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Table des matières
Ouverture de la session ordinaire 2022-2023
Modification de l'ordre du jour
M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains
Urgences hospitalières et soins non programmés
M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains
Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État
M. Jean-François Rapin, président de la commission de la commission des affaires européennes
Conclusions du rapport « Abysses : la dernière frontière ? »
M. Teva Rohfritsch, rapporteur de la mission d'information
M. Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer
M. Hervé Berville, secrétaire d'État
M. Michel Canévet, président de la mission d'information
Ordre du jour du mercredi 5 octobre 2022
SÉANCE
du mardi 4 octobre 2022
1re séance de la session ordinaire 2022-2023
présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président
Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Ouverture de la session ordinaire 2022-2023
Mme le président. - En application de l'article 28 de la Constitution, la session ordinaire 2022-2023 est ouverte.
Le procès-verbal de la séance du jeudi 4 août 2022 est adopté.
Décès d'anciens sénateurs
Mme le président. - J'ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues : Louis Grillot, qui fut sénateur de la Côte-d'Or de 1998 à 2008 ; Michel Doublet, qui fut sénateur de la Charente-Maritime de 1989 à 2014 et Jacques Mahéas, qui fut sénateur de la Seine-Saint-Denis de 1995 à 2011.
Commissions (Nominations)
Mme le président. - Conformément à l'article 8 de notre Règlement, le 11 septembre dernier, M. Jean-Marie Janssens est devenu membre de la commission des affaires sociales et Mme Daphné Ract-Madoux membre de la commission des affaires économiques.
Les conclusions de la Conférence des présidents du 21 septembre 2022 sont adoptées.
Modification de l'ordre du jour
Mme le président. - La Conférence des Présidents a inscrit le prochain débat d'actualité à l'ordre du jour du mercredi 5 octobre à 16 h 30. Après concertation avec les groupes politiques, ce débat porterait, sur proposition de M. le Président du Sénat, sur le thème suivant : « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l'homme en Iran », sous forme de discussion générale.
Il en est ainsi décidé.
Rappel au Règlement
M. Jean-Pierre Sueur. - En 2017, M. Emmanuel Macron, Président de la République, a déclaré que lorsqu'un ministre était mis en examen, il devait quitter le Gouvernement.
M. Roger Karoutchi. - Ce n'est pas un rappel au Règlement. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Pierre Sueur. - Un précédent garde des sceaux a été amené à quitter le Gouvernement.
Actuellement, les avocats du présent garde des sceaux mettent en cause les plus hautes autorités de la magistrature. Dans ces conditions, comment ledit garde des sceaux peut-il être garant de l'indépendance de la justice ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Il est tout à fait possible qu'il soit conduit à contribuer à la désignation du prochain procureur général près la Cour de cassation qui serait son accusateur...
J'en viens au rappel au Règlement (« Ah ! » sur les travées du groupe Les Républicains) : madame la présidente, j'ai l'honneur de vous demander de saisir le Président du Sénat afin qu'il invite la Première ministre à présenter la position du Gouvernement devant le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme le président. - Acte est donné de votre rappel au Règlement. Votre demande sera transmise au Président du Sénat.
États généraux de la justice
Mme le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les États généraux de la justice, à la demande du groupe Les Républicains.
M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le rapport des États généraux de la justice a été remis le 8 juillet dernier au Président de la République. Il est le fruit d'un travail approfondi, mené entre octobre 2021 et avril 2022. Ces États généraux ont été initiés par le Président de la République à la suite du cri d'alarme de la Première présidente de la Cour de cassation et du procureur général, M. François Molins. Plus de 7 000 magistrats ont dénoncé leurs conditions de travail et la perte de sens de leur métier dans une tribune. Le malaise est réel et incontestable, comme l'a bien montré l'Agora de la justice organisée au Sénat en septembre 2021. À cette occasion, une enquête commandée par notre commission des lois a révélé que 53 % de nos concitoyens n'avaient plus confiance dans leur justice.
Voilà plusieurs années que le Sénat fait des propositions, au travers notamment de trois rapports de la commission des lois : « Cinq ans pour sauver la justice » en 2017, « La justice prud'homale au milieu du gué » en 2019 et « Le droit des entreprises en difficulté à l'épreuve de la crise » en 2021. Et nos rapports budgétaires successifs alertent sur les difficultés concrètes de la justice.
Ces rapports et celui des États généraux convergent sur certains points, comme la création d'un tribunal des affaires économiques ou l'orientation des affaires devant le conseil des prud'hommes.
Outre l'augmentation des effectifs, il faut une véritable politique pour la justice civile, qui représente 60 % du contentieux judiciaire - 2,2 millions de décisions en 2019, contre 800 000 pour la justice pénale.
Le ministère doit agir de manière systémique au service du justiciable en évaluant en amont la réussite de ses réformes et en sortant des simples dispositions normatives. Les études d'impact doivent mieux prendre en compte la réalité du terrain : les réformes ignorent trop souvent les effets induits sur les justiciables et magistrats.
La politique numérique tarde à produire des effets concrets.
Il ne faudrait modifier les textes que lorsque c'est indispensable, qu'il s'agisse de la loi comme des textes réglementaires. Nous avons pu constater en juridiction l'épuisement des personnels face à la modification incessante des règles.
Il faut maintenant s'attacher à la mise en oeuvre des propositions. De ce point de vue, le rapport des États généraux est plutôt pragmatique et opérationnel. Il donne des clés pour faire fonctionner l'existant plutôt qu'inventer des réformes illusoires.
La mobilisation et le dévouement des magistrats et des greffiers nous obligent. Nous serions collectivement coupables de ne pas leur apporter les moyens de réaliser leur mission.
Il y a des choix politiques à faire. La justice est en crise. La rapidité et l'efficacité d'exécution des peines posent problème. Pour autant, nul besoin de revoir notre législation. Il faut se concentrer sur les moyens mis à disposition des professionnels, qu'ils soient numériques, humains ou systémiques.
La justice, lieu de résolution des conflits, est absolument essentielle au bon fonctionnement de notre société. Contrairement aux idées reçues, la justice est un lieu d'apaisement.
Tous les magistrats et greffiers se posent la question de leur utilité et de leur reconnaissance.
Monsieur le garde des sceaux, la justice est un bien précieux. Nous attendons des réponses sur le calendrier de mise en oeuvre des préconisations des États généraux et sur les mesures que vous comptez engager dans le cadre du projet de loi de programmation pour la justice. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Nous allons continuer de coconstruire avec vous. Dans le cadre des États généraux de la justice, les réformes indispensables se feront dans un large consensus. Il s'agit d'un exercice démocratique inédit, avec près d'un million de contributions citoyennes.
Le rapport des États généraux de la justice a été remis par le président Jean-Marc Sauvé en juillet dernier. Je conclus actuellement la dernière phase de concertation avec l'ensemble des acteurs judiciaires.
À ce titre, je salue particulièrement le Président Larcher et le président Buffet pour leur engagement en matière de justice (marques d'ironie à droite). Mes remerciements sont sincères ! Je ne compte plus les fois où le Gouvernement et le Sénat ont, avec l'Assemblée nationale, fait progresser la justice. Mais le travail n'est pas fini, tant s'en faut.
Dans les prochaines semaines, je proposerai un plan d'action pour réformer et améliorer le service public de la justice, pour le rendre plus rapide, plus efficace, plus proche de nos concitoyens. Je reprendrai plusieurs propositions sénatoriales, notamment sur le recrutement et le tribunal des affaires économiques.
L'objectif est d'aller vite : c'est pourquoi tout ce qui pourra être fait par voie réglementaire le sera.
Quelques priorités font déjà consensus. Nous poursuivrons l'effort humain et financier, même si l'on ne résout pas trente ans de délaissement en un claquement de doigts. Pour la troisième année consécutive, le budget de la justice sera en hausse de 8 %. Nous pourrons envisager une justice de qualité. Nous embaucherons au moins 1 500 magistrats et autant de greffiers sur le quinquennat : c'est le plus grand plan d'embauche de toute l'histoire judiciaire !
Nous présenterons une loi de programmation de la justice pour 2022-2027. Le Parlement sera étroitement consulté en amont et prendra toute sa place, afin de définir ensemble l'ampleur des réformes à mener.
La loi de programmation inscrira dans le marbre les recrutements massifs de magistrats, greffiers, contractuels et personnels pénitentiaires, mais aussi les propositions qui auront fait consensus.
La circulaire du 20 septembre dernier précise ma volonté d'apporter une réponse pénale ferme et systématique, notamment en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et aux mineurs, de délinquance du quotidien, de criminalité organisée, de terrorisme et d'atteintes à l'environnement.
Aucune politique pénale ne prospérera sans simplification de la procédure. Je vous proposerai une feuille de route claire pour que nous menions ensemble ce chantier législatif colossal, qui fait consensus des forces de l'ordre aux magistrats.
Nous poursuivrons notre politique pénitentiaire volontariste, sur son volet immobilier notamment, avec la création de 15 000 places de prison d'ici 2027 pour améliorer les conditions de travail des agents et les conditions de vie des détenus. Le volet réinsertion est indissociable du volet répressif et nous poursuivons la hausse des moyens alloués, ainsi que la mise en oeuvre du contrat du détenu travailleur et les remises de peine conditionnées à l'effort.
En matière civile, nous poursuivrons sans relâche l'effort de résorption des stocks - qui ont déjà diminué de plus de 28 % ! Nous lançons une politique ambitieuse de l'amiable, car une décision coconstruite est mieux acceptée. Il faut simplifier le parcours juridictionnel du justiciable, qui est trop souvent un parcours du combattant.
J'expliciterai davantage mon projet en répondant à vos questions. Je pense à la transformation numérique du ministère ou à la justice économique et commerciale.
Sans polémique, je réponds au sénateur Sueur que mes avocats expriment ce qu'ils pensent nécessaire à ma défense. Mme Guigou, pour laquelle j'ai le plus grand respect, a été chargée d'un travail très important sur la présomption d'innocence que je vous invite à lire. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Guy Benarroche . - Les travaux des États généraux de la justice s'inscrivent dans le cadre d'une justice malade. Malgré l'augmentation du budget du ministère, les faits sont têtus et les citoyens ont du mal à appréhender un système judiciaire souvent maltraitant.
Les réformes sont trop nombreuses, souvent inadaptées et rarement assorties des moyens nécessaires, comme en témoignent les nouvelles prérogatives du juge des libertés et de la détention (JLD) ou la création des cours criminelles départementales...
Il faut redonner du sens à la peine pour favoriser la réinsertion et limiter les risques de récidive. Le recentrage du JLD sur ses missions premières pourrait s'accompagner d'une présence renforcée des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) dans les juridictions. Que ferez-vous pour soutenir ces acteurs essentiels ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Punir mais réinsérer, punir et réinsérer. Les Spip ont bénéficié de 1 500 recrutements depuis 2018 qui ont permis une diminution de 80 à 71 du nombre de dossiers suivis par agent. Des organigrammes de référence ont précisé les effectifs alloués. Nous avons assuré leur passage en catégorie A et leur revalorisation indemnitaire de 120 euros par mois, pour 1,3 million d'euros en 2021 et 2022. Enfin, leur statut a été réformé afin de faciliter la promotion professionnelle.
Les missions du Spip en milieu ouvert sont essentielles et nous menons une politique volontariste en faveur de l'aménagement des peines et des mesures alternatives à l'incarcération. En 2023, nous y consacrerons 53,4 millions d'euros, en hausse de 34 % par rapport à 2022 ; 28 millions d'euros seront consacrés au placement sous surveillance électronique et 11,3 millions au placement extérieur. La lutte contre la récidive sera dotée de 122,5 millions d'euros.
M. Guy Benarroche. - Ces nouveaux moyens feront-ils converger la rémunération des directeurs de Spip avec celle des directeurs de la pénitentiaire ? Car les directeurs de service sont aujourd'hui à un niveau salarial inférieur à celui de leurs cadres.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous y travaillons avec le ministère de la fonction publique.
M. Guy Benarroche. - Cette réponse n'en est pas une. Les Spip ont besoin de budgets propres pour financer des prises en charge par le milieu associatif. Il faudrait un agent pour 60 personnes suivies or nous en sommes à un pour 71.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Perte de sens, crise majeure, les constats portés sur notre justice sont sévères. Le rapport des États généraux souligne que sans moyens, pas de réformes possibles. En cinq ans, le budget de la justice a augmenté de plus de 40 % et les recrutements sont massifs - 700 magistrats, 850 greffiers et plus de 2 000 juristes, c'est historique.
Outre-mer, et particulièrement à Mayotte et en Guyane, la situation s'est encore aggravée, la gestion des moyens humains est totalement désorganisée, les personnels sont épuisés.
On constate aussi un manque criant de réponse pénale, en rapport avec la crise des prisons, ainsi que des difficultés en matière de numérique.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous annoncez un plan d'action et une loi de programmation : quels moyens pour les outre-mer ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je suis très préoccupé par la situation à Mayotte et en Guyane. Nous y avons, avec le ministre de l'intérieur, considérablement renforcé les moyens. Reste le problème de l'attractivité. Nous avons créé une brigade de soutien afin d'inciter les magistrats à se rendre sur place et nous voulons faire de Mayotte et de la Guyane des tremplins pour les magistrats.
Nous devons aussi poursuivre les programmes immobiliers dans les outre-mer : une cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni ; une autre à Cayenne ; une cité judiciaire, un centre éducatif fermé et un deuxième établissement pénitentiaire à Mayotte.
Monsieur le sénateur, je salue votre engagement, qui nous oblige.
Mme Laurence Harribey . - Le rapport des États généraux préconise la généralisation des psychologues dans tous les services. Avec Marie Mercier, nous avions constaté ce manque. Les Spip évoluent : un assistant social par département, c'est insuffisant ! Il faut plus d'interdisciplinarité. Nous devons définir un nouvel écosystème des acteurs. Que comptez-vous faire ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - L'interdisciplinarité est la boussole des recrutements à venir. Les Spip sont essentiels, nous avons recruté et revalorisé les rémunérations. Nous devons valoriser leur travail et leur dotation budgétaire augmentera de 12 % en 2023 pour s'établir à 122,5 millions d'euros.
La politique de préparation à la réinsertion doit se faire avec les collectivités territoriales et les structures associatives. Nous nous y attachons.
Mme Laurence Harribey. - Je vous interrogeais aussi sur les assistants sociaux, car nous passons d'une culture de l'insertion à une culture de la mesure du risque de récidive. Il faut développer une autre ingénierie de la sanction.
En matière de délinquance des mineurs, l'augmentation du nombre de places dans les prisons n'est pas la solution. Le rapport Sauvé le dit très clairement.
Mme Cécile Cukierman . - Pour simplifier la procédure pénale, le rapport promeut l'utilisation de l'intelligence artificielle. Je ne suis pas contre la technologie, mais cela ne revient-il pas à recourir à un juge robot faisant perdre tout son sens à la justice, qui est de traiter de manière individuelle les affaires ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Un juge robot nous ôterait toute raison d'être ! Je suis très attaché à l'indépendance de la justice, même lorsque certaines décisions nous font tiquer... Je préfère une justice humaine, qui peut se tromper, à une justice automatisée.
L'intelligence artificielle ne pourra favoriser la personnalisation de la peine, cela est certain.
Mme Cécile Cukierman. - Je veux éviter toute répétition inutile dans cet hémicycle... La justice ne peut se passer de l'humain, et parfois de l'émotion.
La justice est un lieu qui apaise, comme le dit le président Buffet : cette justice est indispensable à notre société, contrairement à la justice de la place publique, qui hystérise. (Mme Éliane Assassi applaudit.)
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Voilà plusieurs années que je vous alerte sur l'informatique, et en particulier sur le logiciel Cassiopée dont les bugs à répétition découragent les personnels. Ainsi, le rapport recommande la refondation de la maîtrise d'ouvrage et la création d'un socle informatique commun au sein du ministère de la justice, éventuellement partagé avec le ministère de l'intérieur.
Quel plan d'action allez-vous mettre en oeuvre ? La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) prévoit la création d'une agence numérique : une agence commune aux deux ministères est-elle envisageable ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous travaillons activement avec Bercy. Un secrétaire général adjoint de mon ministère est dédié à cette mission. La Cour des comptes a indiqué que nous avions fait beaucoup d'efforts, à poursuivre. Le rapprochement des maîtrises d'oeuvre et d'ouvrage permettra de gagner en efficacité.
Je voudrais que le ministère des vieilles pierres devienne celui de la modernité. La gouvernance numérique devra être plus efficace. La question de la transformation numérique est centrale, nous en reparlerons au cours de la discussion budgétaire.
Mme Dominique Vérien. - L'interface de paiement des amendes, à Bercy, fonctionne très bien ! Cela marche pour prendre nos sous.... Nous voulons pouvoir rendre la justice correctement. Parlez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Esther Benbassa . - Les États généraux ont confirmé l'état déplorable de notre justice. Mille euros de plus pour les magistrats judiciaires, c'est bien, mais ils souffrent surtout du manque de moyens humains.
Soyons exigeants dans la répartition des crédits. Sur les 710 millions d'euros supplémentaires, 41 % reviendraient à l'administration pénitentiaire, en particulier au parc immobilier. Or la construction de prisons n'est pas la seule solution : plus l'on construit, plus l'on remplit.
Quels crédits pour la prévention de la récidive, la réinsertion et les peines de substitution ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La programmation immobilière de 15 000 nouvelles places est essentielle pour mettre fin à la surpopulation carcérale, même si la prison n'est pas la seule solution.
Le ministère poursuit une politique volontariste en faveur des mesures alternatives à l'incarcération et des aménagements de peine, avec une dotation budgétaire de 53,4 millions d'euros pour 2023, soit une progression de plus 34 % par rapport à 2022 : 28 millions pour le placement sous surveillance électronique, 11,3 millions pour le placement extérieur, 6 millions pour le déploiement du contrôle judiciaire sous placement probatoire et 122,5 millions pour la réinsertion, qui est essentielle.
Mme Esther Benbassa. - S'agissant des lieux de privation de liberté, à quand un état des lieux ? C'est urgent.
Mme Nathalie Delattre . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le 13 septembre dernier, je déposai une proposition de loi sur le développement du recours à la médiation.
Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre engagement en la matière. Des expérimentations ont montré d'excellents résultats et nos concitoyens y souscrivent pleinement. La médiation est un outil précieux de réappropriation de son procès par le justiciable. En 2021, la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire a facilité le recours à la médiation et créé le Conseil national de la médiation.
Allez-vous faire évoluer la loi pour aller plus loin ? Ma proposition de loi reste à votre disposition. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui, oui et oui ! Une décision prise en commun est mieux acceptée et cette procédure économise du temps judiciaire.
Nous avons uniformisé la liste des médiateurs, actualisé les formulaires de candidature et triplé l'aide juridictionnelle des avocats qui participent à la médiation.
Je vous invite à la Chancellerie, madame la sénatrice, pour évoquer plus avant ces sujets. La médiation doit progresser, c'est la justice de demain qui est en jeu. Je vous attends.
Mme Agnès Canayer . - La confiance dans nos institutions est au coeur de notre pacte républicain. La justice y participe pleinement.
Les États généraux nous montrent que le travail est abyssal. Il va falloir prioriser. Comme l'a rappelé le président Buffet, il faut redonner confiance, et donc encourager la justice du quotidien, c'est-à-dire la justice civile.
Il y a trois ans, nous avons remis un rapport sur la justice prud'homale, avec de nombreuses propositions. Le nombre d'affaires a diminué de 55 %, mais les délais restent longs, de l'ordre de seize mois. Allez-vous faire de la justice prud'homale une priorité ? (Mme Nathalie Delattre applaudit.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui, absolument. C'est une question de temps. Nous souhaitons une justice plus proche, plus rapide et plus efficace. Vos propositions seront intégrées dans les États généraux de la justice. Les arbitrages ne sont pas terminés, et je vous invite à collaborer avec mon ministère.
En matière de méthode, je n'ai pas voulu intervenir, ni dans les États généraux, ni dans les ateliers de travail. Après la remise du rapport Sauvé, j'ai réuni tout le monde pour trouver des solutions consensuelles. Certes, tous les syndicats ne sont pas venus, mais une porte que l'on ne franchit pas n'est pas fermée pour autant... J'espère que nous pourrons collaborer : vous êtes la bienvenue.
Mme Agnès Canayer. - Merci, nous participerons à cette réflexion. Certaines réformes d'ampleur vont devoir être imposées ! La justice prud'homale est au milieu du gué, il faut aller plus loin.
M. Dany Wattebled . - La justice est en crise. Malgré un effort budgétaire sans précédent, les difficultés persistent. Les États généraux ont souligné la place de la justice dans notre État de droit : il est crucial pour notre société qu'elle fonctionne correctement.
Le rapport Sauvé rappelle qu'entre 2009 et 2020, le code pénal a été modifié onze fois par an en moyenne, et le code de procédure pénale dix-sept fois. Cette complexification rallonge les procédures.
Le rapport préconise une refonte du code de procédure pénale, un maintien du juge d'instruction et, surtout, une fusion des cadres de l'enquête de flagrance et de l'enquête préliminaire. Monsieur le garde des sceaux, comptez-vous mener une étude d'impact pour en évaluer l'opportunité ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La nécessité de simplifier la procédure pénale fait consensus. Celle-ci a été complexifiée au point que les professionnels eux-mêmes ne s'y retrouvent plus. Nous envisageons une unification des délais sans pour autant supprimer la notion de flagrance, qui figure à l'article 26 de la Constitution - ce qui permet d'ailleurs d'arrêter un parlementaire sans l'accord du Bureau en cas de crime flagrant !
Cela dit, beaucoup de choses peuvent être simplifiées, dans le respect des droits de la défense, des libertés individuelles et des libertés publiques.
Ce travail durera environ deux ans. Les parlementaires seront associés, et des études d'impact seront conduites car nous ne pouvons avancer à l'aveugle. C'est un travail colossal, ambitieux, mais indispensable. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Dany Wattebled. - Je vous remercie pour votre réponse.
M. Jean-Yves Leconte . - Nous vous savons attaché à l'indépendance du parquet et sommes nombreux à espérer une réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
En effet, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) refuse d'assimiler le ministère public français à une autorité judiciaire au sens de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le Sénat avait adopté en juillet 2013 un projet de loi constitutionnelle réformant le CSM et renforçant l'indépendance des magistrats, que l'Assemblée nationale n'a voté qu'en avril 2016. Puis plus rien avant janvier 2018, quand le Président de la République a annoncé confier cette réforme à Nicole Belloubet.
Il y a quinze jours, M. Sauvé a indiqué devant notre commission des lois avoir soumis au Président de la République une proposition de décret pour convoquer le Congrès - puis un décret de démontage du Congrès. Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous nous éclairer sur le calendrier de la réforme visant à renforcer l'indépendance du parquet ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je n'ai pas de réponse calendaire à vous proposer. La réforme du statut du parquet suppose de modifier l'article 65 de la Constitution. Le rapport Sauvé l'a précisé. Mais cette proposition ne fait pas consensus. Je propose de mettre ce sujet à l'ordre du jour de la commission transpartisane.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous avons besoin d'avancer sur ce sujet essentiel pour notre État de droit. Le développement des missions des procureurs de la République l'exige. Vu le rôle de la France dans les débats européens sur l'État de droit, nous devons être exemplaires !
M. Philippe Bonnecarrère . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Philippe Bas applaudit également.) Le rapport sur les États généraux de la justice insiste sur la crise systémique que traverse la justice, mais les réponses préconisées sont sectorielles.
Par quel bout prendre le sujet ? Actions réglementaires, loi de programmation 2022-2027, feuille de route sur la réforme de la procédure pénale, nouvelle politique pénitentiaire, politique ambitieuse de l'amiable... Les priorités sont multiples, mais quand tout est prioritaire, plus rien ne l'est ! Monsieur le ministre, quelle est votre priorité ?
Ne devrait-on pas d'abord tirer les conséquences de l'effort budgétaire important que vous avez obtenu, laisser les recrutements produire leurs effets, stabiliser la structure, avant de passer, dans un deuxième temps, à des réformes plus sectorielles, même si l'on sent que vous bouillez d'impatience ? Quelle temporalité prévoyez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il y a beaucoup d'« en même temps ». (Sourires) La question est d'abord budgétaire, car sans moyens rien n'est possible. Nous avons annoncé 10 000 embauches : 1 500 magistrats, 1 500 greffiers, des contractuels.
Pour le civil, pas d'inflation législative : nous passerons par la voie réglementaire, pour favoriser la médiation et pour simplifier.
Il y aura une loi de programmation, une réforme de la procédure pénale, avec vraisemblablement une loi organique. Je veux aller vite, tant pour le réglementaire que pour la loi de programmation, début 2023. Le reste suivra son cours, mais le consensus permettra, je le crois, l'adhésion des parlementaires. Si tous les acteurs sont d'accord, les parlementaires le seront aussi pour améliorer la justice du quotidien. (M. François Patriat applaudit.)
M. Antoine Lefèvre . - Les États généraux de la justice ont été convoqués à point nommé, alors que l'institution semblait condamnée à s'enfoncer dans la détresse. Cette dynamique ne doit pas s'éteindre. L'urgence est au renforcement des moyens humains face à l'augmentation du volume de contentieux. Au-delà de la revalorisation salariale, la priorité financière est de sortir les tribunaux de leur déshérence, et les outils informatiques de l'archaïsme.
Après celle consentie aux conseillers d'insertion et de probation, les directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) revendiquent à leur tour une réforme statutaire et indemnitaire. L'attractivité du métier décline : seuls six postes sur les vingt-deux proposés au concours interne ont été pourvus, alors que les demandes de détachement explosent. Que leur répondez-vous ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le métier de DPIP doit être rendu plus attractif. Ils n'ont en effet pas bénéficié des revalorisations salariales octroyées aux conseillers ; idem pour les directeurs des services de la protection judiciaire de la jeunesse.
En 2022, le ministère s'engage à ce que leurs primes soient revalorisées à hauteur de 700 000 euros, après les 600 000 euros obtenus en 2021. En 2023, je porterai une revalorisation de ces primes à hauteur d'un million d'euros, ainsi qu'une réforme statutaire pour faciliter les promotions et les parcours de carrières, avec des revalorisations indiciaires à hauteur de 1,3 million d'euros. Ces évolutions sont légitimes. Nous avons reçu les représentants des DPIP, nous entendons leurs revendications. Nous reconnaissons le service qu'ils rendent à la justice.
M. Antoine Lefèvre. - Merci de ces précisions. Un service public judiciaire performant est la garantie de la solidité de notre État de droit.
M. Hussein Bourgi . - Le premier sujet récurrent est celui des moyens humains. De nombreux chefs de cour regrettent le faible nombre de postes pourvus malgré les ouvertures, d'autant qu'il y a des magistrats en surnombre dans certaines juridictions. Comment la Chancellerie entend-elle y remédier ?
On a également évoqué les dysfonctionnements du logiciel Cassiopée : cinquante versions depuis son lancement par Michel Mercier, qui ne donnent toujours pas satisfaction ! Nous ne disposons toujours pas de référentiel d'activité pour évaluer les besoins de chaque juridiction et attribuer les moyens équitablement. Où en sont les travaux de la Chancellerie ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous devrions disposer d'un tel référentiel en décembre. J'ai demandé, il y a longtemps déjà, que cet outil soit mis en place. Vous serez informés.
Concernant Cassiopée, des difficultés techniques ont été constatées à Paris comme à Versailles. Des solutions seront apportées au premier semestre 2023.
Les effectifs de magistrats de la cour d'appel de Montpellier ont été renforcés, avec la création de quatre postes - deux juges du siège, deux au parquet - qui demeurent vacants. Nous poursuivons les efforts de recrutement. En 2023, 380 auditeurs de justice sortiront de l'École nationale de la magistrature (ENM), ce qui comblera bien des vacances.
La justice sort de vingt ans d'abandon budgétaire, humain, politique. Nous ne résoudrons pas tout en un claquement de doigts, même si l'effort budgétaire est considérable. (M. François Patriat applaudit.)
M. Hussein Bourgi. - Je reconnais les efforts budgétaires : nous nous en sommes tous félicités. Mais ils ne se traduisent pas toujours rapidement sur le terrain. Au tribunal judiciaire de Béziers, la réduction des délais se heurte aux vacances de poste... Nous vous saurions gré de nous aider.
Mme Nadine Bellurot . - Ce rapport dresse le constat sévère d'une institution qui ne remplit plus sa mission de service public. La tonalité se rapproche du rapport rendu par Philippe Bas en 2017, intitulé « Cinq ans pour sauver la justice ». Cinq ans plus tard, nous en sommes au même point.
L'augmentation continue des ressources allouées à la justice, dont vous vous félicitez, n'a pas permis d'améliorer significativement son fonctionnement ou le service rendu aux justiciables.
La justice risque de rater la révolution numérique, alors qu'elle est concurrencée par de nouveaux acteurs privés qu'il faudrait réguler.
Une première voie de réforme concerne les procédures. Nous en connaissons la nécessité, mais aussi les contraintes, internes comme conventionnelles.
La seconde voie concerne le management de la justice. Quelle organisation pour assurer la bonne exécution des budgets, la gestion des ressources humaines, la maîtrise des frais de justice, la mise à niveau de l'informatique, dont l'inefficacité est flagrante ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous avons embauché 700 magistrats et 800 greffiers. Les 2 500 contractuels ont été qualifiés de rustines, mais il faut 31 mois pour former un magistrat ! Nous en avons envoyé mille au parquet, mille au civil, ils ont permis une réduction des stocks de 28 % en moyenne. La justice va donc plus vite. Et vous dites que ce n'est rien ? (Mme Nadine Bellurot proteste.)
Ces dernières années, la non-consommation a concerné moins de 1 % des crédits ouverts, soit 100 millions d'euros sur 9,6 milliards. Ce pourcentage n'a pas beaucoup évolué : 1,9 % en 2008, 0,4 % en 2015. Je vous concède une hausse de 2,6% en 2020, imputable à la crise sanitaire - qui nous a également empêchés de faire pousser les prisons, ce que le sénateur Bas ne manquera pas de nous reprocher ! (Sourires)
Mme Catherine Belrhiti . - La crise de l'autorité judiciaire et celle du service public de la justice ont une cause commune : les variations démographiques. Élue de Moselle, je suis sensible aux disparités de peuplement. Je l'ai vérifié, l'accroissement de la population urbaine s'accompagne d'une hausse des affaires pénales et civiles.
Dans ces conditions, la déjudiciarisation de contentieux ou une énième réforme de la carte judiciaire n'ont qu'un effet limité. Adapter la justice suppose une meilleure anticipation et une meilleure gestion des ressources humaines et matérielles. Comment comptez-vous répondre à l'évolution démographique ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Les moyens humains des juridictions sont réévalués chaque année en fonction des données d'activité. L'outil informatique dont nous disposerons en décembre permettra à la direction des services judiciaires d'affiner les besoins.
Les évolutions démographiques ont un impact déterminant sur l'activité des juridictions. Nous sommes attentifs au profil socio-économique des populations : en 2022, nous avons ainsi localisé un poste supplémentaire de juge des enfants à Mayotte.
La démographie a aussi une incidence sur la charge de travail des magistrats. Nous suivons les évolutions avec attention pour répondre au mieux aux besoins.
Mme Catherine Belrhiti. - Ce constat figurait déjà dans le rapport de M. Bas de 2017. Espérons qu'il sera enfin suivi !
M. Gilbert Favreau . - Le rapport Sauvé souligne la crise profonde de la justice, résultat de décennies de politiques défaillantes. Le projet de loi de finances 2023 prévoit une augmentation de 8 % du budget de la justice, c'est un effort notable mais insuffisant.
Le rapport se montre sévère avec les acteurs de la justice et appelle à clarifier leur rôle dans la société et à envisager une évolution globale de l'institution, car la justice ne peut seule garantir son indépendance. Il appelle à maintenir les rôles respectifs du Gouvernement et du Parlement et à davantage associer le CSM, tout en clarifiant sa composition afin de renforcer l'indépendance de la justice.
Enfin, il souligne la complexification du droit et des procédures, les délais excessifs, l'incompréhension des justiciables.
Monsieur le garde des sceaux, à quand une grande réforme de la justice en France ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Elle arrive, monsieur le sénateur ! Nous avons pris, comme vous, connaissance du rapport Sauvé et de ses annexes. J'ai reçu depuis les conférences des chefs de juridiction et chefs de cour, le CSM, les forces de sécurité intérieure, des citoyens, qui veulent une justice plus rapide et mieux connue - d'où le passeport ÉducDroit que je mets en place avec Pap Ndiaye - les huissiers, les notaires, les syndicats qui l'ont bien voulu.
Nous en sommes maintenant à l'arbitrage. Consultation n'est pas mollesse ! Vous serez associé au processus, que nous mettrons en oeuvre dans les meilleurs délais car il y a urgence. Il faut embaucher et simplifier, pour plus de fluidité, de proximité et une meilleure protection de nos compatriotes.
Je ne puis vous donner de calendrier précis mais un plan d'action sera prêt à l'automne, et vous sera communiqué.
Mme Christine Bonfanti-Dossat . - J'ai lu avec stupeur les préconisations du rapport Sauvé sur les cours d'appel. Il s'agit d'adapter leur ressort aux populations pour éviter qu'une même cour d'appel ne dépende de deux régions judiciaires distinctes. Mais en quoi cela améliorerait-il leur fonctionnement ? On parle de limites administratives et non de bassins de populations.
L'activité de quinze juridictions serait impactée, huit verraient leur activité réduite de 25 %. L'avenir de nombreuses cours d'appel, comme celle d'Agen, est menacé. Allez-vous retirer leurs prérogatives de gestion aux cours d'appel en dehors des métropoles ? Retirerez-vous celles de la cour d'appel d'Agen au profit de celle de Bordeaux ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Une fois pour toutes, je veux répondre aux inquiétudes sur ce sujet. Récemment, des avocats se sont réunis dans un théâtre pour dénoncer la suppression d'une cour d'appel... qui n'avait jamais été annoncée ! Ils crient avant d'avoir mal. Je le dis donc : il n'y aura aucune suppression de cour d'appel.
Au contraire, j'ai créé des tribunaux, rouvert des tribunaux fermés pour que la proximité résonne dans les territoires. Nos compatriotes qui doivent prendre la route pour rejoindre Agen préfèrent les audiences foraines de Villeneuve-sur-Lot...
Il n'a jamais été question de supprimer des cours d'appel. Je vous remercie d'avoir posé cette question mais je crains que ces fantasmes ne soient récurrents ! (M. François Patriat applaudit.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Si la cour d'appel d'Agen devient secondaire, ne sera-t-elle pas condamnée ? Je plaide coupable, peut-être, d'avoir eu raison trop tôt... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Philippe Bas, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le garde des sceaux, ce débat ne portait pas sur votre bilan mais sur les perspectives ouvertes par les États généraux de la justice. Vous avez répondu avec précision aux questions posées.
Je ne prétends pas clore le débat. Au Gouvernement et au Parlement de trouver une voie d'action commune pour redresser ce grand service public régalien. Je veux bien reconnaître vos efforts mais, pour travailler ensemble, il faut mettre les problèmes sur la table et montrer aussi les difficultés qui résistent encore. La transparence et le réalisme sont les gages d'un dialogue équilibré.
Il est exact que, depuis le Gouvernement Castex et sous votre impulsion, les moyens de la justice ont augmenté tout comme les recrutements de magistrats et de greffiers, même si les vacances restent nombreuses. (M. le garde des sceaux le confirme.)
Mais des difficultés subsistent : l'inflation de 6 % relativise la hausse de 8 % de votre budget. La hausse réelle de pouvoir d'achat n'est ainsi que d'un quart de celle annoncée. La bagarre entre ministères pour les arbitrages budgétaires s'annonce ardue ; vous aurez notre soutien, car le Sénat est engagé de longue date dans le redressement de la justice.
Autre problème, la sous-exécution de vos crédits : sur trois ans, elle représente l'équivalent d'une année de crédits d'investissements ! Cette difficulté préexistait au covid. Idem pour la difficulté à réaliser le programme de prisons.
