Nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l'enseignement et l'engagement, présentée par Mme Martine Filleul et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Discussion générale

Mme Martine Filleul, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'abstention des jeunes générations interroge note démocratie. Une distance s'est installée. Le rapport des jeunes à la politique a changé. Je pense à leurs causes - féminisme, écologie, cause animale, droits des LGBT -, mais aussi à leurs modes d'expression : leurs combats passent par les réseaux sociaux, les manifestations ou les pétitions plus que par le vote.

Quoi qu'il en soit, la jeunesse est concernée, en attente, exigeante. Son désir d'engagement progresse. Même s'il faut en parler au pluriel : il y a des jeunesses, avec des rapports différents à l'engagement et à la politique.

Nous ne pouvons nous résigner à cette hausse structurelle de l'abstention des jeunes. Léon Blum disait : « Toute classe dirigeante qui n'est pas capable d'employer la force fraîche des générations montantes est condamnée à disparaître de l'histoire. » Ne prenons pas le risque que les jeunes fassent sécession, pour reprendre l'expression de Frédéric Dabi dans LFracture.

Nous devons leur tendre la main, leur envoyer un message de confiance, leur dire que nous voulons faire République avec eux.

Dans cet esprit, notre proposition de loi abaisse la majorité électorale à 16 ans, prévoit un nouvel enseignement de science politique au collège et généralise les conseils de jeunes dans les communes de plus de 5 000 habitants et les départements.

Ce texte est une réponse à l'abstention, parmi beaucoup d'autres. De fait, nombre de chercheurs, dont Anne Muxel, expliquent que, plus l'habitude de voter est prise tôt, plus les chances sont grandes que le vote devienne systématique.

À 16 ans, la famille et l'école jouent le rôle de cadres et favorisent le vote. L'âge de 18 ans, celui de la décohabitation, est plus propice à la mal-inscription sur les listes électorales.

La société accorde déjà de nombreux droits aux jeunes de 16 ans : ils peuvent travailler, reconnaître un enfant, obtenir un permis de chasse, rédiger un testament, devenir pompier volontaire, créer une association... À 16 ans, en un mot, on est considéré comme adulte.

Plusieurs pays ont déjà fixé la majorité électorale à 16 ans, pour les élections locales ou pour tous les scrutins ; d'autres s'apprêtent à le faire, comme l'Allemagne. Dès 2015, le Conseil européen recommandait d'harmoniser la majorité électorale à 16 ans.

Pourquoi la France, pays de la démocratie, resterait-elle à l'écart de ce mouvement de revitalisation ? Le vote à 16 ans, c'est le cours de l'histoire.

Certes, les jeunes sont aujourd'hui plus longtemps dépendants financièrement, mais leur autonomie est plus précoce : ils sont plus mobiles, plus informés et plus formés. Ils doivent participer aux décisions qui les concernent.

L'école, fabrique des citoyens, est la plus à même de donner des clés de compréhension, d'éveiller l'appétit démocratique. C'est pourquoi nous proposons la création d'un enseignement spécifique de science politique, en complément de l'éducation morale et civique.

Nous proposons également la généralisation des conseils de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants et dans les départements. C'est l'opportunité pour nos jeunes d'être parties prenantes de la vie démocratique locale. Ce dispositif essentiel est aujourd'hui sous-utilisé.

Face aux multiples crises que nous traversons, nous pouvons nous refermer frileusement sur nous-mêmes, en tenant à distance une jeunesse turbulente. Nous pouvons aussi envisager l'avenir avec enthousiasme, en considérant les jeunes comme une ressource et des interlocuteurs légitimes.

Notre démocratie est fatiguée : donnons-lui un nouveau souffle en faisant confiance à la jeunesse ! Nos jeunes l'attendent et le méritent. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la commission des lois .  - Élection après élection, nous constatons l'abstention massive des jeunes. Afin d'y remédier, cette proposition de loi abaisse la majorité électorale à 16 ans, crée des conseils de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants et les départements et prévoit un enseignement de science politique au collège.

La commission des lois a rejeté ce texte. Nous ne pouvons qu'être d'accord sur l'objectif d'accroître la participation, qui n'a atteint que 17 % chez les 18-24 ans et 19 % chez les 25-34 ans aux élections régionales et départementales du printemps dernier. Mais la mesure phare du texte, la majorité électorale à 16 ans, ne nous a pas convaincus.

