Harcèlement scolaire et cyberharcèlement
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : harcèlement scolaire et cyberharcèlement.
Mme Colette Mélot . - La question du harcèlement scolaire est grave et d'une brûlante actualité.
Le groupe Les indépendants est à l'origine d'une mission d'information sur le sujet, présidée par Sabine Van Heghe, que je remercie.
La préoccupation est très largement partagée quant à ce fléau qui sape des fondements du vivre-ensemble.
Le harcèlement scolaire est un drame individuel, mais aussi collectif ; il frappe dans tous les milieux ; internet démultiplie les conséquences dramatiques de ce continuum de violences entre l'école et la sphère privée.
Près d'un élève sur dix en est victime. Les filles sont plus fortement touchées par le cyberharcèlement ; les différences sont stigmatisées.
Si la prise de conscience des pouvoirs publics date d'au moins dix ans, les deux tiers des enseignants s'estiment encore mal formés.
Saluons les associations actives dans ce dossier, comme Hugo ! ou Marion La main tendue. C'est la prise en charge du dernier kilomètre qui fait souvent défaut. Paradoxalement, la panoplie semble trop étendue : il y a des numéros d'appel, un site dédié, un concours national, une journée des élèves ambassadeurs : mais ces outils sont insuffisamment connus et utilisés.
Ce harcèlement est pénalement réprimé, avec une circonstance aggravante lorsqu'il a pour victime des mineurs, s'il a lieu sur les réseaux sociaux, ou en meute.
Mais le secret des correspondances fait obstacle à une action judiciaire efficace lorsqu'il se produit via des messageries privées, notamment lorsqu'elles ont leur siège hors de France, voire hors d'Europe. Cela plaide pour la construction d'un cadre européen, voire international.
La mission d'information avait pour objet une accélération de la prise de conscience. Nous avons veillé à rédiger des recommandations classées par grands axes et séquencées dans le temps. Il faut mieux mesurer le phénomène ; il semblerait que le confinement ait donné lieu, logiquement, à une stagnation du harcèlement scolaire, mais à une augmentation du cyberharcèlement.
Les numéros d'appel doivent figurer dans les carnets de correspondance et les agendas scolaires, pour que la victime n'ait à faire aucun effort de mémorisation. Suivant l'exemple scandinave, il faut construire un climat scolaire de qualité, y compris en faisant évoluer la formation initiale et continue des adultes qui interviennent en milieu scolaire ; et en établissant un document d'information annexé au projet d'établissement, pour indiquer clairement aux élèves leurs droits et leurs devoirs.
Pour détecter plus vite les situations de harcèlement, il faut s'attacher aux signaux dits faibles, comme lorsqu'un élève ne termine pas son repas de midi à la cantine plusieurs jours de suite.
Nous suivrons de près la généralisation du programme pHARe. Où en est son déploiement ? Il faut traiter sans délai tous les cas de harcèlement et combiner justice restauratrice et sanction des harceleurs. Le harcèlement est illégal. Les stages d'intérêt général doivent être développés.
Il faut mettre fin à la double peine qui impose trop souvent à l'élève harcelé de quitter l'établissement. Le harcèlement ne doit plus être toléré !
Le harceleur, le harcelé, les témoins doivent être capables de caractériser les comportements. Nous comptons sur vous dans la course contre la montre avec la propagation de la malveillance sur les réseaux sociaux. Il reste du chemin à parcourir. Je salue à cet égard la réunion qui a eu lieu entre le ministre de l'éducation nationale et les représentants des réseaux sociaux.
Nous comptons aussi sur la présidente française de l'Union européenne pour avancer, par exemple sur les stress tests destinés à vérifier que les réseaux sociaux remplissent les objectifs en matière de retrait des contenus litigieux ; ou sur la dissuasion par la publicité - le name and shame.
Nous avons travaillé avec pragmatisme en faveur de ce qui doit devenir dès 2022-2023 une grande cause nationale. (Applaudissements)
Mme Toine Bourrat . - L'enfance est de ces temps fragiles que les regrets ignorent, que la souffrance effleure ; elle est l'aube des promesses, la démonstration parfois trompeuse mais toujours nécessaire de l'innocence, de l'illusion. Bercée des devoirs de l'apprentissage du destin d'adulte et de la vie collective, l'école, quant à elle, est d'abord le balbutiement de la conscience d'autrui, le lieu de l'apprentissage du savoir, le temple de l'instruction, qui permet à nos enfants de grandir, de s'épanouir, tant sur le plan personnel que collectif, et ainsi de devenir des citoyens vertueux, ouvert aux autres et sur le monde.
Pour tous nos jeunes compatriotes, voilà ce que devraient être l'enfance et l'école. Mais je viens de vous décrire un idéal déchu, tant cette école est peu à peu devenue, par le seul fait du harcèlement, un espace de souffrance, de mal-être et de violence, le cyberharcèlement instaurant un continuum pervers de violence invisible qui va bien au-delà des grilles des établissements.
Le rapport de notre mission d'information met en exergue l'ampleur du phénomène. Nous avons besoin d'un électrochoc.