En 2017, le Président de la République annonçait 15 000 places de prison. Ce sera finalement sur deux mandats. Il est heureux qu'il ait été réélu ! En réalité, seules 2 081 places ont été créées en cinq ans. Peut-être n'était-il pas réaliste, mais il demeure que l'engagement présidentiel n'a pas été tenu. (M. François Bonhomme renchérit.) Or les prisons sont saturées. Les États généraux de la justice ont conclu que pour incarcérer des condamnés, il fallait libérer des détenus. Cela ne va pas ! Le problème ne saurait être escamoté.
Je suis attaché à la stabilité des règles en matière pénale, mais il faut simplifier le code de procédure pénale. La police judiciaire est exsangue, et les règles si compliquées que nos malheureux policiers ont du mal à mettre en état des affaires pour permettre aux magistrats de condamner comme ils le souhaiteraient. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
Urgences hospitalières et soins non programmés
Mme le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les urgences hospitalières et les soins non programmés, à la demande du groupe Les Républicains.
M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains . - Les urgences sont un maillon clé de notre système de soins. Leur saturation est le fait d'un faible nombre de patients, qui s'y rendent en moyenne cinq fois par an, avec un délai médian de quarante jours entre deux passages. Ces trois millions de patients réguliers sont surtout des personnes âgées polypathologiques, sans autre recours médical à proximité, ou des personnes exclues socialement.
En 2019, une grève massive des urgences nous avait alertés sur l'état dégradé des services. Comment en sommes-nous arrivés là ? Certains accusent les 35 heures, qui ont désorganisé les services, d'autres la tarification à l'activité (T2A), qui a entraîné une course à l'acte.
La prise en charge de l'aval est cruciale, car le manque de lits dans les services spécialisés et les structures extrahospitalières pèse sur les urgences. Le problème n'est pas d'empêcher les patients de venir aux urgences mais de les en faire sortir, résumait un chef de service devant notre commission, en 2017 ! Il faut désengorger les urgences mais aussi garantir le bon aiguillage des patients pour éviter les retours et les hospitalisations multiples.
Or les établissements privés et les médecins de ville ne participent pas tous également à la prise en charge des soins non programmés. Bernard Kron, auteur de Blouses blanches, colère noire, met en cause une tarification insuffisante, quatre fois inférieure par rapport à l'hôpital.
Les cabinets médicaux sont rarement ouverts en soirée, à cause là aussi d'une rémunération insuffisante et d'une volonté de préserver la vie familiale, même si l'on salue la mise en place, dans certaines communes, de services d'accueil médical initial (Sami), ouverts le soir et le week-end, où se relaient des médecins généralistes volontaires.
Évoquons aussi la situation post-covid : en mars 2020, la pandémie avait provoqué une vague de recours aux soins et un afflux de patients, entraînant des transferts vers d'autres établissements et la mobilisation de la réserve sanitaire. Cela a tenu, mais au prix de l'aggravation du malaise hospitalier. Malgré les revalorisations du Ségur, la dégradation des conditions de travail génère une désaffection préoccupante. L'hôpital n'est pas qu'une question d'argent.
Très engagée lors de la crise sanitaire, la médecine libérale est elle-même en crise. Ni la fin du numerus clausus ni la quatrième année d'internat n'y remédieront de façon immédiate.
Les propositions de la mission flash sur les urgences sont principalement axées sur la régulation. Il faut redonner corps au métier d'assistant de régulation médicale.
Il y a des rendez-vous à ne pas manquer, madame la ministre, comme la convention médicale, afin de libérer du temps médical pour les médecins de ville et revaloriser l'activité libérale, et la conférence des parties prenantes qui devra associer les corps intermédiaires, et notamment les représentants des collectivités.
Derrière les termes génériques d'« approche globale » et de « restauration de l'éthique », difficile de cerner les intentions réelles du Gouvernement. Or il faut réformer profondément notre système, son financement et sa gouvernance : les urgences ne sont qu'une facette d'un mal profond. Nous n'en sommes plus à dénoncer une médecine à deux vitesses mais un problème d'accès aux soins tout court. (M. Laurent Duplomb renchérit.) C'est avec les acteurs du soin et de la prévention, les patients et les élus, qu'il faut élaborer des solutions pérennes.
Madame la ministre, vous qui vous déplacez dans les territoires, entendez notre message et exposez-nous vos ambitions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé . - Ce sujet est au centre des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. La crise de l'accès aux soins touche tout le système, avec les urgences comme point de convergence des fragilités structurelles : perte d'attractivité, délicate articulation entre ville et hôpital, désertification médicale...
Pourtant, nous pouvons être fiers des valeurs d'égalité et d'universalité de notre système de santé, qui a montré sa résilience. Je salue une fois encore la mobilisation des soignants durant la crise covid.
Mais la crise des soins non programmés et les difficultés d'accès mettent en péril l'essence même de notre système de soins. Il faut le réformer pour le préserver.
D'abord en repensant l'organisation de la prise en charge des soins non programmés. Le Gouvernement répond présent, avec les 41 mesures de la mission flash menée par François Braun avant sa nomination, qui mobilisent des leviers nouveaux. Sans triomphalisme, soulignons que la catastrophe annoncée pour l'été n'a pas eu lieu, grâce aux efforts et à la mobilisation des professionnels et des administrations.
L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) vient de remettre un rapport d'évaluation de ces solutions, et nous allons réunir le comité de suivi pour travailler sur les mesures à conserver.
Le bilan est positif. Nos concitoyens ont été sensibilisés, les comportements ont changé, l'appel préalable au 15 est en passe de devenir un réflexe. L'urgence a une définition précise, distincte de celle des soins non programmés : elle requiert une intervention médicale immédiate, quand le pronostic vital ou fonctionnel est engagé.
Or ces vingt dernières années, les passages aux urgences ont plus que doublé, faute d'accès à un médecin traitant ou de possibilité d'obtenir un rendez-vous dans un délai rassurant. Les urgences sont victimes de leur succès, l'afflux de patients entraînant un engorgement.
Il n'est pas question de filtrer ou de trier les malades ou de restreindre l'accès aux soins, comme certains le disent parfois pour des motifs politiques (protestations à droite). Il faut toutefois un travail de régulation pluridimensionnelle, une campagne de sensibilisation au bon usage de services d'urgence, à l'importance d'appeler au préalable le 15. Les urgences, comme les antibiotiques, c'est pas automatique ! (Marques d'ironie sur plusieurs travées)
M. François Bonhomme. - Bravo ! Quelle imagination !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - La régulation est un sujet transversal, pour optimiser l'usage du temps d'hôpital et augmenter les capacités de réponse non programmée en ville.
Les mesures dérogatoires de l'été ont favorisé le recrutement d'assistants de régulation, qui ont orienté les patients vers la médecine de ville et les maisons médicales de garde. Les recours au 15 ont augmenté de 20 % durant l'été : nous voulons développer ce réflexe. Les médecins généraux régulateurs ont toute leur place, avec un renforcement des équipes.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) renforce les moyens avec un encouragement de la reprise d'activité des médecins à la retraite, et l'accès au contrat d'assurance de la structure d'accueil. Il exonère aussi le ticket modérateur sur le transport sanitaire d'urgence.
Tout cela est efficace, puisque le nombre de passages aux urgences a baissé de 5 % cet été par rapport à 2021 ; cette tendance encourageante doit être amplifiée.
La mission flash a également reconnu la pénibilité du travail de nuit, désormais compensée financièrement. En outre, les soignants bénéficient de la hausse de 3,5 % du point d'indice.
Mme le président. - Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Nous entendons fonder un nouveau modèle pour répondre toujours mieux aux besoins de santé, sur tous les territoires.
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Affaibli par deux ans de crise sanitaire, notre système de santé a connu cet été des tensions majeures. Les difficultés des urgences sont le symptôme d'une crise plus large.
La mission flash lancée par le Président de la République a formulé plusieurs recommandations, parmi lesquelles une meilleure régulation des entrées aux urgences, dont l'engorgement est aggravé par les déserts médicaux.
La télémédecine et, plus largement, le numérique en santé représentent un vivier de solutions. Le Danemark, par exemple, s'appuie largement sur ces nouveaux outils, tout en préservant l'universalité et l'accessibilité des soins.
Quelle place pour l'innovation numérique dans la transformation de notre système de santé ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Le recours à la télémédecine s'est beaucoup développé depuis la crise sanitaire.
Oui, le système danois, dans lequel la régulation préalable est une condition d'accès aux urgences, pourrait utilement nous inspirer. L'Igas l'a étudié dans le cadre d'une étude comparative internationale.
Le Gouvernement a soutenu le développement des téléconsultations, prises en charge à 100 % pendant la crise sanitaire. Elles ont représenté l'année dernière 5 % des consultations de médecine générale.
L'Igas a également souligné l'intérêt des unités mobiles de téléconsultation, qui évitent le passage aux urgences ou l'hospitalisation dans une grande majorité de cas.
Il faut toutefois rester vigilant : la consultation physique doit rester possible. (M. François Patriat approuve.) Nous devons également lutter contre les dérives de la téléconsultation. Ainsi, le PLFSS pour 2023 limite la prescription d'arrêts de travail aux médecins déjà connus du patient. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Annie Le Houerou . - Personnel surmené, départs en hausse, difficultés de recrutement : l'hôpital public traverse une crise sans précédent. Les urgences sont saturées, des services ferment.
Vous avez pris des mesures conjoncturelles pour passer l'été : régulation et majorations de rémunération, notamment. Mais c'est grâce à la mobilisation des soignants que le pire a été évité.
Les recommandations de la mission flash sont insuffisantes, tant la crise est profonde. Quelles réponses pérennes comptez-vous apporter pour garantir à tous l'accès aux soins ?
Nul besoin de réunions de trois cents personnes, comme hier au Mans : le diagnostic est connu. Il est urgent de refonder notre système de santé au service des patients et de permettre aux soignants d'exercer dans la sérénité ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Les urgences sont à la jonction des difficultés de la médecine de ville et de celles de l'hôpital. Plus globalement, nous devons mieux répondre à la demande croissante de soins non programmés et non urgents.
Les services d'accès aux soins se développent progressivement : ils permettent d'orienter les patients vers le bon interlocuteur. L'objectif est d'apporter une réponse sous 48 heures lorsque le médecin traitant ou un médecin de proximité n'est pas disponible. Nous accélérons leur déploiement sur tout le territoire.
Nous devons aussi renforcer l'attractivité des métiers. Cela passe par un panel de mesures. Quant au volet santé du Conseil national de la refondation, s'il a été lancé devant trois cents personnes, il se décline en ateliers thématiques de quinze à vingt personnes.
Mme Laurence Cohen . - Avec plus de vingt millions de passages par an, les urgences sont engorgées, conséquences du manque criant de généralistes et de soignants. Le personnel hospitalier démissionne en masse pour ne plus subir la maltraitance institutionnelle qui résulte de décennies d'austérité.
Chaque année, nous formons dix mille médecins, autant qu'en 1975, alors que la population a augmenté - de 30 % - et vieilli.
Une énième mission a été confiée à François Braun, alors que les constats sont connus de longue date. Tous les rapports, dont ceux du Sénat, soulignent le désengagement financier de l'État.
Ce n'est pas la boîte à outils qui a sauvé le système cet été, ce sont les personnels ! (On renchérit à gauche ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
Allez-vous rétablir l'obligation de permanence des soins pour tous les médecins, y compris du secteur privé ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - La boîte à outils a permis de tenir bon... (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.)
Mme Laurence Cohen. - Non, ce sont les soignants !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - ... grâce à l'investissement des personnels.
La place des centres de santé dans la permanence des soins doit être renforcée. Les charges logistiques posent problème : il faut ouvrir l'accueil et assurer le fonctionnement de la structure, même si un seul cabinet est ouvert. Mais ce service pourrait être assuré dans une maison médicale de garde. Les difficultés ne sont pas insurmontables.
En concertation avec les personnels, il faut mieux insérer ces centres dans la permanence des soins. Nous voulons que tous les médecins y participent, afin de mieux répartir l'effort et faire vivre une logique de responsabilité collective.
Mme Laurence Cohen. - Je me réjouis que vous souteniez le développement des centres de santé. Il en faut sur tous les territoires.
Il est bon aussi que des gardes soient assurées par des médecins du privé ; à cet égard, il faut faire sauter le décret Mattei.
Cessez de vous abriter derrière les 41 mesures de la mission flash. Il faut agir en amont - six millions de nos concitoyens n'ont pas de médecin traitant - comme en aval, en mettant un terme aux fermetures de lits. Il y a urgence à aller plus vite et plus loin ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'engorgement des urgences et les difficultés d'accès aux soins dans les territoires sont incontestables.
Élisabeth Doineau a proposé dans son rapport la création de points d'accueil pour soins immédiats (Pasi), appuyés sur les structures existantes. Ces structures seraient labellisées par les agences régionales de santé (ARS) pour une durée de cinq ans, dans le cadre des projets territoriaux de santé. Elles constitueraient un échelon de prise en charge intermédiaire entre le cabinet et les urgences. Le Samu orienterait les patients, selon les cas, vers un Pasi ou un service d'urgence. Êtes-vous favorable à une telle organisation ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Sébastien Meurant applaudit également.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - La réponse aux soins non programmés doit être améliorée.
La proposition de loi Pasi est intéressante, mais gare à ne pas spécialiser les professionnels de santé dans les soins immédiats au moment où nous voulons consolider la place du médecin traitant.
Les points d'accueil doivent émerger au sein des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), en articulation et non en concurrence avec les structures ambulatoires. En outre, il ne faudrait pas créer d'appel d'air pour les urgentistes que nous peinons déjà à recruter !
Il faut trouver des solutions locales en faisant participer le plus grand nombre possible de médecins à la permanence des soins, et non en en spécialisant un petit nombre.
Mme Véronique Guillotin . - Les centres de soins immédiats, qui se développent, prennent en charge sans rendez-vous des patients aux pathologies peu graves.
Voilà deux ans, je n'étais pas très favorable à ces structures. Depuis lors, la situation ne s'est pas améliorée. Ce week-end encore, sur mon territoire, une jeune fille de 18 ans a passé plus de 36 heures aux urgences sur un brancard...
Toute initiative visant à prendre en charge le bon patient au bon endroit doit être encouragée. Reste que, pour le moment, le modèle économique des centres de soins immédiats est peu satisfaisant. Quelles mesures comptez-vous prendre pour les intégrer à notre chaîne de soins et faire qu'ils soient véritablement acceptés ? (Mme Marie Mercier applaudit.)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Le développement de ces centres peut être bénéfique mais il peut aussi avoir des effets regrettables en spécialisant à l'excès des ressources médicales. Certains médecins qui y exercent refusent de devenir médecins traitants, alors que nous entendons placer ceux-ci au centre de la prise en charge.
Mme Laurence Cohen. - Et les six millions qui n'en ont pas ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Je le répète, il faut aussi éviter tout appel d'air pour les médecins urgentistes.
Il convient donc de mieux encadrer ces structures spécialisées, qui doivent être articulées avec les CPTS.
Mme Dominique Estrosi Sassone . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 11 juillet dernier, 310 admissions ont été enregistrées au CHU de Nice en une seule soirée. Le Samu 06 a dû réorienter des patients vers d'autres hôpitaux du département et des cliniques privées.
Malgré le dévouement des professionnels de santé, la situation reste tendue : les sous-effectifs font craindre à tout moment un défaut de vigilance médicale, et certains patients restent plusieurs heures sur des brancards ; les personnels sont en souffrance, parfois victimes d'agressions en raison des temps d'attente.
Non, notre système n'a pas globalement tenu : il est en train de s'effondrer ! Allez-vous entendre les propositions de SOS Médecins, dont le réseau est en train de se déliter ? (« Bravo ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Oui, notre système a tenu (murmures sur de nombreuses travées), grâce à la mobilisation de nos soignants et aux établissements qui se sont saisis des opportunités d'aménagement des parcours des soignants et ont indemnisé la pénibilité.
Le CHU de Nice a connu cet été une activité soutenue, avec 230 patients en moyenne par jour. Le pic dont vous parlez a entraîné, une seule fois, une fermeture partielle, pendant cinq heures ; la solidarité territoriale a joué, moins de vingt patients étant réorientés.
Au niveau national, on note une baisse des passages aux urgences et, en miroir, une hausse du nombre d'appels au 15.
Le problème tient aux postes non pourvus, faute de candidats. Nous devons travailler à l'amélioration des conditions de travail.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Notre système de santé s'effondre. Il faut guérir le malade avant qu'il ne soit trop tard ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Burgoa. - Bravo !
M. Daniel Chasseing . - Les urgences hospitalières sont un maillon clé : chaque année, un Français sur six s'y rend. Or leur situation est critique, compte tenu du sous-effectif et de la carence de lits d'aval.
Il faut répondre aux besoins de santé des Français sur tout le territoire et faire face à l'accroissement des soins non programmés. Comment remédier à la pénurie d'infirmières, donc de lits d'aval, qui entraîne l'embolie des urgences ? Allez-vous mettre l'accent sur la prise en charge en amont des soins non programmés de faible gravité ?
Pourquoi ne pas demander aux internes d'effectuer six mois supplémentaires de stage ambulatoire en soins primaires en zone déficitaire, avec un salaire de médecin assistant ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Les urgences se situent à la jonction des difficultés de la ville et de celles de l'hôpital.
Les vacances de poste tiennent non au manque de financement, mais de candidats. (Marques d'ironie sur de nombreuses travées ; Mmes Émilienne Poumirol et Marie-Noëlle Lienemann s'exclament.)
Nous oeuvrons à renforcer l'attractivité des métiers. Nous apportons aussi des réponses de court terme, grâce à la boîte à outils. Nous recommandons à tous nos concitoyens de contacter prioritairement le 15 ou leur médecin traitant.
Mme Laurence Cohen. - Et ceux qui n'en ont pas ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Nous avons reconnu la pénibilité du travail de nuit et revalorisé de 50 % les gardes des médecins. Nous pérenniserons toute solution qui fera ses preuves.
Mme Raymonde Poncet Monge . - Depuis la fin de la mission flash, le moral des soignants continue de baisser : un quart d'entre eux estiment être en mauvaise santé du fait de leur travail et ils sont deux fois plus nombreux que les autres salariés à recourir aux arrêts de travail pour stress.
