Disponible au format PDF Acrobat
Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
Financement de la sécurité sociale pour 2022 (Suite)
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé
Mise au point au sujet d'un vote
Débat sur l'action du Gouvernement en faveur de la souveraineté énergétique française
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée, chargée du logement
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains
Débat sur les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Jean-François Rapin, président de la commission
Compétences de la Collectivité européenne d'Alsace
M. Joël Giraud, secrétaire d'État chargé de la ruralité
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis de la commission des lois
Compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (Suite)
APRÈS L'ARTICLE PREMIER QUATERDECIES
APRÈS L'ARTICLE PREMIER SEXDECIES
Ordre du jour du mercredi 17 novembre 2021
SÉANCE
du mardi 16 novembre 2021
22e séance de la session ordinaire 2021-2022
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Jean-Claude Tissot, Mme Marie Mercier.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Financement de la sécurité sociale pour 2022 (Suite)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.
Interventions sur l'ensemble
M. Jean Louis Masson . - Il s'agit de dire par ce vote si nous approuvons ou non les grandes orientations de la politique gouvernementale en matière sanitaire et sociale.
Une telle crise sanitaire est très difficile à gérer ; le Gouvernement s'en est plutôt bien tiré, notamment si l'on se compare à nos voisins.
Cependant, je suis choqué que l'on persiste à maintenir les personnes handicapées sous la dépendance de leur conjoint : il faut individualiser l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Les personnes handicapées ne vivent pas aux crochets de leurs conjoints ! Le refus du Gouvernement est affligeant.
Je suis tout aussi choqué par les prélèvements sociaux et l'action sociale vis-à-vis des retraités. Toutes les mesures prises les pénalisent, notamment l'augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG).
M. le président. - Il faut conclure.
M. Jean Louis Masson. - Tout cela est regrettable : je ne voterai pas ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. Bernard Jomier . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce budget d'esquive - comme je l'avais qualifié en discussion générale - est fidèle à lui-même. C'est un budget de fin de mandat, sans perspectives ni relief.
Vous laissez une sécurité sociale en déficit, sans apporter de réponses claires. L'amendement du Sénat sur les recettes, qui introduit une taxe sur les valeurs mobilières, met la cinquième branche à l'équilibre, mais a été adopté contre l'avis du Gouvernement.
En 2017, votre majorité a trouvé des comptes proches de l'équilibre. Vous les laisserez dégradés, sans avoir tracé un chemin de redressement.
L'année dernière, nous disions déjà que le temps de la crise devait être celui du changement. Or ce PLFSS ne propose aucun changement.
Tarif horaire plancher pour les services d'aide à domicile, haltes soin addiction, amorce de prise en charge par l'assurance maladie des consultations de psychologie, ces mesures sont louables ; mais rien sur l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) ni sur l'hôpital.
Le rendez-vous avec l'hôpital est esquivé. Rien ne change dans la gouvernance, et trop peu dans les moyens ; les urgences sont abordées de manière fragmentaire. Vous vous êtes privés d'une loi ad hoc, vous contentant d'une loi printanière sans grande portée.
Vous modifiez les rapports entre professionnels de santé de manière brutale et irrespectueuse, par des amendements déposés tardivement. Cela les a braqués. Vous dressez les soignants les uns contre les autres, entre accusations de conservatisme ou de lobbyisme.
La cinquième branche souffre de l'absence d'un cadre clair. Votre volonté politique en la matière est inexistante et l'abandon de la loi annoncée, inacceptable. Votre gouvernement aurait-il renoncé à toute ambition forte ?
Sur les retraites, l'amendement adopté par la majorité sénatoriale est en décalage avec les attentes des Français : il ajoute des conditions pour un départ à taux plein alors même que beaucoup de personnes arrivant à la retraite ne sont déjà plus en activité. C'est, en somme, une réforme pour 50 % des Français, socialement injuste et physiquement irréaliste. On ne réforme pas les retraites au détour d'un PLFSS.
Ce texte manque d'envergure et n'apporte pas de solutions : le groupe SER ne le votera pas. Je dédie notre vote contre à l'hôpital public qui est en grande difficulté et qui mérite tellement mieux.
Monsieur le ministre, vous avez dénoncé trente ans d'incurie. J'espère que vous recouvrerez bientôt une vision plus équilibrée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)
M. Dominique Théophile . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce PLFSS est un texte ambitieux, qui s'inscrit dans un contexte épidémique exceptionnel. Près de 7 milliards d'euros sont ainsi prévus pour répondre à la demande en vaccins et en tests. Ces dépenses exceptionnelles sont toutefois en baisse par rapport à 2020 et 2021, car les perspectives sont enfin plus favorables.
Ce PLFSS voit une augmentation de 3,8 % de l'Ondam, et de 4,1 % pour l'hôpital, hors dépenses de crise. Il confirme les engagements du Ségur en faveur de la revalorisation des salaires des personnels des établissements de santé, des Ehpad et du secteur médico-social. Il poursuit la réforme de l'autonomie avec l'instauration d'un tarif plancher de 22 euros de l'heure pour les aides à domicile et un renforcement de la présence médicale dans les Ehpad. Il faut aussi saluer l'attribution automatique de la complémentaire santé solidaire aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), ainsi que celle du minimum vieillesse, la gratuité de la contraception pour les femmes de moins de 26 ans, et la généralisation de la télésurveillance.
Nous nous réjouissons que plusieurs de nos amendements aient été adoptés, sur l'interopérabilité de la télésurveillance, le report de la réforme du financement des soins de suite et de réadaptation (SSR) et l'inclusion de territoires ultramarins dans les expérimentations relatives aux masseurs-kinésithérapeutes, aux orthophonistes et aux infirmiers en pratique avancée (IPA).
À l'inverse, nous regrettons le rejet par le Sénat des mesures concernant l'isolement et la contention, la carte professionnelle dans le secteur de l'aide à domicile, la protection sociale complémentaire des travailleurs des plateformes ainsi que la reprise de la dette hospitalière.
Je regrette aussi l'adoption d'un amendement sur la réforme des retraites : il n'a pas sa place dans un PLFSS et pourrait justifier à lui seul notre abstention sur ce texte.
Le rapport de la Cour des comptes montre que la crise a fortement affecté l'équilibre de nos comptes sociaux, tout particulièrement la branche maladie et le fonds de solidarité vieillesse (FSV) : leur déficit a dépassé les 39 milliards d'euros en 2020 et devrait être proche des 34 milliards d'euros en 2021. Les chiffres sont têtus et nous ne pouvons faire l'économie d'un vrai débat - de vraies et belles querelles - pour préserver notre système.
Les dépenses d'assurance maladie augmentent mécaniquement plus vite que les recettes : ainsi, selon une projection sur la période 2019-2025, elles augmenteraient de 10 %, alors que les recettes atteindraient péniblement les 4 %. Les branches maladie et vieillesse vont rester déficitaires, quelles que soient les prévisions à court et moyen termes.
Quelque 84 % de l'Ondam sont consacrés aux dépenses de la médecine de ville et des établissements de santé : une réforme est nécessaire. En 2018, les pathologies et maladies chroniques représentaient 61 % des dépenses remboursées, soit 102 milliards d'euros sur un total de 167.
Nous souhaitons limiter les actes inutiles et favoriser la prévention et la recherche.
Notre gouvernance est insuffisamment décentralisée. Des outils ont été créés - groupements hospitaliers de territoire (GHT), communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), conseils territoriaux de santé (CTS) -, mais ils n'ont pas encore porté tous leurs fruits. Nous devons également approfondir notre approche basée sur les bassins de vie sanitaires, avec les maisons de santé, les centres d'urgence et les équipements de proximité.
Ce texte est ambitieux, mais il a subi des modifications significatives, qui expliquent l'abstention du groupe RDPI. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Colette Mélot . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC) Le groupe INDEP a abordé les débats de manière pragmatique et en portant des idées nouvelles.
L'Ondam a été revalorisé de 1,7 milliard d'euros en 2021 pour prendre en compte les surcoûts liés à la crise. Le déficit des comptes sociaux atteindra 20,4 milliards d'euros en 2022 ; c'est un peu mieux qu'initialement prévu.
Nous saluons l'extension à 20 000 professionnels travaillant auprès des personnes handicapées des mesures de revalorisation du Ségur ; cela favorisera l'attractivité de ces métiers et la qualité des soins.
Nous sommes favorables au doublement de la contribution exceptionnelle sur les complémentaires santé qui refusent de s'engager à modérer leurs hausses de tarifs, en dépit des 2,2 milliards d'euros d'économies réalisées pendant la crise. La question de la répartition des compétences et des contributions entre la sécurité sociale et ces organismes se pose, d'autant que les frais de gestion des mutuelles - 6,7 milliards d'euros par an - sont particulièrement élevés.
Notre groupe a défendu des mesures comme le stage des internes en dernière année de médecine dans les déserts médicaux, proposé dès 2019 par Daniel Chasseing, les zones franches médicales ou encore le conventionnement conditionné à six mois d'exercice en zone sous-dotée. Face à la progression préoccupante des déserts médicaux, nous avons besoin à la fois de solutions d'urgence et de long terme. C'est pourquoi nous défendons l'article 40 sur l'accès direct aux orthoptistes.
Nous avons également voté en faveur du remboursement de consultations de psychologie. Il serait intéressant de prévoir un accompagnement des parents à risque de dépression post-partum, un phénomène qui concerne 30 % des mères, mais aussi 18 % des pères.
Nous sommes favorables à la gratuité de la contraception pour les jeunes femmes de moins de 26 ans, mais pourquoi ne pas l'étendre aux jeunes hommes ?
Nous saluons l'adoption de l'article 49 qui facilite le versement des pensions alimentaires.
Le principal défaut du texte est l'insuffisance de financement pour les Ehpad, où les personnels manquent. Ces sous-effectifs dégradent les conditions de travail et augmentent les risques de maltraitance.
Nous saluons l'ouverture, à l'initiative de Daniel Chasseing, des pôles d'activités et de soins adaptés (PASA) en direction des personnes âgées vivant à domicile.
Nous sommes favorables au passage de l'âge à la retraite de 62 à 64 ans mais aurions préféré un texte ad hoc. Pour allonger progressivement la durée d'activité, il faut prévenir les maladies chroniques, former tout au long de la vie et améliorer les conditions de travail.
Nous n'avons pas voté la suppression de la reprise de la dette hospitalière par la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ni celle de la trajectoire financière des comptes sociaux pour les quatre prochaines années.
Difficile d'adopter un texte privée de sa dimension pluriannuelle : la majorité des sénateurs de notre groupe s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RPDI)
Mme Catherine Deroche . - Au terme d'une semaine de débats, nous allons voter un déficit de la sécurité sociale de plus de 21 milliards d'euros. Il traduit d'abord l'effort consenti pour protéger les Français dans la crise : le système de santé a tenu bon, l'État a financé tests, vaccins et outils de réponse à l'épidémie ; il a préservé le pouvoir d'achat des actifs.
Mais au-delà de ce rôle de stabilisateur automatique, ce déficit traduit des phénomènes plus structurels : le déséquilibre de l'assurance maladie d'abord, le plus difficile à régler. On pourrait simplement constater un manque de recettes face à des besoins croissants ; il faudrait alors définir un taux de CSG optimal pour financer le système. Mais ce n'est pas si simple. Il faut souligner la part trop limitée de la prévention, les inégalités territoriales criantes dans l'accès aux soins. L'hôpital, porte d'entrée dans le système de soins, craque de toutes parts.
Le Sénat a adopté des dispositions qui améliorent la présence médicale dans les zones sous-dotées et invite le Gouvernement à mettre en oeuvre celles qui ont été votées dans la dernière loi Santé.
L'assurance maladie exige davantage qu'un surcroît de recettes, dont nous ne disposons pas.
Sur l'assurance vieillesse, les termes du débat sont plus simples. Devant l'équation démographique, dans un pays attaché à un départ précoce à la retraite, le Sénat a choisi de prolonger la durée d'activité, mais dans de meilleures conditions de travail et de santé. Dans un système par répartition où les actifs financent les retraites, une croissance faible et une baisse du nombre d'actifs rendent la charge insoutenable.
La plus grande déception vient de la branche autonomie. Sur le sujet, l'heure n'est plus aux rapports : le besoin de financement est estimé entre 6 et 10 milliards d'euros. Le levier de la prévention de la perte d'autonomie n'est pas assez activé.
Sur le rapport de Bernard Bonne et Michelle Meunier, la commission des affaires sociales s'était prononcée pour une assurance couvrant le risque de perte d'autonomie, prise le plus tôt possible afin de limiter le montant des primes.
La nouvelle branche autonomie, déjà déficitaire, est une promesse non tenue. Sa gouvernance est imprécise, ce qui empêche une prise en charge fine des personnes âgées. Les attentes sont immenses, y compris de la part des professionnels du secteur ; ils ont besoin de motivation et de reconnaissance, mais rien ne vient. Pourquoi avoir annoncé cette cinquième branche dans l'euphorie ? Le Sénat propose une conférence nationale des générations et de l'autonomie. Il aura manqué une loi sur le grand âge, comme il aura manqué une loi Santé.
Ce PLFSS est par conséquent un texte d'attente : on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment... La crise de 2008 avait été suivie de tentatives de régulation des dépenses, puis d'une période d'austérité fiscale. Or ce texte ne dit rien des choix qui seront faits. Nous avons choisi d'exposer les nôtres.
Il conviendra à l'avenir de respecter les prérogatives du Parlement, de recentrer le PLFSS sur son sens constitutionnel, de retrouver le sens de l'autorisation parlementaire - en particulier pour les agences sanitaires , d'en finir avec les amendements de dernière minute qui ne sont jamais de bonnes surprises, de cesser de gaver un texte déjà obèse avec des mesures comme la reprise par la Cades de la dette des hôpitaux.
La commission mixte paritaire devra aboutir, pour que les représentants des Français assument la mission que la Constitution leur confie. Le groupe Les Républicains votera ce texte, tel qu'issu des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Monique Lubin applaudit également.) Cette première lecture au Sénat nous laisse un goût amer : le Gouvernement balaie nos propositions et multiplie les amendements en cours de discussion pour tenir compte des annonces de ministres en précampagne présidentielle.
Nous nous félicitons des revalorisations pour le secteur du handicap, compensées aux départements, que nous réclamions depuis longtemps. Nos amendements en faveur du personnel social et médico-social ont été déclarés irrecevables. Le Gouvernement s'obstine à ne pas voir que des filières entières ont été déstabilisées par des démissions. Ces oubliés du Ségur ont été, enfin, entraperçus par le Premier ministre à la faveur d'un déplacement. Rencontrera-t-il aussi les psychologues des établissements publics de santé lors d'un prochain déplacement ?
Ce mouvement de revalorisation n'est qu'un premier point d'inflexion après une longue période d'austérité salariale, obtenu grâce aux mobilisations. Je regrette cette méthode échelonnée, qui exclut encore des professionnels de ce rattrapage.
Il n'y a pas de ressources nouvelles pour la maladie comme pour l'autonomie, ce qui augure de déficits durables et de futures réformes structurelles, renvoyées à l'après-élection présidentielle. En attendant, vous faites rouler la dette sociale, qui sera demain invoquée pour justifier vos réformes austéritaires.
Nos amendements visant à réduire les inégalités de revenu et de patrimoine et financer la sécurité sociale avec de nouvelles recettes ont été rejetés.
Vos Ondam prévisionnels sont inférieurs aux besoins de santé. Les années précédentes, on avait financé le déficit par la restructuration brutale de l'offre hospitalière...Vous y avez renoncé cette année, mais demain ? L'hôpital public est sinistré par ce sous-financement. Il faut rompre avec l'austérité et redonner à l'hôpital une vision pluriannuelle.
Idem pour la branche autonomie : les prévisions jusqu'à 2025 semblent valoir solde de tout compte, mais les ressources font défaut.
La sortie de crise a justifié des mesures de soutien aux entreprises, mais qu'il aurait fallu conditionner à des critères sociaux et environnementaux.
On surtaxe à nouveau les complémentaires santé pourtant déjà frappées par le rattrapage des soins au premier semestre 2021. Cela sera répercuté sur les adhérents ; et ainsi, sera justifiée, a posteriori, la campagne du Gouvernement sur l'indécente augmentation des tarifs...
Rien pour lutter contre la pauvreté notamment des jeunes et des travailleurs précaires ; l'article sur la contention et l'isolement a été supprimé. C'était certes un cavalier, mais il aurait fallu le limiter dans le temps afin d'obliger le Gouvernement à l'intégrer dans une loi sur la santé mentale.
Nous nous félicitons de l'indemnisation des victimes des pesticides, même si nous regrettons le retard pris sur le chlordécone.
Enfin, nous regrettons une interprétation trop extensive de l'article 40, qui nous a privé d'un débat sur les centres de ressources territoriaux.
Faute de mesures pour redresser durablement l'hôpital, lutter contre l'intensification de la pauvreté et prendre en charge de l'autonomie, nous ne pourrons voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST, Mmes Esther Benbassa et Monique Lubin applaudissent également.)
Mme Laurence Cohen . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Monique Lubin applaudit également.) Malgré les annonces fracassantes, ce budget n'est pas au niveau, même si aucune restriction budgétaire n'est imposée aux hôpitaux, contrairement aux quatre années précédentes. Le système de santé a souffert de la crise et de vingt ans d'austérité budgétaire.
Les 8 milliards d'euros octroyés au titre du Ségur ne compensent pas les 18 milliards d'euros de restrictions imposées depuis 2017. Il reste encore des oubliés du Ségur et, malgré cette revalorisation, les salaires des soignants restent en-deçà de la moyenne de l'OCDE.
Pire, le cap n'a pas changé : l'Ondam est sous-revalorisé à 2,5 %, alors que l'augmentation des dépenses de santé devrait être de 4 à 5 %.
Nous saluons l'adoption de notre amendement supprimant l'article 23 sur les perspectives financières de l'assurance maladie d'ici 2025, qui sont bien en deçà des besoins, mais nous ne nous faisons pas trop d'illusion sur l'issue de la CMP... Idem concernant la reprise de la dette des hôpitaux.
Ce PLFSS ne cherche pas de nouveaux financements, comme nous le proposions. Pire, les exonérations de cotisations deviennent la règle, faisant perdre 150 milliards d'euros par an à l'État et à la sécurité sociale.
Ce faisant, vous êtes dans la lignée de vos prédécesseurs. Depuis la création de la CSG en 1991, la cotisation comme fondement de notre sécurité sociale est remise en cause. Depuis 1993, les exonérations patronales se multiplient et les dépenses de santé sont rationnées : Juppé, Bachelot, Touraine ou Buzyn, ce sont toujours les mêmes remèdes. En juin 1946, Ambroise Croizat estimait que la sécurité sociale - seule création de richesses sans capital - était la seule dépense directement investie pour le bien-être de nos concitoyens. Le Gouvernement la subordonne hélas à des considérations financières.
Dans tous les territoires, les départs se succèdent à l'hôpital, comme à Laval où les soignants dénoncent un manque endémique de médecins et où les urgences ont été fermées quelques nuits faute de personnel. Une mobilisation nationale du monde de la santé aura lieu le 4 décembre prochain, à l'appel des comités de défense de Mayenne, mais aussi des hôpitaux Bichat et Beaujon.
Pour nos aînés, la réforme promise de l'autonomie est enterrée : pas de grand service public, mais une branche financée à coups de CSG et de transferts en provenance des autres branches.
Et que dire de la mise sous tutelle de la profession de psychologue ? Là encore, on ne prend pas en compte les réalités de terrain.
L'amélioration du congé de proche aidant, la prise en charge de la contraception pour les femmes de moins de 26 ans, le tarif minimal pour les aides à domicile sont bienvenus, mais ce ne sont que des rustines. L'accès direct n'est pour vous qu'une manière de gérer la pénurie médicale. (M. le ministre de la Santé le conteste.)
Il fallait repenser de fond en comble notre système de santé et rompre enfin avec ces choix qui tuent à petit feu notre protection sociale.
La majorité sénatoriale a même aggravé le texte par des mesures favorables aux industriels du médicament et en repoussant l'âge de la retraite à 64 ans.
