Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Délégation (Nomination)

Diverses mesures de justice sociale (Deuxième lecture)

Discussion générale

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État, chargée des personnes handicapées

M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. Olivier Henno

M. Stéphane Artano

Mme Michelle Meunier

M. Martin Lévrier

Mme Colette Mélot

M. Édouard Courtial

Discussion des articles

ARTICLE 3

Mme Marie-Arlette Carlotti

Mme Laurence Cohen

Explications de vote

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Élisabeth Doineau

Droit de visite pour les malades en établissements

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l'autonomie

Mme Laurence Cohen

Mme Jocelyne Guidez

Mme Véronique Guillotin

Mme Annie Le Houerou

M. Dominique Théophile

M. Daniel Chasseing

M. Philippe Mouiller

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Yves Bouloux

Discussion des articles

ARTICLE 4

Explication de vote

M. Bruno Retailleau

Mises au point au sujet d'un vote

Implantation locale des parlementaires

Discussion générale

M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi organique

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois

Mme Nadia Hai, ministre déléguée, chargée de la ville

Question préalable

M. Jean Louis Masson

Renvoi en commission

M. Jean Louis Masson

Discussion générale (Suite)

Mme Françoise Gatel

M. Jean-Yves Roux

M. Jean Louis Masson

M. Éric Kerrouche

M. Alain Richard

M. Alain Marc

M. Rémy Pointereau

M. Guy Benarroche

Mme Éliane Assassi

M. Jean-Marc Boyer

M. Cédric Vial

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

ARTICLE PREMIER

ARTICLE ADDITIONNEL après l'article premier

ARTICLE 2 (Supprimé)

INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI

Explications de vote

M. Éric Kerrouche

M. Bruno Retailleau

Ordre du jour du mercredi 13 octobre 2021




SÉANCE

du mardi 12 octobre 2021

4e séance de la session ordinaire 2021-2022

présidence de Mme Nathalie Delattre, vice-présidente

Secrétaires : Mme Jacqueline Eustache-Brinio, Mme Victoire Jasmin.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Délégation (Nomination)

Mme la présidente.  - J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Diverses mesures de justice sociale (Deuxième lecture)

Discussion générale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la deuxième lecture de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État, chargée des personnes handicapées .  - Depuis quatre ans, la politique du handicap est la priorité du quinquennat. Mon secrétariat d'État est rattaché au Premier ministre, ce qui a permis la tenue de cinq comités interministériels du handicap sous l'égide de ce dernier.

Avec le Président Macron, nous avons réalisé des avancées concrètes, avec et pour les personnes en situation de handicap.

Nous avons ainsi renforcé la participation des personnes en situation de handicap, pour qu'elles soient considérées comme des citoyens à part entière et non simplement à part. Tous les acteurs de terrain ont porté cette action : nous avons travaillé aux côtés des syndicats, des collectivités territoriales, des employeurs et des associations.

Grâce à ce succès collectif, nous avons créé une société de l'autodétermination plutôt que de l'assignation à résidence, une société inclusive, où la diversité est une force.

Cette société de l'autodétermination et de la confiance, c'est celle qui met en oeuvre des droits à vie quand le handicap est irréversible, comme nous l'avons fait en 2019.

Pour parvenir à cette société du choix, et remettre les personnes en situation de handicap au coeur de leur pleine citoyenneté, nous consacrons chaque année 52 milliards d'euros aux politiques du handicap, soit 2,3 % du PIB. Cela nous place au troisième rang européen.

C'est un investissement justifié et légitime. Les personnes en situation de handicap doivent accéder pleinement à leurs droits - au vote, à l'éducation, à la formation, à la parentalité, à travailler, à se loger décemment. En mars 2019, nous avons ainsi rétabli le droit de vote pour les majeurs protégés, demandé depuis trente ans par les familles et les associations.

Nous faisons le choix de l'autodétermination, et non de l'assignation à résidence car nous avons confiance en la capacité des personnes en situation de handicap à être décisionnaires à toutes les étapes de leur vie. Nous soutenons ainsi l'habitat inclusif où ces personnes peuvent vivre chez elles en colocation, mais accompagnées.

Nous avons profondément transformé les modalités de la scolarité pour accueillir 400 000 enfants handicapés, dont 41 000 autistes, en 2020, soit une augmentation de près de 20 % depuis 2017. Une formation initiale de 25 heures à la diversité des handicaps est désormais dispensée aux enseignants. Nous avons aussi sécurisé le statut des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) : désormais, ils seront recrutés exclusivement en CDI après un CDD renouvelable une fois.

Une société de la confiance, c'est aussi une société où l'État est profondément convaincu de la capacité de ces personnes à travailler et à exprimer leur richesse. C'est pourquoi nous devons leur garantir l'accès à toute activité qui peut contribuer à leur épanouissement. Nous avons ainsi développé l'accompagnement des personnes en situation de handicap et de leur employeur, à travers le job coaching, l'emploi accompagné, la mise en place de référents handicap dans les entreprises.

Cette politique a porté ses fruits : le nombre de demandeurs d'emploi en situation de handicap a diminué de 4 % depuis 2020. Depuis la mise en place de l'aide de 4 000 euros au recrutement, 20 000 contrats ont été signés à ce titre. Nous défendons une société qui prône l'autodétermination et l'émancipation par le travail. Cet objectif, me semble-t-il, est partagé.

Venons-en à la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), objet de cette proposition de loi. (On feint le soulagement sur plusieurs travées.)

Secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, je devrais être très en faveur d'une telle mesure ; mais c'est en réalité une fausse bonne idée. Notre société est basée sur la solidarité nationale et familiale. À quelques mois de l'élection présidentielle, tous les partis s'emparent de cette demande, alors que nous avons hérité, en la matière, d'une situation qui datait de 1975 avec la mise en place de l'AAH.

Le 24 octobre 2018, votre majorité sénatoriale repoussait pourtant, par un vote unanime de ses 145 membres présents, la proposition de loi de Laurence Cohen mettant en place la déconjugalisation. Vous estimiez alors qu'une telle mesure conduirait à « penser l'individu en dehors des structures dans lesquelles il est incorporé »... Vous considériez aussi que la proposition de loi posait plus de questions qu'elle n'en résolvait, puisque tous les minima sociaux prennent en compte les revenus du foyer : il faudrait tout remettre à plat, si l'on individualisait l'AAH.

Vous vous opposiez, vous aussi, à cette vision qui fait des personnes en situation de handicap des objets de soins et non des sujets de droit. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains)

Et vous y étiez toujours opposés lors de l'examen du projet de loi de finances 2020, dans la cohérence de vos positions défendant l'articulation de la solidarité nationale avec la solidarité familiale, parce que le foyer est la cellule de protection de notre société.

Nous défendions ensemble, alors, ce fondement du code civil qu'est l'article 220 qui pose le principe de la solidarité entre époux. Vous vous indigniez d'une individualisation qui « participe de cette vision individualiste de l'homme et de la société qui tend vers un éclatement du lien social et une déconstruction de la famille ».

L'AAH créée par la loi du 30 juin 1975 a pour objet d'assurer des conditions de vie dignes aux personnes en situation de handicap. Elle est fondée, comme le RSA, l'allocation de solidarité spécifique ou l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), sur la solidarité nationale. C'est bien un minimum social, malgré son rattachement au code de la sécurité sociale.

Pourquoi, alors, ne pas débattre de la déconjugalisation de l'ASPA ? C'est une allocation très similaire, avec le même plafond. Ouvrons le débat pour toutes les prestations de ce type.

Le Gouvernement a choisi d'augmenter les prestations sans toucher aux principes fondateurs du système. C'est ce que nous faisons depuis 2017 en portant l'AAH de 800 à 904 euros mensuels pour le 1,2 million de bénéficiaires, soit un effort de deux milliards d'euros. Au total, cette allocation représente un investissement de plus de 12 milliards d'euros.

Quels sont les effets de cette proposition de loi ? D'abord, dans 30 % des couples, c'est la personne qui touche l'allocation qui travaille : ce sont eux, fiers d'être citoyens, qui verront leur pouvoir d'achat baisser. Certaines de ces 44 000 personnes verront même l'allocation supprimée. Conscients de ce problème, vous proposez un droit d'option qui ne fait que complexifier les choses. Où est la justice sociale, mesdames et messieurs les sénateurs communistes et socialistes, quand le pouvoir d'achat des plus aisés augmente et celui des plus pauvres diminue ?

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Ce n'est pas ce que nous disent les associations !

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Vous faites entrer dans le système les couples les plus aisés, et en faites sortir les plus modestes. La justice sociale, c'est flécher la solidarité nationale vers ceux qui en ont le plus besoin.

Si vous élargissiez la déconjugalisation à tous les minima sociaux...

M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Ce n'est pas l'idée !

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - ... cela coûterait 20 milliards d'euros. Nous assurons un investissement supplémentaire de 185 millions d'euros grâce à un abattement forfaitaire de 5 000 euros, qui représentera pour 120 000 personnes un supplément de plus de 110 euros en moyenne. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Ce sera dans le projet de loi de finances 2022. C'est un investissement redistributif, plus juste socialement.

Selon certains d'entre vous, les personnes en situation de handicap ne pourraient pas sortir de l'emprise de leur conjoint à cause de la conjugalisation. Or, grâce au dispositif mis en place avec les caisses d'allocations familiales, ces personnes, si elles quittent leur conjoint, retrouvent en dix jours la totalité de leur AAH, sans justificatif à présenter.

Si vous le souhaitez, ouvrons la voie à l'individualisation de toutes les allocations...

Mme Michelle Meunier.  - Chiche !

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Le groupe Les Républicains estimait que l'on ne pouvait aborder un tel sujet au détour d'une proposition de loi, souhaitant une réflexion globale sur le modèle social du XXIsiècle... Ce texte est loin du pacte social qui nous est cher. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme la présidente.  - Saluons les membres du conseil municipal des enfants de Caumont-sur-Durance, dans le Vaucluse, accompagnés par le sénateur Jean-Baptiste Blanc. (Mmes et MM. les Sénateurs applaudissent.)

M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Les amateurs de débat démocratique trouveront décevant le sort réservé à ce texte.

Nous avions saisi l'occasion de la première pétition en ligne à atteindre les 100 000 signatures pour entériner le changement de logique de l'AAH, en inscrivant à l'ordre du jour du Sénat ce texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, qui déconjugalisait la prestation.

Nous ne pouvions pas adopter conforme le texte de l'Assemblée nationale qui, en supprimant le plafond de ressources, pénalisait plusieurs dizaines de milliers de personnes. Aussi l'avons-nous rétabli et mis en place à l'article 3 bis un mécanisme de transition pour les perdants du nouveau système.

En nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement, n'étant pas sûr du vote de sa majorité, a fait usage des outils réglementaires les moins recommandables pour rétablir la conjugalisation. Notre abattement proportionnel a été remplacé par un abattement forfaitaire de 5 000 euros par an, avec un abattement supplémentaire de 1 100 euros par enfant à charge

Le Gouvernement souligne que sa proposition ne fait aucun perdant ; mais la nôtre non plus. Le Gouvernement dit aussi qu'il n'y aura aucun système informatique pour mettre en oeuvre notre solution de transition proposée à l'article 3 bis. Je ne prétends pas que c'est la meilleure, mais aucun des adversaires de Jean-Jacques Rousseau n'avait osé opposer l'informatique à la volonté générale exprimée par la loi...

Environ 120 000 ménages bénéficieraient de 110 euros supplémentaires, selon les services statistiques des ministères sociaux. Je ne voudrais pas ressortir, comme vous l'avez fait, madame la ministre, les dossiers qui fâchent, mais la baisse du coefficient multiplicateur pour les personnes en couple de 2 à 1,89 en 2018, puis à 1,81 au 1er novembre 2019, a permis 12 millions d'économies en 2018, 157 millions d'euros en 2019 et de 287 millions d'euros en 2020. Autrement dit, vous ne redistribuez qu'en partie les économies réalisées sur le dos de ces couples. Si c'est cela, la redistribution, vous en avez une conception originale...

En réalité, votre dispositif passe complètement à côté de la demande sociale : non pas une augmentation des prestations, mais une déconnexion qui rendrait la prestation plus propice à l'autonomie au sein du couple.

Le Sénat n'a fait que prendre acte des changements intervenus dans les politiques de soutien à l'autonomie de nos concitoyens. Nous disposons également, désormais, de données chiffrées sur les conséquences du changement de calcul, et nous connaissons mieux, grâce aux associations, la réalité des mécanismes de dépendance financière au sein du couple, qui pénalise surtout les femmes.

Enfin, une clarification a été opérée au plus haut niveau sur les principes de la politique du handicap. Le Gouvernement a, à l'Assemblée nationale, qualifié l'AAH de minimum social de droit commun ; la députée Jeanine Dubié, auteure de la proposition de loi, a répondu que c'était une prestation à vocation spéciale. C'est elle qui a raison : l'AAH est très particulière, dans ses conditions de versement, dans son assiette.

Le Président de la République lui-même a décidé de retirer l'AAH du chantier de la refonte des minima sociaux car, contrairement à la précarité, le handicap n'est pas une situation transitoire.

De même, le rapport de préfiguration de la cinquième branche de M. Vachey, rendu en septembre, préconisait le transfert de l'AAH vers la branche autonomie, car elle n'est pas un pur minimum social.

La commission des affaires sociales puis le Sénat ont donc accepté la déconjugalisation, en prémunissant les ménages pendant dix ans des conséquences négatives d'un changement de régime. Nous souhaitons aujourd'hui rétablir ce texte.

Plus profondément, il manque une vision cohérente du handicap qui rendrait les outils existants plus efficaces.

Le Gouvernement a introduit son dispositif à l'article 43 du projet de loi de finances. Nous devrons l'y suivre, même si en la matière la marge de manoeuvre des parlementaires n'est pas grande...

La volonté de déconjugaliser l'AAH a été exprimée par 100 000 citoyens par voie de pétition, par les deux chambres du Parlement, et elle tire les conséquences d'une décision présidentielle. Y faire obstacle est la preuve d'une obstination bien singulière... (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, GEST et SER)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Il y a sept mois, nous nous réjouissions de l'examen de cette proposition de loi, aboutissement d'années de mobilisation en faveur de la dignité.

La Commission consultative des droits de l'homme (CNCDH), la Défenseure des droits et le comité des droits des personnes handicapées des Nations unies demandent la déconjugalisation. Mais le Gouvernement s'est livré à un travail de sape pour vider la proposition de loi de sa force émancipatrice en remplaçant la déconjugalisation par un abattement...

De quoi ce refus de la déconjugalisation est-il le nom ? Il s'agit en réalité d'une résistance idéologique pure et simple : le refus de reconnaître que toute personne qui ne peut pas travailler a droit à un revenu individuel d'existence lui assurant sécurité, autonomie et dignité.

L'AAH n'est pas plus un minimum social qu'un revenu de remplacement : c'est un revenu d'existence. Le droit ne doit pas générer de dépendance ou d'asymétrie délétère dans le couple.

Même en incapacité de travailler, la personne en situation de handicap a droit à un revenu propre. C'est à cette fin que la commission des affaires sociales a adopté à nouveau la déconjugalisation.

Les écologistes appellent les députés à voter conforme le texte qui sera adopté aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Dès 2018, le groupe CRCE avait inscrit à l'ordre du jour une proposition de loi de Marie-Georges Buffet supprimant la prise en compte du revenu du conjoint dans le calcul de l'AAH, à l'époque refusée par la droite.

Nous saluons son changement de position, aidé par les 100 000 signataires à la pétition demandant un mécanisme qui garantit l'individualisation et l'absence de perdants dans le nouveau dispositif.

Le Gouvernement s'obstine pour des raisons idéologiques. En 2018, vous avez refusé notre proposition qui aurait fait, selon vous, 57 000 ménages perdants sur les 270 000 allocataires en couple. Et en 2021, vous invoquez l'informatique...

