Compétences de la Collectivité européenne d'Alsace
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n°2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace.
Discussion générale
M. Joël Giraud, secrétaire d'État chargé de la ruralité . - Veuillez excuser Jean-Baptiste Djebbari, qui regrette de ne pouvoir être présent.
Le 3 août 2019 naissait la Collectivité européenne d'Alsace (CEA), fruit d'un travail étroit avec ce territoire et de notre politique de différenciation territoriale. Cette collectivité aura des compétences spécifiques, liées aux enjeux du transport transfrontalier : elle se voit transférer le réseau routier national, tout comme l'Eurométropole de Strasbourg sur son périmètre.
Des ordonnances prévues par l'article 13 de cette loi ont été prises en mai dernier ; ce projet de loi les ratifie. L'une de ces ordonnances instaure une taxe sur le transport routier de marchandises en Alsace, versée par les usagers poids lourds : l'article premier tend à la ratifier.
L'article 2 ratifie l'ordonnance précisant les dispositions relatives au transfert des routes nationales non concédées, avec un avis obligatoire du préfet.
Enfin, l'article 3 ratifie une ordonnance précisant les conditions dans lesquelles l'Eurométropole de Strasbourg reprend la maîtrise du grand contournement Ouest de Strasbourg.
Ce projet de loi repose d'abord sur le dialogue : entre l'État et la Collectivité européenne d'Alsace et entre la Collectivité européenne d'Alsace et les représentants des secteurs concernés par la contribution poids lourds.
Deuxième élément, la confiance. Les spécificités du territoire sont prises en compte et la Collectivité européenne d'Alsace conservera de larges marges de manoeuvre - dans le respect du droit européen -, que ce soit sur l'instauration de la taxe, son taux, les éventuelles exonérations, etc.
Je remercie les deux rapporteurs Jean-Claude Anglars et Stéphane Le Rudulier pour leur travail. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a apporté plusieurs modifications, dont certaines améliorent le dispositif. Ainsi sera-t-il possible de s'acquitter de la taxe sans équipement embarqué. D'autres améliorations techniques ont été apportées, au regard de la directive Eurovignette ou sur les agents habilités à relever les infractions. Il est également utile d'exiger des garanties supplémentaires aux prestataires en cas de consultation du système d'immatriculation des véhicules.
En revanche, d'autres modifications apportées par la commission nous semblent contrevenir au principe de libre administration des collectivités territoriales. L'article premier quater ajoute des critères environnementaux au-delà du nécessaire. Le recours à des sanctions automatisées dans les zones à faibles émissions ne nous semble pas adapté, pas plus que les modifications de procédure en cas d'infraction, d'où quatre amendements de suppression et un amendement de modification.
Ce texte était nécessaire pour rendre la Collectivité européenne d'Alsace pleinement effective. L'Alsace compte sur vous, le Gouvernement aussi.
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot et Mme Sylvie Vermeillet applaudissent également.)
Ce texte est singulier à tous égards. Sur la forme, nous discutons d'un projet de loi de ratification des trois ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi du 2 août 2019. Le dernier bilan annuel de l'application des lois de Mme Pascale Gruny relève que, dans leur écrasante majorité, les ordonnances ne sont pas ratifiées dans des conditions qui permettent au Parlement d'en débattre. Je me félicite donc de l'inscription à l'ordre du jour de ce projet de loi de ratification.
Sur le fond, ce texte sensible s'inscrit dans une histoire mouvementée. Je songe au feuilleton de l'écotaxe : expérimentation en 2006, généralisation en 2008, abandon en 2014 sur fond de contestations, notamment bretonnes. À ce jour, aucune réponse concrète n'a donc pu être apportée au problème des poids lourds que connaît l'Alsace depuis l'adoption en 2005 d'une taxe outre-Rhin, en particulier dans le sillon rhénan et sur l'A35, au nord de Strasbourg, empruntée chaque jour par 14 000 poids lourds. Cela suscite des coûts d'entretien supplémentaires et des externalités négatives considérables pour les riverains et les usagers : pollution de l'air, nuisances sonores, congestion, insécurité...
Dans ce contexte, le transfert, au 1er janvier 2021, à la Collectivité européenne d'Alsace et à l'Eurométropole de Strasbourg de la propriété des routes et autoroutes non concédées de leur territoire est à saluer. C'est une étape supplémentaire de la décentralisation.