À Strasbourg, le 30 août, il y avait trente places aux urgences pour cinquante patients. Un homme de 81 ans a attendu plus de 22 heures sur un brancard, avant de mourir.
Le problème, ce sont les soignants et les lits qui manquent. Il faut davantage de moyens pour rendre les métiers plus attractifs.
Le PLFSS pour 2023 reste insuffisant. L'augmentation prévue de l'Ondam ne permettra pas d'absorber l'inflation, les mesures du Ségur et la revalorisation du point d'indice et des heures supplémentaires ; elle ne permettra aucune embauche supplémentaire.
Allez-vous revaloriser l'Ondam pour répondre enfin aux problèmes structurels de l'hôpital ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - L'Ondam apporte des financements supplémentaires. Pour 2023, aucune économie ne repose sur l'hôpital, pour lequel 4 milliards d'euros supplémentaires sont prévus.
Dans le cadre du volet santé du CNR, le chantier « Mieux vivre à l'hôpital » ouvrira la voie à une amélioration des conditions de travail des soignants.
Je rappelle que l'Ondam était de 1,8 % en 2016, de 2,2 % en 2017. Avec un Ondam à 3,7 % pour 2023, nous investissons massivement dans notre système de santé.
Mme Émilienne Poumirol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Beaucoup d'annonces et de consultations, mais peu de mesures structurelles, notamment pour lutter contre les déserts médicaux...
Il faut mieux articuler médecine de ville et hôpital : 30 % des patients hospitalisés auraient pu être orientés autrement. Depuis le décret Mattei, la permanence des soins est en érosion constante. On ne peut plus compter sur le seul volontariat.
Le Gouvernement a lancé une énième mission, comme si l'on découvrait les problèmes, puis n'a pris que des mesures de court terme. En outre, le nouveau cadre de la régulation est tout à fait incompréhensible. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Nous encourageons les médecins libéraux à prendre leur part de la régulation, avec une majoration de 15 euros par consultation après orientation par le Samu.
Seuls 4 % des généralistes ont utilisé cette possibilité, pour un total de 50 000 actes. Mais nombre de médecins libéraux prennent déjà en charge des soins non programmés. Ils ont été pleinement investis cet été, et je les remercie. Le système a très bien fonctionné.
M. Olivier Henno . - Comment en est-on arrivé là ?
La clé est d'augmenter le temps médical disponible pour prendre en charge les patients et offrir aux soignants des conditions de travail dignes.
L'accès aux généralistes est de plus en plus difficile, nourrissant dans de nombreux territoires un sentiment d'abandon. La proportion de médecins participant à la permanence des soins est repartie à la baisse. Un tiers des territoires de soins sont couverts par moins de dix médecins volontaires.
En Belgique, un accès commun à la permanence médicale et aux urgences a été mis en place : les médecins traitent les soins courants, les urgences se concentrent sur leur mission. Allez-vous ouvrir ce type d'unités, voire rendre la garde obligatoire pour les médecins généralistes ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Nous nous inspirons des bonnes pratiques de nos voisins. Nous souhaitons toutefois préserver le système français, avec la présence d'opérateurs de régulation et de médecins dans les mêmes structures.
Le ministère fédéral belge a annoncé un New Deal pour la médecine générale. Nos voisins européens connaissent les mêmes difficultés que nous. C'est en partageant les bonnes pratiques que nous trouverons les bonnes solutions.
Mme Florence Lassarade . - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Les tensions du système de santé sont fortes. Dans le sud de la Gironde, les urgences vitales dépendent d'une seule équipe, celle du Smur de Langon. Ce service a tenu, malgré des conditions très difficiles, grâce à une équipe d'urgentistes fidèles. La solidarité d'équipe y est très forte, et les internes sont solidement encadrés dans leurs apprentissages.
Reste qu'à l'issue de leur stage, les jeunes médecins partent vers d'autres structures qui leur proposent des contrats beaucoup plus lucratifs. Cette situation n'est pas isolée.
Allez-vous rémunérer les médecins de garde à la hauteur des responsabilités ? Comment lutter contre le recours massif à l'intérim, dont le coût est prohibitif ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Je salue l'engagement des soignants de cet établissement. S'agissant de la concurrence des rémunérations que vous évoquez, l'ARS Nouvelle-Aquitaine s'est assuré que les pratiques de l'hôpital de Marmande ne dérogeaient pas à la réglementation.
Je tiens à souligner le rôle remarquable joué cet été par le centre hospitalier de sud-Gironde en appui des évacuations menées dans le contexte des feux de forêt.
La revalorisation des gardes est l'un des facteurs de reconnaissance. C'est dans cet esprit que nous avons reconnu la pénibilité du travail de nuit. Plus globalement, le chantier « Mieux vivre à l'hôpital » permettra de redonner du sens à l'engagement des soignants et envie aux jeunes de rejoindre ces métiers.
L'intérim fissure l'esprit d'équipe dans les hôpitaux. Un encadrement des rémunérations est prévu, il sera appliqué. En outre, il ne sera plus possible de débuter son exercice par l'intérim.
M. Jean-Luc Fichet . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Grâce à l'investissement des personnels, le pire a été évité, mais notre système est à bout de souffle. À l'hôpital de Morlaix, gardes et remplacements peinent à être assurés : on fait des chimiothérapies dans les couloirs...
Pourtant, le Gouvernement assure que l'été s'est bien passé. Quel déni, quel mépris !
Six millions de nos concitoyens n'ont pas de médecin traitant, et on annonce une baisse du nombre de généralistes jusqu'en 2030. Tout le système est à revoir.
Il ne doit plus y avoir de place pour les « mercenaires de la médecine », comme les appelait Mme Buzin, et leurs exigences exorbitantes. Quelles décisions allez-vous prendre pour assurer l'accès aux soins ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Le Président de la République et la Première ministre ont voulu un ministère de l'organisation territoriale et des professions de santé, preuve qu'ils ont conscience de l'urgence à agir.
Les décisions des cinq dernières années porteront leurs fruits sur le temps long. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.)
Les jeunes médecins ne veulent plus travailler comme avant : il faut trois médecins pour remplacer un médecin qui part en retraite.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Vous racontez des conneries !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Je ne crois pas raconter de conneries, madame la sénatrice.
M. Laurent Burgoa. - Ce n'est pas l'Assemblée nationale, ici !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Nous avons supprimé le numerus clausus, mais il faut dix ans pour former un médecin.
Mme Laurence Cohen. - Il faut aussi des moyens pour l'université !
M. Jean-Luc Fichet. - Les élus locaux sont tous les jours sollicités par des concitoyens qui ne trouvent pas de médecin. Nous n'avons pas de réponse à leur donner. Il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. Jean Sol . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'ai mal : j'ai 90 ans et j'attends sur un brancard depuis des heures. J'ai mal : je ne suis pas en mesure de gérer l'afflux de patients et je souffre de voir mon serment d'Hippocrate bafoué.
Nos services d'urgence sont en souffrance, et c'est toute une chaîne d'hommes et de femmes qui en pâtit. Nous ne voyons aucune amélioration notable dans nos territoires. Samu-Urgences de France pointe notamment le manque de lits d'aval.
Qu'allez-vous faire pour éviter la fuite de nos personnels, épuisés ? Pour lutter contre la désertification médicale ? Pour améliorer la rémunération des soignants ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Nous avons tous mal à notre système de santé.
Le chantier « Mieux vivre à l'hôpital » vise à redonner de l'attractivité et du sens aux métiers. Nous avons supprimé le numerus clausus il y a deux ans, mais il faut dix ans pour former un médecin. En attendant, il faut libérer du temps médical, améliorer la coopération entre professionnels et réenchanter les métiers du soin en travaillant sur la formation.
Notre système ne va pas bien : c'est le fruit d'une faillite collective. Travaillons ensemble, élus, professionnels et usagers, pour trouver des réponses territoire par territoire.
Mme Laurence Cohen. - Il faut des moyens !
M. Bruno Belin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Par votre expérience, madame la ministre, vous connaissez la souffrance et la désespérance dans les urgences, comme vous connaissez le nombre de lits fermés et le sentiment d'abandon de nombreux territoires.
Dans mon département, il n'y a plus de service d'urgences à Loudun ni à Montmorillon...
Ma question tient en cinq mots : quelle est votre stratégie territoriale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias. - Le Conseil national de la refondation !
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Le CHU de Poitiers est très mobilisé pour recruter des soignants. La régulation est assurée par le 15, et un accueil par infirmier est organisé sur place.
M. Laurent Burgoa. - Quelle est votre stratégie ?
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Avant-hier, j'étais devant les maires ruraux. Les solutions ne se décréteront pas depuis l'avenue Duquesne : elles seront trouvées avec les élus et les professionnels. C'est pourquoi je viens à votre rencontre territoire par territoire, pour comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Mme Laurence Cohen. - Le diagnostic, on le connaît !
M. Bruno Belin. - Faites des hôpitaux de proximité une priorité ! La situation actuelle est un non-sens économique et territorial, mais surtout sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées des groupes UC, SER et CRCE)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Les hôpitaux de proximité sont un enjeu essentiel. À cet égard, il est primordial que les internes effectuent une partie de leurs stages dans les hôpitaux périphériques, où ils pourront ensuite s'installer. Nous sommes en train d'y arriver.
M. Bruno Belin. - Chiche ! Je vous attends dans les territoires ruraux... Encore faut-il des maîtres de stage dans ces territoires pour former les jeunes. Venez donc voir la réalité du terrain.
Mme Victoire Jasmin. - Voilà !
Mme Sylviane Noël . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec vingt millions de passages par an, les urgences sont engorgées, en raison de la pénurie de soignants et faute d'alternative pour un nombre croissant de Français. De fait, la médecine de ville n'est plus en mesure de jouer son rôle de premier recours, son maillage est déséquilibré et incomplet.
À quand une participation plus large des médecins de ville à la permanence des soins via les CPTS ? Nous voyons bien que la prise en charge les week-ends et jours fériés repose sur les hôpitaux.
Une rémunération des généralistes fait-elle partie des pistes pour remédier aux déserts médicaux ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - L'amélioration de la permanence des soins est une mission de service public qui doit être assurée partout sur le territoire.
Soit les professionnels de santé s'organisent pour remplir les tableaux de garde au sein des CPTS ; soit l'État garantit l'accès aux soins le week-end en cas de défaillance. Le code de la santé publique prévoit la réquisition de médecins.
Beaucoup demandent que l'on revienne sur la libre installation des médecins, sur le modèle des professeurs. Mais nous devons convaincre et non contraindre. Avec le PLFSS, nous travaillons à un nouveau dispositif simplifié pour aider l'installation, dans la concertation avec des élus et des professionnels de santé. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme Sylviane Noël. - Les causes de la pénurie de soignants sont nombreuses et anciennes, les réponses complexes. Cependant, des milliers de soignants et de pompiers sont suspendus depuis un an faute d'être vaccinés contre le covid-19 : ce n'est plus tenable ! La quasi-totalité de nos voisins sont revenus sur cette mesure, dont le maintien relève désormais de la punition et de l'obstination. Notre système de santé est à l'agonie, nous avons besoin de ces personnels soignants : comptez-vous lever cette suspension ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - Cela concerne quelques centaines de soignants, sur 300 000, qui n'ont pas voulu se vacciner pour se protéger et protéger les autres. Il faut rendre hommage aux professionnels mobilisés qui ont rendu la lutte contre l'épidémie possible.
Nous avons géré cette crise en suivant les recommandations du Conseil scientifique et de la Haute autorité de santé (HAS), et cela ne va pas changer aujourd'hui.
Mme Sylviane Noël. - Je déplore cette obstination. Des étudiants en médecine sont également suspendus. Abordons dignement les enjeux auxquels doit faire face notre hôpital ! En Haute-Savoie, cette obligation pousse certains de nos soignants à partir exercer en Suisse : quelle est la logique ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La situation de notre système de santé n'a jamais été aussi préoccupante dans les Hauts-de-France.
Au sein d'un même service, temps de travail et rémunération ne sont pas équitables, ce qui est source de tensions. Or c'est le sentiment d'appartenance à une équipe médicale solidaire qui permet d'affronter les difficultés. Comment retenir nos soignants qui partent pour la Belgique ou le Luxembourg ?
Comment décloisonner la médecine de ville et l'hôpital, fluidifier les parcours de soins et désengorger les urgences ? Il faut assurer le même service en milieu rural ou pour des populations sans ressources ; le tiers payant, qui existe aux urgences, doit être facilité en première ligne. Comment comptez-vous inciter les praticiens à s'implanter en médecine de ville, pour stopper l'hémorragie ? Envisagez-vous, en particulier, le retour des gardes, le soutien aux installations ? Cela concerne aussi les Ehpad, en particulier dans la Somme.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée. - La réforme du statut unique vise à améliorer la cohésion au sein d'un même service. Il faut, pour autant, reconnaître les situations individuelles.
Les professionnels libéraux qui sont intervenus dans les établissements hospitaliers ont conservé leur activité en ville. Pour favoriser leur engagement, il fallait pouvoir les indemniser correctement. Les rémunérations des intérimaires seront encadrées d'ici le printemps 2023 grâce à la loi Rist du 26 avril 2021. Avec le PLFSS 2023, il ne sera plus possible de démarrer son exercice professionnel par de l'intérim.
Afin de fluidifier la réponse aux soins non programmés en ville, nous accélérons le déploiement du service d'accès aux soins, qui aidera les citoyens à s'orienter dans notre système de santé. Telle est la logique des transferts de compétences, sur laquelle travaillent les ordres professionnels. C'est collectivement, avec les médecins, les pharmaciens, les infirmiers et les autres professionnels, que nous pourrons répondre à l'urgence des soins non programmés.
Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me félicite de l'inscription de ce débat en ouverture de cette nouvelle session. La création d'une commission d'enquête sur l'hôpital en début d'année montrait déjà l'attention que porte le Sénat au système de santé. La ville comme l'hôpital traversent une crise profonde et ont besoin de solutions rapides, comme l'a dit M. Savary.
Nous redoutions l'été, vu le risque de rupture d'accès aux soins avancé par de nombreux professionnels. Des mesures de régulations ont été prises, et l'hôpital a tenu, une nouvelle fois - mais à quel prix, alors que les périodes de tensions se succèdent !
Des crises surviennent dans les crises, cet été sur les urgences hospitalières et les maternités, aujourd'hui dans les services de réanimation pédiatrique, alors que le covid pèse toujours sur l'hôpital.
Les soins sont parfois assurés en mode « dégradé », avec des pertes de chance. Les crises successives épuisent les équipes et poussent médecins et infirmiers à partir, ce qui fragilise encore le système. L'hôpital tient, mais jusqu'à quand ?
Les 41 mesures de la mission flash censées sauver l'été ont été mises en oeuvre par voie réglementaire, même lorsqu'elles relevaient du domaine de la loi.
Que proposez-vous pour prendre le relais de ces mesures d'urgences ? La régulation de l'accès aux urgences via le 15 sera-t-elle généralisée et pérennisée ? Quel sera le tarif des consultations de médecine générale le soir et le week-end ? Quelle valorisation de la permanence des soins ambulatoires ? Ce point relève de la convention médicale, il échappe donc au Gouvernement comme au Parlement.
Nous sommes suspendus à de nouvelles concertations : conférence des parties prenantes, volet santé du CNR. Encore des discussions dont les soignants sont fatigués. On concerte, mais on n'agit pas !
On ne parle pas non plus de financement. Or l'enjeu est concret. Combien ont coûté les mesures d'urgence du plan Braun ? À la veille de l'examen du PLFSS, nous voulons savoir si les moyens sont à la hauteur des besoins, alors que la loi de programmation des finances publiques (LPFP) prévoit une hausse de l'Ondam inférieure à la croissance à l'horizon 2027.
Le PLFSS ne contient rien sur les urgences et les soins non programmés - comme si la structuration de maisons médicales de garde, les téléconsultations ou l'orientation des patients n'avaient aucun impact financier !
L'article L. 131-1 du code de la santé publique ne saurait être le véhicule commode de vos mesures dérogatoires.
Le Sénat appelle à « sortir des urgences », à laisser l'hôpital respirer en lui donnant des moyens clairs et durables, en améliorant les soins programmés, en anticipant au mieux les soins non programmés, pour mettre fin à l'enchaînement des crises. Je le regrette, mais je ne vois pas le chemin que propose le Gouvernement sur ce point. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE et du GEST)
La séance est suspendue quelques instants.
Prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l'élaboration de réglementations européennes d'harmonisation
Mme le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur la prise en compte des territoires, des savoir-faire et des cultures dans l'élaboration de réglementations européennes d'harmonisation, à la demande de la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'Union européenne respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen. Cet impératif de l'article 3 du traité de l'Union européenne trouve une résonance à l'article 167 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, selon lequel « l'Union contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun. (...) Elle tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et promouvoir la diversité de ses cultures. »
Or cette exigence est parfois négligée dans l'élaboration des règles d'harmonisation, d'où l'initiative de ce débat.
L'Union européenne s'emploie à prendre en compte son patrimoine culturel, matériel et immatériel. Le rapport de Catherine Morin-Desailly et de Louis-Jean de Nicolaÿ pour la commission de la culture appelle à une politique encore plus puissante en ce domaine, afin de favoriser la cohésion de nos territoires.
Tout en approfondissant le marché commun, l'Union s'attache à protéger les dénominations des produits pour lesquels il existe un lien intrinsèque entre qualité et origine : produits agricoles et denrées alimentaires sont protégées par des appellations d'origine protégées (AOP) ou des indications géographiques protégées (IGP). Bientôt, la propriété intellectuelle des produits artisanaux et industriels sera également protégée, comme la porcelaine de Limoges ou le verre de Murano. Ainsi, la protection européenne pourra bénéficier à des savoir-faire, donc au patrimoine immatériel de nos territoires. Ce règlement aidera à préserver compétences et emplois dans les régions concernées.