Madame la secrétaire d'État, respectez l'autonomie des personnes, sortez des notes administratives fournies par Bercy ! L'AAH est d'ailleurs déjà individualisée si les deux membres du couple en bénéficient. C'est une prestation qui relève du code de la sécurité sociale et non du code de l'action sociale et des familles.

Mme Laurence Cohen.  - Tout à fait.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Au mois de septembre, le comité des droits des personnes handicapées des Nations unies a appelé la France à séparer les revenus des personnes handicapées de ceux de leur conjoint ; le 30 de ce même mois, la CNCDH a demandé une déconjugalisation de la prestation. Enfin, mardi dernier, des associations ont écrit au Président de la République pour qu'elle soit reconnue comme revenu d'existence. Acceptez l'évidence, madame la ministre, et soutenez cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du GEST)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.) Difficile de ne pas se répéter en deuxième lecture, mais les rapports du Sénat et de l'Assemblée m'ont rappelé cette devise des Shadoks : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ».

N'agissons pas comme des Shadoks : déconjugaliser l'AAH est simple, votre abattement est complexe et se méprend sur la demande. Les personnes en situation de handicap demandent avant tout plus d'autonomie.

Ensuite, il n'y a de grandeur politique que dans des décisions assumées. Nous devons être clairs, comme l'est la demande de plus de 100 000 personnes qui veulent une déconjugalisation, pas un abattement ou une niche fiscale.

La demande est limpide, la réponse doit l'être. Sans cette exigence, comment reprocher aux citoyens de ne pas comprendre les institutions ?

Au nom du groupe UC, je vous appelle à vous servir de cette proposition de loi pour montrer aux citoyens les plus fragiles qu'ils sont entendus.

Ne réduisons pas l'AAH à un minimum social. Le groupe UC entend cette demande légitime d'autonomie et votera le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; Mme Michelle Meunier applaudit également.)

M. Stéphane Artano .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, applaudit également.) Dans un courrier adressé le 5 octobre au Président de la République, plus de vingt associations l'appellent à considérer avant tout l'AAH comme un revenu individuel de subsistance.

Sur 270 000 bénéficiaires en couple, 25 % ne bénéficiaient d'aucune revalorisation et 15 % d'une revalorisation partielle.

En mars, le Sénat avait validé sa déconjugalisation, avancée majeure pour l'autonomie. Les personnes en situation de handicap ne doivent pas avoir à choisir entre vivre en couple et percevoir un revenu. J'ai une pensée particulière pour ces femmes handicapées forcées, faute de moyens, de rester avec leur bourreau...

Au cours des débats houleux à l'Assemblée nationale, vous avez fait remplacer la déconjugalisation par un abattement.

Mais l'AAH est une prestation hybride : le Président de la République, en février 2021, l'a retiré du périmètre des discussions sur un revenu universel d'activité.

Le Sénat s'indigne de devoir à nouveau débattre sur ce que certains d'entre nous appellent le prix de l'amour.

Le RDSE soutient cette déconjugalisation pour répondre à l'égalité entre bénéficiaires et le primat de la solidarité nationale sur la solidarité familiale.

Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)

Mme Michelle Meunier .  - La proposition de loi porte essentiellement sur le mode de calcul de l'AAH. En mars, le Sénat a changé de regard sur cette prestation, donnant raison aux personnes en situation de handicap qui aspiraient à plus d'autonomie au sein du couple. L'Assemblée nationale avait adopté la proposition de loi contre l'avis du Gouvernement, sous la pression sociale.

Le rapporteur a modifié sa position depuis l'examen de la proposition de loi du groupe CRCE, en octobre 2018 ; je m'en félicite au nom du SER.

Voici deux semaines, répondant à une question d'actualité au Gouvernement, vous souteniez, madame la ministre, que la déconjugalisation favoriserait les couples aisés : or précisément, c'est la conjugalisation qui heurte les 100 000 signataires de la pétition, qui estiment qu'il ne faut pas priver de revenu autonome quelqu'un dont le conjoint gagne bien sa vie. « Stop à la dépendance financière dans le couple », disent les associations.

De plus, contrairement à ce que vous affirmez, la réforme ne fera pas de perdants, grâce au principe de faveur introduit par la commission pour une durée de dix ans.

Vous avez encore rappelé l'augmentation de l'AAH de 100 euros en 2017. Je vous en donne acte ; mais vous avez aussi nivelé par le bas les montants de la majoration pour vie autonome et du complément de ressources, et renforcé la participation forfaitaire pour actes lourds en 2018. La CNCDH a ainsi souligné que toutes ces mesures s'opèrent à coût constant, alors que la population éligible est en augmentation...

Enfin, l'AAH doit absolument être au moins équivalente au seuil de pauvreté, pour ne pas faire de citoyens à part.

Ce débat mérite mieux que des joutes oratoires, alors que les cordons de la bourse restent serrés pour l'AAH, et que le chantier d'une véritable prestation d'autonomie n'a pas été ouvert, faute de la loi pour le grand âge et l'autonomie longtemps promise. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE et du GEST)

M. Martin Lévrier .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Je dois évoquer la politique du Gouvernement : plus de 51 milliards d'euros sont consacrés chaque année aux personnes en situation de handicap, dont 11,1 milliards pour l'AAH, soit 2 milliards de plus sur le quinquennat. L'AAH a augmenté de 12 %, passant de 810 euros en avril 2018 à 902 euros par mois.

Le développement des plateformes de repérage des troubles autistiques et l'école inclusive, la fluidification des parcours, la hausse de 71 % du nombre d'apprentis handicapés, la transformation des MDPH sont autant d'avancées partagées par presque tous ici et que nous devons au Gouvernement.

Lundi dernier, le ministre annonçait encore l'ouverture de l'AAH aux personnes en situation de handicap mental, psychique ou de trouble du développement neurologique. Nouvelle attitude shadokienne ici !

L'AAH offre un minimum pour vivre, même célibataire. Le vrai problème au sein des couples ce sont les violences conjugales, contre lesquelles le Gouvernement a proposé des dispositifs spécifiques. En outre, cette mesure remet en cause le modèle de solidarité familiale.

Le groupe RDPI défendra un amendement pour rétablir l'article 3 dans la version de l'Assemblée nationale.

Enfin, je rappelle que l'abattement qui sera proposé au projet de loi de finances pour 2022 rapportera 110 euros en moyenne à 120 000 personnes en situation de handicap.

Certains martèlent que l'État doit être économe, mais cette proposition de loi représente un coût de 750 millions d'euros. Ce n'est pas notre conception du « en même temps ». Le RDPI votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Colette Mélot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mmes Véronique Guillotin et Élisabeth Doineau applaudissent également.) L'AAH est un revenu de solidarité créé en 1975, versé à 1,2 million de personnes dont 270 000 en couple, soit 11 milliards d'euros par an. L'allocation prend en compte les revenus du foyer : la solidarité nationale complète la solidarité familiale sans la remplacer.

Mais des associations ont écrit au Président de la République pour que cette allocation soit avant tout considérée comme un revenu d'existence et déconjugalisée. Il s'agit de garantir la pleine indépendance financière des personnes handicapées, en particulier des femmes, dont la surexposition aux violences conjugales est alarmante.

En première lecture, j'ai voté en faveur de cette mesure, attendue de longue date par des milliers de personnes placées en situation de dépendance à l'égard de leur conjoint. Malgré l'abattement de 5 000 euros proposé par le Gouvernement, ma position n'a pas varié.

D'autant que la commission des affaires sociales a eu soin de limiter les effets de bord de cette réforme - je pense aux 44 000 foyers qui seraient perdants - et d'en réduire le coût, à 560 millions d'euros, en revenant sur le déplafonnement des ressources. Elle a prévu également une modulation du plafonnement en fonction du nombre d'enfants à charge.

Je soutiens cette mesure de justice sociale, qui complétera utilement les efforts du Gouvernement en matière de handicap. À titre personnel, je voterai la proposition de loi dans la rédaction issue de la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC ; Mme Monique Lubin applaudit également.)

M. Édouard Courtial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Notre débat fait écho à celui qui s'est tenu jeudi dernier à l'Assemblée nationale, sur l'initiative du groupe Les Républicains.

Déconjugaliser l'AAH, comme nous le proposons et comme le tissu associatif le demande, c'est faire cesser une injustice persistante qui entrave l'autonomie des bénéficiaires, entraînant un sentiment d'inutilité et de perte de dignité. Il est insupportable que les personnes handicapées aient à payer un « prix de l'amour ».

Il y a urgence à revenir sur un mode de calcul qui viole nos engagements en matière de droits humains.

Sur la proposition du Gouvernement, les députés de la majorité ont préféré instaurer un abattement forfaitaire de 5 000 euros, augmenté de 1 100 euros par enfant à charge. En cherchant à jouer sur deux tableaux, le Gouvernement ne contente personne. Notre rapporteur propose donc à raison de rétablir la rédaction du Sénat.

Le mécanisme proposé par le Gouvernement ne consiste qu'à rendre aux allocataires ce qui leur a été retiré depuis 2019, notamment par les modifications du coefficient applicable aux personnes en couple, tombé à 1,81 - Philippe Mouiller s'inquiétait des effets de cette mesure dès son avis sur la mission « Solidarité » du budget 2019.

Par ailleurs, ce dispositif ne répond pas à la revendication d'autonomie des personnes en situation de handicap, en particulier des femmes, dont les revenus sont en moyenne plus faibles et qui sont plus exposées aux violences conjugales.

Une mesure de faveur fiscale ne saurait réparer une injustice fondamentale. L'adoption conforme est donc impossible.

Mme la secrétaire d'État fait valoir que nous ouvririons une boîte de Pandore. En réalité, l'AAH est une prestation d'assistance particulière : assiette relativement peu large de revenus pris en compte, mode de calcul des ressources personnelles assez avantageux, niveau plus élevé que ceux des autres minima sociaux, à la faveur des revalorisations successives depuis 2008.

Madame la secrétaire d'État, entendez notre appel, partagé par de nombreux groupes politiques. Le Gouvernement ne peut avoir raison seul contre tous !

Ce sujet mérite mieux que les débats politiciens et les conflits stériles. Puissiez-vous donc ne pas commettre la même erreur qu'il y a trois ans, sur la proposition de loi des Républicains pour l'inclusion des élèves en situation de handicap. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE 3

Mme Marie-Arlette Carlotti .  - L'AAH n'est pas une prestation sociale, mais une compensation du handicap par la société, destinée à assurer l'autonomie.

Aussi, madame la secrétaire d'État, je ne puis imaginer que vous acceptiez la perte d'autonomie et de dignité liée au mode de calcul actuel. Il est injuste d'imposer aux personnes handicapées de vivre dans l'ombre de leur partenaire !

J'insiste : voter la déconjugalisation n'est pas remettre en cause notre système de protection sociale, puisque l'AAH n'est pas une prestation sociale.

Visiblement, madame la secrétaire d'État, c'est Bercy qui décide... Car, connaissant votre engagement personnel, je ne puis croire que vous n'adhériez pas à cette juste cause.

Je me réjouis que la commission ait maintenu sa position. La déconjugalisation sera un pas vers la société plus inclusive que nous appelons de nos voeux. Par le passé, nous avons réalisé d'autres avancées. Aujourd'hui, faisons ensemble ce pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Laurence Cohen .  - La déconjugalisation, demandée par les associations, nous la défendons depuis la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale en 2018 par Marie-George Buffet.

Le « prix de l'amour » n'est pas acceptable, et trop de femmes en situation de handicap souffrent de violences conjugales. C'est pourquoi la Défenseure des droits recommande l'individualisation du calcul.

Comment justifier que l'AAH baisse lorsque le conjoint part à la retraite - de 3 276 euros annuels dans l'exemple que j'ai à l'esprit ? C'est scandaleux !

Non, madame la secrétaire d'État, vous n'avez pas raison envers et contre tout. Entendez les revendications des associations et revenez sur votre position. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et du RDSE)

Mme la présidente - Amendement n°2, présenté par M. Lévrier et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Rédiger ainsi cet article :

I.  -  Le premier alinéa de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les revenus perçus par le conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité qui n'est pas allocataire de l'allocation aux adultes handicapés font l'objet d'un abattement forfaitaire dont les modalités sont fixées par décret. » 

II.  -  Le présent article s'applique à compter des allocations dues au titre du mois de janvier 2022.

M. Martin Lévrier.  - Nous souhaitons rétablir l'article 3 dans la rédaction issue de l'Assemblée nationale.

L'AAH est un minimum social, destiné à assurer des conditions de vie dignes. Sa déconjugalisation aurait des conséquences sur l'ensemble de notre système de solidarité.

L'abattement défendu par le Gouvernement est à la fois plus efficace et plus juste. Il satisfera les besoins de chacun en assurant la pérennité de notre modèle de protection sociale.

M. Philippe Mouiller, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État.  - Avis favorable. Cette mesure d'application rapide fléchera la solidarité vers ceux qui en ont le plus besoin.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

L'article 3 bis est adopté.

Explications de vote

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Nous voterons cette proposition de loi que les associations réclament depuis des années, comme les 108 000 signataires de la pétition en ligne adressée au Sénat - une extraordinaire mobilisation citoyenne.

Nous avons déjà perdu assez de temps, madame la secrétaire d'État. Je rappelle que nous proposions cette mesure dès 2018 - nous n'étions pas, alors, en période électorale...

Pas moins de 19 % des personnes en situation de handicap vivent sous le seuil de pauvreté, 82 % déclarent s'en sortir très difficilement et la crise sanitaire n'a rien arrangé : les personnes en situation de handicap ont été particulièrement touchées.

Si je n'avais qu'un voeu à formuler, madame la secrétaire d'État, voici ce qu'il serait : arrêtez d'entendre, commencez à écouter ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Élisabeth Doineau .  - Je remercie les auteurs de cette proposition de loi, ainsi que notre rapporteur.

Je salue les avancées réalisées en faveur des personnes en situation de handicap au cours de la législature. Mais on n'en fait jamais suffisamment en faveur de ces personnes et de leurs familles. Le groupe UC votera donc ce texte.

C'est d'abord une question de démocratie : la parole des usagers doit être entendue dans tous les domaines.

C'est ensuite un enjeu de justice, car il s'agit de donner à chacun sa juste place dans le couple ; dépendre de l'autre, c'est une aliénation. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°2 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 320
Contre   23

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur l'ensemble des travées, à l'exception de celles du RDPI)

La séance est suspendue quelques instants.

Droit de visite pour les malades en établissements

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi .  - La crise sanitaire a représenté un choc collectif considérable, mais aussi une épreuve de vérité pour la Nation française.

Elle a révélé certaines faiblesses : excès de centralisme et de bureaucratie, manque d'anticipation, notamment. Mais surtout, au-delà des défaillances de gestion, elle a mis au jour un défaut d'humanité.

Dans nos établissements de santé et médico-sociaux, des personnes fragiles se sont retrouvées privées de tout contact avec leurs proches. Derrière ces portes closes se sont noués des drames terribles, en particulier pour les personnes en fin de vie, laissées seules face à la mort - malgré le dévouement de personnels soignants débordés.

Terrible, l'épreuve le fut aussi pour les familles, privées du rite de passage, parfois même d'un rite funéraire digne de ce nom. J'ai été profondément ému, comme beaucoup, par les témoignages de Stéphanie Bataille et Laurent Frémont, fondateurs de l'association « Tenir ta main » ; ce qu'ils ont vécu n'est pas admissible.

En mars dernier, le Conseil d'État a rappelé certaines évidences. La Défenseure des droits elle-même s'est émue de ces situations, au mois de mai. « Protéger nos aînés, ce n'est pas les isoler », a affirmé Emmanuel Macron.

La présente proposition de loi tire les enseignements de ces situations, en instaurant trois garanties.

