde est visé.
La crise covid avait favorisé dans notre pays une alimentation de proximité : désormais, hélas, les ménages privilégient une alimentation au moindre coût, au détriment de nos producteurs.
La guerre renforce des difficultés préexistantes de notre économie. Dans ce contexte d'angoisse, il faut tenir bon. Poutine espère que les Français se lasseront : il ne faut pas céder. Le président du Medef a rappelé que les entreprises françaises soutenaient les sanctions, quel qu'en soit le prix.
Frapper des infrastructures est un crime de guerre ; déporter des enfants devrait l'être, sans parler des atrocités perpétrées contre des populations désarmées. La vision des appartements d'Irpin passés au lance-flammes ne me quittera jamais.
Le Conseil européen a pris une position très ferme : l'agresseur devra rendre des comptes.
Alors que la guerre est à portée de voiture, les Français ouvrent leurs portes à nos voisins, ils aident sans compter. Mon groupe porte un message de fermeté, de soutien intangible au peuple ukrainien et de dénonciation des crimes de guerre. Le Sénat souhaite être votre partenaire dans cette crise.
À titre personnel, j'exprime ma solidarité à nos collègues de la Rada et à leur président, Rouslan Stefantchouk, qui ont siégé parfois sous les bombes.
J'ai une pensée pour toutes les victimes de cet affreux conflit. La France doit soutenir l'Ukraine jusqu'au jour tant espéré de la paix. (Applaudissements)
M. André Gattolin . - Je me félicite de la tenue de ce débat. Si la guerre traverse toutes nos discussions parlementaires, nous n'avons guère eu l'occasion d'en débattre dans cet hémicycle. Depuis la déclaration gouvernementale de mars dernier, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts du Dniepr, ou ce qu'il en reste.
Cette éclipse est liée à un calendrier électoral absurde qui, tous les cinq ans, suspend nos travaux pendant plus de quatre mois, ce qui ne valorise guère notre démocratie parlementaire.
Je salue la présence ce soir de la Première ministre et d'une partie du Gouvernement. L'exécutif nous a tenus régulièrement informés des évolutions, mais il est essentiel que l'information percole auprès de tout le Parlement, pour reprendre la formule du ministre des armées.
La guerre en Ukraine agit comme un révélateur de nos fragilités et de nos dépendances. Le rapport du Cese de mai dernier fait état de deux faiblesses majeures : la hausse du prix de l'énergie et des matières premières et la rupture de l'approvisionnement. Le prix de gros de l'électricité a été multiplié par douze et les composants électroniques sont en pénurie. L'armement de nos armées, dans ce contexte, appelle des investissements élevés. Quels secteurs estimez-vous les plus prioritaires pour atteindre l'autonomie ?
Second constat : malgré les chocs, je constate l'admirable résilience française face à la propagande russe. Selon l'Ifop, si les Français sont inquiets des conséquences de la guerre, 70 % ont une bonne opinion de l'Ukraine, contre 16 % de la Russie ; et les deux tiers sont favorables aux sanctions et aux livraisons d'armes.
Pourtant, une petite musique se répand, selon laquelle toutes les difficultés des Français seraient issues du soutien à Kiev, suscité par une Amérique prédatrice. Réjouissons-nous de l'échec relatif d'une Russie passée maître dans la désinformation. Je salue nos services, dont Viginum, pour leur action en la matière. L'Europe n'est pas en reste, avec un signalement de la désinformation par la strate 2 du Service européen pour l'action extérieure et, surtout, l'interdiction de diffusion de RT News et Sputnik en Europe.
Ne négligeons pas non plus la faiblesse du narratif poutinien, fondé sur des accusations de nazisme et la démission de nombreux acteurs dans la nébuleuse des cybercombattants russes, sans oublier l'efficace contre-narratif du président Zelensky, qui donne un sacré coup de vieux à la communication politique.
Un hiver difficile et l'enlisement de la guerre pourraient toutefois affecter le soutien européen. Le narratif russe s'est redéployé vers l'Afrique, où RT News et Sputnik, comme Wagner et sa compagnie de production de films, se développent, visant particulièrement notre pays. C'est un second front qui s'ouvre. Comment pouvons-nous gagner cette guerre de la communication ? (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE et des groupes UC et Les Républicains ; M. Jean-Michel Houllegatte applaudit également.)
