Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes . - Je suis ravi de vous retrouver ce soir, après le sommet informel de la semaine dernière, en Slovénie. L'ordre du jour du Conseil européen de la fin octobre sera dense et à nouveau marqué par la question sanitaire. Le numérique, dont la sécurité, la protection contre les cyberattaques et la régulation, sera aussi abordé. Enfin, le prix de l'énergie et les questions migratoires seront évoqués, tout comme les sommets Asie-Europe et Indo-Pacifique, le partenariat oriental et les prochaines COP.
Sur le volet sanitaire : tout en restant prudents, félicitons-nous du travail accompli. Nous touchons au but grâce aux campagnes de vaccination, permettant la maîtrise de la pandémie malgré les variants. Ce bouclier vaccinal devra toutefois être déployé dans le reste du monde, avec 70 % de la population mondiale vaccinée fin 2022, conformément aux objectifs de l'OMS. Les pays les plus pauvres ont besoin de notre aide, d'où les annonces du doublement des dons de vaccins, avec 120 millions de doses évoquées par le Président de la République le 26 septembre. La présidente de la Commission européenne a, elle, annoncé le 15 septembre 250 millions de doses supplémentaires au niveau européen.
L'Europe doit continuer à coordonner les règles de déplacement pour se prémunir des nouveaux variants. C'est à cette condition que la reconnaissance des passes sanitaires entre régions du monde aura lieu : c'est déjà le cas avec la Suisse et le Royaume-Uni.
Le paquet santé doit voir son ambition rehaussée, avec une agence sanitaire européenne, la Health emergency response authority (HERA), qui nous aidera à faire face à de futures pandémies et nous élèvera au niveau de la Biomedical advanced research and development authority (Barda) américaine, qui s'est révélée très efficace pour le développement des vaccins.
Une priorité de la présidence française de l'Union européenne sera la création d'une doctrine européenne sur le numérique : il s'agira d'innover et de réguler les grands acteurs qui occupent parfois une place excessive. Cela pourra servir de modèle pour le reste du monde, comme pour la protection des données. Les projets législatifs Digital Services Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA) seront centraux, et j'espère que nous obtiendrons un accord au Conseil sous la présidence française de l'Union européenne.
Les données, l'intelligence artificielle, l'identité numérique et l'itinérance seront également abordées. Il faut développer nos infrastructures mais aussi l'éducation à cette nouvelle grammaire numérique : c'est le sens de la Boussole 2030 portée par Thierry Breton.
Des menaces nouvelles pèsent sur le numérique. Il faut réguler le cyberespace, lutter contre les cyberattaques, développer un dispositif européen de gestion de crise, et mettre nos compétences en commun. À terme, une agence européenne serait souhaitable comme le Président de la République l'a proposé lors de son déplacement en Lettonie et en Lituanie en septembre 2020.
L'augmentation des prix de l'énergie a été évoquée lors du sommet informel de la semaine dernière et elle le sera à nouveau fin octobre. Elle révèle une dépendance européenne aux énergies fossiles : la France est bien placée à cet égard, notamment grâce au nucléaire. Mais nous devons nous préoccuper de son avenir, en nous battant pour son inclusion dans la taxonomie de la transition écologique, mais aussi sur les règles de fonctionnement du marché unique. Celui-ci doit être préservé, mais les règles de fixation des prix devront être revues.
À court terme, toutefois, les mesures d'urgence nationales, annoncées par le Premier ministre sur les prix du gaz et de l'électricité, que d'autres pays européens ont également déployées selon diverses modalités, et que la Commission européenne a proposé d'accompagner, doivent être mises en oeuvre. Sur le paquet Fit for 55, il faut accélérer la transition énergétique. Deux dispositifs devront accompagner la décarbonation : un fonds d'accompagnement social en Europe, pour soutenir les ménages et, à l'extérieur, un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.
La question des migrations externes sera abordée, avec la mise en place d'une politique européenne commune d'asile et de migration. La crise afghane nous presse davantage pour avancer sur ce chantier. L'aide au développement nous permettra de traiter les phénomènes migratoires à la racine. L'Union européenne est le premier contributeur mondial en matière d'aide au développement.
Sur les questions extérieures, le sommet du dialogue Asie-Europe sera un événement majeur. Il en ira de même pour la question indopacifique, à la lumière de l'Aukus : nous plaiderons en faveur d'une stratégie européenne dans cette région.
Le sixième sommet sur le partenariat oriental se tiendra le 15 décembre à Bruxelles, après quatre ans de reports en raison de la pandémie, de la grave dérive de la Biélorussie et du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'Union européenne reste engagée dans la région. Si ce partenariat demeure essentiel, il ne doit pas être compris comme une politique d'élargissement. C'est un format de coopération ad hoc.
Les COP15 et 26, fin 2021, seront aussi évoquées. La COP26 aura lieu à Glasgow et la COP15 à Kunming en Chine. Conformément à l'accord de Paris, les 191 parties devront remettre leur contribution. Au 14 septembre, seules 116 d'entre elles, représentant à peine plus de 50 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, avaient répondu, dont l'Union européenne. De plus, certaines règles de l'Accord de Paris doivent être agréées pour atteindre les 100 milliards d'euros d'investissement en faveur du climat, objectif qui n'est pas atteint aujourd'hui. Le 6 octobre, l'Union européenne a adopté un mandat pour s'impliquer plus activement.
En matière de biodiversité, la France souhaite un cadre chiffré pour la restauration des écosystèmes et l'utilisation durable des ressources naturelles. L'échéance, fixée à 2030, devra mobiliser des ressources financières et prévoir un mécanisme de suivi efficace.
L'actualité pourrait étoffer le volet externe de ce sommet. Une dernière réunion aura lieu sous présidence slovène en décembre, avant que ne commence la présidence française de l'Union européenne. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission) Dans un contexte de dégradation globale de l'environnement stratégique, le Conseil européen revêt une importance particulière. Le retrait des États-Unis d'Afghanistan et la volte-face de l'Australie nous poussent à repenser notre rôle au sein de l'OTAN. Les incursions aériennes chinoises autour de Taïwan sont préoccupantes.
Le Conseil européen devra exiger le respect scrupuleux par le Royaume-Uni de l'accord du Brexit. Nous serons attentifs et exigeants, mais la France doit aussi poursuivre le dialogue bilatéral : coopération en matière de défense, notamment pour le développement de missiles de nouvelle génération.
Nous saluons la réaction du Gouvernement face au refus d'accorder des licences aux bateaux de pêche français. Notre pays pourra-t-il mobiliser ses partenaires européens ? Il y va de la crédibilité de l'Union.
Ensuite, la France doit pouvoir influer sur l'élaboration de la boussole stratégique de l'Union, sorte de livre blanc stratégique de l'Europe. Son adoption est une priorité de la future présidence française. Il faudra éviter deux écueils. D'abord, il conviendra d'affirmer la spécificité de l'Union, dont les intérêts sont distincts de ceux des États-Unis, notamment en Turquie et dans la zone indopacifique. L'actualisation du concept stratégique de l'OTAN ne doit pas interférer avec celui de la boussole stratégique. Comment l'Union pourra-t-elle mener cet exercice en toute indépendance ?
Par ailleurs, cette boussole ne saurait imposer une vision française de ce que doit être la défense de notre continent : il faut en convaincre nos partenaires, dialoguer plus et affirmer moins.