Les trois ordonnances de ce texte sont nécessaires pour accompagner ce transfert. La première donne à la Collectivité européenne d'Alsace la possibilité de mettre en place une taxe poids lourds, pour entrer dans une logique d'utilisateur-payeur, réduire l'impact environnemental du transport de marchandises et rééquilibrer les flux de camions en transit. La Collectivité européenne d'Alsace aura une grande marge de manoeuvre sur les catégories de véhicules ciblés, le taux, les réductions et exonérations.
La commission est favorable à l'équilibre proposé. Elle a néanmoins souhaité l'améliorer. La loi Climat et résilience ouvre en effet aux régions la possibilité d'instaurer une taxe sur le transport de marchandises sur les voies concédées au titre de la loi 3DS, actuellement en navette. La taxe alsacienne pourrait ainsi servir de modèle aux futures taxes régionales : il faut donc que le modèle soit robuste et aisément transposable.
Nous avons également amélioré le droit d'information de la Collectivité européenne d'Alsace par l'État, clarifié le calendrier des délibérations, élargi les modalités de contrôle du respect de la taxe et accentué le caractère dissuasif des sanctions.
Notre second axe d'examen a été la concertation et l'évaluation. Les collectivités limitrophes sont en effet inquiètes des possibilités de report de trafic sur leurs voies. C'est pourquoi nous avons créé des dispositions de concertation entre acteurs publics locaux, avec un comité qui se réunira annuellement. Nous avons aussi renforcé l'exigence d'évaluation des reports de trafic sur les voies des collectivités voisines.
Troisième axe, l'anticipation des évolutions du droit européen, à commencer par la prochaine révision de la directive Eurovignette.
La deuxième ordonnance apporte une précision bienvenue pour la continuité du réseau routier. La commission y a apporté une précision, à la demande de la Collectivité européenne d'Alsace.
La troisième ordonnance a trait à la reprise par l'Eurométropole de Strasbourg des engagements contractuels de l'État sur l'A355.
Le texte, enrichi par notre commission et la commission des lois dont je remercie le rapporteur pour avis, permet de mieux accompagner la Collectivité européenne d'Alsace et l'Eurométropole de Strasbourg dans la mise en oeuvre de leurs nouvelles compétences. La commission s'est voulue à l'écoute des territoires concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) Je salue l'occasion qui nous est donnée de nous prononcer sur ces ordonnances. C'est bien rare, et nous déplorons que cela n'ait lieu que lorsque le Gouvernement s'aperçoit que des modifications situées hors du champ de l'application sont nécessaires... Notre assemblée s'est prononcée sur cette question tout récemment avec la proposition de loi constitutionnelle de Jean-Pierre Sueur. Il n'est pas acceptable que seulement 21 % des ordonnances aient été ratifiées sous ce quinquennat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et du GEST)
Les 20 amendements proposés par la commission visaient trois objectifs. D'abord, assurer à la Collectivité européenne d'Alsace des marges d'adaptation aux réalités locales en garantissant sa libre administration et un accompagnement adéquat par les services de l'État.
Ensuite, bâtir une taxe modèle, transposable par la suite aux collectivités territoriales volontaires. Nous avons recherché un équilibre entre adaptation aux réalités locales, à travers le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, et harmonisation nationale pour éviter les disparités de mises en oeuvre futures. Je regrette le dépôt d'un amendement de suppression de l'article premier quater par le Gouvernement. En la matière, une norme nationale serait plus protectrice, notamment en matière de risque contentieux, qu'une liberté totale donnée aux collectivités.
Enfin, assurer un meilleur rendement de la taxe à travers des moyens de contrôle renforcés et encadrés, une simplification des procédures et le rétablissement de la proportionnalité des sanctions. Je regrette, sur ce point, que le Gouvernement veuille revenir sur la procédure de régularisation sans pénalité pour les redevables occasionnels, les modalités de transaction et la faculté pour les forces de l'ordre d'installer des dispositifs de contrôle automatisé de la taxe. La commission des lois s'est bornée à ouvrir des facultés aux collectivités territoriales, de nature à consolider la taxation et à garantir la libre administration : je vous proposerai donc de rejeter les amendements du Gouvernement.
Je salue la qualité d'écoute du rapporteur Jean-Claude Anglars, qui a permis un travail commun de grande qualité. Le texte issu de nos travaux est équilibré répond à nos préoccupations partagées en faveur de la mobilité sur nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Claude Kern applaudit également.)
Renvoi en commission
M. le président. - Motion n°23, présentée par M. Masson.
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer le projet de loi à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
M. Jean Louis Masson . - Je suis personnellement favorable à ce texte et je salue la pugnacité des parlementaires alsaciens, qui n'ont pas baissé les bras face à l'adversité. Je souhaite qu'il aboutisse.
