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Table des matières
Revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État, chargé des retraites et de la santé au travail
Reconnaissance d'un État palestinien aux côtés d'Israël
M. Pierre Laurent, auteur de la proposition de résolution
Missions d'information (Nominations)
Modification de l'ordre du jour
Commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961
M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi
Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État, chargée de l'éducation prioritaire
Nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse
Mme Martine Filleul, auteure de la proposition de loi
Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la commission des lois
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement
Ordre du jour du mardi 14 décembre 2021
SÉANCE
du jeudi 9 décembre 2021
34e séance de la session ordinaire 2021-2022
présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président
Secrétaires : Mme Jacqueline Eustache-Brinio, Mme Martine Filleul.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Discussion générale
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État, chargé des retraites et de la santé au travail . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Cette proposition de loi témoigne de la priorité accordée par le Gouvernement et le Parlement aux petites retraites.
J'adresse un salut républicain à son auteur, André Chassaigne, et remercie le groupe CRCE de l'avoir inscrit à son ordre du jour. Je salue également Julien Denormandie, très investi sur ce sujet.
Cette proposition de loi est le reflet d'un consensus républicain en faveur de la revalorisation des retraites agricoles. À l'été 2020, une première loi a porté la garantie de pension des chefs d'exploitation à 85 % du SMIC agricole.
Le présent texte, adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 17 juin, est équilibré.
Il répond au principe d'équité. L'article premier, tel que réécrit sur proposition du Gouvernement, crée un minimum de pension unifié au régime de base des non-salariés agricoles, sans distinction selon le statut - chef d'exploitation ou conjoint collaborateur.
Il respecte aussi le principe de contributivité, raison pour laquelle nous ne souhaitons pas rétablir l'article 2. Il est légitime qu'un exploitant agricole, qui a davantage cotisé, ait une retraite complémentaire supérieure.
Dans un système par répartition, la faiblesse des cotisations de certaines professions engendre mécaniquement des pensions faibles. D'où l'intérêt de l'article 3, qui limite à cinq ans la durée du statut de conjoint collaborateur pour inciter au travail sous des formes plus créatrices de droits sociaux. Il est important de reconnaître le travail de chacun à sa juste valeur. Nous dupliquerons cette approche pour les artisans et commerçants.
Le troisième principe est celui de la responsabilité. Les droits gratuits n'existent pas. Il y a toujours un financeur : quand la solidarité nationale est en jeu, c'est le contribuable. La gratuité est légitime face aux aléas de la vie mais ne saurait être le principe général de financement des retraites. Si nous ne souhaitons pas augmenter les cotisations, il nous faudra à terme repenser le financement de notre protection sociale pour en assurer la pérennité - mais ce n'est pas le débat du jour.
Mme Céline Brulin. - Pas du tout.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Je me réjouis que votre commission ne soit pas revenue sur le texte adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
La capacité opérationnelle de la Mutualité sociale agricole (MSA) à verser les pensions au titre du mois de janvier 2022 pose question. Nous devrons rapidement publier les textes d'application et engager un lourd travail technique ; les services sont à pied d'oeuvre. J'assurerai un suivi rapproché de ce travail. Les droits ouverts le seront bien au titre des périodes courant à partir du 1er janvier 2022.
Heureuse coïncidence du calendrier, c'est aujourd'hui qu'entre en vigueur la revalorisation à 85 % du SMIC des pensions des chefs d'exploitation adoptée en juillet 2020 : pour plus de 200 000 agriculteurs, c'est une revalorisation de 102 euros en moyenne. Je serai demain en Haute-Saône pour rencontrer les bénéficiaires.
Comme le dit souvent André Chassaigne, nous sommes tous des descendants d'agriculteurs. Cette première proposition de loi est une avancée transpartisane majeure en faveur de ceux qui nous nourrissent.
Le présent texte permettra une revalorisation pour les conjoints collaborateurs - très majoritairement des femmes. Les pensions de plus de 200 000 retraitées seront revalorisées de 100 euros par mois en moyenne.
Le problème des petites pensions concerne de nombreux métiers, comme l'a montré le rapport des députés Nicolas Turquois et Lionel Causse. C'est le résultat de carrières discontinues et de faibles cotisations, notamment chez les femmes salariées à temps partiel.
Le Président de la République a rappelé l'objectif d'une pension de 1 000 euros par mois pour une carrière complète.
Soyons fiers de voter une avancée significative, sans perdre de vue l'ambition plus large d'un travail rémunérateur et créateur de droits pour tous. Les Françaises et Français attendent une retraite digne. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme la rapporteure de la commission des affaires sociales applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly , rapporteure de la commission des affaires sociales. - Il y a un an et demi, nous adoptions la loi Chassaigne, devenue loi du 3 juillet 2020, qui porte la retraite des exploitants agricoles à 85 % du SMIC pour une carrière complète, soit 1 035 euros par mois.
Nous examinons aujourd'hui une nouvelle proposition de loi due à André Chassaigne - dont je salue la détermination.
Cet examen est bien tardif : le Gouvernement n'ayant pas souhaité en demander l'inscription à l'ordre du jour du Sénat, nous examinons ce texte dans le cadre de notre espace réservé. Si nous voulons une revalorisation des pensions dès le 1er janvier, nous devons renoncer à poursuivre la navette.
Je vous proposerai donc de nous contenter des mesures ayant fait consensus à l'Assemblée nationale, même si le groupe CRCE n'exclut pas d'y revenir à l'avenir.
Dans le monde agricole, de nombreux membres de la famille travaillent dans l'exploitation sans rémunération.
Jusqu'en 1999, le conjoint d'un exploitant agricole était présumé participer à l'exploitation. Les garanties de protection sociale étaient particulièrement limitées, notamment en matière d'assurance vieillesse. En 1999 était créé le statut de conjoint collaborateur : les conjoints concernés, à 78 % des femmes, bénéficient d'une pension en contrepartie du versement de faibles cotisations par le chef d'exploitation. Le statut de conjoint participant aux travaux disparaît en 2009.
Les statuts de conjoint collaborateur et celui d'aide familial, qui concerne les membres de la famille de plus de 16 ans, contribuent à la reconnaissance du travail réalisé. Mais ils sont devenus des trappes à faible pension. En effet, les cotisations sont fixées forfaitairement sur des assiettes extrêmement faibles. Cela a une conséquence sur le niveau des pensions servies. Les femmes mono-pensionnées ayant effectué une carrière complète comme conjoint collaborateur perçoivent 570 euros par mois en moyenne ; 1 017 euros pour les poly-pensionnées.
Le statut de conjoint collaborateur est d'ailleurs en déclin. Les conjoints collaborateurs et aides familiaux n'ont pas accès à la garantie de pension à 85 % du SMIC dont bénéficient les chefs d'exploitation. Cette différence de traitement, fondée sur le différentiel de cotisations, n'est plus justifiée au regard de l'objectif de lutte contre la pauvreté. D'autant que le minimum contributif, ou MiCo, servi par le régime général ne varie pas selon la rémunération antérieure.
Le non-recours à l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) concernerait 30 à 50 % des bénéficiaires potentiels, plus sans doute dans le monde agricole. Les modalités de la récupération sur succession sont en effet mal connues : exclusion des actifs nets successoraux inférieurs à 39 000 euros dans l'Hexagone et 100 000 euros outre-mer, du capital agricole et des bâtiments indissociables, plafonnement annuel.
Cette proposition de loi apporte des solutions concrètes. Elle concernera, en 2022, 214 000 pensionnés, dont 67 % de femmes, et augmentera de 100 euros par mois en moyenne la pension des 70 000 femmes ayant accompli toute leur carrière comme conjoint collaborateur.
La majoration de la pension de référence des conjoints collaborateurs et des aides familiaux est alignée sur celle des chefs d'exploitation, soit 699 euros contre 555 ; cette seule mesure, qui concerne autant le stock que le flux de pensionnés, bénéficiera à 175 000 personnes, pour un gain moyen de 62 euros par mois, et de 75 euros pour les femmes.
Le Gouvernement s'est engagé à l'Assemblée nationale à l'aligner sur le MiCo majoré, soit 705 euros par mois.
Enfin, le seuil d'écrêtement de la pension majorée de référence serait fixé au niveau de l'ASPA, soit 907 euros par mois, ce qui bénéficierait à 43 000 personnes.
La possibilité d'exercer sous le statut de conjoint collaborateur serait limitée à cinq ans, comme c'est le cas pour les aides familiaux depuis 2005, afin d'orienter les intéressés vers une activité rémunératrice.
André Chassaigne proposait de financer cette proposition de loi par une taxe additionnelle de 0,1 % à la taxe sur les transactions financières, qui aurait dégagé 450 millions d'euros de recettes. L'Assemblée nationale l'a refusé. Or le coût de la revalorisation générera un déficit de 94 millions d'euros en 2022...
Malgré les lacunes du texte, il faut le mettre en oeuvre sans plus tarder. La commission vous propose de l'adopter conforme. Rendons aux agriculteurs l'hommage qu'ils méritent. (Applaudissements)
Mme Cécile Cukierman . - Grâce à la loi Chassaigne 1, 230 000 actuels et futurs retraités agricoles ont vu leur pension passer de 914 à 1 036 euros nets par mois pour une carrière complète.
Les conjoints collaborateurs restaient néanmoins un angle mort. André Chassaigne a donc remis l'ouvrage sur le métier.
Après avoir travaillé avec les organisations syndicales agricoles, l'Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi à l'unanimité le 17 juin dernier, avec le soutien du Gouvernement.
Si la retraite minimum des exploitants est de 700 euros par mois pour une carrière complète, elle n'est que de 555,50 euros pour les conjoints collaborateurs et aides familiaux.
Il s'agit pour l'essentiel de femmes ; elles touchent 604 euros en moyenne si elles ont validé 150 trimestres, moitié moins dans le cas contraire.
La pension des femmes d'agriculteurs est plus de deux fois plus faible que la moyenne, selon le rapport d'information de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Sans compter que 5 000 à 6 000 d'entre elles travaillent sans aucun statut.
Nous regrettons que les députés LREM aient supprimé la création d'une taxe de 0,1 % sur les transactions financières pour financer cette revalorisation, mais nous nous réjouissons tout de même de cette proposition de loi et des bonnes dispositions du Gouvernement à son égard. Ce n'était pas le cas pour la loi Chassaigne 1, contre laquelle il avait tout tenté.
J'invite chacun à soutenir ce texte de justice sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; MM. Daniel Chasseing et Alain Duffourg applaudissent également.)
Mme Nadia Sollogoub . - Arrivée au Sénat en 2017, je m'étais promis de ne pas déposer de proposition de loi, jugeant les lois trop nombreuses et trop bavardes. Mais une amie, femme de paysan, m'a appelée un jour en pleurs, me confiant : « Avec 500 euros par mois de pension, je ne m'en sors pas. » Elle a travaillé dur toute sa vie, aux côtés de son époux. Et j'ai déposé une proposition de loi.
C'était sans savoir qu'André Chassaigne, infatigable chantre du monde rural, avait eu le même déclic. Comment accepter qu'après une vie de labeur éreintante, la retraite soit aussi minuscule ?
Il faut agir. Le dossier des retraites agricoles a avancé grâce à la première loi Chassaigne, mais les conjoints collaborateurs et aides familiaux étaient oubliés. Les conjoints, essentiellement des femmes, ont partagé le même quotidien. Peuvent-elles rester invisibles ?
Cette proposition de loi permet, par un exercice de haute voltige, d'augmenter la pension de 100 euros par mois en moyenne. Le groupe UC la votera conforme et sans réserve.
Le moment est bien choisi - non par rapport au calendrier électoral, mais par rapport à la relance. Quand on perçoit 500 euros par mois, chaque euro supplémentaire va chez les commerçants et artisans locaux et sert la relance de proximité. De la même façon qu'un euro de subvention aux communes rurales est un euro investi.
Il faudra aller plus loin : la retraite ne doit pas être une variable d'ajustement. Les anciens agriculteurs ne doivent plus se retrouver dans de telles situations ! Il faudra lutter contre le non-recours à l'ASPA.
Monsieur le ministre, le sujet des petites retraites doit certes être traité globalement, mais saluons le pas qui est fait aujourd'hui.
Nous sommes tous descendants d'agriculteurs - mais nous pouvons aussi être femmes d'agriculteur.
Paulo Coelho a dit : « Personne ne peut retourner en arrière, mais tout le monde peut aller de l'avant ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC, CRCE, INDEP et du RDSE ; M. Jean-Luc Fichet applaudit également.)
Mme Nathalie Delattre . - Le RDSE partage la volonté d'André Chassaigne et du CRCE de revaloriser les petites retraites agricoles, qui sont parmi les plus faibles.
Au sein du régime des non-salariés agricoles, les conjoints et aides familiaux touchent moins que le minimum vieillesse : en moyenne, 570 euros par mois pour les conjoints - le plus souvent conjointes - pour une carrière complète, encore moins pour les autres.
Si leur protection sociale s'est améliorée depuis 1999, l'article 3 limitant à cinq ans l'exercice du statut de conjoint collaborateur leur ouvrira de nouvelles perspectives.
Deux anciens membres du RDSE avaient déposé en 1998 une proposition de loi allant dans le même sens.
L'article premier, qui supprime la prise en compte du statut professionnel pour le calcul du montant de la pension de base minimale, apportera davantage d'équité pour les 175 000 bénéficiaires. Nous regrettons toutefois la suppression de l'article 2, qui étendait aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux la garantie d'un revenu minimal de 85 % du SMIC accordée aux chefs d'exploitation. C'était certes coûteux, mais M. Chassaigne proposait des pistes de financement...
En parallèle, nous devons poursuivre le travail de sécurisation des revenus agricoles, qui déterminent les pensions de demain.
Le RDSE votera ce texte à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes CRCE, INDEP et UC)
M. Jean-Luc Fichet . - Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée de la loi Touraine du 20 janvier 2014 et de la première loi Chassaigne. Cette dernière est en vigueur depuis le 1er novembre dernier. C'est heureux - mais elle aurait pu l'être depuis trois ans si le Gouvernement n'avait pas recouru au Sénat au vote bloqué pour empêcher une adoption conforme !
M. Laurent Duplomb. - Tout à fait !
M. Jean-Luc Fichet. - Nombre de conjointes collaboratrices - car ce sont en majorité des femmes - touchent moins de 600 euros de pension par mois.
L'article premier établit un montant unique de pension majorée de référence (PMR), quel que soit le statut de l'assuré non-salarié agricole, complété par un relèvement du seuil d'écrêtement au niveau de l'ASPA. Plus de 200 000 personnes bénéficieront de ces mesures qui représentent une revalorisation de 100 euros par mois en moyenne pour une carrière complète.
Nous regrettons toutefois que la majorité de l'Assemblée nationale ait rejeté l'article 2 qui étendait aux conjoints collaborateurs et aides familiaux la garantie de revenu à 85 % du SMIC.
L'article premier bis lutte contre le non-recours à l'ASPA en imposant une information obligatoire à destination des bénéficiaires potentiels. Ce non-recours pourrait en effet tenir au décalage entre l'âge de départ à la retraite, à 62 ans, et celui d'éligibilité à l'allocation, à 65 ans.
Je me félicite que l'article 3 limite à cinq ans le statut de conjoint collaborateur pour inciter à aller vers un statut plus protecteur, comme celui de co-exploitant ou de salarié.
L'article 3 bis, introduit à l'Assemblée nationale à l'initiative d'André Chassaigne, prévoit un rapport sur les obligations déclaratives des chefs d'exploitation et sur les conjoints non déclarés.
Tout en regrettant la suppression de l'article 2, le groupe SER votera ce texte conforme, car il est urgent d'amorcer une réforme. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE, RDSE et UC ; M. Laurent Duplomb applaudit également.)
M. Martin Lévrier . - Par passion, les agriculteurs nourrissent notre pays, malgré une rémunération faible.
Je salue les 948 exploitations des Yvelines, qui évoluent afin de préserver la filière. Leur présence est déterminante pour notre équilibre alimentaire.
La majorité des syndicats d'agriculteurs souhaitaient la réforme universelle des retraites. (On le conteste à gauche.) Hélas, la pandémie a contraint le Président de la République à la reporter... (Murmures divers)
La revalorisation des pensions agricoles ne pouvait plus attendre. Ce texte complète l'avancée permise par la loi du 3 juillet 2020, dite loi Chassaigne. Adoptée avec le soutien du Gouvernement, elle concerne 227 000 chefs d'exploitation qui voient leur pension minimale portée à 1 035 euros par mois.
Le présent texte améliore la retraite des conjoints collaborateurs et aides familiaux. Il s'inscrit pleinement dans le cadre des travaux conduits par le Gouvernement et du rapport Causse-Turquois.
Son article premier rapproche la PMR du MiCo du régime général. C'est un gain moyen de 62 euros par mois - et même de 75 euros par mois pour les femmes.
L'article premier bis renforce l'information des assurés sur les conditions de la récupération sur succession de l'ASPA, première cause de non-recours.
L'article 3 limite à cinq ans la possibilité d'exercer comme conjoint collaborateur pour orienter les intéressés vers une activité rémunératrice.
L'article 3 bis, enfin, clarifie les obligations de déclaration des conjoints collaborateurs ainsi que les conséquences d'une éventuelle non-déclaration.
Le Gouvernement est attaché aux trois principes d'équité, de contributivité et de responsabilité - il faut assurer un financement pérenne de notre protection sociale.
Notre groupe votera le texte conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. Daniel Chasseing . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Je félicite le groupe CRCE d'avoir porté cette proposition de loi.
Le discours d'Aurillac de Georges Pompidou en 1967 résumait tout l'enjeu en matière agricole : « répondre aux besoins de la France et de l'Europe de demain et assurer en même temps à nos agriculteurs un niveau de vie convenable ».
Nos agriculteurs ont sauvegardé notre souveraineté alimentaire pendant la pandémie. Après une vie de labeur intense, leur retraite doit être digne.
Je salue le député André Chassaigne pour son engagement constant. Sa proposition de loi apporte une solution à un problème identifié de longue date.
Le sort des conjoints collaborateurs et aides familiales est particulier, de par leur statut et leur rôle, crucial, au sein des exploitations. Leur précarité est inacceptable. Les femmes représentent 78 % des bénéficiaires des pensions de conjoint collaborateur qui s'élèvent à 500 euros par mois en moyenne.