Enfin, comment parler de nos objectifs stratégiques sans évoquer le dossier scandaleux de l'application de la directive européenne sur le temps de travail aux armées ? Le Sénat a plusieurs fois attiré l'attention du Président de la République sur cette question et une affaire est pendante devant le Conseil d'État. On nous dit que la France pourrait renoncer à invoquer l'incompétence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), alors que Mme Parly a promis de tout faire pour que ce ne soit pas le cas. Pouvez-vous démentir ces rumeurs et confirmer que tout sera fait pour faire respecter la position française ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Cédric Perrin, vice-président de la commission. - Une telle décision menacerait la spécificité du modèle de l'armée française. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - La réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre abordera la préparation de la COP26 et de la COP15. Le suivi de ces négociations environnementales est une priorité pour notre commission.
Nous avons rappelé à Stéphane Crouzat, ambassadeur pour le climat de notre pays, que la COP26 de Glasgow, qui se tiendra du 1er au 12 novembre 2021, sera la plus lourde d'enjeux depuis l'Accord de Paris. La France et l'Union européenne doivent rester les moteurs de la négociation climatique internationale, comme ils le furent à l'occasion de la COP21. C'est le sens d'une proposition de résolution de Didier Mandelli, que j'ai cosignée avec Ronan Dantec, qui sera examinée ici le 2 novembre prochain. Elle propose plusieurs orientations qui seront, je l'espère, partagées par nos partenaires européens, pour assurer le respect des engagements souscrits par les États.
Sans garantie de réciprocité, l'édifice auquel nous sommes parvenus à Paris ne tiendra pas. La mobilisation de 100 milliards de dollars par an par les pays développés pour aider ceux en développement est impérative. Nous souhaitons par ailleurs que les États parties se saisissent de l'article 7 de l'accord en se fixant un objectif en matière d'adaptation aux changements climatiques égal à celui fixé en matière d'atténuation. Nous en reparlerons le 2 novembre lors de l'examen de notre proposition de résolution.
En Chine, la première séquence de la COP15 sur la biodiversité a commencé lundi. La seconde partie se tiendra du 25 avril au 8 mai à condition que la pandémie n'interfère plus dans le calendrier. Tout comme le climat, la biodiversité fait face à une crise d'une ampleur inégalée. La France a présenté des objectifs ambitieux avec 30 % du territoire protégé dont 10 % sous protection forte. Nous l'avons inscrit dans la récente loi climat et résilience. Cette ambition doit devenir mondiale et les pays en développement doivent être accompagnés sur cette voie.
La décennie à venir est décisive ; la communauté scientifique le rappelle. Les financements néfastes à la biodiversité doivent disparaître, tandis que les outils de finance durable et l'aide publique doivent être mobilisés.
Le Congrès mondial de la nature de Marseille a été l'occasion d'explorer des pistes convergentes. Il s'agit maintenant de leur donner une épaisseur politique et de décliner les actions dans chaque État.
J'invite le Gouvernement à se saisir des enjeux majeurs pour que l'Union européenne fixe des caps ambitieux. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur diverses travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Comme depuis le début de la crise sanitaire, le Conseil européen sera l'occasion d'échanger sur la réponse à lui apporter. Le budget de l'Union est l'un des outils pour atténuer les conséquences de l'épidémie. Les prévisions de la Commission européenne sont optimistes, avec une croissance de près de 5 % de la zone euro. Le niveau de l'endettement des États membres reste élevé, mais il n'est pas le seul nuage d'incertitude auquel nous faisons face. À peine les entreprises et les ménages retrouvent-ils de l'oxygène qu'ils se heurtent à la hausse vertigineuse des tarifs de l'énergie qui menace la reprise.
La forte augmentation du prix de la tonne de carbone sur les marchés d'échange de quotas de CO2 serait responsable de 20 % de la hausse du prix du gaz. Celle du prix de l'électricité est également liée à la hausse du gaz, via le marché européen de l'énergie. Cette situation constitue une menace réelle quand les cours du gaz ont été multipliés par sept en six mois. C'est dangereux et injuste pour les consommateurs français, alors que notre production électrique est largement décarbonée.
Le déploiement des énergies renouvelables n'est pas encouragé en raison de la non-prise en compte de leur impact sur les prix de l'électricité. C'est un comble. Les États membres doivent élaborer un scénario commun pour faire face à la flambée des prix de l'énergie.
L'une des priorités est de réduire la facture pour les ménages et pour les entreprises. Les États sont en première ligne, grâce à des mesures budgétaires et fiscales, encouragées par la Commission européenne. Celle-ci a, aujourd'hui même, évoqué une boîte à outils pour faire face à l'augmentation des prix de l'énergie. Elle encourage notamment les mesures nationales temporaires pour limiter l'impact de la hausse sur les ménages. Le Gouvernement propose un bouclier tarifaire, constitué par un gel des tarifs réglementés du prix du gaz et une baisse des taxes sur l'électricité. Les mesures d'accompagnement des fournisseurs paraissent insuffisantes à ce stade. Les entreprises, quant à elles, subissent aussi de plein fouet cette hausse. La Commission européenne incite les États membres à les soutenir avec un assouplissement exceptionnel du régime des aides d'État. Qu'a prévu le Gouvernement ?
À l'aube de l'hiver, face à la guerre de l'approvisionnement et dans un marché de l'électricité particulièrement intégré, il faut davantage coordonner les mesures proposées. « L'Europe qui protège », expression souvent utilisée par le président de la République, doit contribuer à assurer la sécurité énergétique de nos concitoyens.
La souveraineté européenne est une priorité que la France doit s'attacher à défendre lors de sa future présidence. Monsieur le ministre, soyez au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Le Conseil européen se réunira dans huit jours avec un ordre du jour chargé, mais il ne traitera pas tous les sujets épineux du moment.
Il laissera de côté le défi existentiel posé par la décision de la juridiction suprême polonaise. Il ne répondra pas non plus à la stratégie que devrait adopter l'Union européenne face aux provocations britanniques, tant pour la pêche que pour la frontière nord irlandaise. Il y a pourtant urgence.
La pandémie reste à l'ordre du jour sans occuper le devant de la scène, et c'est heureux. Pour en sortir définitivement, nous sommes face au défi de l'accès équitable au vaccin sur toute la planète. Ce n'est pas de la charité mais une question de santé publique intelligente dans l'intérêt de tous. Et pourtant l'Union européenne n'atteint pas ses objectifs de dons. Via Covax, elle envisage de fournir des vaccins AstraZeneca aux plus jeunes dans les pays en développement - alors qu'il est réservé aux plus de 55 ans en France ! La priorité doit-elle être à la troisième dose en France ?
La flambée des prix de l'énergie sera au programme. Se nourrissant de la reprise, cette hausse pourrait la compromettre.
Notre continent révèle sa fragilité, trop dépendant de l'approvisionnement extérieur. Nous nous retrouvons tributaires des fournisseurs d'énergie fossile, notamment du géant gazier russe.
L'Ukraine, privée de droits de transit par Nord Stream 2, serait fragilisée. La France saisira-t-elle cette opportunité pour réclamer plus de sécurité énergétique pour notre continent ? Sans remettre en cause la transition écologique, l'Union doit promouvoir le nucléaire.
L'appel de la France et de dix autres pays européens a-t-il des chances d'être entendu ?
Le flux de migrants enfle aux portes de l'Europe, tant au sud qu'à l'est, et le retrait américain d'Afghanistan accentuera la pression. Dans mon département, je constate une tension croissante sur le littoral : de plus en plus de migrants tentent de franchir la Manche. C'est désormais une frontière extérieure de l'Union, et donc de ce fait une problématique européenne.
Depuis la crise migratoire de 2015, l'Union se contente de mesures d'urgence. Comment débloquer la négociation sur le pacte immigration et asile, qui s'enlise ?
Je ne m'étendrai pas sur le numérique, malgré l'enjeu stratégique de l'autonomie informationnelle de l'Europe. Mme Morin-Desailly y reviendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Catherine Morin-Desailly et M. André Gattolin applaudissent également.)