La CGT, l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF), l'Action praticiens hôpital (APH), la CFE-CGC, Sud, les collectifs inter-blocs, inter-hôpitaux et inter-urgences, le printemps de la psychiatrie et la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité qualifient ce budget de véritable provocation. Le CRCE votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue le travail de la commission des affaires sociales et de sa présidente, ainsi que celui de notre rapporteure générale qui a réussi son premier PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
C'est avec des sentiments partagés que le groupe UC aborde ce vote. La gratuité de la contraception jusqu'à 25 ans, le tarif plancher sur les aides à domicile, l'extension du champ du Ségur sont à saluer.
Sur la dette et la trajectoire de nos comptes sociaux, nous saluons la décision de la rapporteure générale de supprimer une trajectoire pluriannuelle qui ne prévoyait aucune stratégie de retour à l'équilibre. La dette publique inquiète les Français, notamment les plus jeunes : auront-ils une retraite à la hauteur de celle de leurs parents ?
Une autre mesure a fait grand bruit : l'article 40, sur l'évolution du métier d'orthoptiste. L'encadrement proposé par la commission va dans le bon sens.
Trop de professionnels restent exclus des revalorisations salariales du Ségur. Le rapporteur Philippe Mouiller a proposé la création d'un comité associant l'État et les partenaires sociaux : c'est une excellente idée, qui va dans le sens du paritarisme et du dialogue social.
L'accès aux soins dans les milieux ruraux nous tient à coeur. L'Insee a montré que l'espérance de vie des Français vivant dans les départements hyper-ruraux est inférieure de deux ans à celle des Français des départements hyperurbains.
Le Sénat a adopté deux amendements de Valérie Létard et Jocelyne Guidez sur les travailleurs saisonniers et les proches aidants.
Sur la branche vieillesse, le Sénat a fait preuve de responsabilité: si nous vivons plus longtemps, il faudra aussi travailler plus longtemps. Il y va de la survie de notre système de répartition.
Sur l'assurance maladie, le déficit de 20 milliards d'euros nous oblige à aborder le sujet de la fraude sociale et de la redondance des soins, mais le Gouvernement a préféré balayer la poussière sous le tapis.
Je salue la suppression du transfert d'un milliard d'euros au détriment de la branche famille - et déplore le manque d'ambition de la politique familiale, à l'exception des progrès réalisés sur l'intermédiation des pensions alimentaires. Le taux de natalité est en chute constante depuis près de dix ans. Notre politique familiale a été détricotée sous couvert d'une fausse justice sociale. Je déposerai une proposition de loi pour lui rendre sa dimension universaliste.
« Nous autres civilisations savons maintenant que nous sommes mortelles », disait Valéry. Il est urgent d'adopter une politique familiale ambitieuse.
Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Martin Lévrier applaudit également.) Ce PLFSS porte les stigmates d'une crise inédite et exceptionnelle. Voici un an, nous constations avec effroi les conséquences désastreuses de la pandémie sur les comptes sociaux. Nous avons appris à vivre avec, sans renoncer aux réformes.
Ce texte porte quelques marqueurs positifs, comme les revalorisations salariales des personnels du secteur sanitaire et médico-social, le soutien à l'innovation et la sécurité des approvisionnements dans le secteur du médicament.
Il est logique de renvoyer les réformes d'ampleur au prochain Gouvernement, à commencer par la grande loi sur l'autonomie que nous attendions.
Je salue la progression de l'Ondam de plus de 3 %, hors dépenses liées à la crise, mais aussi la concrétisation des engagements du Ségur, l'amélioration de l'accès précoce des patients aux médicaments innovants ou onéreux et la production en Europe de molécules stratégiques.
Le recrutement dans les Ehpad, la revalorisation de l'allocation journalière du proche aidant, le tarif horaire plancher à 22 euros pour les aides à domicile sont eux aussi bienvenus. La contraception gratuite pour les moins de 26 ans aurait dû être étendue aux hommes.
Malgré l'augmentation du numerus clausus, le manque de médecins s'aggrave. Il faut donc saluer les mesures facilitant l'accès à un kinésithérapeute, un orthophoniste ou un orthoptiste.
Notre groupe est opposé à toute forme de coercition. Nous préférons la création de zones franches médicales, plus incitatives. Cela pourrait notamment être envisagé dans les zones frontalières, quand on sait que nos soignants sont payés trois fois plus au Luxembourg...
Nous appuyons la position de la commission sur l'équilibre des comptes sociaux ; la dette hospitalière aurait dû être reprise par le budget de l'État. L'hôpital souffre depuis des années d'une baisse de budget, de sous-investissement et d'un manque de recrutement.
Il faut travailler sur l'efficience des dépenses de santé et réfléchir à de nouvelles recettes afin de trouver la voie du retour à l'équilibre. Nous ne pouvons pas vivre à crédit ; la réforme du système de santé sera donc au coeur de la campagne électorale.
J'en appelle aux candidats à l'élection présidentielle pour qu'ils s'engagent en faveur de notre système de santé en s'appuyant sur nos soignants.
Le RDSE s'abstiendra en majorité. Dix de nos amendements ont été adoptés. Mais si la plupart d'entre nous pensent qu'une réforme des retraites est nécessaire, nous ne soutenons pas celle qui a été proposée dans ce PLFSS. Ce sujet mérite un grand débat. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe INDEP)
Scrutin public solennel
L'ensemble du PLFSS est mis aux voix par scrutin public de droit.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°39 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 286 |
Pour l'adoption | 185 |
Contre | 101 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC)
M. le président. - Je remercie la présidente Deroche (applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe SER), Mme Élisabeth Doineau, dont c'était le premier rapport général (applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe SER), M. Jean-Marie Vanlerenberghe, son prédécesseur (applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) et l'ensemble des rapporteurs de branches.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Je salue la qualité de nos débats, dont la technicité nous a permis d'améliorer le texte. Certaines mesures me semblent assez consensuelles : hausse de l'Ondam, revalorisations salariales du médico-social, fonds de lutte contre les addictions, capital décès pour les non-salariés agricoles, etc. D'autres nécessiteront un peu de travail avant la CMP, sur l'interopérabilité par exemple. J'espère que les deux assemblées pourront réduire les différences entre les deux textes, même s'il me semble probable que nous débattrons à nouveau dans une dizaine de jours... (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
La séance, suspendue à 15 h 40, reprend à 15 h 50.
présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente
Mise au point au sujet d'un vote
M. François-Noël Buffet. - Lors du scrutin public n°39, M. Henri Leroy souhaitait voter pour.
Mme la présidente. - Acte vous est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l'analyse politique du scrutin.
Débat sur l'action du Gouvernement en faveur de la souveraineté énergétique française
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur l'action du Gouvernement en faveur de la souveraineté énergétique française, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Alors que la COP26 vient de s'achever, la France est confrontée à une crise énergétique inédite qui risque de l'éloigner des objectifs de l'Accord de Paris.
La flambée des prix de l'énergie entre 2020 et 2021 est sans précédent : doublement pour le gaz, triplement pour le pétrole, multiplication par neuf pour l'électricité. Elle s'est répercutée sur les tarifs réglementés, qui ont augmenté de 12 % pour le gaz en octobre et de 44 % pour l'électricité en février.
Cette hausse était prévisible. La commission des affaires économiques avait alerté dès juin 2020 et proposé une augmentation du chèque énergie. Je regrette le temps perdu. L'énergie représente 10 % des dépenses des Français. Selon le médiateur de l'énergie, 95 % des ménages constatent une hausse des coûts et 25 % diffèrent leurs paiements. La flambée des prix pèse sur le pouvoir d'achat et sur les coûts de production des entreprises. Le surcoût atteindrait 1 milliard d'euros pour les 400 énergo-intensifs, qui consomment 50 % de l'électricité consommée par l'industrie.
Les litiges se multiplient : l'activité du médiateur a crû de 15 % en six mois. Certains fournisseurs font défaut, or les fournisseurs de secours n'ont été désignés que la semaine dernière pour l'électricité et ne l'ont pas été pour le gaz.
Notre système énergétique connaît aussi un risque d'approvisionnement. Notre dépendance s'accroît, avec 43 jours d'importation en 2020 contre 25 en 2019, d'autant que nous n'arrivons pas à tenir nos objectifs en matière de renouvelable : l'écart est de 53 % pour le photovoltaïque, 25 % pour l'éolien et de 1 % pour l'hydroélectricité. Le premier budget carbone a été dépassé de 62 millions de tonnes.
Notre avenir énergétique s'assombrit : selon le rapport de RTE, l'électrification des usages et le renouvellement du nucléaire pourraient entraîner un effet falaise dès 2040.
Pourtant, la politique du Gouvernement demeure indécise. Les mesures financières pour les ménages sont dérisoires au regard de la hausse des prix : 100 euros, c'est l'équivalent d'un plein ! Les tarifs réglementés ne s'appliquent qu'à une minorité des consommations. Les entreprises énergo-intensives n'ont perçu qu'une avance de 150 millions d'euros, six fois moins que les besoins.
Avec 47 milliards d'euros, la France est leader européen de la fiscalité énergétique. Elle aurait pu faire le choix d'une baisse massive des taxes, comme l'Espagne ou l'Allemagne.
Les réformes énergétiques comme Hercule et le contentieux hydroélectrique sont embourbés, faute d'accord avec la Commission européenne. Le Gouvernement doit clarifier ses intentions. À ce propos, envisager une réforme du groupe EDF dans le cadre de la loi quinquennale de 2023, comme l'a évoqué Mme Abba, n'est pas admissible ; le sujet mérite une loi spécifique. (M. Franck Menonville renchérit.)
Les choix du Gouvernement sont inconstants. Je suis sidéré qu'il ait fallu attendre d'être à six mois de l'élection pour observer un retour en grâce du nucléaire. Je prends acte de l'annonce de 500 millions d'euros pour de petits réacteurs modulaires, mais cela reste en dessous des efforts des États-Unis et du Royaume-Uni. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour annoncer de nouveaux réacteurs ? Pourquoi en avoir fermé deux à Fessenheim ? Pourquoi avoir fermé le démonstrateur Astrid en 2019 ?
Notre commission des affaires économiques a toujours suivi le même cap sur le nucléaire - je me réjouis que le Gouvernement finisse par nous rejoindre. (MM. Stéphane Piednoir et François Bonhomme renchérissent.)
Le Gouvernement va-t-il revenir sur les fermetures prévues et relever la part à venir du nucléaire ?
Nous souhaitons qu'il reprenne l'effort de recherche sur la fermeture du cycle du combustible et soutienne le projet ITER. Il faut relancer et investir. Enfin, le Gouvernement doit veiller à l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte. Le nucléaire est décarboné, pas le gaz ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée, chargée du logement . - L'enjeu de la souveraineté énergétique est crucial. Je vous prie d'excuser Mme Pompili, en déplacement avec le Président de la République pour promouvoir l'hydrogène.
Une voix à droite. - Elle est en campagne, oui !
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - La ligne du Gouvernement est claire. Notre souveraineté énergétique suppose de sortir de la dépendance aux énergies fossiles, qui représentent 63 % de notre consommation énergétique, alors que notre électricité est largement décarbonée. D'après les travaux de RTE, c'est la condition pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Le triptyque efficacité énergétique, énergies renouvelables et relance du nucléaire est la clé de notre action.
Premier pilier : la sobriété et le soutien au pouvoir d'achat, avec le bouclier énergétique et la prime inflation.
Le défi de la réduction de la consommation est de grande ampleur, mais les politiques menées depuis 2017, avec la rénovation énergétique des bâtiments, le succès de MaPrimeRénov', la réglementation environnementale, portent leurs fruits. Toutefois, pour sortir des énergies fossiles, il faut électrifier divers usages, tels que la mobilité, le chauffage et l'industrie. Selon RTE, la consommation d'électricité devrait croître de 30 à 60 % d'ici à 2050. Cela implique de produire entre 650 et 750 térawattheures d'électricité en 2050, contre 500 térawattheures actuellement...
Deuxième pilier : accélérer le développement des renouvelables. Il faut doubler les capacités d'ici à 2030 et continuer à les accroître après. La capacité de production nucléaire va décroître dans les quinze prochaines années avant la mise en place de nouvelles centrales.
Nous allons massivement développer l'éolien terrestre et en mer, avec une multiplication par deux à quatre du parc terrestre et 2 000 à 4 000 nouvelles éoliennes offshore d'ici à 2050. Nous voulons multiplier les capacités en photovoltaïque par sept.
Le biogaz sera appelé à se substituer au gaz naturel pour au moins 10 % en 2030, contre 1 % aujourd'hui.
Mais la souveraineté énergétique passe aussi par des filières compétitives : France relance consacre 7 milliards d'euros à l'hydrogène décarboné.
Troisième pilier : le nucléaire, qui est majoritaire dans le mix électrique et restera un socle important en 2050. RTE confirme que relancer le nucléaire produira une électricité compétitive en 2050. Le Président de la République a invité la filière industrielle à s'y préparer. Cela permettra de poursuivre l'électrification des usages à partir de 2035.
La mise en service des nouveaux réacteurs permettra de conserver ce socle.
Telle est la ligne du Gouvernement. Nous n'avons pas connu de tel défi depuis un demi-siècle, mais c'est une opportunité de renforcer notre économie et notre résilience. Ensemble, saisissons-la !
M. Jean-Claude Tissot . - Nous partageons l'objectif de reconquérir notre souveraineté énergétique. Quels leviers privilégier ? La privatisation a abouti à la perte du contrôle de l'État sur l'énergie, avec une hausse du prix de l'électricité de 60 % depuis l'ouverture du marché en 2007. L'État en est réduit à sortir son carnet de chèques, et nous sommes devenus dépendants de l'étranger.
Il n'y aura pas de véritable souveraineté énergétique sans un service public de l'énergie, plus efficace que les opérateurs privés pour réduire la consommation et développer le renouvelable. Le développement anarchique des éoliennes suscite des réticences, on le voit dans la Loire : un projet, porté par un promoteur étranger à La Tuilière dans un total déni de démocratie, suscite l'hostilité de tous les élus locaux, alors qu'un autre, les Ailes de Taillard, à Burdignes, a su susciter l'adhésion en adoptant une démarche participative. La participation des collectivités et des citoyens est gage d'acceptation.
Envisagez-vous d'aller vers ce service public de l'énergie ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - En matière de souveraineté, la clé est la réduction des énergies fossiles, d'où un effort de sobriété et de substitution avec le développement du nucléaire et du renouvelable. EDF, fournisseur historique, y a toute sa place.
Le développement des renouvelables doit être territorialisé et le débat local doit être apaisé. Barbara Pompili a proposé dix mesures pour renforcer l'acceptabilité de l'éolien, dans la ligne de la loi Climat et résilience qui prévoit des commissions régionales de l'énergie. Parmi ces mesures, on retrouve l'avis systématique du maire et l'interprétation stricte par le préfet de la compatibilité avec le patrimoine et les paysages.
Enfin, nous soutiendrons les projets citoyens dont vous avez parlé.
Mme Marie Evrard . - La question de l'énergie revient au coeur des débats dans un contexte de reprise économique. Le chèque énergie de 100 euros va bénéficier à 5,8 millions de ménages, c'est une bonne nouvelle !
La politique énergétique du Gouvernement est équilibrée. Pour atteindre la neutralité carbone, nous allons développer le renouvelable, a dit le Président de la République, et investir un milliard d'euros dans la recherche sur les technologies de rupture du nucléaire, avec le développement des réacteurs de petite taille (SMR), dix fois moins puissants que les centrales classiques.
Le rapport de RTE estime que la construction de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinente. Quelle est la place des SMR et comment s'articulent-ils avec un parc vieillissant ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Oui, nous protégeons le pouvoir d'achat des Français à court terme, et poursuivons un objectif de décarbonation à moyen terme. Nous allons donc développer les capacités de production, dont le nucléaire, avec des technologies diversifiées : le nucléaire de grande puissance avec les réacteurs pressurisés européens (EPR), déjà existants en Europe et en Chine, qui sont adaptés aux réseaux de transport français, et le nucléaire de faible puissance, avec les réacteurs modulaires SMR, en développement. Les SMR sont plus simples et compacts, leur préfabrication plus standardisée. Ils pourront approvisionner des sites isolés. Le soutien de France Relance et France 2030 aux SMR en démontrera la faisabilité.
La relance à court terme s'appuiera sur des technologies éprouvées comme l'EPR ; les SMR arriveront dans un second temps.
M. Franck Menonville . - La souveraineté énergétique repose notamment sur la maîtrise de la technologie nucléaire, qui produit une énergie décarbonée et stable. Le contexte géopolitique rappelle que l'indépendance énergétique est un levier de souveraineté.
La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2023 prévoit que la part du nucléaire dans le mix électrique tombe à 50%. Attention ! La fermeture de Fessenheim, plus politique que technique, a conduit à repousser la fermeture des dernières centrales à charbon. RTE a démontré que même avec des objectifs très ambitieux en termes d'énergies renouvelables, nous ne pourrions nous passer du nucléaire.
Madame la ministre, à quelle échéance réactualiserez-vous la PPE, et quelle sera la place du Parlement ? L'énergie ne mériterait-elle pas un ministère dédié ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Piednoir. - Très bien !
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - La PPE prévoit la réduction de la consommation d'énergie et la diversification du mix. Dans ce cadre a été pilotée la fermeture de trois des quatre dernières centrales à charbon : le Havre et Saint-Avold d'abord, puis Gardanne. La fermeture de Cordemay est retardée car elle approvisionne la pointe bretonne ; il n'y a guère de rapport avec la fermeture de Fessenheim...
La PPE sera adaptée à la mi-2024, et couvrira la période 2024-2033. Le Gouvernement a lancé le 2 novembre dernier une consultation ouverte à tous sur un site dédié autour de douze grands thèmes. Les travaux se poursuivront jusqu'à l'automne 2022, avec une concertation préalable PPE dès l'automne 2023. Vous le voyez, le Parlement sera pleinement associé.
M. Stéphane Piednoir. - C'est nouveau !
M. Gérard Longuet . - À la veille de la présidence française de l'Union européenne, nous entendons le ministre de l'économie parler de réformer le marché européen de l'énergie. Pourrions-nous avoir des précisions - à supposer qu'il parle bien au nom du Gouvernement ? La question est majeure, car le marché européen de l'énergie doit donner à nos deux principales filières - le nucléaire, auquel je crois, et l'éolien maritime, dont la rentabilité reste à prouver - les moyens de se financer.
Or la sortie de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) et la taxonomie sont deux obstacles. Quelles sont vos perspectives de succès dans ce domaine ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; M. Jean-Pierre Moga applaudit également.)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - La formation des prix sur le marché européen de l'électricité est basée sur le coût marginal de production. Les marchés européens étant connectés, c'est le dernier moyen de production qui est appelé : en ce moment, le gaz, car les moyens de pointe sont fossiles. D'où une persistance de prix élevés qui nous préoccupe. La France souhaite que les prix payés par le consommateur reflètent le mix national et non le prix marginal du fossile. Cela serait compatible avec le marché de gros.
Le Gouvernement est mobilisé et le sera pendant la présidence française de l'Union. Avec Barbara Pompili et Bruno Le Maire, nous avons ainsi porté les positions françaises au Conseil de l'énergie il y a quelques semaines. Nous voulons introduire dans la directive la possibilité de contrats garantissant une stabilité des prix. Enfin, nous nous battons pour inclure le nucléaire dans la taxonomie.
M. Gérard Longuet. - J'espère que vous obtiendrez des résultats. Le système de coût marginal sur la dernière centrale à lignite allemande est absurde ! Si d'autres pays européens refusent une énergie moderne, ils n'ont pas à nous faire payer leurs choix. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Sophie Primas. - Très bien !
M. Daniel Salmon . - Nous voulons tous développer de nouveaux modes, renouvelables et compétitifs, de production d'électricité. Un mix 100 % renouvelable d'ici à 2050 est possible, et l'éolien est une clé de la transition. Cette filière crée de l'emploi sur tout le territoire : exploitants, bureaux d'études... Plus de 900 entreprises et 23 000 emplois en dépendent. Le premier parc éolien offshore va être inauguré à Saint-Nazaire - vingt ans après le Royaume-Uni, la Belgique et le Danemark, alors que la France est la deuxième zone maritime mondiale, avec 11 millions de km2 ! Nous devrions passer de 17,8 gigawatts à 31,4 gigawatts en 2028. L'État doit être plus proactif : comment compte-t-il rattraper ce retard ? (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le rapport de RTE démontre que les énergies renouvelables sont indispensables, et qu'il faudra être volontariste concernant l'éolien sur terre et en mer. RTE a calculé qu'en 2019, le photovoltaïque et l'éolien ont permis d'éviter 22 millions de tonnes d'émissions. L'éolien, avec 8 %, est la troisième source de production d'électricité en France, devant le gaz.