M. Pierre Laurent . - Voilà huit mois, Vladimir Poutine déclenchait un conflit d'une ampleur inédite depuis 1945 en envahissant l'Ukraine. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 8 millions d'Ukrainiens ont quitté leur pays, où 15 000 civils ont été tués ou blessés et où des dizaines de milliers de combattants ukrainiens et russes sont morts. C'est toute la jeunesse des deux pays qui est fauchée chaque jour.
La guerre, c'est aussi la destruction de la moitié du PIB ukrainien et du tiers des infrastructures : la reconstruction coûtera 750 milliards de dollars, selon le Premier ministre ukrainien. C'est aussi l'aggravation de la crise économique et énergétique sur toute la planète, ainsi que les ravages de la famine, qui tuera plus encore que les bombes.
La guerre, c'est aussi l'engloutissement quotidien de ressources considérables qui manquent pour répondre aux défis du développement humain et du changement climatique. C'est l'aggravation des émissions de gaz à effet de serre, avec notre nouvelle dépendance au GNL américain, 2,5 fois plus émetteur que le gaz naturel.
La guerre, c'est l'embrasement possible à tout instant en Moldavie et en Géorgie, et déjà à l'oeuvre en Arménie avec l'attaque azérie. Ce sont tous les points de tension du globe ravivés et le retour de la menace nucléaire.
Ces faits alarmants nous invitent à relancer, de la manière la plus vigoureuse qui soit, les discussions sur le désarmement multilatéral et un régime mondial d'interdiction des armes nucléaires.
Cette guerre est un terrible engrenage. Faut-il poursuivre l'escalade ? N'abandonnons pas l'exigence d'un cessez-le-feu le plus vite possible : ce n'est pas céder aux Russes, c'est demander que la voix de la paix ne s'éteigne pas. Nous appelons au retour de la diplomatie pour tracer le chemin d'une négociation globale.
À ceux qui préconisent l'escalade en faisant miroiter la fin prochaine de la guerre, je demande : où, ces trente dernières années, la guerre a-t-elle été une solution ? Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Yémen, Sahel : tous ces pays sont en ruines et livrés aux violences. La voie de la diplomatie pour la paix n'est pas celle de la reddition, mais de l'espoir.
Nous livrons des armes à l'Ukraine, mais le Parlement n'est informé ni de ce qui est livré ni des incidences de ces livraisons sur nos propres capacités. Tant que la guerre dure, qui peut dénier à l'Ukraine le droit de faire appel à ses alliés ? Mais qui peut penser que ces livraisons ouvriront la voie à la solution militaire du conflit en cours ?
Rien ne doit nous détourner d'un effort immédiat pour retrouver la voie de la paix par la négociation. Le Président de la République a eu raison de remettre la perspective de la paix au centre du jeu, mais il en repousse toujours l'échéance.
Un ancien ambassadeur de France a proposé hier, dans un grand journal du soir, de dresser sans tarder un calendrier de négociation. Qu'en pensez-vous ? Que pensez-vous de la tribune d'anciens diplomates italiens sur les bases possibles d'un règlement négocié et de la lettre de 35 représentants démocrates à Joe Biden en faveur de l'intensification des efforts diplomatiques ? Que pensez-vous de l'appel du pape François au silence des armes ?
L'accord sur les exportations de céréales, qui arrive à échéance le 22 novembre, sera-t-il reconduit ? Comment conforter l'accord sur la sécurisation des centrales nucléaires, en lien avec l'ONU et l'AIEA ? Comment assurer le soutien humanitaire et la protection civile ?
La priorité est d'empêcher l'extension du conflit aux pays frontaliers et d'ouvrir une discussion globale sur la sécurité sous l'égide de l'OSCE. La France doit construire une coalition mondiale pour la paix, qui ne saurait être enfermée dans les limites de l'Otan. La logique de bloc fait partie du problème.
Nous devons pour cela parler à des grands pays comme l'Inde et la Chine, sans les jeter dans les bras de la Russie, aux pays d'Asie centrale et aux pays africains, qui ne devraient pas avoir à choisir entre deux systèmes de domination. La France doit reprendre sa liberté d'initiative pour assumer pleinement, en Europe et dans le monde, son rôle au service de la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Martine Filleul et M. Joël Bigot applaudissent également.)