M. Patrice Joly . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La crise sanitaire et économique que nous traversons nous pousse à avoir un regard exigeant vis-à-vis de l'Union européenne. Nous devons nous assurer que les décisions du futur Conseil seront à la hauteur des enjeux.
La hausse spectaculaire et continue des prix de l'énergie a des conséquences dramatiques sur l'économie et, selon le Secours populaire, elle précarise une partie des ménages. Nous attendons des mesures rapides de Bruxelles.
Je regrette que l'Eurogroupe se soit caché derrière le caractère temporaire de la hausse des prix pour ne pas agir. Quelle est la crédibilité du couple franco-allemand ?
La seule façon de ne plus subir les fluctuations de prix des énergies fossiles est de sortir de ces énergies. La France doit saisir l'occasion du Green Deal, qui doit définir une politique énergétique commune pour accélérer le déploiement des énergies bas carbone.
J'en viens au plan de relance européen. Il a fallu une tragédie sanitaire d'ampleur mondiale pour qu'une initiative voit le jour - même si les 750 milliards d'euros, dont une moitié de prêts, apparaissent encore trop timides. Ce plan représente à peine 6 % du PIB de l'Union contre 20 % pour le plan américain.
Les politiques de retraite, d'assurance chômage ou d'assurance sociale sont en revanche toujours plus rigoureuses, qui s'inspirent d'une idéologie néolibérale. La France s'est engagée à réduire ses dépenses publiques, ce qu'elle fait sur l'assurance chômage et qu'elle s'apprête à faire pour les retraites.
Avec ce plan de relance, notre pays va davantage payer que recevoir, et devra en plus réduire ses dépenses sociales. Bref, nous paierons deux fois. Les effets économiques seront forcément limités. Belle contradiction : on accélère tout en freinant.
Peut-on financer l'Union autrement que par les contributions des États-membres et l'emprunt ? C'est la question de la fiscalité et de la lutte contre la fraude, révélée par les Pandora Papers (Mme Nathalie Goulet approuve.) qui démontrent que 11 300 milliards de dollars sont placés dans des paradis fiscaux.
L'évasion fiscale fait perdre plus de 1 000 milliards d'euros par an à l'Europe, soit six ans de budget européen !
Chaque euro soustrait à l'impôt est autant d'argent qui ne bénéficiera pas à l'intérêt général. Nous en avons pourtant grandement besoin. (Mme Nathalie Goulet approuve derechef.)
Nous devons lutter contre les paradis fiscaux partout dans le monde. Or presque aucun État cité dans les Pandora Papers n'est dans la liste noire des paradis établie par l'Union ; je pense au Luxembourg et à Chypre. Pire, en plein milieu du scandale, l'Union européenne a retiré trois pays de sa liste en toute opacité.
L'OCDE a noué un accord pour un nouveau cadre fiscal des multinationales. Je crains que le taux de 15 % soit davantage un plafond qu'un plancher.
L'ICRICT plaide pour un taux à 25 %, qui est également défendu par des spécialistes européens dont Thomas Piketty : 25 % rapporteraient 26 milliards d'euros à la France, contre 6 milliards avec un taux de 15 %.
Il est urgent d'agir. Nous manquons de courage politique au niveau européen. La rigueur à perpétuité et le renoncement à taxer les riches créent de la désespérance, nourrissent le populisme et minent la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. André Gattolin . - (M. Alain Richard applaudit.) Le prochain Conseil sera l'avant dernier avant la présidence française. L'ordre du jour ne laisse guère transparaître les ambitions de la future présidence française. On est plutôt dans le business as usual : covid, numérique, migrations et, seule nouveauté, le prix de l'énergie, qui fait une entrée fracassante dans l'agenda. Un débat stratégique sur la politique commerciale de l'Union européenne sera aussi organisé. Qu'en sera-t-il des négociations avec l'Australie, actuellement suspendues après le coup de Trafalgar de l'Aukus ? Les dirigeants européens seront-ils tentés de poursuivre les négociations, oubliant leur devoir de solidarité avec la France ?
S'agissant de la transition énergétique, les voies de la taxonomie sont parfois impénétrables...
Nous ne connaissons pas encore les priorités de la France à l'occasion de sa présidence au premier semestre 2022. L'incertitude est devenue le véritable maître des horloges européennes. L'attente de la formation du Gouvernement allemand pèse sur le partenariat franco-allemand.
Quelle que soit la sympathie pour chacun des trois dirigeants qui se sont succédé à la présidence du Conseil européen, ce n'est guère plus qu'un secrétariat général, sans grand poids politique...
La présidence slovène n'a pas été l'occasion d'une politique européenne plus ambitieuse. Les piques répétées à l'endroit de la présidente de la Commission et du Parlement européen ne sont pas dignes d'une présidence européenne. J'ai été sidéré par l'entretien que Janez Jansa a récemment accordé à Euronews, seule chaîne publique d'information européenne et d'ailleurs en grande difficulté financière. Ses propos étaient édifiants quant à sa méconnaissance des mécanismes de l'Union. Il l'accuse ainsi de détourner la notion « d'État de droit ». Il a argumenté que la liberté de la presse et l'indépendance de la justice relèvent de chaque État-membre et que c'est à chacun d'en définir la nature.
Monsieur le ministre, quelle sera la position de la France concernant les investissements entre l'Union et la Chine ? Mme Merkel et sa majorité semblaient y tenir particulièrement. Stop ou encore ?
La Commission européenne a présenté le 5 mai une proposition de Règlement pour s'attaquer aux distorsions causées par les subventions des puissances étrangères au sein du marché unique, qui vise la Chine. La France en fera-t-elle une priorité de sa présidence ?
Mon groupe est attaché au respect des libertés académiques. Nous ne pouvons accepter les ingérences étrangères extra-européennes. La présidence française de l'Union devrait être le fer de lance sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Colette Mélot . - Dans ses Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand s'interrogeait sur les chances d'une jeune Europe. Avec la crise, une nouvelle Europe est née, qui a beaucoup à offrir à ses citoyens, ses entreprises et sa jeunesse, mais doit se donner les moyens d'atteindre ses objectifs.
J'entends délivrer un message europtimiste. Pour cette raison même, je serai critique.
L'Europe doit bâtir sa souveraineté, en particulier dans les domaines stratégique et industriel.
Quel que soit le président américain, l'Union européenne doit rester seule maîtresse de son destin ; l'Aukus, revers pour la France mais aussi toute l'Europe, l'a bien montré. Le « en même temps » européen vis-à-vis d'une Chine qui se durcit ne peut plus durer.
Nous devons développer une véritable stratégie européenne de défense et d'armement. Ne restons pas dans nos atermoiements quand les autres avancent leurs pions !
Monsieur le ministre, quel sera votre message au Conseil européen sur ce sujet ? Quelle est votre position sur le livre blanc de la défense européenne ?
Au sein de l'OTAN, nous ne sommes pas les obligés de nos alliés ; ne soyons pas suiveurs.
Le dossier afghan appelle des réflexions sur le pacte asile et immigration.
Dans le domaine industriel, l'Union européenne a prouvé qu'elle peut agir. Je pense en particulier au travail remarquable de notre commissaire, Thierry Breton, sur le vaccin.
La souveraineté numérique est primordiale, comme le montre la négociation sur les directives DSA et DMA. La guerre des données ne fait que commencer. Le sujet des propos haineux sera central, et l'échelon européen est pertinent pour lutter contre ces dérives.
La présidence française de l'Union européenne doit faire du cyberharcèlement, notamment en milieu scolaire, une grande cause européenne. Nos jeunes sont notre futur : protégeons-les !