Mais pourquoi sommes-nous là ce soir ? Parce que l'excellente loi votée sous la présidence de M. Sarkozy, qui avait fait l'unanimité, a été torpillée. Le rapport de la commission aurait dû insister davantage sur les responsabilités de ceux qui sont à l'origine de ce retour en arrière. Ce ne sont pas seulement les bonnets rouges bretons, mais surtout les parlementaires qui ont fait de la surenchère et littéralement pourri la vie politique de l'époque : des gens qui avaient voté des deux mains le texte de Sarkozy et qui, se retrouvant dans l'opposition, ont fait de la surenchère contre cette même loi. Il aurait fallu le dire beaucoup plus fermement : ils ont fait preuve d'irresponsabilité.
C'est la raison de cette motion qui, si elle était adoptée, permettrait à la commission de clarifier les responsabilités en la matière.
M. André Reichardt . - Je suis défavorable à cette motion. D'abord, notre collègue Jean-Louis Masson s'est dit favorable au texte, sans manquer de féliciter ses collègues alsaciens... Pourquoi revenir en commission ?
Ensuite, ce texte est indispensable à la mise en oeuvre de la loi du 2 août 2019 pour instaurer une taxe transit poids lourds dans le fossé rhénan. Nous sommes en novembre 2021 : il est temps ! Je ne vois pas l'utilité d'un renvoi en commission.
Enfin, vous le savez bien, les Alsaciens attendent cette taxe depuis quinze ans. L'ex-député Yves Bur avait fait voter nuitamment une telle taxe, contre l'avis du Gouvernement ; elle avait ensuite été adoptée par le Sénat ; mais vos prédécesseurs, monsieur le ministre, n'ont pas brillé par leur rapidité pour la mettre en oeuvre.
Ce texte aura ouvert une voie au niveau national, en montrant qu'il est possible de mettre en oeuvre une telle taxe partout où c'est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur. - La commission n'a pas pu prendre connaissance de cette motion, arrivée tardivement. Mais à titre personnel, avis défavorable.
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Même avis.
La motion n°23 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Si le Parlement doit rester l'auteur incontournable de la loi, on ne peut que se réjouir de voir des ordonnances soumises à ratification. Ce projet de loi a été amélioré par le Sénat, et je salue le travail des rapporteurs et du président Longeot.
La commission a davantage encadré les ordonnances, ce qui était nécessaire car certaines dispositions prises pour la Collectivité européenne d'Alsace pourraient, à terme, être appliquées à d'autres territoires.
Sur l'écotaxe, coeur névralgique de ce texte, nous sommes parvenus à des équilibres intéressants, mais des points restent en suspens.
Les effets de bord sur les territoires limitrophes inquiètent élus et citoyens : pollution sonore, de l'air et de l'environnement, engorgement routier. Le sillon mosellan devra sans doute s'adapter.
Je salue l'article premier septdecies, qui prévoit une évaluation des reports de trafic sur les territoires voisins, mais je m'interroge sur les mesures qui seront prises ensuite. Comment atténuer rapidement les effets de bord ? L'article 137 de la loi Climat et résilience permet aux régions limitrophes d'instaurer un système similaire de taxe : nous attendons, monsieur le ministre, de pouvoir ratifier les ordonnances qui pourraient être prises en ce sens.
Ce texte est essentiel, mais gare à ne pas déplacer le problème ; une coordination nationale et européenne doit être engagée comme sur la directive Eurovignette, heureusement prise en compte dans ce projet de loi. La fiscalité est un sujet sensible au niveau européen.
Ces trois ordonnances constituent un tout cohérent pour la Collectivité européenne d'Alsace. Subsidiarité et décentralisation sont indispensables. Nous serons vigilants sur l'application : il faudra dupliquer les bonnes pratiques et analyser les blocages.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte.
M. Philippe Tabarot . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Replaçons ce texte dans son contexte. La taxe poids lourds arrive quelques mois après la loi Climat et résilience. Face aux craintes que soulève cette réforme, nous prônons le dialogue entre les territoires.
Ce droit d'alternative, issu d'un processus de long terme, a le mérite d'exister. Chaque acteur avait des inquiétudes légitimes : report de trafic, interopérabilité des systèmes, crainte de duplication de ce dispositif là où le transport de marchandises est un déterminant économique majeur, inquiétude des territoires limitrophes.