M. Claude Malhuret . - Le 1er mars dernier, alors qu'on nous expliquait que l'Ukraine serait écrasée, je commençai mon discours à cette tribune par ces mots : l'invasion de l'Ukraine sera le premier clou sur le cercueil de la dictature de Poutine.
Le césarisme guerrier est la recette des dictatures, jusqu'au pas de trop. Vingt ans durant, Poutine a appliqué le proverbe arabe selon lequel un chameau se mange par morceaux : Ossétie, Crimée, Donbass notamment. Devant notre inaction, il a voulu manger l'Ukraine d'un seul coup : il risque désormais de mourir d'indigestion.
L'exact contraire de ce qu'il souhaitait se réalise : il a forgé la nation ukrainienne, soudé l'Europe, renforcé l'Otan. La Chine s'inquiète, la Turquie montre les dents, l'Asie centrale prend le large. Les Républiques de la Fédération de Russie s'agitent. Seuls quatre pays de l'ONU sur 143 soutiennent la Russie...
Poutine est acculé. Que fera-t-il ? Comme toujours, il laissera un conflit gelé à sa frontière et poursuivra sa guerre hybride contre l'Occident. Elle sera menée chez nous par des officines et les populistes qui relaient sa propagande avec une fidélité canine. Ils savent que l'opinion est capricieuse et attendent l'hiver.
Les Russes ne fabriquent plus de voitures et de machines à laver, des centaines de milliers de Russes ont quitté le pays et mille entreprises étrangères, représentant 40 % du PIB, sont parties. Le cours du rouble est bidon : dans le monde réel, il a perdu 50 %. Tous les chiffres venant de Russie sont comme Lénine dans son mausolée : soigneusement entretenus et tout à fait morts. (Sourires et applaudissements)
Le prochain axe de la propagande russe, c'est la paix. Dans les années 1930 déjà, c'était le Mouvement de la Paix, orchestré par les partis communistes européens et les idiots utiles, Sartre ou Aragon. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur certaines travées du RDPI et du groupe Les Républicains)
Mme Éliane Assassi. - Un peu de respect !
M. Claude Malhuret. - Dans les années 1980, ce furent les missiles russes à la frontière de l'Europe et la riposte américaine, contrecarrée par d'immenses manifestations. Rappelons-nous la phrase de Mitterrand : « Les missiles sont à l'Est, les pacifistes sont à l'Ouest ».
Le Pen, la porte-parole salariée du Kremlin, explique qu'il faut organiser une grande conférence pour la paix en Europe. La manoeuvre va s'amplifier. Mélenchon ne dit pas autre chose, et pour cause : il prend ses ordres au même endroit.
Le seul côté positif de cette guerre est qu'elle nous ouvre les yeux : l'internationale des tyrans se reforme. Moscou, Pékin, Téhéran et Pyongyang renforcent leurs liens, sous le regard attentif d'Ankara. La guerre de Poutine n'est qu'un prélude : les jeunes générations doivent savoir que la vraie menace, outre la crise climatique, ce sont les dictatures sous la conduite de la Chine. La deuxième guerre froide a commencé.
Mais si nous en sommes là, c'est aussi à cause de nos propres lâchetés. N'en déplaise à Francis Fukuyama, nous assistons à la sortie de l'Europe de l'histoire : croyant « toucher les dividendes de la paix », depuis vingt ans, nous fermons les yeux sur les exactions de Poutine et autorisons la Chine à nous piller. Les dictatures nous le disent pourtant : nous sommes en guerre contre vous.
Cette erreur c'est d'abord celle de l'Allemagne - dépendante de l'énergie russe et de l'économie chinoise - et de la France - qui espérait trianguler sa relation avec les États-Unis en courtisant la Russie. Les avertissements de l'Europe de l'Est ont été ignorés.
Il est plus que temps de renforcer la coalition des démocraties et d'abandonner notre anti-américanisme, qu'il soit de droite ou de gauche. Plus que temps de renforcer la défense européenne et de comprendre que les prochaines guerres seront hybrides : notre retard dans le numérique et l'intelligence artificielle est criant.