Le Gouvernement compte poursuivre son développement pour atteindre les objectifs de la PPE. Nous lançons un appel d'offres pour l'éolien terrestre, pour déployer 25 gigawatts de 2021 à 2026.
Je rappelle les dix mesures annoncées par Barbara Pompili, dont le médiateur de l'éolien et les expérimentations pour éviter les nuisances. L'appropriation des projets par les territoires passera aussi par la concertation locale.
M. Daniel Salmon. - Ni durable, ni renouvelable, le nucléaire est coûteux et dangereux. Consacrons nos énergies aux vraies énergies renouvelables !
M. Fabien Gay . - Peut-on parler de la souveraineté énergétique française sans remettre en en cause le marché européen de l'énergie, en vendant nos fleurons industriels énergétiques et en voulant démembrer l'entreprise historique EDF ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le Gouvernement souhaite revoir la fixation des prix au niveau européen en tenant compte des modes de production.
Nous voulons faire d'EDF un acteur majeur de notre transition énergétique, avec des capacités d'investissement accrues.
Nous poursuivons les discussions avec la Commission pour convenir d'un projet de réorganisation d'EDF équilibré. Nous souhaitons revoir les règles pour le parc nucléaire et hydroélectrique, pour protéger les consommateurs tout en respectant les intérêts d'EDF. Les négociations sont en cours avec les organisations syndicales, en intersyndicale et en bilatéral, pour définir une approche commune.
M. Fabien Gay. - Allons-nous continuer de libéraliser le secteur de l'énergie ? Le marché européen de l'énergie, qui date de 2002, ne marche plus ! Le prix de notre électricité est lié à celui du gaz, si bien que la France paie la facture alors que son énergie est décarbonée. Nous marchons sur la tête !
Nous scindons Engie, dont la filiale Equans sera rachetée par Bouygues. Une fois Enedis privatisé, comment l'État pourra-t-il investir dans la filière nucléaire ? Vous faites tout le contraire de ce qu'il faudrait, à savoir sortir l'énergie des mains rapaces du privé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SER)
M. Jean-Pierre Moga . - En juin 2020, la commission des affaires économiques alertait sur le risque inflationniste lors de la sortie de crise. Nous y sommes. Alors que 67 % de notre consommation d'énergie finale provient d'énergies fossiles importées, la relance du nucléaire est une des réponses. L'énergie nucléaire a évité 63 gigatonnes d'émissions de CO2 depuis les années 1970. Impensable de ne pas s'appuyer sur cette énergie pour décarboner et électrifier notre économie : elle doit figurer dans la taxonomie européenne.
Les annonces du Président de la République vont dans le bon sens, mais nous déplorons le temps perdu. Des incertitudes demeurent : nombre de réacteurs, calendrier de déploiement, maîtrise des coûts...
Énergie renouvelable et nucléaire nous permettront de retrouver notre souveraineté énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Nous voulons baisser la consommation et développer les énergies décarbonées, sans opposer les énergies renouvelables au nucléaire.
Nous nous appuyons tant sur les technologies EPR que SMR, soutenues par le plan de relance et le plan France 2030, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050, comme le prévoient les Accords de Paris. Le président de la République précisera les orientations dans les jours ou les semaines à venir.
Nous souhaitons que toutes les énergies décarbonées soient incluses dans la taxonomie européenne.
M. Jean-Yves Roux . - Je pense à nos concitoyens qui ne peuvent remplir leur cuve de fioul et qui n'allument pas leur chauffage... Dans nos départements et nos mairies, tous les services oeuvrent auprès des habitants pour les soutenir.
D'ici à 2035, nos besoins en électricité auront augmenté de plus de 15 % et de 35 % d'ici à 2050.
Le projet de renouvellement d'un tiers des concessions hydroélectriques en 2023 inquiète. Leur privation serait catastrophique pour les autres usages. Or une gouvernance technocratique et totalement libéralisée se profile.
À quelques jours de la présidence française de l'Union européenne et 70 ans après la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), quelle initiative européenne allez-vous prendre pour assurer la pérennité de notre modèle hydroélectrique qui fait la fierté de notre pays ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - La lutte contre la précarité énergétique est une priorité du Gouvernement, comme en témoignent le chèque énergie et toutes nos actions en faveur de la rénovation des logements.
L'hydroélectricité fait partie de notre mix énergétique ; elle est très compétitive. Les concessions doivent être renouvelées par mise en concurrence, comme le prévoit le droit européen. Or depuis 2011, les gouvernements successifs se sont donné le temps de préparer la mise en concurrence avec l'ensemble des acteurs. La Commission européenne a engagé une procédure contentieuse en 2015, puis mis en demeure la France, comme d'autres pays, en mars 2019.
La France négocie avec la Commission : la quasi-régie est envisagée, même si aucune décision n'a encore été prise.
Mme Viviane Artigalas . - La hausse des prix de l'électricité est liée à leur indexation sur les prix des énergies fossiles. La libéralisation du marché européen de l'énergie touche chaque citoyen et met à mal notre souveraineté énergétique.
Pour gagner en indépendance, nous devrions stocker notre propre énergie, ce que permet l'hydroélectricité. Miser sur cette énergie est essentiel pour assurer notre indépendance et couvrir les besoins de nos industries électro-intensives.
Quelle place comptez-vous lui accorder dans notre mix énergétique ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le système actuel de fixation du prix européen est effectivement obsolète. La France a donc ouvert un débat avec les États membres pour limiter l'effet inflationniste.
L'hydroélectricité est une énergie renouvelable vertueuse. Nous souhaitons trouver avec la Commission une solution pérenne de mise en concurrence des concessions. Le Gouvernement défend les intérêts français.
Mme Viviane Artigalas. - La stratégie doit être très offensive. L'État doit garder la main sur les gestionnaires des barrages. Les trois entreprises concernées - la Compagnie nationale du Rhône (CNR), la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) et EDF - ont aussi un rôle d'investissement, de stratégie industrielle et de développement des territoires.
M. Serge Babary . - La France connaît une crise énergétique inédite : multiplication par deux du prix du gaz, par trois pour le pétrole, par neuf pour l'électricité. L'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden) prévoit que la facture augmente d'un tiers pour les entreprises, sans compter la hausse du prix des matières premières.
Les entreprises françaises attendent du Gouvernement une vision à long terme. Nous devons mettre en place une politique qui sécurise les approvisionnements, le prix de l'énergie, et qui préserve la compétitivité de nos entreprises.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - L'augmentation des prix est effectivement inquiétante. Le coup de pouce à la compensation carbone versée aux entreprises les plus électro-intensives améliorera leur trésorerie en cours d'année.
Les entreprises françaises, grâce à l'Arenh, bénéficient d'un cadre plus favorable et plus protecteur qu'ailleurs. La France porte auprès de la Commission des propositions de réforme du marché européen de l'énergie.
M. Serge Babary. - La balance du commerce extérieur est catastrophique. Les entreprises françaises ont un seul avantage concurrentiel, le prix de l'énergie... Soyons vigilants et allons vite. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Denise Saint-Pé . - La COP26 nous rappelle l'urgence à agir en faveur d'un mix décarboné. RTE trace deux voies : développement des énergies renouvelables et maintien du nucléaire. Je salue les annonces du Président de la République en faveur du nucléaire. Ce n'est pas trop tôt ! L'intermittence des énergies renouvelables nous met à la merci des énergies étrangères, qui ne sont pas toujours aussi vertueuses que les nôtres.
Les zones rurales seront les premières impactées par les parcs éoliens et les centrales nucléaires : il ne faut pas l'oublier alors que les certificats d'urbanismes sont rejetés au motif de la non-artificialisation des sols...
Comment le Gouvernement compte-t-il aborder la concertation avec ces acteurs incontournables ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le rapport de RTE montre qu'indépendamment de nos choix sur le nucléaire, il faudra accélérer le développement des énergies renouvelables. Nous devons encore trouver les modalités de concertation avec les élus locaux et les habitants.
Concernant le nucléaire, le débat public devra avoir lieu.
Pour les énergies renouvelables, territorialisation et concertation sont clé. Nous souhaitons une planification à l'échelle locale. Les préfets de région établiront une cartographie des zones favorables au développement de l'éolien, qui sera finalisée en 2022. Nous aurons ainsi une planification au plus près des territoires, avec des actions d'information du public.
M. Franck Montaugé . - La souveraineté énergétique passe aussi par notre capacité à respecter l'équilibre de notre mix. Nous devons disposer de tous les modes de production. Les territoires peinent à développer l'éolien, le photovoltaïque ou la méthanisation. La coopération est nécessaire pour répondre aux exigences des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Or la gouvernance et la concertation sont souvent inexistantes... Comment comptez-vous encourager cette concertation, au niveau départemental, régional ou national ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Nos territoires doivent s'approprier les énergies renouvelables. Le plan présenté par Barbara Pompili comprend dix mesures pour l'éolien. Nous avons demandé aux préfets d'être très vigilants quant à l'acceptabilité des projets. La loi Climat et résilience renforce aussi le rôle du maire. Un réseau de conseillers photovoltaïques sera mis en place. Les préfets ont de nouvelles prérogatives en matière d'acceptabilité de l'éolien : recyclage, excavations des fondations, réduction des nuisances lumineuses.
M. Franck Montaugé. - Comment prendre en compte le photovoltaïque sans diminuer les surfaces agricoles productives ? Quelles recommandations pour la méthanisation ? Comment faire en sorte que la valeur générée n'échappe pas aux territoires ? L'État doit apporter son concours pour davantage d'efficacité collective.
M. Cédric Perrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a un an, on annonçait 7 milliards d'euros pour l'hydrogène afin de réduire notre dépendance aux importations d'hydrocarbures. Mais ce n'est que la semaine dernière que le président de la République a annoncé le retour en grâce du nucléaire... Sa conversion récente est une bonne nouvelle, mais les incertitudes doivent être levées. La commission des affaires économiques exige la clarté sur l'arrêt des réacteurs existants et la construction d'EPR ou de SMR.
La défense du nucléaire passe aussi par Bruxelles. La Commission européenne considère que la filière n'est pas durable ; or notre capacité de production renouvelable n'étant pas suffisante, cela pourrait se traduire par des obligations supplémentaires pour la France. L'argent ne suffira pas au développement d'une filière hydrogène compétitive si le nucléaire n'y est pas associé. Évitons, comme sur les batteries, de perdre une guerre sans mener la bataille. Le Gouvernement oeuvrera-t-il auprès de ses partenaires européens pour assurer notre indépendance technologique ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - L'hydrogène est une solution de stockage d'énergie pertinente lorsqu'il est produit à partir d'énergie décarbonée. Notre stratégie repose sur une production nationale à partir de notre mix national pour réduire notre dépendance aux hydrocarbures. Notre objectif : 6,5 gigawatts d'électrolyseurs installés en 2030 grâce à un plan ambitieux.
La disponibilité de l'électricité bas-carbone au-delà de 2030 est un enjeu bien identifié qui sera pris en compte dans la prochaine PPE.
L'une des priorités est le soutien à la recherche et à l'innovation, pour augmenter le rendement du processus d'électrolyse. L'électrolyse haute température pourrait être alimentée par la chaleur produite par les centrales nucléaires, mais cette technologie ne pourra être développée qu'après 2030.
M. Alain Cadec . - Avec 56 réacteurs sur 19 sites, la France possède le parc nucléaire le plus important d'Europe. Sa part d'émissions de CO2 au niveau européen est de 1,1 %, contre 10 % en Allemagne et 12% aux Pays-Bas.
La France fournit 30 % de l'électricité de l'Union européenne, ce qui réduit d'autant notre dépendance aux énergies fossiles, dont le prix augmente.
Pour anticiper les besoins futurs, la France devra installer de nouvelles capacités de production électrique. Il faut pour cela s'appuyer sur notre parc nucléaire. Après un déni de trois ans - rappelez-vous le discours du 27 novembre 2018 ! - le Président de la République vient de le découvrir. Les échéances électorales rendent lucide...
Il faut poursuivre le développement des EPR et se lancer dans des microcentrales SMR.
L'éolien et le photovoltaïque ont aussi toute leur place, mais n'implantons pas d'éolienne n'importe où, n'importe comment, à n'importe quel prix. Je songe au parc de la baie de Saint-Brieuc. Quelle est votre position sur cette installation qui fait l'unanimité contre elle ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Nous sommes d'accord sur la trajectoire à moyen terme : réduction de la consommation et production assise sur les renouvelables et le nucléaire. La PPE prévoyait déjà, en 2018, 50 % de nucléaire en 2035. Pour satisfaire nos besoins en électricité, nous allons poursuivre le développement des énergies renouvelables et de la technologie EPR, en prolongeant nos réacteurs et en accompagnant les fermetures pour éviter l'effet falaise.
Le développement de l'éolien offshore sera planifié par façade maritime. Le parc de Saint-Brieuc a fait l'objet de débats et d'échanges renouvelés avec les élus.
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les propos du Président de la République sur le nucléaire, le 9 novembre dernier, ont fait sensation. Mais quelles sont les réelles intentions de l'exécutif ? Le flou artistique règne en la matière.
S'agit-il des SMR, des EPR de deuxième génération, ou d'une orientation reposant sur des éléments nouveaux ?
Quelle est la position du Gouvernement sur le nucléaire du futur, qui s'appuie sur le cycle fermé du combustible inscrit dans les lois de 1991 et de 2006 ? Pourquoi abandonner le programme Astrid de recherche sur les réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération ?
À défaut d'avoir été consulté, le Parlement attend des réponses claires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée. - Le Président de la République a annoncé la poursuite de l'investissement dans le nucléaire, parallèlement au développement des énergies renouvelables.
Les centrales actuelles seront fermées ou prolongées en fonction de leur situation ; la production nouvelle passera d'abord par les EPR, la technologie la plus mature, les SMR étant une technologie d'appoint qui arrivera après 2030.
Le besoin d'un démonstrateur industriel de type Astrid s'est éloigné car l'uranium est abondant et disponible à bas prix. Les réacteurs de quatrième génération ne suppriment pas problème du stockage des déchets. C'est pourquoi Astrid a été suspendu fin 2019, les efforts étant désormais concentrés sur le multi-recyclage des réacteurs de troisième génération. Le plan France 2030 s'inscrit dans cette logique. Pour autant, la PPE maintient un programme de recherche sur la quatrième génération, notamment pour conserver un socle de compétences.
M. Stéphane Piednoir. - La souveraineté ne se construit pas sur le temps court et à la faveur d'une campagne électorale. Les décisions prises depuis dix ans sont incohérentes, et les récentes annonces du Président de la République sont frappées du soupçon d'insincérité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Bernard Fournier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La crise sanitaire a fait évoluer nos paradigmes et même les plus libéraux redécouvrent les bienfaits de l'indépendance économique et industrielle. L'augmentation des cours de l'énergie nous oblige à réhabiliter ce qui était récemment vilipendé : le nucléaire. En 2019, le projet de recherche sur les réacteurs de quatrième génération était interrompu, suscitant l'incompréhension du secteur...
Le nucléaire est une triple chance pour la France : faible coût de l'énergie ainsi produite, faibles émissions de CO2, relative indépendance énergétique. Je suis donc ravi de l'aggiornamento du Président Macron.
L'investissement de 1 milliard d'euros dans le nucléaire d'ici à la fin 2030 va dans la bonne direction. Quelles seront les modalités du nouveau plan pour le développement du nucléaire ? Combien d'EPR le Gouvernement compte-t-il construire ?
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée - Dès 2018, la PPE posait les bases de notre stratégie énergétique : baisse de la consommation, appui sur le renouvelable et le nucléaire. Tous les scénarios tournent autour du développement des énergies renouvelables et du maintien du nucléaire. Cela nécessite de renouveler nos installations. L'objectif de 50 % de nucléaire en 2035 fixé par la PPE est prolongé jusqu'en 2050. La PPE prévoit la prolongation de quatorze des vingt-six installations.
Un milliard d'euros sera investi en faveur du nucléaire. Les modalités seront soumises à débat public. Les orientations générales sont la fermeture programmée des réacteurs en fin de vie, le soutien à la technologie et le développement des EPR.
Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La commission des affaires économiques est très attachée à la souveraineté énergétique. Une énergie peu chère et peu émissive soutient notre économie et sa décarbonation. C'est la condition d'une insertion harmonieuse dans la mondialisation.
Longtemps, notre souveraineté énergétique allait de soi. Les choses ont changé. Jugez-en ! La loi relative à la transition énergétique de 2015 impose la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires ; ceux de Fessenheim se sont arrêtés en 2020. Mme Pompili y est pour quelque chose. C'est un immense gâchis, une perte de valeur et un non-sens. Dans la loi Climat et résilience, notre commission a conditionné toute nouvelle fermeture à une étude d'impact.
Tout autant que les recherches sur les réacteurs de quatrième génération, les perspectives de construction de réacteurs de troisième génération sont très floues : rien sur leur nombre, leur type, leur coût, le calendrier - alors qu'un chantier dure de dix à quinze ans, et qu'un effet falaise se profile dès 2040.
La recherche sur le nucléaire n'est pas assez soutenue, avec l'abandon du programme Astrid en 2019, pourtant prometteur. C'est une faute. Quid du réacteur ITER à fusion nucléaire ?
La reconnaissance du nucléaire dans la taxonomie européenne est mal engagée, signe d'un manque d'influence de notre pays au sein de l'Union.
Les filières des énergies renouvelables ne sont pas assez valorisées. Il a fallu batailler pour faire valoir l'intérêt de la production hydroélectrique ! La proposition de loi sur l'hydroélectricité, adoptée à l'unanimité du Sénat en mars, a été intégrée à grand-peine dans la loi Climat et résilience. Pourquoi ces hésitations ?
La face sombre des énergies renouvelables, c'est leur dépendance aux métaux rares. C'est pourquoi il faut favoriser l'extraction de métaux en France et en Europe. La loi Climat et résilience a consacré l'objectif de souveraineté minière.
Il est urgent de revaloriser l'énergie nucléaire, de consolider les énergies renouvelables et de reconquérir la souveraineté minière, pilier de notre souveraineté énergétique. Notre commission y veillera lors de l'examen du texte annoncé pour 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Accord en CMP
Mme la présidente. - J'informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques sont parvenues à l'adoption de deux textes communs.
Débat sur les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - À partir du 1er janvier et pour six mois, la France assurera la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, l'une des quatre grandes institutions européennes, responsable notamment de la politique étrangère et de sécurité.
Ce semestre sera aussi celui des élections présidentielles et législatives : trois ministres pourraient se succéder à la tête du Conseil. Nous aurions pu l'anticiper... L'Allemagne et la Finlande ont ainsi échangé leurs présidences en 2006 en raison d'élections législatives. La France n'a rien demandé de tel.
L'exercice est périlleux. D'abord pour les membres du Gouvernement qui présideront les différentes formations du Conseil, sauf vous, monsieur le ministre, car l'instance des ministres des affaires étrangères sera présidée par le Haut représentant de l'Union.
Ensuite pour notre pays, car l'imprévu s'invite toujours à la table européenne, comme lorsque notre dernière présidence fut bouleversée par la crise financière de 2008.
Lorsque la commission des affaires européennes a reçu le secrétaire général de la présidence française de l'Union européenne, je me suis inquiété de la façon dont notre pays mènerait de front une éventuelle crise et les échéances électorales. Je comprends que le Gouvernement entende s'en remettre aux fonctionnaires pour assumer la présidence au deuxième trimestre, mais il faut espérer que les crises ne seront pas trop nombreuses !
Les présidences, exercice difficile, fonctionnent en général en trio. Celle de la France ouvre les dix-huit mois d'un nouveau trio, dont les deuxième et troisième membres sont la République tchèque et la Suède qui nous succéderont.
La présidence doit être neutre, mais elle joue aussi un rôle d'impulsion.
C'est sur les priorités de la France que nous voulons vous entendre. Relance, puissance et appartenance sont les trois concepts clés.
Le Président de la République a constitué un comité de liaison et de réflexion pour intégrer tous les enjeux. Notre commission a entendu Thierry Chopin, président de ce comité. Où en est la réflexion, qui s'annonçait prometteuse ?