Mais parfois, l'Union semble ignorer brutalement cultures et savoir-faire locaux. Le 5 juillet dernier, le Sénat adoptait une proposition de résolution européenne portée par Jean-Michel Arnaud alertant sur la révision prochaine des règlements Reach de 2006 et CLP de 2008. Cette révision obligerait les producteurs de lavande à faire évaluer chacune des composantes des huiles essentielles, et non plus le produit dans son ensemble. Les coûts induits menacent toute une filière et une culture prisée jusqu'en Amérique.
En juin, Vanina Paoli-Gagin déposait une proposition de résolution visant, pour sa part, à préserver l'activité des vitraillistes, inquiets d'une prochaine interdiction du plomb dans le cadre de la révision du règlement Reach sous l'impulsion de l'agence chimique européenne. Les facteurs d'orgues sont également concernés.
Ces résolutions européennes sonnent l'alarme, alors que la volonté d'harmonisation européenne, faute de prendre en compte l'impact local, entretient l'image d'une bureaucratie aveugle. Je me rendrai à Bruxelles pour sensibiliser le cabinet du commissaire Thierry Breton et m'assurer que la Commission proposera des adaptations utiles pour éviter le pire.
On ne peut laisser aux 54 agences de l'Union, ni même à la Commission européenne, le soin de réglementer des sujets aussi sensibles, alors que les procédures de révision des règlements concernés échappent au contrôle des parlements nationaux. Heureusement, nous pouvons, grâce à notre enracinement local, être les lanceurs d'alerte, au service de nos territoires. Preuve du rôle des parlements nationaux, que l'Union européenne gagnerait à mieux reconnaître.
L'Union ne saurait durer sans renforcer le contrôle démocratique de son action. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe . - Nos concitoyens peuvent penser que l'échelon européen est trop large pour prendre en compte leur situation particulière, la diversité des pratiques et des territoires. C'est pourquoi la réglementation intègre des échelons nationaux, régionaux et locaux ; c'est une exigence démocratique mais aussi d'efficacité.
L'Union européenne protège les territoires et les défend face à la concurrence internationale. L'harmonisation des normes est une condition du rayonnement international de nos produits et de nos savoir-faire. Les appellations « jambon de Bayonne », « piment d'Espelette », « Comté » ou « Reblochon » sont désormais protégées. Cela n'empêche pas les inquiétudes.
Si un effet collatéral est avéré ou anticipé, nous devons tout faire pour le corriger. Le Gouvernement est mobilisé sur les dossiers que vous mentionnez. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Lucien Stanzione . - Le cas de la filière lavande et lavandin illustre bien les difficultés dues aux réglementations européennes, qui ne prennent pas en compte les difficultés des territoires historiques de production. La France est le premier producteur d'essence de lavandin au monde et le deuxième d'essence de lavande ; Drôme, Vaucluse et Alpes-de-Haute-Provence concentrent 87 % de notre production. Dès 2021, sur les contreforts du mont Ventoux, maires et cultivateurs alertaient sur la baisse des cours de 60 % en trois ans, due à la multiplication des plantations dans d'autres zones comme la Beauce. La sécheresse et le manque d'eau de l'été ainsi qu'un ravageur, la cécidomyie, aggravent la crise.
Alors que le Gouvernement martelait qu'il n'y aurait pas d'interdiction de produits phytosanitaires sans solution de remplacement, l'interdiction a bien eu lieu. Il serait pragmatique de réhomologuer les anciens produits en attendant, ou à défaut de soutenir la filière.
L'aide à l'arrachage et à la plantation de céréales peut être une réponse. Avec Marie-Pierre Monier et Jean-Yves Roux, nous avons fait voter un amendement au PLFR qui consacre 10 millions d'euros à l'arrachage. Or on nous dit que la réglementation européenne interdit ce qui s'apparenterait à une aide exclusive aux lavandiculteurs français.
Nous espérons que vous défendrez l'octroi de ces 10 millions d'euros face à la Commission européenne, quitte à étendre cette aide aux autres pays européens producteurs dont l'Espagne, la Grèce et l'Italie.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Nous sommes conscients des difficultés de la filière lavandicole, que le soutient. Des solutions doivent être trouvées tout en préservant la qualité de la production. Le non-recours aux produits phytosanitaires doit être combiné à un soutien à cette filière.
Le cadre réglementaire européen sur les arrachages est complexe. Quant à votre amendement, nous sommes en train de l'expertiser avec la Commission européenne. Deux réunions avec les professionnels ont déjà eu lieu ; une troisième se tiendra le 6 octobre.
À ce stade, nous travaillons sur l'aide en trésorerie et sur l'objectivation des besoins.
M. Lucien Stanzione. - Sans alternative rapide aux produits phytosanitaires, il n'y aura plus de lavande d'ici deux ans !
M. Pierre Ouzoulias . - Merci pour ce débat, qui interroge le sens de la construction européenne dans ses rapports avec les politiques publiques et la préservation de nos principes républicains. Le processus de Bologne, sur l'enseignement supérieur et la recherche, est consensuel ; pourtant, il révèle les aveuglements d'une gestion technocratique. Avec le système licence-master-doctorat, les diplômes se vendent désormais comme des produits d'entreprises et les académies sont mises en concurrence.
Les ministres européens de l'enseignement supérieur des 49 États concernés ont décidé que ces libertés seraient défendues « grâce à un dialogue politique et une coopération intensifiée ». Depuis lors, les droits fondamentaux des universitaires ne cessent d'être bafoués, en Turquie, en Russie, en Azerbaïdjan, en Biélorussie, en Pologne ou en Hongrie. L'approche irénique d'un marché de la connaissance fondé sur le management entrepreneurial a failli et il faut revenir aux principes de Humboldt : liberté et unité de la recherche et de l'enseignement, communauté scientifique entre enseignants et étudiants.
Le Gouvernement doit militer pour donner un statut de norme à la déclaration de Bonn.
Enfin, le processus de Bologne a accru les disparités : les Länder de l'Est de l'Allemagne n'ont pas d'université de premier plan ; en France, tout se concentre dans les métropoles, excluant des populations déjà reléguées. L'harmonisation européenne s'est faite sans débat sur le rôle de la connaissance et de l'enseignement dans l'émancipation des consciences, l'aménagement du territoire et la formation d'une citoyenneté européenne humaniste. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Nous sommes attachés au processus de Bologne, qui favorise la libre circulation des idées et des étudiants dans tout l'espace européen. Cela dit, le renforcement de l'écosystème de la recherche passe par la défense des libertés académiques. C'est pourquoi la France a milité pour la Magna Charta Universitatum et la déclaration de Bonn.
Nous restons vigilants quant au respect des libertés fondamentales. C'est dans cet esprit que la Commission européenne a adopté une boîte à outils à destination des établissements, notamment contre les menaces étrangères.
Notre écosystème est vivace : la déclaration de Marseille de mars 2022 réaffirme le respect des libertés académiques.
M. Pierre Ouzoulias. - J'eusse aimé vous entendre parler davantage de la déclaration de Bonn, qui n'est toujours pas traduite en français alors que le ministère des Affaires étrangères avait évoqué une transposition dans notre droit. Qu'en est-il ?
Le respect de la déclaration de Bonn est fondamental pour créer une citoyenneté européenne. Pensons aux libertés académiques des universitaires en Hongrie et en Pologne, qui souffrent de la mainmise de leurs États sur la recherche.
Mme Catherine Morin-Desailly . - Nos espoirs d'une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine pourraient aboutir sous la présidence tchèque, avec un plan quadriennal 2023-2026 pour la culture. Or, cette Europe du patrimoine, des cathédrales, des châteaux, des monuments historiques, des savoir-faire, est menacée en son sein par une tentative, vertueuse dans son principe, de réglementation de l'usage des produits chimiques. Mme Paoli-Gagin a fait adopter une proposition de résolution alertant sur les graves dommages pour la filière du vitrail qu'entraînerait la révision envisagée du règlement Reach, qui inclut le plomb parmi les substances « particulièrement préoccupantes ». Il y va de la survie des PME et TPE françaises du secteur.
Madame la ministre, confirmez-vous l'adoption d'un projet de règlement dans les douze mois ?
La France concentre 60 % de la surface des vitraux européens, beaucoup sont inscrits au patrimoine de l'Unesco. Elle compte également 10 000 orgues, dont 1 600 sont classées ; leur perte serait irremplaçable alors que les risques liés au plomb sont déjà pris en charge et qu'aucune étude le fait état de risques pour la santé des travailleurs dans ce domaine. Cette révision de Reach, dont l'objectif est certes louable, risque de faire disparaître tout un pan de notre patrimoine.
Enfin, le Brésil a demandé la fin de l'exportation du bois de Pernambouc ; nous vous alertons sur ses conséquences. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe CRCE)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Je salue votre travail sur ces sujets. Le Gouvernement est conscient des problématiques que vous soulevez.
Les propriétés toxiques du plomb sont connues depuis longtemps : il figure dans la liste des substances préoccupantes de Reach depuis 2018. Son inscription à l'annexe XIV est mentionnée. L'Agence européenne des substances chimiques a mené une concertation avec les parties prenantes du 2 février au 2 mai 2022 : les parties françaises ont souligné l'impact socio-économique et culturel de la mesure. Ces informations détermineront la proposition de la Commission européenne, qui fera suite au projet qui sera adopté par l'Agence fin 2022. Les demandes de dérogation seront introduites dans les dix-huit à vingt-quatre mois.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous connaissons le processus. Nous vous alertons sur le manque de rigueur de la procédure, qui doit s'appuyer sur des données objectives et mesurables - reposant sur des études précises. Tout cela manque de transparence. Aux gouvernements européens d'agir pour éviter des conséquences graves pour un pan de notre culture. (M. Jean-Michel Arnaud applaudit.)
M. Jean-Pierre Corbisez . - Au fil des décennies, l'Union européenne est devenue volontariste dans tous les domaines. Mon groupe y est très attaché. Cela étant, chaque État membre a ses spécificités, liées à ses territoires. Le principe de supranationalité invite à la vigilance sur le champ des directives et des règlements, et je salue à cet égard le travail du groupe « subsidiarité » du Sénat.
Selon le traité sur l'Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union, celle-ci respecte l'identité nationale des États membres. Toutefois, certaines réglementations peuvent menacer des traditions nationales, des savoir-faire : c'est le cas de Reach, qui met en danger les vitraillistes en interdisant le plomb. Que serait la reconstruction de Notre-Dame de Paris sans ses vitraux ?
De même, un changement de classification des huiles à base de lavande fragiliserait un secteur qui compte 9 000 emplois directs. Que deviendrait le tourisme des Alpes-de-Haute-Provence sans les champs de lavande ? (M. Jean-Claude Requier abonde dans le même sens.)
Pour éviter les excès dans l'harmonisation des normes, évitons la surtransposition. En 2018, nous avions adopté un projet de loi de suppression des surtranspositions. Il faut aussi se mobiliser en amont des projets de directives.
L'inflation normative n'épargne pas l'Union européenne, alors que le programme « mieux légiférer », adopté en 2014 par la Commission, s'était traduit par une réduction des initiatives. Qu'en est-il depuis ?
Enfin, il faut analyser l'impact des réglementations dans nos territoires, c'est le meilleur moyen de sauvegarder les richesses culturelles et patrimoniales de nos territoires qui participent de l'exceptionnelle attractivité de la France. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI et du groupe INDEP)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Je m'associe aux propos de Mme Morin-Desailly, avec qui j'ai cosigné un rapport d'information proposant Une stratégie européenne ambitieuse pour le patrimoine - rapport qui a donné lieu à un avis politique, puis à une résolution du Sénat. Il demandait notamment la prise en compte des conséquences de la révision de Reach eu égard à l'inscription éventuelle du plomb dans l'annexe XIV.
Car le plomb concourt à la conservation de long terme de bâtiments anciens, dont nombre de cathédrales, le château de Versailles, le Louvre ou les châteaux de la Loire.
L'interdiction ou la restriction de l'utilisation du plomb condamnerait de nombreuses entreprises de petite taille - entreprises de restauration des monuments historiques, tailleurs de pierre, couvreurs, qui emploient de nombreux salariés et apprentis - sans compter les musées et institutions patrimoniales du monde entier, qui conservent de nombreux objets contenant du plomb.
Nous ne négligeons nullement l'aspect sanitaire, et avons constaté, en visitant le chantier d'une église parisienne historique, les mesures de prévention et les contrôles appliqués. Le code du travail prévoit une valeur limite d'exposition professionnelle et un seuil de plombémie. Au-delà, la médecine du travail assure un suivi renforcé.
En la matière de seuils, la loi est préférable à une révision du règlement Reach. Si la Commission souhaitait durcir la réglementation sur le plomb, elle devrait passer par d'autres moyens normatifs et toujours exempter la filière patrimoniale.
La France est légitime à plaider pour son exception culturelle, en raison de son exceptionnel patrimoine. Je rappellerai enfin que 84 % des utilisations du plomb concernent les batteries...
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - L'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) base ses recommandations sur des études scientifiques qui doivent pouvoir être consultées.
Si le plomb était inscrit à l'annexe XIV, son utilisation ne serait pas pour autant interdite car des dérogations sont envisageables dans les dix-huit à vingt-quatre mois après son adoption. Dans tous les cas, le Gouvernement restera mobilisé.
Le projet de révision de Reach ne prévoit rien qui mènerait à une interdiction de l'huile essentielle de lavande et de lavandin. Il n'est pas question d'accepter une révision déraisonnable du cadre existant.
Nous plaidons pour une étude d'impact suffisamment complète.
Le Gouvernement connaît les inquiétudes de la filière, qui ont été évoquées en comité interministériel. Une étude de FranceAgriMer est en cours sur l'impact d'une évolution réglementaire. Dès les conclusions connues, nous vous les transmettrons.
Mme Colette Mélot . - L'élaboration des réglementations européennes ne se fait pas sans certaines précautions. L'idée d'une union sans cesse plus étroite ne signifie pas une harmonisation qui irait à l'encontre de certains principes. L'article 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union dispose ainsi que celle-ci « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen ».
Chacun sait la chance qu'est l'Union européenne pour nos territoires, qui préserve et promeut nos savoir-faire. L'harmonisation permet à nos citoyens de mieux vivre et d'être mieux protégés. Ainsi du marché intérieur de l'énergie, malgré ses imperfections.
Toutefois, cette harmonisation ne doit pas se faire au détriment de nos spécificités, et les processus législatifs ont parfois pu laisser perplexes. Chacun se souvient du règlement sur la forme et la longueur des concombres, heureusement abrogé en 2009...
En tant que parlements nationaux nous devons nous assurer du respect du principe de subsidiarité.
Certains sujets ne sont parfois pas suffisamment pris en compte dans l'élaboration des règles, ce qui entraîne des conséquences compliquées dans les territoires - on le voit avec la menace que ferait peser une interdiction du plomb pour la filière vitrail.
Notre patrimoine représente des milliers d'emplois, les savoir-faire français contribuent largement à la reconnaissance de la France dans le monde. Il convient qu'ils soient mieux pris en compte dans la construction de la réglementation européenne.
Le second exemple concerne mon département de Seine-et-Marne, avec le brie de Meaux et le brie de Melun pour lesquelles l'obtention de l'appellation d'origine protégée (AOP) est difficile à obtenir. Nous avons pu mettre en valeur, grâce aux confréries, les qualités de ces fromages.
Il est nécessaire de disposer d'une ingénierie territoriale pour mieux flécher les fonds européens, en faisant remonter les besoins et problématiques. L'échelon départemental est tout indiqué pour cela, avec les centres Europe Direct et les Maisons de l'Europe.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - L'Europe protège, via les AOP, les produits du territoire. Les cahiers des charges sont rédigés par les organismes de défense et de gestion (ODG). Dans le cas du brie de Meaux, c'est l'aire géographique de production qui a posé problème. Les oppositions n'ont pas été jugées recevables car elles portaient sur des points ne pouvant faire l'objet de modifications. Il faut convaincre l'ODG que la production actuelle est suffisante. J'ai bien conscience de la sensibilité du sujet. Discutons-en.
Mme Colette Mélot. - L'AOP brie de Melun a aussi été accordée, mais il y a encore un effort à fournir, au regard de la renommée de nos fromages.
M. Jacques Fernique . - Les propositions d'harmonisation de la Commission européenne peuvent être hors sol. Ainsi de la révision du règlement Reach. Le président Rapin évoquait les dangers des harmonisations aveugles du marché intérieur : c'est manifestement le cas ici.
La révision de Reach va rehausser le niveau d'exigence sur les substances chimiques. Or la filière des huiles essentielles ne pourra pas s'adapter à des méthodes d'évaluation conçues pour la chimie de synthèse. La révision de ces règlements n'apporte aux consommateurs aucun gain en matière de sécurité ; le GEST plaide au contraire pour une harmonisation qui apporte une plus-value sociale, environnementale et économique.
Sur Reach, c'est une vision technocratique qui prévaut, avec une interdiction européenne envisagée du plomb et des procédures d'autorisation aux conséquences catastrophiques. Une proposition de résolution européenne du Sénat a donné l'alerte sur ce point.
Cela n'exclut pas, cependant, de dénoncer les retards français dans la transposition de certaines directives, notamment celle qui concerne la qualité de l'air et la gestion des déchets. Je songe également au chanvre, au CBD, substance non psychotrope dont le développement se heurte à des blocages gouvernementaux. La demande est pourtant forte, avec un potentiel de filière important.
Or nos autorités n'autorisent pas l'extraction de CBD, entraînant une condamnation de la France par la Cour de justice. Je vous renvoie, sur ce sujet, à une résolution transpartisane signée par plus de cinquante de nos collègues.
L'harmonisation des législations fiscales, sociales et environnementales s'impose si nous ne voulons pas que l'Union européenne s'effondre, et nos écosystèmes avec. On n'agit pas contre le changement climatique dans son coin. Élever des poules ou des lapins dans des cages d'une taille d'une feuille de papier A4 reste une pratique délétère, contre laquelle nous devons lutter ensemble.
Mais nous ne pouvons pas nous contenter de normes à usage interne : il faut les étendre aux importations et aux accords commerciaux. On nous a promis une nouvelle ère du commerce européen. À quand de véritables clauses miroir ? L'accord de libre-échange entre l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande en est loin. C'est pourtant par là que nous préserverons la vitalité et la diversité de nos territoires.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Je le répète : la révision de Reach n'est pas faite. La Commission européenne ne devrait pas faire de proposition avant la fin de l'année. Des discussions sont encore possibles.