Impossible de passer outre ces appréhensions sans risquer une véritable levée de boucliers. Nous avons donc recherché le meilleur des compromis possibles. Rapporteur de la loi Climat et résilience, avec Mme de Cidrac et M. Martin, je me suis inscrit dans cette perspective.
Le deuxième alinéa de l'article 137 de la loi Climat, apport obtenu durement en commission mixte paritaire, prévoit que les collectivités limitrophes des régions volontaires seront consultées sur la mise en place de l'écotaxe. Nos rapporteurs ont décliné les modalités concrètes de cette concertation. Un comité permettra aux parties prenantes de se réunir en amont.
Pourquoi cette concertation ? Personne ne contestera à la Collectivité européenne d'Alsace de mettre en place le dispositif prévu, personne n'a oublié le report de trafic de l'Allemagne vers l'Alsace, dont les 16 500 poids lourds qui cherchent à échapper à la taxe allemande créée en 2005. La concertation associera donc les territoires voisins, dont la région Grand Est.
On rend aux collectivités territoriales le pouvoir qui leur est dû. Félicitations à nos deux rapporteurs. Chaque territoire a été respecté et écouté.
Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi équilibré et respectueux des territoires.
Pour conclure, cette ordonnance et la loi Climat et résilience, lues conjointement, démontrent qu'il convient d'aller au-delà de la seule taxation, qui ne peut être que punitive. Une écotaxe n'est pas une fin en soi ; il faut aussi accompagner et soutenir la décarbonation. Ce chemin est plus difficile, mais rend acceptable la transition du secteur routier vers un modèle plus vert. Le fret ferroviaire et fluvial doit également être encouragé. La route est tracée, il faut nous y tenir ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jacques Fernique . - Il était temps ! Merci aux rapporteurs d'avoir entendu l'exaspération des Alsaciens. Depuis vingt ans, le bassin rhénan pâtit d'un déséquilibre face à la redevance poids lourds suisse instaurée en 2001 et la LKW-Maut allemande en 2005. Conséquence : 6 300 camions supplémentaires roulent tous les jours sur les routes alsaciennes, soit 14 000 camions au quotidien autour de Strasbourg. Le contraste est accablant avec l'autre rive du Rhin, où le principe pollueur-payeur a permis de diminuer les nuisances et de développer le fret ferroviaire, aujourd'hui quatre fois plus important que le nôtre. Les performances économiques de notre voisin sont significatives et l'effet de bord massif ; pendant ce temps, l'Alsace déguste !
La loi de 2006, arrachée par les élus d'Alsace, a été balayée et l'écotaxe du Grenelle de l'environnement s'est fracassée. Les politiques publiques se sont révélées incapables d'agir et la procrastination a été chronique : la déception populaire a été massive face à une Europe incapable de se réguler dans la cohésion. Il faut écouter les citoyens et ne plus laisser l'Alsace désarmée.
Ce projet de loi de ratification précisera les paramètres de la taxe. Il reste beaucoup à faire et la taxe n'entrera pas tout de suite en vigueur.
Pour être à la hauteur, elle devra être au moins équivalente à la taxe allemande. Ne perdons plus de temps, ne retombons pas dans les travers qui ont tué les tentatives de 2006 et de 2008 : chaque année, de 2006 à 2012, le préfet se présentait devant le Conseil régional pour promettre la taxe pour l'année suivante. C'était devenu l'Arlésienne !
M. André Reichardt. - Exactement !
M. Jacques Fernique. - Le délai de six ans pour l'entrée en vigueur de la taxe est trop long et pourrait déresponsabiliser les collectivités. En fixant le délai maximum à trois ans, nous gagnerons en efficacité et en crédibilité. C'est d'autant plus important que la région Grand Est pourrait adopter un dispositif similaire.
Il faut anticiper les évolutions du droit européen et les inquiétudes des territoires voisins, mais cela ne doit pas être prétexte à l'immobilité. Quinze ans de renoncements, cela suffit ; en alsacien, je dirai : Jetzt geht's los ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)
M. Gérard Lahellec . - Nonobstant le travail de qualité de nos rapporteurs, ce projet pose des questions fondamentales.
Si l'on peut comprendre les collectivités territoriales qui subissent chaque jour les nuisances de la circulation des camions, toutes les régions ne sont pas confrontées aux mêmes réalités qui découlent de ces encombrements. En Bretagne, les circulations de transit ne sont pas les mêmes qu'en Alsace. Le jour où on le comprendra, on saisira les raisons de la révolte des Bonnets rouges.