D'abord, le droit de visite, aujourd'hui virtuel, deviendra effectif ; consacré comme disposition d'ordre public, il s'imposera aux règlements des établissements.

Ensuite, le bon sens requiert de confier ce droit non aux autorités administratives des établissements, qui obéissent à des circulaires uniformes tombant de Paris, mais aux autorités médicales, plus à mêmes de trouver les bons équilibres. Ce sera un rempart contre une froide mécanique bureaucratique.

Enfin, il s'agit de rendre inconditionnel, au nom de la solidarité et de la fraternité, le droit de visite pour les personnes en fin de vie. C'est là un principe fondamental.

Cette proposition de loi n'est ni un texte partisan ni un texte inspiré par l'émotion, si légitime soit-elle. Il s'agit de réaffirmer des devoirs d'humanité eu égard à la place que nous réservons, dans nos sociétés dites avancées, aux personnes les plus vulnérables.

Ce débat engage l'idée que nous nous faisons de la vie : en cherchant à protéger des vies humaines, n'avons-nous pas réduit la vie humaine à sa seule dimension biologique ?

En coupant leurs liens affectifs, nous avons ôté à certaines personnes leur raison de vivre : elles ont oublié que, au-delà de leur corps souffrants ou affaiblis par le grand âge, elles étaient des coeurs aimants et aimés.

Au nom de la sécurité de tous, nous ne devons pas sacrifier la dignité de chacun - demain, peut-être, un parent ou un ami. La question n'est pas simple, et nous ne faisons le procès de personne. Simplement, nous entendons tirer les leçons de la pandémie aussi sur le plan humain. Telle est la raison d'être de ce texte.

Ne laissons pas une forme d'hygiénisme sanitaire dénouer les liens entre les personnes. Nous ne sommes pas des individus, mais des personnes ; nous avons besoin les uns des autres. Souvenons-nous de la belle formule de Victor Hugo : « Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne (...) ; la destinée est une. »

Ne laissons pas, par excès de précaution, confiner la compassion ! Les plus fragiles d'entre nous doivent savoir qu'une main se tendra toujours pour les accompagner. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur le banc de la commission ; M. Daniel Chasseing et Mme Laurence Cohen applaudissent également.)

Mme la présidente.  - Je salue le Conseil municipal des jeunes de Gujan-Mestras, présent en tribune à mon invitation. (Applaudissements sur toutes les travées)

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Voici un texte de nature à nous rassembler très largement.

Il s'agit de préciser le droit à la visite des proches pour les personnes résidant en établissement et de rendre ce droit inconditionnel pour les personnes en fin de vie.

L'initiative est motivée par les événements récents : des milliers de personnes hospitalisées ou résidant en Ehpad ont subi un isolement forcé difficile à vivre, parfois même fatal - ce que la gériatrie nomme pudiquement le « glissement », ce sont des humains qui meurent de ne plus être considérés comme tels.

Soyons clairs : nulle intention de montrer du doigt, ni de refaire la commission d'enquête sur la gestion de la crise. Les directeurs d'établissement ont fait de leur mieux, avec les moyens dont ils disposaient et en appliquant des instructions nécessairement erratiques, car formulées sans visibilité.

Reste que nous avons assisté à une véritable catastrophe psychologique, individuelle et collective. Des proches ressentent angoisse et culpabilité face à un deuil impossible. Les fondateurs du collectif « Tenir ta main » n'ont sans doute pas tort de dénoncer un recul de civilisation sans précédent. De fait, au printemps 2020, des centaines de personnes décédées ont été mises en sac - je pèse mes mots - sans avoir revu une dernière fois leurs proches, ni même reçu les derniers soins que l'humanité doit aux défunts.

L'organisation des visites continue de susciter des interrogations : ici la prudence reste excessive, là les plages de visite sont trop étroites, parfois par manque de personnel.

La commission des affaires sociales a jugé le dispositif proposé opportun.

D'aucuns avancent que le droit de visite serait déjà garanti au niveau constitutionnel par le droit à la vie privée et le droit à la santé et consacré par la Convention européenne des droits de l'homme. Mais mieux vaut le préciser dans la loi pour éviter le recours au juge.

Quant à la Charte des personnes hospitalisées et au livret d'accueil du résident en Ehpad, ces documents de droit souple, plus ou moins précis, ne suffisent pas. Il appartient à la loi de définir le régime des droits et libertés. Au reste, elle est déjà plus explicite sur le secret médical ou encore le droit d'aller et venir.

Le texte de la commission est très proche de la proposition de loi initiale. Il consacre le droit de visite comme principe fondamental, responsabilise les directeurs d'établissement pour sa mise en oeuvre et le sanctuarise dans les cas extrêmes comme garde-fou contre les situations d'inhumanité.

Les refus de visite -  justifiés par une menace à l'ordre public ou un risque sanitaire  - devront être notifiés aux intéressés et motivés. L'avis sur le risque sanitaire pourra être rendu par tout professionnel de santé, car tous les établissements n'ont pas de médecin coordonnateur.

La commission a élargi le dispositif de la visite inconditionnelle, notamment pour inclure les amis de la personne en fin de vie. L'état d'urgence sanitaire ne pourra y faire obstacle. Aujourd'hui, certains patients en fin de vie refusent l'hospitalisation par peur ne plus pouvoir revoir leurs proches...

D'ordre public en vertu de l'article 6, ces mesures ne pourront être contredites par des stipulations contractuelles.

Cette proposition de loi vise des objectifs d'intérêt général avec des moyens proportionnés. Je vous invite à l'adopter dans le texte de la commission. La dignité humaine nous le commande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. -  Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l'autonomie .  - Des relations familiales sereines, la liberté, l'intimité : tels sont les sujets abordés par la présente proposition de loi, au regard des enjeux de protection et de sécurité.

Comment concilier deux droits apparemment contradictoires : être libre et être protégé ? Cette question n'est évidemment pas née avec la pandémie, mais il nous faut aujourd'hui repenser cette articulation sensible.

Je prends la parole avec une profonde humilité, car en ce domaine nul ne détient la vérité ; il n'y a place ni pour l'arrogance ni pour les certitudes.

Je remercie M. Retailleau d'avoir ouvert cet espace de débat. En revanche, je ne puis me résoudre à entendre parler de défaut d'humanité. Les soignants ont été engagés aux côtés des plus vulnérables ; il faut leur rendre hommage.

Si l'intention est empreinte d'humanisme, le droit de visite est déjà un principe législatif pour les établissements de santé comme pour les établissements médico-sociaux.

Au demeurant, je rappelle que, à l'exception de la période de mars- à mai 2020, il n'y a pas eu d'interdiction générale des visites.

Les établissements de santé sont avant tout des lieux de soins. Le droit de visite est celui d'un patient à être visité ; il peut refuser une visite au nom du droit à la vie privée.

Le patient et les visiteurs ont des droits, mais aussi des devoirs vis-à-vis des autres patients et des professionnels.

Le droit de visite est un principe déjà bien établi. Il ne serait pas réaliste de le rendre opposable, compte tenu des exceptions nombreuses : réanimation, urgences, maternité, psychiatrie, infectiologie, soins de suite, pour ne citer que ces cas. Il faut tenir compte aussi de la configuration des locaux ou des nécessités d'organisation des services.

Alors que les médecins sont pleinement mobilisés par leur activité de soin, la notification et la motivation systématiques ne sont pas souhaitables.

Dans le cas d'une fin de vie, le caractère particulier de la visite est déjà reconnu, avec possibilité de mesures adaptées. L'article R. 1112-68 du code de santé publique est même plus ouvert que le dispositif proposé.

Il est préférable de privilégier la médiation locale à la judiciarisation des situations.

Au reste, nombre de familles étaient très soucieuses de voir leurs proches protégés du virus. Certaines ont même menacé d'engager des procédures pour mise en danger de la vie d'autrui...

Je mesure la souffrance, parfois la colère, des familles qui ont souffert des décisions prises, très difficiles pour les directeurs d'établissement et toujours guidées par des recommandations scientifiques. Ces événements douloureux ne doivent jamais plus se produire.

Nous avons toujours eu à coeur de protéger les plus vulnérables dans cette période -  pas tout à fait terminée  - où la mort était omniprésente et l'incertitude, si grande.

Pour ma part, j'ai toujours défendu le principe : protéger sans isoler. Lors de la deuxième vague, nombre de directeurs ont dû réactiver des mesures de protection -  visites sur rendez-vous, par exemple  - , mais nous avons cherché à maintenir autant que possible les liens sociaux. Ce fut une ligne de crête, avec ses dilemmes éthiques et pratiques.

Nous avons voulu aussi donner aux professionnels un cadre, des directives à suivre. Les protocoles, sur lesquels le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a été consulté, ont été allégés dès que les situations l'ont permis. Sans relâche, nous nous sommes efforcés de tirer les conséquences de ce que nous étions en train de vivre.

Contre des vents parfois puissants, je me suis battue pour que la liberté soit la règle et l'isolement, l'exception.

En septembre 2020, j'ai lancé un groupe de réflexion éthique réunissant de nombreux acteurs - Défenseure des droits, associations, éthiciens, notamment. Nous avons construit ensemble des outils, notamment sur le consentement à la vaccination. Je remercie Fabrice Gzil pour son travail sur la charte éthique de l'accompagnement du grand âge. Ces travaux continueront d'être utiles après la crise.

L'éthique est première ; elle précède la norme et lui succède. La réflexion sur ce terrain est exigeante, mais nécessaire.

Il n'y a pas d'éthique d'exception. Il s'agit de trouver une juste mesure entre des principes qui entrent en conflit.

La Constitution garantit la liberté individuelle ; l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, le droit à la vie privée. L'article L. 311-3 du code de l'action sociale et des familles précise l'application de ces principes.

Dans un référé-liberté du 15 avril 2020, le Conseil d'État a jugé que des autorisations exceptionnelles de visite pouvaient être accordées, si la sécurité de chacun était assurée, notamment dans le cas d'une fin de vie. Il est donc déjà possible de faire valoir un droit de visite devant le juge.

Nombreux sont les textes et décisions rappelant qu'aller et venir est une liberté fondamentale. D'un point de vue strictement juridique, le droit de visite est déjà garanti.

Une nouvelle norme est-elle donc la bonne réponse ? La loi doit être connue et appliquée : le débat d'aujourd'hui participe à cet objectif.

Je suis une ministre de terrain, je vais à la rencontre des soignants, et j'ai vu que malgré l'adhésion de principe, malgré l'impulsion donnée sur la lutte contre la maltraitance, des atteintes aux droits des usagers demeurent, au nom de la protection des personnes - y compris contre elles-mêmes. Même si l'objectif est toujours faire au mieux pour les personnes accueillies, il reste une marge d'interprétation, un arbitrage entre droits et obligations. Le risque est d'entériner des atteintes aux droits des personnes, d'autant que les responsables ont peur d'être mis en cause à titre personnel en cas de prise de risque.

Il s'agit donc, au-delà de la loi, de penser des outils, des guides, des formations pour accompagner les personnels et les personnes, en s'inspirant du vécu.

Le Gouvernement a déjà engagé ce travail. Avec Éric Dupond-Moretti, Olivier Véran et Sophie Cluzel, nous avons missionné un groupe de travail interministériel, réunissant la direction générale des affaires civiles et du sceau et la direction générale de la cohésion sociale, chargé d'élaborer un cadre juridique clair pour les mesures de restriction de la liberté d'aller et venir.

Un État responsable accompagne ceux qui agissent et prennent des décisions.

Il faut aussi prendre la mesure du moment. Les professionnels, rodés, ont été soudainement confrontés à l'incertitude, à la mort, à la maladie. L'année 2020 fut éprouvante et je pense à ceux qui nous ont quittés. J'ai écouté, guidé et adapté les réponses au gré de l'évolution sanitaire : c'était le rôle de l'État.

Un procès en inhumanité ne grandirait personne.

Kant définissait le droit comme les conditions qui permettent à la liberté de chacun de s'accorder avec la liberté de tous. Le Gouvernement s'est engagé dans la mise en oeuvre du cadre juridique existant et veut avancer avec les familles et les directeurs.

En dépit des excellentes intentions qui la motivent, je ne peux donc soutenir l'adoption de cette proposition de loi.

Mme Laurence Cohen .  - Depuis le début de la pandémie, nous avons tous observé des restrictions, voire des interdictions de visite de patients hospitalisés. Protéger les patients du virus pouvait paraître légitime, mais cet isolement contraint a généré des traumatismes : sentiment d'emprisonnement, syndrome de glissement pour les résidents, deuils traumatiques pour les familles. Les professionnels du secteur médical et médico-social ont été exemplaires, mais eux aussi sont traumatisés. Les alternatives numériques ne remplacent pas le contact direct.

L'interdiction d'un dernier échange a été vécue comme une violence faite aux mourants et aux proches. Certains directeurs d'Ehpad ont imposé des limitations de visites de manière autoritaire et disproportionnée. À l'hôpital, les pratiques ont été très variables, d'un établissement à un autre, voire d'un service à l'autre, malgré les assurances du ministre de la santé.

Faute de texte contraignant, les directeurs demeurent libres pour édicter leurs règles de visites. Or les témoignages de reculs éthiques sont nombreux.

Le Conseil national professionnel de gériatrie estimait en février que la surmortalité due aux mesures de protection contre l'infection était au moins équivalente à celle liée au Covid-19, et rappelait le bénéfice sanitaire des visites.

Si la Charte de la personne hospitalisée de 2006 prévoit un droit aux visites, celui-ci se heurte au pouvoir de police laissé aux directeurs d'établissement. Une centaine d'Ehpad garderaient encore leurs portes closes.

Cette proposition de loi ne règle certes pas tout - notamment le problème des moyens financiers - mais ce n'est pas son objet : elle améliore les droits et dépasse les clivages. Le groupe CRCE y apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains)

Mme Jocelyne Guidez .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le droit de visite est celui de pouvoir dire « Au revoir, et à bientôt ». Un message simple mais profondément humain.

Merci à M. Retailleau pour son initiative et à Mme Imbert pour son travail en tant que rapporteur.

Nous saluons le courage et l'engagement des acteurs de la chaîne du soin. Malgré les difficultés structurelles et les dysfonctionnements, ils ont admirablement fait face à la crise, tantôt la peur au ventre, tantôt les larmes aux yeux...

La présente proposition de loi vise à garantir le droit de visite à l'hôpital et en établissement médico-social. En effet, les mesures de confinement ont isolé les patients les moins autonomes, pour qui la présence des proches est pourtant primordiale. Les Ehpad, qui ont concentré 25 % des décès de la covid, ont été mis sous cloche.

Le virus, très agressif pour nos aînés, a nécessité dans un premier temps des mesures de restriction strictes, qui ont rendu inhumaine la fin de vie des mourants, privés du soutien de leurs proches, et plongé les familles dans la culpabilité.

La Défenseure des droits a dénoncé cette mise à mal des droits et libertés des résidents, pour qui les proches sont le seul lien avec le monde extérieur, leur raison de vivre.

Nos aînés méritaient une autre fin de vie. L'Ehpad est devenu un lieu d'enfermement, favorisant le syndrome de glissement, malgré le dévouement des professionnels. Pour les familles endeuillées, c'est la double peine : le deuil sans contact, sans adieu ni visage, est aussi douloureux que le deuil sans corps...

Le 3 mars 2021, le Conseil d'État a suspendu l'interdiction générale de sortie des résidents d'Ehpad, jugée disproportionnée. Selon la Défenseure des droits, les restrictions à la liberté d'aller et de venir ne peuvent être laissées à la seule appréciation des directions d'Ehpad. Au-delà des seuls risques viraux, il faut prendre en compte les risques psychosociaux et affectifs qui pèsent sur nos aînés et mettre un terme à leur isolement.