Il est plus que temps, aussi, de hausser le ton face au boucher de Moscou. Si l'aide militaire à l'Ukraine est réelle, le discours est parfois plus hésitant, insistant sur la négociation, alors que les morts se comptent par milliers. Une négociation avant le retrait russe conduirait à un nouveau conflit gelé. La seule paix à long terme sera la victoire de l'Ukraine et la défaite de Poutine. Ce n'est pas seulement l'indépendance de l'Ukraine qui se joue, mais la sécurité de toute l'Europe et l'unité du monde libre. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDPI, du RDSE et des groupes UC et Les Républicains)
M. Jean-Claude Requier . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis le 24 février dernier, la résistance ukrainienne n'a jamais faibli. Vladimir Poutine l'avait sans doute sous-estimée. Courage, résilience et détermination sont les ingrédients de cette force morale ukrainienne.
Du courage, il en faut pour affronter la puissance militaire russe et rétablir la réalité d'un pays souverain contre la narration russe. De la résilience aussi, pour affronter les tragédies de Marioupol et de Boutcha et supporter les bombardements. Cela laissera des traces.
De la détermination, enfin, comme celle du président Zelensky, qui a endossé le rôle de chef de guerre, conforté par le soutien des pays occidentaux. Le pot de terre est capable de renverser le pot de fer : les progrès de l'armée ukrainienne en septembre nous le prouvent, à Kherson et Kharkiv. Mais l'humiliation de Poutine le pousse à l'escalade, brandissant la menace de l'arme nucléaire ou se livrant à des manipulations autour d'une prétendue bombe sale.
Dès lors, quelle attitude adopter ? Le groupe RDSE adhère à la position de la France : arrêter ce conflit sans en devenir belligérant. Nous soutenons les sanctions, bien que leur effet soit limité.
C'est notre vision d'un monde libre qui est en jeu, contre celle d'un impérialisme autoritaire. Les attaques verbales contre l'Occident, dans le discours stupéfiant de Lavrov à l'ONU puis celui de Poutine, ont été d'une rare violence : plus personne ne doute du rejet de nos valeurs par Moscou, à l'exception peut-être du président Orban... Faut-il lui rappeler le massacre de son peuple par les chars soviétiques en 1956 ? (M. Hervé Gattolin approuve.)
Le président russe s'enlise dans la guerre, mais nous risquons de nous y enliser également. Ses conséquences économiques et énergétiques affectent déjà nos concitoyens. Après la pandémie, alors que nous attendions le retour de la croissance, la guerre a conduit à une inflation galopante et des tensions sur notre système énergétique. Nous y reviendrons lors de l'examen du projet de loi de finances 2023, conscients que l'équation budgétaire sera difficile.
Par effet domino, la guerre menace aussi la cohésion européenne. Je sais que la France ne ménage pas ses efforts, notamment en vue de plafonner les prix du gaz. Mais Berlin fait cavalier seul et regarde vers l'est. Monsieur le ministre des armées, l'Allemagne entend contrôler les exportations européennes d'armements dans un sens contraire à nos intérêts. (M. Philippe Folliot applaudit.)
Le Président de la République souhaite maintenir le dialogue avec Moscou. Ce choix est parfois critiqué, mais mon groupe est favorable aux discussions. Continuons à soutenir l'Ukraine, notamment en livrant les remarquables canons Caesar.
Le 4 mai 1939, le socialiste et pacifiste Marcel Déat - hélas futur pilier de la collaboration - publiait dans L'?uvre un éditorial intitulé : « Pourquoi mourir pour Dantzig ? » Les Français seront-ils prêts à se priver pour Kiev ? Le courage des Ukrainiens nous impose un devoir moral de soutien, d'aide et de solidarité. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes INDEP, RDPI, UC et sur quelques travées des groupes Les Républicains, SER et du GEST)
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Martine Filleul applaudit également.) Depuis plus de huit mois, le peuple ukrainien résiste héroïquement à l'impérialisme russe. Depuis quelques semaines, son armée a inversé la tendance sur le terrain. Qui aurait imaginé un tel scénario en février ? Goliath a des pieds d'argile et David, armé par ses alliés, est beaucoup plus grand que prévu.
Mais la guerre durera encore des mois. Le bilan humain se chiffre en dizaines de milliers de morts et de blessés, notamment parmi les civils, victimes des crimes de guerre, des attaques de drones kamikazes et des bombardements russes. En fuyant, les Russes laissent, comme à Boutcha, des charniers et des fosses communes révulsantes.
Les femmes ont été victimes d'abominables violences sexuelles. Pramilla Patten considère que le viol est bien une arme de guerre. Les victimes ont entre 4 et 82 ans : c'est effroyable.