Relance et indépendance sont des enjeux majeurs. La relance d'abord : il faut consolider la sortie de crise, dans le cadre d'un capitalisme responsable. La France devra faire avancer la discussion sur les ressources propres de l'Union européenne qui en sont la contrepartie indispensable.
Nous fêterons aussi en janvier les vingt ans de l'euro : il faudra en faire le bilan et en consolider l'avenir, notamment comme monnaie numérique, et promouvoir la finance responsable sans oublier l'instauration d'un salaire minimum.
L'autonomie stratégique, ensuite. Elle se construit d'abord en matière de défense. Josep Borrell vous a présenté hier la boussole stratégique de l'Union, qui comprend une capacité autonome de déploiement rapide. Elle devrait être finalisée en mars 2022.
Notre pays devra éviter le discours de la puissance qui raidit nos partenaires, et favoriser l'affirmation d'une Union européenne comme centre de pouvoir ouvert - y compris à l'égard du Royaume-Uni.
L'autonomie stratégique se construit aussi sur le plan technologique, dans les domaines de la santé, de la cybersécurité, de l'intelligence artificielle, du spatial. Il s'agit d'affranchir l'Europe de sa dépendance aux Gafam.
Même enjeu en matière d'indépendance énergétique : la France doit veiller à l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie des investissements verts. Veillons aussi à préserver notre autonomie alimentaire.
Face au défi migratoire, tant dans la Manche qu'à la frontière orientale, il faudra redynamiser la négociation du pacte asile-migration, au service d'une sécurisation des frontières et d'une plus grande solidarité avec les État de première entrée. Il faut aussi encourager la Commission à nouer des partenariats avec les États de départ, notamment africains.
Enfin, il faut nourrir l'appartenance à l'Union européenne par un dialogue sur nos valeurs communes, par la promotion de la culture européenne et du multilinguisme et en travaillant sur l'articulation du droit de l'Union européenne avec l'identité constitutionnelle de ses membres. La Conférence sur l'avenir de l'Europe avancera sans doute des propositions au printemps.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Jean-François Rapin, président de la commission. - Le Sénat, seule institution stable pendant ce semestre, sera pleinement engagé dans le succès de la présidence française. Nous ne pouvons manquer cette opportunité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Qu'y a-t-il de commun entre la crise sanitaire, l'urgence climatique, le durcissement de la vie internationale et la révolution numérique ? Ce sont autant de défis auxquels nous devons faire face à l'échelle européenne.
La présidence française de l'Union européenne constitue donc pour nous une échéance politique décisive.
Le Président de la République en présentera les premières orientations début décembre.
L'impératif de souveraineté européenne sera notre fil d'Ariane. L'Europe, sortant de sa naïveté, a ouvert les yeux sur sa dépendance excessive et sur la brutalisation du monde.
Nous devons affirmer notre souveraineté collective, qui est le prolongement et la meilleure garantie de nos souverainetés nationales. Il n'y a pas à choisir entre la France et l'Europe. « La France ne sera pas forte seule » rappelait le Président de la République aux Français il y a une semaine. L'Europe consolide nos forces.
La treizième présidence française de l'Union européenne doit être un temps fort de notre engagement européen.
Nous porterons l'ambition d'une relance européenne souveraine et solidaire. Il faut rebâtir nos capacités industrielles et technologiques en misant sur l'innovation via de nouveaux projets d'intérêt européen commun (PIEC), sur l'électronique, la 6G et l'hydrogène. Pour réarmer l'économie européenne, nous nous battrons contre toutes les formes de concurrence déloyale.
Nous avancerons aussi sur l'Europe de la santé. Déjà, la crise sanitaire a brisé des tabous.
Il faudra également donner corps à l'Europe sociale.
Après le succès du règlement général sur la protection des données (RGPD), il faut défendre la souveraineté numérique en développant un modèle de régulation européen. Ce sera l'objet des négociations sur les règlements DMA1 et DSA2.
Le Pacte vert de juillet devra être mis en oeuvre. La COP26 a montré que les efforts devaient se poursuivre, avec des actes concrets pour lesquels l'Europe a souvent montré la voie. Cependant, il ne faudra pas y sacrifier naïvement notre compétitivité et notre attractivité économique. Nous protégerons nos intérêts en mettant en place un mécanisme carbone à nos frontières.
L'Europe devra aussi assumer sa puissance. Ce sera la deuxième ligne de force de notre présidence. Les progrès de la défense européenne se poursuivront grâce à l'adoption de notre première boussole stratégique. Cela passe par une approche européenne des menaces, le développement de nos capacités opérationnelles et industrielles et la défense de nos intérêts, notamment dans l'espace exo-atmosphérique, devenu un espace de confrontation - comme le montre le récent test par la Russie d'un missile antisatellite.
Il y va de notre sécurité, de notre souveraineté et de l'avenir de l'Alliance atlantique. Les échanges entre le Président de la République et Joe Biden à Rome montrent que les États-Unis sont conscients du nécessaire rééquilibrage de nos liens.
Nous avons des atouts : notre marché intérieur, le premier au monde, notre rang de premier bailleur d'aide publique au développement, notre système de régulation numérique. Autant d'attributs de puissance ! L'Europe peut être une grande puissance du XXIe siècle si elle fait un usage stratégique de ses atouts.
Elle doit manier la grammaire traditionnelle des rapports de force mais aussi gagner les batailles de l'influence. Assumer notre puissance, c'est aussi renforcer la coopération dans les régions stratégiques comme l'Afrique et l'Indopacifique.
Il faut tirer les conséquences des phénomènes migratoires, dans le respect de nos valeurs, en trouvant le juste équilibre entre responsabilité des États de première entrée et solidarité, afin de ne plus donner prises aux tentatives d'intimidation et d'instrumentalisation cynique comme celles de M. Loukachenko.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Enfin, nous nous efforcerons de faire vivre le sentiment d'appartenance autour de deux rendez-vous essentiels : la Conférence sur l'avenir de l'Europe et l'Année européenne de la jeunesse.
Relance, puissance, appartenance, tel est notre triptyque. Nous avons besoin de la souveraineté européenne pour garder la maîtrise de notre destin. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
Débat interactif
M. André Gattolin . - À quelque six semaines de la présidence française de l'Union européenne, les ambitions de la France sont nombreuses, mais la visibilité demeure faible sur ce que nous pourrons vraiment réaliser, en raison de tractations politiques encore en cours en Allemagne et d'une actualité toujours imprévisible, nécessitant des réactions rapides et coordonnées.
Il faut nous doter d'instruments pour prévenir les menaces qui se profilent à bas bruit, et notamment protéger les libertés académiques. La récente mission d'information du Sénat a mis en lumière les effets dévastateurs des ingérences étatiques extra-européennes dans nos universités. Le problème n'est pas propre à la France, comme le souligne le Global Public Policy Institute, et appelle des mesures.
Nos libertés académiques sont au fondement de l'indépendance et de la qualité de nos systèmes universitaires et de recherche, mais elles ne sont pas assez protégées. Quelles sont vos propositions pour agir à l'échelle européenne ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Votre rapport très pertinent met en lumière les stratégies d'influence agressives qui brouillent les frontières et normalisent l'ingérence.
J'ai coutume de dire que la différence entre hard et soft power a disparu. Les batailles d'influence sont partout. Vous avez raison de soulever ce problème. Nous devons nous mobiliser davantage sur le sujet. La réponse doit s'intégrer à la boussole stratégique mise sur la table hier. Nous devrons agir pour protéger nos établissements d'enseignement supérieur et de recherche, qui sont des actifs stratégiques, notamment par un échange de bonnes pratiques, et promouvoir leur excellence à l'étranger, en particulier en Afrique et en zone Indo-Pacifique. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Joël Guerriau . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Alors que nos alliés nous livrent une concurrence acharnée, la situation internationale se tend, en Afghanistan comme dans la zone Indo-Pacifique, au Liban, en Algérie, au Sahel et en Biélorussie.
L'Union européenne, faute de vision partagée, met toujours du temps à réagir. Elle n'est à l'aise que dans le compromis.
Une vision ambitieuse est pourtant nécessaire. Tel est l'objet de la boussole stratégique, initiée sous la présidence allemande de l'Union européenne et que la présidence française aura à finaliser.
Les grandes puissances mondiales que sont les États-Unis et la Chine ont des stratégies claires, alors que les Européens sont divisés, ce qui les affaiblit. Comment comptez-vous les mettre d'accord sur une boussole stratégique ambitieuse ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Vous posez une question essentielle. La boussole stratégique a été communiquée hier aux ministres des affaires étrangères. Un tel document, une telle volonté sont sans précédent. L'Europe doit se donner les moyens d'assurer sa sécurité. Une forme de consensus se forme sur le sujet. Je crois à un accord sous la présidence française, lors du Conseil du mois de mars. Un séminaire se tiendra en janvier, peut-être à Brest, avec les ministres des affaires étrangères et les ministres de la défense.
Le terme de souveraineté européenne est désormais communément admis, y compris chez ceux qui y étaient réticents. Le constat est également partagé sur les menaces, sur le positionnement vis-à-vis de la Chine et des États-Unis. Ces éléments me laissent espérer un accord.
Mme Marie-Pierre Richer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) J'interviens au nom de Mme Catherine Deroche. L'autonomie stratégique dans le domaine des produits de santé est essentielle. La crise sanitaire a montré le besoin de la reconquérir à l'échelle du continent pour faire face à une rupture des chaînes d'approvisionnement.
Nous avons intérêt à privilégier l'innovation mais les besoins concernent aussi des produits moins élaborés - d'où la nécessaire flexibilité de notre outil industriel.
La tentation est forte de faire peser cette politique industrielle sur la sécurité sociale, mais elle ne peut assumer seule des investissements aussi importants.
Comptez-vous porter ce sujet au niveau européen ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - La pandémie a amené l'Union européenne à se surpasser, à aller au-delà des tabous et des traités et à poser les bases d'une Europe de la santé. Elle a ainsi pu mutualiser les efforts des États membres : achats groupés d'équipements et de vaccins, contrôle des exportations, en particulier face à des partenaires ne respectant pas leurs engagements, développement de la production européenne.
Il faut désormais structurer cela. C'est l'objet du paquet santé qui vise notamment à renforcer les mandats du Centre européen de contrôle et de prévention des maladies (ECDC) et de l'Agence européenne des médicaments (EMA) et dont nous espérons l'aboutissement sous la présidence française.
J'organiserai pour la première fois une réunion des ministres des affaires étrangères et des ministres de santé.
Mme Marie-Pierre Richer. - L'Union européenne a longtemps fait preuve de naïveté. Il faut des investissements structurants dans la recherche, l'innovation et le développement industriel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) « La présidence française de l'Union doit démarrer avec une ardoise vierge des infractions de la France envers le droit de l'Union européenne », s'était engagé le Président de la République. Pourtant, la France reste impliquée dans 108 procédures d'infractions au droit européen, dans de nombreux domaines, notamment environnementaux, qu'il s'agisse de biodiversité, de qualité de l'air, de réduction des emballages.
L'engagement de l'ardoise vierge tient-il toujours ?
Il serait désastreux de reporter le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières en 2036 et de maintenir les quotas gratuits alloués aux secteurs de l'industrie et de l'aviation, qui sont contre-productifs.
La France sera-t-elle déterminée ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je prends note de vos observations. Nous avons en effet un devoir d'exemplarité, mais nous sommes loin d'être les plus mauvais élèves en matière de procédures d'infraction.
Je relève aussi votre attachement à la mise en place du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. C'est l'une des treize propositions législatives pour atteindre l'objectif de 55 % de baisse des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 - sans doute la mesure plus sensible, et la plus spectaculaire.
Ce mécanisme, dont l'objectif est strictement climatique, évitera que nos efforts environnementaux ne se retournent contre nos entreprises. Il est non discriminatoire, et donc compatible avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous souhaitons qu'il soit validé sous présidence française.
Je mesure que l'application des treize propositions législatives du paquet « Fit for 55 » sera difficile à atteindre, mais nous poursuivons nos efforts.
M. Jacques Fernique - L'objectif de 55 %, c'est à l'horizon 2030 : n'attendons pas 2036 pour mettre en place le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ! (M. André Gattolin applaudit.)
M. Pierre Laurent . - Des milliers de migrants qui fuient le chaos et les guerres font l'objet d'un odieux marchandage : le régime de Loukachenko les jette sur les barbelés de la frontière polonaise après les avoir cyniquement acheminés sur place, tandis que le gouvernement polonais attise le racisme, surélève les barbelés, envisage de construire un mur, voire d'envoyer l'armée... Ce gouvernement qui clame urbi et orbi son mépris du droit européen, qui sabote toute politique d'accueil solidaire, cherche aujourd'hui à entraîner l'Union européenne dans la confrontation.
Les surenchères vont bon train. Le gouvernement polonais est ainsi exonéré alors qu'il fait appel à l'article 4 du traité de l'OTAN. Les migrants sont oubliés de tous et l'Union européenne va s'aligner sur l'un de ses membres qui rejette toute solidarité.
La France se battra-t-elle pour sortir l'Europe de cette indignité, pour faire appliquer le droit international de l'asile, pour s'attaquer aux causes de l'exil - dans lesquelles les pays européens ont une lourde responsabilité - et construire des voies légales et sécurisées de migrations pour tarir les trafics humains ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Le paquet asile et immigration est sur la table depuis fin 2020 ; il est difficile d'avancer, tant les positions sont divergentes. Sur la question bélarusse, il faut rappeler la responsabilité initiale. Un certain Loukachenko organise et manipule les flux migratoires, voilà la réalité. Notre posture doit donc être ferme : soutien et solidarité face à cette tentative de rompre la solidarité européenne et de nous déstabiliser. Il faut appliquer des sanctions, tout en aidant les pays concernés à faire face à l'afflux en respectant le droit humanitaire.
Quant à l'article 4, les représentants polonais n'y ont pas fait référence hier.
Il faut aussi communiquer pour dissuader les migrants potentiels de suivre les recruteurs qui leur font miroiter des rêves illusoires.
M. Pierre Louault . - (M. Joël Guerriau applaudit) L'Europe annonce comme priorité la lutte contre le changement climatique - quitte à sacrifier son autonomie alimentaire et le revenu des agriculteurs.
En matière énergétique, elle prône le modèle allemand : suppression du nucléaire, compensée par le charbon et le gaz. Est-ce un modèle d'avenir ? Récemment, le Président de la République a annoncé la construction de réacteurs nucléaires, annonce bienvenue mais qui doit être défendue face à l'opposition de certains pays et du lobby anti-nucléaire.
Alors que la consommation d'électricité va augmenter de 40 %, le nucléaire, énergie décarbonée, est incontournable : sans lui, nous nous rendons dépendants de pays pas toujours démocratiques. La flambée des prix de l'énergie est un autre argument en faveur du nucléaire.
Comment convaincre nos partenaires ? Allez-vous faire de la prise en compte du nucléaire une priorité de la présidence française ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - La Commission européenne s'est engagée à publier d'ici à la fin de l'année un acte délégué complémentaire sur la place du nucléaire et du gaz dans la taxonomie verte. L'inclusion du nucléaire dans celle-ci est soutenue par le Président de la République ; les conclusions scientifiques rendues en juillet n'y font pas obstacle. Nous attendons une décision respectant le principe de neutralité technologique et la liberté des États membres de définir leur mix énergétique.
Nous avons noté au Conseil européen que beaucoup d'États membres se sont prononcés en faveur de l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte. Nous saluons les déclarations de la présidente de la Commission européenne qui a souligné les atouts de cette énergie. Nous restons donc vigilants.
Mme Véronique Guillotin . - Le Président de la République et le Gouvernement ont plusieurs fois rappelé vouloir construire une Europe plus solidaire et plus souveraine. La présidence française de l'Union européenne ouvre une fenêtre.
Sur l'Europe de la santé, chantier hier balbutiant, l'Europe a su apporter une réponse solidaire à la pandémie sur l'achat de vaccins ou le transfert de patients. L'Agence européenne des médicaments (EMA) a coordonné la campagne vaccinale, même si tous les États membres n'avancent pas au même rythme.
La pandémie a révélé des lacunes de produits de santé indispensables à la protection des Européens. On attend beaucoup de l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA). Comment la présidence française de l'Union européenne pourra-t-elle accélérer ce dossier et quelles seront les priorités en matière de santé ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Le sujet sera central. Je le redis : l'Union européenne a pris à bras-le-corps l'enjeu de santé, qui n'était pas de sa compétence, et elle a bien fait car les résultats ont été au rendez-vous. Il faut maintenant faire fructifier cet engagement.
La réunion commune des ministres des affaires étrangères et de la santé se tiendra en février, et l'HERA permettra à l'Union européenne de mieux anticiper les futures crises.
La présidence française sera aussi l'occasion d'avancer sur les biotechnologies, pour soutenir les projets d'avenir et rester à la pointe de l'innovation. En outre, les 5 milliards d'euros mobilisés dans le cadre du programme « EU4Health » visent à renforcer notre autonomie stratégique.
M. Jean Louis Masson . - Dans une démocratie, la constitution est le socle de l'édifice républicain. Elle s'impose à toutes les normes, y compris européennes. Des limitations de souveraineté ne peuvent intervenir qu'à la suite d'un consentement exprès.
Or, sous prétexte du soi-disant principe dit de l'État de droit, les eurocrates veulent imposer une supranationalité sans fondement juridique, au mépris de la volonté des peuples. Telle est l'origine du conflit qui oppose l'Union européenne à la Pologne et à la Hongrie, dont personne ne peut contester la légitimité électorale des gouvernements.
Même l'article 19 du Traité sur l'Union européenne est muet sur le sujet de l'État de droit, cette théorie n'a donc pas à s'imposer aux peuples qui expriment leur volonté à travers l'élection.
La Constitution française prévoit que le droit de l'Union européenne s'impose à nos lois et règlements, mais pas à la Constitution elle-même. Or les partisans d'une l'Union européenne supranationale voudraient subordonner les constitutions à la dictature des eurocrates.
Ne pensez-vous pas que c'est une atteinte inacceptable à la liberté des peuples ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Vous connaissez nos désaccords. L'État de droit, l'indépendance de la justice et la liberté des médias notamment, figurent dans les traités signés par tous les États membres, dont la Pologne. Le principe de la primauté du droit européen date de 1964.
L'Union européenne serait une entrave à la souveraineté nationale ? Je ne le crois pas. Dans un monde marqué par une compétition et des conflictualités internationales croissantes dans tous les domaines, l'Union européenne n'est pas un carcan mais une organisation originale qui unit les États nations et maximise leurs forces, sans les dissoudre. En cela, la souveraineté européenne est la meilleure garantie de celle de la France.
M. Didier Marie . - Nous attendons que le Président de la République nous présente les priorités d'une présidence française de l'Union européenne qui n'aura que quelques semaines utiles avant les élections. Nous espérons en apprendre plus ce soir que dans les médias.
L'Europe est fracturée, malmenée et mal-aimée, il faut la réparer. Je m'en tiendrai à deux priorités absolues.
Tout d'abord, il faut réussir la transition écologique, qui sera inclusive ou ne sera pas.
Ensuite, il faut mettre en oeuvre les engagements des sommets de Göteborg et de Porto sur l'Europe sociale pour lutter contre les inégalités et aboutir à un salaire minimum européen. Ces deux priorités seront-elles bien celles de la présidence française de l'Union européenne ? Comment les traduirez-vous concrètement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - L'un des objectifs de la présidence française est bien d'avancer sur le socle européen de droits sociaux et de mettre en oeuvre les engagements de Göteborg et de Porto.
Nous poursuivons trois chantiers. D'abord, l'achèvement de la négociation en cours sur la directive pour un salaire minimum dans l'Union européenne, que la France demandait depuis longtemps.
Ensuite, nous poussons pour que l'accès à la protection sociale et à la négociation collective des travailleurs des plateformes numériques soit mis sur la table.
Enfin, l'égalité salariale femmes-hommes doit aussi faire l'objet d'une proposition législative.
Nous serons au rendez-vous.
M. Didier Marie. - Je prends note de votre engagement, dont nous ferons le bilan à l'issue de la présidence française.
Il faut réorienter l'Union européenne sur les priorités écologiques et sociales : plan climat, fonds pour une transition juste, mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, salaire minimum, avancées en matière de sécurité sociale.
Mme Marta de Cidrac . - La présidence slovène du Conseil de l'Union européenne accorde une attention particulière aux Balkans occidentaux ; le sommet du 6 octobre a permis aux États membres de réaffirmer leur soutien au processus d'élargissement et à la coopération avec cette région.