J'aurais souhaité qu'on leur étende le complément différentiel de points de retraite complémentaire (CDRCO) afin de porter leur pension à 85 % du SMIC, comme les chefs d'exploitation.
Mais la solution trouvée est malgré tout une avancée. La faiblesse des cotisations n'a pas d'autre source que le manque de moyens des exploitants. La limitation à cinq ans de la durée du statut de conjoint collaborateur est bienvenue.
Ce texte est une avancée du point de vue de la justice sociale. Ceux qui ont travaillé sept jours sur sept pour nous nourrir doivent pouvoir se nourrir eux-mêmes. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, CRCE, RDSE et UC ; Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)
Mme Kristina Pluchet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce sujet me tient particulièrement à coeur. Les pensions agricoles sont le fruit d'un compromis de l'après-guerre : offrir une retraite à une profession encore très nombreuse, sans imposer des cotisations trop lourdes. À l'époque, on ne savait pas que les revenus agricoles fluctueraient à ce point, que la vente des exploitations, censée compléter la retraite, se compliquerait.
Pour le conjoint et les enfants, aucune cotisation, donc aucun droit. Leur travail n'était pas reconnu. Ce n'est qu'en 1999 qu'ils bénéficieront d'un statut légal, puis, en 2011, d'une retraite complémentaire. Mais les cotisations étant faibles, le montant moyen des retraites est inférieur au seuil de pauvreté : 9 400 euros par an pour une carrière complète, 8 900 euros pour les femmes.
Les 125 000 conjoints collaborateurs, les 204 000 aides familiaux et les 390 000 veufs et veuves ne se sont jamais plaints. Pourquoi avoir différé si longtemps cette nécessaire revalorisation, alors que nous consentions des efforts non négligeables pour d'autres catégories ?
Il a fallu attendre trois ans et demi pour que la première loi Chassaigne soit enfin votée, en juin 2020, pour une entrée en vigueur en novembre 2021. Je ne suis pas dupe de ce calendrier, comme de celui de la présente proposition de loi. Soit.
Je regrette l'abandon, à l'Assemblée nationale, de certains éléments du texte initial.
Je salue cependant la limitation à cinq ans du statut de conjoint collaborateur, pour sortir d'une logique de couple porteuse de risques.
Nous devons aller plus loin, réfléchir à nouvel équilibre en rapport avec l'actuelle démographie de la profession et les prix de cessions des exploitations. Agir pour les retraites agricoles permettrait de relancer l'attractivité du métier et de baisser le coût de rachat des fermes.
En responsabilité, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et CRCE)
M. Daniel Salmon . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce nouveau texte, dont la portée a hélas été réduite, améliore la situation des anciens conjoints collaborateurs et aides familiaux.
C'est un signe de respect et de compréhension pour l'urgence de la situation. Merci au CRCE d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour.
La pension moyenne est de 307 euros par mois - une misère, au regard du travail accompli. L'article premier entraînera une revalorisation moyenne de 62 euros, de 106 euros pour les 25 % les plus pauvres et de 144 euros pour les 5 % les plus précaires.
Nous regrettons toutefois que la garantie d'une pension à 85 % du SMIC pour les conjoints collaborateurs, inscrite dans la proposition de loi initiale, ait été supprimée.
L'article 3 limite le statut de conjoint collaborateur à cinq ans. Nous comprenons la stratégie visant à en finir avec des sous-statuts, mais nombre d'exploitations ne peuvent s'en passer. Nous avons donc cinq ans pour revaloriser les revenus agricoles.
À ce titre, la PAC, qui assure encore 47 % des revenus des agriculteurs français, est centrale. Hélas, la vision libérale perdure. Si nous souhaitons des prix rémunérateurs pour les producteurs, il faut des outils pour réguler le marché.
Les droits annuels doivent être indexés sur le SMIC horaire et non sur les prix. Autant de pistes pour un troisième texte...
Souhaitant une mise en oeuvre rapide, le GEST votera ce texte conforme. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE ; MM. Jean-Claude Tissot et Henri Cabanel applaudissent également.)
M. Laurent Duplomb . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Merci à André Chassaigne de n'avoir jamais lâché sur les petites retraites agricoles - elles le sont toutes... Le mérite de ce texte est de reconnaître une injustice et de la corriger.
Je veux vous raconter une histoire vraie : celle de la grand-mère de mon épouse, née en 1920, Juliette Ampihlac née Fuzet.
Les agriculteurs à cette époque n'avaient ni eau ni électricité ni salle de bains, ils travaillaient tous les jours, commençant tôt le matin, dès le plus jeune âge. Dans l'exploitation, il y avait dix vaches et dix veaux, et quelques hectares cultivés... à la force des bras.
Elle tricotait des gants pour arrondir les fins de mois de ses parents. Elle devint « fillade », comme on dit chez nous de la belle-fille de la famille, et vécut avec ses beaux-parents plus de 27 ans. Elle les accompagna dans la vieillesse et jusqu'à leur disparition. On veillait alors les morts pendant trois nuits, en récitant des « Notre Père » et des « Je vous salue Marie » - pardonnez-moi... (Sourires)
Toute sa vie, elle s'est levée à 6 heures du matin, jours fériés inclus. Elle descendait à vélo au Puy-en-Velay, à 25 kilomètres, pour vendre le beurre un peu plus cher.
Toute sa vie, elle a accepté la douleur sans jamais se plaindre - comme lorsqu'elle fut mordue par une vipère en chargeant du foin dans un char.
Toute sa vie, elle a trimé. Pour laver le linge, elle savait que l'hiver, l'eau est moins froide là où elle court moins vite. À 75 ans, elle labourait encore, mais sur un tracteur moderne à quatre socs !
Elle a touché à partir de 1985 une retraite de 400 et quelques euros mensuels, et a fini sa vie avec 555 euros en 2011. Elle aura beaucoup travaillé mais ne se sera jamais plainte. Son travail et ses douleurs auraient mérité d'être reconnus.
Pour elle, la reconnaissance vient trop tard. Le nombre de personnes concernées va sans cesse diminuer. Je regrette qu'on se serve de cette proposition de loi pour faire de la communication alors qu'aucun financement n'est encore alloué.
Juliette aurait aimé qu'on lui dise que ses efforts n'auront pas été vains... (Marques d'émotion et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, CRCE, UC et INDEP)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Je confirme l'engagement du Gouvernement à augmenter la pension minimale de référence (PMR) au niveau du minimum contributif (MiCo) majoré par décret au 1er janvier 2022, soit 713 euros.
Madame Sollogoub, cette proposition de loi se traduira par 214 000 hausses de pension, dont les deux tiers pour des femmes. Le gain moyen est de 64 euros, mais de 85 euros pour les femmes.
Celles qui ont été conjointes collaboratrices toute leur vie auront 100 euros supplémentaires par mois. Cela concerne 70 000 femmes.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. François Bonhomme . - Il était plus que temps de corriger une situation insupportable pour ceux qui ont oeuvré dans l'ombre, sans bruit, à l'agriculture de notre pays - dont des femmes, conjointes collaboratrices ou aides familiales, recevant moins de 1 000 euros par mois. Je me réjouis de cette proposition de loi, qui augmente le montant de leurs pensions.
Cette revalorisation est de bon sens. Mais il faudra garantir les recettes dans les prochains projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. La reconnaissance est tardive et insuffisante.
M. Franck Menonville . - Cette proposition de loi est utile. Nous saluons l'engagement d'André Chassaigne et cette mesure de justice sociale. La revalorisation était nécessaire. Les agriculteurs et leurs conjoints assurent notre souveraineté alimentaire.
Nous vivons un moment important. Nous voterons cette proposition de loi et cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
L'article premier est adopté, ainsi que les articles premier bis, 3 et 3 bis.
Interventions sur l'ensemble
M. Alain Duffourg . - Nous aurions dû assurer une retraite décente aux agriculteurs depuis longtemps.
J'ai été sollicité dans le Gers par les organisations syndicales agricoles qui demandaient une augmentation substantielle des retraites.
Il aurait été opportun de porter la pension à 1 200 euros pour les exploitants, à 1 000 euros pour les conjoints collaborateurs. Mais il faut penser globalement, en gardant à l'esprit notamment l'équité avec la situation des artisans et commerçants. Je comprends qu'il était compliqué sur le plan fiscal et financier de satisfaire ma demande.
Cette proposition de loi est une avancée et nous nous réjouissons à l'idée que tous les groupes la votent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE et au banc de la commission)
M. René-Paul Savary . - Le groupe Les Républicains soutient la proposition de loi. Je remercie Cathy Apourceau-Poly pour sa pugnacité.
Le ministre parle d'équité, de contributivité, de responsabilité. L'équité n'est pas l'égalité. Ce qui est ici proposé, ce n'est pas le système universel de retraites...
La contributivité ? Je rappelle qu'un système par points est plus contributif qu'un système par annuités, puisque la prestation dépend de la cotisation.
Où est alors la solidarité ?
Enfin, la responsabilité, c'est d'assurer le financement de la revalorisation. Or c'est la MSA qui va s'endetter : la solidarité est agricole et non nationale. Et l'on continue à financer par la dette un système par répartition... Cela ne peut pas durer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Duffourg applaudit également.)
Mme Monique Lubin . - Les femmes agricultrices ont beaucoup travaillé mais à une époque où l'on n'estimait pas nécessaire de les rémunérer ni de les faire cotiser.
Le ministre a évoqué le bénéfice de la revalorisation « pour le couple ». Pour nous, la question ne concerne pas « le couple » mais les femmes, conjointes collaboratrices.
Tout le monde se félicite de voir aboutir cette proposition de loi. Mais je salue la persévérance du groupe CRCE car en première moitié du quinquennat, André Chassaigne et nos collègues ne rencontraient qu'adversité auprès du Gouvernement.
Attention aux tiers statuts que nous créons. Ce sont des emplois précaires. Que notre vote de ce jour nous serve de leçon, sinon, dans trente ou quarante ans, nous devrons faire de même pour les pensions des travailleurs des plateformes, par exemple. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes SER et CRCE ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Laurence Cohen. - Très bien !
Mme Cécile Cukierman . - André Chassaigne souhaitait être présent dans les tribunes mais est retenu à Thiers.
Cette discussion illustre l'importance de l'initiative parlementaire et du travail commun, au-delà des sensibilités divergentes. Les agricultrices pourront mieux vivre demain grâce à ce texte.
Ayons une pensée pour celles et ceux qui perçoivent des retraites indignes. Oui il faut une réforme, monsieur le ministre - mais pas la vôtre !
Nombre d'emplois - travailleurs des plateformes, aides-soignants - offrent des rémunérations trop basses. On ne pourra en rester là.
Je remercie tous les groupes qui voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Henri Cabanel . - Je me réjouis de cette unanimité, mais le sujet ne date pas d'hier. (Mme la rapporteure approuve.) Or les exécutifs successifs n'ont pas tous travaillé de la même façon sur le problème.
Je salue la ténacité d'André Chassaigne et le félicite pour sa performance : il n'appartient ni à la majorité de l'Assemblée nationale ni à celle du Sénat mais il est parvenu à convaincre tout le monde.
On parle ici de personnes travaillant en moyenne 55 heures par semaine. Si elles pouvaient cotiser correctement pour la retraite, elles le feraient, mais elles ne le peuvent pas. Faisons en sorte que les nouveaux agriculteurs aient aujourd'hui un revenu décent, demain une retraite correcte.
Merci au groupe CRCE d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe CRCE)
M. Franck Montaugé . - Je veux adresser des remerciements très appuyés à André Chassaigne, grand républicain. Sans lui, et sans nos collègues du CRCE, nous ne serions pas sur le point de voter un texte indispensable.
Le groupe SER a très mal vécu, comme d'autres, la manipulation du vote bloqué sur le premier texte d'André Chassaigne, alors que nous avions dégagé un véritable consensus. On a perdu plusieurs années pendant lesquelles des anciens sont partis. C'est inqualifiable. La condition de nos retraités est très difficile. Les pensions doivent être revalorisées le plus rapidement possible.
D'autres questions se posent : foncier, régulation du marché. Les maux de l'agriculture sont toujours là. (Applaudissements sur quelques travées des groupes SER, CRCE et du RDSE)
M. Serge Mérillou . - Depuis plus de vingt ans, on se bagarre pour améliorer le sort des agriculteurs. Hélas, la majorité de l'Assemblée nationale n'a eu de cesse de réduire la portée de la proposition de loi. La présenter comme une avancée du Gouvernement est un peu osé ! Après l'avoir retardé de trois ans, on ressort ce texte à quelques mois des élections... Preuve que ce scrutin sert à quelque chose !
Nous voterons ce texte, qui est un rayon de soleil. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et Les Républicains)
Mme Angèle Préville . - Merci à André Chassaigne et au groupe CRCE.
Le travail très dur des femmes dans le monde agricole est enfin reconnu. Merci de réparer cette injustice. (Applaudissements sur quelques travées du groupe CRCE)
Mme Nadia Sollogoub . - N'oublions pas les femmes d'artisans et commerçants : ce sera la prochaine étape. (Mme la rapporteure approuve.)
À la demande du groupe CRCE, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°58 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 343 |
Contre | 0 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. - Il y a des moments heureux dans la vie d'une commission ; celui-ci en est un. Je salue le travail de la rapporteure et la persévérance du groupe CRCE sur ce sujet... comme sur tous les autres ! (On rit de bon coeur sur les travées du groupe CRCE.)
En entendant les témoignages des orateurs, la plupart d'entre nous ont vu réapparaître le visage de femmes de leur famille qui vécurent la même situation. Nos pensées vont vers elles. (Applaudissements)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Ce vote conforme permet une application de la mesure dès janvier. Nous faisons un grand pas pour les conjointes collaboratrices. J'ai travaillé sur ce projet avec Julien Denormandie. C'est un progrès social dont chacun peut se féliciter. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Je remercie l'ensemble des collègues pour ce vote. Je salue la persévérance d'André Chassaigne.
Nous avons réalisé collectivement un travail considérable.
Je suis très heureuse pour ces femmes - en majorité - et ces hommes qui vont bénéficier d'une revalorisation de 100 euros. Sur 4 000 euros, cela ne se voit guère, mais sur 500 euros, ce n'est pas rien !
Notre vote est un petit pas ; nous aurions aimé voir adoptée la proposition de loi initiale. Il faudra aussi penser aux autres retraités pauvres. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées des groupes SER et UC)
Reconnaissance d'un État palestinien aux côtés d'Israël
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à relancer une initiative internationale multilatérale visant à la concrétisation d'une solution à deux États et à la reconnaissance d'un État palestinien par la communauté internationale, aux côtés d'Israël pour une paix juste et durable entre les peuples, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Discussion générale
M. Pierre Laurent, auteur de la proposition de résolution . - Cette proposition de résolution a un objet simple : inviter le Gouvernement français, qui présidera l'Union européenne le semestre prochain, à susciter une initiative multilatérale pour aboutir vite à une solution à deux États.
Sans cela, la violence de la colonisation perdurera et toute paix demeurera impossible pour les Palestiniens comme pour les Israéliens. La révolte des Palestiniens l'année dernière a envoyé un message au monde entier : la conscience palestinienne est toujours là.
La France est la mieux placée pour cette initiative après le discrédit du prétendu « deal du siècle » de Donald Trump. Le Parlement français a voté fin 2014 la reconnaissance de l'État palestinien, puis notre pays a été à l'initiative d'une réunion regroupant 70 pays en janvier 2017 pour relancer un processus de règlement politique.
Qui a brisé ce nouvel espoir ? Donald Trump, élu quelques jours après. Au mépris de deux résolutions des Nations unies et de l'accord d'armistice de 1949, il reconnaissait Jérusalem comme capitale, fermait la représentation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington et divisait par deux la cotisation à l'office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens au Proche-Orient, l'Unrwa.
Le « deal du siècle » autoproclamé était une caricature qui privait les Palestiniens de 70 % du territoire qui leur avait été reconnu en 1967 et d'une future capitale ; il foulait au pied le droit international en refusant le droit au retour.
S'il a plus que jamais mené les négociations dans l'impasse, cet accord a aussi conduit la France à un attentisme coupable. Il faut en sortir, il deviendra sinon une complicité de fait.
Joe Biden élu, le plan Trump n'est plus la feuille de route de l'administration américaine, mais celle-ci ne prendra aucune initiative majeure.
La France est attendue. Nous ne pouvons détourner le regard. Sur place, la situation est plus dramatique que jamais. La page Netanayahou tournée, Naftali Bennett n'en poursuit pas moins la colonisation, qui repart plus fort que jamais.
La violence, les expulsions, les déplacements forcés redoublent. C'est un instrument pour accaparer plus de terres. La distance est très limitée entre colons et soldats - devenus les gardes du corps de colons qui violent la loi.
Qu'est devenue la promesse de Ben Gourion le 14 mai 1948 : « Israël assurera une complète égalité à tous ses citoyens » ?
Qu'est devenue l'analyse de Yitzhak Rabin, selon laquelle la violence n'est pas la voix d'Israël, mais sape les bases de la démocratie israélienne et doit être condamnée ? Rabin voulait voir en l'OLP un partenaire de paix.
Mais Naftali Bennett poursuit le plan de développement routier de Netanyahou qui quadrille, scinde les territoires palestiniens et fait des colonies des banlieues.
Cela hypothèque gravement l'avenir d'Israël. Les colonies ne sont pas viables économiquement. Que veut devenir Israël demain ? Un régime d'apartheid ?
Lors du débat organisé au Sénat à notre initiative l'an dernier, l'ensemble des groupes et le Gouvernement évoquaient « un tournant historique ».
Il est temps de reprendre le chemin de l'action, sinon les paroles resteront vides de sens. Cette proposition de résolution est un encouragement : c'est l'inaction qui construit chaque jour le chemin indigne vers un point de non-retour.
Nous sommes tous attachés à la solution à deux États.
Il faut agir dans ce sens. Après 395 résolutions des Nations unies, le Sénat s'honorerait en votant unanimement cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST ; Mme Esther Benbassa et M. Alain Duffourg applaudissent également.)
M. Olivier Cadic . - Mes premiers mots sont destinés à la famille de Catherine Fournier. Notre collègue va beaucoup nous manquer.