La majorité électorale doit être fixée à un âge où l'on possède une certaine maturité. Ce n'est pas le cas de tous les adolescents de 16 ans. Certes, de nombreux droits sont ouverts dès 16 ans, mais ils ne sont pas comparables au suffrage politique. Voter, c'est assumer une part de la responsabilité des choix qui engagent la collectivité.

Conformément à l'article 3, alinéa 4 de la Constitution, les majeurs sont électeurs : la majorité électorale découle donc de la majorité civile, et les deux ne peuvent être dissociées.

Certes, c'est ce qu'on a fait en 1974. Mais, depuis lors, la doctrine a évolué. Et je rappelle que le gouvernement de l'époque entendait procéder par étapes : baisser d'abord la majorité électorale, puis la majorité civile.

Si nous souhaitions abaisser l'âge de la majorité électorale, il faudrait réviser la Constitution ou abaisser la majorité civile. La seconde option n'est pas envisageable, tant elle aurait de conséquences sur la protection juridique et sociale des jeunes de 16 à 18 ans. Par ailleurs, la majorité pénale aussi devrait être ramenée à 16 ans.

En tout état de cause, une modification aussi substantielle du corps électoral ne pourrait intervenir à quelques mois de l'élection présidentielle. Indépendamment même du principe de stabilité du droit électoral, le ministère de l'intérieur ne serait pas en mesure de recenser et d'inscrire sur les listes électorales 1,7 million de jeunes en quelques semaines.

Il ressort des études que les jeunes ne sont pas demandeurs d'une telle réforme, parce qu'ils pensent que la politique ne peut rien pour eux.

Au reste, il n'est pas du tout certain que l'ouverture du droit de vote à ces jeunes améliore la participation à moyen terme. La thèse à laquelle Mme Filleul a fait référence est loin de faire l'unanimité, et les exemples étrangers - comme celui de l'Autriche - ne permettent pas de conclure à un effet bénéfique de cette mesure sur les taux de participation.

Nous devons convaincre les jeunes électeurs de revenir aux urnes, accompagner les jeunes dans leur apprentissage de citoyens. Les enseignements actuels - histoire-géographie et enseignement moral et civique - permettent de le faire ; inutile d'en créer un nouveau, comme le prévoit l'article 2.

De nouvelles formes d'engagement civique existent : encourageons-les. Les collectivités territoriales se sont déjà approprié les conseils de jeunes. Les trois quarts des régions et les deux tiers des départements en ont institué, ainsi que de nombreuses communes, notamment à la suite du dernier renouvellement des conseils municipaux. Faisons confiance à l'intelligence du terrain.

Pour ces raisons, la commission des lois vous recommande de ne pas adopter la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État, chargée de la jeunesse et de l'engagement .  - Je remercie Mme Filleul d'avoir suscité ce débat. Aucune question relative à la jeunesse et à la démocratie n'est anodine.

L'histoire de la démocratie est une histoire de conquêtes et d'équilibres - entre droits et devoirs, progressisme et conservatisme. Dire oui ou non au vote à 16 ans, ce n'est pas dire oui ou non à la jeunesse. À cet âge, certains sont prêts, d'autres sont encore des enfants.

L'abstention est un problème endémique et qui s'aggrave. Mais l'argument selon lequel plus on vote jeune, plus on vote longtemps ne tient que parce qu'on a envie d'y croire...

Au surplus, les jeunes eux-mêmes ne sont pas unanimes pour réclamer cette mesure. Ils sont même 72 % à ne pas la souhaiter, selon une étude de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire et du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie.

M. Bruno Belin.  - Voilà qui est clair !

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Je respecte néanmoins les élus qui la défendent. En mars dernier, une tribune a été lancée à l'Assemblée nationale par le député Corceiro. Clément Beaune a eu raison de dire que nos démocraties ne peuvent s'offrir le luxe de négliger une piste.

Bien entendu, nous avons confiance dans notre jeunesse. Mais le coeur de la bataille, c'est la lutte contre l'abstention. Comment ramener les jeunes vers le vote ?

Une partie des jeunes a perdu confiance dans la capacité transformatrice du vote. À nous de leur redonner confiance dans le pouvoir du bulletin de vote. La démocratie, ce sont des droits et des devoirs, dont celui de voter.

Nous renforçons l'enseignement moral et civique, construisons des parcours de citoyenneté. Celle-ci s'apprend dès le plus jeune âge, via les délégués, le service national universel (SNU), le volontariat de service civique ou le corps européen de solidarité. C'est l'affaire des familles et de l'État, mais aussi des élus locaux.