Mais les Balkans ne sont pas dans les priorités de la présidence française. Le groupe d'amitié France-Balkans occidentaux, que je préside, a pu constater sur place que les moyens de notre diplomatie ne sont pas à la hauteur de nos ambitions et des enjeux dans une région pourtant stratégique.
Face à l'influence de la Russie, de la Chine et de la Turquie, quelle stratégie pour l'Europe et pour la France dans les Balkans ? Quelles actions seront menées lors de la présidence française ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Nous avons obtenu il y a peu une réforme en profondeur de la méthodologie du processus d'adhésion, qui repose désormais sur la progressivité, la conditionnalité, qui est ambitieuse sur les normes et l'État de droit, et la réversibilité, condition de la crédibilité du processus.
Le sujet le plus actuel est celui des Balkans occidentaux. Deux conférences intergouvernementales, sur la Macédoine du Nord et l'Albanie, pourront commencer. Nous ne souhaitons pas découpler ces deux initiatives. Mais aujourd'hui, des difficultés persistent sur des questions linguistiques entre la Macédoine du Nord et la Bulgarie. En outre, des élections sont en cours...
Cela étant, notre relation avec les Balkans occidentaux ne se résume pas à la perspective de l'élargissement. En parallèle, nous devons promouvoir des coopérations concrètes décidées lors du sommet de Bordeaux du 6 octobre dernier.
Mme Marta de Cidrac. - La présidence française devrait être une occasion d'envoyer des messages à nos interlocuteurs dans une zone stratégique, notamment sur les plans sécuritaire et migratoire.
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) L'Union Européenne a élaboré une stratégie ambitieuse pour mettre fin aux violences sexistes, bousculer les stéréotypes, résorber les inégalités salariales entre hommes et femmes.
Le Sénat a adopté le 28 octobre le projet de loi de ratification de la convention de l'OIT relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. La ratification est toutefois suspendue à une autorisation européenne.
Des négociations sont-elles envisagées pour une ratification massive par les États membres ? La France montrera-t-elle l'exemple pour que cette convention soit appliquée rapidement et de façon ambitieuse ?
Par ailleurs, en tant qu'élu alsacien, je souhaite savoir comment vous comptez défendre et renforcer la place de Strasbourg comme capitale européenne, en cohérence avec les traités européens. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Sur votre seconde question, je ne puis que renvoyer aux traités européens qui indiquent que le siège du Parlement européen est à Strasbourg. Nous devons rester présents et attentifs sur ce sujet. Je me suis récemment rendu au Parlement européen et j'ai réaffirmé l'importance du rôle de Strasbourg comme capitale européenne aux étudiants de Sciences Po Strasbourg.
La convention de l'OIT relative à l'élimination du harcèlement et de la violence dans le monde du travail s'inscrit dans la grande cause du quinquennat. Le sujet est aussi européen : l'Union européenne est une union de valeurs et a développé un fort acquis dans ce domaine depuis des décennies. Ce sera un sujet essentiel de notre présidence. Il est indispensable de faire avancer les droits des femmes, qui font l'objet d'une contre-offensive conservatrice.
M. Jean-Marc Todeschini . - Ce débat aurait dû avoir lieu au long cours, dans l'objectif de relancer l'Union. L'Europe constitue un projet de construction positif dans un monde traversé par les menaces et les replis. Mais où est la superpuissance européenne ? La souveraineté la plus importante est celle des peuples, pas celle des fantasmes des nationalismes. Nous pensions la paix acquise, les événements nous rappellent sa fragilité. François Mitterrand l'avait bien perçu. Mais à l'aube de cette présidence française de l'Union européenne, le silence règne.
Quelles sont les mesures prévues en matière de défense et de diplomatie ? Où en sommes-nous sur le système de combat du futur, sur le projet de porte-avions franco-européen, sur un commandement européen intégré ? À quand un vrai ministre des affaires étrangères de l'Union ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je vous trouve bien pessimiste. Sur les enjeux de sécurité et de défense, le chemin parcouru est considérable : fonds européen de la défense, facilité européenne pour la paix, coopération structurée permanente, initiative européenne d'intervention... Voilà des réalités concrètes. Un cycle positif s'est enclenché et l'Europe s'affirme progressivement comme une puissance en devenir.
Mais elle doit aussi affirmer son autonomie stratégique. C'est l'objet de la boussole stratégique européenne, autour de quatre thèmes : agir - avec par exemple la capacité européenne de déploiement rapide ou la présence maritime coordonnée -, sécuriser - je pense notamment à la coopération spatiale -, cyber et maritime -, investir - avec par exemple l'augmentation des capacités défaillantes et la question de la souveraineté technologique - et coopérer - avec l'ensemble des acteurs, y compris l'Alliance atlantique.
M. Cyril Pellevat . - La présidence française de l'Union européenne doit être l'occasion d'avancer sur la relance économique, le pacte sur la migration et l'asile, la transition écologique et la cybersécurité. Le RGPD a été un modèle, l'Union européenne doit aussi être moteur sur la cybersécurité. Or c'est un sujet traditionnellement lié à la souveraineté nationale, d'où les difficultés pour avancer à 27. Mais un État victime de cyberattaques de l'étranger est-il réellement souverain ?
Nous avons fait des progrès au niveau européen, avec notamment la directive Network and Information System Security (NIS), la stratégie de cybersécurité de l'Union européenne et la création de l'unité conjointe de cybersécurité. Nous devons aller plus loin et encourager l'interopérabilité des souverainetés numériques des États ainsi que la création d'outils communs, comme des échelles de gravité communes. En fixant des standards, l'Union européenne pourrait se poser en leader. Allez-vous légiférer sur ces standards ainsi que sur la question de l'interopérabilité ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Ces questions sont tout à fait opportunes : la souveraineté numérique est essentielle et nous devons faire avancer ces sujets à l'occasion de la présidence française.
Les propositions sont déjà sur la table. La boussole stratégique, dont le texte a été déposé hier, propose la mise en oeuvre d'un centre d'opérations cyber, pour renforcer la dissuasion au niveau européen contre les attaques potentielles. En 2022, un document de politique européenne de défense cyber sera partagé. S'ajoute la directive NIS 2, dans le cadre du trilogue avec le Parlement européen.
Nous souhaitons en outre développer nos actions d'assistance mutuelle ainsi que les opérations cyber extérieures communes.
M. Jean-Yves Leconte . - La commission des affaires européennes s'est intéressée aux attaques cyber de la Biélorussie, devenue un État gangster qui n'hésite pas à utiliser des personnes vulnérables pour attaquer l'Europe. Mais nous regrettons aussi que la Pologne y voie une aubaine pour éviter de répondre de ses propres attaques contre le droit européen et l'indépendance de la justice.
Il est terrible de constater que face à une menace commune, des États membres tentent de décrédibiliser l'Union européenne vis-à-vis des opinions publiques.
Les politiques européennes ont besoin de plus de légitimité démocratique. Qu'allez-vous entreprendre en ce sens ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Concernant le Bélarus, j'ai déjà en partie répondu au sénateur Pierre Laurent. Je condamne l'attitude très dangereuse du Président Loukachenko dans cette crise migratoire fabriquée de toutes pièces pour provoquer l'Union européenne.
Concernant la Pologne, je partage votre avis : elle doit mettre en oeuvre les mécanismes déjà en vigueur. Mais c'est elle qui est confrontée à cette crise.
Le Pacte sur la migration et l'asile doit avancer. On voit bien désormais que tout État membre peut devenir un pays de première entrée.
M. Jean-Yves Leconte. - Les citoyens européens doivent défendre les politiques européennes et ne pas être victimes des menées populistes de certains gouvernements qui veulent déconstruire l'Europe.
M. André Reichardt . - Dans le cadre des travaux de la commission des affaires européennes, Jean-Yves Leconte et moi-même avons publié en septembre dernier un rapport consacré au pacte sur la migration et l'asile. Nous sommes très dubitatifs sur son adoption par certains États membres. Au-delà des problèmes techniques se pose une question de confiance entre États membres. Comment comptez-vous amener ces États à mettre en oeuvre les dispositions du pacte ? Afghanistan, Biélorussie... voilà les nouveaux défis.
Quelle stratégie allez-vous privilégier ? Une stratégie du pas-à-pas, en commençant par le screening à la frontière ? Ou allez-vous encourager les relations entre certains États membres concernés par un flux migratoire spécifique ? Ne faudrait-il pas réviser le contenu de ce pacte peut-être trop ambitieux ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Le statu quo n'est plus possible, nous le constatons au Belarus. À mes yeux, le pacte sur la migration et l'asile est très positif, mais sa mise en oeuvre globale est difficilement atteignable, car chaque État préserve ses intérêts. Nous devons donc être pragmatiques, de manière globale. Après un premier accord sur Frontex, nous avons obtenu en juin un accord sur l'agence européenne pour l'asile ; le screening pourrait constituer une première étape. Le contrôle aux frontières extérieures de l'Union européenne doit être renforcé, avec des procédures efficaces. Enfin, il faut alléger notre pression aux frontières en coopérant avec les pays d'origine et de transit. Nous en discuterons avec les pays africains lors du sommet Europe-Afrique en février prochain.
Mme Pascale Gruny . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis quinze ans, l'Europe sociale patine. Les écarts socio-économiques entre régions sont immenses. Les stratégies de dumping social minent le marché unique et la confiance des citoyens, qui attendent de l'Europe qu'elle les protège.
La directive salaire minimum a une portée trop limitée, et la mise en oeuvre du socle européen des droits sociaux ne relève que de la bonne volonté des États membres.
On attend du Président de la République des initiatives concrètes. Quid de la directive travailleurs détachés, qui n'est pas satisfaisante dans sa mouture actuelle puisqu'elle laisse de côté la question du pays d'acquittement des cotisations sociales ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Un projet de directive sur le salaire minimum existe ; cela était impensable il y a quelques années. Un compromis est aujourd'hui envisageable entre des pays aux positions divergentes. Cette question touche à la pérennité du projet européen.
Il ne me semble pas utile de remettre sur le métier la directive travailleurs détachés.
En matière sociale, nous voulons faire avancer une future législation européenne sur le devoir de vigilance des entreprises quant au respect des droits de l'homme et de l'environnement dans leur chaîne de valeur.
Mme Pascale Gruny. - Je ne suis pas très convaincue de cette volonté de peser. Réforme de la zone euro en 2018, nominations au Parlement européen en 2019, réforme de la PAC en 2020 : que d'échecs ! Sarkozy, lui, avait sauvé le système financier européen lors de la précédente présidence française de l'Union européenne. (Applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains. Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - La Commission européenne a enclenché des chantiers de transformation et de modernisation de l'économie européenne. Quel modèle bâtir qui prenne en compte l'identité et la culture européennes ? L'Europe est en effet maillée de milliers de villes où la culture joue un vrai rôle d'attractivité. Comment développer une approche transversale de la culture respectueuse du développement durable et qui s'inscrive dans le plan de la présidente de la Commission en faveur d'un nouveau Bauhaus européen ?
Après la crise, petites villes et campagnes sont à nouveau attractives pour nos concitoyens. Il s'agit d'encourager des cadres de vie plus agréables et de préserver les cultures européennes. Cette question de civilisation et d'identité européennes constitue-t-elle une priorité de la présidence française de l'Union européenne ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Voilà un enjeu clef, qui parle à nos concitoyens. C'est un élément du sentiment d'appartenance européenne.
Nous allons organiser des manifestations culturelles, comme la nuit européenne des idées, la Fabrique Europe au Grand Palais pour encourager un réseau européen de créateurs, ainsi que des événements liés au multilinguisme et à la promotion de l'usage du français.
Nous voulons également faire avancer l'agenda de souveraineté européenne au plan culturel, en veillant notamment à l'application des directives sur les droits d'auteur et les services de médias audiovisuels.
Enfin, nous mettrons en avant la politique de patrimoine, avec un bilan de la première décennie du label « Patrimoine européen » et des actions de sensibilisation au patrimoine en péril, notamment dans les zones de conflit, à travers la conférence de l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph) organisée à Paris en janvier prochain.
M. Jean-François Rapin, président de la commission . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Voilà de nombreux défis à relever. L'attente du Sénat envers cette présidence est grande.
Les doutes sont nombreux : crise épidémique, pression migratoire, tensions géopolitiques croissantes. Dans cette mer agitée, l'Union européenne a besoin d'une boussole stratégique - qui n'est pas encore finalisée - et d'un capitaine - or nous risquons un changement de président au milieu du gué...
Il lui faut aussi un cap de long terme. Elle s'est lancée dans un exercice d'introspection : la Conférence sur l'avenir de l'Europe, voulue par le président Macron, mobilise un grand nombre de citoyens et d'élus. Elle doit aboutir sous la présidence française. Mais comment notre pays, focalisé sur ses élections internes, sera-t-il capable d'accueillir ces propositions ? C'est pourtant une occasion fondamentale de remettre l'Europe sur les rails et de montrer qu'elle reste la plus grande démocratie du monde. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
La séance est suspendue quelques instants.
Compétences de la Collectivité européenne d'Alsace
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n°2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace.
Discussion générale
M. Joël Giraud, secrétaire d'État chargé de la ruralité . - Veuillez excuser Jean-Baptiste Djebbari, qui regrette de ne pouvoir être présent.
Le 3 août 2019 naissait la Collectivité européenne d'Alsace (CEA), fruit d'un travail étroit avec ce territoire et de notre politique de différenciation territoriale. Cette collectivité aura des compétences spécifiques, liées aux enjeux du transport transfrontalier : elle se voit transférer le réseau routier national, tout comme l'Eurométropole de Strasbourg sur son périmètre.
Des ordonnances prévues par l'article 13 de cette loi ont été prises en mai dernier ; ce projet de loi les ratifie. L'une de ces ordonnances instaure une taxe sur le transport routier de marchandises en Alsace, versée par les usagers poids lourds : l'article premier tend à la ratifier.
L'article 2 ratifie l'ordonnance précisant les dispositions relatives au transfert des routes nationales non concédées, avec un avis obligatoire du préfet.
Enfin, l'article 3 ratifie une ordonnance précisant les conditions dans lesquelles l'Eurométropole de Strasbourg reprend la maîtrise du grand contournement Ouest de Strasbourg.
Ce projet de loi repose d'abord sur le dialogue : entre l'État et la Collectivité européenne d'Alsace et entre la Collectivité européenne d'Alsace et les représentants des secteurs concernés par la contribution poids lourds.
Deuxième élément, la confiance. Les spécificités du territoire sont prises en compte et la Collectivité européenne d'Alsace conservera de larges marges de manoeuvre - dans le respect du droit européen -, que ce soit sur l'instauration de la taxe, son taux, les éventuelles exonérations, etc.
Je remercie les deux rapporteurs Jean-Claude Anglars et Stéphane Le Rudulier pour leur travail. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a apporté plusieurs modifications, dont certaines améliorent le dispositif. Ainsi sera-t-il possible de s'acquitter de la taxe sans équipement embarqué. D'autres améliorations techniques ont été apportées, au regard de la directive Eurovignette ou sur les agents habilités à relever les infractions. Il est également utile d'exiger des garanties supplémentaires aux prestataires en cas de consultation du système d'immatriculation des véhicules.
En revanche, d'autres modifications apportées par la commission nous semblent contrevenir au principe de libre administration des collectivités territoriales. L'article premier quater ajoute des critères environnementaux au-delà du nécessaire. Le recours à des sanctions automatisées dans les zones à faibles émissions ne nous semble pas adapté, pas plus que les modifications de procédure en cas d'infraction, d'où quatre amendements de suppression et un amendement de modification.
Ce texte était nécessaire pour rendre la Collectivité européenne d'Alsace pleinement effective. L'Alsace compte sur vous, le Gouvernement aussi.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot et Mme Sylvie Vermeillet applaudissent également.)
Ce texte est singulier à tous égards. Sur la forme, nous discutons d'un projet de loi de ratification des trois ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi du 2 août 2019. Le dernier bilan annuel de l'application des lois de Mme Pascale Gruny relève que, dans leur écrasante majorité, les ordonnances ne sont pas ratifiées dans des conditions qui permettent au Parlement d'en débattre. Je me félicite donc de l'inscription à l'ordre du jour de ce projet de loi de ratification.
Sur le fond, ce texte sensible s'inscrit dans une histoire mouvementée. Je songe au feuilleton de l'écotaxe : expérimentation en 2006, généralisation en 2008, abandon en 2014 sur fond de contestations, notamment bretonnes. À ce jour, aucune réponse concrète n'a donc pu être apportée au problème des poids lourds que connaît l'Alsace depuis l'adoption en 2005 d'une taxe outre-Rhin, en particulier dans le sillon rhénan et sur l'A35, au nord de Strasbourg, empruntée chaque jour par 14 000 poids lourds. Cela suscite des coûts d'entretien supplémentaires et des externalités négatives considérables pour les riverains et les usagers : pollution de l'air, nuisances sonores, congestion, insécurité...
Dans ce contexte, le transfert, au 1er janvier 2021, à la Collectivité européenne d'Alsace et à l'Eurométropole de Strasbourg de la propriété des routes et autoroutes non concédées de leur territoire est à saluer. C'est une étape supplémentaire de la décentralisation.
Les trois ordonnances de ce texte sont nécessaires pour accompagner ce transfert. La première donne à la Collectivité européenne d'Alsace la possibilité de mettre en place une taxe poids lourds, pour entrer dans une logique d'utilisateur-payeur, réduire l'impact environnemental du transport de marchandises et rééquilibrer les flux de camions en transit. La Collectivité européenne d'Alsace aura une grande marge de manoeuvre sur les catégories de véhicules ciblés, le taux, les réductions et exonérations.
La commission est favorable à l'équilibre proposé. Elle a néanmoins souhaité l'améliorer. La loi Climat et résilience ouvre en effet aux régions la possibilité d'instaurer une taxe sur le transport de marchandises sur les voies concédées au titre de la loi 3DS, actuellement en navette. La taxe alsacienne pourrait ainsi servir de modèle aux futures taxes régionales : il faut donc que le modèle soit robuste et aisément transposable.
Nous avons également amélioré le droit d'information de la Collectivité européenne d'Alsace par l'État, clarifié le calendrier des délibérations, élargi les modalités de contrôle du respect de la taxe et accentué le caractère dissuasif des sanctions.
Notre second axe d'examen a été la concertation et l'évaluation. Les collectivités limitrophes sont en effet inquiètes des possibilités de report de trafic sur leurs voies. C'est pourquoi nous avons créé des dispositions de concertation entre acteurs publics locaux, avec un comité qui se réunira annuellement. Nous avons aussi renforcé l'exigence d'évaluation des reports de trafic sur les voies des collectivités voisines.
Troisième axe, l'anticipation des évolutions du droit européen, à commencer par la prochaine révision de la directive Eurovignette.
La deuxième ordonnance apporte une précision bienvenue pour la continuité du réseau routier. La commission y a apporté une précision, à la demande de la Collectivité européenne d'Alsace.
La troisième ordonnance a trait à la reprise par l'Eurométropole de Strasbourg des engagements contractuels de l'État sur l'A355.
Le texte, enrichi par notre commission et la commission des lois dont je remercie le rapporteur pour avis, permet de mieux accompagner la Collectivité européenne d'Alsace et l'Eurométropole de Strasbourg dans la mise en oeuvre de leurs nouvelles compétences. La commission s'est voulue à l'écoute des territoires concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) Je salue l'occasion qui nous est donnée de nous prononcer sur ces ordonnances. C'est bien rare, et nous déplorons que cela n'ait lieu que lorsque le Gouvernement s'aperçoit que des modifications situées hors du champ de l'application sont nécessaires... Notre assemblée s'est prononcée sur cette question tout récemment avec la proposition de loi constitutionnelle de Jean-Pierre Sueur. Il n'est pas acceptable que seulement 21 % des ordonnances aient été ratifiées sous ce quinquennat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et du GEST)
Les 20 amendements proposés par la commission visaient trois objectifs. D'abord, assurer à la Collectivité européenne d'Alsace des marges d'adaptation aux réalités locales en garantissant sa libre administration et un accompagnement adéquat par les services de l'État.