La situation a changé : les établissements disposent désormais de tous les outils pour prévenir l'apparition de clusters et l'immense majorité des résidents sont vaccinés.

En l'état actuel du droit, aucun texte ne garantit le droit de visite. Cette proposition de loi comble donc un vide juridique.

Interdire le droit de visite ne serait plus le fait du directeur d'établissement mais du médecin chef ou d'un professionnel de santé, qui connaissent mieux la situation des résidents. Dans les Ehpad, le refus doit être motivé au cas par cas.

Ce texte cherche à concilier liberté et protection : le tout sanitaire atteint ses limites.

N'oublions pas les familles endeuillées : trouvons des solutions plus humaines, protégeons sans isoler.

Le groupe UC votera ce texte utile, tel qu'enrichi par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Alors que l'épidémie connaît un recul significatif, grâce à la vaccination, nous pouvons en tirer les premiers bilans.

Solitude et isolement ont sans doute conduit des personnes âgées à un syndrome de glissement, voire à se laisser mourir.

La santé est aussi liée à des facteurs humains, environnementaux et sociaux. Nombre d'erreurs ont été commises au début de la pandémie. La Défenseure des droits, dans son rapport, a dénoncé les effets délétères du confinement sur les personnes en Ehpad. Nous avons tous le souvenir de ces familles qui n'ont pu dire adieu à leur proche...

S'il est sain de se pencher avec un oeil critique sur cette période, n'oublions pas le contexte : nous ne savions rien de ce virus qui causait une hécatombe. À la maison de retraite de Mars-la-Tour, en Meurthe-et-Moselle, 47 % des résidents ont été emportés par le Covid en mai 2020 ! France Assos indiquait alors qu'interdire les visites relevait du principe de responsabilité et de solidarité. Les services hospitaliers étaient sous tension, le matériel de protection inadéquat. Difficile de juger a posteriori de mesures prises dans l'urgence et dans un tout autre contexte.

Le maintien du lien social demeure un objectif.

La majorité des membres du groupe RDSE votera la proposition de loi, mais une partie s'abstiendra.

L'éthique est centrale : il faut renforcer la collégialité au sein des établissements de santé, relancer les conseils de la vie sociale dans les Ehpad. Le débat doit aboutir à des chartes d'éthique. Directeurs et médecins référents ne doivent pas être laissés seuls face à de lourdes responsabilités.

Enfin, en ces temps de déclinaison du Ségur, il nous faut aussi penser à la restructuration des établissements pour une meilleure adaptation aux crises sanitaires. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Annie Le Houerou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi entend préciser le droit de visite à l'hôpital et en établissement médico-social et le rendre inconditionnel en fin de vie.

Les autorités sanitaires ont pris des mesures inédites face à une crise elle-même inédite. Je salue l'engagement de directeurs et des soignants, confrontés à des objectifs contradictoires : protéger contre un virus méconnu et respecter les droits des résidents et patients.

Le premier confinement a été particulièrement brutal ; parant à l'urgence, la prise en charge des patients en établissement a souvent négligé l'humain et l'aspect psychologique.

La solitude et le chagrin ont poussé certains à cesser de s'alimenter et à se laisser glisser vers la mort.

Boris Cyrulnik a qualifié de « rupture anthropologique » le fait que les familles n'aient pu dire adieu à leur proche, du fait d'une décision politique. Tout individu a le droit d'avoir une vie intime et affective. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rappelé en mai 2021 que le respect de la dignité humaine inclut le maintien du lien social, y compris en contexte de crise sanitaire. Le collectif « Tenir ta main », qui défend l'inscription dans la loi d'un droit de visite, a reçu plus de dix mille témoignages.

La Défenseure des droits, dans son rapport de mai 2021, a dénoncé les trop nombreuses atteintes aux droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad, avec des restrictions disproportionnées au regard de la situation sanitaire. Ces mesures sont dues à une absence de cadre normatif. Cette proposition de loi comble un vide juridique afin que de tels drames ne se reproduisent plus.

Faut-il légiférer sur le droit de visite ? L'article L.311-3 du code de l'action sociale et des familles précise que les libertés fondamentales des résidents en établissement d'accueil sont garanties.

La Charte des droits de la personne âgée de la Fondation nationale de gériatrie, qui date de 1987, mentionne l'importance du maintien des liens familiaux et amicaux, et prévoit l'accompagnement de la personne en fin de vie et de sa famille.

Passé la situation d'urgence extrême, le fait que le ministère ait laissé les directeurs d'établissement apprécier seuls la situation a fait prospérer des interdictions de visites disproportionnées au regard de la situation sanitaire.

Il faut donc distinguer le droit de visite en période de crise et en période normale. Ainsi, le délai de vingt-quatre heures prévu à l'article 3 semble difficile à appliquer en période de crise, et inutilement formaliste hors crise.

Les amendements adoptés en commission vont dans le bon sens. L'inscription du droit de visite dans la loi est une garantie d'humanité. Cela offre aux professionnels de santé et aux directeurs d'établissement un texte clair et précis pour fonder un refus de visite.

Même si l'épidémie actuelle semble refluer, nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle épidémie.

Grâce à l'action de la rapporteure Corinne Imbert, dont je salue le travail pragmatique, ce texte clarifie le droit. Le groupe SER le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Dominique Théophile .  - Ce texte part du constat que le Covid s'est accompagné de restrictions de visites parfois drastiques dans les Ehpad et les établissements de santé.

Elles ont permis d'éviter le pire, mais généré une profonde souffrance pour les patients, isolés, pour les soignants et pour les familles, qui ont eu du mal à accepter que les restrictions soient parfois décidées en dehors de tout cadre, et parfois sans réel fondement médical.

Cette proposition de loi qui garantit un droit de visite est séduisante, mais le cadre légal existe déjà : les articles L.311-3 et L.311-9 du code de l'action sociale et des familles, la charte des personnes hospitalisées y pourvoient, comme l'article R.1112-68 du code de la santé publique.

Il est en revanche évident qu'il reste beaucoup à faire pour rendre ce droit de visite effectif.

La Défenseure des droits préconise que les mesures de contrainte sanitaire soient prises pour une durée limitée dans le temps, et qu'elles soient individualisées. Elle rappelle aussi la nécessité pour les Ehpad de proposer des moyens de communication à distance, via la vidéoconférence.

Le groupe de travail interministériel sur la question est aussi bienvenu.

En ce qui concerne les établissements de santé, la Charte du patient hospitalisé, vieille de quinze ans, pourrait utilement être remise à jour.

Nous estimons que le cadre juridique en vigueur satisfait déjà cette proposition de loi. Il s'agit pour nous d'en assurer l'efficacité. Cette proposition de loi prématurée complexifierait le droit. Nous nous abstiendrons donc.

M. Daniel Chasseing .  - Cette proposition de loi aborde un sujet d'une grande importance. Nous avons tous été touchés, de près ou de loin, par la détresse d'hommes ou de femmes mourant dans la solitude, par celle de leurs proches qui n'ont pu les accompagner dans leurs derniers instants.

Je salue néanmoins l'action des directeurs, des médecins et du personnel des établissements pour éviter autant que possible les contaminations.

En 2020, nous n'avions ni vaccin, ni traitement : le virus était très contagieux, occasionnant de nombreux décès.

Cette proposition de loi, dans son article 4, précise que le droit de visite est absolu pour les personnes en fin de vie.

Je félicite Corinne Imbert pour ses amendements clairs et pragmatiques. Ce sont le chef de service ou le médecin coordonnateur qui prendront la décision d'autoriser ou non les visites. Nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle vague hivernale qui rendra des restrictions à nouveau nécessaires...

La rédaction de la commission apporte un cadre précis et adapté sur lequel pourront s'appuyer les responsables, et replace l'humain au coeur du système de soins, conformément au serment d'Hippocrate.

Le lien social est déterminant pour traverser les épreuves de la vie, mais souvenons-nous cependant que dans un établissement d'hébergement collectif, la contamination d'un seul patient par un proche risque d'entraîner la mort de dizaines de personnes !

La commission des affaires sociales a su trouver un juste équilibre entre sécurité sanitaire et préservation du lien social. Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Philippe Mouiller .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les interdictions de visite à leurs proches hospitalisés ou en Ehpad ont créé un traumatisme pour les Français. Des personnes âgées isolées se sont laissées mourir, les enfants qui n'ont pas pu les accompagner, ni même revoir le visage de leurs parents avant leur inhumation, se sentent coupables et ne parviennent pas à faire leur deuil.

Compte tenu de la grande vulnérabilité des personnes âgées et des taux de mortalité élevés au début de la crise sanitaire, des entraves à la liberté d'aller et de venir ont dû être prises, légitimement, pour préserver leur santé. Rappelons-nous, en mars 2020, nous n'avions ni gel ni masque ; les directeurs d'établissement n'ont pas voulu faire courir de danger aux résidents ou voir leur responsabilité mise en cause. Certains ont fait preuve de plus de mansuétude que d'autres. La plupart des professionnels ont montré une abnégation admirable : je pense à ceux d'un Ehpad charentais qui s'y sont confinés sept jours sur sept avec les résidents, pour les protéger.

Le droit de visite est une composante du droit à une vie privée et familiale reconnu et protégé par la Convention européenne des droits de l'homme ; il figure dans la Charte de la personne hospitalisée et celle des droits et libertés de la personne âgée.

Faut-il dès lors légiférer, compte tenu du cadre juridique actuel ? Oui, car ce qui peut sembler naturel ne l'a pas été pendant la période la plus critique de la crise sanitaire.

La Défenseure des droits a pointé des abus, ce qui plaide en faveur d'une clarification.

Ce texte, pour lequel je remercie le président Retailleau, y pourvoit.

Le droit de visite sera ainsi appliqué de façon uniforme surtout le territoire et deviendra la norme - et non l'exception.

C'est le médecin qui décidera des restrictions ; dans les établissements pour personnes dépendantes, le refus ne pourra être prononcé qu'au cas par cas. Le droit de visite deviendrait inconditionnel en fin de vie pour les membres de la famille, mais aussi pour les proches aidants, grâce à la rapporteure Imbert.

J'espère que cette proposition de loi transpartisane sera adoptée unanimement en séance comme elle l'a été en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - La crise sanitaire a été un révélateur des inégalités sociales et territoriales, mais aussi de notre résilience. Le premier confinement a été un traumatisme national.

Le droit de visite dans les établissements médico-sociaux est une expression du droit fondamental à la vie privée. Les directives qui se sont imposées ont conduit, pendant la crise, à des mesures de surprotection sanitaire des personnes vulnérables, entraînant parfois des conséquences irréversibles. Des restrictions ont parfois été inutilement maintenues.

La Défenseure des droits décrit des personnes ayant le sentiment d'être emprisonnées et ne voulant plus vivre.

Le droit au maintien des liens familiaux doit être respecté. La crise sanitaire a révélé combien il était nécessaire de rappeler les droits fondamentaux.

Madame la ministre, dans un débat éthique, il faut toujours s'interroger sur ce que dit le droit - qui gagne toujours à être formalisé.

La minoration de la santé mentale et affective a conduit à la mort de certaines personnes victimes du syndrome du glissement. La gestion a été uniquement médicale, interdisant toute prise de risque.

Il reste donc à travailler sur les bonnes pratiques en cas d'urgence et à s'assurer de l'effectivité des droits.

La formalisation du droit par cette proposition de loi est bienvenue, mais le problème des moyens alloués aux Ehpad demeure. Nous attendons hélas toujours la grande loi autonomie qui ferait enfin des personnes âgées ou en situation de handicap des sujets de droits et non des objets de soins

Le GEST votera cette proposition de loi pour qu'elle prenne place dans une réforme systémique à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Yves Bouloux .  - Merci au président Retailleau d'avoir été à l'initiative de ce texte bienvenu.

Avant le Covid, nous n'avions jamais eu l'occasion de nous pencher sur ce sujet. Je salue le rapport empreint de pragmatisme de Mme Corinne Imbert.

Nous devons, non pas stigmatiser, mais préparer l'avenir.

Le droit de recevoir des visites n'est pas expressément prévu par la loi. Il découle du droit à la vie privée et figure en général dans la charte du patient hospitalisé ou dans le livret d'accueil de l'établissement.

Il revient aux directions des établissements de l'organiser et de le limiter. Mais la crise sanitaire a entraîné sa suspension uniforme sur tout le territoire, sans qu'il soit tenu compte des conditions locales. De nombreux malades et résidents sont décédés seuls, sans avoir été accompagnés par leurs proches.

Les conséquences de ces entraves ont été catastrophiques pour les personnes âgées et leurs proches - ce fut le cas de ma propre mère. Privés de contact pendant de longs mois, certains ne reconnaissaient plus leurs proches au moment des retrouvailles et se murent désormais dans le silence.

Selon la Défenseure des droits, la crise du Covid a mis en lumière des pratiques inadaptées. Elle recommande la possibilité d'une visite quotidienne par ses proches si le résident le souhaite. Si nous adoptions ce droit de visite, il pourrait être effectif dès demain.

Chers collègues, avez-vous réalisé que les restrictions de visites avaient été moins dures pour les détenus ? Leur droit de visite n'a été suspendu que lors du premier confinement, et il ne faut pas de passe sanitaire pour se rendre en prison, alors qu'il est exigé pour aller en Ehpad. Peut-être est-ce parce que le droit de visite des détenus est inscrit dans le code de procédure pénale...

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté.

L'article 3 est adopté.

ARTICLE 4

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission.

Alinéa 2, dernière phrase

Supprimer les mots :

mentionnés à cet article

Mme Corinne Imbert, rapporteure.  - Clarification légistique.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Ne soutenant pas le texte, je suis défavorable à l'amendement.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article 4, modifié, est adopté.

L'article 5 est adopté, ainsi que l'article 6.

Explication de vote

M. Bruno Retailleau .  - De toute évidence, l'équilibre fragile entre sécurité sanitaire et risque de déshumanisation doit être préservé.

Cette proposition de loi ne met nullement en accusation les soignants, d'autant qu'ils ont probablement souffert de cette situation.

Madame la ministre, je ne remets pas en doute votre engagement personnel. Je sais que vous vous êtes battue, et que vous vous opposez à de nouvelles normes, mais nous votons tant de textes inutiles... Nous ne proposons pas celui-ci d'un coeur léger, mais que de manquements !

J'ai été saisi, au printemps, du cas d'un Ehpad où 100 % des résidents et des personnels avaient été vaccinés, mais où des restrictions de visites étaient encore appliquées, dans la limite de deux personnes et sous le regard d'un tiers. C'est insupportable !

Il est essentiel de faire entrer ce droit dans la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°3 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l'adoption 318
Contre    0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE)

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Merci pour la qualité des débats et pour votre travail, madame la rapporteure.

Ne pas soutenir ce texte n'est pas s'opposer au droit de visite. Je remercie M. Retailleau de l'avoir rappelé. Le travail sur le terrain se poursuit, mais nous préférons que le droit de visite soit applicable dans le cadre des textes déjà en vigueur.

Nous voulons en finir avec les blessures vécues durant cette crise sanitaire.

Mises au point au sujet d'un vote

M. Daniel Chasseing.  - Au scrutin public n°2, sur la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale, MM. Decool, Lagourgue, Médevielle, Malhuret et Wattebled souhaitaient s'abstenir.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique du scrutin.

La séance est suspendue quelques instants.

Implantation locale des parlementaires

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique favorisant l'implantation locale des parlementaires, présentée par M. Hervé Marseille et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi organique .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur diverses travées du groupe Les Républicains) Ceux qui comme moi appartenaient déjà à notre Haute Assemblée en 2013 se rappellent sans doute des débats enflammés sur la réforme de non-cumul d'un mandat exécutif local avec un mandat parlementaire forgée pour plaire à l'opinion.