L'armée russe ne recule devant aucune barbarie. Elle sème la terreur en visant indistinctement la population et distinctement les réseaux électriques. Madame la Première ministre, la France et l'Union européenne sont-elles prêtes à envoyer des techniciens et des groupes électrogènes ?
Les inspecteurs de l'AIEA n'ont apparemment plus accès à la centrale de Zaporijjia. Plus que jamais, le monde doit s'engager vers la fin du « cauchemar nucléaire » pour citer, une fois n'est pas coutume, le pape François. Quand adhérerons-nous enfin au Traité sur l'interdiction des armes nucléaires ?
L'autocrate du Kremlin joue sa survie. Un monde en paix avec Poutine est une chimère. Nous l'avons laissé agir en Géorgie, en Syrie, en Crimée... Cela doit cesser. L'Ukraine doit gagner cette guerre : ce sera le cas quand elle aura retrouvé ses frontières de 1991 - Crimée et Donbass compris - ou quand elle considérera que ses objectifs militaires sont atteints.
Toute médiation serait vaine : Poutine refuse le dialogue et ne comprend que le rapport de force. La position française a parfois dérouté le gouvernement ukrainien et nos partenaires européens. Nous demandons au Président de la République de ne plus tergiverser ; la France est trop engagée dans le conflit pour tenir un rôle de médiateur.
Le soutien doit être plus ferme, dans les mots et dans les actes : la première armée européenne doit être à la hauteur de ses ambitions. Le Royaume-Uni forme 20 000 soldats ukrainiens, la France, dix fois moins. L'Allemagne fournit des chars aux pays de l'Est pour qu'ils cèdent leurs équipements soviétiques à l'Ukraine. Le Président de la République annonçait le 12 octobre que la France allait livrer des systèmes antimissiles contre les drones iraniens : le confirmez-vous ?
Et que dire de nos entreprises qui continuent leur activité en Russie ? TotalEnergies s'enrichit indûment, en véritable « profiteur de guerre » comme les dénonçait bravache, le Président de la République au dernier G7. Madame la Première ministre, pourquoi refusez-vous toujours de taxer les superprofits ? Soutiendrez-vous l'excellente proposition de Boris Vallaud visant à reverser à l'Ukraine les superprofits des entreprises qui sont restées sur le sol russe ?
L'Allemagne dépend du gaz russe, nous dépendons de son uranium, et de celui du Kazakhstan. Encore 52 fûts arrivés de Russie le 24 août dernier... La prétendue souveraineté qu'offrirait le nucléaire est une farce !
Seules les énergies renouvelables permettent la sobriété et la souveraineté. Avec le plan de relance américain et la position de la Chine, la demande en panneaux solaires va exploser. Produisons nous-mêmes pour répondre à nos besoins !
En matière de sobriété, faire appel au volontariat des entreprises est insuffisant : il faut contraindre. C'est d'autant plus nécessaire que la crise énergétique avait commencé avant la guerre et qu'elle continuera à impacter le pouvoir de vivre de nos concitoyens.
Les intérêts vitaux du peuple ukrainien et du peuple français - et aussi du climat ! - se rejoignent. Sortons des énergies fossiles et renforçons nos efforts en matière de transition énergétique. Notre avenir est lié à celui du peuple ukrainien. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. Stéphane Ravier . - Tocqueville affirme que les démocraties d'opinion sont incapables de stratégie persévérante. La déclaration que nous venons d'entendre, qui se concentre sur des épiphénomènes et des postures morales, en est bien la preuve.
Les empires sont de retour. Poutine est au pouvoir jusqu'en 2036, Xi Jinping menace Taïwan, la dynastie des Kim en Corée du Nord mûrit sa puissance, l'Iran et la Turquie affirment leurs volontés expansionnistes, sans parler des puissances nucléaires émergentes d'Inde et du Pakistan. Le XXIe siècle sera un siècle de fer, de feu et de sang.
Mais depuis plus de trente ans, l'Occident s'est perdu dans l'euphorie de la chute du mur de Berlin et n'a rien fait pour reconstruire sa puissance. Notre armée française a connu le rationnement et la fin de l'abondance, victime de l'illusion des dividendes de la paix, de l'Europe de la défense et du multilatéralisme onusien.
La démission du général de Villiers a été traitée avec mépris par le Président de la République. L'Union européenne est une chimère. Le couple franco-allemand a divorcé - l'Allemagne achète pour 40 milliards de F-35 : ceux qui ont organisé notre dépendance au gaz russe nous lâchent en pleine crise.