Ensuite, bâtir une taxe modèle, transposable par la suite aux collectivités territoriales volontaires. Nous avons recherché un équilibre entre adaptation aux réalités locales, à travers le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, et harmonisation nationale pour éviter les disparités de mises en oeuvre futures. Je regrette le dépôt d'un amendement de suppression de l'article premier quater par le Gouvernement. En la matière, une norme nationale serait plus protectrice, notamment en matière de risque contentieux, qu'une liberté totale donnée aux collectivités.
Enfin, assurer un meilleur rendement de la taxe à travers des moyens de contrôle renforcés et encadrés, une simplification des procédures et le rétablissement de la proportionnalité des sanctions. Je regrette, sur ce point, que le Gouvernement veuille revenir sur la procédure de régularisation sans pénalité pour les redevables occasionnels, les modalités de transaction et la faculté pour les forces de l'ordre d'installer des dispositifs de contrôle automatisé de la taxe. La commission des lois s'est bornée à ouvrir des facultés aux collectivités territoriales, de nature à consolider la taxation et à garantir la libre administration : je vous proposerai donc de rejeter les amendements du Gouvernement.
Je salue la qualité d'écoute du rapporteur Jean-Claude Anglars, qui a permis un travail commun de grande qualité. Le texte issu de nos travaux est équilibré répond à nos préoccupations partagées en faveur de la mobilité sur nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Claude Kern applaudit également.)
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°23, présentée par M. Masson.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer le projet de loi à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
M. Jean Louis Masson . - Je suis personnellement favorable à ce texte et je salue la pugnacité des parlementaires alsaciens, qui n'ont pas baissé les bras face à l'adversité. Je souhaite qu'il aboutisse.
Mais pourquoi sommes-nous là ce soir ? Parce que l'excellente loi votée sous la présidence de M. Sarkozy, qui avait fait l'unanimité, a été torpillée. Le rapport de la commission aurait dû insister davantage sur les responsabilités de ceux qui sont à l'origine de ce retour en arrière. Ce ne sont pas seulement les bonnets rouges bretons, mais surtout les parlementaires qui ont fait de la surenchère et littéralement pourri la vie politique de l'époque : des gens qui avaient voté des deux mains le texte de Sarkozy et qui, se retrouvant dans l'opposition, ont fait de la surenchère contre cette même loi. Il aurait fallu le dire beaucoup plus fermement : ils ont fait preuve d'irresponsabilité.
C'est la raison de cette motion qui, si elle était adoptée, permettrait à la commission de clarifier les responsabilités en la matière.
M. André Reichardt . - Je suis défavorable à cette motion. D'abord, notre collègue Jean-Louis Masson s'est dit favorable au texte, sans manquer de féliciter ses collègues alsaciens... Pourquoi revenir en commission ?
Ensuite, ce texte est indispensable à la mise en oeuvre de la loi du 2 août 2019 pour instaurer une taxe transit poids lourds dans le fossé rhénan. Nous sommes en novembre 2021 : il est temps ! Je ne vois pas l'utilité d'un renvoi en commission.
Enfin, vous le savez bien, les Alsaciens attendent cette taxe depuis quinze ans. L'ex-député Yves Bur avait fait voter nuitamment une telle taxe, contre l'avis du Gouvernement ; elle avait ensuite été adoptée par le Sénat ; mais vos prédécesseurs, monsieur le ministre, n'ont pas brillé par leur rapidité pour la mettre en oeuvre.
Ce texte aura ouvert une voie au niveau national, en montrant qu'il est possible de mettre en oeuvre une telle taxe partout où c'est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - La commission n'a pas pu prendre connaissance de cette motion, arrivée tardivement. Mais à titre personnel, avis défavorable.
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Même avis.
La motion n°23 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Si le Parlement doit rester l'auteur incontournable de la loi, on ne peut que se réjouir de voir des ordonnances soumises à ratification. Ce projet de loi a été amélioré par le Sénat, et je salue le travail des rapporteurs et du président Longeot.
La commission a davantage encadré les ordonnances, ce qui était nécessaire car certaines dispositions prises pour la Collectivité européenne d'Alsace pourraient, à terme, être appliquées à d'autres territoires.
Sur l'écotaxe, coeur névralgique de ce texte, nous sommes parvenus à des équilibres intéressants, mais des points restent en suspens.
Les effets de bord sur les territoires limitrophes inquiètent élus et citoyens : pollution sonore, de l'air et de l'environnement, engorgement routier. Le sillon mosellan devra sans doute s'adapter.
Je salue l'article premier septdecies, qui prévoit une évaluation des reports de trafic sur les territoires voisins, mais je m'interroge sur les mesures qui seront prises ensuite. Comment atténuer rapidement les effets de bord ? L'article 137 de la loi Climat et résilience permet aux régions limitrophes d'instaurer un système similaire de taxe : nous attendons, monsieur le ministre, de pouvoir ratifier les ordonnances qui pourraient être prises en ce sens.
Ce texte est essentiel, mais gare à ne pas déplacer le problème ; une coordination nationale et européenne doit être engagée comme sur la directive Eurovignette, heureusement prise en compte dans ce projet de loi. La fiscalité est un sujet sensible au niveau européen.
Ces trois ordonnances constituent un tout cohérent pour la Collectivité européenne d'Alsace. Subsidiarité et décentralisation sont indispensables. Nous serons vigilants sur l'application : il faudra dupliquer les bonnes pratiques et analyser les blocages.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte.
M. Philippe Tabarot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Replaçons ce texte dans son contexte. La taxe poids lourds arrive quelques mois après la loi Climat et résilience. Face aux craintes que soulève cette réforme, nous prônons le dialogue entre les territoires.
Ce droit d'alternative, issu d'un processus de long terme, a le mérite d'exister. Chaque acteur avait des inquiétudes légitimes : report de trafic, interopérabilité des systèmes, crainte de duplication de ce dispositif là où le transport de marchandises est un déterminant économique majeur, inquiétude des territoires limitrophes.
Impossible de passer outre ces appréhensions sans risquer une véritable levée de boucliers. Nous avons donc recherché le meilleur des compromis possibles. Rapporteur de la loi Climat et résilience, avec Mme de Cidrac et M. Martin, je me suis inscrit dans cette perspective.
Le deuxième alinéa de l'article 137 de la loi Climat, apport obtenu durement en commission mixte paritaire, prévoit que les collectivités limitrophes des régions volontaires seront consultées sur la mise en place de l'écotaxe. Nos rapporteurs ont décliné les modalités concrètes de cette concertation. Un comité permettra aux parties prenantes de se réunir en amont.
Pourquoi cette concertation ? Personne ne contestera à la Collectivité européenne d'Alsace de mettre en place le dispositif prévu, personne n'a oublié le report de trafic de l'Allemagne vers l'Alsace, dont les 16 500 poids lourds qui cherchent à échapper à la taxe allemande créée en 2005. La concertation associera donc les territoires voisins, dont la région Grand Est.
On rend aux collectivités territoriales le pouvoir qui leur est dû. Félicitations à nos deux rapporteurs. Chaque territoire a été respecté et écouté.
Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi équilibré et respectueux des territoires.
Pour conclure, cette ordonnance et la loi Climat et résilience, lues conjointement, démontrent qu'il convient d'aller au-delà de la seule taxation, qui ne peut être que punitive. Une écotaxe n'est pas une fin en soi ; il faut aussi accompagner et soutenir la décarbonation. Ce chemin est plus difficile, mais rend acceptable la transition du secteur routier vers un modèle plus vert. Le fret ferroviaire et fluvial doit également être encouragé. La route est tracée, il faut nous y tenir ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jacques Fernique . - Il était temps ! Merci aux rapporteurs d'avoir entendu l'exaspération des Alsaciens. Depuis vingt ans, le bassin rhénan pâtit d'un déséquilibre face à la redevance poids lourds suisse instaurée en 2001 et la LKW-Maut allemande en 2005. Conséquence : 6 300 camions supplémentaires roulent tous les jours sur les routes alsaciennes, soit 14 000 camions au quotidien autour de Strasbourg. Le contraste est accablant avec l'autre rive du Rhin, où le principe pollueur-payeur a permis de diminuer les nuisances et de développer le fret ferroviaire, aujourd'hui quatre fois plus important que le nôtre. Les performances économiques de notre voisin sont significatives et l'effet de bord massif ; pendant ce temps, l'Alsace déguste !
La loi de 2006, arrachée par les élus d'Alsace, a été balayée et l'écotaxe du Grenelle de l'environnement s'est fracassée. Les politiques publiques se sont révélées incapables d'agir et la procrastination a été chronique : la déception populaire a été massive face à une Europe incapable de se réguler dans la cohésion. Il faut écouter les citoyens et ne plus laisser l'Alsace désarmée.
Ce projet de loi de ratification précisera les paramètres de la taxe. Il reste beaucoup à faire et la taxe n'entrera pas tout de suite en vigueur.
Pour être à la hauteur, elle devra être au moins équivalente à la taxe allemande. Ne perdons plus de temps, ne retombons pas dans les travers qui ont tué les tentatives de 2006 et de 2008 : chaque année, de 2006 à 2012, le préfet se présentait devant le Conseil régional pour promettre la taxe pour l'année suivante. C'était devenu l'Arlésienne !
M. André Reichardt. - Exactement !
M. Jacques Fernique. - Le délai de six ans pour l'entrée en vigueur de la taxe est trop long et pourrait déresponsabiliser les collectivités. En fixant le délai maximum à trois ans, nous gagnerons en efficacité et en crédibilité. C'est d'autant plus important que la région Grand Est pourrait adopter un dispositif similaire.
Il faut anticiper les évolutions du droit européen et les inquiétudes des territoires voisins, mais cela ne doit pas être prétexte à l'immobilité. Quinze ans de renoncements, cela suffit ; en alsacien, je dirai : Jetzt geht's los ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Gérard Lahellec . - Nonobstant le travail de qualité de nos rapporteurs, ce projet pose des questions fondamentales.
Si l'on peut comprendre les collectivités territoriales qui subissent chaque jour les nuisances de la circulation des camions, toutes les régions ne sont pas confrontées aux mêmes réalités qui découlent de ces encombrements. En Bretagne, les circulations de transit ne sont pas les mêmes qu'en Alsace. Le jour où on le comprendra, on saisira les raisons de la révolte des Bonnets rouges.
Par ailleurs, je ne perds pas de vue qu'entre l'Alsace et la Bretagne, il y a la France.
M. Claude Kern. - Eh oui !
M. Gérard Lahellec. - Dès lors, devons-nous soutenir une décentralisation dans la République ou de la République ? La loi 3DS retient plutôt la première option. Nous ne sommes pas pleinement rassurés par les auditions auxquelles nous avons procédé et des ambiguïtés demeurent, comme celle de l'échelon de compétence territoriale en matière d'infrastructures de transport et de mobilité. La loi d'orientation des mobilités (LOM) prévoit que cette compétence incombe aux régions si les collectivités de base ne l'assument pas. En d'autres termes, les régions devront faire ce que les autres ne font pas. Gérer les restes n'est pas chose aisée, et cette ambivalence risque de générer des conflits entre différents niveaux de collectivités. En outre, les départements restent référents pour les infrastructures routières, d'où des risques d'incohérence.
Reste aussi la question du financement des services et des infrastructures alternatives à la route. Ainsi, les revenus de l'écotaxe régionale pourraient alimenter le budget général des collectivités, peut-être même pour entretenir les routes. Or, c'est le fret ferroviaire et les autres moyens qu'il faut développer ! C'est à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) de percevoir le produit de cette taxe.
Par ailleurs, il y a un risque de taxation de tous les camions, y compris ceux réalisant des trajets domestiques, en raison du droit européen ; c'est une des faiblesses des trois ordonnances qui nous sont soumises.
Plus fondamentalement, ce texte vise plus à répondre à des demandes anciennes qu'à définir un cadre vertueux pour une vraie régionalisation. Le CRCE ne le votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) La naissance, actée il y a deux ans, de la Collectivité européenne d'Alsace et le transfert de compétences sur les routes et autoroutes à cette collectivité nous permet d'examiner la mise en place d'une taxe poids lourds, très attendue en Alsace. La Collectivité européenne d'Alsace et l'Eurométropole de Strasbourg gèrent les routes et autoroutes non concédées qui relevaient jusqu'alors de l'État.
Certes, le Parlement est rarement favorable aux ordonnances, mais ce projet de loi de ratification arrive opportunément, quelques mois après l'examen de la loi Climat et résilience, qui autorise une écotaxe régionale dans les régions subissant des reports significatifs de poids lourds.
Enfin ! Car ce sujet de la LKW-Maut nous occupe depuis plus de quinze ans en Alsace, qui subit le report du trafic poids lourds de l'A5 allemande. Depuis lors, les camions de toute l'Europe passent par Strasbourg, Colmar et Mulhouse. L'Alsace voit ses infrastructures routières se dégrader, l'accidentologie augmenter, et subit la pollution sonore et atmosphérique.
Plus de 3 500 poids lourds de plus chaque jour ! Adrien Zeller avait déjà tenté d'instaurer ce dispositif il y a vingt ans ; Yves Bur avait bien proposé une taxe poids lourds en Alsace en 2005, mais elle fut abandonnée après la contestation des Bonnets rouges.
La loi de 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, instituant cette taxe à titre expérimental, a connu de nombreux revirements. On se souvient de la gabegie financière qui avait conduite à remettre en cause l'écotaxe après le coûteux déploiement des portiques...
J'apporte tout mon soutien au présent projet de loi, premier test qui pourrait être généralisé aux régions volontaires avec la loi 3DS.
Je salue le travail des rapporteurs qui adaptent le texte.
Reste que les transporteurs français seront pénalisés. Le droit européen n'autorisant pas de différence de traitement selon la nationalité des transporteurs, quelles sont nos marges de manoeuvre pour protéger, in fine, les finances des consommateurs ? Peut-on prévoir par exemple une compensation pour les transporteurs français ?
S'agissant du report sur des axes gratuits, des solutions sont proposées par le rapport de M. Pointereau et Mme Bonnefoy. Un traitement pragmatique cette question est la condition de l'acceptation de cette loi.
En l'état, la grande majorité du groupe UC votera ce texte. À l'heure de la COP26, c'est une réelle avancée, qui répond aux attentes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDPI)
La séance est suspendue à 20 heures.
présidence de M. Pierre Laurent, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
M. le président. - Je vais devoir suspendre pour quinze minutes, en attendant la venue du ministre.
M. Jean-Marc Todeschini. - Il n'a pas déjà démissionné ?
La séance, suspendue à 21 h 31, est reprise à 21 h 45.
Échec en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (Suite)
Discussion générale (Suite)
M. Jean Louis Masson . - Ce texte me semble très pertinent et je m'associe à la démarche de mes collègues alsaciens en faveur d'une écotaxe - car c'est bien de cela qu'il s'agit, même si elle a été débaptisée en raison du mouvement des bonnets rouges.
Le débat porte sur l'extension de cette taxe aux départements voisins. En tant que sénateur de la Moselle, je serais favorable à une telle mesure si elle correspondait à une logique territoriale cohérente. Cependant, l'A31, gratuite, va être transformée en autoroute à péage et les contribuables, qui l'ont payée, vont être soumis à un double péage : pour financer l'A31 et pour régler l'écotaxe. C'est une aberration complète.
Le périmètre de la collectivité devrait être cohérent, or la région Grand Est, tentaculaire, est un monstre administratif dans lequel nous sommes englués. L'écotaxe pourrait, à terme, se retrouver à la main de cette région qui ne correspond à rien du tout.
M. le président. - Il faut conclure.
M. Jean Louis Masson. - Je suis donc favorable à une taxe sur le sillon mosellan, mais gérée par une collectivité lorraine, que ce soit une euro-région Lorraine ou l'ancienne région Lorraine qui fonctionnait très bien. Et je sais de quoi je parle !
M. Olivier Jacquin . - L'abus d'ordonnances pervertit la démocratie représentative.
M. André Reichardt. - C'est vrai !
M. Olivier Jacquin. - C'est le titre de la tribune publiée dans Le Monde d'aujourd'hui par Patrick Kanner et Jean-Pierre Sueur. Votre Gouvernement excelle dans cette pratique. On dépasse les 300 ordonnances depuis le début du quinquennat, or seules 21 % sont ratifiées. Réjouissons-nous donc de ce projet de loi de ratification !
L'écotaxe poids lourds sera créée au profit de la Collectivité européenne d'Alsace. Le Gouvernement se vante de décentraliser et de différencier. Notre ancien collègue Jacques Bigot nous rappelait, au moment du vote de la loi créant la Collectivité européenne d'Alsace, que donner aux Alsaciens ce département avec quelques compétences nouvelles, utiles pour d'autres départements frontaliers, n'était qu'un petit pas. « Le grand pas que nous devons à tous les Français, c'est une vraie décentralisation ; celle-là, nous ne l'avons pas ! », déclarait-il. Je regrette que ce grand pas n'ait pas été la loi 3DS.
Je déplore l'instrumentalisation opérée par Jean Castex dont les propos fracassants, en janvier 2021 à Strasbourg, ont nui à la cohésion du Grand Est.
Cette écotaxe, c'est l'Arlésienne. La demande alsacienne est plus que légitime, depuis qu'en 2005, la taxe LKW-Maut est venue saturer l'axe autoroutier alsacien. Je félicite mes collègues alsaciens pour leur persévérance. Depuis seize ans, nous avons discuté huit fois de cette question. Cette écotaxe est légitime.
Je mène le même combat pour la Lorraine, sans résultat tangible, sinon un amendement de Jean-Marc Todeschini voté à l'unanimité en 2019.
Il s'agit maintenant de finaliser ces dispositions, par exemple en anticipant les dispositions de l'Eurovignette sur les véhicules utilitaires légers, entre 2,5 et 3,5 tonnes, qui prolifèrent : il s'agit de détourner la réglementation pour s'affranchir du chronotachygraphe et des limitations de tonnage en zone urbaine... Je mets en garde contre la tentation de faire payer les conducteurs. Les salariés n'ont pas à être tenus responsables en lieu et place des sociétés qui contournent la loi.
Nous n'anticipons pas les effets de report sur l'axe mosellan, déjà saturé. Au nord de Metz, on dénombre cent mille véhicules par jour, dont dix mille poids lourds, comme en Alsace. L'élargissement de la section Nancy-Luxembourg de l'A31 avec une troisième voie est déjà nécessaire. Le Gouvernement ergote sur le report de l'A35 vers l'A31. Le report Allemagne-Alsace a été désastreux ; le report Alsace-Lorraine est évident. Un exemple : entre Paris et Strasbourg, l'automobiliste a le choix entre l'A4, à péage, ou la N4, gratuite. Résultat : 17 % de poids lourds sur l'A4, 35 % sur la N4 ! D'autant que les GPS professionnels tiennent compte des coûts de salaire horaire et de carburant. Pour Francfort-Dijon, Google Maps propose deux itinéraires, un par le sillon lorrain et l'autre par le sillon rhénan, avec dix minutes d'écart.
En 2019, nous avions validé le principe d'une taxe concomitante en Alsace et en Lorraine. Les députés de la majorité l'ont rejeté. Maintenant, il nous faut réaffirmer nos positions, car nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre.
La loi 3DS doit être votée à l'Assemblée nationale, puis promulguée, et les décrets pris. Les Lorrains ne veulent pas attendre encore seize ans. Un « tiens » vaut mieux que deux « tu l'auras ».
Je salue l'initiative transpartisane de Véronique Guillotin, Catherine Belrhiti et Jean-Marie Mizzon, en faveur d'une écotaxe en Lorraine.
La logique de différenciation ne saurait être opposée à la Lorraine. J'ai avec moi les motions d'une centaine de communes de Meurthe-et-Moselle, représentant la moitié des habitants du département, qui demandent la mise en place rapide de l'écotaxe (l'orateur brandit des feuillets). Le groupe SER réservera son vote en fonction du sort de ses amendements.
Comme l'a dit Jacques Fernique, jetzt langt's ! Maintenant, ça suffit ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Patricia Schillinger . - Je salue les maires qui nous regardent. L'Alsace souhaite, avec ce texte, ouvrir une nouvelle page de son histoire. Grâce à la ratification de ces trois ordonnances, nous avançons, en conformité avec l'esprit de différenciation cher au Président de la République. La Collectivité européenne d'Alsace sera en mesure d'appréhender un peu plus son caractère frontalier. Les Alsaciens attendent ces mesures depuis 2005 et le report du transport routier de marchandises sur l'A35, à la suite de l'adoption de la taxe allemande.