Des efforts industriels dans le domaine de l'énergie sont nécessaires. Un de nos fleurons français remplit les objectifs, mais est menacé : je veux parler du nucléaire, que la taxonomie verte européenne ne peut exclure. Nous avons besoin dans notre mix énergétique d'une part de nucléaire, même appelée à se réduire.
Les énergies renouvelables nécessitent des moyens industriels dédiés. Comme pour les batteries, l'Union européenne doit mener un travail de coopération. Quels dossiers prioritaires la présidence française de l'Union européenne défendra-t-elle ?
Enfin, la Pologne a dépassé une limite en remettant en cause la primauté du droit européen. La réaction doit être à la hauteur de l'enjeu : la survie de l'Union européenne.
L'Union européenne est aujourd'hui en danger. Quelle vision la France compte-t-elle défendre pour la réinventer ? (M. André Gattolin applaudit.)
M. André Reichardt . - (M. Guillaume Chevrollier applaudit.) Lors de son discours sur l'état de l'Union, Ursula von der Leyen a affirmé que le temps du coronavirus n'était pas encore derrière nous. Si certains États voient la lumière au bout du tunnel, la situation à l'Est est préoccupante. Le contraste est saisissant entre le Danemark, qui a levé toutes ses restrictions, et la Roumanie et la Bulgarie.
Le fossé qui se creuse ne sera pas aisé à combler ; il devra pourtant l'être. Car tant que tout le continent ne sera pas sorti de la crise, nous resterons vulnérables.
Schengen doit revenir à son fonctionnement normal, et il faut bâtir un cadre évitant les nouvelles fermetures anarchiques de frontières. En Alsace comme dans les autres régions frontalières, ces fermetures ont mis à mal l'économie et la vie quotidienne. Le cadre de coordination doit tenir compte de ces régions, où la libre circulation n'est pas seulement un principe à défendre, mais une nécessité absolue.
L'Europe doit également accélérer la transition numérique et oeuvrer à la cybersécurité, devenue un enjeu décisif. Alors que la numérisation est source d'opportunités comme de menaces, je me félicite des initiatives pour une Union de la cybersécurité. Le futur hub de sécurité informatique nourrit de fortes attentes ; il assurera la mise en commun d'investissements et apportera une expertise aux PME de la cybersécurité.
En matière de relations extérieures, les recompositions s'accélèrent dans la zone indopacifique. La Chine se montre de plus en plus hégémonique, les États-Unis de plus en plus soucieux de la contrer. Après le récent camouflet qu'elle a subi, la France a été inégalement soutenue par les autres États membres.
Les intentions de la Commission européenne sont louables, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Il faut développer l'autonomie décisionnelle de l'Europe.
Nous ne devons pas nous laisser entraîner dans la rivalité sino-américaine : ni alignement pavlovien sur les États-Unis, ni complaisance mercantiliste à l'égard de la Chine. Beaucoup de travail reste à faire pour que l'Europe existe dans cette région du monde qui concentrera à l'avenir tous les appétits et tous les dangers.
À l'autre bout de l'Asie, la situation afghane requiert notre vigilance, pour des raisons humanitaires - le régime barbare des talibans est de retour -, mais aussi migratoires. À l'occasion de mes travaux avec Jean-Yves Leconte sur le pacte sur l'asile et les migrations, j'ai pu mesurer le risque des nouvelles routes de la migration et du chantage biélorusse. Les États membres doivent être prêts à toute éventualité.
Il faut accélérer la mise en oeuvre du plan d'action adopté par les ministres de l'intérieur pour éviter le scénario de 2015, qui avait failli emporter la libre circulation des personnes. (M. Marc Laménie et M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent.)
M. Jacques Fernique . - (M. Guillaume Gontard applaudit.) Les points à l'ordre du jour du prochain Conseil européen sont disparates, mais révèlent le besoin d'un recentrage sur les fondamentaux européens, à commencer par la défense du climat et de la biodiversité. En la matière, c'est aujourd'hui que se joue notre réussite ou notre échec !
Nous devons travailler à l'acceptabilité économique et sociale de la nécessaire transition énergétique, dans une conjoncture tendue.
De même, il faut instaurer un encadrement démocratique du secteur numérique et garantir l'égalité face à l'impôt, dont l'affaire des Pandora Papers illustre la nécessité. Un taux minimal d'imposition sur les sociétés doit effectivement s'appliquer.
Nous devons aussi faire vivre l'état de droit, défendre la primauté des règles européennes et lutter contre les fantasmes anti-migrants. Nous attendons du Gouvernement des engagements clairs dans ces domaines.
La précarité énergétique explose - elle concerne une famille sur cinq en France. Sortir des millions d'Européens de cette situation doit être une priorité.
Ne nous y trompons pas : c'est la sobriété, l'efficacité et la rénovation qui sont la clé pour y parvenir, pas le nucléaire. Les économies d'énergie, le développement des énergies renouvelables et les progrès en matière de stockage de l'électricité sont les leviers de la transition. Le gaz et le nucléaire ne sont pas des énergies vertes ! Nous regrettons la position rétrograde du Gouvernement à cet égard.
Après les Panama Papers, les Pandora Papers : la cupidité des uns et la complaisance des autres nous privent de moyens qui pourraient servir aux investissements collectifs. Nous devons assurer la transparence, contrôler les flux et supprimer les paradis fiscaux, au lieu de chercher à alléger les taxes sur les géants du numérique.
Enfin, nos élections nationales ne devront pas éclipser la présidence française de l'Union européenne.
Monsieur le secrétaire d'État, il faudrait rompre avec la pratique détestable du sponsoring des présidences par des marques privées. Une pétition initiée par des ONG vous y invite. En avez-vous l'intention ? (M. Guillaume Gontard applaudit.)
M. Pierre Laurent . - La tension s'accroît sur les côtes de la Manche, alors que les Britanniques jouent avec le feu. Nous payons cher les surenchères nationalistes.
La Grande-Bretagne bafoue l'accord signé avec l'Union européenne sur les licences de pêche. La colère des marins est légitime. Comment comptez-vous les défendre dans les jours qui viennent ?
Plus largement, le pilotage par les intérêts financiers et la concurrence risque de mener l'Europe à d'autres déchirements.
Il y a longtemps, malheureusement, que les clés du camion ont été remises aux logiques capitalistes. Climat, alimentation durable, sécurité collective, solidarité : il est urgent de changer de logiciel ! L'Europe ne peut plus laisser le progrès social en cale sèche.
Alors que les poussées nationalistes sont le revers de la guerre économique, il faut inverser la vapeur sur les priorités sociales, défendre un projet de progrès social et de sécurité humaine.
À quand la mise en commun de la recherche, la levée des brevets, le retrait des dépenses de santé des critères budgétaires ? À quand un fonds social et écologique financé à taux nul par la BCE ? À quand la fin de la course folle au recul de l'âge du départ à la retraite, alors que l'Europe compte 15 millions de chômeurs ?
Une nouvelle ambition sociale pourrait sonner le réveil des continents. Malheureusement, le sommet social de Porto n'a débouché que sur un catalogue d'intentions non contraignantes. Où en est le salaire minimum européen ? La Confédération européenne des syndicats demande un seul de décence, c'est dire où nous en sommes... Quelle norme notre pays défend-il ?
Sur les travailleurs des plateformes, le Gouvernement compte-t-il utiliser la proposition de la députée européenne Leïla Chaibi sur la requalification des travailleurs ubérisés en salariés ? Nous ne devons pas accepter le passage d'une société de services à une société de serviteurs, pour reprendre la formule de notre collègue Pascal Savoldelli, auteur d'un rapport d'information dont le Gouvernement ferait bien de s'inspirer.