Par ailleurs, je ne perds pas de vue qu'entre l'Alsace et la Bretagne, il y a la France.
M. Claude Kern. - Eh oui !
M. Gérard Lahellec. - Dès lors, devons-nous soutenir une décentralisation dans la République ou de la République ? La loi 3DS retient plutôt la première option. Nous ne sommes pas pleinement rassurés par les auditions auxquelles nous avons procédé et des ambiguïtés demeurent, comme celle de l'échelon de compétence territoriale en matière d'infrastructures de transport et de mobilité. La loi d'orientation des mobilités (LOM) prévoit que cette compétence incombe aux régions si les collectivités de base ne l'assument pas. En d'autres termes, les régions devront faire ce que les autres ne font pas. Gérer les restes n'est pas chose aisée, et cette ambivalence risque de générer des conflits entre différents niveaux de collectivités. En outre, les départements restent référents pour les infrastructures routières, d'où des risques d'incohérence.
Reste aussi la question du financement des services et des infrastructures alternatives à la route. Ainsi, les revenus de l'écotaxe régionale pourraient alimenter le budget général des collectivités, peut-être même pour entretenir les routes. Or, c'est le fret ferroviaire et les autres moyens qu'il faut développer ! C'est à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) de percevoir le produit de cette taxe.
Par ailleurs, il y a un risque de taxation de tous les camions, y compris ceux réalisant des trajets domestiques, en raison du droit européen ; c'est une des faiblesses des trois ordonnances qui nous sont soumises.
Plus fondamentalement, ce texte vise plus à répondre à des demandes anciennes qu'à définir un cadre vertueux pour une vraie régionalisation. Le CRCE ne le votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) La naissance, actée il y a deux ans, de la Collectivité européenne d'Alsace et le transfert de compétences sur les routes et autoroutes à cette collectivité nous permet d'examiner la mise en place d'une taxe poids lourds, très attendue en Alsace. La Collectivité européenne d'Alsace et l'Eurométropole de Strasbourg gèrent les routes et autoroutes non concédées qui relevaient jusqu'alors de l'État.
Certes, le Parlement est rarement favorable aux ordonnances, mais ce projet de loi de ratification arrive opportunément, quelques mois après l'examen de la loi Climat et résilience, qui autorise une écotaxe régionale dans les régions subissant des reports significatifs de poids lourds.
Enfin ! Car ce sujet de la LKW-Maut nous occupe depuis plus de quinze ans en Alsace, qui subit le report du trafic poids lourds de l'A5 allemande. Depuis lors, les camions de toute l'Europe passent par Strasbourg, Colmar et Mulhouse. L'Alsace voit ses infrastructures routières se dégrader, l'accidentologie augmenter, et subit la pollution sonore et atmosphérique.
Plus de 3 500 poids lourds de plus chaque jour ! Adrien Zeller avait déjà tenté d'instaurer ce dispositif il y a vingt ans ; Yves Bur avait bien proposé une taxe poids lourds en Alsace en 2005, mais elle fut abandonnée après la contestation des Bonnets rouges.
La loi de 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, instituant cette taxe à titre expérimental, a connu de nombreux revirements. On se souvient de la gabegie financière qui avait conduite à remettre en cause l'écotaxe après le coûteux déploiement des portiques...
J'apporte tout mon soutien au présent projet de loi, premier test qui pourrait être généralisé aux régions volontaires avec la loi 3DS.
Je salue le travail des rapporteurs qui adaptent le texte.
Reste que les transporteurs français seront pénalisés. Le droit européen n'autorisant pas de différence de traitement selon la nationalité des transporteurs, quelles sont nos marges de manoeuvre pour protéger, in fine, les finances des consommateurs ? Peut-on prévoir par exemple une compensation pour les transporteurs français ?
S'agissant du report sur des axes gratuits, des solutions sont proposées par le rapport de M. Pointereau et Mme Bonnefoy. Un traitement pragmatique cette question est la condition de l'acceptation de cette loi.
En l'état, la grande majorité du groupe UC votera ce texte. À l'heure de la COP26, c'est une réelle avancée, qui répond aux attentes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDPI)
La séance est suspendue à 20 heures.
présidence de M. Pierre Laurent, vice-président
La séance reprend à 21 h 30.
M. le président. - Je vais devoir suspendre pour quinze minutes, en attendant la venue du ministre.
M. Jean-Marc Todeschini. - Il n'a pas déjà démissionné ?
La séance, suspendue à 21 h 31, est reprise à 21 h 45.