Le week-end dernier, j'ai eu le privilège d'accompagner le Président de la République au Qatar, aux Émirats Arabes Unis et en Arabie Saoudite. Les résultats économiques sont spectaculaires, comme les progrès pour la lutte contre le terrorisme. (M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre, approuve.)
Avec le Président de la République, c'est à nouveau une France qui gagne et qui retrouve un statut sur la scène internationale. (M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre, approuve.)
Alors que le parti communiste chinois viole les droits de l'Homme de façon industrielle, que 1 million de Ouïghours sont soumis au travail forcé et aux stérilisations de masse, le groupe CRCE préfère nous faire débattre à la hâte du conflit israélo-palestinien.
Nous sommes à une date anniversaire. L'année 1991 fut marquée par la démission du président de l'URSS, Gorbatchev, mais aussi par le début d'une nouvelle ère : une négociation entre Israël et ses voisins pour la paix, discussions qui se poursuivirent à Madrid, à Oslo, et finirent par la poignée de mains historique de Camp David.
La déclaration contenait un accord civil pour permettre aux Palestiniens de gérer les affaires de façon autonome à Gaza et en Cisjordanie. L'autorité palestinienne devait devenir un État. Mais la violence de la seconde intifada l'a empêché. Le conflit s'est radicalisé.
Le 1er décembre dernier, l'Assemblée générale des Nation Unies a invité Palestiniens et Israéliens à des pourparlers de paix pour arriver à une solution à deux États, souhaitée par une majorité de pays.
Mais les conditions du dialogue entre les deux parties ne sont pas réunies. Plusieurs paramètres sont indispensables : des frontières fondées sur celles de 1967, la sécurité des deux États, une solution juste au problème des réfugiés, Jérusalem comme capitale des deux États.
Notre groupe ne considère pas cette proposition de résolution comme l'outil le plus pertinent pour faire avancer la paix. En faisant porter la responsabilité sur Israël, elle est partiale. (Marques d'approbation à droite)
Nous l'avions déjà dit aux socialistes en 2014 lors de la discussion d'une autre résolution.
Mme Laurence Cohen. - Il est urgent d'attendre !
M. Olivier Cadic. - La reconnaissance de la Palestine par 135 États dans le monde n'a rien réglé.
L'inscription tardive de cette proposition de résolution dans un ordre du jour réservé, à quelques mois de l'élection présidentielle, est une instrumentalisation des malheurs d'un peuple. (Protestations sur les travées du groupe CRCE)
Mme Laurence Cohen. - N'importe quoi... (M. Pascal Savoldelli renchérit.)
M. Olivier Cadic. - La majorité du groupe UC votera contre cette proposition de résolution ; pour ma part, je ne prendrai pas part au vote. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Bruno Belin applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier . - Le conflit israélo-palestinien semble sans fin. Relancer cette question ici, c'est poser la question suivante : la solution à deux États - souhaitable - est-elle viable ?
Les efforts diplomatiques de trente ans ont échoué. Pourquoi ?
D'une part, la Palestine souffre d'un déficit démocratique, avec des élections législatives qui remontent à 2006. Il est difficile de trouver un interlocuteur. D'autre part, la colonisation réduit les terres dont disposerait un potentiel État palestinien. Comment, dans ces conditions, tracer des frontières ? Que faire des villes mixtes ? Cela témoigne de la complexité du sujet et nous incite à rationaliser le débat. Il n'y a pas d'un côté les bons et de l'autre les mauvais.
Le RDSE s'abstiendra.
Mme Esther Benbassa . - Le 29 novembre, lors de la journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, le Secrétaire général des Nations unies António Guterres a averti que la colonisation mettait en péril la solution à deux États. Il n'y a qu'à regarder la carte géographique, véritable gruyère, pour s'en rendre compte.
Tant que les Palestiniens subiront la colonisation et le blocus de Gaza, il n'y aura pas de paix. Les violences s'intensifient et le silence de l'Europe est assourdissant. On s'accoutume, et rien ne change.
Donald Trump a reconnu Jérusalem comme capitale d'Israël, ce qui a donné le coup de grâce à la solution à deux États. Pendant ce temps, que fait la France ? Rien. Depuis la proposition de résolution du Sénat en 2014, elle s'en tient à une position d'observatrice, elle est passive.
L'absence d'élections en Palestine, une autorité palestinienne vieillissante, un Hamas omniprésent à Gaza... Tout cela n'arrange rien
La présidence française de l'Union européenne est une opportunité pour placer la question à l'agenda européen.
Il est possible que la solution soit un État binational, qui est sans doute aussi utopique. Je voterai évidemment ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; M. Alain Duffourg applaudit également.)
M. Gilbert Roger . - Il y a six ans, avec émotion, je défendais à cette tribune une proposition de résolution appelant à la reconnaissance de l'État de Palestine.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. - Je m'en souviens.
M. Gilbert Roger. - Aujourd'hui, le processus de paix est au point mort. La France, désormais seul État de l'Union européenne membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, doit agir en faveur de la solution à deux États, avec une double exigence : garantir à Israël la sécurité et à la Palestine la justice.
Depuis la conférence internationale accueillie par la France le 15 janvier 2017, les incertitudes se sont accumulées.
En février 2017, la Knesset a légalisé la colonisation sauvage, au mépris de la résolution 2334 des Nations unies. Puis, en juillet 2018, elle a adopté une loi fondamentale faisant d'Israël l'État-nation du peuple juif, avec l'hébreu pour seule langue officielle ; les discriminations envers les Arabes israéliens sont institutionnalisées.
L'annexion de 30 % de la Cisjordanie ne laisse aux Palestiniens que des cantons discontinus, dépourvus de toute souveraineté.
Qui mieux que la France peut agir ? Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Palestine, j'appelle solennellement le Gouvernement français à reconnaître l'État de Palestine, en conformité avec le droit international.
Le droit à l'autodétermination est inaliénable ; le peuple palestinien est donc fondé à se doter d'un État. L'existence d'un tel État serait aussi une garantie de paix et de sécurité pour Israël.
Pas un jour ne passe sans que des Palestiniens n'aient à subir des attaques perpétrées par des colons. L'ONG israélienne B'Tselem a recensé 450 attaques menées en Cisjordanie sans intervention de l'armée israélienne.
Au moins 675 000 Israéliens habitent déjà les colonies de Jérusalem Est, et plus de 3 millions vivent en Cisjordanie occupée. À la fin d'octobre, le Gouvernement israélien a annoncé la construction de 1 350 logements supplémentaires en Cisjordanie, en plus des 2 000 déjà annoncés en août. Allez-vous laisser faire ?
La résolution de l'ONU du 23 décembre 2016, adoptée sans veto américain, affirme que l'arrêt de la colonisation est une condition nécessaire à la paix.
Je viens de me rendre à Washington pour l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Les diplomates américains avec lesquels je me suis entretenu ont tous marqué leur attachement à la solution à deux États.
De fait, c'est la seule possible pour qu'Israéliens et Palestiniens vivent à égalité de droits et de devoirs. Je m'oppose absolument à l'éventualité d'un État unitaire, un mythe qui n'a aucune chance de se réaliser.
Si la solution à deux États n'a pas abouti, ce n'est pas qu'elle n'est pas la bonne : c'est que nous avons échoué, jusqu'à présent, à la mettre en oeuvre quoi qu'il en coûte.
Alors que des millions de Palestiniens sont soumis à un régime militaire étranger, privés de leurs droits fondamentaux, la reconnaissance de la Palestine est la condition sine qua non d'une paix durable ; elle doit être un préalable à l'organisation de toute conférence internationale.
Le Gouvernement français doit agir maintenant pour relancer une initiative multilatérale. Je soutiens pleinement cette résolution, que le groupe SER votera. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE et du GEST)
Mme Nicole Duranton . - La situation sécuritaire à Gaza reste instable, marquée par des incidents récurrents. L'annonce par Israël de la construction de nouveaux logements en Cisjordanie alimente les tensions.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué. - Hélas !
Mme Nicole Duranton. - Cette proposition de résolution invite le Gouvernement à agir pour une solution à deux États et la reconnaissance d'un État palestinien à la faveur de la présidence française de l'Union européenne. Ses auteurs dénoncent une aggravation des atteintes aux droits des Palestiniens et soulignent qu'Israël a fait l'objet de multiples condamnations internationales.
Trois principes sont essentiels au règlement du conflit : le respect du droit international et des résolutions de l'ONU ; l'établissement de deux États indépendants, viables et démocratiques, ayant Jérusalem pour capitale, sur la base des frontières de 1967 ; la négociation directe entre Israéliens et Palestiniens, sans décisions unilatérales.
Le RDPI soutient la position constante du Président de la République et du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui appellent les parties à reprendre les négociations de bonne foi.
Nous combattons sans ambiguïté les tirs de roquette depuis la bande de Gaza : notre engagement pour la sécurité d'Israël est indéfectible. Mais la colonisation dans les territoires occupés est illégale.
Un statu quo historique prévaut sur l'Esplanade des mosquées. Une annexion des lieux saints ne serait dans l'intérêt de personne.
La France agit fortement au plan humanitaire. En 2020, elle a soutenu les Palestiniens à hauteur de 2,2 millions d'euros via diverses ONG, sans compter les 3 millions d'euros versés par l'Agence française de développement pour lutter contre la pandémie. Nous finançons aussi les activités du Comité international de la Croix-Rouge dans ces territoires et soutenons le budget de l'Autorité palestinienne à hauteur de 16 millions d'euros.
Nous partageons la position récemment exprimée par M. Le Drian devant notre commission des affaires étrangères : pour qu'une paix durable au Proche-Orient soit possible, les acteurs doivent rétablir la confiance. De ce point de vue, nous constatons à regret des reculs.
Israël doit cesser la colonisation illégale à petits pas, qui alimente les tensions. Côté palestinien, la fixation d'un calendrier électoral pourrait être un facteur stabilisant. Israël devra garantir la tenue des élections à Jérusalem Est.
La situation sur place est inflammable et le cessez-le-feu de mai dernier demeure précaire. Il serait maladroit de nous immiscer dans des équilibres qui restent fragiles. Cette proposition de résolution pourrait même s'avérer contre-productive.
Le RDPI s'abstiendra donc.
M. Daniel Chasseing . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Cette proposition de résolution nous rappelle que le conflit israélo-palestinien n'est toujours pas réglé et continue de faire de trop nombreuses victimes.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques se sont dessaisis de leur mandat au profit de l'ONU, dont le plan de partage, approuvé par les Israéliens, a été rejeté par les Palestiniens. Le conflit qui dure depuis lors ne sera durablement résolu que par un accord politique et le respect mutuel des deux peuples.
La coexistence de deux États est la seule solution conforme au droit international. Le 29 novembre dernier, à l'occasion du 74e anniversaire du plan de partage, António Guterres a dénoncé les violations des droits des Palestiniens et l'expansion de la colonisation israélienne. Ces déclarations ont été défavorablement accueillies par Israël, qui continue de subir les attaques du Hamas.
La situation actuelle signe l'échec de la communauté internationale. L'ONU n'est pas parvenue à apporter la paix et chaque acteur poursuit ses intérêts immédiats.
Le plan Trump a été annoncé au mépris des résolutions de l'ONU. Le multilatéralisme s'en est trouvé affaibli.
La sanctuarisation de deux États est la seule solution qui respecte le droit des peuples et puisse aboutir à une paix durable.
La diplomatie française n'a jamais cessé d'oeuvrer en faveur de cette solution. Il y a quelques jours, à l'occasion de la visite du Président de la République aux Émirats arabes unis, les deux pays ont publié un communiqué commun en ce sens.
Le groupe INDEP soutient les décisions de l'ONU, mais il n'est pas possible de les imposer. Nous ne voterons pas la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Isabelle Raimond-Pavero . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le groupe CRCE invite le Gouvernement à s'engager en faveur d'une initiative internationale visant à concrétiser la solution des deux États.
Est-il besoin de rappeler la position constante de la France ? Notre pays est favorable à la coexistence de deux États selon les frontières du 4 juin 1967.
En 2014 déjà, Gilbert Roger avait déposé une proposition de résolution. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, nous avait mis en garde contre les reconnaissances de papier. Nous avions voté contre la proposition de résolution, et nous avons eu raison.
Une reconnaissance unilatérale ne règle rien. La paix ne peut passer que par une reconnaissance mutuelle.
La donne géopolitique a changé avec les accords d'Abraham. Israël a été reconnu par le Qatar, le Maroc, Bahreïn et le Soudan. Mais la crise de mai dernier dans la bande de Gaza illustre les difficultés de l'exercice.
L'Autorité palestinienne traverse une crise de légitimité. Quant au nouveau gouvernement israélien, il ne s'engage pas clairement à rouvrir des négociations.
Oui, la présidence française de l'Union européenne doit être l'occasion de mobiliser nos partenaires en faveur de la reprise du dialogue. Mais ce texte n'apporte rien de nouveau par rapport à l'action de notre diplomatie.
Alors que la question israélo-palestinienne peut sembler reléguée au second plan par les problèmes iranien, syrien et libyen, que l'attitude des États-Unis laisse les acteurs dubitatifs, la France, amie des Israéliens comme des Palestiniens, ne doit pas prendre fait et cause pour l'une des parties.
Mme Valérie Boyer. - Très bien !
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Ne compromettons pas l'équilibre de la diplomatie française, au risque d'enfermer Israël dans une relation exclusive avec les États-Unis. Notre porte doit rester ouverte à tous les partenaires. (Mme Nicole Duranton opine.)
Le groupe Les Républicains est fidèle à la politique d'équilibre de la France héritée du Général de Gaulle. Seule la reconnaissance mutuelle de deux États garantira une paix complète et durable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le dossier israélo-palestinien n'évolue plus, laissant la place à l'engrenage des violences : la colonisation s'étend et la guerre de Gaza, la quatrième depuis le début du blocus, n'a été suivie d'aucune reprise des pourparlers.
Les besoins fondamentaux de la population palestinienne ne sont pas satisfaits. Israël ne remplit pas ses obligations et entrave même le travail des ONG. La récente catégorisation de six ONG palestiniennes comme organisations terroristes marque une étape supplémentaire de la répression, alors que 48 % de la population palestinienne ne survit que grâce à l'aide humanitaire - à Gaza, c'est 80 %.
Les condamnations ne suffisent pas. Il faut une solution politique pour sortir de l'impasse.
La France est à l'origine de l'une des dernières initiatives, en 2017 : 70 pays avaient réitéré leur engagement en faveur d'une solution à deux États. Mais l'élection de Trump a stoppé cette dynamique et encouragé la colonisation.
En octobre, les agressions se sont multipliées, lors de la récolte des olives : 1 300 arbres ont été arrachés par des colons. Des terres sont usurpées, des populations dispersées.
Aujourd'hui, la population palestinienne s'engage pour la défense de ses droits civiques et contre les actes de violence des colons.
Oui, la France doit saisir l'opportunité de la présidence française de l'Union européenne pour relancer une initiative multilatérale ! Nous voterons la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE ; Mme Esther Benbassa et M. Alain Duffourg applaudissent également.)
présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
Mme Michelle Gréaume . - Le conflit israélo-palestinien est à un tournant historique. Une solution à deux États est la seule chance d'aboutir à une paix juste et durable ; elle serait bénéfique aussi pour les Israéliens.
Il faut rendre aux Palestiniens leur dignité. Le coût pour eux de la colonisation israélienne a été évalué par l'ONU à 58 milliards de dollars, sans compter les taxes douanières illégalement perçues par Israël.
Quelque 48 % des Palestiniens - et 80 % des Gazaouis - survivent grâce à l'aide alimentaire. Au total, 900 000 Palestiniens ont un accès limité à l'eau et aux autres services de base.
Yasser Arafat le disait clairement : les Palestiniens rejettent le terrorisme sous toutes ses formes, y compris le terrorisme d'État. Alors que 70 % des Palestiniens ont moins de 30 ans, comment penser que les violences subies n'alimentent pas les tirs de roquettes ? Mettre un terme à ces violences permettrait d'assécher le vivier de recrutement du Hamas.
Comment comprendre que la Knesset affirme le caractère juif de l'État d'Israël tout en encourageant la colonisation et les annexions de territoire ?
La solution à deux États assurerait la coexistence pacifique des deux peuples et le respect du droit international. Elle passe par la reconnaissance du droit au retour, la cogestion des lieux de culte, l'internationalisation de Jérusalem, l'application des frontières de 1967, la reconnaissance de l'illégalité des annexions et des nombreuses atteintes aux droits humains.
L'ONU doit être le point d'appui d'une action internationale dans cette perspective. La France, qui s'apprête à présider le Conseil de l'Union européenne, doit être l'un des moteurs des négociations ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa et M. Alain Duffourg applaudissent également.)
Mme Valérie Boyer . - Cette proposition de résolution ambitionne une paix juste et durable. L'objectif est louable, et nous le partageons tous. Avec la présidence française de l'Union européenne, le calendrier est évidemment favorable.
Reste que la méthode interpelle. Peut-on construire la paix sur la base de condamnations sans nuance, d'imprécations et d'anathèmes ? (Murmures sur les travées du groupe CRCE) Je ne le pense pas.
Le plan Trump n'est pas parfait, mais il trace un chemin pour la paix et ouvre la voie à une solution à deux États. Il contient des propositions raisonnables, qu'on ne peut balayer d'un revers de main. Il garantit la sécurité d'Israël, nécessaire à la stabilité du Proche-Orient. L'État de Palestine serait démilitarisé, les Palestiniens renonçant au contrôle de leurs frontières et de leur espace aérien contre des facilités d'accès aux ports israéliens. (M. Fabien Gay ironise.)
Au sein du groupe interparlementaire d'amitié France-Israël, présidé par Roger Karoutchi, nous soutenons la paix. Nous avons rencontré récemment Émilie Moatti, présidente du groupe d'amitié Israël-France. Nous travaillons au rapprochement des points de vue.
Je suis favorable à une résolution négociée, fondée sur la reconnaissance mutuelle de deux États. Il n'y a pas d'alternative au dialogue pour avancer sur le chemin escarpé de la paix.
Cette proposition de résolution rompt de manière inopportune avec la position constante de notre pays. Nous voterons contre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Bruno Belin . - Permettez-moi de vous féliciter, monsieur le ministre, pour vos nouvelles attributions.
« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers. Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants. Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent. »
Je tenais à citer ce couplet de Nuit et brouillard, de Jean Ferrat, car on ne saurait aborder un tel sujet sans perspective historique sur la genèse d'Israël.
Pour que les deux peuples puissent coexister, pour que cette terre de souffrance devienne une terre d'espérance, il faut deux États qui se reconnaissent mutuellement, dans les frontières de 1967. La première des conditions est l'arrêt des violences : sous toutes leurs formes et d'où qu'elles viennent, elles enracinent la haine.
Tous ceux qui oeuvrent pour la paix doivent être impartiaux. Ne faisons rien qui puisse empêcher les plaies de cicatriser.
Cette proposition de résolution est inéquitable et ne reflète pas la hauteur de vue du Sénat. Monsieur Laurent, vous rappelez les résolutions des Nations unies, les initiatives parlementaires et les condamnations internationales d'Israël, mais vous évitez d'évoquer les violences subies par ce pays. Ce déséquilibre dessert votre initiative.
La France soutient déjà le processus d'Amman, avec l'Égypte et la Jordanie. Contrairement à d'autres puissances, elle réunit et fédère. Ce n'est pas l'esprit de ce texte. Laissons une chance à tous les acteurs, en leur rappelant leurs responsabilités mais sans les crisper.
C'est ainsi que, je le souhaite, cette terre de souffrance deviendra pleinement terre d'espérance ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et du RDPI)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, ministre délégué, chargé du tourisme, des Français de l'étranger et de la francophonie, et des petites et moyennes entreprises . - La France est et restera l'amie du peuple palestinien comme du peuple israélien. Son attachement à la sécurité d'Israël est indéfectible.
Le conflit israélo-palestinien n'a rien perdu de sa centralité. Il reste au coeur des enjeux de paix et de stabilité au Proche-Orient.
La France n'a ménagé aucun effort pour faire cesser les tensions en mai dernier, organisant un sommet avec les pays voisins pour oeuvrer à la désescalade et déposant un projet de résolution au Conseil de sécurité.
Plus de six mois après la fin des hostilités, les défis restent multiples : préserver le cessez-le-feu, prévenir les mesures unilatérales, construire un horizon politique, sans lequel le cycle des violences se reproduira.
La position de la France, constante, repose sur le respect du droit international, la perspective de deux États vivant en paix et en sécurité dans les frontières de 1967 avec Jérusalem comme capitale commune et une méthode fondée sur la négociation, sans décisions unilatérales.
Le soutien de la France à la solution des deux États est sans faille ; il n'y a d'ailleurs pas d'alternative. Il s'agit de savoir comment la concrétiser.
La France se mobilise pour un État palestinien souverain, viable, contigu et démocratique. À cet égard, nous sommes vivement inquiets de la politique de colonisation menée par le gouvernement Bennett, qui est contraire au droit international et menace la solution à deux États. La France a contribué à prévenir l'annexion partielle de la Cisjordanie, envisagée par le gouvernement Netanyahou et qui aurait mis un terme à la perspective d'un État palestinien.
Il faut aussi renforcer la gouvernance démocratique au sein des instances palestiniennes, où certaines dérives sont inquiétantes. Nous appelons à des progrès tangibles dans le domaine de la démocratie et déplorons l'arrestation de plusieurs personnes de la société civile, dont l'une, Nizar Banat, est décédée.
Le peuple palestinien doit pouvoir s'exprimer démocratiquement. Israël devra assurer la tenue de ce scrutin à Jérusalem Est.
La communauté internationale doit se mobiliser en faveur d'une reprise des négociations. Après la conférence de Madrid, en 1991, la paix semblait à portée de main. Mais aujourd'hui, la frustration et l'amertume dominent. La perspective de négociations risque de s'éloigner encore.
L'urgence est donc de créer les conditions de la reprise de négociations directes. C'est le sens du format de Munich, constitué sur notre initiative après l'annonce du pseudo-plan Trump et qui s'est réuni à quatre reprises. Il a permis de maintenir à l'agenda la perspective d'une solution à deux États.
Nous devons amplifier nos efforts pour rétablir la confiance en vue d'une reprise des négociations. La dynamique est positive, avec des recompositions régionales favorables à la paix. Le Président de la République a récemment félicité les autorités des Émirats arabes unis pour le grand pas qu'elles ont fait. Mais cette dynamique reste fragile, menacée notamment par les nouvelles annonces sur la colonisation.
Nous poursuivrons notre action, notamment dans le cadre du format d'Amman, et accompagnerons évidemment toutes les initiatives visant à la relance des négociations.
La reconnaissance de la Palestine devra intervenir en temps utile, quand elle sera utile à la paix, dans le cadre d'un règlement global. Nous ne voulons pas d'une reconnaissance symbolique mais d'une reconnaissance au service de la paix, dans le cadre d'un processus politique crédible.
Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de votre assemblée sur cette proposition de résolution. (M. Bruno Belin applaudit.)
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°59 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 300 |
Pour l'adoption | 93 |
Contre | 207 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La séance est suspendue à 13 h 30.
présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente
La séance reprend à 16 heures.
Missions d'information (Nominations)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la désignation des membres de deux missions d'information.
En application de l'article 8 du Règlement, les listes des candidats remises par les groupes politiques pour la désignation des membres de la mission d'information sur le thème « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l'erreur française » et de la mission d'information sur « L'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du mercredi 19 janvier, après les questions d'actualité au Gouvernement, de la deuxième lecture de la proposition de loi visant à renforcer le droit à l'avortement.
Acte est donné de cette demande.
Il en est ainsi décidé.
Commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris, présentée par MM. Rachid Temal, Jean-Marc Todeschini, David Assouline et Hussein Bourgi, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Discussion générale
M. Rachid Temal, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce mardi 17 octobre 1961, le temps est gris sur Paris. Le Président de la République, le Général de Gaulle, a présidé une réunion du commissariat au plan.
Si les évènements d'Algérie se sont traduits par des attentats des deux côtés de la Méditerranée, la France reste une démocratie dont les institutions fonctionnent. M. Debré est à Matignon et son gouvernement a engagé des négociations avec le gouvernement provisoire de la République algérienne.
Alors que nos compatriotes s'apprêtent à passer à table, des Français musulmans d'Algérie, comme on les appelle depuis 1946, s'habillent chaudement pour manifester. Ils sortent de leur bidonville, de leur chambre d'hôtel pour se rendre à une manifestation pacifiste, mais interdite. La présence de forces de l'ordre apparaît donc logique, comme les arrestations.
Pour autant, l'instauration d'un couvre-feu réservé à certains Français en fonction de leur statut interroge. Les musulmans d'Algérie ont le sentiment d'être des citoyens de seconde zone.
Ce qui interroge, surtout, est la violence de la répression. Les historiens écrivent l'histoire. En les lisant, en parcourant les archives et les quelques photographies disponibles, on la saisit. Dans les regards des manifestants arrêtés se lisent la douleur et la peur.
La manifestation rassemble environ 20 000 personnes, qui se heurtent immédiatement, au pont de Neuilly, sur les grands boulevards, sur le boulevard Saint-Germain, à la répression des forces de l'ordre. De Brunet à Einaudi, en passant par le rapport Mandelkern, les faits sont établis. Un manifestant sur deux - 11 538 personnes précisément - est arrêté. Ils sont détenus, parfois pendant plusieurs jours, dans différents lieux de la capitale : le Palais des sports, le stade Pierre-de-Coubertin, divers commissariats.
On dénombre plusieurs centaines de blessés et plusieurs dizaines de morts. Les faits, les chiffres sont incontestables. Ces morts marquent d'une tache indélébile notre histoire nationale.
Nous parlons de citoyens français, d'êtres humains, de pères, de frères, de maris, de fils. Soixante ans après les faits, les familles ont le droit de connaître la vérité. Dans un État de droit, rien ne saurait justifier ces morts et blessés.
Cette proposition de loi s'inscrit dans un travail de reconnaissance ancien, mais inabouti. Je salue, à cet égard, l'action de Bernard Delanoë au Conseil de Paris le 23 septembre 2001, l'adoption d'une résolution communiste au Sénat le 23 octobre 2012, la proposition de loi du député Patrick Mennucci en 2016, les prises de paroles des présidents Hollande et Macron, respectivement en 2012 et en 2021.
Il est demandé au Sénat d'être, une nouvelle fois, au rendez-vous de l'Histoire.
Le travail de mémoire apparaît nécessaire au rassemblement des Français. Nous respectons toutes les mémoires : celle des rapatriés, des harkis, des appelés du contingent, des immigrés. Elles sont complémentaires, pas concurrentielles.
Nous examinerons bientôt une proposition de loi sur la reconnaissance du drame des harkis. Nous ne sommes ni dans la repentance, ni dans la demande de pardon, ni dans la condamnation, mais dans la reconnaissance.
Il ne s'agit pas non plus d'un message adressé à l'Algérie, mais de l'histoire de la France. Aussi, j'ai été surpris par le rapport de la commission des lois. La répression a touché des citoyens français tabassés et tués au coeur de la capitale, par notre police aux ordres du sinistre Maurice Papon.
Nous ne hiérarchisons pas les tragédies. J'ai salué la volonté du président Macron de légiférer sur les harkis en septembre dernier, comme j'avais salué les propos tenus en 2012 par Nicolas Sarkozy et en 2016 par François Hollande.
Nous avons déjà voté des lois mémorielles. J'ai été touché d'entendre, en 1995, le président Chirac reconnaître le rôle de la France dans la rafle du Vél' d'Hiv'. C'est l'honneur de la France de regarder son passé dans les yeux.
Je suis fier, également, que nous examinions un texte sur les harkis. La rapporteure elle-même avait déposé un texte à l'Assemblée nationale sur la rue d'Isly et Oran.
Nous savons débattre. Alors que certains font du révisionnisme leur fonds de commerce, il est du devoir du Sénat de regarder lucidement notre histoire. La République se doit d'être exemplaire et ne l'a pas été le 17 octobre 1961.
« Les mémoires divisent, seule l'histoire rassemble », a dit Pierre Nora. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)
Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois . - La commission des lois n'a pas adopté le texte de cette proposition de loi, symbolique et mémorielle, car les faits dont elle traite sont soit amnistiés, soit prescrits.
Un important travail historique est mené sur les événements du 17 octobre 1961, depuis le premier ouvrage qui y a été consacré en 1985. Environ 200 articles en ont traité. Cette profusion rompt avec l'occultation qui régnait jusque-là. Elle a notamment été permise par l'ouverture des archives de la préfecture de police après le procès de Maurice Papon en 1997. Il aurait fallu, sinon, attendre 2021.
Un travail mémoriel est en outre réalisé depuis longtemps par les associations. Le Président de la République s'est associé, cette année, à la commémoration annuelle, prenant position comme l'avait fait François Hollande. Le Sénat, pour sa part, a voté en 2012 une proposition de résolution à l'initiative de Mme Borvo Cohen-Seat.
Faut-il aller plus loin ? Nous ne le pensons pas, même si la répression elle-même ne fait pas polémique. La commission des lois estime qu'il n'existe pas de consensus entre historiens sur la responsabilité de la France, que reconnaît l'article premier du texte. En effet, certains évoquent une réaction de vengeance de la police. Rappelons que des attentats du Front de libération nationale (FLN) avaient fait vingt-deux morts au sein des forces de l'ordre, dont treize les deux semaines précédant la manifestation.
Les violences de la guerre d'Algérie ont concerné toutes les communautés. Les Français musulmans d'Algérie se voyaient obligés de payer un impôt révolutionnaire. Leur statut particulier, rappelons-le, tient à leur refus d'être soumis au code civil, au contraire des Juifs des trois départements du Constantinois, de l'Oranais et de l'Algérois, par le décret Crémieux de 1870.
La proposition de loi qualifie les manifestants d' « Algériens », dénomination juridiquement inexacte, même si elle fait consensus chez les historiens.
En outre, le texte présente la volonté d'indépendance de l'Algérie comme l'origine de la manifestation. Or certains manifestants protestaient surtout contre le couvre-feu décrété par la préfecture de police. Sur ce point non plus, le consensus n'existe pas et la loi ne peut imposer une lecture historique.
L'article 2 impose une commémoration annuelle à la date du 17 octobre. Outre qu'il faudrait alors établir des commémorations particulières pour les autres victimes, il existe, depuis 2012, la date du 19 mars, que je déplore à titre personnel, pour toutes les commémorer, sans compter celle du 27 septembre pour les harkis et du 5 décembre pour les morts de la guerre d'Algérie. Ces deux dernières dates ont été établies sans lien avec un événement, afin d'apaiser les mémoires.
La commission des lois a estimé qu'il n'était pas souhaitable de se livrer à une concurrence mémorielle, ni de trancher par une loi une question historique. Elle ne souhaite donc pas l'adoption de ce texte.
Le travail de recherche historique et de mémoire doit se poursuivre. Bon nombre d'archives ont été ouvertes. Restent certaines archives militaires qui, selon l'armée, ont été perdues. Les historiens estiment cependant disposer de suffisamment d'informations pour travailler. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et UC)
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État, chargée de l'éducation prioritaire . - Le Président de la République s'est rendu au pont de Bezons pour les soixante ans des événements tragiques du 17 octobre 1961. En présence des familles et des descendants des différentes parties, il a observé une minute de silence en mémoire des victimes.
La tragédie a longtemps été tue, même si des cérémonies ont parfois été organisées. Désormais, la violence de la répression de la manifestation ne fait plus aucun doute. Elle a été reconnue par le Sénat, comme par le Président de la République. Pour la première fois, un chef de l'État a honoré la mémoire des victimes d'actes « inexcusables pour la République », commis sous l'autorité de Maurice Papon. Cela s'inscrit dans une démarche de lucidité sur l'histoire franco-algérienne.
Le travail historique doit se poursuivre. Le Président de la République a confié une mission en ce sens à Benjamin Stora. La reconnaissance des événements du 17 octobre 1961 faisait partie de ses suggestions. En outre, des restes humains ont été remis à l'Algérie à l'été 2020, l'assassinat de Maurice Audin a été reconnu, les archives ont été ouvertes.
Nous voulons que le dialogue se poursuive avec nos partenaires algériens pour aboutir à une relation apaisée à notre passé commun.
M. François Bonhomme. - C'est mal parti !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État. - La proposition de loi, cependant, apparaît peu consensuelle en ce qu'elle cherche à imposer une version de notre histoire.
Le Président de la République a ouvert la voie du dialogue. Nous souhaitons que la démarche mémorielle et historique se poursuive. Le Gouvernement est donc défavorable à la proposition de loi.
M. Jean-Claude Requier . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP) Il y a soixante ans, le 17 octobre 1961, au moins 20 000 Algériens défilaient pacifiquement à Paris pour demander une Algérie algérienne et rejeter le couvre-feu qui leur était réservé.
Il existe un consensus historique sur la violence de la répression. Le nombre de morts, certes encore discuté, n'en demeure pas moins édifiant. Le traitement politique, médiatique et historique de l'événement en fit une affaire dans l'affaire.
J'ai longtemps enseigné l'histoire et je me suis toujours intéressé à la façon dont les sociétés se racontent, voire se romancent. La mémoire collective relève d'un exercice difficile. Bon nombre d'historiens, comme Paul Veyne, ont montré l'extrême complexité de l'élaboration des récits historiques, entre recherches factuelles et controverses.
Le passé n'a d'intérêt que parce qu'il est complexe, fait d'enchevêtrements. La loi n'est donc pas un outil adéquat pour écrire le fait historique.
Nous déplorons aussi l'inflation législative. Selon Jean-Jacques Rousseau, la loi doit établir les « règles qui conviennent à la Nation » et organiser la vie commune. Elle doit demeurer l'expression de la volonté générale, non affirmer une vérité historique. Laissons l'histoire aux historiens.
Cette proposition de loi porte un paradoxe entre le fond et la forme. Oui, sur le fond, l'État doit reconnaître sa responsabilité.
M. Rachid Temal. - Voilà !
M. Jean-Claude Requier. - Mais cette démarche a été amorcée depuis longtemps. Sur la forme, la loi ne représente pas le véhicule adéquat.
Le RDSE salue la mémoire des victimes et s'abstiendra.
M. Stéphane Ravier . - La gauche nous propose de voter une proposition de loi reconnaissant la responsabilité de la France dans les événements du 17 octobre 1961 - comme elle portait les valises autrefois, par la haine de la France. (Protestations à gauche)
Le FLN était un ramassis d'assassins ayant tué plus de 6 000 Algériens en métropole entre 1955 et 1962 et commis des actes abominables contre les Français d'Algérie et les harkis. Le 17 octobre 1961, il appelle à manifester et 20 000 soutiens du terrorisme provoquent la police, qui ne fait que répliquer.
Le Parti communiste français, jamais en retard d'un mensonge ni d'une collaboration avec l'ennemi (vives protestations sur les travées du groupe CRCE) a protesté, faisant comme à son habitude de la propagande anti-française.
M. Pierre Laurent. - Et les résistants ?
M. Stéphane Ravier. - Les faits, pourtant, sont têtus : un seul cadavre, celui de Guy Chevalier, est retrouvé. Selon le rapport remis à Élisabeth Guigou par la commission Geronimi en 1998, seuls 48 Nord-Africains sont morts au mois d'octobre 1961. La gauche, pourtant, renoue avec l'exagération. Par haine de la France et pour la condamner, elle se fait faussaire de l'histoire ! (Protestations à gauche)
Vous oubliez les autres victimes de la guerre d'Algérie. Celles du massacre d'Oran le 7 juillet 1962 étaient sans doute trop françaises pour vous !
Demandez plutôt l'ouverture de ses archives à l'Algérie et, une fois la vérité connue, exigez des excuses !
La France a créé l'Algérie et le FLN l'a ruinée, à tel point que ses descendants trouvent refuge dans la prétendue puissance colonisatrice, véritable pays civilisateur.
Nous ne vous laisserons pas falsifier l'histoire et souiller la France ! (Vives protestations à gauche)
Rejoignez-moi sur la barricade de la vérité pour défendre le drapeau de la France !
M. Pierre Ouzoulias. - Pourquoi ne pas finir par « travail, famille, patrie » ?
M. Jean-Marc Todeschini . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Que dire après un tel discours, quand on veut parler de paix des mémoires et de rassemblement ? Ces propos ont heurté l'ancien secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire que je suis.
