Intégration des jeunes majeurs étrangers
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à sécuriser l'intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, présentée par M. Jérôme Durain et plusieurs de ses collègues.
Discussion générale
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi . - Sécuriser l'intégration des jeunes majeurs étrangers quand ils travaillent ou étudient, tel est l'objet de cette proposition de loi.
C'est aussi son titre, mais, pour être plus explicite, on pourrait appeler ce texte « proposition de loi Ravacley ». Même si la rapporteure a refusé d'auditionner M. Ravacley, présent cet après-midi dans la tribune du public - c'est bien la première fois qu'un sénateur Les Républicains refuse de recevoir un patron...
M. Ravacley est le patron d'une boulangerie de Besançon, où il emploie un apprenti, Laye Fodé Traoré. Pour ce jeune Guinéen travailleur et méritant, tout s'arrête au jour de ses 18 ans : il devient aussitôt suspect, presque un délinquant. Pour paraphraser Pascal, vérité en deçà des 18 ans, erreur au-delà...
Pourquoi ce mur des 18 ans ? Tout d'un coup l'authenticité des papiers est mise en cause, le jeune devient expulsable. Contre ce scénario implacable, M. Ravacley a décidé de se battre à sa manière : il a entrepris une grève de la faim.
Il y a de bons préfets, d'autres moins bons, mais la plupart suivent avant tout les consignes ministérielles. Un préfet de Saône-et-Loire m'affirmait ne prendre qu'un seul dossier de régularisation, indépendamment des situations individuelles...
D'Amiens à Troyes, de Fleurey-sur-Ouche à Caen, les exemples se multiplient. On pourrait faire un tour de France. Nombre d'entre vous, touchés par des histoires de vie similaires, se sont mobilisés contre le dispositif actuel, rigide et kafkaïen, qui soumet des individus à la violence d'une décision couperet.
Ce dispositif est injuste par rapport à l'Aide sociale à l'enfance (ASE) et inefficace pour réguler les flux migratoires. Les jeunes concernés travaillent ou étudient : sécuriser leur intégration est une avancée pragmatique et raisonnée.
D'autant que nous avons besoin de ces jeunes dans des secteurs sous tension, pour ces métiers qu'on dit parfois « manuels » - dans l'industrie, la restauration ou le maraîchage.
Avec le Covid, nous redécouvrons l'importance de ne pas dépendre de l'extérieur pour la production. Je suis favorable à l'augmentation des salaires, mais cela ne suffit pas pour répondre à l'urgence. Or des emplois non pourvus, ce sont des conséquences concrètes - demandez aux Britanniques qui voient les étals de supermarché se vider, faute de chauffeurs routiers. Je pense au sketch de Fernand Raynaud : quand le boulanger est parti du village, on n'y mange plus de pain...
Régulariser les jeunes majeurs étrangers doit être la règle. Ils ne viennent pas manger notre pain, mais le fabriquer !
Plus précisément, ils bénéficieraient à 18 ans, lorsqu'ils remplissent les conditions légales, d'une carte de séjour temporaire d'un an, qu'ils pourraient demander dès 16 ans.
J'insiste : la délivrance d'un titre de séjour de plein droit n'est pas une délivrance automatique. Simplement, il suffira au jeune de satisfaire aux conditions légales.
L'argument de l'appel d'air n'est pas recevable. Pas plus que celui consistant à opposer qu'il n'y aurait que 7 % de refus, selon la direction générale des étrangers en France. Ce n'est pas du tout le cas dans certains départements, comme la Marne, les Hauts-de-Seine ou le Doubs. En vérité, l'arbitraire est partout.
Adopter cette proposition de loi, c'est mettre fin à un gâchis humain et économique. C'est faire preuve de bon sens, encourager les jeunes méritants et soutenir leurs patrons. C'est un devoir d'humanité et c'est dans l'intérêt économique de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois . - Cette proposition de loi du groupe SER n'a pas été adoptée par la commission des lois.