Quelle est la position française sur l'avenir du pacte de stabilité budgétaire ? Ses règles ont volé en éclat avec la pandémie, et c'est heureux. Allons-nous les abandonner définitivement, au profit d'un nouveau modèle de protection sociale et de reconstruction industrielle ?
Notre collègue Éric Bocquet l'a justement dénoncé : deux jours seulement après les Pandora Papers, les ministres des finances de l'Union européenne ont retiré trois territoires de la liste des paradis fiscaux... (Mme Nathalie Goulet approuve.) Pendant ce temps, rien n'est prévu pour agir sur le coeur de la machine à optimiser, notamment au Luxembourg.
Quelle interprétation faites-vous de l'accord sur le taux d'imposition minimal ? Le considérez-vous comme une cible ou un plancher ?
L'Europe juste et solidaire ne doit pas rester un mot creux ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
Mme Catherine Morin-Desailly . - Charles Michel a déclaré voilà quelques jours que, entre le modèle américain du business above all et le modèle chinois autoritaire, il y avait place pour un modèle européen attractif et humano-centré dans la transition numérique.
On ne peut plus juste, ce propos fait écho à la conclusion de notre mission d'information sur la gouvernance d'internet : l'Europe doit faire entendre sa voix ! Nous avons formulé cinquante propositions plus que jamais d'actualité : adopter une régulation offensive, développer une ambition industrielle, promouvoir l'appropriation citoyenne d'internet.
Le numérique est l'un des sept axes de la stratégie Europe 2021, mais celle-ci ne se préoccupe que des usages et non du devenir des citoyens européens.
La concurrence opérée par les GAFAM est déloyale, les atteintes aux libertés fondamentales sont préoccupantes. Les révélations de la lanceuse d'alerte Frances Haugen devant le Sénat américain sont éloquentes - bien plus intéressantes que les propos de Mark Zuckerberg, silencieux sur les dérives de sa société.
Avec Thierry Breton, la Commission européenne change enfin de braquet, avec deux propositions : le DSA, sur les droits fondamentaux, et le DMA, qui rééquilibre ex ante les relations entre les plateformes et leurs utilisateurs.
Notre commission des affaires européennes a chargé Mme Blatrix Contat et moi-même d'évaluer ces propositions. Le prochain Conseil européen doit progresser dans la définition d'un compromis, car des divergences demeurent.
Il faut mieux prendre en compte les écosystèmes des plateformes pour reconnaître les points de passage obligés, accélérer la désignation des gate keepers, assurer la portabilité des données et renforcer l'effectivité des interdictions, notamment celle d'utiliser les données des utilisateurs sans leur consentement et celle de contraindre à recourir à des services accessoires, comme les services de paiement.
Une coordination forte est nécessaire, avec un réseau européen de la régulation numérique. Les entreprises utilisatrices doivent être associées à la mise en oeuvre du règlement, en particulier pour les mesures correctrices.
Enfin, les acquisitions des grandes plateformes, visant surtout à étouffer la concurrence, doivent être contrôlées.
La démarche européenne pourrait servir de modèle au niveau international, au moment où les États-Unis eux-mêmes s'interrogent sur les grandes plateformes. L'éventualité d'un démantèlement doit être étudiée.
Parallèlement, une politique industrielle doit être développée. Nous devons reconquérir notre souveraineté numérique. Dans les années 1990, les États-Unis ont su prendre les mesures fiscales adéquates pour faire monter leurs champions. Ils n'ont pas hésité à réserver leurs marchés locaux et nationaux à leurs propres acteurs - tout l'inverse de ce que nous faisons aujourd'hui encore.
Il faut pouvoir peser dans les instances internationales où les standards s'élaborent - je pense aux objets connectés.
Au total, c'est un véritable plan Marshall dont nous avons besoin pour rattraper notre retard et promouvoir notre vision ! (M. Didier Marie et M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent.)
M. Henri Cabanel . - Une fois encore, le Conseil européen sera sur le front de la pandémie, mais, cette fois, avec des perspectives plus heureuses. La situation sanitaire dans l'Union européenne s'améliore globalement. Si la stratégie européenne a été critiquée à ses débuts, l'Europe aura finalement marqué des points - voyez le désastre britannique.
Cela doit nous pousser à concrétiser rapidement l'Europe de la santé. Le RDSE y est très favorable. En particulier, nous attendons la mise en oeuvre rapide du renforcement de l'Agence européenne du médicament, pour éviter de nouvelles pénuries.
Que répondre à la demande de transparence du Parlement européen sur les montants versés pour l'acquisition des vaccins ?
Il nous faut encore amplifier la couverture vaccinale, en particulier chez les plus âgés, et lutter contre la désinformation. La troisième dose est un rendez-vous à ne pas rater. Quel rôle pour l'Union Européenne à cet égard ?
Il ne faut pas non plus relâcher les efforts européens sur Covax, notamment en direction de l'Afrique. Où en sommes-nous du partage de vaccins ? Les difficultés liées au covid dans les pays pauvres perturbent les chaînes d'approvisionnement dans le monde entier, comme l'a souligné le FMI.
Des pressions inflationnistes se font sentir. Le gaz s'est renchéri de 130 % en un an ! La coordination européenne a du sens sur ce sujet, mais il faudra s'entendre, car tous les États membres ne veulent pas la même chose. Oui aux baisses de taxe et à la tolérance zéro à l'égard des spéculateurs, mais quid de la réserve stratégique proposée par l'Espagne ? Est-il normal que le prix de l'énergie soit le même pour tous les pays, qu'ils fassent des efforts environnementaux ou non ?
On ne peut que rejoindre la Commission européenne, qui demande plus d'efforts pour la transition vers les énergies propres.
Par ailleurs, il nous faut défendre la souveraineté européenne en matière numérique. Il y va de notre liberté de choix, de notre indépendance et de la diffusion de nos valeurs.
Je salue la taxation minimale à 15 %, bel exemple de coopération mondiale. Je sais à quel point la France a été active à cet égard dans le cadre de l'OCDE.
L'ensemble de ces chantiers nous invitent à davantage de coordination, si nous voulons une Europe qui anticipe davantage ! (M. André Gattolin applaudit.)
M. Victorin Lurel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER.) Nous le mesurons bien, le prochain Conseil européen représente un enjeu politique et stratégique majeur pour la France et pour l'Europe.
Dans le contexte de la nouvelle bipolarisation du monde, quelle place l'Union Européenne occupera-t-elle, avec quels instruments de souveraineté ?
Elle reste un nain politique et diplomatique, désarmé et menacé de marginalisation.
Jamais l'Europe n'a tiré les conséquences de la constante historique que constitue l'unilatéralisme américain. Souvent observatrice, elle reste impuissante quand ses États membres sont victimes de l'activisme décomplexé de puissances étrangères. Avec le camouflet de l'Aukus, la France en a pris conscience. Le temps de l'idéalisme est définitivement révolu.
Le XXIe siècle sera asiatique. Dernier pays européen présent dans le Pacifique depuis la rétrocession de Hong Kong, la France doit être active pour éviter que l'anglosphère ne régente la bipolarité sino-américaine.
Le calendrier politique est un obstacle à surmonter. Nul ne sait à quoi ressemblera le futur Gouvernement allemand. Quant aux élections françaises, elles entraîneront nécessairement un raccourcissement de notre présidence active.
Les divergences d'intérêts et de volonté entre États membres posent problème : il n'y a pas d'unité de vue ni d'action, notamment entre le réalisme allemand teinté de mercantilisme et l'idéalisme fédéraliste français, mais aussi entre les pays capables de se déployer militairement et les autres.