Nous n'étions déjà pas si loin du « tous pourris » des gilets jaunes. Malgré cette réforme vieille de plus de sept ans, les accusations contre les élus, notamment les parlementaires, n'ont pas disparu. Il arrive même que des élus soient agressés. Certains de nos concitoyens appellent de leurs voeux la suppression de la démocratie représentative.

Face à cela, François Rebsamen, maire de Dijon, ressort la vieille lune visant à faire du Sénat un Bundesrat. Belle réforme, en vérité !

« Supprimons le cumul », disait le ministre Manuel Valls.

Plusieurs études ont montré que les Français étaient contre le cumul des mandats, sauf pour leurs propres élus.

Un sondage IFOP, demandé par notre groupe, montre que les sondés sont à 57% favorables au cumul du mandat de maire d'une commune de moins de 10 000 habitants et d'un mandat parlementaire.

Cette proposition de loi organique a pour objet de faire vivre ce débat. Plusieurs années après la réforme, le non-cumul a-t-il amélioré le fonctionnement de la démocratie ? Le Président de la République lui-même a récemment reconnu que le débat était ouvert. Le non-cumul n'a pas ramené les Français aux urnes et l'on entend désormais dénoncer des élus hors sol.

Nous sommes nombreux ici à avoir été maires. Nous savons tous que c'est bien différent d'être conseiller municipal, départemental ou régional, et maire ou président de département ou de région.

Le rôle du Parlement a-t-il été renforcé depuis la révision de 2008 ? L'équilibre entre législatif et exécutif est-il satisfaisant en 2021 ? Non ! De plus, les maires, qui ne sont plus parlementaires, ont du mal à faire entendre leurs voix.

Faut-il modifier ou abroger la loi de 2014 ? Nous proposons un simple aménagement.

Nous reconnaissons que la charge de travail n'est pas la même pour un maire d'une grande ville ou d'une commune de moins de 10 000 habitants. Ce seuil nous paraît pertinent, notre rapporteur - que je félicite pour son travail - ayant rappelé qu'il figurait dans le code général des collectivités territoriales (CGCT).

Nous avons souhaité éviter la polémique sur d'hypothétiques motivations financières. Vous savez que les indemnités sont plafonnées. C'est pourquoi j'ai suivi le rapporteur en acceptant la suppression de l'article 2 pour échapper à tout problème constitutionnel.

La différence des règles de cumul pour les parlementaires et les élus locaux est frappante : nous avons été nombreux en commission à rappeler l'importance du cumul horizontal. Comme le rappelait l'étude d'impact du texte de 2014, l'engagement des élus locaux est très prenant, c'est peu de le dire.

Je vous invite à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La question de la limitation du cumul des mandats est délicate et complexe.

Des cumuls excessifs sont aussi néfastes au Parlement qu'aux collectivités territoriales, mais l'interdiction absolue du cumul est tout aussi absurde que la liberté absolue d'avant 1985, d'où les lois restreignant le cumul qui ont suivi et qui ont été adoptées à une très large majorité. Mais après plus d'une décennie de débats, la loi organique de février 2014 a envoyé le balancier dans une direction mortifère pour le pouvoir législatif. Elle a rendu incompatible le mandat de parlementaire, soi-disant renforcé avec la révision de 2008, avec tout mandat exécutif local, au prétexte que ce dernier serait trop absorbant. Il s'agissait, après trois décennies de décentralisation, de libérer les maires et les présidents d'exécutifs locaux et de leur donner le temps d'exercer leurs mandats.

Les promoteurs de la réforme y voyaient aussi l'occasion de renouveler le personnel politique.

Mais aucune corrélation n'a jamais pu être établie entre non-cumul et la qualité du travail parlementaire.

Le fort taux de renouveau de l'Assemblée nationale en 2017 a été plus lié à l'émergence d'un nouveau mouvement politique que de l'application du non-cumul.

M. Rémy Pointereau.  - C'est juste !

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Interdire le cumul aggraverait le déséquilibre des pouvoirs au profit de l'exécutif, disait-on en 2013. Doit-on souscrire à cette thèse ? Ce qu'on constate, c'est que le quinquennat qui s'achève, comme le précédent, marque l'affaiblissement continu du Parlement, contrairement à la volonté du constituant de 2008.

De plus, se pose le problème de l'attractivité du mandat parlementaire : beaucoup ont abandonné ce dernier au profit d'un mandat local, plus gratifiant.

Enfin, ce non-cumul participe du sentiment de déconnexion des représentants nationaux. Le mandat parlementaire est profitable aux territoires, et les responsabilités locales au mandat national. Elles permettent parfois d'anticiper les crises : en 2019, Olivia Gregoire, votre collègue, Madame la ministre, disait que les députés qui avaient été maires avaient pressenti l'émergence du mouvement des gilets jaunes. (On le confirme sur les travées du groupe UC.)

Le Président de la République lui-même s'est ouvertement interrogé sur un assouplissement de la règle du non-cumul, le 6 janvier 2019, devant des maires normands. Le débat a ressurgi avec l'abstention massive lors des élections locales du printemps.

Enfin, trois ministres restent titulaires d'un mandat exécutif local (quelques marques d'ironie sur les travées du groupe UC), sans contrition ni signe d'épuisement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Alain Marc applaudit également.)

Le texte de 2014 était mal bâti, voire démagogique. Il faut donc retrouver un équilibre : c'est l'objet de cette proposition de loi organique, dont l'article unique supprime l'incompatibilité entre le mandat parlementaire et le mandat de maire ou de maire adjoint dans les communes de moins de 10 000 habitants, soit 97 % des communes. Ce seuil paraît pertinent : il marque une différence en matière d'obligations des autorités municipales ; c'est une sorte de frontière entre le monde urbain et le monde rural.

Je ne doute pas que l'initiative du président Marseille suscitera des discussions. Il faut rapprocher l'exercice du pouvoir de la réalité des territoires et son texte y participe. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Nadia Hai, ministre déléguée, chargée de la ville .  - Le Gouvernement n'est pas favorable à cette proposition de loi organique (nombreuses marques de déception sur les travées de droite et du centre) pour plusieurs raisons.

L'article L. 141-1 du code électoral a été introduit par la loi de 2014 relative au non-cumul. Vous évoquez le grand débat national, où les citoyens ont, il est vrai, exprimé un besoin de proximité avec leurs élus et souligné l'importance du terrain. Mais ils y ont aussi formulé des critiques sur l'absence des élus aux assemblées dont ils sont membres.

Le cumul n'est donc pas une solution aux besoins exprimés par nos concitoyens. (Protestations à droite et au centre)

Il y a d'autres solutions que le cumul pour rester proches des enjeux locaux. La loi autorise déjà un mandat local (marques d'ironie et huées au centre et à droite) non exécutif : conseiller des assemblées locales.

Ainsi, 145 parlementaires, dont 80 sénateurs, ont un mandat de conseiller municipal au sein d'une commune de moins de 10 000 habitants. Le mandat de maire exige une forte mobilisation alors que le travail parlementaire s'est accru : je peux en témoigner comme ancienne députée. (Nombreuses exclamations à droite et au centre)

Une voix à droite.  - Hors-sol ! Avez-vous déjà exercé un mandat ?

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Oui, de députée ! (Marques d'ironie à droite) Le maire est aussi un point de référence essentiel dans les petites communes. Il assume le lien avec les services de l'État. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées)

Mme la présidente.  - Il serait souhaitable de laisser Mme la ministre s'exprimer sans l'interrompre sans cesse.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - De plus, le seuil de 10 000 habitants est discutable. Dans sa décision du 13 février 2014, le Conseil constitutionnel a rappelé le principe d'égalité devant la loi et admis que le législateur pouvait déterminer un seuil pour le non-cumul si ce seuil n'est pas arbitraire. Or celui que vous proposez est inédit en matière électorale.

Malgré nos désaccords, je me réjouis de ce débat démocratique. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°25, présentée par M. Masson.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique (n° 24, 2021-2022) favorisant l'implantation locale des parlementaires.

M. Jean Louis Masson .  - En général, je ne soutiens pas le Gouvernement, mais en l'espèce, oui. (Exclamations ironiques à droite et au centre) À chaque fois qu'on parle de cumul, les cumulards s'agitent !

Le cumul des mandats et son corollaire, l'absentéisme parlementaire, sont deux particularités bien françaises, qui nuisent au bon fonctionnement de la démocratie.

Le Premier ministre Édouard Balladur résumait parfaitement la situation dans Le Figaro du 7 mai 2010 : « Il n'y a pas d'enthousiasme dans la classe politique, ni à droite ni à gauche, pour prohiber le cumul. Si on veut progresser, il ne faut pas se référer à la bonne volonté, il faut que la loi intervienne ». Non sans mal, le Président Hollande est parvenu à faire voter la loi organique du 14 février 2014. C'est un point positif à mettre à son actif, il faut d'autant plus le souligner qu'il n'y en a pas beaucoup.

Malheureusement, ceux qui ont conduit hier un combat d'arrière-garde contre la loi anti-cumul tentent aujourd'hui d'ouvrir une brèche au profit des cumulards. Je le regrette profondément.

Je pense au contraire qu'il faudrait aller beaucoup plus loin dans la limitation et prendre en compte le mandat de conseiller communautaire, d'autant que la montée en puissance des intercommunalités confère aux élus communautaires des responsabilités bien plus importantes que celles des élus municipaux.

Le cumul horizontal est aussi un vrai problème. À mon avis, la solution est de réduire les possibilités de cumul pour les élus locaux. (Marques d'impatience au centre et à droite) Il est honteux qu'on puisse être président d'une intercommunalité et maire d'une grande ville.

M. Laurent Lafon.  - C'est fini !

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Avis défavorable.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Si je ne suis pas favorable à cette proposition de loi, nous voulons poursuivre les échanges : avis défavorable à cette question préalable.

La motion n°25 est mise aux voix par scrutin public de droit.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°4 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 245
Pour l'adoption     1
Contre 244

Le Sénat n'a pas adopté.

(On s'amuse et on applaudit sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Renvoi en commission

Mme la présidente.  - Motion n°26, présentée par M. Masson.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission la proposition de loi organique (n° 24, 2021-2022) favorisant l'implantation locale des parlementaires.

M. Pierre Louault.  - Il cumule ! (Sourires)

À droite.  - Encore !

M. Jean Louis Masson .  - La fonction de maire d'une commune est un travail à temps plein, d'autant qu'il faut également participer à l'intercommunalité. À droite comme à gauche, beaucoup d'élus veulent profiter du système, raison du combat mené ici.

Le 9 juillet 2012, dans Le Figaro, un cumulard accusait ceux qui ne le sont pas d'être des élus hors-sol. Merci pour moi, qui refusais de cumuler. Élu sénateur en 2001, j'avais démissionné de mon mandat de vice-président du conseil régional.

Un autre sénateur cumulard disait que ces parlementaires deviendraient des apparatchiks, dépendants des appareils politiques. Je suis depuis réélu sans le soutien d'un parti politique, devançant en 2011 les listes de droite conduites par des super-cumulards. Je suis même arrivé en tête de toutes les listes en 2017 : pas mal pour un élu hors-sol !

Pas besoin d'être un cumulard, profiteur du système, pour comprendre les problèmes des communes. Un simple conseiller peut aussi bien connaître les dossiers, s'il travaille. (Marques d'impatience à droite)

Mme la présidente.  - Votre temps de parole est terminé.

M. Jean Louis Masson.  - Je reviendrai !

Mme la présidente.  - Je n'en doute pas !

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Le débat peut être passionnant et passionné, mais faisons preuve de retenue. En caricaturant, on se caricature soi-même. (Mme Françoise Gatel renchérit.) Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE)

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Je partage les propos du rapporteur. Mon ministère est rattaché à celui de la cohésion des territoires : les élus ne sont pas des profiteurs mais ils sont au travail pour leurs administrés et pour l'intérêt général.

On peut ne pas être d'accord, mais soyons à la hauteur des débats. Je veux rendre ici hommage aux élus. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDSE)

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

La motion n°26 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

Mme Françoise Gatel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.) L'exercice est difficile : je salue le rapporteur et le président Marseille pour son initiative pertinente et sage.

La loi de 2014 était censée être moderne et mettre un terme à une soi-disant extravagance française.

Le terme de cumul s'est diffusé comme un poison démagogique : il aurait été la cause de la défiance entre citoyens et élus. Sept ans plus tard, la loi guérisseuse n'a rien guéri.

On se compare avec l'Allemagne, mais c'est un pays fédéral, contrairement à la France centralisée où les collectivités territoriales ont bien du mal à freiner les injonctions de l'administration.

Les auteurs de la loi de 2014 expliquaient qu'il était humainement impossible d'assumer en même temps des charges locales et nationales, considérant les 35 heures comme la norme du temps de travail parlementaire... Mais ils ont autorisé le cumul avec une activité professionnelle à plein temps, ainsi qu'entre plusieurs fonctions exécutives locales. On peut ainsi être maire d'une grande ville et président de nombreux syndicats intercommunaux...

Cette règle partiale oublie qu'un président d'exécutif local est un chef d'orchestre, qui travaille en équipe.

On prétendait aussi que l'interdiction du double mandat renouvellerait la classe politique ; mais elle a renforcé le pouvoir des partis politiques, qui ont implanté localement des hommes et des femmes du sérail.

On disait que la loi de 2014 renforcerait la démocratie, mais l'électeur est toujours libre de son vote, et beaucoup de maires sont reconduits.

On a fait valoir que la possibilité de garder un mandat délibératif maintenait le lien avec le terrain. Mais qui peut faire croire que la fréquentation assidue des inaugurations, certes louable, peut donner une connaissance fine des affaires locales ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; marques d'agacement sur les travées des groupes SER et CRCE)

L'efficacité de la loi et de l'action publique s'en trouve-t-elle renforcée ? Non. Les lois restent trop souvent hors sol. Le Sénat, lui, se caractérise par l'expérience exécutive de nombreux sénateurs, grâce à laquelle il affûte, enrichit, perfectionne la loi.

Le groupe UC soutiendra avec une forte conviction cette proposition de loi organique de son président, contre une mesure qui n'a pas tenu ses promesses de renforcer la confiance dans la politique. Elle est justement calibrée. Je ne suis pas une fanatique des seuils, parfois castrateurs, mais celui que retient ce texte est nécessaire et satisfaisant. Il tire les leçons des critiques adressées aux élus, parfois justifiées mais amplifiées par les apôtres du populisme.

Faisons le pari d'une démocratie où tout citoyen peut être élu. Refusons le poison de la démagogie qui, bien plus que nos petites personnes, menace la démocratie.

Madame la ministre, je vous invite à faire part au Président de la République de cette proposition du Sénat. En la matière, nous devons aller au-delà du simple débat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Yves Roux .  - Depuis les lois de 1985, 2000 et 2014, les possibilités de cumul des mandats ont été très réduites, dans l'objectif de rendre plus transparente la vie politique.

Les auteurs de cette proposition de loi organique considèrent que ces mesures n'ont pas atteint leur but, puisqu'elle revient en partie sur la loi organique du 14 février 2014. L'article premier modifie ainsi le code électoral pour rendre compatible le mandat parlementaire avec les fonctions de maire d'une commune de moins de 10 000 habitants. En revanche, il ne revient pas sur la possibilité de cumuler des mandats exécutifs locaux.

Le RDSE a la proximité chevillée au corps : les parlementaires doivent s'appuyer sur leur expérience au sein des exécutifs locaux, communes, EPCI, syndicats mixtes. Mais la loi de 2014 est bien acceptée par nos concitoyens. Un retour en arrière, dans un contexte d'abstention importante, serait contre-productif.

Je souscris à la suppression de l'article 2, qui prévoyait, en cas de cumul, l'absence de rémunération du mandat local, par la commission des lois. Ce n'était pas un bon message pour les élus dépositaires de ces mandats.