Ce report de flux ne génère aucune retombée économique positive, et n'apporte que pollution, nuisances et dégradation des infrastructures. Il est largement temps d'agir.
La Collectivité européenne d'Alsace, grâce à un important travail de co-construction avec le Gouvernement, fait aboutir ce projet. Aujourd'hui, l'Alsace est fière d'être un précurseur, avec ces dispositions que certaines régions veulent reprendre à leur compte, grâce à l'article 137 de la loi Climat et résilience.
Le RDPI s'exprimera en faveur de la ratification. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. André Reichardt . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me félicite que nous soyons saisis d'un tel projet de loi, qui ratifie les ordonnances prises en vertu de l'article 13 de la loi de 2019. J'avais alors émis des doutes sur la possibilité que ces ordonnances soient prises et ratifiées. En effet, une taxe sur les poids lourds en transit en Alsace a déjà été votée par le Parlement en 2005, contre l'avis du Gouvernement, mais les décrets d'application n'ont jamais été publiés... Chat échaudé craint l'eau froide : j'avais déposé en 2019 un amendement pour écrire les contours de cette loi, mais il fut rejeté à l'Assemblée nationale.
Ces ordonnances sont des textes techniques. Les rapporteurs se sont intéressés à leur applicabilité par les collectivités concernées. Les demandes de la Collectivité européenne d'Alsace ont été prises en compte. In fine, l'essentiel est acquis. Il nous faut avancer sur le fond, pour que la taxe poids lourds soit mise en oeuvre au plus vite.
C'est pourquoi, chers collègues lorrains, il ne me semble pas opportun d'étendre, ce soir, le débat à l'extension de cette taxe en Lorraine.
M. Olivier Jacquin. - Vous l'aviez votée !
M. André Reichardt. - Il s'agit de répondre au plus vite aux attentes des Alsaciens, qui subissent le report de tout le trafic poids lourds de l'A5 allemande sur l'A35 française. Tout ce qui risque de retarder encore la résolution de ce problème est dangereux. Les Alsaciens seront contents d'ouvrir la voie, et nous voterons tout texte similaire à l'avenir.
Le dispositif de concertation prévu à l'article premier octodecies introduit par la commission ne me paraît pas indispensable, puisque les deux départements discutent déjà au quotidien avec leurs voisins. Puisque les commissions ont fait droit à une telle concertation, sous réserve que cela n'entraîne aucun retard, pourquoi la refuser ?
Je tiens enfin à saluer le travail du rapporteur pour avis Stéphane Le Rudulier, sur un sujet dont il n'était pas familier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. Ludovic Haye . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Allons-nous enfin assister à un retour à la normale sur l'A35 ? Les élus, riverains et habitants le demandent fortement. Maire de Rixheim jusqu'en 2020, je connais le sujet. La situation est aussi insupportable que dangereuse, et elle empire depuis 2005 et l'institution de la LKW-Maut, votée en 2002 par le Bundestag sous le chancelier Schröder, qui a incité les transporteurs allemands à éviter l'A5 allemande pour se déporter quelques kilomètres à l'ouest, sur l'A35 alsacienne.
Depuis plus de quinze ans, les élus locaux souhaitent cette redevance poids lourds afin de lutter contre l'inflation du trafic. Depuis sa création, la Collectivité européenne d'Alsace a la capacité légale de fixer une telle taxe, avec une certaine liberté dans la définition des modalités.
Ce n'est pas une arme fiscale mais un outil au service d'une meilleure répartition du trafic des poids lourds et d'une modernisation de la flotte, moins polluante grâce à l'évolution vers les camions au gaz naturel véhicule (GNV) et, je l'espère, à l'hydrogène, et une promotion du transport fluvial et ferroviaire.
Cette initiative, fruit d'une étroite collaboration entre le Gouvernement, la Collectivité européenne d'Alsace et les élus locaux, est un projet pilote appelé à être étendu à d'autres régions. Ce projet est cohérent et pragmatique. L'Alsace répondra présente. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe SER et du GEST)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme Pascale Gruny. - Le masque ! Sur le nez !
M. Jean Louis Masson . - Si nous avions une eurocollectivité en Lorraine, nous aurions pu être inclus dans le train de cette écotaxe. Cependant, ne faisons pas de scène de jalousie à nos collègues alsaciens. Ceux qui sont responsables, ce sont ceux qui n'ont pas défendu la création d'une collectivité européenne lorraine ! Le Grand Est, c'est la chienlit ! Que ceux qui défendent cette région ne viennent pas se plaindre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Christine Herzog . - La Collectivité européenne d'Alsace a la compétence d'instaurer une taxe sur son domaine routier et autoroutier afin de contrer le déport des poids lourds depuis l'Allemagne. Je soutiens les Alsaciens, mais je ne vois pas comment le trafic venu d'Allemagne viendrait se déporter vers la Moselle, 150 kilomètres à l'ouest. Il y a là une discrimination envers les travailleurs du transport routier. Cette taxe est un danger pour l'économie locale de la région Grand Est. (Quelques membres du groupe Les Républicains applaudissent.)
Mme Pascale Gruny. - Rappel au Règlement ! Je voudrais rappeler les règles sanitaires. Le masque doit couvrir le nez. Les gouttelettes sont aussi émises par le nez, or nous partageons les micros. La vaccination n'empêche pas la transmission du virus. Les contaminations, les décès repartent à la hausse. Nous n'avons pas envie d'un reconfinement. Soyons responsables et attentifs les uns aux autres. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot et Mme Martine Filleul applaudissent également.)
M. le président. - Acte est donné de ce rappel au Règlement.
L'article premier est adopté.
APRÈS L'ARTICLE PREMIER
M. le président. - Amendement n°1 rectifié, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dès la ratification de l'ordonnance mentionnée à l'article 1er, est instituée une taxe applicable aux véhicules de transports de marchandises qui utilisent l'autoroute A 31.
Un décret détermine le régime juridique et les conditions d'application de cette taxe.
M. Jean-Marc Todeschini. - En 2019, par un sous-amendement à un amendement de M. André Reichardt, nous avions étendu l'écotaxe à la Lorraine. Tout le monde était d'accord !
Les Vosges séparant l'Alsace de la Lorraine, il n'y aurait pas de report ? Mais le trafic vient de Mannheim, puis passe par Forbach, Metz et l'A31 ! Les transporteurs du Nord, en outre, ont compris l'intérêt de faire le plein au Luxembourg, où le carburant est sensiblement moins cher qu'en France. Les transporteurs utilisent des chauffeurs bulgares, roumains, polonais, lituaniens. Avec un salaire de 300 euros pour un Roumain ou de 350 euros pour un Bulgare, vingt minutes supplémentaires ne leur coûtent pas très cher... Le secteur de l'A31 de Metz à Luxembourg est l'un des plus pollués et encombrés de France. Le report, cela pourrait signifier un camion supplémentaire toutes les dix secondes !
M. le président. - Il faut conclure.
M. Jean-Marc Todeschini. - Sans l'extension de l'écotaxe, le report aura bien lieu.
M. le président. - Sous-amendement n°19 rectifié à l'amendement n° 1 rectifié de M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, présenté par M. Masson.
Amendement n° 1, alinéa 3
Remplacer les mots :
l'autoroute A31
par les mots :
les sections gratuites de l'autoroute A31 et des routes nationales à 2 x 2 voies existant sur le territoire des quatre départements de l'ancienne région Lorraine
M. Jean Louis Masson. - Notez que mon masque couvre le nez.
M. Jean-François Longeot. - C'est normal.
M. Jean Louis Masson. - Je ne voterai pas l'amendement n°1 rectifié, mais mes sous-amendements l'améliorent. Un de ses partisans a expliqué que la RN4 était saturée de camions qui veulent éviter l'A4 à péage. Si par malheur cet amendement était adopté, il faudrait au moins qu'il prenne en compte l'ensemble de la problématique.
Je le répète : si c'est pour que la région Grand Est gère l'écotaxe, autant ne rien voter ! Il vaut mieux avoir une collectivité de Lorraine qui soit capable de la prendre en charge.
M. le président. - Sous-amendement n°18 rectifié à l'amendement n° 1 rectifié de M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, présenté par M. Masson.
Amendement n° 17, alinéa 3
Après le mot :
utilisent
insérer les mots :
les sections gratuites de
M. Jean Louis Masson. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par Mme Belrhiti et MM. Mizzon, Gremillet et Husson.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dès la ratification de l'ordonnance mentionnée à l'article 1er, est instaurée une taxe applicable aux véhicules de transports de marchandises qui utilisent l'autoroute A 31.
Un décret fixe le régime et les conditions d'application de cette taxe.
Mme Catherine Belrhiti. - Je défends l'écotaxe en Lorraine. Je redoute, moi aussi, un déport d'une partie du trafic vers l'autoroute A31, saturée de poids lourds et de nuisances.
Même si le Gouvernement peut légiférer par ordonnance pour autoriser les régions à mettre en place des contributions spécifiques sur le transport routier de marchandises dans les deux ans, il faut, sans attendre, permettre à l'État d'instaurer une taxe poids lourds sur cette autoroute A31.
J'ai du mal à comprendre que cette logique ne soit pas partagée par l'ensemble des sénateurs mosellans.
M. le président. - Amendement n°17 rectifié, présenté par Mme Guillotin et MM. Mizzon, Nachbar, Husson et Gremillet.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dès la ratification de l'ordonnance mentionnée à l'article 1er, est instituée une taxe applicable aux véhicules de transports de marchandises qui utilisent l'autoroute A 31.
Un décret détermine le régime juridique de cette taxe.
Mme Véronique Guillotin. - Je m'associe aux propos de M. Todeschini et Mme Belrhiti. Il est indispensable d'étendre l'écotaxe à la Lorraine. Que ceux qui s'y opposent viennent constater les flux sur l'A31 ! C'est une question d'équité territoriale.
Quant au procès d'intention sur la région Grand Est, il n'a pas lieu d'être ici.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L'ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 relative aux modalités d'instauration d'une taxe sur le transport routier de marchandises recourant à certaines voies du domaine public routier de la Collectivité européenne d'Alsace est ainsi modifiée :
1° À l'article 1er, le mot : « peut » est remplacé par les mots : « et la région Grand Est sur les réseaux routiers et autoroutiers du sillon lorrain la traversant peuvent » ;
2° Au 2° de l'article 2, au premier alinéa des articles 3 et 4, aux articles 9, 11 et 15, au cinquième alinéa de l'article 17, au premier alinéa des articles 23 et 24, au dernier alinéa de l'article 27, au deuxième alinéa de l'article 33, au premier alinéa de l'article 50, au dernier alinéa de l'article 51, au troisième alinéa de l'article 52, au premier alinéa des articles 53 et 56, après les mots : « la Collectivité européenne d'Alsace », sont insérés les mots : « et de la région Grand Est sur les réseaux routiers et autoroutiers du sillon lorrain la traversant » ;
3° Au dernier alinéa de l'article 8, au premier alinéa des articles 20 et 21, au a de l'article 27, au premier alinéa des articles 34 et 41, au premier alinéa et au 5° de l'article 49, au premier alinéa de l'article 52, aux premier et dernier alinéas de l'article 54, au dernier alinéa de l'article 58, à l'article 59 et au dernier alinéa de l'article 61, après les mots : « la Collectivité européenne d'Alsace », sont insérés les mots : « et la région Grand Est sur les réseaux routiers et autoroutiers du sillon lorrain la traversant » ;
4° Au premier alinéa de l'article 29, à l'article 35 et au premier alinéa de l'article 48, après les mots : « la Collectivité européenne d'Alsace », sont insérés les mots : « et par la région Grand Est sur les réseaux routiers et autoroutiers du sillon lorrain la traversant » ;
5° Au dernier alinéa des articles 33 et 49, après les mots : « la Collectivité européenne d'Alsace », sont insérés les mots : « et à la région Grand Est pour les réseaux routiers et autoroutiers du sillon lorrain la traversant » ;
6° Au premier alinéa de l'article 51, après les mots : « la Collectivité européenne d'Alsace », sont insérés les mots : « et dans la région Grand Est sur les réseaux routiers et autoroutiers du sillon lorrain les traversant » ;
7° Au deuxième alinéa de l'article 52 et au dernier alinéa de l'article 53, après les mots : « la Collectivité européenne d'Alsace », sont insérés les mots : « et de la région Grand Est sur les réseaux routiers du sillon lorrain la traversant ».
II. - Aux 11° et 12° de l'article L. 330-2 du code de la route, dans la rédaction résultant de l'article 55 de l'ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 relative aux modalités d'instauration d'une taxe sur le transport routier de marchandises recourant à certaines voies du domaine public routier de la Collectivité européenne d'Alsace, après les mots : « la Collectivité européenne d'Alsace », sont insérés les mots : « et la région Grand Est sur les réseaux routiers et autoroutiers du sillon lorrain la traversant ».
M. Olivier Jacquin. - La Collectivité européenne d'Alsace pourra instaurer une taxe kilométrique sur le trafic de poids lourds. Je m'en félicite, monsieur Reichardt, mais les territoires limitrophes risquent d'en faire les frais, et je ne comprends pas que votre position ait changé.
L'amendement n°1 rectifié prévoit que l'écotaxe est perçue par l'État, non par la région Grand Est. Cet amendement de repli prévoit qu'elle est perçue par la région pour le sillon routier et autoroutier lorrain.
M. le président. - Sous-amendement n°20 à l'amendement n°4 de M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, présenté par M. Masson.
Amendement n° 4, alinéas 4 à 11
Remplacer les mots :
la région Grand Est
par les mots
toute collectivité ou tout groupement de collectivités dont le territoire correspond à celui de l'ancienne région Lorraine
M. Jean Louis Masson. - Ce sous-amendement remplace la référence à la région Grand Est par une référence à toute collectivité correspondant à l'ancien territoire de la région Lorraine. Si c'est pour subir la chienlit du Grand Est, je suis contre cette écotaxe.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - La commission n'est pas contre une taxe sur les axes du sillon lorrain, mais elle émettra un avis défavorable à tous ces amendements. La loi Climat et résilience prévoit une mise en place de la taxe par les régions volontaires : à la région Grand Est de se saisir de cette possibilité une fois la compétence transférée, si elle le souhaite.
Ne confondons pas vitesse et précipitation, laissons à la Collectivité européenne d'Alsace le temps d'élaborer le dispositif.
Les amendements nos1 rectifié, 3 rectifié bis et 17 rectifié sont inconstitutionnels : on ne peut fixer par décret les modalités d'application d'une taxe. Cela relève de la loi.
L'amendement n°4 donne la possibilité à la région Grand Est d'instaurer une taxe sur des axes qui ne relèvent pas encore de sa responsabilité. C'est prématuré.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports. - Veuillez excuser le Gouvernement pour ce léger retard.
La quasi-totalité des textes réglementaires sur la Collectivité européenne d'Alsace sont en passe d'être rédigés.
De plus, toute région pourra bientôt mettre en place une contribution poids lourds, grâce à la loi 3DS.
Par conséquent, avis défavorable à l'ensemble des amendements.
Le Gouvernement veut préserver l'équilibre du texte.
M. Jean-Marie Mizzon. - Je félicite à mon tour mes collègues alsaciens pour leur persévérance. Si j'avais été Alsacien, j'aurais agi de même... Seulement, je représente un département voisin qui voit les choses différemment. Or l'écotaxe crée un préjudice pour les territoires voisins de l'Alsace.
Il faut être naïf pour croire que le trafic sur l'A35 et l'A31 ne vient que d'Allemagne : il vient aussi des pays baltes et nordiques. Il y aura bien un report sur l'A31, ne serait-ce que parce que le carburant est notoirement moins cher au Luxembourg. Or cet axe est déjà hyper-saturé.
L'exaspération en Lorraine est la même qu'en Alsace : les Lorrains n'en peuvent plus et attendent une solution - celle que proposent les amendements d'Olivier Jacquin, Catherine Belrhiti et Véronique Guillotin.
M. Christian Klinger. - Je comprends les inquiétudes de nos amis lorrains, mais il s'agit ici de la Collectivité européenne d'Alsace : vous êtes hors périmètre.
M. Jean-Marc Todeschini. - On a le droit d'amender !
M. Christian Klinger. - Vous êtes hors sujet. Mais soyez rassurés, l'Alsace va essuyer les plâtres pour vous : laissez-nous expérimenter ! (M. Claude Kern applaudit.)
Mme Christine Herzog. - Les Mosellans ne demandent rien ! Le sujet, ce soir, ce n'est pas l'A31 : ce que nous demandons, c'est l'A31 bis.
M. Olivier Jacquin. - Lors de la discussion générale, j'ai vanté le travail mené sur la loi Climat dans cet hémicycle et lors de la CMP, qui a remplacé l'écotaxe façon puzzle prévue par le Gouvernement par une rédaction subtile et originale consistant à ouvrir l'écotaxe aux régions frontalières soumises à des reports de trafic.
Si nos amendements avaient été hors sujet, ils auraient été déclarés irrecevables.
Nous allons devoir attendre que la loi 3DS soit votée, promulguée appliquée, puis que la région Grand Est se saisisse de ces nouvelles compétences. C'est beaucoup trop long ! Combien de fois nos amis alsaciens ont-ils vu l'écotaxe leur passer sous le nez ?
M. André Reichardt. - Monsieur Jacquin, c'est vous qui allez nous faire passer l'écotaxe sous le nez !
M. Olivier Jacquin. - Mais pourquoi ?
M. André Reichardt. - Parce que votre projet n'est pas aussi mûr que le nôtre, il suffit de voir vos débats sur l'A31 et l'A31 bis ! Une étude complémentaire sera nécessaire.
Encore une fois, chat échaudé craint l'eau froide : rappelez-vous la taxe Bur. Votons ce dispositif et ouvrons la voie aux autres régions. En aucun cas nous ne voulons refaire la guerre des Rustauds !
Sur l'A35, je vois des pavillons hongrois, tchèques, etc. Les véhicules ne viennent pas seulement de Mannheim, mais aussi de Stuttgart et de Munich.
M. Jean-Marc Todeschini. - Je suis surpris des propos de certains sénateurs, notamment mosellans. L'A31 ne serait pas surchargée entre Metz et Luxembourg ? On met une heure et demie pour parcourir trente kilomètres ! Nous proposons simplement que l'État lève la taxe sur l'A31, pour éviter le report. Apparemment, que nous ayons les mêmes armes que vous, vous pose problème...
M. Claude Kern. - Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Marc Todeschini. - Mais si ! Entre Metz et Thionville aussi, l'A31 est saturée, avec plus de cent mille personnes qui se rendent quotidiennement à Luxembourg. Le Gouvernement a créé ce problème en instituant la Collectivité européenne d'Alsace et maintenant il abandonne la Lorraine. (MM. André Reichardt, Christian Klinger et Claude Kern se récrient.)
Mme Catherine Belrhiti. - Les riverains de l'A31 seront très heureux d'apprendre que certains sénateurs mosellans considèrent qu'ils n'ont pas de problèmes... L'A31 bis, cela fait trente ans que nous l'attendons. Le problème doit être traité en même temps en Moselle et en Alsace.
M. Ludovic Haye. - Évitons de relancer le duel Alsace-Lorraine. Laissons l'essai se faire, nous en tirerons les enseignements, notamment en matière de facturation. Il n'est pas question de réserver le dispositif à l'Alsace. Y aura-t-il véritablement un report vers la Lorraine ? Nous ne le savons pas.
M. Jean Louis Masson. - On ne peut pas reprocher à l'État d'avoir laissé se créer la Collectivité européenne d'Alsace. Toute la problématique, c'est que la Lorraine n'a aucune structure pour parler en son nom. Ce n'est pas la faute des Alsaciens, dont le seul tort est de s'être mieux débrouillés que les Lorrains. Créons déjà, en Lorraine, un interlocuteur crédible pour l'État, et parlons d'une seule voix.
Mme Catherine Belrhiti. - L'entité, c'est la région Grand Est !
Mme Christine Herzog. - Vive la Lorraine !
M. Daniel Gremillet. - Il ne s'agit pas d'opposer l'Alsace à la Lorraine : leur histoire est identique. Nous avions obtenu le contournement de l'A32 avant que le conseil régional ne change de majorité - certains dans cet hémicycle y siégeaient !
Nous avons aujourd'hui tous les supports nécessaires pour agir : la Collectivité européenne d'Alsace et la région Grand Est, qui, elle, pourrait soutenir l'expérimentation pour la Lorraine. Nous savons que des deux côtés, les axes sont saturés ! Les constats sont établis depuis longtemps. Le Sénat doit traiter de manière équilibrée tous les territoires. (Mme Catherine Belrhiti applaudit.)