Ce règlement permet aux États membres de s'appuyer sur des analyses de risque pour protéger les consommateurs et l'environnement. Des consultations sont menées à plusieurs échelons.
On ne peut pas prendre ce qui nous arrange dans l'Union européenne et rejeter ce qui ne nous arrange pas : il faut définir des positions communes. À vingt-sept, nous sommes plus forts, notamment en matière de négociations commerciales.
L'accord commercial avec la Nouvelle-Zélande est le premier à contenir des clauses environnementales fortes. Il nous est très favorable - à tel point qu'on peut se demander pourquoi la Nouvelle-Zélande l'a signé - et protège nos AOP. (Mme Marie-Noëlle Lienemann en doute.) Les personnes souhaitant exporter dans l'Union européenne devront respecter nos normes.
M. Jacques Fernique. - Je prends acte que la messe n'est pas dite sur Reach. Il y a encore une opportunité pour les acteurs locaux de se faire entendre : j'espère que le Gouvernement ira dans leur sens. Sur les accords internationaux, en revanche, je suis moins convaincu...
Mme Patricia Schillinger . - L'Union européenne veille à lever les obstacles à la libre circulation des biens et services pour créer un marché unique dans lequel les consommateurs ont accès à des produits sûrs. Mais il n'est pas rare de voir des professions mises en difficulté par l'élaboration des normes européennes.
Dans une proposition de résolution, nous avons encouragé la Commission et le Gouvernement à préserver les vitraillistes et autres professions d'art menacés par la possible interdiction du plomb, métiers qui font la richesse de nos territoires.
La filière des huiles essentielles de lavande est, elle aussi, menacée. Or l'herboristerie fait partie du patrimoine immatériel français. Le Sénat, chambre des territoires, s'attelle à ce que ces cultures et ces savoir-faire soient défendus.
Je me réjouis de l'inscription de ce débat à l'ordre du jour. Des produits emblématiques de nos territoires peuvent être mis en concurrence avec des produits d'importation usurpant leurs qualités. Valoriser les savoir-faire par une indication géographique rassure le consommateur, met en avant les producteurs locaux authentiques, favorise l'emploi et pérennise les savoir-faire.
Les États membres sont autorisés à protéger ces produits spécifiques par des appellations, au nom de la propriété intellectuelle. La France a mis en place des indications géographiques gérées par l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Mais la simple protection nationale a ses limites, et l'absence d'harmonisation européenne revient à laisser à la seule charge des États le soin de préserver ce qui fait la richesse de l'Union européenne : sa diversité.
L'absence d'harmonisation européenne peut pénaliser les métiers traditionnels. Or les citoyens attendent de l'Union européenne qu'elle les protège. Poteries d'Alsace, faïence de Gien, savon de Marseille, espadrilles basques : tous doivent bénéficier d'une reconnaissance européenne.
C'est pourquoi nous saluons la proposition de règlement présentée en avril par la Commission européenne sur les indications géographiques non agricoles, avec une gestion centralisée et une obtention simplifiée. Les négociations devraient se poursuivre sous la présidence tchèque pour une entrée en vigueur en 2024.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Nous suivons de près les projets de révision de la législation européenne. L'harmonisation des pratiques ne doit pas amoindrir la spécificité des indications géographiques.
Pour les indications géographiques de produits industriels et artisanaux, la France a porté le projet lors de sa présidence du Conseil, et la Commission poursuit le travail, ce dont je me réjouis.
Nous serons très vigilants à ce que le texte ne soit pas affaibli.
Mme Marie-Pierre Monier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les règlements Reach et CLP sont emblématiques des paradoxes européens.
Les professionnels de la lavande ne contestent pas le bien-fondé de règlementations qui visent à améliorer la qualité des produits et la transparence. Mais une nouvelle fois, la filière lavande est confrontée à des dispositions qui ne sont pas adaptées à ses caractéristiques. Il s'agit de produits naturels qui doivent être considérés comme un tout, et non comme un composé de molécules. Il faut tenir compte de leur mode de production local, dans des territoires restreints, et de leur usage millénaire.
Sur les territoires concernés, il n'y a pas de substitut possible à cette production. C'est toute l'économie du territoire provençal, avec ses retombées touristiques, qui est menacée.
De plus, la réglementation envisagée est en contradiction avec le Pacte vert européen, qui vise l'amélioration du bien-être et de la santé des consommateurs européens, et avec la volonté d'accéder à des produits toujours plus naturels.
Les deux règlements doivent tenir compte des spécificités de la filière, et les acteurs économiques doivent être soutenus pour contrer la crise de leur marché. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Patricia Schillinger applaudissent également.)
M. Jean-Michel Arnaud . - « La lavande est l'âme de la Provence », disait Jean Giono. La lavande est un savoir-faire ancestral au coeur de notre identité paysanne, un emblème culturel.
Or cette filière est menacée par les projets de révision des règlements Reach et CLP. Merci à la commission des affaires européennes d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour.
La révision annoncée est un exemple criant du manque de prise en compte des savoir-faire locaux. Les objectifs recherchés sont respectables, et même nécessaires, mais les modalités d'application ne sont pas adaptées à la filière.
Il faudra fournir des données fondées sur des tests scientifiques pour obtenir l'autorisation de mise sur le marché. Or ces tests ne portent que sur les composants des produits, sans tenir compte du fait que les huiles essentielles sont utilisées depuis l'Antiquité, sans effets graves connus.
La lavande et le lavandin représentent 9 000 emplois directs et 17 000 emplois indirects. Certes, le PLFR prévoit une aide de 10 millions d'euros pour la filière, mais le durcissement des exigences serait une catastrophe pour l'emploi et pour la qualité des produits. Les producteurs seraient tentés de trouver des substituts de synthèse, moins chers, contenant du pétrole : quel paradoxe !
Enfin, la filière serait aussi exposée à une publicité négative au niveau international : on a parlé du projet de révision jusque dans les colonnes du Wall Street Journal...
Le Sénat sera toujours là pour veiller sur les terroirs et les territoires. J'espère que le Gouvernement sera aux côtés des professionnels, pour éviter que la Provence ne soit mise en jachère à jamais.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - La révision du règlement Reach obéit à un souci de santé publique ; il faut trouver un équilibre entre cet impératif et l'impact socio-économique. C'est la raison d'être de la consultation en cours, et nous sommes ouverts à la discussion.
M. Lucien Stanzione. - Nous en prenons note !
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Ce n'est pas une liste de molécules qui sera demandée, mais de composants. Une précision sur le délai : le projet de révision du règlement Reach devrait être présenté en 2023 à la Commission.
M. Jean-Michel Arnaud. - Merci pour votre réponse, qui encourage la concertation. Mais j'insiste sur la nécessité d'une position solide, déterminée au niveau interministériel, pour peser dans les négociations européennes.
Les huiles essentielles ne sont pas des produits chimiques ; depuis deux mille ans, elles sont utilisées sans conséquences néfastes sur la santé.
Une dernière remarque : la Commission européenne envisage la voie réglementaire, or il faut conserver une procédure purement législative. (MM. Pierre Ouzoulias et Lucien Stanzione applaudissent.)
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'harmonisation des droits nationaux a ses limites. Loin de refléter l'esprit ou la lettre des traités, elle n'est parfois qu'une voie d'extension du champ des compétences de l'Union au détriment des législations nationales.
Ainsi, la généralisation projetée du Nutriscore découle de la stratégie « de la ferme à l'assiette », qui prévoit un étiquetage généralisé au quatrième trimestre 2022. Or le Nutriscore présente une information tronquée sur les productions de qualité, comme les fromages et charcuteries bénéficiant d'une AOP ou d'une IGP. De plus, cette généralisation se fait au détriment des territoires et de la diversité des productions locales : en témoignent les plaintes des producteurs de roquefort, mais aussi des producteurs oléicoles d'Espagne et d'Italie.
Ce faisant, la Commission européenne impose une uniformisation à marche forcée, idéologique. Face à cette dérive dangereuse, défendons nos producteurs locaux et notre culture culinaire française.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - La France est favorable à un étiquetage nutritionnel harmonisé à l'échelle européenne, comme Marc Fesneau l'a rappelé lors du dernier conseil Agriculture et pêche, le 26 septembre. Une récente étude a montré que les consommateurs européens apprécient ce système, qui dispense une information rapide et fiable.
Depuis 2019, la France a mis en place une stratégie d'influence pour encourager le Nutriscore, au contraire de l'Italie qui en juge l'impact négatif sur sa gastronomie. Avec six États membres, nous avons mis en place un outil de gouvernance transnational, doté d'un comité de pilotage et d'un comité scientifique.
Je comprends néanmoins vos préoccupations, et la France soutient une révision de l'algorithme du Nutriscore, en particulier en ce qui concerne les fromages. Nous porterons une position d'équilibre.
Mme Chantal Deseyne . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À mon tour d'attirer l'attention sur les conséquences de l'interdiction du plomb pour la filière du vitrail. De nombreuses entreprises au savoir-faire unique seraient condamnées.
Élue d'Eure-et-Loir, qui accueille le centre international un vitrail de Chartres, je suis particulièrement touchée par la question. Les professionnels ont mis en place des processus rigoureux de protection pour travailler ce matériau.
Ces vitraillistes contribuent à la conservation et la promotion du patrimoine. Quelles mesures le Gouvernement mettra-t-il en oeuvre face à la Commission européenne pour préserver ce secteur ?
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - Nous sommes ouverts au dialogue. Nous parlerons avec tous les acteurs de la filière, en concertation avec les ministères de la culture et de la transition écologique.
Deux consultations sont en cours : l'une est conduite par l'Agence européenne des produits chimiques (Echa), l'autre par la Commission européenne, pour peser l'impact socio-économique et culturel d'une inscription du plomb à l'annexe XIV.
L'ECHA ne serait en aucun cas tenue d'inscrire le plomb dans l'annexe XIV. Enfin, inscription ne signifie pas interdiction : des délais de 18 à 24 mois seront prévus pour obtenir des dérogations.
Nous restons mobilisés sur ce sujet, et nous entendons vos inquiétudes.
Mme Martine Berthet . - Le pastoralisme est un savoir-faire ancestral, emblématique de nos territoires de montagne.
Il est aujourd'hui mis en péril par la faute d'une réglementation non adaptée. En effet, une directive de 1992 fait du loup une espèce strictement protégée, protection également garantie par la convention internationale de Berne de 1979. Ce cadre a préservé une forme de biodiversité, mais a aussi permis la prolifération des grands carnivores.
Il y aurait aujourd'hui 17 000 loups en Europe, dont 1 000 en France selon l'Office français de la biodiversité - 3 000 selon les chasseurs et les agriculteurs. Face aux attaques incessantes, les éleveurs, épuisés, ne conduisent plus leurs troupeaux dans les alpages. Laissés sans entretiens, les pâturages se referment, augmentant les risques d'avalanche l'hiver et d'incendie l'été.
De plus, la hausse des attaques contre les bovins conduit à réduire le temps passé par les troupeaux dans les pâturages ; certains éleveurs, notamment dans le Vercors, cessent leur activité. Ce sont plusieurs IGP qui se trouvent ainsi en danger.
Il est impératif de réviser la réglementation européenne pour faire du loup une espèce simplement protégée, et non « strictement » protégée.
Par une résolution européenne datée du 21 août 2020, le Sénat avait déjà alerté sur les écueils de cette réglementation, en vain. Mais au conseil « Agriculture et pêche » du 26 septembre, d'autres délégations - l'Autriche, la Croatie, la Finlande, la Roumanie, la Lettonie et la Slovaquie - ont rejoint les positions françaises. Faisons bloc à leurs côtés. Protégeons nos terroirs, et non le loup dont la survie n'est plus en danger.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - En effet, de nombreux pays, dont la France, demandent une révision de l'interprétation de la directive Habitats de 1992 dans le sens d'une plus grande souplesse, afin d'organiser la coexistence avec le loup.
À la fin de l'hiver 2021-2022, l'effectif estimé était de 921 loups, bien inférieur au seuil de viabilité génétique de l'espèce qui est de 2 500. De plus, les dommages aux troupeaux se sont stabilisés en 2018, et le nombre d'ovins et de caprins tués tend à diminuer, même si le chiffre de 11 000 bêtes tuées reste trop élevé.
La baisse de la prédation passe d'abord par des mesures de protection. Nous mobilisons tous les moyens, notamment avec la filière des chiens de protection, pour mieux accompagner les éleveurs et protéger les troupeaux.
Mme Martine Berthet. - Il est temps de réactualiser vos chiffres. Vous ne parlez que des ovins et des caprins, mais il y a un risque émergent sur les bovins, qui sont essentiels pour nos AOP fromage et viande. S'il n'y avait pas de craintes réelles, on ne verrait pas des éleveurs arrêter leur activité. Les observations locales tendent bien au chiffre global de 3 000 loups en France.
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État . - Je vous remercie de ce riche débat. Vos questions traduisent les inquiétudes de nos concitoyens, des artisans, entreprises et élus locaux qui font vivre des savoir-faire qui participent à la vie économique des territoires et au rayonnement de la France : patrimoine, gastronomie, artisanat.
Je vous remercie d'avoir porté le sujet de l'huile essentielle de lavande...
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - On la sent presque ! (Sourires)
Mme Laurence Boone, secrétaire d'État. - ... du brie de Meaux, du brie de Melun, des pâturages alpins. Ils témoignent de la diversité et de la richesse de nos terroirs.
Dès le premier jour de son mandat, le Président de la République a fait de l'Union européenne une voie de recherche de solutions, non pas comme une posture mais en application stricte du principe de subsidiarité.
L'échelon européen est souvent le plus pertinent pour nous protéger face aux défis en matière de sécurité collective : énergie, transition verte, santé. Cela vaut aussi pour les productions locales : l'Europe nous protège des distorsions de concurrence dans une économie mondialisée.
La France a ainsi plaidé pour la création d'un système d'indication géographique pour les produits non agricoles, et je me réjouis de la proposition de résolution de votre commission des affaires européennes, que nous soutenons pleinement.
Nous veillerons, avec vous, à ce que les réglementations européennes soient adaptées aux spécificités de nos territoires. Elles sont encore trop souvent perçues technocratiques et opaques, mais tel ne doit pas être le cas ; territoires et professionnels doivent participer à leur élaboration.
Nous avons besoin de la participation des citoyens, d'un dialogue régulier avec la société civile, au fondement de l'idéal européen. L'association des parlements nationaux est essentielle, de même que les avis du Comité des régions et du Comité économique et social européen, et les rapports qui ont été mentionnés.
Monsieur Rapin, j'entends votre préoccupation : l'avis des parlements nationaux doit être mieux pris en compte. Nous vous appuierons en la matière.
Les autorités françaises sont les premières à porter les intérêts des territoires et à défendre les savoir-faire locaux dans le processus décisionnel européen. Concernant la révision du règlement Reach, nous entendons les préoccupations des secteurs et serons particulièrement vigilants : cette révision doit intégrer les considérations locales. Il faut accompagner les acteurs concernés et trouver un équilibre. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)
M. Jean-François Rapin, président de la commission de la commission des affaires européennes . - Cette enceinte respire l'histoire mais aussi les territoires, comme le montre l'expression sincère par les sénateurs de leurs spécificités.
Vous avez porté des paroles ambitieuses, volontaires, qui soutiennent notre propos. Elles pourraient se concrétiser dans un domaine emblématique, celui du multilinguisme dans les institutions, car la culture est aussi portée par la langue. Le règlement Reach fait mille pages, essentiellement en anglais.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Alors que les Anglais ont quitté l'Union !
M. Jean-François Rapin, président de la commission. - Le site internet pour l'alimenter est également rédigé en anglais. Donnons une impulsion en faveur du multilinguisme !
Ensuite, la question des dérogations nécessite un combat des États. La Commission ne peut adopter de modification si le comité Reach, constitué d'un membre de chaque État, s'y oppose à la majorité qualifiée.
J'aurais pu évoquer les fromages ou les bières du Pas-de-Calais. (M. Jean-Pierre Corbisez approuve.) Soyons fiers de ces richesses : si elles existent, c'est aussi grâce à l'Europe, mais il ne faudrait pas qu'elles disparaissent à cause de l'Europe. (Applaudissements)
La séance est suspendue à 19 h 40.
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
Conclusions du rapport « Abysses : la dernière frontière ? »
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport « Abysses : la dernière frontière ? », à la demande de la mission d'information « Exploration, protection et exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? ».
M. Teva Rohfritsch, rapporteur de la mission d'information . - Avec son point d'interrogation, le titre de notre rapport constitue une interpellation sur les nombreux défis à relever pour franchir avec discernement une barrière de la connaissance.
De fait, tout ou presque reste à découvrir sur les grands fonds marins, véritable mare incognita. Alors que douze hommes ont foulé le sol lunaire, seuls quatre ont plongé à plus de 10 000 mètres, et nous ne connaîtrions que 5 % de la biodiversité des océans profonds.
Si cette méconnaissance n'est pas propre à la France, notre pays accuse un certain retard sur le plan industriel, en dépit de ses performances en matière de recherche. C'est la conséquence d'un désintérêt de longue date des pouvoirs publics.
Pourtant, les enjeux sont colossaux : à la manière d'une nouvelle ruée vers l'or, l'accès aux grands fonds marins participe aux jeux et enjeux de puissance entre la Chine, la Russie, les États-Unis, la Norvège et de nombreux autres pays.
Les abysses abritent une vie abondante aux caractéristiques génétiques exceptionnelles, un écosystème qui doit être protégé. Les techniques d'extraction n'ayant pas atteint leur maturité, une exploitation des grands fonds serait prématurée. Nous devons d'abord connaître et comprendre, pour mieux protéger.
En matière de soutien à la recherche, je me réjouis de l'appel à projets de 25 millions d'euros lancé dans le cadre de France 2030. Mais cette étape en appelle déjà une autre. Il faudrait 3 500 ans à un robot de type AUV (autonomous underwater vehicle) pour cartographier la zone économique exclusive (ZEE) française... Quelle est la suite du calendrier ?