Elle a été inspirée par le cas particulier de M. Fodé Traoré. Il y a d'autres cas similaires, mais sont-ils la marque d'un dysfonctionnement nécessitant l'intervention du législateur ?
Nous considérons que, s'il y a des difficultés bien réelles, la solution ne se situe pas au niveau législatif.
La proposition de loi vise l'octroi d'un titre de séjour aux mineurs non accompagnés travaillant ou étudiant en France recueillis après l'âge de 16 ans.
Le régime actuel est plus favorable aux jeunes recueillis avant 16 ans. En effet, ceux de plus de 16 ans doivent recourir à une procédure exceptionnelle devant le préfet. En 2019, plus de 93 % des demandes de titres de mineurs non accompagnés ont trouvé une issue favorable.
Le problème ne réside pas dans les voies d'accès au séjour.
La circulaire dite Valls de 2012 accorde un titre sur l'admission exceptionnelle au séjour. En 2019, 671 cartes d'étudiants ont été délivrées - là encore, 93,2 % de dossiers acceptés.
Les mineurs non accompagnés représentent un investissement humain, social et financier très important pour les départements. Ils sont nombreux en apprentissage. Les difficultés, minoritaires, peuvent être surmontées à droit constant.
Ainsi, la Ville de Paris et le préfet de police ont mis en place une procédure spécifique pour anticiper les traitements et éviter les ruptures de parcours, avec une demande de titre déposée six mois avant la majorité.
Une circulaire du 21 septembre 2021 prévoit un pré-examen pour les mineurs non accompagnés en apprentissage. En 2019, 6,5 % des demandes se sont soldées par un refus. Si des difficultés récurrentes sont constatées pour les mineurs non accompagnés guinéens, la solution est diplomatique.
Un titre accordé de plein droit après seize ans réduirait le pouvoir d'appréciation du préfet, qui permet de prendre en compte la complexité des parcours et la volonté d'insertion dans la société française. Les garde-fous juridictionnels jouent leur rôle.
Je rejoins les recommandations de nos collègues Bourgi, Burgoa, Leroy et Iacovelli dans leur récent rapport d'information sur les mineurs non accompagnés.
L'article 3, conséquence de l'article 1, permet le dépôt anticipé des demandes. Par cohérence, la commission des lois ne l'a pas adopté.
L'article 4 est redondant avec la circulaire de 2012.
Quant à l'article 5, il supprime l'appréciation des liens avec la famille d'origine, qui reste nécessaire. Elle permet d'écarter les demandes de jeunes qui pourraient être mieux accompagnés dans leurs pays d'origine. Les décisions de refus se fondent rarement sur ce seul critère.
Les mineurs non accompagnés sont un sujet important, qui justifie ce débat en séance publique, mais ce texte n'apporte pas de solution à la difficulté soulevée. Je vous invite à ne pas l'adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée, chargée de la citoyenneté . - Le Gouvernement accorde une importance particulière à la sécurisation du droit au séjour des mineurs non accompagnés, dont le nombre diminue : 16 760 mineurs en 2019, 9 524 en 2020 et 7 130 au 1er septembre dernier.
Les dossiers sont examinés avec diligence pour ne pas rompre des parcours d'intégration prometteurs.
L'article L. 423-22 du Ceseda prévoit une voie de plein droit pour les mineurs pris en charge par l'ASE avant seize ans ; 2 901 demandes ont été instruites et 2 695 titres délivrés, soit un taux de délivrance de 93 %.
Une voie d'admission exceptionnelle au séjour est prévue pour les 16-18 ans, à l'article L. 430-3 du même code ; le taux de délivrance dépasse 94 %, avec 2 344 titres délivrés pour 2 484 demandes.
La circulaire dite Valls du 28 novembre 2012 traite des mineurs non accompagnés poursuivant des études secondaires ou universitaires ; 720 demandes ont été instruites et 671 titres accordés, soit un taux de délivrance de 93 %.