J'invite les maires à continuer de faire vivre les conseils municipaux de la jeunesse, qui peuvent encore évoluer. Organisons des moments qui sacralisent, des cérémonies citoyennes, comme pour la remise de la première carte d'électeur. Ces temps forts sont essentiels.

Les conditions ne sont pas réunies pour soutenir cette proposition de loi. Le bon âge pour commencer à voter, c'est celui où l'on est prêt à le faire.

Creuset républicain, le SNU sera un accélérateur d'entrée dans la vie citoyenne. Peut-être alors pourrons-nous nous reposer la question de l'âge de la majorité électorale.

Mme Esther Benbassa .  - Qu'il est difficile d'être jeune en 2021 ! Les jeunes sont souvent méprisés, jamais écoutés ; on leur demande de s'adapter à une société à bout de souffle, alors que l'avenir est entre leurs mains.

Ils avancent dans la vie dans un environnement incertain. Comment leur redonner confiance ? Comment les intégrer à la vie de la cité ?

Les jeunes, pourtant, sont engagés et ne demandent qu'à être écoutés. Dans les marches pour le climat et le féminisme, je me réjouis de les voir nombreux, mais ils y scandent des slogans accusateurs contre le système politique et ses acteurs.

Si le taux d'abstention record des moins de 25 ans aux dernières élections inquiète, il faut s'interroger sur ses raisons. Pourquoi ce désintéressement et cette méfiance à l'égard de la politique ?

Le ressentiment des jeunes est légitime et nous devons nous remettre en question et prendre nos responsabilités.

Au lycée, on leur demande de choisir une carrière malgré les défaillances de Parcoursup, terriblement injuste.

Il faut faire confiance à la jeunesse. Abaisser le vote à 16 ans lui permettra de s'impliquer plus tôt. Cet investissement précoce s'accompagnera d'un apprentissage civique.

Je voterai pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Martine Filleul applaudit également.)

M. Éric Kerrouche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La participation électorale s'effrite depuis 1989, les années 2020 et 2021 ayant battu des records. Les jeunes sont, avec les plus de 80 ans, parmi les plus abstentionnistes.

Le vote permet pourtant la pacification de la vie politique ; l'alternative, c'est la violence.

Nous voulons faire entrer pleinement 1,6 million de jeunes de 16 et 17 ans dans la communauté des électeurs.

Je félicite le parti Les Républicains d'avoir ouvert sa primaire dès 16 ans... Hélas, les mêmes s'opposent à notre texte.

L'argument constitutionnel est une argutie. Le débat a été tranché en 1974. D'aucuns évoquent un risque en matière de protection de l'enfant, mais il existe déjà une pluralité de majorités. Abaisser la majorité pénale à 16 ans ne pose aucun problème à certains...

Oui, l'abstention concerne particulièrement les jeunes de 18 à 25 ans. Insertion professionnelle, études, mobilités, il y a toujours eu un apprentissage électoral, un temps d'accommodation à la vie politique, et c'est heureux.

Ce ne serait pas une revendication de la jeunesse ? Avant 1945, le vote des femmes n'était pas réclamé par toutes... L'abaissement de la majorité électorale représente un outil, parmi d'autres, pour lutter contre le désintéressement de la jeunesse.

La maturité ? Sachez aussi qu'elle se dégrade ! L'argument du niveau d'études était aussi employé en 1974, mais l'accès à l'information des jeunes n'a rien à voir avec celui de l'époque. Près d'un tiers des jeunes de moins de 18 ans ont déjà marché pour le climat. Ils veulent s'engager !

Le Parlement européen plaide pour l'abaissement du droit de vote. En Irlande, en 2014, les jeunes de 16 et 17 ans ont participé à 80 % au référendum. Le vote à 16 ans est également une demande de l'Unicef.

À 16 ans, on peut payer des impôts, travailler, exercer l'autorité parentale, créer une association, être poursuivi en justice. Il serait cohérent d'y ajouter le droit de vote.

La démocratie doit englober la voix du plus grand nombre : la jeunesse doit pouvoir donner son avis sur les sujets qui la concernent. Les expériences menées en Norvège et en Finlande donnent des résultats intéressants.

Il serait positif que les jeunes, d'objets politiques, deviennent des acteurs politiques.