Les historiens ont établi une vérité scientifique indiscutable sur les événements du 17 octobre 1961, lors desquels les valeurs de notre République, de liberté d'expression et de manifestation, ont été bafouées. Avec lucidité, la France a reconnu les crimes commis sous l'autorité de Maurice Papon. Ils sont inexcusables ; il ne s'agit pas d'une opinion, mais d'un fait.
Cette journée relève d'un processus mémoriel populaire. La flamme du souvenir est entretenue et ne s'éteindra pas.
Ce texte prétend traduire cette dynamique dans la loi et donner un caractère officiel à la commémoration.
Il y eut d'abord la plaque fixée par Bertrand Delanoë le 17 octobre 2001, puis la courageuse reconnaissance de François Hollande, le 17 octobre 2012. En tant que secrétaire d'État à la mémoire, j'ai assisté à plusieurs rassemblements et travaillé avec des historiens, tel Jim House. Ce mouvement a conduit à la présence du Président de la République au pont de Bezons, le 16 octobre dernier.
Chaque citoyen représente un maillon de la chaîne de la mémoire.
La France est un grand pays, car elle sait reconnaître quand elle a failli et regarde son passé avec lucidité.
En avril 2015, je suis allé reconnaître à Sétif le massacre du 8 mai 1945 qui a frappé des Français autant que des Algériens. L'humanité, ainsi frappée, n'a plus de nationalité ; il ne reste que des mémoires douloureuses. En janvier 2016, j'ai déposé une gerbe avec mon homologue algérien, Tayeb Zitouni, ministre des Moudjahidine, à la plaque du pont Saint-Michel. À chaque fois, j'ai mesuré la force de la réconciliation.
N'ayons pas peur de mener un travail d'analyse ! Une certaine mode prétend que notre pays décline - elle est lucrative pour ceux qui la professent, mais représente un danger pour la démocratie.
Ce texte représente un pas de plus vers la concorde mémorielle qui permettra aux générations futures d'avancer sans peur.
Nous pensons à tous les déracinés qui ont dû tout quitter en quelques heures, et à tous les appelés qui ont dû attendre Lionel Jospin en 1997 pour que leur combat soit reconnu comme une guerre. La France, cependant, ne peut mener seule le devoir de mémoire sur l'Algérie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Nicole Duranton . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce sujet essentiel a fait l'objet d'une analyse de fond à l'occasion du rapport remis par Benjamin Stora au Président de la République sur les mémoires de la guerre d'Algérie. L'enjeu réside dans l'émergence d'une mémoire collective.
Ce texte inscrit dans la loi la responsabilité de la France dans la répression brutale de la manifestation du 17 octobre 1961 et la commémoration officielle de ces actes.
Sur ce dernier point, la loi est inutile. De fait, le Président de la République, en octobre dernier, a commémoré ces événements qu'il a qualifiés d'inexcusables, se refusant à opposer les mémoires. Nous approuvons sa démarche. Nous ne nous opposerons toutefois pas à l'article 2.
Sur la responsabilité de la France, point n'est besoin d'une loi. Attention à ne pas faire entrer le législateur dans un débat d'historiens. Ainsi, les manifestants réclamaient-ils l'indépendance ou protestaient-ils contre le couvre-feu ?
M. Rachid Temal. - Ce n'est pas dans le texte !
Mme Nicole Duranton. - Nous devons éviter toute parcellisation des drames et, au contraire, oeuvrer à la pacification des mémoires.
La commémoration à laquelle a participé le Président de la République le 16 octobre, la reconnaissance de la France dans la mort de Maurice Audin et de l'avocat et nationaliste algérien Ali Boumendjel, le prochain projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis constituent des avancées vers une mémoire lucide et apaisée.
Le 30 novembre dernier, un groupe de descendants de militaires français, de harkis et d'indépendantistes remettait au Président de la République un rapport qui intégrait, dans un travail narratif, toutes les mémoires sans les opposer. Nous partageons cette volonté.
Le RDPI s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Franck Menonville . - Le 17 octobre 1961, plusieurs dizaines de personnes sont mortes à Paris ; nous salons leur mémoire.
Il faut se souvenir du contexte. En 1961, depuis sept ans, la lutte armée pour l'indépendance sème la violence en Algérie et en métropole et divise la société française. L'Organisation de l'armée secrète (OAS) voit le jour ; elle causera plus de mille décès. En avril, son dirigeant, le général Salan, est l'un des responsables du putsch. Régulièrement, des attaques violentes du FLN frappent les forces de l'ordre.
Le Général de Gaulle se prononce, le 12 juillet, pour l'indépendance de l'Algérie. Il déclare sans équivoque : « la France accepte que les populations algériennes se constituent en un État entièrement indépendant ». Pourtant, les meurtres de policiers continuent, engageant le préfet de police à décréter un couvre-feu à compter du 5 octobre pour les Français d'origine algérienne. Le 17 octobre, la manifestation qui s'y oppose est réprimée avec une violence inexcusable. Des dépouilles de manifestants sont jetées à la Seine...
Les présidents François Hollande et Emmanuel Macron ont reconnu la responsabilité de la France dans ces actes. La demande du groupe SER d'inscrire cette reconnaissance dans la loi me semble satisfaite.
Le texte crée également une commémoration spécifique. Pourquoi célébrer cet évènement plutôt qu'un autre épisode de la guerre d'Algérie ?
Notre avenir nécessite d'assumer notre histoire et les pages sombres de notre passé, mais la France n'est pas la seule à devoir s'y confronter.
La France et l'Algérie doivent maintenant travailler à bâtir un avenir meilleur, sur la base de coopérations.
Notre groupe rend hommage aux victimes, mais ne votera pas ce texte. Il serait néfaste de rouvrir ce dossier.
M. François Bonhomme . - Cette proposition de loi se saisit des troubles intérieurs survenus dans le contexte de la guerre d'Algérie, en marge de la manifestation du 17 octobre 1961. Aucun doute ne subsiste sur la brutalité de la répression.
Ce texte ne poursuit pas un objectif d'apaisement ni ne recherche la responsabilité pénale des actes. Il confond histoire et mémoire.
Déjà, en 2012 et en 2021, les Présidents de la République successifs ont reconnu la responsabilité de la France. Le rapport Stora a également contribué à l'apaisement mémoriel.
L'article premier n'a pas fait consensus au sein de la commission des lois. La répression était illégale ; il ne s'agit donc pas de la responsabilité de la Nation, mais de celle des auteurs de ces actes et de leurs complices. Le travail historique a beaucoup avancé sur ce point.
Les intentions sous-jacentes de ce texte et de certains amendements m'interrogent : le terme de « crime d'État » est impropre, mais surtout irresponsable, car il nourrit l'instrumentalisation et la rente mémorielle cultivée de l'autre côté de la Méditerranée.
Notre commission des lois, à raison, s'est exprimée défavorablement sur ce texte qui ne contribuera pas à l'apaisement des mémoires, y compris s'agissant de la commémoration de l'événement.
Le Président de la République n'a-t-il pas lui-même parlé de « sables mouvants de la mémoire » ? L'approche mémorielle reste sujette à manipulation. Notons que M. Macron n'est pas exempt de reproches dans ce domaine, ayant qualifié la colonisation de crime contre l'humanité...
L'article premier pose la responsabilité de la France dans la répression. Cette disposition mémorielle, dépourvue de tout aspect normatif, conforte une minorité qui se complaît dans l'identité victimaire et qui réduit l'histoire de notre pays à une longue liste de crimes qui devraient donner lieu à autant de repentances. Cette vision essentialiste fait fi du contexte historique.
Ne tombons pas dans le piège ! Respectons le travail des historiens, sans le corrompre. Loin de l'apaiser, ce genre de texte ne ferait qu'attiser la concurrence des mémoires et crisper les confrontations idéologiques.
En 2003, un décret a créé une journée d'hommage aux harkis. La loi du 6 décembre 2012 concerne, pour sa part, les victimes civiles et militaires.
M. Rachid Temal. - C'est donc possible !
M. François Bonhomme. - Gardons-nous de confondre le travail d'historien - qui dit ce qu'a fait ou pas la France - et de législateur.
Ces faits sont connus et dénoncés. L'examen de conscience de la France l'honore. Je ne pense pas que beaucoup de pays aient mené une réflexion aussi poussée - pas l'Algérie en tout cas. Laissons le temps aux esprits de se pacifier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Guy Benarroche . - Le 17 octobre 1961, des Algériens ont été tués à la suite d'une répression sanglante.
François Hollande et Emmanuel Macron ont reconnu la responsabilité de la France dans ces faits. Elle regarde désormais son histoire avec lucidité.
Le mouvement de la connaissance à la reconnaissance relève d'un travail ancien, relancé par Benjamin Stora. Son rapport rejette les demandes de pardon et prône une politique des petits pas, l'ouverture des archives et la reconnaissance des événements du 17 octobre 1961 comme un crime d'État.
Le Président de la République n'est pas allé si loin. Il s'est certes recueilli devant la plaque posée par Bertrand Delanoë, mais le nombre de victimes demeure minimisé - nous proposerons d'y inclure celles des jours précédant la manifestation - et on observe encore de nombreux blocages d'archives.
Nous saluons cet article premier, mais nous voulons aller plus loin en parlant de « crime d'État ». La mise en cause de Maurice Papon ne doit pas faire oublier que ce préfet a été nommé...
Le Sénat aurait pu faire davantage, mais notre rapporteure voit au mieux dans ce texte une reconnaissance redondante et, au pire, une position non consensuelle...N'est-ce pas une insulte faite aux victimes ?
Quel argument byzantin que de vouloir distinguer la responsabilité de la France de celle du préfet de police ! Le 17 octobre 1961 s'est, en réalité, étendu sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Ce fut une organisation d'ampleur, coordonnée, qui a impliqué l'État.
Certains réclament une réciprocité du gouvernement algérien. Cela n'a pas de sens... Qu'il y ait d'autres coupables ne fait pas de vous un innocent.
Comme le disait Albert Camus, marseillais fils de l'Algérie, « mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde ».
Benjamin Stora s'est prononcé contre les excuses officielles.
Notre pays est capable de reconnaître son histoire. Il n'a pas besoin de l'action d'un autre pour agir. Oui, le sujet est sensible. La guerre d'Algérie a laissé des plaies profondes, y compris chez les juifs pieds noirs dont je fais partie. Nous pouvons les panser, ne nous en privons pas. Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE)
M. Pierre Laurent . - « Ici on noie les Algériens ». Nous avons tous en mémoire cette photo, publiée en une de L'Humanité en 1986.
Le 17 octobre 1961, des Algériens manifestent pacifiquement contre le couvre-feu discriminatoire imposé par Maurice Papon. Cette mobilisation fut très violemment réprimée : au moins 200 morts et 11 000 arrestations.
Que d'années écoulées jusqu'à la reconnaissance officielle, par un communiqué de presse de François Hollande, en 2012 ! La même année, notre groupe et sa présidente Nicole Cohen Borvo-Seat furent à l'initiative d'une résolution adoptée par le Sénat.
En juillet 2020, souhaitant « réconcilier les mémoires », Emmanuel Macron demandait un rapport à Benjamin Stora qui préconise la poursuite de commémorations.
L'article premier de ce texte propose de reconnaître la responsabilité de la France dans cette répression ; l'article 2 d'organiser tous les 17 octobre une commémoration officielle rendant hommage aux victimes.
La commission des lois du Sénat a choisi de rejeter cette proposition de loi mais le Sénat s'honorerait à l'adopter.
Certains restent dans le déni : c'est regrettable. Il faudrait plus de dignité et de hauteur.
Ce qui s'est passé le 17 octobre 1961 n'était pas un événement isolé, mais le paroxysme d'une guerre coloniale. Chasses à l'homme dans les rues de la capitale aboutissant à des assassinats orchestrés par le sinistre Papon : nous pouvons parler de crime d'État.
Souvenez-vous de la sauvage répression du 8 mai 1945 à Sétif, des massacres de Madagascar en 1947, de l'Indochine, de la bataille d'Alger, du métro Charonne, de Maurice Audin. La mémoire n'est pas encore apaisée. Toutes les archives concernant les guerres coloniales et leur cortège de répression doivent être ouvertes.
Cette proposition de loi recueille tout notre soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Arnaud de Belenet . - Le groupe UC ne souscrit pas à cette proposition de loi. Je salue la pondération de notre rapporteure, que nous suivons. Ces actes furent perpétrés par Maurice Papon et ses complices, non par la Nation tout entière. Et il y a tant d'autres dates tout aussi douloureuses. Pourquoi ne consacrer que celle-ci dans la loi ?
Nous pourrions aussi débattre du pacifisme de cette mobilisation, quelques mois après la fin du putsch, quelques semaines après l'attentat du Petit-Clamart...
Nous devons rechercher l'apaisement mémoriel pour les victimes du 17 octobre, celles de la rue d'Isly le 26 mars 1962, celles du métro Charonne le 8 février 1962, pour les massacrés du 5 juillet 1962 à Oran...
M. Rachid Temal. - Déposez donc une proposition de loi !
M. Arnaud de Belenet. - ... pour les ouvriers de Constantine, pour les 27 000 engagés qui ne sont jamais revenus d'Algérie, pour les 1 630 Européens enlevés et disparus, pour les supplétifs, les harkis, les moghazni, abandonnés à la vengeance ou ramenés en France, pour les morts après le cessez-le-feu, pour les officiers français déchirés, qui se demandent soixante ans après s'ils ont bien agi...
Pour eux tous, nous devons travailler à l'apaisement mémoriel. Cette proposition de loi y contribue-t-elle ? Je ne le crois pas. Il faut des réponses plus subtiles, moins partielles, moins partiales.
Contribuera-t-elle à la réconciliation avec l'Algérie ? Je ne le crois pas davantage. L'Algérie nous sait-elle gré de nos avancées en 2012 ? Quels pas a-t-elle esquissés depuis ? Les cimetières français d'Algérie sont à l'abandon. L'État algérien, enfermé dans le dogme d'une « rente mémorielle », pour reprendre les justes mots du Président de la République, s'indigne, insulte, instrumentalise. L'apaisement mémorial ne peut être unilatéral et partiel.
Il faudrait que la France et l'Algérie toutes entières regardent avec lucidité et vérité toute leur histoire commune. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Valérie Boyer, rapporteure - Bravo !
M. David Assouline . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce débat vient de loin. Ce fut un de mes engagements de jeunesse, en tant qu'historien et militant de la mémoire. Je salue Samia Messaouidi, présente en tribune.
Le communiqué officiel faisait état de trois morts. Je suis allé regarder les premières archives officielles à la fin des années 1990, au parquet de Paris, qui montraient que des dizaines de corps avaient été repêchés dans la Seine - certains avaient dérivé jusqu'à Rouen. Personne ne conteste plus ce bilan.
Une manifestation de 20 000 personnes, neuf policiers blessés, 13 000 arrestations, des dizaines de morts parmi les manifestants. Aujourd'hui, ce serait impossible. (M. Stéphane Ravier ironise.)
Y a-t-il une responsabilité de l'État ? On ne saurait se défausser à ce point sur les policiers, massivement déployés. Une telle organisation suppose un État très structuré, et le préfet de police avait déjà fait ses preuves sous Vichy, à Bordeaux...
Ce sont les mêmes négateurs de l'histoire qui disaient que Léon Blum avait trahi la France, à son procès de Riom.
Il a fallu attendre le merveilleux discours de Jacques Chirac, reconnaissant la responsabilité de la France.
Comment la nier, quand cela s'est passé au coeur de Paris, à côté du Grand Rex et des grands magasins ?
Assumons nos responsabilités, sans nous défausser sur une prétendue bavure. Pour apaiser les mémoires et bâtir un avenir en commun, nous avons besoin de reconnaissance.
M. Philippe Tabarot. - Madame la présidente, le temps est écoulé.
M. Stéphane Ravier. - Le temps de parole est terminé ! C'est fini !
M. David Assouline. - Nous parlerons demain des harkis, parce qu'ils méritent notre respect. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)
M. Philippe Tabarot . - Cette proposition de loi relève d'une démarche idéologique et politicienne. On nous demande une nouvelle fois d'oublier le contexte de l'époque pour verser dans l'autoflagellation mémorielle.
Cette proposition de loi est opportuniste, provocante et partiale.
M. Rachid Temal. - Rien que ça !
M. Philippe Tabarot. - En ne choisissant qu'une douleur, elle alimente inutilement la bataille des mémoires.
Restons sur une ligne claire et évitons d'agiter et de revoir l'histoire. Je ne suis pas comme Emmanuel Macron qui demande un jour, sur CBS, à déconstruire notre histoire, puis, un autre, se ravise.
Les célébrations du 19 mars, que la gauche a imposées par une manoeuvre grossière, ne vous suffisent pas ? (M. Rachid Temal s'insurge.)
Cette surenchère culpabilise encore et toujours la France en ne retenant que les heures sombres. Oui, nous étions en guerre, en Algérie mais aussi en métropole. Oui, le FLN a tué et massacré civils et militaires. Dans les mois qui ont précédé cette manifestation interdite, 22 policiers avaient été tués et 79 blessés. Voilà le contexte.
Votre proposition de loi préfère la logique victimaire à la logique de vérité. (Protestations sur les travées du SER) Il faut plus que deux lignes dans une proposition de loi pour rendre compte de la vérité.
M. François Bonhomme. - Absolument !
M. Philippe Tabarot. - On ne peut sélectionner les mémoires, oublier le massacre d'Oran du 5 juillet 1962.
M. Rachid Temal. - Déposez donc une proposition de loi !
M. Philippe Tabarot. - Où sont les plaques en hommage aux victimes harkis et pied-noir à Alger ? Arrêtons de prétendre que seule la France aurait commis des fautes ! Et le FLN ?
Ce sens unique mémoriel est insupportable. Il alimente la propagande victimaire anti-France, le communautarisme et le séparatisme. (Protestations sur les travées du groupe SER)
M. Rachid Temal. - Sûrement !
M. Pierre Laurent. - Et Maurice Papon ?
M. Philippe Tabarot. - Assez de ces actes de repentance à répétition, de ces décisions prises parfois bien malgré nous. Les pieds noirs et les harkis en ont assez, ils veulent vivre et mourir en paix, loin de leur terre natale.