Notre rapport à la mer comporte aussi une dimension humaine et locale. En Polynésie française, la mer est considérée comme un garde-manger, mais aussi un trait d'union entre les peuples et la voie de l'envol des âmes.
Les représentants des territoires ultramarins l'ont souligné : il est indispensable d'associer les élus et les populations pour éviter le rejet. De ce point de vue, l'impératif culturel rejoint le respect de la Constitution et des lois organiques.
Les outre-mer sont en première ligne des défis à relever : ils représentent 97 % de la ZEE française - à elle seule, la Polynésie en assure 47 %. La concertation avec ces territoires est donc indispensable : la nui te aroha, que l'amour soit grand !
La France, dont la ZEE est la deuxième au monde, a un rôle essentiel à jouer. Elle dispose d'un vivier de scientifiques et d'entreprises innovantes de renommée mondiale, ainsi que d'une marine présente sur les cinq continents. Elle est un membre actif de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
C'est une chance et une responsabilité, que nous devons assumer devant les nations du monde, en défendant une position exigeante sur les garanties environnementales. « Homme libre, toujours tu chériras la mer »...
Dans cet esprit, nous formulons vingt recommandations visant notamment à mieux associer le Parlement et à soutenir la recherche. Nous distinguons deux piliers : civil, avec la stratégie nationale, et militaire, avec la stratégie de maîtrise des fonds marins du ministère des armées.
Un budget de 300 millions d'euros est prévu, mais le portage politique paraît trop faible. Le pays de Jules Verne et du commandant Cousteau ne peut pas échouer dans ce domaine.
Monsieur le ministre, quel regard portez-vous sur nos recommandations ? Avons-nous des moyens suffisants pour garantir la sécurité de nos infrastructures sous-marines de communication et d'énergie ?
Nous souhaitons tous que la France confirme son rang de puissance maritime et relève avec succès le défi de mieux connaître la mer, « l'immense désert, écrivait Jules Verne, où l'homme n'est jamais seul ». (Applaudissements)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer . - Je vous remercie pour ce rapport de grande qualité sur une matière à propos de laquelle on sait très peu de choses. On y sent la patte de quelqu'un qui connaît la mer et ses enjeux, en matière de lutte contre le changement climatique comme de souveraineté.
Nous avons bien pris connaissance de vos recommandations.
En introduction à notre débat, je précise qu'il y a un pilote dans l'avion : le Président de la République, qui porte en la matière une ambition forte. De même, il y a une instance de décision : le Comité interministériel de la mer (CIMer).
Nous ne nous engageons pas dans la voie de l'exploitation, mais de l'exploration et la recherche, en incluant tous les territoires, notamment ultramarins. Une enveloppe de 352 millions d'euros est allouée à cette aventure nationale, signe de notre volonté d'en faire une priorité.
M. Gérard Lahellec . - J'ai participé avec grand intérêt à cette mission d'information et je partage l'essentiel de ses conclusions.
Si l'Amazonie est le poumon vert de notre planète, les océans en sont le poumon bleu, indispensable à notre avenir. Leur rôle dans la régulation climatique est indéniable. La bonne santé des océans doit donc être une de nos préoccupations majeures.
La France, qui possède le deuxième espace maritime au monde, a une responsabilité particulière. Ne nous comparons pas à ceux qui brûlent les étapes, dans l'espoir d'une nouvelle manne. L'enjeu est trop grand pour jouer ce jeu-là.
Nous appelons à la prudence. À cet égard, les infléchissements intervenus avec les dernières déclarations du Président de la République nous laissent penser que le rapporteur a été entendu.
La fascination qu'exercent les fonds marins n'empêche pas l'action. Nous devons mieux connaître ces espaces que quatre personnes seulement ont observés, soit trois fois moins que celles ayant foulé la surface de la lune. Il faut pour cela des moyens techniques et humains pour l'Ifremer, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer et le Service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom).
Je forme le voeu que le pilotage de ce sujet soit confié à nos collègues d'outre-mer.
Comme breton, je serai ravi de lire, depuis les Côtes-d'Armor que j'aime tant, les résultats des études à venir. De même que science sans conscience n'est que ruine de l'âme, science sans connaissance n'est que démagogie. (Applaudissements)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Je partage votre amour pour les Côtes-d'Armor et pour les citations... (Sourires)
Le Président de la République l'a rappelé à Lisbonne : nous nous engageons dans l'exploration, et non l'exploitation, des fonds marins.
Je partage votre exigence sur l'implication des outre-mer, notamment dans le cadre du Conseil national de la mer et du littoral. Le pilotage politique est assuré par le Président de la République, la Première ministre et le secrétaire d'État que je suis, mais la stratégie doit être coconstruite avec les outre-mer.
Enfin, nous sommes attachés au partage de la connaissance. Nous finançons des actions en ce sens pour sensibiliser aux enjeux de protection et susciter des vocations.
M. Philippe Folliot . - Je salue le président Canévet et le rapporteur Rohfritsch pour la qualité du travail mené.
Si plusieurs milliers d'êtres humains ont atteint l'Everest et plusieurs centaines sont allés dans l'espace, si douze ont marché sur la lune, seule une poignée est allée au plus profond de la mer. À l'exception de leur partie superficielle, les océans représentent une mare incognita, qu'il s'agisse de la masse d'eau ou des fonds marins.
Sagesse et prudence ne signifient pas naïveté. En droit, il y a la res nullius et la res communis : ce qui n'est à personne et ce qui est à tous. La logique d'appropriation des fonds marins a prévalu. Nous avons ainsi obtenu la maîtrise de 1 million de km2 supplémentaires dans le cadre du programme Extraplac.
Ayons conscience que les fonds marins sont un enjeu économique : 30 % du gaz et du pétrole viennent du fond de la mer. Sans parler des enjeux de sécurité liés aux câbles sous-marins.
Je voudrais appeler votre attention sur l'avenir du Nautile, dont la fin d'exploitation est prévue en 2028. Cet arrêt serait une faute, car des drones ne remplaceront pas un bâtiment d'exploration sous-marine. Recaréné, le Nautile pourrait fonctionner encore dix ou quinze ans. La France fait partie des cinq nations capables d'aller à plus de 6 000 mètres de profondeur avec des bâtiments habités : ne sortons pas de ce club fermé ! (Applaudissements)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Je vous rassure : il n'y a aucune naïveté dans la position française. Oui, les fonds marins sont un enjeu stratégique. Nous développons avec le ministère des armées une stratégie de maîtrise, notamment autour des câbles, et de surveillance.
Les fonds de France 2030 pourraient concerner le Nautile. Je m'engage à examiner s'il est souhaitable de poursuivre le financement de cet outil.
J'ajoute, à l'intention de M. Lahellec, que les résultats de la campagne de cet été sont disponibles sur le blog de la mission Hermine 2.
M. Philippe Folliot. - Le Nautile ne coûte que 1 million d'euros... En revanche, il faut des années pour former ses opérateurs. C'est pourquoi il faut prendre rapidement la décision de poursuivre. Si l'on veut faire rêver nos enfants, il faut que ce rêve soit incarné !
M. Stéphane Artano . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur des travées des groupes UC et Les Républicains) Voilà près d'un an, le Président de la République déclarait que les fonds marins étaient un levier extraordinaire de compréhension du vivant, qu'il ne fallait pas laisser inconnu.
De fait, alors que 71 % de la surface de notre planète est couverte par les océans, les grands fonds marins restent largement inconnus. Environ 250 000 espèces sous-marines sont recensées, mais, selon Jean-Marc Daniel, de l'Ifremer, on pourrait en découvrir jusqu'à 10 millions d'autres.
Les fonds marins recèlent aussi des ressources minières très convoitées, comme le cobalt, le nickel et le manganèse, qui entrent dans la composition des batteries électriques.
Pays pionnier de l'exploration des océans, la France doit accentuer ses efforts pour rester dans la course et assurer sa souveraineté dans son espace maritime.
L'exploitation minière en haute mer offre d'importantes opportunités de développement, mais nombre de scientifiques et d'ONG nourrissent des craintes plus que légitimes. Il nous faut avant tout renforcer notre connaissance des profondeurs, préalable indispensable à l'élaboration d'un cadre d'exploitation respectueux de l'environnement. Ces raisons justifient le moratoire annoncé.
Quelle politique le Gouvernement souhaite-t-il mettre en oeuvre en matière d'exploration et d'exploitation des fonds marins ? Nous sommes parfois perdus entre les différentes déclarations du Président de la République...
Je souscris à la recommandation de nos collègues visant à temporiser sur la prospection et l'exploitation des ressources minières. Néanmoins, cette prudence ne doit pas être synonyme d'immobilisme dans la compétition mondiale. Nous devons structurer une base industrielle et technologique souveraine et compétitive, car d'autres puissances mondiales sont moins timorées.
Le pilotage de la politique sur les abysses doit gagner en visibilité. D'où notre proposition d'un ministère de la mer de plein exercice.
Il faut associer le Parlement et les outre-mer à tous les stades de cette politique. L'opposition ferme des habitants de Wallis-et-Futuna en 2010 et 2012 doit servir de leçon. Pour éviter les blocages, nous devons établir ensemble une stratégie maritime respectueuse des écosystèmes et acceptée des populations. (Applaudissements)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Le Président de la République a déclaré à Lisbonne qu'il fallait créer un cadre juridique pour stopper les activités minières en haute mer. La France s'engage uniquement, je le répète, sur la voie de l'exploration.
Nous devons convaincre nos partenaires de nous suivre. La France doit peser dans les instances internationales pour protéger les océans grâce à un cadre juridique strict.
Mme Micheline Jacques . - Nous ne pouvons parler de la mer sans parler des outre-mer : ils représentent 97 % de la ZEE française, équivalente à dix-sept fois le territoire terrestre de notre pays.
Alors que notre pays est une puissance maritime, on peine à croire que sa stratégie en la matière ne soit pas davantage affirmée. Le rapport de la mission d'information, d'une grande richesse, constitue un plaidoyer en faveur d'une stratégie ambitieuse. La séquence qui se poursuivra demain avec le débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale témoigne de la vigilance particulière du Sénat sur ces questions.
La volonté politique de l'État, dans sa continuité, n'est pas à la mesure du potentiel de la mer française. J'approuve la recommandation visant à nommer un ministre en charge de la mer, mais ce n'est pas tant le rang protocolaire qui compte que la volonté au sommet de l'État.
Le Parlement devra être pleinement associé à la sécurisation juridique des grands fonds marins. L'imprécision qui entoure leur exploitation dans le code minier fait naître un risque. Il s'agit de sécuriser ce patrimoine pour ne pas laisser se développer des initiatives d'autres pays.
Au moment où la délégation sénatoriale aux outre-mer rouvre ses travaux sur la différenciation territoriale, j'apprécie la place faite aux outre-mer dans les recommandations de la mission.
Nous devons adopter une logique d'anticipation en plaçant les territoires ultramarins au coeur de la politique des grands fonds marins. C'est depuis la terre qu'on conquiert la mer : les outre-mer sont ainsi des bases arrière, notamment pour la recherche scientifique.
Les représentants des collectivités ultramarines auditionnés ont unanimement déploré l'absence d'association à l'élaboration de la stratégie 2021. L'approche globale de nos collègues tient compte de la place des populations et de leur nécessaire adhésion pour assurer le succès d'une stratégie.
Notre ZEE recèle une richesse minérale exceptionnelle - les scientifiques ne relèvent pas moins de 27 métaux différents. Nos grands instituts de recherche nous valent de figurer dans le « top 10 » des grands pays océaniques. Soutenons la recherche, car elle est la clé de la maîtrise des profondeurs.
Nous devons également placer l'industrie au coeur de notre ambition. Les outre-mer devront bénéficier des fruits du développement des activités liées aux profondeurs maritimes qui les entourent.
Enfin, la coopération en matière maritime est incontournable, au niveau international et, pour une bonne intégration des outre-mer, régional. (Applaudissements)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Nous accordons une attention particulière aux outre-mer. Le ministre des outre-mer participe au Comité interministériel de la mer. Le Conseil de la mer et du littoral inclut des élus ultramarins. En outre, je propose d'intégrer tous les élus des outre-mer à la concertation qui préparera la stratégie 2023. La planification stratégique de la zone maritime française se fera territoire par territoire.
M. Joël Guerriau . - Les Français aiment la mer, mais ils la connaissent mal, disait Jacques Chirac. Le potentiel de la ZEE française et de ses fonds est immense, mais difficile à connaître. De précieuses ressources minières s'y trouvent.
Certains pays, notamment dans le Pacifique, s'intéressent à notre territoire marin. De récents sabotages nous rappellent l'importance stratégique des fonds marins.
La France doit investir dans sa technologie, notamment les drones, pour explorer ses fonds marins, pour en faire l'état des lieux, mais aussi pour mieux les contrôler.
Notre groupe est favorable au développement du rôle du Parlement, et au retour d'un ministère de la mer de plein d'exercice.
Cher Michel Canévet, lorsque nous défendions ensemble une Bretagne à cinq départements, nous voulions créer une vraie région maritime, avec deux grands ports, Brest et Nantes-Saint-Nazaire. La Bretagne est le berceau naturel de la politique maritime de la France. Nous n'avons pas été entendus, et nous déplorons aujourd'hui la perte d'influence de la France en matière maritime.
Il n'est pas réaliste d'imaginer qu'avec peu de moyens, nous pourrions rivaliser avec les États-Unis et la Chine. Mais notre pays doit être en mesure de garantir sa souveraineté sur l'ensemble de ses espaces. Il nous faut donc développer des partenariats avec des puissances qui partagent nos intérêts. Voyez l'accord militaire récent que nous avons noué avec Singapour. C'est une base utile pour d'autres partenariats. J'espère la construction d'un nouveau porte-avions, en renforçant les coopérations.
Nos partenaires européens ont des capacités d'ampleur. La Suède fabrique actuellement une coque de frégate de 7 000 tonnes, où les systèmes embarqués sont français.
Les fonds marins recèlent d'importantes sources de développement économique : ne manquons pas le coche. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDPI, et au banc de la commission)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Éric Tabarly disait que la mer, c'est ce que les Français ont dans le dos quand ils sont à la plage. Depuis, nous avons fait beaucoup de progrès ! Nous sensibilisons chacun à l'importance des fonds marins. Un secrétariat d'État à la mer auprès de la Première ministre permet de répondre aux enjeux évoqués : littoral, haute mer, volet militaire, développement économique, aménagement du territoire... Ainsi nous avançons très rapidement au quotidien, pour faire de la mer un objectif prioritaire.
Pour ce qui est de la maîtrise des fonds marins, et de la reconnaissance de leur importance stratégique, nous arrivons à converger, notamment en matière militaire et scientifique. Ce pôle interministériel est essentiel.
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) « Nous devons élaborer un cadre légal pour mettre un coup d'arrêt à l'exploitation minière des fonds en haute mer et ne pas autoriser de nouvelles activités qui mettraient en danger les écosystèmes ». Ce sont les termes exacts du Président de la République à Lisbonne. Voilà qui tranche avec l'ambiguïté antérieure, la stratégie brouillée, éparpillée entre la stratégie de 2015 sur l'exploration et l'exploitation minière, la stratégie militaire qui entend maîtriser les fonds marins, et les 310 millions d'euros de « France 2030 » où l'on s'enthousiasmait pour l'eldorado des fonds marins.
La déclaration de Lisbonne a donc surpris. Le discours du président de la République change-t-il la donne, qui était particulièrement inquiétante ?
La méconnaissance des fonds marins est immense. Les impacts de son exploitation sur la biodiversité seraient très graves. Enfin, la rentabilité économique n'est pas avérée, surtout comparée au potentiel de l'économie circulaire.
En juillet dernier, lors du conseil de l'AIFM sur la perspective d'un code minier, la France n'a pas su être ferme. Nous espérions que le moratoire serait prolongé.
Il semble que notre pays souhaite gagner du temps. Le Président de la République a évoqué la Conférence des Nations unies sur les océans de 2025. J'espère que nous irons dans le bon sens.
De nombreuses ambiguïtés appellent des clarifications. La France confirme-t-elle son opposition à l'adoption d'un code minier en 2023 ? Les licences d'exploitation seront-elles bien rejetées, sans meilleures connaissances ?
Comment la France oeuvre-t-elle, enfin, en faveur d'une réforme de l'AIFM ? Nous déplorons, en particulier, qu'elle autorise des tests d'extraction dans l'océan Pacifique, sans concertation aucune. (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes SER et CRCE, ainsi qu'au banc de la commission)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Je répondrai par l'affirmative à toutes vos questions, au point de vous dire que vous êtes prêts à rejoindre l'équipe gouvernementale ! (Sourires) Nous travaillons très activement à tous les enjeux que vous avez cités. Il n'y a aucune ambiguïté : nous voulons adopter un nouveau code minier et la France s'engage seulement sur l'exploration. Mais nous ne voulons pas laisser la haute mer aux mains d'acteurs privés. Dans les instances internationales, nous nous battons pour faire reconnaître un cadre légal contraignant au niveau mondial.
En 2022, la France a modifié son code minier pour pouvoir engager des activités d'exploration. Au niveau international, nous nous battons pour la réforme de l'AIFM.
M. Jacques Fernique. - J'entends vos réponses. J'aurais aimé la même clarté, plus tôt ! Comment souhaitez-vous réformer l'AIFM ? Pourriez-vous préciser votre position sur la règle des deux ans ?
Mme Nassimah Dindar . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Parler des grands fonds marins pour la France, c'est poser une question, alors qu'une vraie stratégie pour les fonds marins pourrait être une solution. Faux départs, gouvernance éclatée, tels sont les constats du rapport de Michel Canévet et Teva Rohrfritsch.
La France est la deuxième puissance maritime mondiale après les États-Unis. Quelque 97,5 % de notre ZEE sont liés à nos outre-mer, qui restent pourtant dans l'ombre. Le potentiel économique et géopolitique de nos îles Éparses est particulièrement important, grâce au canal du Mozambique le long des côtes africaines.
Les vingt recommandations du rapport d'information donnent un nouvel élan à la stratégie nationale. Elles vont dans le bon sens ; j'en retiendrai deux principales.