Jean-Pierre Raffarin observait une méfiance des votants vis-à-vis de ceux qui ne votent pas. Nous ne partageons pas cette méfiance. Les jeunes doivent prendre part à la conversation, ils sont dignes de confiance et leur voix doit compter. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Nicole Duranton .  - Être en âge de porter plainte seul, de s'engager dans un service civique, d'entrer en apprentissage ou de conduire accompagné ne signifie pas être en âge de voter. La citoyenneté se forge avec le temps. Pourtant, en tant que législateur, il faut fixer un âge précis au droit de vote.

Il existe plusieurs majorités, qui entraînent des responsabilités ainsi que des devoirs. Cette proposition de loi ne concerne que la majorité électorale. Elle ne relaie pas une demande des jeunes, mais plutôt une volonté politique.

Une résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 recommande d'harmoniser la majorité électorale à 16 ans. Plusieurs pays - Autriche, Malte, Écosse et Allemagne dans certains territoires, Slovénie sous condition de travail - l'ont fait.

Le sujet est distinct de celui de l'âge d'éligibilité. Déjà, certains conseillers municipaux grands électeurs ne peuvent pas devenir sénateurs.

Nous devons protéger nos jeunes ; tous ne sont pas intéressés par la chose publique.

La proposition de loi vise à élargir la participation électorale. Elle crée aussi un enseignement en science politique dès le collège et rend obligatoire les conseils de jeunes dans les communes de plus de 5 000 habitants.

L'article premier encourt un risque constitutionnel en raison de la dissociation des majorités. En outre, l'entrée vigueur au 1er janvier 2022 empêcherait que les dispositions éducatives aient produit leurs effets, sans compter que le droit électoral empêche de modifier les modalités de vote si près des élections.

Lors des scrutins locaux de 2021, 21,3 % des moins de 25 ans n'ont pas voté du tout, contre 14,6 % en moyenne générale. Aux élections régionales, le taux d'abstention des jeunes a atteint 87 % au premier tour. Je ne suis pas sûre que ce texte inverse la tendance...

Le Premier ministre a saisi le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en septembre 2021 sur la participation des jeunes à la vie démocratique.

Le programme d'enseignement moral et civique s'est enrichi ces dernières années et la montée en puissance du SNU se poursuit : il concernera 200 000 jeunes en 2022. En outre, l'inscription sur les listes électorales a été simplifiée.

Le vote du RDPI sera nuancé.

M. Arnaud de Belenet .  - J'ai une pensée pour Loïc Hervé, confronté dans son cadre familial à notre finitude...

L'abaissement de la majorité électorale à 16 ans est l'objet de nombreuses initiatives. La promesse de Valéry Giscard d'Estaing de la fixer à 18 ans vivrait-elle ses derniers instants ?

Je salue Martine Filleul, auteure de la proposition de loi, ainsi que notre rapporteure Nadine Bellurot, dont le travail a permis de préserver les exigences constitutionnelles et les libertés des collectivités territoriales.

Oui, l'abstention des jeunes s'aggrave. Aux dernières élections régionales et départementales, le taux de participation s'établissait à 17 % chez les moins de 25 ans.

Les initiatives pour abaisser l'âge de vote ont été nombreuses : un groupe de travail a été créé en 2014 pour réfléchir à un statut de pré-majorité pour les élections municipales ; trois propositions de loi ont été déposées en ce sens à l'Assemblée nationale ; des recommandations ont aussi été émises par le Parlement européen.

Avec 1,7 million d'inscrits potentiels, le corps électoral augmenterait de 3,5 %. Mais s'ils sont engagés, les jeunes se désintéressent du vote, auquel ils préfèrent les manifestations et les pétitions. Commençons par ramener les plus de 18 ans aux urnes.

La majorité électorale découle de la majorité civile. Accorder le droit de vote dès 16 ans n'apparaît pas réaliste. La mesure réclamerait une révision de la Constitution.

La proposition de loi impose aux collectivités territoriales de plus de 5 000 habitants de se doter d'un conseil de jeunes. De nombreuses instances existent déjà, depuis la création du premier conseil de ce type dans l'Essonne, en 1978. La loi relative à l'égalité et à la citoyenneté leur a apporté une consécration législative en 2017.

Quelque 2 000 collectivités territoriales seraient concernées par cette nouvelle obligation. Or elles n'aspirent pas toutes aux mêmes objectifs. Il faut conserver de la liberté et de la souplesse dans ce domaine.

La commission des lois, bien qu'ayant rejeté l'ensemble du texte, juge préférable de s'appuyer sur l'existant en matière d'enseignement. L'histoire-géographie, les sciences économiques et sociales, l'enseignement moral et civique forment les élèves à la connaissance des institutions. En outre, les programmes scolaires sont déjà chargés.