Je crois nécessaire de rappeler que la loi NOTRe a modifié le paysage de la décentralisation, pour favoriser un cumul horizontal et silencieux, puisqu'il se joue au sein des conseils municipaux, départementaux ou régionaux. Cela appelle une régularisation.

Est-il du ressort de la loi de dire ce qu'est un élu « hors sol » ? N'est-ce pas aux électeurs de décider ?

Mme Françoise Gatel.  - Justement !

M. Jean-Yves Roux.  - Le RDSE votera majoritairement contre cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI, et sur quelques travées du groupe SER)

M. Jean Louis Masson .  - Je ne remets pas en cause le travail des maires, mais ceux qui veulent cumuler ces fonctions et celles de parlementaires.

Je ne retire strictement rien de ce que j'ai dit. Pourquoi certains pourraient-ils qualifier d'autres parlementaires de « hors-sol », sans que ceux qui refusent le cumul ne puissent dire ce qu'ils pensent des cumulards ?

Chacun a dénoncé le cumul horizontal, qui est effectivement un scandale. Des maires de très grandes villes sont aussi présidents de métropoles ou vice-présidents de grandes régions. Mais dans ce cas, il aurait fallu une proposition de loi pour l'empêcher et limiter le pouvoir de ces petits féodaux ! Au lieu de cela, nous avons une proposition de loi qui sert les députés et sénateurs... Il est vrai qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même !

M. Éric Kerrouche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Jules Simon, alors sénateur, déclarait en 1892 que le cumul des mandats avait pour conséquence qu'un citoyen en démocratie assume plus de pouvoirs qu'aucune aristocratie aurait jamais pu lui accorder.

Ce cumul nuit à l'efficacité de leur travail et au contrôle démocratique. Depuis 1985, des lois ont tenté de l'encadrer, à l'initiative de gouvernements de gauche. Par un sens du calendrier étonnant, le groupe UC veut, avec cette proposition de loi organique, revenir sur ces avancées démocratiques. On est en plein retour vers le futur !

Principal argument en faveur du cumul : les élus seraient déconnectés. Mais les lois en vigueur ne prévoient pas de mandat unique, et les parlementaires peuvent toujours cumuler.

M. Joël Bigot.  - Très bien !

M. Éric Kerrouche.  - Pour rendre acceptable ce texte, les auteurs ont prévu un seuil de 10 000 habitants, « réaliste », disent-ils. Il exclut ainsi du non-cumul 97 % des communes françaises... Les maires des communes de 1 000 à 3 500 habitants déclarent consacrer 35 heures hebdomadaires à leur charge d'élu ; ceux des communes de 3 500 à 10 000 habitants, 45 heures. Ils apprécieront de voir combien ce seuil valorise leur travail...

Le député Jean-Pierre Worms déclarait en 1985 que le cumulard doit assumer le double reproche permanent d'être insuffisamment présent dans sa collectivité et trop absent du Parlement. Nul ne peut maîtriser totalement ces deux engagements. Les sociologues Laurent Bach, Abel François, Martial Foucault et bien d'autres s'accordent sur les effets délétères du cumul.

Cette proposition de loi consacre une différenciation. Il y aurait donc deux types de collectivités, certaines méritant plus d'implication que d'autres ? Si la fonction parlementaire est indispensable à l'avancement des dossiers locaux, faut-il donner un siège à tous les maires et chefs d'exécutifs ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le cumul n'est pas la normalité, mais une caractéristique du système français au centralisme exacerbé par la Ve République. En 2012, 75 % des parlementaires exerçaient des fonctions d'exécutifs locales, deux fois plus que sous la IIIe République.

Jean-Éric Gicquel l'a dit : les parlementaires privés de Parlement ont trouvé un exutoire dans le pouvoir local. Le cumul est d'autant plus fort que le Parlement est faible. Michel Debré en 1955, Olivier Guichard dans son rapport de 1976 pointaient le cumul comme un agent de la centralisation. C'est une maladie auto-immune de notre démocratie. Alain Peyrefitte disait que le système ne peut s'accomplir que par la minceur des fonctions électives et la pérennise. Le cumul affaiblit le pouvoir représentatif.

Pour renforcer la confiance des citoyens dans la politique, conservons le droit en vigueur. De quoi a besoin la République ? D'un Parlement qui exerce ses missions, de collectivités locales reconnues et respectées, d'une vie démocratique qui se renouvelle. Je reprendrai le titre d'un rapport présenté en 2013 par François-Noël Buffet et Georges Labazée : « Valoriser les mandats par le non-cumul ».

Pour cela, il faut davantage de moyens pour les missions de contrôle et d'évaluation du Parlement. Plus l'on décentralise, plus il faut de temps et de reconnaissance pour les fonctions locales.

Le cumul, c'est la stratégie du baobab décrite par Yves Mény : par l'ombre qu'il fait, il empêche les autres de croître. Le cumul produit un assèchement électoral au détriment des femmes, des jeunes, des classes populaires, de la diversité.

Le groupe SER votera contre cette proposition de loi, qui donnera du Sénat l'image d'une institution conservatrice et déconnectée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Bernard Fialaire, Mme Véronique Guillotin et Mme Éliane Assassi applaudissent également. Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Alain Richard .  - On peut débattre avec calme et respect. Les élus, parlementaires comme locaux, qui ont reçu leur mandat des électeurs, l'exercent généralement avec dévouement.

Il faut rappeler que les mandats électifs sont bien cumulables, dans la limite d'un mandat local non exécutif. Il est quelque peu hâtif de dire que l'impossibilité pour les parlementaires d'exercer des fonctions locales exécutives les empêcherait de connaître les réalités locales. Beaucoup d'entre nous ont été candidats aux élections municipales, départementales et régionales. La capacité des parlementaires d'exprimer les besoins locaux est maintenue, à condition de tourner l'exercice de nos fonctions vers l'écoute et le contact local.

L'exigence de disponibilité nous empêche de vouloir un retour du cumul avec un mandat exécutif, même dans les communes de moins de 10 000 habitants - où la charge de travail n'est pas plus faible, compte tenu de l'absence de services administratifs conséquents. Tout cela n'est pas de nature à rapprocher les citoyens des parlementaires.

En revanche, il y aurait des questions connexes à traiter. Ainsi de l'absence de limitation du cumul de responsabilités électives par des élus purement locaux. Il faudra légiférer sur ce point. Autre question, la mise en place, après la fin de la réserve parlementaire en 2017, de « cassettes » pour chaque élu, libres d'emploi.

Si nous assumons notre mandat avec plénitude, dévouement, volonté de contact, avec l'écoute et avec l'intégralité de nos possibilités, la République n'a pas besoin de nous confier des fonctions qui sont assumées couramment par d'autres.

M. Alain Marc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La fin du cumul votée en 2014 est issue d'une petite musique qui fait des cumulards des profiteurs, sur l'air du « tous pourris ».

On trouve insupportable qu'un parlementaire assume un mandat exécutif, fût-ce dans une commune de 100 habitants, alors que le cumul de responsabilités locales est accepté.

Dans une étude commandée par les auteurs de la proposition de loi, 54 % des sondés se disent favorables au cumul des mandats tel qu'envisagé par le texte. Toutefois, peut-être n'était-il pas clair pour les sondés que les communes de moins de 10 000 habitants représentent 97 % des communes françaises...

Concernant l'article 2, si le non-cumul des indemnités est impossible constitutionnellement, il est politiquement indispensable.

Beaucoup d'élus locaux regrettent la fin du cumul. L'interdiction, en 2014, aurait été décidée sur la foi de sondages. Or souvent sondage varie, bien fol qui s'y fie !

Un mandat non exécutif local donne accès à la réalité du terrain, même si ce n'est sans doute pas suffisant. La question posée est celle de la place de l'élu.

Il existe des arguments pour et contre le cumul des mandats, c'est pourquoi chaque membre de notre groupe votera selon sa conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Rémy Pointereau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi corrige une erreur de la loi du 14 février 2014, qui a mis fin au cumul entre mandat exécutif local et mandat parlementaire, avec des arguments agréables aux populistes. On a pointé du doigt l'addition des indemnités, sans dire qu'elle était plafonnée ; on a pris pour exemple ceux qui allaient trop loin pour imposer cette fausse bonne idée à tous.

Nous sommes passés d'un extrême à l'autre. Paradoxalement, on peut aujourd'hui être maire d'une très grande ville, président de métropole et vice-président d'une grande région.

M. Guy Benarroche.  - C'est scandaleux !

M. Rémy Pointereau.  - Pourtant un parlementaire ne peut pas être maire d'une commune de 500 habitants ou vice-président d'un conseil départemental. Cherchez l'erreur !

Nous voilà avec des parlementaires déconnectés, hors sol. Le Sénat avait pourtant proposé des aménagements mais, une fois encore, nous avons eu tort d'avoir eu raison trop tôt.

La fin de la réserve parlementaire est venue achever le dépouillement du parlementaire et la baisse d'attractivité de la fonction. (Marques d'approbation sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) Il a fallu attendre les gilets jaunes et le grand débat national qui a suivi pour que le sujet revienne sur la table. (M. Jean-Marie Boyer approuve.)

Les élus locaux ont eux-mêmes demandé au Président de la République le retour du cumul. Celui-ci leur a répondu : « Je suis assez partisan de redonner du temps au législateur pour aller sur le terrain », en ajoutant : « C'est à vous d'avoir ce débat ».

Saisissant l'occasion, j'ai déposé le 14 juin 2019, avec 85 sénateurs, une proposition de loi organique permettant la complémentarité -  mot que je préfère à celui de cumul  - entre les mandats de parlementaire et de maire d'une commune de moins de 9 000 habitants ou de président d'intercommunalité de moins de 15 000 habitants. Elle n'a pas été inscrite à l'ordre du jour ; mais je me félicite que celle de mon collègue Hervé Marseille l'ait été.

Laissons l'électeur choisir en qui il place sa confiance.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

présidence de Mme Pascale Gruny, vice-président

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le Sénat représente les collectivités territoriales de la République : c'est l'article 24 de la Constitution. L'interdiction du cumul des mandats n'a pas pour objectif d'effacer la démocratie locale, mais d'éviter la concentration du pouvoir dans les mains de quelques-uns.

Je ne suis plus maire mais conseiller municipal et je ne crois pas avoir perdu le contact avec le terrain.

M. Jérôme Durain.  - Très bien !

M. Guy Benarroche.  - Avez-vous entendu les griefs des gilets jaunes et des abstentionnistes ? Comment pouvez-vous croire qu'ils veulent un retour au cumul des mandats ? Et comment pouvez-vous refuser toutes les propositions en faveur de la démocratie citoyenne ? Pour ma part, j'ai surtout retenu une défiance vis-à-vis de la professionnalisation des carrières politiques.

Vous dites que les électeurs choisissent, mais le cumul dans le temps est aussi un problème.

C'est par le non-cumul, la contrainte légale et la parité que de nouvelles personnes ont pu entrer en politique. J'ai été remplacé comme adjoint au maire dans ma commune de 6 500 habitants par quelqu'un qui a apporté ses idées, ses innovations.

La charge de travail est trop lourde si l'on est à la fois maire et parlementaire - et que l'on fait correctement son travail. Prendre une charge et ne pas l'assumer, voilà ce qui désole les électeurs.

Si vous déplorez le cumul horizontal à la Martine Vassal, interdisez-le ! (M. Jérôme Durain applaudit.) C'est d'ailleurs ce que les élus d'EELV s'imposent déjà pour règle.

Le GEST s'opposera à ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et RDPI)

Mme Éliane Assassi .  - Le constat du rapporteur est juste mais ses solutions ne le sont pas.

La déconnexion supposée entre élus et électeurs viendrait du non-cumul, dont je rappelle qu'il ne concerne que les mandats exécutifs. Cette analyse est un peu courte ! L'abstention particulièrement forte aux élections locales, selon cette logique, serait liée au non-cumul des mandats ?

En filigrane se pose la question du rôle et de l'efficacité du Parlement, de ses prérogatives et de la pertinence de son action. L'affaiblissement des assemblées est un fait. Leur représentativité est à revoir. Les catégories socioprofessionnelles supérieures y sont surreprésentées. À l'Assemblée nationale, la part des chefs d'entreprise est passée de 8 à 14 % et les ouvriers et employés en sont quasiment absents. Les jeunes, les personnes issues de l'immigration et les femmes sont sous-représentées.

Mme Françoise Gatel.  - Pour les femmes, il y a la loi !

Mme Éliane Assassi.  - Ne faut-il pas plutôt pointer l'hyper-présidentialisation, l'inversion du calendrier entre l'élection présidentielle et les législatives, qui expose ces dernières à l'effet de souffle de la première ? La verticalité folle du pouvoir : voilà le problème auquel il faut s'attaquer. Pas moins de 64 % des sénateurs et 56 % des députés sont des élus locaux -  78 %, si l'on en retire les députés de La République en marche... (Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SER)

Cela procède d'un choix politique d'affaiblissement du Parlement. La qualité du travail parlementaire a baissé : c'est surtout frappant à l'Assemblée nationale, à cause de la sélection des candidats de La République en marche sur CV, aux dernières législatives.

C'est au Sénat, élu partiellement à la proportionnelle, que le travail parlementaire est le plus efficace. Il faut chercher un nouvel ancrage démocratique par une autre voie que le cumul des mandats.

Le chemin est encore long pour renouer le lien entre citoyens et politiques.

Le groupe CRCE, dans sa majorité, ne votera pas cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER et du GEST)

M. Jean-Marc Boyer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'ancrage local est un impératif du bon exercice parlementaire. Comment bien légiférer sans mandat municipal, celui de l'enracinement local qui permet la remontée d'expérience du terrain ?

La crise des gilets jaunes a mis en exergue cette problématique. Nos parlementaires ont besoin d'un lien particulier sauf à être hors-sol. Il y a un trop-plein de vues générales dictées par la centralité jacobine. La verticalité du pouvoir imposée par un Macron-Jupiter a échoué.

Nos élus locaux ont la connaissance du terrain, contrairement à des parlementaires sans assise personnelle et soumis aux appareils partisans.

Comment parlementer si nos concitoyens ne peuvent plus nous faire confiance car ils n'ont plus de lien avec nous ? La ruralité, en particulier, a le sentiment d'être abandonnée. Nos concitoyens reprendront le chemin des urnes quand ils auront le sentiment que les élus leur apportent des réponses.

Je salue la proposition de loi organique de M. Pointereau et celle de M. Duplomb, qui étend les possibilités d'exercice du mandat de conseiller municipal par un parlementaire.

Quid du cumul des fonctions ministérielles avec un mandat exécutif local et du maintien de la réserve ministérielle ? Que de démagogie, que d'hypocrisie.

Je regrette que la voix des parlementaires dans les commissions d'attribution de la dotation d'équipement aux territoires ruraux (DETR) ne soit que consultative. Il faudrait une enveloppe qui leur soit spécialement allouée, dans la limite de 100 000 euros, au sein de la DETR.

Enfin, je me félicite que la commission ait rétabli la possibilité de cumuler certaines indemnités. Remettons du lien entre citoyens et élus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Cédric Vial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pourquoi une nouvelle loi ? Parce que nous sommes nombreux à considérer que la situation actuelle est insatisfaisante.

Cette proposition de loi organique a vocation à corriger les effets néfastes de celle de 2014. On nous a dit que les Français étaient contre, que ce n'était pas le moment. Mais agir en responsabilité, n'est-ce pas faire ce dont nos concitoyens ont besoin et non ce dont l'opinion publique a envie ?

J'estime, pour ma part, que le cumul doit être encadré et non interdit.

Ce débat, ancien, rejoint celui de la professionnalisation de la vie politique. Les élus savent qu'il est bien plus difficile de concilier vie professionnelle et mandat local que deux mandats locaux.