Le sous-amendement n°19 rectifié n'est pas adopté, non plus que le sous-amendement n°18 rectifié.
À la demande du groupe SER, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°40 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l'adoption | 110 |
Contre | 221 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n°3 rectifié bis n'est pas adopté non plus que l'amendement n°17 rectifié.
Le sous-amendement n°20 n'est pas adopté.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Au 2° de l'article 2 de l'ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 relative aux modalités d'instauration d'une taxe sur le transport routier de marchandises recourant à certaines voies du domaine public routier de la Collectivité européenne d'Alsace, le nombre : « 3,5 » est remplacé par le nombre : « 2,5 ».
II. - Le I du présent article entre en vigueur au plus tard six mois après l'entrée en vigueur de la révision de la directive 1999/62 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures.
M. Olivier Jacquin. - Il ne s'agit pas ici de la Lorraine.
La directive Euro-redevance de 1999 a été prise en compte, mais une nouvelle directive sera applicable en 2023. Les rapporteurs ont déjà anticipé la question des types de moteurs. Mais il convient d'anticiper également au fléau des véhicules utilitaires légers (VUL), dispensés de chronotachygraphe et de toute limite de tonnage en ville. Grâce à ces petits camions bâchés, les transporteurs, souvent de l'Est, peuvent s'affranchir de toutes les règles, en matière de temps de repos notamment.
Notre mission de mai 2021 sur le transport de marchandises, que j'ai conduite avec Rémy Pointereau et Nicole Bonnefoy, soulignait ce risque.
Cet amendement donne à la Collectivité européenne d'Alsace la faculté d'étendre la taxe aux VUL dès à présent.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Avec cet article, la commission a souhaité anticiper la révision de la directive Eurovignette. Le problème des VUL semble toutefois de second ordre : sagesse.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Il ne s'agit pas d'une demande de la Collectivité européenne d'Alsace. En outre, le paquet mobilité prévoit un alignement des temps de repos sur les autres types de véhicules à partir de 2026, ce qui satisfait votre amendement. Retrait ?
M. Jacques Fernique. - Cet amendement est très pertinent. L'amplitude du tonnage pour le déclenchement de la taxe pose problème. Les VUL ne respectent pas les règles de sécurité. L'ordonnance doit donner à la Collectivité européenne d'Alsace la marge de manoeuvre que va autoriser l'Europe.
L'amendement n°5 est adopté.
L'article premier bis, modifié, est adopté ainsi que l'article premier ter.
ARTICLE PREMIER QUATER
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - C'est un amendement de suppression, pour préserver l'équilibre du texte.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - L'article premier quater permet à la Collectivité européenne d'Alsace d'être mieux informée par l'État. Ce dernier devra en outre définir les critères de classement en zone peuplée afin d'éviter toute rupture d'égalité entre territoires, ainsi que la méthode d'évaluation des coûts générés par la pollution. Ainsi éclairée, la Collectivité européenne d'Alsace pourra mieux exercer ses responsabilités. Il serait dommage de s'en priver : avis défavorable.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - J'appuie bien volontiers l'avis du rapporteur.
L'amendement n°12 n'est pas adopté.
L'article premier quater est adopté, ainsi que les articles premier quinquies et premier sexies.
ARTICLE PREMIER SEPTIES
M. le président. - Amendement n°6, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 2
1° Après le mot :
location,
insérer le mot :
et
2° Supprimer les mots :
et, en dernier ressort, le conducteur
M. Olivier Jacquin. - Là encore, il ne s'agit pas de la Lorraine.
En cas de défaut de paiement de la taxe par le propriétaire du véhicule, il sera possible de se retourner vers les conducteurs. La commission des lois a souhaité réserver cette possibilité aux cas où il n'y aurait pas de personne morale. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a proposé, avec finesse, que cela ne soit possible qu'en dernier recours, afin d'anticiper le risque du développement de sociétés fantômes. Les pratiques dans le domaine du transport sont sauvages. Notre débat sur cet amendement devrait faciliter la tâche des rédacteurs des décrets.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - La commission a déjà réduit les conditions dans lesquelles le conducteur serait solidaire du paiement de la taxe. Mais nous partageons vos réticences : les conducteurs sont des employés, ils ne peuvent être tenus pour responsables du non-paiement de la taxe. Avis du Gouvernement ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Ce dispositif, à vocation subsidiaire, permet de responsabiliser les transporteurs. Retrait ou avis défavorable.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Même avis.
M. Olivier Jacquin. - Ces explications me conviennent et je suis satisfait que le Gouvernement n'ait pas proposé de revenir sur les améliorations apportées par la commission : je retire donc mon amendement.
L'amendement n°6 est retiré.
L'article premier septies est adopté.
ARTICLE PREMIER OCTIES
M. le président. - Amendement n°14, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Amendement de suppression, destiné à préserver l'équilibre global du texte.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Avis défavorable. Cette mesure de régularisation sans pénalité pour les redevables occasionnels est un progrès. Elle est inspirée du modèle allemand, dans lequel le redevable a deux jours pour régulariser sa situation et ne doit avoir commis aucune infraction au cours des six derniers mois. Ensuite, nous donnons une certaine souplesse au dispositif de sanction, dans une logique de droit à l'erreur. Enfin, c'est une simple possibilité offerte à la Collectivité européenne d'Alsace : libre à elle de l'utiliser.
L'amendement n°14 n'est pas adopté.
L'article premier octies est adopté, ainsi que les articles premier nonies et premier decies.
ARTICLE PREMIER UNDECIES
M. le président. - Amendement n°13, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Il s'agit de la procédure de transaction, réservée à certains agents habilités. La Collectivité européenne d'Alsace ne le demande pas, et il existe déjà une procédure de taxation d'office. D'où cet amendement de suppression.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Nous sommes prêts à retravailler le dispositif au cours de la navette. Cependant, cet article, introduit à l'initiative de la commission des lois, facilite le recouvrement de la taxe. Le dispositif doit être transposable à d'autres collectivités à l'avenir. Il ne s'agit que d'une faculté offerte à la Collectivité européenne d'Alsace. Avis défavorable.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - Cette possibilité est déjà ouverte aux concessionnaires d'autoroutes. Pourquoi ne pas en faire bénéficier la Collectivité européenne d'Alsace ? Je suis défavorable à l'amendement du Gouvernement.
L'amendement n°13 n'est pas adopté.
L'article premier undecies est adopté.
ARTICLE PREMIER DUODECIES
M. le président. - Amendement n°15, présenté par le Gouvernement.
Supprimer cet article.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Nous supprimons cet article qui porte sur le contrôle automatisé.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Nous nous sommes inspirés du modèle des zones à faibles émissions (ZFE). Il s'agit d'une faculté offerte à la Collectivité européenne d'Alsace, qu'elle peut utiliser ou non. Nous sommes prêts à retravailler la rédaction. Avis défavorable.
L'amendement n°15 n'est pas adopté.
L'article premier duodecies est adopté.
L'article premier terdecies est adopté.
ARTICLE PREMIER QUATERDECIES
M. Olivier Jacquin. - Mon amendement sur le verdissement des flottes de camions a été déclaré irrecevable. Je le regrette, car une partie de la taxe aurait ainsi pu être affectée à des mesures en faveur de la transition énergétique.
L'article premier quaterdecies est adopté.
APRÈS L'ARTICLE PREMIER QUATERDECIES
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er quaterdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 47 de l'ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une partie du produit de la taxe peut être affectée au report modal ferroviaire et fluvial ainsi qu'aux utilisations partagées de la route. »
M. Olivier Jacquin. - S'il y a trop de poids lourds, c'est parce que ce mode de transport est beaucoup plus compétitif que le fluvial ou le ferroviaire. D'où cet amendement qui propose à la Collectivité européenne d'Alsace d'affecter une partie du produit de la taxe poids lourds au fluvial et au ferroviaire.
Le sous-amendement n°21 n'est pas défendu.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - La Collectivité européenne d'Alsace perçoit le produit de la taxe qu'elle dépensera de la manière qu'elle juge la plus pertinente. Prévoir l'affectation dans la loi serait contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales. En outre, la collectivité n'a pas de compétences en matière ferroviaire et fluviale. Avis défavorable.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Pour des raisons analogues, avis défavorable.
M. Olivier Jacquin. - Relisez l'amendement : « Une partie du produit de la taxe peut être affectée » aux transports ferroviaire et fluvial. Il n'y a rien de coercitif.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
ARTICLE PREMIER QUINDECIES
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Fernique et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Rédiger ainsi cet article :
Au premier alinéa de l'article 56 de l'ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée, les mots : « Le taxe » sont remplacés par les mots : « la taxe » et les mots « six ans » sont remplacés par les mots : « trois ans ».
M. Jacques Fernique. - Le délai de six ans laissé pour l'entrée en vigueur de la taxe est bien trop long. Après l'échec de la mise en oeuvre de la taxe alsacienne votée en 2006, après le renoncement de 2014 sur la taxe nationale, il n'est plus possible d'attendre. Un tel délai n'est ni justifié, ni politiquement acceptable. Nous proposons trois ans : l'échéance de 2024 tient compte du temps nécessaire à la concertation et à la mise en oeuvre. Assez de procrastination !
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Je comprends que vous souhaitiez voir la taxe entrer en vigueur au plus tôt. Cependant, imposer un tel délai à la Collectivité européenne d'Alsace l'obligerait soit à agir dans la précipitation, soit à risquer de ne pas pouvoir respecter les délais impartis. Si la Collectivité est prête avant les six ans impartis, elle pourra mettre en place la taxe de manière anticipée. Avis défavorable.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Les délais fixés sont plus réalistes, tant au plan juridique que financier. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Olivier Jacquin. - Nous ne pouvons concevoir que cette écotaxe ne soit mise en place que dans cinq ou six ans. J'ai trouvé la Collectivité européenne d'Alsace plutôt discrète sur le sujet pendant les auditions. Le sujet est complexe et technique, mais je serai très vigilant sur le délai de mise en place.
Je suis étonné de voir que le Gouvernement propose de nombreux amendements de suppression : chers collègues alsaciens, si vous aviez voté l'écotaxe en Lorraine, le Gouvernement en aurait sans doute obtenu la suppression en CMP... Qu'a donc le Gouvernement contre les travaux du Sénat ? (M. Jean-Marc Todeschini applaudit.)
M. André Reichardt. - J'entends bien que le délai de six ans est un maximum. Il faut voter cet amendement, pour dire qu'il est temps d'agir.
M. Olivier Jacquin. - Jetzt geht's los !
M. André Reichardt. - Vous le dites avec l'accent lorrain... (Sourires) Il faut aller vite, y compris pour la Lorraine.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Nous sommes peut-être discrets, mais le travail se fait, notamment avec l'Allemagne. Si nous aboutissons dans les trois ans, tant mieux, mais le délai de six ans a paru plus pertinent à la commission.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article premier quindecies est adopté, ainsi que l'article premier sexdecies.
APRÈS L'ARTICLE PREMIER SEXDECIES
M. le président. - Amendement n°10 rectifié, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article 1er sexdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La première phrase de l'article 59 de l'ordonnance n° 2021-659 du 26 mai 2021 précitée est ainsi modifiée :
1° Les mots : « routier et de » sont remplacés par les mots : « , de » ;
2° Après le mot : « transports », sont insérés les mots : « et des donneurs d'ordre ».
M. Olivier Jacquin. - L'article 59 prévoit une large concertation avant la mise en place définitive de l'écotaxe. Cet amendement ajoute les chargeurs, c'est-à-dire les donneurs d'ordre.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Les chargeurs jouent en effet un rôle fondamental dans la définition des schémas de transport. La Collectivité européenne d'Alsace avait déjà prévu de les consulter. Il est judicieux de les associer à la concertation au même titre que les transporteurs. Avis favorable.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - En l'état du droit, rien n'interdit à la Collectivité européenne d'Alsace de consulter les chargeurs. Sagesse.
L'amendement n°10 rectifié est adopté et devient un article additionnel.
ARTICLE PREMIER SEPTDECIES
M. le président. - Amendement n°11, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce rapport d'étape comprend un bilan d'évaluation des reports de trafic sur l'A 31.
M. Jean-Marc Todeschini. - Cet article prévoit un rapport pour évaluer les reports de trafic. Notre amendement précise que le rapport d'étape comprendra un bilan des reports sur l'A31 afin que le Gouvernement dispose des éléments nécessaires pour juger de l'opportunité d'instaurer une taxe sur l'A31.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Cette demande est satisfaite par l'article premier septdecies qui prévoit une évaluation du report de trafic sur le réseau public des communes, départements et régions limitrophes. Retrait ou avis défavorable.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - De plus, le délai de deux ans paraît assez court. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Olivier Jacquin. - Je ne puis me satisfaire de cette réponse. Nous demandons une évaluation du risque de report deux ans après la mise en place de la taxe. Il n'y a là aucune contrainte supplémentaire ! Je souhaiterais qu'en signe de solidarité, nos amis alsaciens votent cet amendement.
L'amendement n°11 est adopté.
L'article premier septdecies, modifié, est adopté.
ARTICLE PREMIER OCTODECIES
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 7, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Le comité associe des représentants de l'établissement public Voies navigables de France, de la société nationale SNCF et des syndicats représentatifs des transporteurs routiers.
M. Olivier Jacquin. - Dans le comité de concertation, nous proposons d'associer Voies navigables de France (VNF) et la SNCF.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Cet amendement est satisfait : inutile de préciser dans la loi les organismes à associer à la concertation. À les lister, on risque d'exclure certains acteurs. Avis défavorable.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Même avis.
L'amendement n°8 est retiré.
L'article premier octodecies est adopté ainsi que l'article premier novodecies et les articles 2, 2 bis et 3.
ARTICLE 4
M. le président. - Amendement n°16, présenté par le Gouvernement.
Alinéas 4 à 18
Supprimer ces alinéas.
M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. - Là encore, il s'agit du contrôle-sanction automatisé. Ce serait très restrictif, d'où cet amendement de suppression.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - Il doit être possible de mettre en oeuvre des dispositifs de contrôle adaptés sur le périmètre de l'Eurométropole de Strasbourg. Nous sommes prêts à retravailler le dispositif mais, en l'état, avis défavorable.
L'amendement n°16 n'est pas adopté.
L'article 4 est adopté ainsi que l'article 5.
Interventions sur l'ensemble
M. Jacques Fernique . - En instituant la Collectivité européenne d'Alsace, les parlementaires lui ont donné compétence pour réguler les flux de marchandises sur son territoire par une taxe. Ne ratons pas le coche : ces ordonnances lui donnent enfin les moyens d'agir.
Depuis les motions consensuelles du conseil régional d'Alsace votées en 2004, toutes les forces politiques de la région ont uni leurs forces pour parvenir à ce texte. Ne retardons pas la mise en oeuvre de la taxe ; ne reproduisons pas l'erreur de 2006. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras : ce tiens est dû à l'Alsace.
M. Claude Kern . - Je suis très satisfait des travaux de la commission, et en particulier de nos deux rapporteurs. L'Alsace réclame la taxe poids lourds depuis quinze ans. Il faut que ces ordonnances soient appliquées au plus vite, y compris pour rassurer les Lorrains.
M. Olivier Jacquin . - Je salue le travail accompli par les deux rapporteurs sur une ordonnance, qui par définition se veut jupitérienne... Nous avons su la modifier pour le mieux.
Deux motifs d'insatisfactions demeurent pourtant. D'abord, l'attitude du Gouvernement. M. Djebbari nous a dit vouloir équilibrer le texte... par des amendements de suppression. Voilà une vision quelque peu dogmatique, qui m'inquiète dans la perspective de la CMP.
Ensuite, je dénonce une forme d'égoïsme de la part de ceux qui ont tant souffert. L'amendement que nous avions proposé n'avait rien d'une procrastination, puisqu'il s'agissait de mettre en place une écotaxe concomitante en Lorraine.
M. Jean-Marc Todeschini . - Je voterai contre ce texte, qui est un abandon de la Lorraine en rase campagne. Je comprends la satisfaction des Alsaciens, mais les riverains de l'A31 sont négligés, eux qui subissent déjà des nuisances considérables. Le principal responsable est le Gouvernement, même si nos collègues alsaciens, contrairement à 2019, n'ont pas été solidaires. Nous sommes soumis à la bonne volonté des régions, parce que le Gouvernement a été échaudé par l'épisode des bonnets rouges. Je suis amer.
M. Didier Mandelli . - Je remercie nos rapporteurs pour leur travail de qualité sur un sujet sensible. Il fallait du courage pour ne pas abandonner l'écotaxe. C'était un ministre proche des socialistes, je crois, qui était aux commandes à l'époque...
M. Jean-Marc Todeschini. - C'est vous qui avez fait de la politique politicienne !
M. Didier Mandelli . - J'ai du mal à imaginer une taxe sur un péage, comme le prévoit l'amendement n°11 de M. Jacquin. (M. Olivier Jacquin le conteste.) Je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourrait la valider. Dans tous les cas, le groupe Les Républicains votera ce texte.
M. Olivier Jacquin. - C'était un sous-amendement de M. Masson, pas mon amendement !
M. Jean-Marie Mizzon . - Je ne voterai pas ce texte qui, s'il règle le problème pour l'Alsace, le complique pour la Lorraine. Face à un problème de trafic international de poids lourds qui trouve son origine dans le Nord de l'Europe, il faut une réflexion globale. Le report du trafic sur l'A31 sera terrible.
M. André Reichardt . - Je remercie mes collègues pour leur vote. La majorité des présents ont compris que l'attente des Alsaciens ne pouvait être déçue. Je remercie mes amis mosellans...
M. Olivier Jacquin. - Lorrains !
M. André Reichardt. - Le vote d'une écotaxe pour l'Alsace ouvre la voie à un dispositif analogue pour la Lorraine.
En 2019, je doutais de la volonté du Gouvernement de mettre en oeuvre cette taxe par ordonnance ; c'est pourquoi j'avais proposé de l'inscrire dans la loi, ce qui avait été rejeté. Vous avez pris les ordonnances : dont acte. J'avais aussi demandé que la Collectivité européenne d'Alsace soit une collectivité à statut particulier. La question reste pendante..
Il est scandaleux, enfin, que la commission du droit local d'Alsace-Moselle n'existe plus depuis deux ans. Si vous ne faites rien, les élus locaux la feront vivre sans vous.
M. Gérard Lahellec. - Je remercie les rapporteurs pour l'exhaustivité et la précision de leur travail. Mais notre débat a renforcé les doutes que j'avais exprimés en discussion générale. D'abord, sur le principe même de la régionalisation de l'écotaxe dont l'assise juridique me semble fragile. Loin de moi l'idée d'insérer la Bretagne entre la Lorraine et l'Alsace (sourires), mais nous n'aimerions pas que cette taxe se retrouve chez nous, ce qui n'a d'ailleurs été proposé par personne ce soir...
Le groupe CRCE votera contre ce texte.
Mme Catherine Belrhiti. - Par solidarité départementale, je voterai contre ce texte. C'est une question d'équité entre les territoires.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je salue l'excellent travail de notre rapporteur et remercie la commission des lois pour ses travaux menés en collaboration avec notre commission.
Nous avons fait mieux que de clarifier les positions : nous avons fait des propositions constructives. Mais pour en arriver là, il a fallu beaucoup de travail. Philippe Tabarot, rapporteur de la loi Climat et résilience, n'a pas ménagé sa peine pour mettre, si j'ose dire, l'écotaxe sur les rails. Bravo pour ce travail collectif qui a pris en compte nos territoires.
À la demande du GEST, l'ensemble du texte est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°41 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 264 |
Pour l'adoption | 240 |
Contre | 24 |
Le Sénat a adopté.
Prochaine séance demain, mercredi 17 novembre 2021, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 55.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 17 novembre 2021
Séance publique
À 15 heures
Présidence : M. Gérard Larcher, président
Secrétaires : Mme Esther Benbassa - M. Pierre Cuypers
1. Questions d'actualité
À 16 h 30, le soir et la nuit
Présidence : M. Roger Karoutchi, Vice-président du Sénat, Mme Valérie Létard, Vice-présidente du Sénat
2. Projet de loi de finances rectificative, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 (n°147, 2021-2022) (demande du Gouvernement en application de l'article 48, alinéa 3 de la Constitution)