Certes, il reste des situations non couvertes. Le ministre de l'intérieur a mis en place un dispositif d'appui à l'évaluation de la minorité, déployé par quatre-vingt-trois conseils départementaux.
La circulaire du 21 septembre 2020 empêche la rupture de droits des jeunes majeurs. Une autorisation de travail est de droit pour les mineurs étrangers isolés, sous réserve de la présentation d'un contrat de travail ou d'apprentissage.
Certaines préfectures sont très engagées dans l'examen anticipé, comme à Paris ou dans le Nord. Les Hautes-Pyrénées et le Vaucluse l'ont mis en oeuvre plus récemment. D'autres, comme le Rhône, ne l'ont pas encore fait.
Les préfets de l'Essonne et de Gironde proposent déjà un traitement prioritaire. Les Hauts-de-Seine ont aussi une procédure propre, avec un entretien deux mois avant la majorité.
Les refus, inférieurs à 10 %, résultent d'un défaut d'état civil, d'un trouble à l'ordre public ou d'un défaut de formation qualifiante. Certains jeunes majeurs renoncent parfois à déposer une demande, faute d'état civil fiable.
Nous invitons les préfets à s'engager davantage avec les conseils départementaux pour éviter les sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance.
Les dispositions législatives en vigueur, complétées par les circulaires de 2012 et 2020, suffisent. Appliquons les outils et les souplesses qui existent.
Le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi.
Mme Esther Benbassa . - L'histoire du jeune Laye Fodé Traoré est emblématique du sort de 2 000 jeunes au destin incertain, parfois tragique. Pourtant, ces jeunes suivent des cours ou travaillent - souvent dans des secteurs en pénurie de main-d'oeuvre. Ils tentent de vivre en communion avec la société française.
Il est inconcevable de former des talents pour ensuite les renvoyer. Dans la boulangerie, 8 400 postes sont à pouvoir en fabrication et en vente. On pourrait parler aussi de la menuiserie du bâtiment - je pense à Armando Curri, qu'on a appelé le « sans-papiers en or ». Mais peu de patrons sont prêts à se battre pour garder leurs apprentis.
L'octroi du titre de séjour ne devrait plus être un parcours du combattant ni relever du régime de l'exception !
M. Jean-Yves Leconte . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Imaginez la violence : un mineur protégé par l'ASE, suivant une formation, se retrouve brusquement clandestin, menacé d'expulsion. Un jeune est convoqué le jour même de ses 18 ans et reçoit une obligation de quitter le territoire français au prétexte qu'il a moins de six mois de formation.
Une mauvaise note sur un bulletin suffit à motiver une obligation de quitter le territoire français, pour défaut d'intégration scolaire. Un préfet prononce une OQTF en prétendant que les documents d'identité sont faux alors que l'ambassade de Guinée les a confirmés.
Les exemples sont nombreux de jeunes au parcours prometteur ainsi sanctionnés par votre Gouvernement. Dans les Hauts-de-Seine, pour 200 à 250 jeunes de l'ASE, 36 obligations de quitter le territoire français ont été recensées. C'est une indignité.
Notre proposition affirme l'égalité devant la loi de tous ces jeunes majeurs étrangers. Les relations entre les préfectures et les services d'ASE diffèrent d'un département à l'autre : nous voulons promouvoir l'égalité entre territoires. (Mme Michelle Meunier approuve.)
Nous voulons également fixer des critères dans la loi. De plein droit ne veut pas dire automatique, madame la rapporteure ! Mais notre texte affirme que l'on a un droit à la carte de séjour si le parcours d'intégration est réussi.
Nous entendons, en posant des conditions strictes mais justes, supprimer l'arbitraire pour valoriser l'intégration : c'est l'esprit républicain. En commission des lois, j'étais scandalisé d'entendre dire que, dans certains pays, il est normal d'envoyer les enfants seuls en France, pour les faire réussir dans la vie...