Il est vrai qu'il y a eu des abus et que l'opinion publique a vu dans le cumul une volonté d'additionner les indemnités, malgré l'existence d'un plafond. Mais comme souvent en France, avec un effet de balancier, nous sommes passés d'un extrême à l'autre. La qualité du travail législatif a été affectée par l'impossibilité pour les parlementaires de participer aux exécutifs locaux.

Nous devons trouver un juste équilibre. Nos concitoyens veulent des élus qui les comprennent vraiment. Quand on vit la même chose qu'eux, on ne les représente que mieux ! C'est en faisant que l'on apprend le mieux.

Mme le président.  - Veuillez conclure.

M. Cédric Vial.  - Ce texte n'est pas parfait mais c'est une manche gagnée par le bon sens contre l'air du temps. Il nous amène à un meilleur équilibre en nous préservant des excès du passé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - J'ai écouté les arguments de toutes et tous. Je suis d'accord que les deux jambes, locale et nationale, sont partie du rôle de parlementaire. Je récuse la notion de cumulard, mais aussi que le parlementaire sans mandat local serait « hors-sol », déconnecté du terrain. Le parlementaire entretient un lien permanent avec les acteurs de son territoire, il fait la loi, contrôle l'action du Gouvernement et évalue les politiques publiques : il travaille bien plus que 35 heures, comme l'a dit Mme Gatel ! Revenir au cumul ne me semble donc pas opportun.

Quant à votre condescendance, madame Assassi, vis-à-vis des députés LREM, elle n'est pas à la hauteur du débat. (Mme Éliane Assassi proteste.)

M. Alain Richard.  - Très bien.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

Mme le président.  - Amendement n°15, présenté par M. Masson.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après les mots : « conseiller municipal », la fin du premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral est ainsi rédigée : « , conseiller municipal, conseiller communautaire ou métropolitain. »

M. Jean Louis Masson.  - En toute logique, il s'agit de prendre en compte le mandat de conseiller communautaire, plus important que celui de conseiller d'une petite commune.

Mme le président.  - Amendement n°16, présenté par M. Masson.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral, les mots : « d'une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du présent livre » sont supprimés.

M. Jean Louis Masson.  - Celui-ci soulève un problème similaire. (Railleries sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme le président.  - Amendement n°18, présenté par M. Masson.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral est complété par les mots : « , conseiller d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre représentant une commune de 1 000 habitants ou plus, conseiller métropolitain ».

M. Jean Louis Masson.  - Pour faire plaisir à mes collègues, je vais lire intégralement le dispositif de l'amendement, ainsi que son objet. (L'orateur s'exécute.)

Cet amendement étend la limitation du cumul au mandat de conseiller communautaire représentant une commune de 1 000 habitants ou plus et de conseiller métropolitain.

Mme le président.  - Amendement n°17, présenté par M. Masson.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral est complété par les mots : « , conseiller communautaire ou métropolitain ».

M. Jean Louis Masson.  - (L'orateur donne lecture du dispositif et de l'objet de son amendement.) Celui-ci vise le mandat de conseiller communautaire.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Avis défavorable aux quatre amendements.

Vous durcissez les règles d'incompatibilité, ce qui est contraire à l'esprit de la proposition de loi.

Par ailleurs, vous supprimez l'incompatibilité avec le mandat de conseiller communautaire, mais pour le devenir, il faut déjà être élu municipal ! (M. Mathieu Darnaud et Mme Françoise Gatel le confirment.)

Les métropoles sont récentes, il est utile que les parlementaires puissent y siéger.

M. Vincent Segouin.  - Bravo !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Avis défavorable pour les mêmes raisons.

L'amendement n°16 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos15, 18 et 17.

Mme le président.  - Amendement n°19, présenté par M. Masson.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 1° de l'article L.O. 141-1 du code électoral, les mots : « et d'adjoint au maire » sont remplacés par les mots : « d'adjoint au maire et de conseiller municipal délégué ».

M. Jean Louis Masson.  - En réponse à ma question écrite, le ministre a ainsi répondu : « En matière d'interdiction de cumul d'un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales, la loi organique du 14 février 2014 a introduit la possibilité pour un parlementaire, membre d'un conseil municipal, de recevoir ou de conserver une délégation "si celle-ci porte sur les attributions exercées au nom de l'État mentionnées à la sous-section 3 de la présente section", conformément à l'alinéa 3 de l'article L. 2122-18 du code général des collectivités générales.

Il n'est ni raisonnable, ni logique de permettre à un député, sénateur ou député européen d'être conseiller municipal délégué.

M. Mathieu Darnaud.  - N'importe quoi !

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Avis défavorable.

Soit, vous durcissez les règles, mais une délégation permet de garder les pieds sur terre.

De plus, quelle date prendre en compte ? L'élection, la décision ou l'acceptation de la délégation ?

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - L'article L. 2222-18 de la loi organique du 14 février 2014 a modifié le code général des collectivités territoriales par cohérence avec l'interdiction de fonctions exécutives locales. Toutefois, des délégations pour des compétences exercées au nom de l'État ont été maintenues, au vu du caractère national du mandat parlementaire.

Votre amendement n'est pas opérant car il modifie un article du code électoral. Avis défavorable.

L'amendement n°19 n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

Mme le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Kerrouche et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Supprimer cet article.

M. Éric Kerrouche.  - Il y a une opposition philosophique entre ceux qui souhaitent le retour du cumul, même tempéré, et nous, qui considérons qu'il faut éviter cette pathologie.

Dans l'ensemble des démocraties occidentales, qu'elles soient unitaires ou fédérales, le cumul est une exception ou inexistant. Il faut séparer le monde local et le monde parlementaire : inutile de faire partie des deux pour que cela fonctionne.

Mme le président.  - Amendement identique n°4, présenté par M. Masson.

M. Jean Louis Masson.  - En réponse à Mme la ministre, c'est bien une loi organique qui a été votée mais le Conseil constitutionnel l'avait dégradée en loi ordinaire. Il aurait pu faire de même avec mon amendement. Attention à ce que vous affirmez !

Cela étant, vous avez compris mon opposition au texte - d'où cet amendement de suppression.

Mme le président.  - Amendement identique n°22, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

M. Guy Benarroche.  - La pratique ancienne du cumul témoigne d'une conception du politique dont l'objectif est de concentrer le maximum de pouvoir entre un nombre restreint de décideurs.

Le non-cumul permet d'accroître le nombre de personnes en responsabilités, renforce la vitalité de la démocratie, la diversité de la représentation politique et la confiance des citoyens.

Les parlementaires n'ont pas besoin de cumuler des responsabilités pour s'engager pleinement dans la vie politique locale et conserver un lien avec le terrain. Nous en sommes l'exemple. Cela fait d'ailleurs partie intégrante de leurs missions.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Avis défavorable à ces amendements qui vident la proposition de loi de son contenu.

La crise de défiance envers le politique n'est pas liée au seul cumul : on pourra reparler de l'affaiblissement du Parlement (M. Jean-François Husson le confirme), de la prolifération des ordonnances, du quinquennat...

Mais souvenez-vous de cet amendement au projet de loi Climat et résilience, dû à un député n'ayant jamais exercé de mandat local, qui imposait aux flottes de véhicules des communes d'être à 100 % propres avant 2025. Nous nous y étions tous opposés, car nous avons, nous, une expérience locale ! Il convient d'éviter ce type d'écueil.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Avis favorable, en cohérence avec notre position sur le texte.

M. Éric Kerrouche.  - Faites attention, monsieur le rapporteur : avoir été élu local n'est pas un prérequis pour être parlementaire. Les élus LaRem ne sont pas illégitimes parce qu'ils n'ont pas été élus locaux ! (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a d'autres expériences enrichissantes, professionnelles par exemple, que celle d'élu local.

Je le redis, le cumul des mandats est une anomalie dans les démocraties occidentales. Revenir sur le non-cumul, c'est ouvrir une première porte, puis une autre...

Mme Françoise Gatel.  - Je suis en désaccord. On a déplacé le débat sur la question existentielle de ce qu'est devenu le Parlement.

Mon opposition à cet amendement est fondée non pas sur le désir de voir des parlementaires détenir un mandat local, mais sur celui de voir le maire d'une commune de 500 habitants devenir parlementaire s'il le souhaite. La démocratie est tellement forte, tellement vraie, que l'on peut laisser les électeurs juges !

Nous ne faisons aucun procès en illégitimité.

Cher Éric Kerrouche, la loi de 2014 n'a rien guéri : parlementaires et élus sont insatisfaits, l'abstention n'a pas reculé. Je suis plus favorable à la limitation des mandats dans le temps. L'enfermement dans la doctrine de 2014 n'a rien de moderne !

M. Jean-François Longeot.  - Je suis surpris : être parlementaire et conseiller d'une région de trois millions d'habitants ne serait pas une anomalie, mais être maire d'une commune de cinquante habitant, si ?

J'ai du mal à entendre qu'un seul mandat suffirait à garantir la proximité. (M. Éric Kerrouche s'étonne.) Nous ne devons pas rencontrer les mêmes élus ! (Mme Éliane Assassi proteste.) Combien d'entre eux me disent que les textes votés ne correspondent pas aux attentes des citoyens ! Vous pouvez comprendre les maires, mais vous ne vivez pas leurs difficultés au quotidien. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE) Voilà l'anomalie !

On est passé de 360° à 0°.

M. Laurent Duplomb.  - Exactement !

M. Jean-François Longeot.  - Réfléchissons-y, c'est le bon sens paysan ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Mathieu Darnaud.  - Cher Éric Kerrouche, quelle philosophie a prévalu dans la loi anti-cumul ? La quantité de travail ? Mais vous avez fait d'immenses régions, et autorisé un parlementaire à être conseiller régional, et même président de commission... mais il ne pourrait être maire d'une commune de 50 habitants ?

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

M. Mathieu Darnaud.  - Vous parlez d'anomalie, de pathologie. Mais pourquoi alors tolérer un mandat non exécutif ? Vous avez fait de l'eau tiède, sûrement par clientélisme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Éric Kerrouche proteste vivement.)

Vous n'avez absolument pas traité la question du cumul horizontal ! Oui, si on peut présider une commission dans un grand conseil régional, on peut être maire d'une commune de cinquante habitants ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Claude Tissot.  - On peut être sénateur et conseiller municipal, départemental et régional. Je ne doute pas de votre envie sincère de participer à la vie locale, chers collègues. Rien ne vous l'interdit ! Un simple conseiller municipal peut très bien siéger à un syndicat d'énergie ou en charge du SCoT. Le seul interdit, c'est d'être membre de l'exécutif.

Est-ce le pouvoir que vous ne voulez pas partager ?

Mme Françoise Gatel.  - Oh ! Caricatural !

M. Jean-Claude Tissot.  - Vous avez une vision rétrograde de la gestion de la collectivité. Acceptez de laisser l'exécutif à d'autres.

M. Bernard Fialaire.  - Permettez qu'un parlementaire hors-sol témoigne. Je ne cumule plus aucun mandat après avoir été vingt-cinq ans maire, vingt ans président d'intercommunalité, et je ne pense pas être déconnecté.

M. Rémy Pointereau.  - Bien sûr !

M. Bernard Fialaire.  - Un député m'a dit être déconnecté du terrain depuis qu'il n'est plus maire... alors qu'il a été remplacé par sa femme ! (On s'amuse à gauche.)

Quel manque de respect, dans vos propos, pour les conseillers « de base », qui sont pourtant très impliqués dans leur collectivité ! Je continue d'assister aux conseils de mon ancienne commune, ainsi qu'à d'autres, au conseil communautaire...

À croire que certains ici souhaitent être maire pour mieux faire du lobbying pour leur territoire !

M. Vincent Segouin.  - Oh là là !

M. Bernard Fialaire.  - Notre combat devrait plutôt être de revaloriser l'ensemble des élus municipaux, et le travail des parlementaires. (M. Éric Kerrouche applaudit.)

À la demande du groupe SER, les amendements identiques nos1, 4 et 22 sont mis aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°5 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 321
Pour l'adoption 120
Contre 201

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme le président.  - Amendement n°20, présenté par M. Paccaud, Mmes Lavarde, Berthet et Joseph, MM. Genet et Sautarel, Mme Gruny, MM. Cambon et J.P. Vogel, Mme Muller-Bronn, MM. Bouchet, Favreau et Savary, Mme Belrhiti, M. Saury, Mme Estrosi Sassone et MM. Pointereau, Calvet, Rietmann, Chauvet, D. Laurent et Belin.

Rédiger ainsi cet article :

L'article L.O. 141-1 du code électoral est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 141-1.  -  Le mandat de député est incompatible avec :

« 1° Les fonctions de maire d'une commune de plus de 10 000 habitants ;

« 2° Les fonctions de président d'un établissement public de coopération intercommunale ;

« 3° Les fonctions de président de conseil départemental ;

« 4° Les fonctions de président de conseil régional ;

« 5° Les fonctions de président d'un syndicat mixte ;

« 6° Les fonctions de président du conseil exécutif de Corse et de président de l'assemblée de Corse ;

« 7° Les fonctions de président de l'assemblée de Guyane ou de l'assemblée de Martinique ; de président du conseil exécutif de Martinique ;

« 8° Les fonctions de président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président d'une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;

« 9° Les fonctions de président et de membre du Gouvernement de la Polynésie française ; de président de l'assemblée de la Polynésie française ;

« 10° Les fonctions de président de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;

« 11° Les fonctions de président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

« 12° Les fonctions de président de l'organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;

« 13° Les fonctions de président de l'Assemblée des Français de l'étranger.

Tant qu'il n'est pas mis fin, dans les conditions prévues au II de l'article L.O. 151, à une incompatibilité mentionnée au présent article, l'élu concerné ne perçoit que l'indemnité attachée à son mandat parlementaire. »

M. Olivier Paccaud.  - Cet amendement complète la proposition pertinente de M. Marseille, qui assouplit les règles en autorisant le cumul avec un exécutif municipal. Je vous propose d'aller un peu plus loin en étendant le cumul à la vice-présidence d'un département ou d'une région.

La loi nous a permis de sortir des abus d'hier. Je pense à un sénateur de mon département, de gauche, qui cumulait jusqu'à dix-sept fonctions, ce qui lui a valu les honneurs du Canard enchaîné ! C'était évidemment inacceptable.

Les collectivités ont-elles intérêt à se passer de l'expérience d'un parlementaire ? Je ne le pense pas.

Pierre Mauroy, député-maire, sénateur-maire, premier ministre-maire de Lille, parlait joliment de « courroie d'enracinement ». Donnons à nos collectivités la force du Parlement !

M. Rémy Pointereau.  - Très bien !

Mme le président.  - Sous-amendement n°27 à l'amendement n° 20 rectifié de M. Paccaud, présenté par Mme Gatel.

Amendement n° 20, alinéa 5

Compléter cet alinéa par les mots :

dont la population totale excède 10 000 habitants

Mme Françoise Gatel.  - La proposition raisonnable et raisonnée de M. Marseille a recueilli une majorité d'avis favorables lors d'un sondage.

Si l'amendement de M. Paccaud était accepté, il faudrait le compléter par l'autorisation de faire partie de l'exécutif d'un EPCI de moins de dix mille habitants. Malgré le seuil théorique de quinze mille fixé par la loi NOTRe, il en existe environ trois-cents.

Mme le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Masson.

Rédiger ainsi cet article :

Après les mots : « conseiller municipal », la fin du premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral est ainsi rédigée : « , conseiller d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. »

M. Jean Louis Masson.  - Les deux amendements précédents confortent ce que je pense : la proposition de loi est l'arbre qui cache la forêt, derrière lequel chacun est prêt à s'engouffrer pour amputer plus encore la loi contre les cumuls !

Le Sénat serait-il plus efficace, répondrait-il mieux aux aspirations, si nous revenions au système antérieur ? Il a pourtant voté la loi NOTRe, et ce avant l'interdiction du cumul ! Parmi ceux qui, comme moi, ont voté contre jusqu'au bout, il y avait des opposants au cumul... Preuve que c'est un faux argument !