La France irrite plus qu'elle ne rassemble : elle conduit des opérations solitaires, critique ouvertement l'OTAN. Nous devons profiter de notre présidence pour reconquérir la confiance de nos partenaires.
Nous avons besoin de développer une politique européenne de soutien à l'industrie de défense, de renforcer la capacité européenne d'intervention et d'élargir nos partenariats structurants, comme le système de combat aérien du futur et le système principal de combat terrestre.
Nous devons aussi mener une lutte informatique d'influence pour gagner la guerre avant la guerre, selon l'expression du chef d'état-major des armées.
L'Europe doit repenser ses relations stratégiques en se rapprochant de l'Inde ou de l'Asean et en apaisant ses relations avec la Russie.
Enfin, la Pologne refuse la primauté du droit européen : quelles sanctions la France demandera-t-elle face à cette transgression ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. André Gattolin applaudit également.)
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Une nouvelle fois, le Conseil européen se penchera sur la situation épidémiologique.
Il est indéniable que l'Union européenne a déjà fait énormément contre la covid, alors que la santé n'est pas sa compétence principale. Elle a activé les nombreux leviers dont elle disposait, comme la recherche et le plan de relance. Environ 70 % de la population européenne est désormais vaccinée, même si cette couverture reste insuffisante pour atteindre l'immunité collective.
Il faut développer Covax. Je m'interroge sur la pertinence d'une troisième dose pour les Européens, jugée inutile par certaines études, quand certains pays pauvres ont moins de 10 % de couverture vaccinale. Un variant qui y apparaîtrait pourrait mettre à bas tous nos efforts.
La coordination et la coopération internationales restent à améliorer. La recherche des cas contacts transfrontaliers pourrait ainsi être améliorée. La Commission européenne a trouvé une solution pour connecter les applications des États membres, mais tous ne l'utilisent pas. Et quid des pays frontaliers non européens, comme la Suisse ?
Alors que l'hiver approche, les dissonances sont de retour sur l'application du passe sanitaire dans les stations de ski. Si la majorité des pays décident de ne pas l'imposer, ceux qui le demanderont auront une très mauvaise saison. La France et l'Espagne annoncent qu'elles ne le demanderont pas, contrairement à l'Autriche et l'Italie. La Suisse réfléchit.
Hier, tous les acteurs de la montagne m'ont dit qu'ils souhaitaient une meilleure coordination européenne, mais ne s'attendaient à rien avant 2030...
Seules des réponses coordonnées viendront à bout de la pandémie. Il faudra être exigeant pour un outil international ayant un réel effet.
La question du télétravail des frontaliers n'a pas encore été abordée. Le Sénat a adopté en juillet dernier ma proposition de résolution européenne sur ce sujet. J'ai eu une réponse de Bercy, mais je n'ai toujours pas de retour de vos services, monsieur le secrétaire d'État. Il serait opportun de sonder les États membres. Nous avons actuellement deux possibilités : intégrer le sujet aux négociations sur la sécurité sociale ou à celles sur le droit du travail et le droit à la déconnexion. Quelle est la voie privilégiée ?
Mme Nathalie Goulet . - L'Ukraine est un pays ami et voisin et ses relations avec l'Europe sont fortes. Ursula von der Leyen et Charles Michel viennent de s'y rendre. L'Ukraine a fait l'objet d'une agression territoriale, cela est amplement reconnu.
Mais voilà : l'Ukraine demande l'aide de l'Europe, elle doit en respecter les valeurs. Or de nombreux médias ont été fermés depuis quelques mois, dont des chaînes de télévision comme 112 et Strana. Cela nous inquiète car la liberté de la presse est une valeur européenne fondamentale. M. Medvedtchouk, leader de l'opposition, est en résidence surveillée sans aucun procès.
La libre concurrence des médias est en question, et l'OSCE est intervenu le 25 août pour rappeler à l'Ukraine ses obligations ; Reporters Sans Frontières l'a fait également en septembre dernier. Les inquiétudes sont réelles : quelles mesures prendrez-vous ?
Sur la stabilité et la paix de l'Ukraine, vous savez que les accords format « Normandie » et la formule Steinmeier incluent des élections dans le Donbass. Mais le Gouvernement bloque et impute ce blocage au voisin russe. Il faut faire le point sur ces accords et cette formule. Le Président Larcher y avait d'ailleurs beaucoup travaillé.
L'Ukraine, dont le président est embourbé dans les Pandora Papers, est un sujet très important pour la stabilité de l'Europe et l'approvisionnement en énergie. Le pays ne peut rester fragilisé ainsi. La communauté internationale a beaucoup travaillé à la paix, le Conseil européen doit y revenir.
Mme Pascale Gruny . - (M. Marc Laménie applaudit.) Le Conseil européen sera surtout consacré à la pandémie. La crise a montré l'utilité d'une réponse coordonnée, par exemple les contrats groupés d'achat. Mais elle a révélé au grand jour les failles d'une Union européenne plus lente à réagir que d'autres régions : le continent doit se doter d'un bouclier sanitaire. La création de l'HERA sera une réponse majeure allant dans le bon sens. Cet organisme similaire à la Barda américaine coordonnera recherche et industrie en cas de crise.
Dès 2022, la Commission pourra ainsi stimuler la recherche et la production de contre-mesures médicales. Mais comment cette HERA s'articulera-t-elle avec l'Agence européenne du médicament (EMA) ?
La Commission aurait aussi la charge de décider des mesures opérationnelles, mais en complément de l'action des États membres, qui doivent donc être associés.
Par ailleurs, le renforcement de Schengen sera acté par une initiative législative à venir. La crise a souligné l'absence de coordination des États membres concernant la gestion des frontières intérieures. Saluons donc cette initiative.
L'ouverture de voies vertes pour les biens essentiels, la libre circulation des travailleurs et l'aide d'urgence transfrontalière sont positives. Le marché intérieur doit continuer à fonctionner. Quelles initiatives ont été prises ?
Le Conseil européen abordera aussi la flambée des prix de l'énergie. Plusieurs pays appellent à une réponse commune, comme l'Espagne qui plaide pour une réserve stratégique de gaz. La Pologne, elle, cherche à remettre en cause la directive ETS et le mécanisme de quotas d'émission dans le secteur du bâtiment et celui du transport routier. C'est inacceptable ! À l'inverse, la France doit se mobiliser pour inclure l'énergie nucléaire dans la taxonomie verte.
La hausse des tensions sur la pêche et les menaces du parti conservateur, à Manchester, de suspendre unilatéralement le protocole nord-irlandais montrent que l'Union européenne doit sommer son voisin britannique de respecter les traités. À défaut, l'Union européenne devra utiliser les leviers prévus.
Les citoyens attendent des réponses concrètes. Espérons que la France, qui va prendre la présidence du Conseil pour six mois, sera à la hauteur, comme en 2008. Après le grand soir européen annoncé dans le discours de la Sorbonne au début de son mandat, le Président de la République n'a pas le droit de décevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Guillaume Chevrollier . - Partout en Europe, les prix de l'énergie flambent : 37 % de hausse pour l'électricité en Espagne sur une année, presque autant en Italie sur le gaz, et 12 % pour le prix réglementé du gaz en France. La crise énergétique a un fort impact sur les ménages et les entreprises. On ferme des centrales nucléaires. Elles seraient remplacées par des éoliennes intermittentes : la crise de l'énergie est peut-être devant nous.
Alors que va s'ouvrir la COP26, les pays européens risquent de se trouver en contradiction avec la politique climatique ambitieuse qu'ils exigent du reste du monde. Des centrales à charbon, comme en Chine et en Espagne, rouvrent. Les gouvernements réduisent les taxes sur le secteur de l'énergie, ce qui revient à subventionner les énergies fossiles et se traduira par une baisse des investissements dans les énergies renouvelables.