Heureusement que ce n'est pas normal, et que cela reste rare. Le jeune ainsi abandonné est rendu vulnérable, et c'est sa famille qui lui a infligé cette violence.
Le devoir de protection dépasse donc les 18 ans, et le jeune dont la démarche est exemplaire mérite d'être valorisé et sécurisé, non de subir l'arbitraire de la préfecture.
La France a investi dans l'avenir de ces jeunes, et quand ils suivent avec succès des formations diplômantes, il faut les protéger. L'économie en a besoin : il manque 7 000 travailleurs dans la boulangerie, et la situation est identique dans bien d'autres filières.
Hormis au Japon et en Chine, le dynamisme de l'économie et de la recherche est très corrélé à la proportion de population née à l'étranger.
Nous sommes au milieu du gué. Si nous ne valorisons pas ceux qui réussissent, comment réussir l'intégration ? C'est une proposition de loi pour la justice et la République. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du GEST)
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien ! Belle conviction !
M. Thani Mohamed Soilihi . - La présente proposition de loi met en lumière un sujet sensible. Fondée sur un cas particulier, elle traite de situations d'expulsion touchant des jeunes pourtant insérés dans un parcours professionnel ou académique.
Les articles premier et 2 précisent l'octroi de plein droit d'un titre de séjour aux jeunes de 16 à 18 ans suivant un tel parcours, l'article 3 ouvre la possibilité d'une demande anticipée de titre de séjour pour ceux qui souhaitent travailler. L'article 4 prévoit l'admission exceptionnelle au séjour pour les MNA suivant une formation non qualifiante. L'article 5 supprime l'appréciation des liens avec la famille dans le pays d'origine.
L'objectif est louable. Il arrive que les mineurs non accompagnés rencontrent des difficultés. Mais les cas restent rares. Selon la Direction générale des étrangers en France, dans plus de 92 % des cas, une carte de séjour temporaire est accordée.
Le texte pose en outre des problèmes : il prive l'administration de toute marge d'appréciation alors que l'examen au cas par cas permet au préfet de vérifier la validité des documents et la motivation du demandeur. De plus, une circulaire autorise les préfets à accorder de façon discrétionnaire des cartes de séjour après examen de trois critères : le caractère réel et sérieux de la formation suivie, la nature des liens avec la famille, l'avis positif de la structure d'accueil. Un recours devant le juge administratif et même jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est toujours possible. (« Trop tard ! » sur les travées du groupe SER)
L'octroi de plein droit de titres de séjour créerait une redondance avec l'admission exceptionnelle au séjour actuellement prévue.
À Mayotte, la proposition de loi créerait un bouleversement monumental car le nombre de mineurs étrangers s'accroît chaque jour.
Le RDPI votera contre ; mais il faut poursuivre la réflexion, afin que les départements assurent mieux leurs responsabilités. Le récent rapport d'information va en ce sens.
M. Franck Menonville . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Sur cette dernière décennie, le phénomène des mineurs étrangers a pris une ampleur considérable en Europe. La presse relève des situations particulières, où des jeunes doivent quitter le territoire après des années de présence et de formation. Leur situation nous émeut.
Je souligne l'engagement remarquable des départements pour l'intégration de ces jeunes.
La proposition de loi entend remédier à des blocages, qu'il s'agisse des délais de traitement ou de la reconnaissance de la validité des documents d'état civil : la solution est de déposer la demande le plus tôt possible, pour éviter la rupture de droits.
Sur la difficulté du contrôle des identités, notamment guinéennes, une solution diplomatique est possible, comme le souligne l'excellent rapport de Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
L'article 4 est satisfait par la circulaire Valls du 28 novembre 2012. Le droit actuel semble équilibré. Le groupe INDEP fait confiance au travail des préfets.