Mme le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Masson.

Rédiger ainsi cet article :

Au premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral, les mots : « d'une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du présent livre » sont supprimés.

M. Jean Louis Masson.  - Défendu.

Mme le président.  - Amendement n°14, présenté par M. Masson.

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral est complété par les mots : «, conseiller d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre représentant une commune de 1 000 habitants ou plus, conseiller métropolitain ».

M. Jean Louis Masson.  - Défendu.

Mme le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Masson.

Rédiger ainsi cet article :

Le premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral est complété par les mots : « et conseiller d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ».

M. Jean Louis Masson.  - Défendu.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - L'amendement n°20 étend l'autorisation du cumul avec un certain nombre de fonctions. Sagesse : cela perturbe l'équilibre du texte proposé par le président Marseille, même si la demande est légitime.

Même avis sur le sous-amendement n°27, pour lequel mon engouement est plus marqué.

Monsieur Paccaud, je vous demande tout de même de retirer, à l'alinéa 9, la mention « membre du Gouvernement ».

M. Olivier Paccaud.  - Bien sûr ! C'est une coquille.

Mme le président.  - Il devient l'amendement n°20 rectifié.

Amendement n°20 rectifié, présenté par M. Paccaud, Mmes Lavarde, Berthet et Joseph, MM. Genet et Sautarel, Mme Gruny, MM. Cambon et J.P. Vogel, Mme Muller-Bronn, MM. Bouchet, Favreau et Savary, Mme Belrhiti, M. Saury, Mme Estrosi Sassone et MM. Pointereau, Calvet, Rietmann, Chauvet, D. Laurent et Belin.

Rédiger ainsi cet article :

L'article L.O. 141-1 du code électoral est ainsi rédigé :

« Art. L.O. 141-1.  -  Le mandat de député est incompatible avec :

« 1° Les fonctions de maire d'une commune de plus de 10 000 habitants ;

« 2° Les fonctions de président d'un établissement public de coopération intercommunale ;

« 3° Les fonctions de président de conseil départemental ;

« 4° Les fonctions de président de conseil régional ;

« 5° Les fonctions de président d'un syndicat mixte ;

« 6° Les fonctions de président du conseil exécutif de Corse et de président de l'assemblée de Corse ;

« 7° Les fonctions de président de l'assemblée de Guyane ou de l'assemblée de Martinique ; de président du conseil exécutif de Martinique ;

« 8° Les fonctions de président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président d'une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;

« 9° Les fonctions de président de la Polynésie française ; de président de l'assemblée de la Polynésie française ;

« 10° Les fonctions de président de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;

« 11° Les fonctions de président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

« 12° Les fonctions de président de l'organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;

« 13° Les fonctions de président de l'Assemblée des Français de l'étranger.

Tant qu'il n'est pas mis fin, dans les conditions prévues au II de l'article L.O. 151, à une incompatibilité mentionnée au présent article, l'élu concerné ne perçoit que l'indemnité attachée à son mandat parlementaire. »

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Avis défavorable aux amendements de M. Masson.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Avis défavorable à tous les amendements. Le régime de 2014 vise l'ensemble des fonctions exécutives, dont celles de vice-président. Le code électoral n'empêche pas un parlementaire d'exercer un mandat au sein des assemblées délibérantes locales.

Vous citez le regretté Pierre Mauroy. Il disait aussi : « Face au chômage, la sagesse est que les travailleurs travaillent moins ». (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Paccaud.  - Dites cela à M. Lecornu !

M. Éric Kerrouche.  - Non, madame Gatel, les Français ne sont pas pour le cumul, au contraire. Le sondage que vous évoquez était formulé de façon très particulière... Et un sondage n'est pas un vote !

Toutes les lois sur les intercommunalités ont prévu des procédures dérogatoires.

Monsieur Darnaud, en 1985, c'est la gauche qui interdit les super-cumuls. En 2000, elle a dû interdire aussi les pratiques de contournement, les élus « locomotives » qui se démettaient une fois élus. Il faut aller plus loin, dites-vous ? J'attends vos initiatives !

Il y a toujours des gens à qui les seuils ne conviennent pas. Mais multiplier les dérogations, c'est ouvrir la boîte de Pandore. Au fond de celle-ci, il y avait l'espoir. L'espoir d'une démocratie marquée par le non-cumul !

Mme Françoise Gatel.  - Monsieur Masson, je n'ai pas voté la loi NOTRe par conviction mais pour éviter le pire à l'Assemblée nationale. J'assume mon rôle de digue ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Monsieur Kerrouche, vous nous faites un aveu de culpabilité ! (M. Éric Kerrouche proteste.) Si la loi de 2014 avait fonctionné, cela se saurait : il y aurait des femmes et des ouvriers au Parlement, et des maires de village de 50 habitants seraient parlementaires si les électeurs le voulaient.

M. Éric Kerrouche.  - Vous fixez le seuil à 10 000 !

M. Mathieu Darnaud.  - En votant la loi NOTRe, nous avons renforcé les minorités de blocage et évité la disparition des départements !

Monsieur Kerrouche, vous avez toujours balayé d'un revers de manche toutes nos propositions visant à enraciner les parlementaires dans la vie locale, comme la DETR par exemple.

À entendre M. Tissot, on croirait que les maires de petits villages de 50 habitants sont assoiffés de pouvoir... Soyons raisonnables !

M. Jean-Claude Tissot.  - Ce n'est absolument pas ce que j'ai dit.

M. Mathieu Darnaud.  - Ma commune compte 12 000 habitants - je ne prêche pas pour moi, mais pour le maintien d'un lien de proximité entre les parlementaires et les territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Guillaume Gontard.  - Ce débat est surréaliste... mais je me réjouis d'apprendre que le Gouvernement est pour le partage du travail !

Vous parlez des communes de 50 habitants - mais vous fixez le seuil à 10 000 ! J'entends un certain dénigrement des petites communes. J'ai été maire d'une commune de 150 habitants : quand on n'a ni employé communal, ni secrétaire de mairie, difficile d'être au Sénat du mardi au jeudi ! (Mme Françoise Gatel le conteste.)

Je n'ai jamais rencontré sur le terrain quelqu'un pour réclamer le retour au cumul des mandats. (M. Laurent Duplomb proteste.)

En démissionnant de mon rôle de maire, je suis resté conseiller municipal de ma petite commune. J'ai conservé le contact avec la proximité - et le bon sens paysan !

Le sous-amendement n°27 est adopté.

L'amendement n°20 rectifié, sous-amendé, est adopté et l'article premier est ainsi rédigé.

Les amendements nos6, 5, 14, 8, 2 rectifié, 13, 12, 11, 10, 9 et 21 rectifié n'ont plus d'objet.

ARTICLE ADDITIONNEL après l'article premier

Mme le président.  - Amendement n°23 rectifié, présenté par MM. Pellevat et Genet, Mmes Puissat, Berthet et Noël, MM. Perrin, Panunzi et Cadec, Mme Muller-Bronn, MM. Meurant, Laménie et Sautarel, Mme Lassarade, MM. Charon et Savary, Mmes Belrhiti et Canayer, MM. Longuet, Houpert, B. Fournier, Calvet, Anglars, Lefèvre et Rietmann, Mme Dumont, MM. Bouchet et D. Laurent, Mmes Deroche, Bourrat et Thomas, M. Segouin, Mmes Procaccia et M. Mercier et MM. Grand, Belin et C. Vial.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L.O. 151 du code électoral est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« ....  -  Pour le remplaçant d'un député en application de l'article L.O. 176, le délai pour faire cesser une incompatibilité mentionnée au I ou II court à compter de la date du remplacement prévu par cet article. »

M. Vincent Segouin.  - Actuellement, le suppléant devient automatiquement député au lendemain de la démission ou du décès du titulaire. S'il ne souhaite pas devenir député, il doit démissionner de sa suppléance avant la survenance de l'événement l'appelant à remplacer le titulaire. Faute de quoi, il doit démissionner de ses mandats antérieurs incompatibles avec celui de parlementaire dans un délai de trente jours, même s'il compte démissionner du mandat de député -  pour ensuite se faire réélire.

Cette formalité est inutilement complexe.

On m'a opposé, en commission, un risque de vacance au Parlement nécessitant des scrutins partiels. Lors des dernières élections, seuls trois départements ont été concernés. Il est injuste de devoir quitter ses mandats locaux quand on ne souhaite pas conserver le mandat national.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Retrait ou avis défavorable. Sur la forme, l'amendement n'aboutit pas à l'objectif affiché. Sur le fond, cela incite à préférer un mandat local à un mandat national. Le problème de la vacance se poserait notamment à l'approche des élections législatives...

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Avis défavorable pour les mêmes raisons.

L'amendement n°23 rectifié est retiré.

ARTICLE 2 (Supprimé)

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Masson.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Le troisième alinéa de l'article 4 de l'ordonnance n°58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l'indemnité des membres du Parlement est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un parlementaire ne peut toutefois percevoir aucune indemnité pour l'exercice des fonctions de maire ou d'adjoint au maire. »

M. Jean Louis Masson.  - Les parlementaires qui veulent se dévouer pour leur commune doivent pouvoir le faire de manière désintéressée. Mais compte tenu des intérêts en présence, je doute que cet amendement prospère...

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - L'article 2 a été supprimé au vu du risque constitutionnel d'inégalité devant la loi. Pour être en cohérence, il faudrait que M. Masson renonce à son indemnité de conseiller régional... Pour la préserver, avis défavorable. (Rires)

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Avis défavorable à cet amendement, même si le Gouvernement est opposé au texte.

M. Daniel Chasseing.  - Être maire ou adjoint au maire est important pour un jeune parlementaire.

Un mot sur la réserve parlementaire, qui était contrôlée, et servait à financer de petits projets locaux. C'était un lien très important entre la population, les associations et les communes.

L'article 2 me paraissait intéressant, même si notre rapporteur nous dit qu'il était inconstitutionnel. Il aurait été préférable de ne pas cumuler les indemnités, pour montrer le désintéressement des parlementaires. Il ne faut pas que l'on puisse nous soupçonner de cumuler les mandats pour cumuler les indemnités.

Je m'abstiendrai.

Mme Françoise Gatel.  - Je remercie le rapporteur et le président de la commission des lois. J'invite M. Kerrouche à relire les débats de 2013 : ils étaient très nuancés. Cette proposition de loi organique heurte peut-être la bien-pensance ou la sincérité de certains. Si la loi de 2014 était parfaite, cela se saurait et se verrait dans les urnes.

Non, nous ne dénigrons pas les élus locaux ! Cela me choque qu'on le dise, ou qu'on parle de conseiller « local », ou « lambda ».

Quant à dire que nous serions assoiffés de pouvoir, c'est faux ! L'envie est de servir. Nous sommes mortels, et nos fonctions aussi.

Madame la ministre, enrichissez la réflexion du Président de la République de nos idées.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - La règle de l'écrêtement date de 1992.

On peut essayer de laver plus blanc que blanc mais in fine on court le risque du suffrage censitaire : seuls ceux qui en ont les moyens se présenteraient aux élections. Retrait ou avis défavorable.

M. Jean Louis Masson.  - Je m'y attendais. Pourquoi le non-cumul serait censitaire ?

Nous avons fait un grand pas ce soir : du maire de communes de moins de 10 000 habitants, nous sommes passés aux vice-présidents de conseils départementaux et régionaux !

Au rythme actuel, on arriverait dans deux heures à la suppression du non-cumul. J'assume ce que je dis et il est hors de question que je retire mon amendement.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI

Mme le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Masson.

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi organique tendant à abroger en partie l'interdiction du cumul d'un mandat parlementaire avec une fonction de maire ou d'adjoint au maire

M. Jean Louis Masson.  - Il faut appeler un chat un chat. C'est pourquoi je propose ce titre qui a le mérite d'expliquer l'objectif de cette proposition de loi organique, à savoir le rétablissement du cumul des mandats.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur.  - Avis défavorable. J'aime la simplicité : l'implantation locale des parlementaires, c'est du concret.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Avis défavorable.

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

Explications de vote

M. Éric Kerrouche .  - Deux positions très tranchées se font face ce soir. Est-ce qu'avant la loi de 2014, les choses allaient mieux ? (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains : « oui ! »)

Le cumul a eu un effet négatif sur le long terme car les territoires ayant des parlementaires cumulant les mandats étaient favorisés par rapport aux autres. Le cumul a asséché la démocratie locale, car les éventuels candidats hésitaient à affronter un cumulard.

Il n'est pas sérieux de dire que la crise de la démocratie est liée au non-cumul.

Mme Françoise Gatel.  - On n'a pas dit ça !

M. Éric Kerrouche.  - Si ! Dit et répété ! Ce sont des considérations d'élus pour les élus. La démocratie se fait avant tout pour les citoyens et le peuple !

M. Bruno Retailleau .  - Nous voterons cette proposition de loi organique pour mettre fin à deux formes d'hypocrisie.

Le Gouvernement s'oppose à notre demande avec une régularité métronomique, mais certains ministres cumulent !

En outre, les élus locaux ont le droit de cumuler plusieurs mandats.

La démocratie française a-t-elle été réparée par la loi sur le non-cumul ? Ou par la loi Notre ? Ces deux lois ont favorisé l'éloignement entre le lieu de décision et le terrain.

Lorsqu'on coupe les racines et qu'on désarticule local et national, on brise la confiance.

Nous voulons que nos concitoyens soient libres de choisir leurs élus, pas des solutions de facilité démagogiques. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean Louis Masson.  - C'est vrai que la loi NOTRe a été très mauvaise mais n'ayons pas la mémoire courte ! Concernant les redécoupages d'intercommunalité, elle ressemble très fort à ce que Sarkozy voulait faire. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Pareil pour le seuil de 15 000 habitants ! Qui a baissé de 10 000 le nombre de policiers ? C'est Sarkozy !

M. Bruno Retailleau.  - Sarkozy, sors de ce corps ! (Sourires)

M. Daniel Salmon.  - Le périmètre du débat est plus modeste ! Lorsque l'on a été élu local, on a une tout autre vision de ce qui fait société. Avec le cumul, on empêche nos concitoyens de participer à la vie politique locale. La lutte contre le cumul est donc une évidence. Ce ne sont pas les positions réactionnaires qui vont arranger le débat démocratique dans ce pays. Chacun doit pouvoir s'investir dans la vie locale.

M. Alain Richard.  - Espérons que ce débat se conclut là. Il y a sans doute beaucoup de questions à se poser sur le lien entre nos concitoyens et les élus.

Nous ne sommes pas convaincus par les dispositions proposées, alors que des outils institutionnels existent déjà. Le rétablissement d'un cumul partiel est une illusion.

Cet arrangement institutionnel bancal, offert par la proposition de loi organique, ne sera pas concluant et vite oublié.

M. Jean-Marc Boyer.  - M. Sarkozy avait proposé la création de conseillers territoriaux. Avec les grandes régions, c'est désormais impossible. Tout le monde parle du millefeuille territorial mais personne ne cherche à le réduire.

La proposition de loi organique est mise aux voix par scrutin public de droit.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°6 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 316
Pour l'adoption 197
Contre 119

Le Sénat a adopté.

Prochaine séance demain, mercredi 13 octobre 2021, à 15 heures.

La séance est levée à 21 h 20.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 13 octobre 2021

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président

Secrétaires : M. Joël Guerriau - Mme Françoise Férat

1. Questions d'actualité

De 16 h 30 à 20 h 30

Présidence : Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

2. Proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2, présentée par MM. Patrick Kanner, Bernard Jomier, Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Monique Lubin et plusieurs de leurs collègues (n°811, 2020-2021)

Le soir

Présidence : M. Vincent Delahaye, vice-président

3. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021