Laissons le passé aux historiens et arrêtons de vouloir le réécrire pour s'attirer les bonnes grâces d'une partie de l'électorat. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)
Je connais mieux que vous ces déchirements. Certains y ont laissé la vie, d'autres ont tout perdu, y compris leurs racines.
La France peut reconnaître ses torts mais il n'y a rien à célébrer les 17 octobre ni les 19 mars, dates de sinistre mémoire, synonymes de douleur.
Il faut montrer à nos enfants qu'il existe un autre chemin que celui de la résignation, un chemin de grandeur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Stéphane Ravier applaudit également.)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. Pierre Ouzoulias . - Le travail des historiens fait consensus : ils récolent les actes avec méthodologie. Mais nous sommes incapables, encore aujourd'hui, de savoir combien il y eut de morts. La préfecture de police a pourtant nécessairement dû recenser ces morts violentes en plein Paris.
Par la loi du 30 juillet 2021, votre Gouvernement a réduit l'accès aux archives. Les événements de 1961 sont-ils concernés ? Toutes les archives de la préfecture de police sont-elles librement consultables ?
M. Pascal Savoldelli . - Dans ma ville d'Ivry-sur-Seine, le maire Philippe Bouyssou a organisé une commémoration et inauguré une rue, dans un lieu hautement symbolique.
Nous avons un devoir de mémoire. Il n'y a eu non pas deux morts mais des dizaines d'Algériens tués par la police : c'était un mensonge d'État, diffusé à l'époque devant les élus et les parlementaires. De nombreuses archives ont été détruites et les médias ont procédé à une censure.
Pourtant, la connaissance historique est une éducation à la citoyenneté. La mémoire est un vécu. Il ne s'agit pas seulement d'une relation d'État à État, mais d'une responsabilité que la France doit assumer en reconnaissant les crimes commis. Le fait tragique fait partie de l'histoire de nos deux pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; MM. Rachid Temal, Hervé Gillé et Guy Benarroche applaudissent également.)
M. David Assouline . - Mme la rapporteure et Mme la ministre l'ont reconnu, un pas important a été franchi lorsque Bertrand Delanoë, à ma demande, a gravé dans la pierre des rues de Paris, en face de la préfecture de police, un lieu mémoriel de ces événements. Mais ce n'est pas venu tout seul. Au conseil de Paris, les débats avaient été hystériques.
En quoi y a-t-il eu davantage de crispations, de tensions victimaires depuis ? Bien au contraire, les descendants des victimes peuvent voir que leur histoire est reconnue dans les rues de Paris, dans ces gerbes déposées tous les 17 octobre. L'histoire reconnue apaise. Non reconnue, elle attise les dissensions.
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Après le mot :
jours
insérer les mots :
précédents et
M. Guy Benarroche. - Quelques semaines avant la manifestation du 17 octobre 1961, il y avait déjà des disparitions de militants algériens en région parisienne, dont certaines avaient fait l'objet d'une déclaration à la police. Les historiens ont établi ces faits de longue date et les ont inscrits dans un engrenage de violence qui dura plusieurs semaines. Dans un souci de vérité, nous demandons d'inclure la mention des « jours précédents et suivants » la manifestation.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. - La mise en contexte des événements est importante. Cet amendement pose cependant problème dans la mesure où l'article premier vise spécifiquement la manifestation du 17 octobre. Si l'on intègre les jours précédents, le climat général, il faut aussi évoquer les violences contre les policiers et la levée de l'impôt révolutionnaire dans la wilaya de Paris. Avis défavorable.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État. - La loi n'a pas vocation à imposer une version de l'histoire. Le travail des historiens est en cours, respectons-le. Avis défavorable.
M. Rachid Temal. - Je salue la rapporteure. Elle nous expliquait tout à l'heure qu'il y avait un contexte général et maintenant, elle recentre le propos sur le 17 octobre !
Nous nous opposons à cet amendement et préférons la version initiale de notre texte.
M. Pierre Ouzoulias. - Madame la ministre, je suis obstiné - vous allez devoir me répondre. (Sourires) Les historiens ont-ils librement accès à la totalité des sources archivistiques concernant l'événement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Rachid Temal. - Non !
À la demande de la commission, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°60 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l'adoption | 30 |
Contre | 314 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :
La France reconnaît que cette répression, perpétrée par les forces de l'ordre sous l'autorité hiérarchique de la préfecture de police de Paris, constitue un crime d'État.
M. Guy Benarroche. - La reconnaissance par Emmanuel Macron de « crimes inexcusables pour la République » est une première pierre, mais cette déclaration ne va pas assez loin. La responsabilité d'un tel massacre est à chercher au plus haut sommet de l'État français.
La volonté de dissimulation par l'État est avérée : pendant plus de trente ans, le bilan officiel ne fut que de trois victimes, alors que nous savons que la répression a causé plusieurs dizaines de morts.
Enfin, les travaux des historiens montrent que cette violence est à mettre en regard avec les techniques de répression coloniale. Près de 12 000 Algériens furent arrêtés et transférés dans des centres de tri, certains furent torturés.
Nous demandons à ce que la répression sanglante des manifestants algériens, commise sous l'autorité du préfet de police Maurice Papon, soit reconnue comme crime d'État.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. - Avis défavorable. La commission des lois estime que la reconnaissance de la responsabilité de la France ne fait pas consensus. De plus, la notion de crime d'État n'a pas de consistance juridique.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État. - Même avis.
M. David Assouline. - Parler de responsabilité de la France ou de crime d'État, c'est la même chose. Dire que c'est un crime d'État est une évidence. Sinon, on dit qu'il y a eu bavure, faisant peser la responsabilité sur les policiers ou sur le préfet. Dans ce cas, cela signifierait que le principal agent de l'État à Paris était hors de contrôle.
La volonté politique de cacher les faits est manifeste.
Dans les guerres, oui, il y a des débordements. Mais nous étions au coeur de Paris, lors d'une manifestation pacifique. Jamais la presse de l'époque ne fait état de violences envers les policiers.
M. Rachid Temal. - Nous avons présenté un texte d'équilibre, qui est un acte politique. Nous ne sommes pas favorables à cet amendement.
M. Pierre Ouzoulias. - Je suis obstiné, madame la ministre. Les historiens peuvent-ils accéder librement à la totalité des archives ou la loi du 30 juillet 2021 a-t-elle supprimé l'accès à certaines pièces ?
Votre Gouvernement pourrait aujourd'hui prendre l'engagement de prendre un arrêté sur la base de l'article L. 212-26 du code du patrimoine. Cela rassurerait les historiens.
Mme Esther Benbassa. - Je ne suis pas d'accord avec le terme de « crime d'État ». L'État d'hier n'est pas celui d'aujourd'hui. Le Président Chirac évoquait la responsabilité de la France - c'est plus juste.
M. François Bonhomme. - Les termes employés posent question. L'amendement pousse la logique victimaire de génuflexion forcée jusqu'au bout.
Cela s'entrechoque avec la logique qui consiste à laisser les historiens travailler. Attention, la pente est glissante.
Ce n'est pas à la loi de prescrire la vérité historique.
Madame la ministre, vous ne répondez pas aux questions... (Mme la ministre le conteste.)
M. Pierre Ouzoulias. - Merci !
M. François Bonhomme. - Ce n'est pas convenable et guère respectueux du Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur plusieurs travées du groupe SER)
Cet amendement ne va pas vers l'apaisement.
M. Éric Kerrouche. - Étant universitaire comme Pierre Ouzoulias, je voudrais être sûr que la ministre a compris (sourires) : les historiens peuvent-ils travailler sur cette période ?
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État. - J'ai entendu les interpellations. L'amendement n°3 rectifié me donnera l'occasion de vous répondre.
M. Éric Kerrouche. - Passons tout de suite à la saison 2 ! (Sourires)
À la demande de la commission, l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°61 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l'adoption | 29 |
Contre | 315 |
Le Sénat n'a pas adopté.
À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°62 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l'adoption | 94 |
Contre | 236 |
Le Sénat n'a pas adopté.
APRÈS L'ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié, présenté par Mme Benbassa.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'accès des archives relatant cette période doit être assuré de plein droit et sans entrave à tous les citoyens.
Mme Esther Benbassa. - Le 9 mars 2021, le Président de la République promettait d'ouvrir les archives sur ces évènements, mais le Gouvernement est revenu sur cette promesse avec la loi Sécurité globale, qui restreint l'accès aux archives classées « secret-défense ».
Les chercheurs ne peuvent mener à bien leurs travaux ; la douleur des familles est ravivée. Les descendants sont en droit de connaître la vérité dont une partie est dans les archives. Il est temps de lever cette omerta et de soigner cette blessure mémorielle.
Les droits à l'information et à la recherche sont inaliénables.
Monsieur Bonhomme, il y a déjà eu plusieurs lois mémorielles, par exemple concernant les Arméniens...
Mme Valérie Boyer, rapporteure. - Je regrette de répondre avant la ministre.
Cet amendement ouvre les archives de cette période de plein droit à tous les citoyens.
Les archives sur le 17 octobre 1961 sont ouvertes par dérogation à la loi de 1979 depuis plus de vingt ans. Jean-Paul Brunet en a tiré deux ouvrages qui se fondent sur une exploitation minutieuse des sources.
M. Rachid Temal. - Un peu orientés !
Mme Valérie Boyer, rapporteure. - Madame la ministre, pouvez-vous apporter des précisions sur les archives militaires concernant la rue d'Isly, dont on nous dit qu'elles ont disparu ? On attend aussi depuis soixante ans des éléments probants sur les disparus d'Algérie. (M. Rachid Temal s'exclame.)
M. Jean-Marc Todeschini. - Parlons de la Syrie et de Bachar el-Assad !
Mme Valérie Boyer, rapporteure. - Oui, madame Benbassa, le Parlement vote des lois mémorielles. La loi reconnaissant le génocide du 24 avril 1915 n'a pas de valeur normative, puisqu'il n'y a pas de pénalisation du négationnisme - l'affaire reste pendante.
Cette proposition de loi symbolique n'a pas non plus de valeur normative. Avis défavorable.
M. Rachid Temal. - Bref, deux poids, deux mesures !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État. - Le ministère de la Culture, dont je salue le travail, a entamé une démarche de dérogation pour ouvrir plus largement les archives de la guerre d'Algérie, quel que soit leur lieu de conservation. Retrait ou avis défavorable.
M. Pierre Ouzoulias. - Le 30 juillet 2021 a été votée une loi qui restreint l'accès aux archives qui étaient jusque-là consultables. Il y a un recul ! Dois-je conclure de vos propos, madame la ministre, que cette loi ne s'appliquerait pas aux événements du 17 octobre 1961 ?
La même loi oblige les Archives nationales à rendre public le déclassement, le récolement des pièces et les délais de communicabilité.
Nous attendons une réponse très précise. C'est important. Des travaux d'édition sont interrompus faute de visibilité sur la communicabilité des archives.
M. Rachid Temal. - Je suis favorable à cet amendement. Certaines archives n'ont jamais été retrouvées, telles que le rapport du préfet Papon.
M. Ouzoulias a raison : il y a des problèmes d'accès aux archives. Or l'ouverture des archives - moyennant, bien sûr, des règles de sécurité - est nécessaire à la compréhension de ce qui s'est passé.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État. - Je salue votre détermination, monsieur le sénateur Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. - Elle est absolue !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État. - Le ministère de la culture, compétent en matière d'archives, a engagé une réflexion sur la possibilité d'une dérogation. Je m'engage à me tourner vers lui, puis à revenir vers vous avec une réponse précise.
Mme Esther Benbassa. - Le livre de Jean-Paul Brunet, cité par la rapporteure, est ancien et a été écrit sans archives ; c'est l'un des rares à mentionner des policiers tués.
En France, pays démocratique, les archives sont ouvertes à tous : enseignants, étudiants, citoyens. On ne vous demande jamais votre carte d'historien.
Pourquoi donc les archives dont nous parlons ne sont-elles pas ouvertes ? Il n'y a pas de danger, pas de secret-défense ! Le Gouvernement doit s'engager précisément sur un délai, car des travaux historiques sont en cours.
Je remercie M. Ouzoulias pour sa persévérance sur ce sujet important.
M. Jean-Pierre Sueur. - Une grande loi sur les archives a été votée en 2008, avec le soutien de Robert Badinter. Loi de liberté, elle permettait aux historiens de travailler dans des conditions claires.
M. Ouzoulias et moi-même avons bataillé ensemble contre la loi du 30 juillet 2021. Les membres du Gouvernement s'obstinaient à ne pas nous répondre précisément. À nouveau, la réponse n'est pas claire : Mme la ministre parle de consulter le ministère de la culture... C'est un faux-fuyant !
Je regrette l'attitude néfaste du Gouvernement envers les historiens. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
M. David Assouline. - Madame la ministre, l'ouverture que vous avez annoncée est-elle une dérogation ou une application de la loi ?
M. François Bonhomme. - L'objet de l'amendement s'inscrit dans un registre compassionnel. Mme Benbassa entretient ainsi la confusion entre mémoire et histoire.
Or la concurrence, la surenchère, la sélectivité des mémoires engendrent des tensions. Au contraire, le travail des historiens est fait de précision et de rigueur. Si les archives doivent être ouvertes à tous, c'est sur ce travail que nous comptons.
Les sujets dont nous parlons sont extrêmement douloureux ; plusieurs décennies ont passé, mais les plaies ne sont pas refermées.
L'histoire est une vallée de larmes : le politique devrait se tenir à bonne distance de son caractère tragique, irrémédiable, pour éviter des dérives.
À la demande de la commission, l'amendement n°3 rectifié est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°63 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 229 |
Pour l'adoption | 91 |
Contre | 238 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. Rachid Temal. - Je remercie mon groupe d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour.
Chacun reconnaît les faits : la terrible répression, les centaines de blessés, les morts. Mais certains expliquent qu'il y avait un contexte.
M. François Bonhomme. - C'est l'évidence !
M. Rachid Temal. - On aurait donc le droit de tuer, quand il y a une raison ? Rien ne justifie que des manifestants arrêtés soient tués ou blessés !
Je ne reviens pas sur les propos dignes de l'OAS du représentant de l'extrême droite.
La majorité sénatoriale a fait le choix d'une mémoire sélective : quand il s'agit du massacre d'Oran, des harkis, elle a moins de pudeurs...
Nous devons poursuivre le travail historique, nous le devons à tous les Français ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
M. François Bonhomme. - Replacer des événements dans leur contexte, c'est la base du travail de l'historien. (M. Franck Menonville approuve.) Cela n'a rien à voir avec une occultation ou une atténuation des faits.
Lisez donc les historiens, les vrais ! (Marques d'ironie à gauche) Lisez Marc Ferro, Jacques Julliard sur les lois mémorielles.
M. David Assouline. - Lisez Stora ! Un crime d'État !
M. François Bonhomme. Par nature, la mémoire est déformée par les passions humaines.
Peut-être alors douterez-vous un peu plus, au lieu d'affirmer de façon définitive. (M. Jean-Marc Todeschini s'exclame.)
M. Bruno Belin. - Ne nous donnons pas de leçons les uns aux autres ; il faut beaucoup d'humilité devant l'histoire.
Évidemment, il y a un contexte. J'ai une pensée pour les appelés du contingent envoyés en Algérie.
M. Rachid Temal. - On parle de Paris !
M. Bruno Belin. - L'histoire est un tout. On ne la saucissonne pas !
Mme Esther Benbassa. - M. Bonhomme lit de petits extraits de Wikipédia.
M. François Bonhomme. - On prend de la hauteur...
M. Stéphane Ravier. - Quel mépris ! Elle détient la vérité !
Mme Esther Benbassa. - J'ai écrit un livre sur la souffrance comme identité et je suis contre les lois mémorielles. Mais, là, c'est différent...
M. François Bonhomme. - Bien sûr !
Mme Esther Benbassa. - Il s'agit de reconnaître un fait. J'espère une petite lueur pour mettre fin à l'omerta.
L'histoire est faite de moments sombres et de moments grandioses. Reconnaître les événements dont nous parlons est important pour la cohésion nationale.
M. Olivier Paccaud. - L'histoire de France comporte des chapitres glorieux mais aussi des pages sombres et même quelques heures troubles, dont le 17 octobre 1961 fait partie - nul ne le nie.
Devons-nous aller plus loin en votant une loi mémorielle ? En tant que législateur et en tant qu'agrégé d'histoire, je ne le pense pas.
La guerre d'Algérie a été une succession de drames, un chapelet d'ignominies. La cohérence voudrait que nous votions une loi par ignominie. N'en faudrait-il pas une aussi pour la Toussaint rouge ?
Oui, nous devons regarder notre histoire en face. Jacques Chirac a eu raison de prononcer le discours du Vél' d'Hiv. Mais c'était un discours - pas une loi.
Les commémorations ne peuvent pas être hémiplégiques.
Nous souhaitons tous l'apaisement et la réconciliation avec l'Algérie, mais cela suppose la réciprocité.
Je ne voterai pas cette proposition de loi.
M. Bruno Belin. - Très bien !
M. Pierre Laurent. - La majorité sénatoriale refuse d'affronter ce qui est une question politique.
Le travail des historiens va continuer, là n'est pas la question. M. Ouzoulias a d'ailleurs posé à cet égard une question précise.
Il ne s'agit évidemment pas de figer ce travail, mais de savoir si nous affirmons clairement la nécessité de marquer cette date, celle d'un drame épouvantable dans les rues de Paris.
L'expression « loi mémorielle » n'est donc pas appropriée.
M. François Bonhomme. - Tiens donc !
M. Pierre Laurent. - Il s'agit de poser un acte politique. Nous pensons que ce serait l'honneur de la France de le faire.
M. Philippe Tabarot. - Je suis novice dans cette assemblée, mais il me semble qu'il y a un petit problème de forme.
Quand vous siégez au fauteuil de la présidence, madame Rossignol, qui représentez-vous ? Le parti socialiste ? (Vives protestations à gauche)
Deux orateurs du groupe SER ont pu déborder d'une minute chacun, alors que, ce matin, les trente secondes de dépassement de Mme Boyer ont été retirées à M. Belin. (Marques d'indignation à gauche)
M. Éric Kerrouche. - Comment peut-il dire cela ?
M. Pierre Ouzoulias. - Vous attaquez l'institution !
Mme la présidente. - Aux termes de l'article 35 bis de notre règlement, il appartient au président de séance de veiller au respect du temps de parole, dans le respect de la clarté et de l'intelligibilité des propos des orateurs. Il existe donc une marge de manoeuvre.