Si des dysfonctionnements existent, ils doivent être corrigés au niveau administratif. Nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Laurent Burgoa . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En droit, les mots ont du sens. Il ne s'agit pas ici d'améliorer l'intégration, mais de la « sécuriser », c'est-à-dire de la rendre plus certaine administrativement. Or en la matière, la personnalisation importe, car l'enjeu est humain. Ces jeunes hommes et femmes ne sont pas des chiffres. Leurs parcours sont très divers.
Nous reprochons souvent au Gouvernement sa verticalité, l'appelant à faire confiance aux territoires et aux services déconcentrés. Avec Henri Leroy, Hussein Bourgi et Xavier Iacovelli, nous avons publié il y a quelques jours un rapport sur les mineurs non accompagnés et leur accès effectif à l'autonomie ; nous recommandons de mieux accompagner leur intégration.
Sur l'esprit de cette proposition de loi, je me suis souvenu de certains cas particuliers et de cet adage populaire : « L'enfer est pavé de bonnes intentions ». Je me méfie des lois d'émotion. C'est la souplesse qui a permis de corriger les erreurs d'appréciation. Ne fagotons pas notre droit, car nous créerons des situations d'exception auxquelles la libre appréciation ne pourra plus rien. L'état de droit ménage des recours juridictionnels. Et les décisions ne sont jamais prises sur un seul critère.
Nous avons plutôt besoin d'une meilleure formation des encadrants, de plus de personnel et de procédures sans faille pour éviter le nomadisme et les doublons. L'évolution démographique mondiale, le réchauffement climatique et les instabilités politiques qui en découleront incitent à repenser le dispositif en se gardant de tout effet d'affichage.
Cette proposition de loi vise à sécuriser le parcours administratif sans se soucier des moyens alloués à l'intégration. Le groupe Les Républicains ne la votera pas car elle est à l'accompagnement des mineurs ce que le green washing est à l'écologie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; exclamations indignées à gauche) Nous voulons sur ce sujet une loi d'envergure.
M. Jérôme Durain. - Merci !
M. Guy Benarroche . - L'actualité nous livre des histoires déchirantes et kafkaïennes. Au-delà, la question des sorties sèches et des différences de traitement d'un département à l'autre est réelle.
Comment comprendre les difficultés de ces jeunes à s'intégrer ? Il est ubuesque de les mettre sur les rails avant 18 ans puis de les rejeter. Certes, dans ces parcours, l'issue est parfois heureuse, mais nombre de jeunes sont face à un mur, à cause de demandes de justificatifs qui les dépassent. C'est une aberration humaine qui réduit parfois à néant les efforts accomplis par l'ASE.
Notre groupe salue cette proposition de loi. Le cas par cas ne doit pas perdurer. Je salue en particulier la possibilité d'anticiper la demande de titre de séjour et la suppression du critère concernant les liens familiaux. Cela relève parfois des douze travaux d'Astérix, lorsque la préfecture réclame des pièces inaccessibles, surtout pour des jeunes en rupture familiale.
Le parcours compliqué des mineurs rend parfois difficiles des formations continues : l'appréciation de la sincérité de l'engagement dans un parcours professionnel devrait pouvoir être détachée d'une formation longue.
Il faudrait aussi pouvoir octroyer un titre temporaire « vie familiale et vie privée », plus protecteur et dont le renouvellement offre plus de stabilité.
Malgré quelques réserves, le GEST votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)
Mme Éliane Assassi . - La parole publique est trop tournée vers l'immigration, loin des préoccupations des Français. Cette proposition de loi arrive à point nommé !
Le cas de Fodé Traoré n'est pas un fait divers. Il illustre une politique d'accueil défaillante, avec un large pouvoir d'appréciation du préfet et des directives ministérielles qui multiplient les injonctions de quitter le territoire français. Tant pis si le jeune est en formation, tant pis s'il est intégré !
Malgré la circulaire de 2012, l'appréciation des liens familiaux reste prégnante.
Comment en est-on arrivé là ? En 1981, François Mitterrand régularisait 130 000 sans-papiers. En 1997, Lionel Jospin faisait de même pour 80 000 d'entre eux. L'année suivante, Charles Pasqua - qu'on ne peut guère soupçonner d'être favorable à l'immigration - réclamait la régularisation de tous les sans-papiers.