Cessons de déléguer notre souveraineté et regagnons notre indépendance nationale. Le monde est régi par la loi du plus fort. Arrêtons de perdre les guerres économiques et prenons enfin conscience du choc démographique et migratoire.
Alors que le président russe déclare que l'Union européenne est cobelligérante, vous continuez à livrer des armes, madame la Première ministre, sans prendre part à la guerre. Le président Cambon lui-même indiquait que notre stock de munitions durerait à peine quinze jours ! Gageons que les travées du Sénat rejoindront les tranchées des soldats. (Marques d'impatience à gauche, où l'on signale que l'orateur a épuisé son temps.)
Nous avons besoin d'un scénario de rupture. Profitons de notre puissance nucléaire pour négocier avec les grands, sans naïveté.
Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Tous les orateurs l'ont rappelé : la Russie a fait le choix de ramener la guerre sur notre continent. Cette crise est grave et nous concerne tous. L'Ukraine voit sa souveraineté menacée par la Russie, dotée de l'arme nucléaire et membre du Conseil de sécurité...
Cette agression n'est pas voulue par le peuple russe mais par ses gouvernants, qui n'hésitent pas à créer des dizaines de millions de réfugiés et déplacés et à exposer le peuple ukrainien au froid et à la faim. Le pouvoir russe commet crime sur crime et s'enferme dans une impasse diplomatique, militaire et politique. Il ment à nouveau en disant que l'Ukraine serait prête à faire exploser une bombe sale sur son propre territoire ; le Conseil de sécurité en débattra demain.
Notre détermination ne doit pas vaciller. Nous soutenons l'Ukraine parce qu'elle se bat pour des valeurs démocratiques - les nôtres. Si nous laissons faire la Russie, tout sera permis, non seulement en Ukraine mais aussi ailleurs. Nous défendons les principes de souveraineté, de non-agression et demandons le règlement pacifique des différends, conformément à la charte des Nations unies.
Depuis le premier jour, nous sommes aux côtés de l'Ukraine par des sanctions contre la Russie, la Biélorussie et l'Iran. Notre aide est diplomatique, économique, militaire. À l'approche de l'hiver, nous accentuons notre soutien humanitaire : 1 000 tonnes d'aide ont été envoyées. Le centre de crise du ministère de l'Europe et des affaires étrangères est pleinement mobilisé. Nous prévoyons la livraison de générateurs et de matériels de chauffage et de construction, pour 50 millions d'euros, et envisageons l'organisation d'une conférence internationale à Paris dans quelques semaines.
Les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité doivent être poursuivis : nous soutenons l'action de la Cour pénale internationale et de la justice ukrainienne.
Nous sommes aux côtés de nos alliés pour les défendre contre les menaces russes : Lituanie, Pologne, Roumanie, Estonie.
Le 12 octobre, le vote à l'ONU a montré que la Russie, massivement condamnée, était de plus en plus isolée. C'est aussi le résultat de nos efforts diplomatiques.
Contrairement à ce que j'ai entendu, l'AIEA est bien présente à Zaporijjia, et c'est grâce à Emmanuel Macron et à la diplomatie française.
En aidant l'Ukraine, en isolant la Russie, nous faisons notre devoir de solidarité, nous défendons la sécurité du continent européen et nos valeurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP et UC, ainsi que sur quelques travées des groupes SER et Les Républicains)
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées . - Je remercie l'ensemble des orateurs et vous prie d'excuser la Première ministre qui se rend à l'Assemblée nationale.
Le président Cambon a relayé certaines inquiétudes que je veux apaiser. Nous dépouillons-nous de nos propres moyens ? Abaissons-nous exagérément notre standard de sécurité en livrant des armes à l'Ukraine ? Soyons clairs, nous ne mettons pas les Français en danger par nos cessions à l'Ukraine. Nous regardons la réalité de nos stocks avec pragmatisme et écoutons les chefs d'État-Major.
Nous en tirons des conséquences opérationnelles sur la recomplétude : les dix-huit canons Caesar donnés à l'Ukraine ont ainsi suscité une nouvelle commande en juillet. Le Président de la République visitera d'ailleurs l'usine Nexter de Bourges demain.