La limite de l'accord de Paris, c'est qu'aucune des parties prenantes n'a souhaité impulser un nouveau modèle énergétique clair. Limiter le réchauffement n'est pas hors d'atteinte, mais il y faut une révolution énergétique globale, dans toute notre économie ; et du courage politique !
Les COP sont nécessaires mais doivent être utiles, sinon elles seront discréditées : la COP25 de Madrid en 2019 est apparue déconnectée. Les négociateurs n'ont pu s'entendre sur les règles d'application des accords de Paris en matière de marché du carbone, aucun État ne s'est engagé pour participer au Fonds vert.
Il faut donc tenir nos promesses en vue de la COP26. Les pays développés, qui sont responsables de 80 % des émissions mondiales, n'ont pas tenu leur promesse de porter ce Fonds vert en faveur des pays pauvres à 100 milliards de dollars par an : il n'est qu'à 79,6 milliards selon l'OCDE. Le compte n'y est pas. Notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable forme le voeu que le montant consacré à l'adaptation soit augmenté à hauteur de 50 % des fonds publics et privés mobilisés. J'espère que cette position sera défendue par la France et l'Union européenne.
Mobiliser la finance mondiale fait d'ailleurs partie des objectifs affichés par la présidence britannique.
Les règles de mise en oeuvre du Pacte climat, notamment sur la transparence, autrement dit la manière dont les États rendent compte de leurs actions en faveur de la transition, seront-elles bientôt finalisées ?
Le Président de la République voulait aussi associer les COP climat et les COP biodiversité. Il en résulterait des synergies, les deux sujets étant liés.
À la veille du Conseil européen, l'Union européenne doit continuer à faire preuve de leadership en matière climatique et la France doit y prendre toute sa place. Quelles sont ses propositions concrètes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Clément Beaune, secrétaire d'État, chargé des affaires européennes . - Sur le Brexit, nous ne rompons pas toute coopération avec le Royaume-Uni en matière de sécurité malgré des choix correspondant à un alignement avec les États-Unis - et malgré le refus de discuter avec l'Union européenne de l'aspect sécurité dans la relation post-Brexit.
Le problème aujourd'hui concerne d'abord le respect des accords ratifiés par les deux parties, notamment sur la pêche : nous avons longuement travaillé avec la ministre de la Mer, nous avons été patients, les pêcheurs aussi, en acceptant de se plier aux demandes d'informations supplémentaires pour l'attribution des licences. Mais il est clair à présent que les Britanniques font le choix politique de refuser des licences. Ce problème n'est pas français mais européen : Belgique et Irlande sont aussi concernées, et tous les États membres pourraient être affectés par un non-respect des accords. D'ici huit jours, nous annoncerons des réponses, voire des mesures de rétorsion. Je partage l'exaspération de la profession et des élus.
S'agissant du temps de travail des militaires, il y a confusion sur les règles européennes. La jurisprudence de la CJUE ne nous convient pas. Nous utilisons tous les moyens juridiques pertinents. Le cas est particulier, car il ne relève pas des traités mais d'une directive. Celle-ci devra être révisée au plus vite, et nous utiliserons à cet effet le levier de la présidence française de l'Union européenne. Notre ligne claire est que le modèle de nos armées sera respecté. Nous serons d'une fermeté absolue, il y va de notre sécurité et de celle de l'Europe.
Des aires protégées portées à 30 % de la surface du globe : c'est l'objectif que nous défendrons à la COP26. Nous portons un haut niveau d'ambition, en commun avec le Costa Rica et le Royaume-Uni.
Nombre d'entre vous ont évoqué les prix de l'énergie : oui, la politique climatique européenne est relativement harmonisée, mais non, nous n'avons pas construit de vraie politique énergétique. Les mix énergétiques nationaux sont des héritages historiques : celui de la Pologne avec les mines de charbon est en partie hérité de l'ère soviétique et la transition sera longue et coûteuse, elle devra être aidée.
Pour autant, les règles doivent changer.
Il faut réglementer les prix en pour préserver le pouvoir d'achat des citoyens et des entreprises : ce sont des mesures d'urgence, et nous prendrons d'autres si nécessaire - la Commission européenne a d'ailleurs rappelé l'éventail des possibles à court terme. Ce ne sont pas là des mesures structurelles.
À moyen terme, les prix du marché unique ne traduisent pas les avantages de certains pays, notamment le nucléaire pour la France. Notre production d'énergie efficace et peu coûteuse n'est pas reflétée par le prix pour le consommateur, mais c'est un avantage pour le producteur. C'est ce surplus d'EDF que nous utilisons pour rendre du pouvoir d'achat au consommateur, nous ne voulons pas casser ce mécanisme car le prix commun est un avantage pour la France.
À long terme, il faut accélérer la transition énergétique : le prix des énergies fossiles devra augmenter mais il faudra accompagner socialement cette hausse.
Sur le nucléaire, assumons un double choix de souveraineté : le nucléaire contribue à un mix peu carboné, produit en Europe, et non intermittent ; mais il faut également développer les énergies renouvelables, elles aussi propres et favorables à notre souveraineté, à défaut d'être aujourd'hui stables.
La situation polonaise est extrêmement préoccupante. La décision du tribunal constitutionnel polonais porte atteinte à l'article premier du traité sur l'Union européenne et risque d'aboutir à une non-application d'un même corpus de règles dans l'Union européenne. C'est une remise en cause même de l'Union européenne. N'assimilons pas cette décision à celles du tribunal constitutionnel allemand de Karlsruhe ou du Conseil d'État, qui opposaient la Constitution à un texte précis. C'est bien du Traité que l'on parle ici. De plus, la situation de l'état de droit est préoccupante en Pologne. Il ne faut pas être conciliant avec cette décision qui fragilise l'édifice européen, alors que ce pays n'hésite pas à recourir à la CJUE pour contester le règlement relatif au respect de l'état de droit !
Les livraisons Covax s'accélèrent. L'objectif de 200 millions de doses devrait être atteint d'ici la fin de l'année. Je rappelle que l'Europe est le premier donateur mondial de vaccins.
La pression migratoire n'a rien d'une vague aujourd'hui : nous ne sommes pas en 2015-2016, même si certaines routes reprennent. Il n'y a toujours pas de politique migratoire complète. Le pacte sur l'asile et l'immigration de la Commission européenne va dans le bon sens mais ses chances d'être adopté sont faibles. Sous la présidence française de l'Union européenne, il faudra réfléchir à un pacte plus ciblé, par exemple sur Frontex et le partage de données, tout en continuant la solidarité européenne dans un cadre ad hoc. Le grand soir du pacte n'est pas encore venu.
Le plan de relance européen se déploie et n'a rien à envier, en termes de montant, aux plans américains. Nous devons éviter surtout de prendre du retard dans les plans d'investissement pour l'avenir. La stratégie d'investissement à dix ans présentée par le Président de la République pour la France n'existe pas au niveau européen. C'est là que les Américains risquent de prendre de l'avance.
La réforme des retraites n'est pas dans les jalons signalés à la Commission, non que nous en ayons honte, mais parce que ce n'est pas une réforme en cours, ni une condition des versements européens. La réforme de l'assurance chômage, qui en revanche est mentionnée, n'a pas non plus été forgée pour Bruxelles.
Sérions les sujets sur l'évasion et la fraude fiscales : il y a un sujet de dumping fiscal. Tous les pays européens, même l'Irlande, l'Estonie et la Hongrie, se sont ralliés au seuil de 15 % proposé par l'OCDE. Certes, nous préférerions 25 %, c'est d'ailleurs le taux auquel la France se situe; mais nous ne participerons pas à une course vers le bas. Que 136 pays s'accordent sur la taxation des multinationales est une étape très positive.