Or vingt-trois ans plus tard, on voudrait nous faire croire qu'un accueil digne met la France en danger, en créant un « appel d'air ». Comme l'a dit Fatou Diomé, quand on part pour sa survie, rien n'est dissuasif, car on n'a rien à perdre.
Certains vantent l'audace des entrepreneurs qui partent pour Londres ou Berlin, mais condamnent les jeunes qui fuient la guerre et la misère pour s'engager en France dans un parcours d'intégration réussi. (Mme Céline Brulin applaudit.)
La situation est ubuesque au vu du profil de ces jeunes. On les prive non seulement de protection, mais aussi d'un avenir.
On peut s'étonner que le titre de séjour temporaire étudiant ne dure qu'un an, au lieu de couvrir tout le cycle. On peut s'interroger sur le suivi social, alors que l'accompagnement jusqu'à 21 ans mis en place durant la crise sanitaire a été supprimé.
Cependant la proposition de loi permet de remplir les objectifs initiaux de la loi du 16 juillet 2011, un droit à la formation et l'éducation pour tous ces jeunes.
Vous l'aurez compris, le CRCE votera ce texte sans hésiter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)
Mme Nathalie Goulet . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Ils s'appellent Sékou Keita ou Pualu Dieu Veille et leur vie a basculé du jour au lendemain. Sékou, apprenti dans une crêperie à Argentan, est menacé d'expulsion malgré le soutien de son employeur. Kualu est parfaitement intégré, détenteur d'une carte vitale, de deux CAP et d'une adresse, mais lors du renouvellement de son titre, la consultation de Visabio réduit tout à néant, au motif qu'il est passé par l'Espagne. Il n'a plus aucune identité.
Il y a eu un excellent rapport conjoint de la commission des lois et de la commission des affaires sociales sur la question.
La situation des mineurs non accompagnés est aux confins de l'humain et l'on débat sans cesse sur l'asile et les migrations. Ces jeunes trouvent une administration qui les accueille, les soigne, les forme, puis le système se grippe et ils se retrouvent confrontés à une administration kafkaïenne. Il faut que les vérifications de minorité et de nationalité se fassent au plus tôt à leur arrivée sur le territoire ; et que l'État prenne en charge ceux qui ne sont pas reconnus comme mineurs mais dont la situation n'est pas stabilisée - ce sont les recommandations 32 et 13 du rapport.
Le problème des enfants fantômes est très grave. Selon l'Unicef, plus de 237 millions d'enfants dans le monde n'ont pas d'identité. Quelque 166 millions de personnes ne sont pas inscrites à l'état civil. Les pays les plus touchés sont l'Éthiopie, la Zambie et le Tchad.
Selon la Banque mondiale, 1 milliard d'individus ne peuvent prouver leur identité - et quatre sur dix sont des mineurs. Il est donc important d'aider les pays d'Afrique subsaharienne à progresser dans ce domaine.
Le coût des mineurs non accompagnés pour l'Orne est de 2,5 millions d'euros, pour 139 mineurs, et ce coût est compensé à hauteur de 40 000 euros seulement par l'État - exceptionnellement, le département a touché 200 000 d'euros pour la prolongation de l'ASE pendant la crise sanitaire.
Le dispositif actuel ne résistera pas à un phénomène migratoire systémique qui ne fait que commencer.
Il faut un débat global sur cette question, que la discussion de cette proposition de loi a le mérite d'amorcer. Je ne la voterai pas. Mais le rapport conjoint et les travaux passés de Mme Doineau ouvrent la voie à une proposition de loi plus vaste.
Mme Maryse Carrère . - Habituellement, le RDSE est opposé aux législations d'émotion, mais le cas du jeune Traoré et de son patron, en grève de la faim pour la défense de son apprenti, nous a tous émus. Les choses ont bien fini pour eux, mais il n'en va pas toujours ainsi.