En tant qu'élus, il nous revient d'accompagner les jeunes dans leur apprentissage de la citoyenneté, notamment en encourageant les associations et le service civique.

Le Conseil d'État a indiqué que la collectivité publique devait privilégier l'accompagnement permettant à chacun de mesurer la responsabilité qui lui incombe.

Le groupe UC ne votera pas cette proposition de loi.

M. Olivier Paccaud .  - Personne n'ignore la crise démocratique, fonte des glaces citoyenne qui fragilise nos institutions. La défiance des jeunes envers la politique semble structurelle. À chaque élection, le taux d'abstention bat un record.

Nous partageons le constat, sinon les solutions. La proposition de loi n'apparaît pas à la hauteur du péril et entretient de néfastes confusions.

En quoi abaisser l'âge des personnes qui ne votent pas améliorerait la participation, comme l'exposé des motifs le suppose dès sa première phrase ? On connaissait le pari de Pascal, on découvre les syllogismes des sénateurs socialistes. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Cela interroge la définition de la citoyenneté. Ainsi 1,6 million d'adolescents seraient invités à voter, alors que le droit français les considère encore largement comme irresponsables ! Cherchez l'aberration...

Vous faites référence à la conduite accompagnée et au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA), mais le vote est d'une tout autre nature. Victor Hugo disait, en 1850, que le droit de suffrage fait partie de l'entité du citoyen. Votre texte brise le lien entre le vote et la citoyenneté. Pire, en différenciant droit de vote et éligibilité, vous créez des citoyens hybrides.

Vous faites fi de l'inévitable difficulté constitutionnelle de créer des droits sans devoirs.

Il ne faut toucher à la loi qu'avec une main tremblante, nous dit Montesquieu. Il en est de même des programmes scolaires. Alors que l'enseignement moral et civique existe déjà, tout comme l'histoire-géographie et les sciences économiques et sociales, pourquoi alourdir artificiellement le bréviaire de nos professeurs ?

Je crains aussi un enseignement idéologique de la science politique au collège. N'en profitons pas pour embrigader les jeunes et en faire de nouveaux militants !

M. Éric Kerrouche.  - N'importe quoi !

M. Olivier Paccaud.  - Vous rendez les conseils de jeunes obligatoires dans les communes de plus de 5 000 habitants. Ils peuvent certes faire naître des idées rafraîchissantes, mais ne les imposons pas. L'obligation décourage toujours l'intention. Déjà, de nombreuses communes s'y prêtent avec enthousiasme.

Avez-vous oublié les libertés des collectivités territoriales ? Cessez de les corporaliser et leur imposer de nouveaux carcans ! Elles n'ont pas besoin du législateur pour impliquer les jeunes. Dieu merci, aucune sanction n'est prévue contre les collectivités territoriales rebelles...

Le service civique, ouvert dès 16 ans, mériterait d'être développé. Il forme à la citoyenneté.

Cette proposition de loi décevante relève d'un médiocre exercice d'affichage du Parti socialiste vis-à-vis d'un électorat convoité. (Protestations sur les travées du groupe SER) Le groupe Les Républicains s'y opposera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Patrick Kanner.  - Quelle surprise !

Mme Mélanie Vogel .  - Notre pays vieillit.

Notre jeunesse est de plus en plus angoissée par les crises climatiques et sociales. Pourtant, elle participe peu au vote. L'abstention des jeunes est un problème structurel : 82 % des moins de 35 ans n'ont pas voté aux dernières élections départementales et régionales, contre 66,7 % de l'ensemble des électeurs. Un record sous la Ve République.

Pourquoi ce paradoxe ? Pourquoi une génération si inquiète ne prend-elle pas part au vote ? Serait-elle dépolitisée ? Irresponsable ? Non ! La jeunesse est engagée - sur le climat, contre les violences policières, pour le féminisme, le bien-être animal ou les nouveaux modes de consommation - mais elle a l'impression que ce n'est pas en votant qu'elle changera sa vie.

Tant que les priorités de nos concitoyens seront le pouvoir d'achat et la planète mais que nous débattrons des migrants et du menu aux réceptions officielles de la ville de Grenoble, rien ne changera. Nous devons recentrer le débat public et réformer nos institutions.

Le système majoritaire crée une frustration démocratique : seule la voix des gagnants compte. À quoi bon aller voter quand on est minoritaire ? Il faut accroître les pouvoirs du Parlement, appliquer un mode de scrutin plus proportionnel et créer un article 49-3 citoyen.