D'abord les écosystèmes à préserver : sur ce volet, nous avons beaucoup progressé dans nos îles Éparses, jusqu'à abattre 16 000 vaches à Saint-Paul et Amsterdam. Il est aussi question d'abattre les populations de rennes dans les Kerguelen. Nous pouvons continuer à gérer durablement ces territoires, sans devenir des ayatollahs de l'écologie.
Il faut allier présence humaine et préservation de l'environnement dans ces îles, qui restent des territoires d'expérimentation particulièrement pertinents.
La communication avec la population environnante reste primordiale. Nombreux sont les élus qui demandent une coordination sur la vision environnementale et économique des fonds marins, à La Réunion, à Mayotte et au niveau de la Commission de l'océan Indien (COI). La coopération régionale avec nos voisins, notamment Madagascar, est tout aussi importante. Sur les énergies marines, un centre de recherche de l'Ifremer est installé à La Réunion.
Les ressources de l'océan profond ne doivent pas faire l'objet de décisions en vase clos ; elles doivent être traitées de manière concertée et élargie.
Le rapport note aussi la nécessité d'acquérir des patrouilleurs de grands fonds. Je me félicite des six qui sont annoncés dont deux pour La Réunion, d'ici à 2025. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu'au banc de la commission)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Nous devons aller beaucoup plus loin sur la stratégie indo-océanique, sur le modèle du travail accompli pour l'Indo-Pacifique.
L'océan est un enjeu fondamental pour notre autonomie alimentaire ; une modernisation de la flotte est indispensable. Il faut aussi une déclinaison régionale de notre stratégie d'ensemble ; c'est pourquoi je vous propose de définir avec vous les contours d'une coopération régionale avec le Mozambique et la COI.
Nous entamerons ce travail dans le cadre du Conseil national de la mer et du littoral afin d'élaborer une stratégie nationale en 2023.
Mme Muriel Jourda . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.) L'importance des fonds marins a tout récemment été mise en évidence par les événements qui ont touché le gazoduc Nordstream. Les fonds marins sont le lieu du transport des hydrocarbures, de la circulation de 98 % des informations numériques, et recèlent des richesses en minerai et en métal considérables.
À cet égard, le premier obstacle est la faible connaissance de ces fonds, notamment en matière de biodiversité - nous n'en connaissons que 5 %. Les connaissances bathymétriques portent sur 2 à 5 % du plancher océanique ; au rythme actuel, il nous faudrait 3 500 ans pour l'appréhender en totalité.
Il faut donc des moyens, pour l'Ifremer, le CNRS, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), mais aussi les entreprises privées, qui manquent de visibilité politique. Vous nous avez assurés, monsieur le ministre, de l'implication du Président de la République ; mais la stratégie en matière de fonds marins relève de huit ministères, dont aucun n'a de véritable leadership. Il y a désormais un secrétariat général de la mer ; vous nous direz en quoi la nomination de Didier Lallement à ce poste est un signe positif. Enfin, comment le plan France 2030, le Conseil interministériel de la mer, la stratégie Fonds marins du ministère des armées s'articulent-ils ?
Quelque 97 % de notre ZEE se situent dans les territoires ultramarins. Or les élus n'ont pas été consultés sur ce qui se passait sur leur territoire, alors même que la mer a un statut sacré dans certaines populations. On ne peut pas travailler sans eux.
Il ne s'agit pas de trouver au fond de la mer des minerais dont nous manquerions : plus on en a besoin, plus on en trouve sur la terre ferme. L'enjeu, c'est la souveraineté sur des territoires et dans des domaines où nos compétiteurs sont de plus en plus nombreux et agressifs. Nous devons avoir la volonté de refaire de la France une grande puissance maritime. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, et sur le banc de la commission)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - En effet, nous devons continuer à faire de la France une puissance maritime, au-delà des enjeux liés à la simple délimitation.
La gouvernance est très claire. La mer est un espace, sur lequel plusieurs activités se déroulent simultanément, relevant de plusieurs ministères. La meilleure manière de refléter cette dimension interministérielle est de placer le secrétariat d'État à la mer auprès de la Première ministre. Le Conseil interministériel à la mer, présidé par celle-ci, fixe les grandes orientations. Votre serviteur coordonne tout ce qui relève de la mer au niveau politique, en lien avec les différents acteurs.
Le Conseil national de la mer et du littoral est le parlement de la mer, qui regroupe nombre de parties prenantes et assure une coordination, sous l'autorité du secrétariat d'État. Le secrétariat général de la mer assure, de son côté, une coordination administrative, et non politique.
Mme Muriel Jourda. - Je ne suis pas sûre que vos explications aient apporté beaucoup de clarté. Elles ont en tout cas montré qu'il y avait beaucoup d'acteurs impliqués !
M. Michel Dennemont . - À l'évocation de cette mission d'information, dont le travail est remarquable, j'ai pensé au film de Louis Malle, Le Monde du silence. Nous étions naïfs, en 1956, et découvrions une abondance jugée inépuisable. Nous avons déversé depuis nos déchets dans l'océan et l'avons pollué. Aujourd'hui sa place doit être à l'échelle de son rôle dans le climat.
Le président de la République l'a dit en février lors du sommet de Brest : « L'océan est la première victime de ce que nous n'avons pas su faire, ou mal fait, surexploitation, pollution, acidification qui l'ont mis en danger ».
Il est temps de préserver notre biodiversité et notamment la haute mer, hors des ZEE. Cet espace appartient à tous et ne doit pas être une zone de non droit.
Les discussions sont difficiles mais la ligne d'arrivée est visible ; elle est à portée de signature. Cependant, elle s'est évanouie le 26 août dernier, après des tractations difficiles devant les Nations Unies. Parmi les sujets les plus débattus, la répartition des bénéfices possibles issus de l'exploitation des ressources de la haute mer, où industries pharmaceutiques, chimiques et cosmétiques espèrent découvrir des molécules miraculeuses.
Une société canadienne testera dans la zone de Clipperton, avec un système de prototype de collecte de nodules. On remettrait en cause un puits de carbone et la pêcherie internationale.
Le temps presse. Il faut un cadre légal pour arrêter l'exploitation minière des grands fonds marins en haute mer, nous dit le président de la République.
Faisons entendre la voix de la protection de la biodiversité, de la lutte contre le changement climatique, alors que des intérêts privés s'engagent dans une course contre les fonds marins.
N'épuisons pas nos ressources. Le phénomène El Niño a entraîné le blanchissement massif des coraux. En tout, la planète a perdu 14 % de ses coraux entre 2009 et 2018.
L'océan constitue la principale source de protéines pour trois milliards d'êtres humains et fournit la moitié de notre oxygène.
Pour autant, nous avons besoin de connaissances. L'exploration satellite est inadaptée ; il faut une exploration plus fine. Nous devons poursuivre nos recherches en direction de cet horizon sans lumière, encore si nébuleux.
Le Gouvernement a constitué un comité de pilotage interministériel, dont la première réunion s'est tenue en février 2022. Des appels d'offres ont été lancés en collaboration avec les scientifiques. La dynamique est enclenchée. Quel est le but de ce comité ? Participe-t-il de la volonté de la France d'accroître ses connaissances sur les fonds marins ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi qu'au banc de la commission)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Oui, nous voulons faire naître les vocations de futurs scientifiques et explorateurs. J'ai réuni avec le ministre de l'industrie et la ministre de la recherche et de l'enseignement supérieur un comité de pilotage des grands fonds marins. Nous avons lancé un appel à projet de 25 millions d'euros pour financer des projets de recherche des fonds marins, par exemple en matière de traitement des données ou développer des outils autonomes, dont des logiciels.
Nous avons annoncé un programme d'équipement prioritaire de recherche, notamment des drones.
Nous voulons étudier aussi l'activité sismique du volcan de Mayotte.
Nous avons réuni tous les acteurs de cette belle mission et redit qu'il fallait donner les moyens à la France de rester une grande puissance scientifique. Le prochain comité se réunira début 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
Mme Angèle Préville . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'humanité a dépassé les limites de la capacité de charge de la planète et s'aventure toujours plus loin en territoire non durable, écrit dans Libération Jorgen Randers, l'un des auteurs du rapport Meadows sur « les limites de la croissance » qui, en 1972, s'alarmait déjà de la croissance exponentielle dans un monde fini.
Six des neuf limites planétaires ont déjà été dépassées. Allons-nous refaire les mêmes erreurs dans les grands fonds que sur terre ?
Coraux d'eau froide, crabes yéti, vers tubicoles, ou encore anémones transparentes sont des espèces endémiques uniques. Les abysses abritent de grandes découvertes.
Mais notre mode de vie consomme de nombreux métaux rares et autres ressources.
Face à ces deux enjeux contradictoires, préserver et produire, il faut sensibiliser la population. L'état actuel du monde montre bien la nécessité d'être indépendant. Or les fonds marins sont riches, principalement en nodules polymétalliques, encroûtements cobaltifères et amas sulfurés.
La gouvernance de l'AIFM doit être plus transparente. La mer doit être davantage protégée juridiquement.
La Norvège a autorisé l'exploitation des grands fonds marins, ce qui sera une nouvelle atteinte au vivant. Le milieu sera perturbé. Or l'océan produit plus de la moitié du dioxygène de l'air et piège le carbone. Le vivant est menacé par le réchauffement et les diverses pollutions. Ce qui est détruit en mer ne se reconstruit pas avant des dizaines d'années, les écosystèmes se régénèrent beaucoup plus lentement que sur terre !
Pour autant, la recherche française doit être encouragée. Il faut accroître les moyens de l'Ifremer et du CNRS. Face aux risques géopolitiques, nous devons maintenir et renforcer les capacités françaises dans les grands fonds.
Les fonds marins montrent la beauté du monde. Chaque prélèvement révèle des dizaines d'espèces nouvelles.
La France préservera-t-elle la haute mer ?
Merci à la mission pour le formidable travail accompli ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST, sur quelques travées du groupe CRCE et au banc de la commission ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - La sensibilisation des plus jeunes est importante. Il faut les attirer vers les métiers de la mer.
Dans le cadre de France 2030, nous avons financé une mission au milieu de l'Atlantique, avec des documentaristes, pour vulgariser les enjeux de la consommation du quotidien auprès des jeunes en montrant que les clics sur nos téléphones ont un impact direct sur la biodiversité.
M. Jean-Michel Houllegatte . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.) Les océans présentent des potentiels inégalés en matière alimentaire, minière ou économique. Certains pensent que notre vie en dépend. Aujourd'hui, les conflits terrestres trouvent une prolongation dans les fonds marins.
Une coordination stratégique est nécessaire, mais la question est bien de savoir si la France a une véritable ambition en la matière.
L'exposition « Miroirs du monde » actuellement présentée au musée du Luxembourg témoigne que la connaissance et la puissance ont dépendu de la maîtrise des mers et de l'organisation des circuits logistiques. C'est ce à quoi se sont attachés successivement les Portugais, les Hollandais, les Anglais et aujourd'hui les Chinois.
Notre identité maritime passe par la sensibilisation, l'éducation, la formation, la recherche et la création de pôles d'excellence. L'amorçage ne peut être que le fait de la commande publique. De nombreuses initiatives sont déjà à signaler de la part des villes et des régions, comme le cycle « Grands Océans » accueilli à Cherbourg.
Quelle est la feuille de route de la structuration d'une vraie filière ? La récente nomination du secrétaire général de la mer nous interroge.
La ruée vers l'or bleu se fait au détriment de la préservation des fonds marins. Le groupe SER soutient une initiative diplomatique en faveur d'un moratoire sur l'exploitation minière des fonds marins. Il faut mettre en place des sanctuaires des profondeurs, comme le propose l'étude de la Fondation de la mer sur les grands fonds marins parue en 2022. Il faudrait enfin réviser entièrement le financement de l'AIFM, assis sur l'exploitation, ce qui la met dans une position ambiguë.
Le Gouvernement juge-t-il nécessaire de réformer l'AIFM pour lui donner un vrai pouvoir de contrôle et de sanction ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Le secrétariat d'État a trois objectifs : protéger les océans et la biodiversité marine ; développer l'économie de la mer en la décarbonant ; prévoir un grand exercice de planification de l'espace maritime, afin de sanctuariser des espaces de grands fonds. Le Gouvernement y est évidemment favorable.
Nous sommes aussi favorables à la réforme de l'AIFM pour l'adapter aux nouvelles demandes, notamment pour protéger les fonds marins à l'échelle internationale.
M. François Bonhomme . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue le RDPI qui a eu l'initiative de ce débat. La place de la France sur la mer est essentielle dans sa stratégie de souveraineté et de puissance. La ZEE de la France est une source d'immenses richesses qu'il faut protéger.
La quasi-totalité de nos échanges et de la transmission des données internet emprunte la voie de la mer. Interrompre ces flux serait dramatique, il faut donc les sécuriser.
Les orientations stratégiques doivent servir à préserver notre rôle de puissance maritime mondiale. Or notre influence semble se réduire. Nous disposons d'immenses ressources, mais tous n'en ont pas conscience. Pourquoi se limiter à quelques experts ? Il faut un pilotage clair et élargi. La nomination d'un délégué aux fonds marins est une bonne chose, tout comme la création d'un ministère de la mer de plein exercice. Enfin, nous souscrivons à la désignation de parlementaires dans le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML).
Nous comptons sur vous pour disposer de toutes les connaissances scientifiques nécessaires avant d'envisager toute exploration. Pour éviter de procrastiner, écoutez le Sénat. Les échos du Pacifique nous inquiètent : les manoeuvres de la Chine et l'implication des États-Unis sont de moins en moins feutrées.
J'espère que nous saurons donner un nouveau départ à la stratégie nationale pour l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Joël Bigot applaudit également.)
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Ma présence ici montre que le Gouvernement écoute. Il fera siennes un certain nombre de vos propositions : implication des élus, objectif de sanctuarisation, mise en cohérence des stratégies.
J'ai relancé la semaine dernière le CNML, car c'est le lieu de la concertation. Je veux en faire le lieu où tous les acteurs discutent. Je suis à la disposition du Parlement pour la déclinaison de la stratégie territoire par territoire, et naturellement pour le débat sur les moyens du CNRS, de l'Ifremer et de notre flotte dans le cadre de la loi de finances.
J'ai proposé un coordinateur à la planification des grands fonds marins pour travailler avec tous les ministères et décliner en actions concrètes les demandes du Parlement.
M. le président. - Monsieur le ministre, vous avez à nouveau la parole pour conclure ce débat.
M. Hervé Berville, secrétaire d'État . - Je vous remercie pour ces échanges nourris. L'enjeu est passionnant. Les mers et océans couvrent 71 % de la surface planétaire, et les grands fonds - de 200 à 6 000 mètres de profondeur - 65 %.
L'objectif du Président de la République est de tout faire pour protéger les océans, et faire de la France une puissance maritime exemplaire.
Être une grande puissance maritime comporte une dimension militaire et économique, mais aussi scientifique. La connaissance des grands fonds marins est essentielle pour en mesurer le potentiel et in fine les protéger.
Le Comité interministériel de la mer de janvier 2021 a fait de l'exploration scientifique des fonds marins sa priorité. La gouvernance retenue, sous l'autorité de la Première ministre, prend en compte la dimension interministérielle de ces questions.
Les priorités définies seront mises en oeuvre dans le cadre du CNML, véritable parlement de la mer qui réunira les élus, les associations, les ONG et les services de l'État. Il sera le lieu de construction de la stratégie à venir, et de la prise en compte des territoires. Je nommerai un délégué pour prendre en compte l'ensemble de ces perspectives.
Il nous faut enfin soutenir la recherche française. Ce sujet est porté au plus haut niveau par le Président de la République et la Première ministre.
Toute notre attention et tous nos financements doivent se concentrer sur l'exploration. Celle du volcan de Mayotte sera mise en oeuvre par l'Ifremer grâce à ces moyens, avec un planeur sous-marin.
Notre stratégie doit devenir multilatérale. Nous voulons convaincre nos partenaires, sous l'égide de l'AIFM.
Cette ambition scientifique est collective. Nous voulons faire de la France un leader de l'exploration des fonds sous-marins.
Je souhaite conclure par ces très beaux vers : « Ils regardaient monter en un ciel ignoré / Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles. » Vive la mer et vive la France ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et du RDSE)
M. Michel Canévet, président de la mission d'information . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie les orateurs qui ont su mettre en lumière les axes de la mission d'information, et notamment le rapporteur.
Nous avons auditionné plus de soixante experts, mais la dimension politique des fonds marins est essentielle. Cela doit nous conduire à continuer à investir pour mieux connaître nos fonds marins. Il faut des moyens pour la recherche mais aussi pour renouveler notre flotte océanique. L'Ifremer a toujours été reconnue, continuons à lui donner les moyens adéquats. Le Nautile reste un outil très important.
L'enveloppe de 322 millions d'euros prévue par le plan France 2030 doit être utilisée pour mettre l'accent sur la commande publique ; c'est ainsi que la Norvège a su développer un réseau industriel efficace.
L'exploration des fonds marins ne relève plus de la science-fiction. Une entreprise canadienne a ainsi obtenu une autorisation d'exploration des nodules polymétalliques dans la zone de Clarion-Clipperton. L'AIFM doit être consolidée à travers une modification de son financement.
La guerre des fonds marins, dont nous avons vu de récents développements en mer Baltique, appelle une protection très forte afin de répondre aux enjeux énergétiques, de télécommunications et de biodiversité. La France doit y prendre toute sa part. (Applaudissements)
Prochaine séance demain, mercredi 5 octobre 2022, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 25.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 5 octobre 2022
Séance publique
À 15 heures, à 16 h 30 et le soir
Présidence : M. Gérard Larcher, président M. Alain Richard, vice-président Mme Laurence Rossignol, vice-présidenteM. Pierre Laurent, vice-président
Secrétaires : Mme Victoire Jasmin - M. Pierre Cuypers
1. Questions d'actualité au Gouvernement
2. Débat d'actualité sur le thème « Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l'homme en Iran »
3. Débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale (demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer)
4. Proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, présentée par Mme Nathalie Goulet (texte de la commission, n° 902, 2021-2022) (demande du Gouvernement)
5. Débat sur les conclusions du rapport « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique » (demande de la commission des affaires économiques)