Certes, 92 % des demandes de ceux que l'on réduit à l'acronyme « MNA » sont acceptées, mais ce n'est pas parce que des difficultés sont minoritaires qu'il ne faut pas les traiter.
Avec cette proposition de loi qui renverse la logique actuelle, le préfet néanmoins conserve la main sur la délivrance du titre : pas d'appel d'air, donc.
Il est regrettable qu'il faille attendre de tels drames pour qu'on s'intéresse à la question ; d'autant plus que nous investissons dans la formation de ces jeunes, avant que ne tombe, à leur majorité, le couperet de l'obligation de quitter le territoire français. De nombreux métiers manquent de main-d'oeuvre.
Les différences de traitement entre départements sont flagrantes, notamment sur les autorisations de travail. Cette proposition de loi fixe un cadre plus clair et plus transparent et harmonise les pratiques.
Le RDSE votera en faveur de ce texte de bon sens. (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes SER, CRCE et GEST)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°3, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéa 4
Remplacer les mots :
d'un an
par les mots :
égale à celle restant à courir du cycle de formation dans lequel est inscrit l'étranger et dont la durée ne peut être inférieure à un an
Mme Céline Brulin. - Il est contre-productif d'octroyer un titre de séjour d'un an seulement, si la formation dure plus longtemps. Cet amendement prévoit qu'ils soient de la même durée.
Dans nos départements, des jeunes en apprentissage se voient délivrer des obligations de quitter le territoire français, ce qui est incompréhensible.
On ne peut pas en même temps les obliger à se former et les empêcher de terminer. Le titre de séjour d'un an peut également être dissuasif pour les employeurs formateurs.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - La commission des lois s'est prononcée contre le principe d'un accès de droit au séjour des mineurs non accompagnés. L'avis ne peut donc qu'être défavorable.
Ajoutons que la durée de droit commun des cartes de séjour des salariés ou des travailleurs temporaires est d'un an. Cet amendement introduirait une rupture d'égalité. Avis défavorable.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Même avis.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par Mme Benbassa.
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le caractère réel et sérieux se détermine par l'assiduité à la formation, l'engagement du jeune majeur étranger au sein de la formation dont la participation à la vie de l'entreprise, l'apprentissage de la langue française et l'accompagnement effectif de la structure d'accueil dans toutes les démarches administratives. »
Mme Esther Benbassa. - Cet amendement clarifie le caractère « réel et sérieux » de la formation, afin d'éviter l'arbitraire.
Il faut accompagner ces jeunes dans leurs démarches administratives. Mon amendement ajoute cette garantie dans la loi.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois. - Avis défavorable, pour la même raison qu'à l'amendement précédent.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Il n'est pas nécessaire d'encadrer à ce point le pouvoir d'appréciation de l'administration. L'annexe 10 du Ceseda, qui prévoit les pièces à produire, peut être modifiée par arrêté. Avis défavorable.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
L'article premier n'est pas adopté.
ARTICLE 2
Mme la présidente. - Amendement n°4, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéa 4
Remplacer les mots :
d'un an
par les mots :
égale à celle restant à courir du cycle d'études dans lequel est inscrit l'étranger
Mme Éliane Assassi. - Défendu.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Avis défavorable.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Même avis.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article 2 n'est pas adopté non plus que les articles 3 et 4.
ARTICLE 5
Mme la présidente. - Je rappelle que si l'article 5 n'est pas adopté, il n'y aura plus lieu de voter sur l'ensemble, car tous les articles auront été supprimés. Il n'y aura dès lors pas d'explications de vote.
M. Jacques Grosperrin . - J'habite Besançon, monsieur Durain. Je connais Stéphane Ravacley, boulanger pétri de qualités, et son apprenti.
Il n'y a pas d'un côté les bons, qui votent votre proposition de loi, et de l'autre les mauvais, les sans-coeur.