M. François Bonhomme.  - Et à propos du texte ?

Mme Mélanie Vogel.  - J'y viens.

Le pouvoir doit être davantage partagé avec les citoyens, en développant la démocratie participative. Abandonnons le mythe selon lequel démocratie représentative et vote seraient indépassables.

Les écologistes sont favorables au droit de vote à 16 ans, qui va dans le sens de l'histoire, à défaut de tout résoudre. La jeunesse doit pouvoir peser dans le débat public ; elle en a les capacités.

J'entends qu'à 16 ans, on serait un bébé - mais un jeune qui participe à une marche sur le climat a bien des choses à dire. À 16 ans, on peut avorter, travailler et exercer l'autorité parentale.

Le sénateur Paccaud semble avoir oublié qu'il avait été élu avec des voix de personnes n'ayant pas l'âge de devenir sénateurs. (Sourires ; Mme Martine Filleul et M. Guy Benarroche applaudissent.)

Plus les jeunes attendent pour participer, moins ils s'engagent à l'âge adulte. C'est pourquoi les écologistes voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Jérémy Bacchi .  - Le niveau d'abstention est le baromètre de l'état de santé du système démocratique, comme l'écrit la sociologue Anne Muxel.

L'élection présidentielle mobilise toujours, mais les taux de participation des 18-24 ans s'effondrent aux autres élections : 31 % aux législatives, 28 % aux municipales, 17 % aux régionales et départementales...

En tant qu'élus, nous ne pouvons qu'en être accablés.

Mais cette proposition de loi apporte-t-elle la bonne solution ? Nous ne le pensons pas.

Les jeunes ont fait le succès des grandes manifestations sur le climat, les droits des femmes ou contre le racisme, mais ils ne demandent pas le droit de vote à 16 ans.

Pire, la proposition de loi risque d'entretenir une confusion entre majorité électorale et majorité civile et pénale, au risque d'affaiblir la protection des mineurs dont la responsabilité pénale est atténuée.

Le lien entre les citoyens et leurs représentants est abîmé. Les jeunes boudent les urnes parce que nos politiques publiques ne sont pas suffisamment orientées vers leurs attentes. Avant d'élargir l'électorat, attachons-nous à rapprocher le politique des électeurs actuels.

Nous regrettons le manque de transparence de la vie politique et la non-reconnaissance du vote blanc, entre autres.

Le droit de vote ne fait pas tout. L'apprentissage de ce rituel républicain est fondamental. Il faut développer les lieux et les moments d'éducation politique : ne muselons pas les élèves auxquels on impose une illusoire neutralité politique. Il faudrait revaloriser l'enseignement moral et civique, qui ne représente que trente minutes par semaine.

L'acte de voter doit devenir plus naturel. Les échéances électorales françaises sont bien trop espacées et les législatives semblent n'être qu'une validation de la présidentielle.

La mal-inscription ou la non-inscription sur les listes électorales a concerné treize millions de personnes en 2017 ; les plus mobiles, comme les étudiants, sont les premiers concernés.

Cette proposition de loi manque son objectif : notre groupe ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Franck Menonville .  - L'abstention suscite des craintes bien légitimes. Quand elle progresse, la démocratie recule. Dans les années 1970, la participation était de 80 % ; aujourd'hui, l'abstention dépasse la moitié des inscrits, exception faite de l'élection présidentielle.

En juin 2021, plus de 60 % des électeurs ne se sont pas déplacés, 86 % chez les jeunes.

Cette proposition de loi entend y apporter une solution. Les majorités électorale et civile sont fixées à 18 ans depuis 1974. Abaisser la majorité électorale à 16 ans irait à l'encontre de la Constitution et nécessiterait soit une révision constitutionnelle, soit une baisse concomitante de la majorité civile. Un tel sujet mérite mieux qu'une niche parlementaire : un vrai débat national.

L'obligation des conseils de jeunes dans les collectivités territoriales est malvenue. Préservons l'initiative des élus locaux en matière de création des conseils des jeunes, faisons leur confiance sans les étouffer sous des contraintes excessives !

Mes collègues Decool et Wattebled ont mené une étude sur les causes de l'abstention, publiée en novembre dernier. Ils proposent par exemple d'ouvrir aux lycéens la possibilité de devenir assesseur dans les bureaux de vote.