Dans le cadre de votre apprentissage des us et coutumes sénatoriaux, monsieur Tabarot, vous devriez vous former aussi au sens de l'humour. Quand j'ai dit ce matin à M. Belin que je lui retrancherais trente secondes, c'était un trait d'humour. Votre collègue l'a d'ailleurs parfaitement compris.
Permettez-moi de vous dire que je trouve vos remarques incongrues et partisanes. Jusqu'à présent, personne n'avait jamais remis en cause ma présidence.
M. Philippe Tabarot. - C'est donc chose faite !
M. Éric Kerrouche. - Vous êtes un idiot !
M. Patrick Kanner. - Rappel au règlement ! Les propos de M. Tabarot sont insultants. C'est d'autant plus inacceptable que les sénateurs Les Républicains, largement minoritaires dans l'hémicycle, usent et abusent du scrutin public, amputant le temps de débat dans le cadre de notre ordre du jour réservé. (Applaudissements à gauche)
Mme la présidente. - Acte vous vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.
M. Guy Benarroche. - Le 17 octobre 1961 est un acte politique - même si, bien sûr, il intervient dans un contexte. Le préfet nommé par l'État français a décidé d'une répression sanglante, qui a fait des dizaines de morts et des centaines de blessés.
Il ne s'agit pas de faire concurrence à d'autres événements, eux aussi tragiques. Il ne s'agit pas non plus de nous comparer au gouvernement algérien, dont le niveau démocratique n'est pas le nôtre.
Ce que nous voulons, c'est que les historiens aient un accès libre à la totalité des archives ! (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Rachid Temal et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)
À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°64 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 310 |
Pour l'adoption | 96 |
Contre | 214 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.
Nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l'enseignement et l'engagement, présentée par Mme Martine Filleul et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Discussion générale
Mme Martine Filleul, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'abstention des jeunes générations interroge note démocratie. Une distance s'est installée. Le rapport des jeunes à la politique a changé. Je pense à leurs causes - féminisme, écologie, cause animale, droits des LGBT -, mais aussi à leurs modes d'expression : leurs combats passent par les réseaux sociaux, les manifestations ou les pétitions plus que par le vote.
Quoi qu'il en soit, la jeunesse est concernée, en attente, exigeante. Son désir d'engagement progresse. Même s'il faut en parler au pluriel : il y a des jeunesses, avec des rapports différents à l'engagement et à la politique.
Nous ne pouvons nous résigner à cette hausse structurelle de l'abstention des jeunes. Léon Blum disait : « Toute classe dirigeante qui n'est pas capable d'employer la force fraîche des générations montantes est condamnée à disparaître de l'histoire. » Ne prenons pas le risque que les jeunes fassent sécession, pour reprendre l'expression de Frédéric Dabi dans La Fracture.
Nous devons leur tendre la main, leur envoyer un message de confiance, leur dire que nous voulons faire République avec eux.
Dans cet esprit, notre proposition de loi abaisse la majorité électorale à 16 ans, prévoit un nouvel enseignement de science politique au collège et généralise les conseils de jeunes dans les communes de plus de 5 000 habitants et les départements.
Ce texte est une réponse à l'abstention, parmi beaucoup d'autres. De fait, nombre de chercheurs, dont Anne Muxel, expliquent que, plus l'habitude de voter est prise tôt, plus les chances sont grandes que le vote devienne systématique.
À 16 ans, la famille et l'école jouent le rôle de cadres et favorisent le vote. L'âge de 18 ans, celui de la décohabitation, est plus propice à la mal-inscription sur les listes électorales.
La société accorde déjà de nombreux droits aux jeunes de 16 ans : ils peuvent travailler, reconnaître un enfant, obtenir un permis de chasse, rédiger un testament, devenir pompier volontaire, créer une association... À 16 ans, en un mot, on est considéré comme adulte.
Plusieurs pays ont déjà fixé la majorité électorale à 16 ans, pour les élections locales ou pour tous les scrutins ; d'autres s'apprêtent à le faire, comme l'Allemagne. Dès 2015, le Conseil européen recommandait d'harmoniser la majorité électorale à 16 ans.
Pourquoi la France, pays de la démocratie, resterait-elle à l'écart de ce mouvement de revitalisation ? Le vote à 16 ans, c'est le cours de l'histoire.
Certes, les jeunes sont aujourd'hui plus longtemps dépendants financièrement, mais leur autonomie est plus précoce : ils sont plus mobiles, plus informés et plus formés. Ils doivent participer aux décisions qui les concernent.
L'école, fabrique des citoyens, est la plus à même de donner des clés de compréhension, d'éveiller l'appétit démocratique. C'est pourquoi nous proposons la création d'un enseignement spécifique de science politique, en complément de l'éducation morale et civique.
Nous proposons également la généralisation des conseils de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants et dans les départements. C'est l'opportunité pour nos jeunes d'être parties prenantes de la vie démocratique locale. Ce dispositif essentiel est aujourd'hui sous-utilisé.
Face aux multiples crises que nous traversons, nous pouvons nous refermer frileusement sur nous-mêmes, en tenant à distance une jeunesse turbulente. Nous pouvons aussi envisager l'avenir avec enthousiasme, en considérant les jeunes comme une ressource et des interlocuteurs légitimes.
Notre démocratie est fatiguée : donnons-lui un nouveau souffle en faisant confiance à la jeunesse ! Nos jeunes l'attendent et le méritent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la commission des lois . - Élection après élection, nous constatons l'abstention massive des jeunes. Afin d'y remédier, cette proposition de loi abaisse la majorité électorale à 16 ans, crée des conseils de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants et les départements et prévoit un enseignement de science politique au collège.
La commission des lois a rejeté ce texte. Nous ne pouvons qu'être d'accord sur l'objectif d'accroître la participation, qui n'a atteint que 17 % chez les 18-24 ans et 19 % chez les 25-34 ans aux élections régionales et départementales du printemps dernier. Mais la mesure phare du texte, la majorité électorale à 16 ans, ne nous a pas convaincus.
La majorité électorale doit être fixée à un âge où l'on possède une certaine maturité. Ce n'est pas le cas de tous les adolescents de 16 ans. Certes, de nombreux droits sont ouverts dès 16 ans, mais ils ne sont pas comparables au suffrage politique. Voter, c'est assumer une part de la responsabilité des choix qui engagent la collectivité.
Conformément à l'article 3, alinéa 4 de la Constitution, les majeurs sont électeurs : la majorité électorale découle donc de la majorité civile, et les deux ne peuvent être dissociées.
Certes, c'est ce qu'on a fait en 1974. Mais, depuis lors, la doctrine a évolué. Et je rappelle que le gouvernement de l'époque entendait procéder par étapes : baisser d'abord la majorité électorale, puis la majorité civile.
Si nous souhaitions abaisser l'âge de la majorité électorale, il faudrait réviser la Constitution ou abaisser la majorité civile. La seconde option n'est pas envisageable, tant elle aurait de conséquences sur la protection juridique et sociale des jeunes de 16 à 18 ans. Par ailleurs, la majorité pénale aussi devrait être ramenée à 16 ans.
En tout état de cause, une modification aussi substantielle du corps électoral ne pourrait intervenir à quelques mois de l'élection présidentielle. Indépendamment même du principe de stabilité du droit électoral, le ministère de l'intérieur ne serait pas en mesure de recenser et d'inscrire sur les listes électorales 1,7 million de jeunes en quelques semaines.
Il ressort des études que les jeunes ne sont pas demandeurs d'une telle réforme, parce qu'ils pensent que la politique ne peut rien pour eux.
Au reste, il n'est pas du tout certain que l'ouverture du droit de vote à ces jeunes améliore la participation à moyen terme. La thèse à laquelle Mme Filleul a fait référence est loin de faire l'unanimité, et les exemples étrangers - comme celui de l'Autriche - ne permettent pas de conclure à un effet bénéfique de cette mesure sur les taux de participation.
Nous devons convaincre les jeunes électeurs de revenir aux urnes, accompagner les jeunes dans leur apprentissage de citoyens. Les enseignements actuels - histoire-géographie et enseignement moral et civique - permettent de le faire ; inutile d'en créer un nouveau, comme le prévoit l'article 2.
De nouvelles formes d'engagement civique existent : encourageons-les. Les collectivités territoriales se sont déjà approprié les conseils de jeunes. Les trois quarts des régions et les deux tiers des départements en ont institué, ainsi que de nombreuses communes, notamment à la suite du dernier renouvellement des conseils municipaux. Faisons confiance à l'intelligence du terrain.
Pour ces raisons, la commission des lois vous recommande de ne pas adopter la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement . - Je remercie Mme Filleul d'avoir suscité ce débat. Aucune question relative à la jeunesse et à la démocratie n'est anodine.
L'histoire de la démocratie est une histoire de conquêtes et d'équilibres - entre droits et devoirs, progressisme et conservatisme. Dire oui ou non au vote à 16 ans, ce n'est pas dire oui ou non à la jeunesse. À cet âge, certains sont prêts, d'autres sont encore des enfants.
L'abstention est un problème endémique et qui s'aggrave. Mais l'argument selon lequel plus on vote jeune, plus on vote longtemps ne tient que parce qu'on a envie d'y croire...
Au surplus, les jeunes eux-mêmes ne sont pas unanimes pour réclamer cette mesure. Ils sont même 72 % à ne pas la souhaiter, selon une étude de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire et du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie.
M. Bruno Belin. - Voilà qui est clair !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Je respecte néanmoins les élus qui la défendent. En mars dernier, une tribune a été lancée à l'Assemblée nationale par le député Corceiro. Clément Beaune a eu raison de dire que nos démocraties ne peuvent s'offrir le luxe de négliger une piste.
Bien entendu, nous avons confiance dans notre jeunesse. Mais le coeur de la bataille, c'est la lutte contre l'abstention. Comment ramener les jeunes vers le vote ?
Une partie des jeunes a perdu confiance dans la capacité transformatrice du vote. À nous de leur redonner confiance dans le pouvoir du bulletin de vote. La démocratie, ce sont des droits et des devoirs, dont celui de voter.
Nous renforçons l'enseignement moral et civique, construisons des parcours de citoyenneté. Celle-ci s'apprend dès le plus jeune âge, via les délégués, le service national universel (SNU), le volontariat de service civique ou le corps européen de solidarité. C'est l'affaire des familles et de l'État, mais aussi des élus locaux.
J'invite les maires à continuer de faire vivre les conseils municipaux de la jeunesse, qui peuvent encore évoluer. Organisons des moments qui sacralisent, des cérémonies citoyennes, comme pour la remise de la première carte d'électeur. Ces temps forts sont essentiels.
Les conditions ne sont pas réunies pour soutenir cette proposition de loi. Le bon âge pour commencer à voter, c'est celui où l'on est prêt à le faire.
Creuset républicain, le SNU sera un accélérateur d'entrée dans la vie citoyenne. Peut-être alors pourrons-nous nous reposer la question de l'âge de la majorité électorale.
Mme Esther Benbassa . - Qu'il est difficile d'être jeune en 2021 ! Les jeunes sont souvent méprisés, jamais écoutés ; on leur demande de s'adapter à une société à bout de souffle, alors que l'avenir est entre leurs mains.
Ils avancent dans la vie dans un environnement incertain. Comment leur redonner confiance ? Comment les intégrer à la vie de la cité ?
Les jeunes, pourtant, sont engagés et ne demandent qu'à être écoutés. Dans les marches pour le climat et le féminisme, je me réjouis de les voir nombreux, mais ils y scandent des slogans accusateurs contre le système politique et ses acteurs.
Si le taux d'abstention record des moins de 25 ans aux dernières élections inquiète, il faut s'interroger sur ses raisons. Pourquoi ce désintéressement et cette méfiance à l'égard de la politique ?
Le ressentiment des jeunes est légitime et nous devons nous remettre en question et prendre nos responsabilités.
Au lycée, on leur demande de choisir une carrière malgré les défaillances de Parcoursup, terriblement injuste.
Il faut faire confiance à la jeunesse. Abaisser le vote à 16 ans lui permettra de s'impliquer plus tôt. Cet investissement précoce s'accompagnera d'un apprentissage civique.
Je voterai pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Martine Filleul applaudit également.)
M. Éric Kerrouche . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La participation électorale s'effrite depuis 1989, les années 2020 et 2021 ayant battu des records. Les jeunes sont, avec les plus de 80 ans, parmi les plus abstentionnistes.
Le vote permet pourtant la pacification de la vie politique ; l'alternative, c'est la violence.
Nous voulons faire entrer pleinement 1,6 million de jeunes de 16 et 17 ans dans la communauté des électeurs.
Je félicite le parti Les Républicains d'avoir ouvert sa primaire dès 16 ans... Hélas, les mêmes s'opposent à notre texte.
L'argument constitutionnel est une argutie. Le débat a été tranché en 1974. D'aucuns évoquent un risque en matière de protection de l'enfant, mais il existe déjà une pluralité de majorités. Abaisser la majorité pénale à 16 ans ne pose aucun problème à certains...
Oui, l'abstention concerne particulièrement les jeunes de 18 à 25 ans. Insertion professionnelle, études, mobilités, il y a toujours eu un apprentissage électoral, un temps d'accommodation à la vie politique, et c'est heureux.
Ce ne serait pas une revendication de la jeunesse ? Avant 1945, le vote des femmes n'était pas réclamé par toutes... L'abaissement de la majorité électorale représente un outil, parmi d'autres, pour lutter contre le désintéressement de la jeunesse.
La maturité ? Sachez aussi qu'elle se dégrade ! L'argument du niveau d'études était aussi employé en 1974, mais l'accès à l'information des jeunes n'a rien à voir avec celui de l'époque. Près d'un tiers des jeunes de moins de 18 ans ont déjà marché pour le climat. Ils veulent s'engager !
Le Parlement européen plaide pour l'abaissement du droit de vote. En Irlande, en 2014, les jeunes de 16 et 17 ans ont participé à 80 % au référendum. Le vote à 16 ans est également une demande de l'Unicef.
À 16 ans, on peut payer des impôts, travailler, exercer l'autorité parentale, créer une association, être poursuivi en justice. Il serait cohérent d'y ajouter le droit de vote.
La démocratie doit englober la voix du plus grand nombre : la jeunesse doit pouvoir donner son avis sur les sujets qui la concernent. Les expériences menées en Norvège et en Finlande donnent des résultats intéressants.
Il serait positif que les jeunes, d'objets politiques, deviennent des acteurs politiques.
Jean-Pierre Raffarin observait une méfiance des votants vis-à-vis de ceux qui ne votent pas. Nous ne partageons pas cette méfiance. Les jeunes doivent prendre part à la conversation, ils sont dignes de confiance et leur voix doit compter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Nicole Duranton . - Être en âge de porter plainte seul, de s'engager dans un service civique, d'entrer en apprentissage ou de conduire accompagné ne signifie pas être en âge de voter. La citoyenneté se forge avec le temps. Pourtant, en tant que législateur, il faut fixer un âge précis au droit de vote.
Il existe plusieurs majorités, qui entraînent des responsabilités ainsi que des devoirs. Cette proposition de loi ne concerne que la majorité électorale. Elle ne relaie pas une demande des jeunes, mais plutôt une volonté politique.
Une résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 recommande d'harmoniser la majorité électorale à 16 ans. Plusieurs pays - Autriche, Malte, Écosse et Allemagne dans certains territoires, Slovénie sous condition de travail - l'ont fait.
Le sujet est distinct de celui de l'âge d'éligibilité. Déjà, certains conseillers municipaux grands électeurs ne peuvent pas devenir sénateurs.
Nous devons protéger nos jeunes ; tous ne sont pas intéressés par la chose publique.
La proposition de loi vise à élargir la participation électorale. Elle crée aussi un enseignement en science politique dès le collège et rend obligatoire les conseils de jeunes dans les communes de plus de 5 000 habitants.
L'article premier encourt un risque constitutionnel en raison de la dissociation des majorités. En outre, l'entrée vigueur au 1er janvier 2022 empêcherait que les dispositions éducatives aient produit leurs effets, sans compter que le droit électoral empêche de modifier les modalités de vote si près des élections.
Lors des scrutins locaux de 2021, 21,3 % des moins de 25 ans n'ont pas voté du tout, contre 14,6 % en moyenne générale. Aux élections régionales, le taux d'abstention des jeunes a atteint 87 % au premier tour. Je ne suis pas sûre que ce texte inverse la tendance...
Le Premier ministre a saisi le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en septembre 2021 sur la participation des jeunes à la vie démocratique.
Le programme d'enseignement moral et civique s'est enrichi ces dernières années et la montée en puissance du SNU se poursuit : il concernera 200 000 jeunes en 2022. En outre, l'inscription sur les listes électorales a été simplifiée.
Le vote du RDPI sera nuancé.
M. Arnaud de Belenet . - J'ai une pensée pour Loïc Hervé, confronté dans son cadre familial à notre finitude...
L'abaissement de la majorité électorale à 16 ans est l'objet de nombreuses initiatives. La promesse de Valéry Giscard d'Estaing de la fixer à 18 ans vivrait-elle ses derniers instants ?
Je salue Martine Filleul, auteure de la proposition de loi, ainsi que notre rapporteure Nadine Bellurot, dont le travail a permis de préserver les exigences constitutionnelles et les libertés des collectivités territoriales.
Oui, l'abstention des jeunes s'aggrave. Aux dernières élections régionales et départementales, le taux de participation s'établissait à 17 % chez les moins de 25 ans.
Les initiatives pour abaisser l'âge de vote ont été nombreuses : un groupe de travail a été créé en 2014 pour réfléchir à un statut de pré-majorité pour les élections municipales ; trois propositions de loi ont été déposées en ce sens à l'Assemblée nationale ; des recommandations ont aussi été émises par le Parlement européen.
Avec 1,7 million d'inscrits potentiels, le corps électoral augmenterait de 3,5 %. Mais s'ils sont engagés, les jeunes se désintéressent du vote, auquel ils préfèrent les manifestations et les pétitions. Commençons par ramener les plus de 18 ans aux urnes.