La fraude fiscale demeure. Il y a des pressions européennes : cela est difficile car il s'agit largement d'une compétence nationale, mais les passeports « dorés » de Malte ou Chypre sont en train de disparaître.
Monsieur Gattolin, nous ne reprendrons pas la discussion sur l'accord commercial avec l'Australie. Ce serait incompréhensible. Le sujet est différent sur la Chine, avec des discussions en cours au Parlement européen.
Nous espérons faire accepter durant la présidence française une exclusion des marchés publics pour les entreprises sponsorisées par leurs États.
Les questions numériques sont importantes. Mme Morin Desailly a formulé plusieurs recommandations que je reprends mot pour mot. Si l'on veut que les plateformes soient régulées, par exemple pour retirer une vidéo, il faut que la réponse soit immédiate sur le territoire français, ou bien au niveau européen. C'est sur ce type de règles que nous insistons. Cela vaut aussi pour le cyber harcèlement.
Il faudrait aussi, comme en matière spatiale, une préférence européenne, pour le stockage des données par exemple. Nous n'y sommes pas encore mais c'est en projet.
Il faut des règles budgétaires dans une union économique et monétaire. Se rebrancher aux règles pré-Covid fin 2022 serait inadapté. Nous réfléchissons au nouveau cadre. Nous devrons en débattre notamment avec nos nouveaux partenaires allemands. Il faut une capacité d'investissement européenne : nous ne pouvons pas être le seul bloc économique qui n'investit pas. Le débat viendra au cours de l'année 2022.
Nous attendons un texte de la Commission européenne sur les salariés des plateformes. Je ne crois pas que la demande générale soit de plaquer le modèle d'un statut 100 % salarié sur toutes les plateformes, grandes ou petites, ce serait une erreur économique et sociale. Nous voulons un socle de droits reconnu dans tous les pays de l'Union européenne. Cela n'existe pas actuellement.
On m'a interrogé sur le mécénat privé : nous l'exclurons de la présidence française de l'Union européenne. Je trouve indécent que certains députés européens extraient des rendez-vous professionnels de l'agenda des diplomates pour dénoncer un sponsoring imaginaire. La présidence française de l'Union européenne est financée par le budget, intégralement public. Nous nous autorisons deux exceptions, dans une logique environnementale : l'utilisation de véhicules français propres qui seront prêtés ou loués par les constructeurs ; et la compensation carbone intégrale opérée par des énergéticiens français. Ces deux exceptions sont raisonnables et justifiées. Il n'y aura pas de cadeaux de sponsors. C'est clair et précis, et l'intégralité du budget de la présidence française de l'Union européenne sera votée par le Parlement à l'occasion du projet de loi de finances.
J'en viens à la transparence des contrats de vaccins. Les députés européens ont eu accès à des informations, mais parcellaires : il y a bien une amélioration à apporter. Le secret des contrats signés par la Commission européenne doit être levé.
La transparence c'est bien, l'évaluation c'est mieux. Nous voulons une évaluation de la cour des comptes européenne, pour nous assurer que les négociations ont été saines. La transparence mettra fin à tout fantasme. L'Europe n'a pas à rougir de ce qu'elle a fait.
La défense européenne avance relativement rapidement : le Fonds européen de défense et la task force Takuba rassemblant une dizaine de pays européens en sont des preuves.
Nous pouvons faire de longs sommets de doctrine et de sémantique, en nous demandant comment définir notre modèle de défense. Mais pour éviter les hurlements et remporter l'adhésion, il vaut mieux des éléments tangibles, concrets, dont nos partenaires européens sont demandeurs : par exemple la Lituanie est prête à nous suivre, hors OTAN, au Sahel, et nous sommes présents sur leur sol ainsi qu'en Estonie pour les protéger face au voisin russe. Ne perdons pas de temps avec des labels trop précis. Soyons pragmatiques. Un sommet sous présidence française sera consacré à la défense.
Nous sommes à présent dans une meilleure position que l'an dernier pour assurer une bonne coordination avec les autres pays de sports d'hiver. L'Union européenne a développé un passe sanitaire transeuropéen. Ce n'est pas si mal car aux USA il n'y a même pas de passe entre États...
Le télétravail est traité pays par pays. Pour adapter les règles aux travailleurs frontaliers, nous travaillons avec chaque voisin. Ainsi nous avons rencontré le Luxembourg. La Direction générale des finances publiques (DGFIP) a prolongé la dérogation sur le nombre de jours autorisés, jusqu'à la fin de l'année.
Concernant l'Ukraine, je ne veux renvoyer personne dos à dos. Le format Normandie a été relancé il y a un an sous l'impulsion du Président de la République. La responsabilité initiale est claire. Je rappelle toutefois qu'il y a des manquements des deux côtés.
Sur le mécanisme des quotas d'émission, il faut une diligence sociale très importante. Nous ne pouvons pas étendre ce mécanisme de tarification au transport routier ni au logement sans accompagnement social, sinon nous recréerons une crise. La Commission européenne propose un fonds social pour accompagner les ménages modestes. Mais il faut que ce ne soit pas trop compliqué, sinon le soutien arriverait après la bataille !
Sur les objectifs des COP, des règles techniques doivent être précisées, de même que les engagements financiers. Le plus important est de rehausser les contributions déterminées nationalement - pour l'Union européenne, celle-ci est unique. Hélas, seuls certains pays, représentant 55 % des émissions des gaz à effet de serre, dont l'Union européenne, ont a minima actualisé leurs contributions.
Nous avions souhaité à Paris limiter le réchauffement à 1,5 degré. Or le GIEC a dénoncé une trajectoire d'augmentation des températures mondiales de 2,7 degrés. Donc nous sommes très loin du compte.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes . - Merci au ministre d'avoir répondu précisément. Je me sens redondant, mais je reviendrai sur le sujet de la pêche. J'ai glissé hier à l'ambassadrice britannique qu'il était gênant que nos pêcheurs subissent ces frasques politiques. Les Britanniques nous répondent que c'est une question technique. Il y a là un problème.
Nous nous réjouissons de l'accord à l'OCDE sur la fiscalité des multinationales mais il faudra refaire un point précis sur les ressources propres de l'Union européenne. L'emprunt est lancé, il faudra bien le rembourser un jour. Ne laissons pas la dette s'installer en Europe comme dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.
Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 14 octobre 2021, à 10 h 30.
La séance est levée à minuit cinquante-cinq.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 14 octobre 2021
Séance publique
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures
Présidence : M. Pierre Laurent, vice-président, M. Georges Patient, vice-président
Secrétaires : Mme Esther Benbassa - M. Pierre Cuypers
1. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant au gel des matchs de football le 5 mai (texte de la commission, n°22, 2021-2022)
2. Proposition de loi visant à maintenir les barrages hydroélectriques dans le domaine public et à créer un service public des énergies renouvelables, présentée par M. Guillaume Gontard et plusieurs de ses collègues (n°813, 2020-2021)
De 16 heures à 20 heures
3. Proposition de loi tendant à reconnaitre aux membres de l'Assemblée nationale et du Sénat un intérêt à agir en matière de recours pour excès de pouvoir, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°26, 2021-2022)
4. Proposition de loi visant à encourager les dons et adhésions aux associations à vocation sportive, culturelle et récréative dans le contexte de l'épidémie de covid-19, présentée par M. Éric Gold et plusieurs de ses collègues (n°383, 2020-2021)
À l'issue de l'espace réservé du groupe RDSE
5. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs (texte de la commission, n°4, 2021-2022) (demande du Gouvernement)