L'éducation morale et civique doit être renforcée, le service civique davantage ancré dans nos institutions. Dans ma région, nous avons mis en place un dispositif de forêt pédagogique qui permet aux élèves de toucher du doigt le rôle des élus des communes forestières.

Le groupe INDEP ne votera pas ce texte.

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Défiance à l'égard de la classe politique, perte de confiance dans la démocratie représentative, inquiétudes quant à l'avenir... Les explications de la crise citoyenne sont multiples.

Toute initiative pour y remédier mérite d'être encouragée. J'ai moi-même déposé une proposition de loi rendant le vote obligatoire comme en Belgique ou dans des pays du Nord. J'espère que nous aurons un jour l'opportunité d'en débattre.

Certes, il n'existe pas de solution miracle.

J'entends les objections de madame la rapporteure sur les risques d'une décorrélation des majorités, sur la nécessaire préservation des libertés des collectivités territoriales ou l'existence de l'éducation morale et civique.

Mais ne faut-il pas provoquer un choc de citoyenneté ?

La citoyenneté se construit, mais nous connaissons tous les dangers qui menacent notre démocratie. À mesure qu'approche l'échéance électorale, nous assistons à la multiplication des discours extrêmes incitant à plus de fractures et de tensions. La crise démocratique alimente les « dégagistes » nauséabonds qui se disent hors système et veulent le conquérir.

Nous devons montrer que nous sommes conscients des problématiques. Cette proposition de loi apporte une contribution à la réflexion.

Les arguments en sa faveur sont nombreux. Voter jeune crée des citoyens durablement engagés. À 16 ans, on exerce déjà d'importantes responsabilités. D'autres pays ont déjà abaissé la majorité électorale et le Conseil de l'Europe y est favorable.

N'est-ce pas le sens de l'histoire du droit de vote ?

J'ai la chance d'avoir deux lycéens à la maison. Ils ont leurs codes, leur mode de réflexion. L'affiche d'une candidate, ignorée sous sa forme classique, a connu le succès sous la forme d'un dessin type manga : les jeunes l'ont « kiffée grave » ! (Sourires) Sachons leur parler afin qu'ils deviennent des citoyens à part entière !

Le RDSE votera dans sa grande majorité contre ce texte, mais je le soutiendrai. (Mme Martine Filleul applaudit.)

M. Patrick Kanner .  - Merci à mes collègues qui ont salué la loi Égalité et citoyenneté. L'ancien ministre apprécie.

Madame la ministre, vous avez beau vanter votre bilan sur TikTok ou ici même, vous n'avez pas tout bien fait pour la jeunesse. Le niveau de vie des 15-34 ans s'est largement dégradé, même avant la crise du Covid : alors qu'ils font la queue par milliers à la soupe populaire, vous baissez les APL et leur refusez le revenu minimum que nous proposions.

La jeunesse perd le sens du collectif. Elle partage pourtant un engagement commun pour la planète. Mais vous n'avez accordé qu'un simulacre de participation citoyenne. Les jeunes ne sont plus que 11 % à considérer qu'ils peuvent influer sur les destinées de la France, selon l'étude de Frédéric Dabi, La Fracture. (L'orateur brandit l'ouvrage.)

Ils ne trouvent pas de postes correspondant à leur niveau de formation - et que leur propose le Gouvernement ? De travailler pour Uber, 70 heures par semaine pour un SMIC ? Des gadgets comme les vacances apprenantes, le BAFA, le chèque psy, sont vos seules réponses.

En 2021, 42 % des jeunes déclarent avoir besoin d'un idéal pour vivre, un chiffre historiquement bas... Ils sont convaincus que le monde va vers le désastre.

Quelle société leur proposez-vous ? Un monde où ils sont sommés de gagner une place dans la compétition planétaire. À l'arrivée, il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien. Le Président de la République les exhorte à vouloir devenir milliardaires en traversant la rue. Performant, compétitif, flexible, tel est le profil du jeune winner dans votre perspective darwinienne de l'économie libérale. Ce système est une machine à broyer la solidarité.

« Quand on veut on peut », tel est votre mantra. L'individu serait seul responsable de son destin ; celui qui n'a pas réussi serait paresseux ou sans talent - inutile, dès lors, de lutter contre le déterminisme social et culturel.

Aragon écrit : « Un beau soir, l'avenir s'appelle le passé. C'est alors qu'on se tourne et qu'on voit sa jeunesse ». Je m'inquiète, madame la ministre, pour notre jeunesse. Notre proposition de loi est un message de confiance et d'espoir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Cette intervention s'écarte du thème de la citoyenneté et appelle une réponse de politique générale.