La majorité électorale découle de la majorité civile. Accorder le droit de vote dès 16 ans n'apparaît pas réaliste. La mesure réclamerait une révision de la Constitution.
La proposition de loi impose aux collectivités territoriales de plus de 5 000 habitants de se doter d'un conseil de jeunes. De nombreuses instances existent déjà, depuis la création du premier conseil de ce type dans l'Essonne, en 1978. La loi relative à l'égalité et à la citoyenneté leur a apporté une consécration législative en 2017.
Quelque 2 000 collectivités territoriales seraient concernées par cette nouvelle obligation. Or elles n'aspirent pas toutes aux mêmes objectifs. Il faut conserver de la liberté et de la souplesse dans ce domaine.
La commission des lois, bien qu'ayant rejeté l'ensemble du texte, juge préférable de s'appuyer sur l'existant en matière d'enseignement. L'histoire-géographie, les sciences économiques et sociales, l'enseignement moral et civique forment les élèves à la connaissance des institutions. En outre, les programmes scolaires sont déjà chargés.
En tant qu'élus, il nous revient d'accompagner les jeunes dans leur apprentissage de la citoyenneté, notamment en encourageant les associations et le service civique.
Le Conseil d'État a indiqué que la collectivité publique devait privilégier l'accompagnement permettant à chacun de mesurer la responsabilité qui lui incombe.
Le groupe UC ne votera pas cette proposition de loi.
M. Olivier Paccaud . - Personne n'ignore la crise démocratique, fonte des glaces citoyenne qui fragilise nos institutions. La défiance des jeunes envers la politique semble structurelle. À chaque élection, le taux d'abstention bat un record.
Nous partageons le constat, sinon les solutions. La proposition de loi n'apparaît pas à la hauteur du péril et entretient de néfastes confusions.
En quoi abaisser l'âge des personnes qui ne votent pas améliorerait la participation, comme l'exposé des motifs le suppose dès sa première phrase ? On connaissait le pari de Pascal, on découvre les syllogismes des sénateurs socialistes. (Protestations sur les travées du groupe SER)
Cela interroge la définition de la citoyenneté. Ainsi 1,6 million d'adolescents seraient invités à voter, alors que le droit français les considère encore largement comme irresponsables ! Cherchez l'aberration...
Vous faites référence à la conduite accompagnée et au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA), mais le vote est d'une tout autre nature. Victor Hugo disait, en 1850, que le droit de suffrage fait partie de l'entité du citoyen. Votre texte brise le lien entre le vote et la citoyenneté. Pire, en différenciant droit de vote et éligibilité, vous créez des citoyens hybrides.
Vous faites fi de l'inévitable difficulté constitutionnelle de créer des droits sans devoirs.
Il ne faut toucher à la loi qu'avec une main tremblante, nous dit Montesquieu. Il en est de même des programmes scolaires. Alors que l'enseignement moral et civique existe déjà, tout comme l'histoire-géographie et les sciences économiques et sociales, pourquoi alourdir artificiellement le bréviaire de nos professeurs ?
Je crains aussi un enseignement idéologique de la science politique au collège. N'en profitons pas pour embrigader les jeunes et en faire de nouveaux militants !
M. Éric Kerrouche. - N'importe quoi !
M. Olivier Paccaud. - Vous rendez les conseils de jeunes obligatoires dans les communes de plus de 5 000 habitants. Ils peuvent certes faire naître des idées rafraîchissantes, mais ne les imposons pas. L'obligation décourage toujours l'intention. Déjà, de nombreuses communes s'y prêtent avec enthousiasme.
Avez-vous oublié les libertés des collectivités territoriales ? Cessez de les corporaliser et leur imposer de nouveaux carcans ! Elles n'ont pas besoin du législateur pour impliquer les jeunes. Dieu merci, aucune sanction n'est prévue contre les collectivités territoriales rebelles...
Le service civique, ouvert dès 16 ans, mériterait d'être développé. Il forme à la citoyenneté.
Cette proposition de loi décevante relève d'un médiocre exercice d'affichage du Parti socialiste vis-à-vis d'un électorat convoité. (Protestations sur les travées du groupe SER) Le groupe Les Républicains s'y opposera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Patrick Kanner. - Quelle surprise !
Mme Mélanie Vogel . - Notre pays vieillit.
Notre jeunesse est de plus en plus angoissée par les crises climatiques et sociales. Pourtant, elle participe peu au vote. L'abstention des jeunes est un problème structurel : 82 % des moins de 35 ans n'ont pas voté aux dernières élections départementales et régionales, contre 66,7 % de l'ensemble des électeurs. Un record sous la Ve République.
Pourquoi ce paradoxe ? Pourquoi une génération si inquiète ne prend-elle pas part au vote ? Serait-elle dépolitisée ? Irresponsable ? Non ! La jeunesse est engagée - sur le climat, contre les violences policières, pour le féminisme, le bien-être animal ou les nouveaux modes de consommation - mais elle a l'impression que ce n'est pas en votant qu'elle changera sa vie.
Tant que les priorités de nos concitoyens seront le pouvoir d'achat et la planète mais que nous débattrons des migrants et du menu aux réceptions officielles de la ville de Grenoble, rien ne changera. Nous devons recentrer le débat public et réformer nos institutions.
Le système majoritaire crée une frustration démocratique : seule la voix des gagnants compte. À quoi bon aller voter quand on est minoritaire ? Il faut accroître les pouvoirs du Parlement, appliquer un mode de scrutin plus proportionnel et créer un article 49-3 citoyen.
M. François Bonhomme. - Et à propos du texte ?
Mme Mélanie Vogel. - J'y viens.
Le pouvoir doit être davantage partagé avec les citoyens, en développant la démocratie participative. Abandonnons le mythe selon lequel démocratie représentative et vote seraient indépassables.
Les écologistes sont favorables au droit de vote à 16 ans, qui va dans le sens de l'histoire, à défaut de tout résoudre. La jeunesse doit pouvoir peser dans le débat public ; elle en a les capacités.
J'entends qu'à 16 ans, on serait un bébé - mais un jeune qui participe à une marche sur le climat a bien des choses à dire. À 16 ans, on peut avorter, travailler et exercer l'autorité parentale.
Le sénateur Paccaud semble avoir oublié qu'il avait été élu avec des voix de personnes n'ayant pas l'âge de devenir sénateurs. (Sourires ; Mme Martine Filleul et M. Guy Benarroche applaudissent.)
Plus les jeunes attendent pour participer, moins ils s'engagent à l'âge adulte. C'est pourquoi les écologistes voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Jérémy Bacchi . - Le niveau d'abstention est le baromètre de l'état de santé du système démocratique, comme l'écrit la sociologue Anne Muxel.
L'élection présidentielle mobilise toujours, mais les taux de participation des 18-24 ans s'effondrent aux autres élections : 31 % aux législatives, 28 % aux municipales, 17 % aux régionales et départementales...
En tant qu'élus, nous ne pouvons qu'en être accablés.
Mais cette proposition de loi apporte-t-elle la bonne solution ? Nous ne le pensons pas.
Les jeunes ont fait le succès des grandes manifestations sur le climat, les droits des femmes ou contre le racisme, mais ils ne demandent pas le droit de vote à 16 ans.
Pire, la proposition de loi risque d'entretenir une confusion entre majorité électorale et majorité civile et pénale, au risque d'affaiblir la protection des mineurs dont la responsabilité pénale est atténuée.
Le lien entre les citoyens et leurs représentants est abîmé. Les jeunes boudent les urnes parce que nos politiques publiques ne sont pas suffisamment orientées vers leurs attentes. Avant d'élargir l'électorat, attachons-nous à rapprocher le politique des électeurs actuels.
Nous regrettons le manque de transparence de la vie politique et la non-reconnaissance du vote blanc, entre autres.
Le droit de vote ne fait pas tout. L'apprentissage de ce rituel républicain est fondamental. Il faut développer les lieux et les moments d'éducation politique : ne muselons pas les élèves auxquels on impose une illusoire neutralité politique. Il faudrait revaloriser l'enseignement moral et civique, qui ne représente que trente minutes par semaine.
L'acte de voter doit devenir plus naturel. Les échéances électorales françaises sont bien trop espacées et les législatives semblent n'être qu'une validation de la présidentielle.
La mal-inscription ou la non-inscription sur les listes électorales a concerné treize millions de personnes en 2017 ; les plus mobiles, comme les étudiants, sont les premiers concernés.
Cette proposition de loi manque son objectif : notre groupe ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Franck Menonville . - L'abstention suscite des craintes bien légitimes. Quand elle progresse, la démocratie recule. Dans les années 1970, la participation était de 80 % ; aujourd'hui, l'abstention dépasse la moitié des inscrits, exception faite de l'élection présidentielle.
En juin 2021, plus de 60 % des électeurs ne se sont pas déplacés, 86 % chez les jeunes.
Cette proposition de loi entend y apporter une solution. Les majorités électorale et civile sont fixées à 18 ans depuis 1974. Abaisser la majorité électorale à 16 ans irait à l'encontre de la Constitution et nécessiterait soit une révision constitutionnelle, soit une baisse concomitante de la majorité civile. Un tel sujet mérite mieux qu'une niche parlementaire : un vrai débat national.
L'obligation des conseils de jeunes dans les collectivités territoriales est malvenue. Préservons l'initiative des élus locaux en matière de création des conseils des jeunes, faisons leur confiance sans les étouffer sous des contraintes excessives !
Mes collègues Decool et Wattebled ont mené une étude sur les causes de l'abstention, publiée en novembre dernier. Ils proposent par exemple d'ouvrir aux lycéens la possibilité de devenir assesseur dans les bureaux de vote.
L'éducation morale et civique doit être renforcée, le service civique davantage ancré dans nos institutions. Dans ma région, nous avons mis en place un dispositif de forêt pédagogique qui permet aux élèves de toucher du doigt le rôle des élus des communes forestières.
Le groupe INDEP ne votera pas ce texte.
M. Jean-Pierre Corbisez . - Défiance à l'égard de la classe politique, perte de confiance dans la démocratie représentative, inquiétudes quant à l'avenir... Les explications de la crise citoyenne sont multiples.
Toute initiative pour y remédier mérite d'être encouragée. J'ai moi-même déposé une proposition de loi rendant le vote obligatoire comme en Belgique ou dans des pays du Nord. J'espère que nous aurons un jour l'opportunité d'en débattre.
Certes, il n'existe pas de solution miracle.
J'entends les objections de madame la rapporteure sur les risques d'une décorrélation des majorités, sur la nécessaire préservation des libertés des collectivités territoriales ou l'existence de l'éducation morale et civique.
Mais ne faut-il pas provoquer un choc de citoyenneté ?
La citoyenneté se construit, mais nous connaissons tous les dangers qui menacent notre démocratie. À mesure qu'approche l'échéance électorale, nous assistons à la multiplication des discours extrêmes incitant à plus de fractures et de tensions. La crise démocratique alimente les « dégagistes » nauséabonds qui se disent hors système et veulent le conquérir.
Nous devons montrer que nous sommes conscients des problématiques. Cette proposition de loi apporte une contribution à la réflexion.
Les arguments en sa faveur sont nombreux. Voter jeune crée des citoyens durablement engagés. À 16 ans, on exerce déjà d'importantes responsabilités. D'autres pays ont déjà abaissé la majorité électorale et le Conseil de l'Europe y est favorable.
N'est-ce pas le sens de l'histoire du droit de vote ?
J'ai la chance d'avoir deux lycéens à la maison. Ils ont leurs codes, leur mode de réflexion. L'affiche d'une candidate, ignorée sous sa forme classique, a connu le succès sous la forme d'un dessin type manga : les jeunes l'ont « kiffée grave » ! (Sourires) Sachons leur parler afin qu'ils deviennent des citoyens à part entière !
Le RDSE votera dans sa grande majorité contre ce texte, mais je le soutiendrai. (Mme Martine Filleul applaudit.)
M. Patrick Kanner . - Merci à mes collègues qui ont salué la loi Égalité et citoyenneté. L'ancien ministre apprécie.
Madame la ministre, vous avez beau vanter votre bilan sur TikTok ou ici même, vous n'avez pas tout bien fait pour la jeunesse. Le niveau de vie des 15-34 ans s'est largement dégradé, même avant la crise du Covid : alors qu'ils font la queue par milliers à la soupe populaire, vous baissez les APL et leur refusez le revenu minimum que nous proposions.
La jeunesse perd le sens du collectif. Elle partage pourtant un engagement commun pour la planète. Mais vous n'avez accordé qu'un simulacre de participation citoyenne. Les jeunes ne sont plus que 11 % à considérer qu'ils peuvent influer sur les destinées de la France, selon l'étude de Frédéric Dabi, La Fracture. (L'orateur brandit l'ouvrage.)
Ils ne trouvent pas de postes correspondant à leur niveau de formation - et que leur propose le Gouvernement ? De travailler pour Uber, 70 heures par semaine pour un SMIC ? Des gadgets comme les vacances apprenantes, le BAFA, le chèque psy, sont vos seules réponses.
En 2021, 42 % des jeunes déclarent avoir besoin d'un idéal pour vivre, un chiffre historiquement bas... Ils sont convaincus que le monde va vers le désastre.
Quelle société leur proposez-vous ? Un monde où ils sont sommés de gagner une place dans la compétition planétaire. À l'arrivée, il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien. Le Président de la République les exhorte à vouloir devenir milliardaires en traversant la rue. Performant, compétitif, flexible, tel est le profil du jeune winner dans votre perspective darwinienne de l'économie libérale. Ce système est une machine à broyer la solidarité.
« Quand on veut on peut », tel est votre mantra. L'individu serait seul responsable de son destin ; celui qui n'a pas réussi serait paresseux ou sans talent - inutile, dès lors, de lutter contre le déterminisme social et culturel.
Aragon écrit : « Un beau soir, l'avenir s'appelle le passé. C'est alors qu'on se tourne et qu'on voit sa jeunesse ». Je m'inquiète, madame la ministre, pour notre jeunesse. Notre proposition de loi est un message de confiance et d'espoir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Cette intervention s'écarte du thème de la citoyenneté et appelle une réponse de politique générale.
Nous avons confiance dans la jeunesse. Oui, nous croyons que la clé de l'émancipation réside dans l'éducation et le travail. Comment l'inciter à s'engager, à devenir pleinement citoyenne ? Pas par un coup de baguette magique, en abaissant le droit de vote à 16 ans, mais en renforçant l'éducation morale et civique, l'éducation populaire... Oui, nous croyons aux vacances apprenantes, qui permettent à un million de jeunes de partir, à la rénovation des bâtiments universitaires, au service civique. Nous disons à nos jeunes : voyagez ! Grandissez ! Soyez pleinement acteurs de votre vie !
Plutôt que le RSA, nous voulons le contrat d'engagement, qui permet de travailler, qui libère.
M. Patrick Kanner. - Nous jugerons votre bilan !
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Oui, dans les urnes !
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
M. François Bonhomme . - La participation a souvent été prise comme prétexte pour réformer : sur les modalités de scrutin pour les élections européennes, sur le vote électronique obligatoire. Ce n'est pas un totem. Ne pas participer, c'est aussi une liberté !
Au-delà des difficultés juridiques, abaisser l'âge du vote à 16 ans serait en décalage avec les attentes des jeunes, qui ont d'autres modes d'expression et d'engagement - on l'a vu lors des manifestations pour le climat.
Quel est le bon âge pour choisir ses représentants ? Il est forcément arbitraire.
La réponse est délicate mais je pense sain de caler la majorité électorale sur la majorité civile.
Manifestement, il s'agit d'une mesure de circonstance pour secourir la candidate socialiste en déréliction ! (Protestations sur les travées du groupe SER)
M. Yan Chantrel . - Cette proposition de loi est une avancée démocratique. Lundi dernier, à Courbevoie, j'ai discuté avec deux classes de terminale : un échange revivifiant, parfois plus intéressant que dans cet hémicycle. Pourquoi ne pas faire confiance à ces jeunes, qui ont tant à apporter à la vie publique ?
Ces élèves, d'une grande maturité, étaient majoritairement pour cette mesure. Ils voulaient prendre part au vote, mais se sentaient mal outillés. C'est pourquoi il faut les accompagner à exercer le droit de vote, comme le prévoit le texte.
Intégrons pleinement notre jeunesse à la vie démocratique !
À la demande de la commission, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°65 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Pour l'adoption | 76 |
Contre | 248 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'article 2 n'est pas adopté, non plus que l'article 3.
ARTICLE 4
M. Éric Kerrouche . - Il n'a jamais été question de dire que le vote à 16 ans était l'unique solution contre l'abstention.
Mais à force d'empêcher toute solution qui favorise le vote, nous renforçons mécaniquement l'abstention. C'est vrai sur les modalités techniques de vote - que vous refusez systématiquement de faire évoluer - comme sur l'âge électoral. Je regrette que l'on n'ait pas pris la mesure des difficultés.
Je ne suis pas étonné que M. Paccaud ait des difficultés avec les sciences humaines, et singulièrement la science politique (M. Olivier Paccaud s'en étonne.) Mais la libre administration n'est pas le libre gouvernement. C'est un principe constitutionnel bien établi.
En matière de démocratie participative, l'obligation législative est souvent la clé pour progresser : voyez la parité.
Il ne faut pas fermer toutes les portes, sinon l'expression démocratique disparaît.
Gare à la fuite en avant qui consiste à dire que l'abstention serait bien trop importante pour y remédier avec des mesurettes !
L'article 4 n'est pas adopté, non plus que l'article 5.
Par conséquent, la proposition de loi n'est pas adoptée.
Prochaine séance, mardi 14 décembre 2021, à 9 h 30.
La séance est levée à 20 h 5.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 14 décembre 2021
Séance publique
À 9 h 30, à 14 h 30 et le soir
Présidence :
M. Pierre Laurent, vice-président, M. Roger Karoutchi, vice-président, Mme Pascale Gruny, vice président
Secrétaires :
M. Loïc Hervé - M. Daniel Gremillet
1. Questions orales
2. Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2022
3. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des enfants (texte de la commission, n°75, 2021-2022)
=> En outre, de 14 h 30 à 15 heures : scrutin pour l'élection d'un juge suppléant à la Cour de justice de la République (Ce scrutin secret se déroulera, pendant la séance, en salle des Conférences.)