Oui, en haute intensité, il nous faut compléter nos stocks plus rapidement. C'est le propre d'une économie de guerre. La filière s'était habituée à un temps long entre l'amont et l'aval ; désormais, notre base industrielle et technologique de défense (BITD) doit être plus réactive.
Le don des canons Caesar a pu déstabiliser le plan de formation de quelques régiments d'artillerie, mais n'a en rien abaissé nos standards de sécurité.
Ensuite, c'est la fierté française de ne pas avoir attendu l'invasion russe pour réaugmenter les moyens de nos armées, avec la LPM de 2018. Je vous proposerai prochainement une marche à 3 milliards d'euros, le Président de la République précisera les suivantes.
Les investissements allemands sont importants, dont acte. Nous n'avons pas attendu l'invasion pour déployer des efforts similaires. Nous aurions pu donner plus à l'Ukraine si nous n'étions pas en train de payer les coupes successives, les fameux dividendes de la paix - RGPP pour les uns, diminution des crédits, y compris pour la dissuasion nucléaire, pour les autres.
La LPM était de réparation : il faut désormais plus d'ambition. Le format de notre armée correspond aux menaces apparues après la dissolution du pacte de Varsovie, cher Alain Richard. Nous redécouvrons désormais l'artillerie et le tir en profondeur, qui avaient été oubliés. Il sera nécessaire de renforcer la dissuasion sur les terrains nucléaire et conventionnel, et de rester capable de se projeter en Afrique pour lutter contre le terrorisme tout en assumant nos responsabilités otaniennes, comme en Estonie ou en Roumanie.
Incidemment, je réfute l'affirmation selon laquelle notre armée ne pourrait tenir que quelques jours de conflit de haute intensité, ou ne pourrait défendre qu'une ligne de front de 80 kilomètres. Cela crée un doute dans notre population, alors que notre dissuasion nucléaire, coûteuse, produit un effet indéniable. Des raccourcis journalistiques quant à notre capacité à tenir un front à l'étranger dans le cadre d'alliances sont dommageables et prêtent à confusion.
Nous assumons notre discrétion sur l'aide de la France à l'Ukraine - certains éléments ne doivent pas parvenir à la fédération de Russie. Les Ukrainiens la demandent d'ailleurs parfois. Quant aux classements régulièrement publiés, ils tiennent compte des déclarations, pas des livraisons. Je l'affirme devant vous : tout ce que nous promettons, nous le livrons. Nous procédons avec rigueur, sans cynisme. Certains pays prennent en compte les coûts de transport, de la formation et du carburant, ou valorisent leur contribution en tonnage ; pas nous. Sans compter que certaines déclarations ne sont pas suivies d'effet.
Notre doctrine consiste à livrer des armes utiles. L'armée ukrainienne fait part de besoins spécifiques : sur le sol-air, nous livrons des Crotales. Le fonds de 100 millions d'euros que nous vous proposerons de voter permettra de tailler un costume sur mesure aux forces ukrainiennes, qui ont des besoins de transport de troupes et de génie notamment.
Enfin, vous êtes revenus à plusieurs reprises sur les actions du groupe Wagner, sur la guerre informationnelle, sur le chantage à l'énergie et aux matières premières agricoles. Oui, nous sommes déjà dans cette drôle de guerre qu'est l'hybridité. Est-ce nouveau ? Oui. C'est en marchant qu'on apprend, les prochains textes seront l'occasion de prendre des mesures supplémentaires.
L'hybridité, c'est le détournement de vecteurs civils à des fins militaires : par exemple, les attaques cyber sur les hôpitaux. Il nous faut donc préparer l'ensemble de la nation à la résilience, d'autant que certains de nos territoires, cher Jean-François Carenco, sont rendus plus vulnérables par la tyrannie des distances ou la structure des systèmes d'information.
Nous aurons besoin du Sénat. Ces sujets nous obligent, notre génération et celles qui viennent. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains)
Prochaine séance, mercredi 2 novembre 2022, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 40.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 2 novembre 2022
Séance publique
À 15 h, 16 h 30, le soir et, éventuellement, la nuit
Présidence : M. Gérard Larcher, président,
Secrétaires : M. Dominique Théophile - Mme Corinne Imbert
1. Questions d'actualité au Gouvernement
2. Projet de loi de programmation, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (n°71, 2022-2023)
3. Projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (Procédure accélérée) (texte de la commission, n°83, 2022-2023)