Nous avons confiance dans la jeunesse. Oui, nous croyons que la clé de l'émancipation réside dans l'éducation et le travail. Comment l'inciter à s'engager, à devenir pleinement citoyenne ? Pas par un coup de baguette magique, en abaissant le droit de vote à 16 ans, mais en renforçant l'éducation morale et civique, l'éducation populaire... Oui, nous croyons aux vacances apprenantes, qui permettent à un million de jeunes de partir, à la rénovation des bâtiments universitaires, au service civique. Nous disons à nos jeunes : voyagez ! Grandissez ! Soyez pleinement acteurs de votre vie !

Plutôt que le RSA, nous voulons le contrat d'engagement, qui permet de travailler, qui libère.

M. Patrick Kanner.  - Nous jugerons votre bilan !

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.  - Oui, dans les urnes !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. François Bonhomme .  - La participation a souvent été prise comme prétexte pour réformer : sur les modalités de scrutin pour les élections européennes, sur le vote électronique obligatoire. Ce n'est pas un totem. Ne pas participer, c'est aussi une liberté !

Au-delà des difficultés juridiques, abaisser l'âge du vote à 16 ans serait en décalage avec les attentes des jeunes, qui ont d'autres modes d'expression et d'engagement - on l'a vu lors des manifestations pour le climat.

Quel est le bon âge pour choisir ses représentants ? Il est forcément arbitraire.

La réponse est délicate mais je pense sain de caler la majorité électorale sur la majorité civile.

Manifestement, il s'agit d'une mesure de circonstance pour secourir la candidate socialiste en déréliction ! (Protestations sur les travées du groupe SER)

M. Yan Chantrel .  - Cette proposition de loi est une avancée démocratique. Lundi dernier, à Courbevoie, j'ai discuté avec deux classes de terminale : un échange revivifiant, parfois plus intéressant que dans cet hémicycle. Pourquoi ne pas faire confiance à ces jeunes, qui ont tant à apporter à la vie publique ?

Ces élèves, d'une grande maturité, étaient majoritairement pour cette mesure. Ils voulaient prendre part au vote, mais se sentaient mal outillés. C'est pourquoi il faut les accompagner à exercer le droit de vote, comme le prévoit le texte.

Intégrons pleinement notre jeunesse à la vie démocratique !

À la demande de la commission, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°65 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 324
Pour l'adoption   76
Contre 248

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté, non plus que l'article 3.

ARTICLE 4

M. Éric Kerrouche .  - Il n'a jamais été question de dire que le vote à 16 ans était l'unique solution contre l'abstention.

Mais à force d'empêcher toute solution qui favorise le vote, nous renforçons mécaniquement l'abstention. C'est vrai sur les modalités techniques de vote - que vous refusez systématiquement de faire évoluer - comme sur l'âge électoral. Je regrette que l'on n'ait pas pris la mesure des difficultés.

Je ne suis pas étonné que M. Paccaud ait des difficultés avec les sciences humaines, et singulièrement la science politique (M. Olivier Paccaud s'en étonne.) Mais la libre administration n'est pas le libre gouvernement. C'est un principe constitutionnel bien établi.

En matière de démocratie participative, l'obligation législative est souvent la clé pour progresser : voyez la parité.

Il ne faut pas fermer toutes les portes, sinon l'expression démocratique disparaît.

Gare à la fuite en avant qui consiste à dire que l'abstention serait bien trop importante pour y remédier avec des mesurettes !

L'article 4 n'est pas adopté, non plus que l'article 5.

Par conséquent, la proposition de loi n'est pas adoptée.

Prochaine séance, mardi 14 décembre 2021, à 9 h 30.

La séance est levée à 20 h 5.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 14 décembre 2021

Séance publique

À 9 h 30, à 14 h 30 et le soir

Présidence :

M. Pierre Laurent, vice-président, M. Roger Karoutchi, vice-président, Mme Pascale Gruny, vice président

Secrétaires :

M. Loïc Hervé - M. Daniel Gremillet

1. Questions orales

2. Sous réserve de sa transmission, nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2022

3. Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des enfants (texte de la commission, n°75, 2021-2022)

=> En outre, de 14 h 30 à 15 heures : scrutin pour l'élection d'un juge suppléant à la Cour de justice de la République (Ce scrutin secret se déroulera, pendant la séance, en salle des Conférences.)