Beaucoup de ces jeunes - 90% en 2021 - obtiennent une issue favorable. Il faut améliorer les procédures et les outils juridiques. Je suis sensible aux propos de M. Thani Mohamed Soilihi, qui parle de bouleversement.
Solutions diplomatiques, circulaires aux préfets, oui. Mais nous n'avons pas besoin d'une loi, plutôt d'une étude précise sur chaque cas.
M. Bernard Bonne . - Nous avons déjà parlé des mineurs non accompagnés dans la loi 3DS, nous en reparlerons dans l'examen de la loi sur la protection de l'enfance.
Je voterai donc contre l'article 5, car nous ne devons pas parler trois fois des mêmes sujets.
M. Jérôme Durain . - Démarche généreuse, texte d'émotion, nous dit-on. Non ! Nous visons l'efficacité au bénéfice des principes de la République. Nous devons réserver un accueil digne à ces jeunes, bien souvent poussés à l'exil par leur propre famille.
« De plein droit », cela ne signifie pas « automatiquement ». L'argument de l'appel d'air est invalidé par l'application de critères d'appréciation objectifs.
La plupart des demandes sont satisfaites, dites-vous encore. Si la situation était aussi favorable, il n'y aurait pas sans cesse besoin de mobilisations.
Nous devons continuer ce combat juste, pour les jeunes et les patrons qui les défendent.
Mme Esther Benbassa . - À l'Assemblée nationale, un amendement du Gouvernement sur le sort de jeunes majeurs étrangers a comblé, dans le projet de loi relatif à la protection des enfants, un oubli initial...
Je me réjouis que le Sénat s'empare du sujet. Comment ne pas être sensible à la situation de jeunes qui ont fait de la France leur pays d'adoption et que nous réduisons à la peur et la clandestinité lorsqu'ils atteignent la majorité ?
Ce texte vise à encourager l'intégration de ceux qui suivent assidûment une formation. Ne les empêchons pas de poursuivre leur parcours à cause d'obstacles administratifs. Je suis certaine qu'ils rendront à la France ce qu'elle a investi dans leur formation.
Je voterai pour ce texte qui est un message pour les jeunes et leurs éducateurs.
Mme Élisabeth Doineau . - Je salue la proposition de loi de Jérôme Durain, qui révèle des contradictions : d'un côté, l'État incite les départements à éviter les sorties sèches de l'ASE ; de l'autre, il délivre des obligations de quitter le territoire français. Les employeurs veulent garder leurs apprentis !
Madame la ministre, il faut mieux préparer l'avenir de ces jeunes.
Il est dommage que nous ne sachions pas mieux communiquer sur les nombreuses réussites.
M. Guillaume Gontard . - Merci pour le dépôt de ce texte important. Nous avons tous sur nos territoires des artisans qui se heurtent aux mêmes problèmes que le boulanger de Besançon. Ils investissent, ils accompagnent leur apprenti, ils développent un rapport humain, et on expulse leur employé lorsqu'il atteint 18 ans !
Dire aux préfets d'être plus arrangeants ? Ce n'est pas la République, c'est l'arbitraire ! (M. Jérôme Durain renchérit.)
Les Chambres de commerce et d'industrie (CCI) nous demandent de régler le problème : elles ont besoin de cette main-d'oeuvre. Je ne parle même pas de l'argument de l'appel d'air ! Le GEST votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme Marie Mercier . - Nous avons tous, dans nos communes, des jeunes majeurs étrangers issus de l'ASE. À Chalon-sur-Saône, ce sont deux Maliens à qui l'on a trouvé des postes de bouchers.
Madame la ministre, chaque situation particulière doit être abordée avec les préfets. L'ASE a des failles. Nous resterons tous vigilants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
À la demande des groupes Les Républicains et SER, l'article 5 est mis aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°9 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l'adoption | 107 |
Contre | 237 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La séance est suspendue à 20 h 35.
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président
La séance reprend à 22 h 5.