Cette réalité vertigineuse, illustrée par le suicide d'une élève de 12 ans, il y a une semaine, dans le Pas-de-Calais, est trop souvent plongée dans le déni : les victimes seraient en moyenne deux ou trois par classe ; une victime sur quatre a pensé au suicide ; mais il n'y a qu'un professionnel santé pour 12 000 élèves.
Tout délai est un drame. Le mot clé est la réactivité. Le temps, en la matière, est notre ennemi, ce temps qui écrase, dilue et parasite l'action, notamment celle du témoin, le public du harceleur, les camarades qui n'alertent pas, de peur d'être considérés comme des délateurs.
La culture de la vigilance, c'est briser l'omerta. Les témoins doivent pouvoir donner l'alarme. On pourrait s'inspirer de l'application sorority qui permet de détecter les signaux faibles des violences conjugales en adossant de telles possibilités de signalement anonyme sur OSE ou sur Pronote.
Sur internet, l'information se répand parfois avec une rapidité mortelle. Les réseaux sociaux doivent être contraints de bloquer des contenus a priori, comme TikTok le fait à chaque signalement. Nous l'avons vu récemment avec l'ignoble vague anti-2010.
Sacrifier l'enfance, c'est sacrifier la vie collective. Je pense à cette phrase de Fénelon : « Les premières années de l'enfance sont les plus précieuses, car elles décident du sort des autres ». (Applaudissements)
M. Pierre Ouzoulias . - À l'école, les vexations ne sont pas nouvelles : Flaubert a décrit en 1857 les brimades subies par Charles Bovary, devenu la risée de sa classe à cause de sa balourdise, dans le premier chapitre de son roman.
L'expansion de l'usage des outils numériques, jusque dans les mains d'enfants de plus en plus jeunes, a incontestablement donné à ce harcèlement scolaire une ampleur qui exigeait que le Sénat s'en préoccupât. Le CRCE est reconnaissant à la mission d'information pour son substantiel rapport, qui dresse un bilan nouveau et propose une politique nationale pour y remédier.
Les établissements et leurs équipements doivent être au coeur de la lutte, même si le harcèlement continue à la maison, à cause de la dépendance, toujours plus despotique, des jeunes aux réseaux dits sociaux.
La mission de l'école ne s'est jamais arrêtée à la transmission de connaissances : ouvrant la voie à l'émancipation et diffusant une morale républicaine, elle se doit d'éduquer, au sens latin, c'est-à-dire de former des esprits. Résistons cependant à la tentation de demander à l'école de traiter tous les maux de la société. Nous ajoutons souvent des lignes aux programmes éducatifs : si une formation sur le cyberharcèlement est utile, il ne faut pas que le code de l'éducation devienne un cahier de doléances.
Le rapport dont nous débattons recommande avec raison la reconstitution, dans les établissements, d'équipes pluridisciplinaires composées de médecins, de psychologues et d'assistantes sociales.
S'agissant des réseaux dits sociaux, les révélations de Frances Haugen sur la banqueroute morale de Facebook sont alarmantes : ces réseaux sont complices de la transmission du harcèlement. Le psychiatre Serge Tisseron, qui les considère comme toxiques, recommande d'en réglementer l'usage, alors que, par faiblesse, nous leur laissons trop souvent à eux-mêmes la responsabilité de se réguler.
La loi du 22 décembre 2018 confie au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) l'analyse de fonctionnement des algorithmes des plateformes, mais elle n'est pas appliquée, faute de sanctions. N'attendons pas une évolution positive de leur part, tant que nous ne nous attaquerons pas à leur modèle économique. (Applaudissements)
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Toine Bourrat applaudit également.) Merci au groupe Les Indépendants pour ce débat. De 800 000 à 1 million d'enfants sont affectés en France par le harcèlement ; c'est un élève sur dix. Ce drame individuel et collectif, amplifié par les réseaux sociaux qui créent une violence permanente, frappe même 25 % des collégiens. Nous avons ainsi vu apparaître à la rentrée le hashtag #anti-2010 sur TikTok.
En 2020, le cyberharcèlement a augmenté avec le confinement : deux fois plus de signalements ont été enregistrés. La plateforme e-enfance a reçu 30 % d'appels en plus. Aucune région, aucune catégorie sociale n'est épargnée.
Le corps enseignant est désarmé. Il faut le former à l'empathie et à la détection du harcèlement, qui a des conséquences graves pour ses victimes, avec l'augmentation du risque de tomber dans la délinquance, les conduites à risque ou le suicide.
Mardi, Ouest France évoquait le suicide de Chanel, 12 ans, à la suite de harcèlement, sous un titre édifiant : « 18 enfants se sont suicidés depuis janvier 2021 ».
Il faut saluer les nombreuses actions du ministère : guide pour les équipes éducatives, lignes téléphoniques, site internet fournissant des ressources.
Tous les ministres de l'éducation nationale ont poursuivi cette politique en partenariat avec les départements et les régions et les associations d'aide aux victimes.
Mais la lutte est imparfaite. Les outils sont peu connus, l'arsenal juridique inadapté et les enseignants trop peu formés : 83 % affirment ne l'avoir jamais été sur le sujet.
Enfin, les établissements manquent de moyens. Les interventions de tiers sont intéressantes, mais difficiles à organiser, notamment pour les collèges.
La mission d'information a formulé 35 propositions sur trois axes : prévenir, détecter, traiter.
Pour prévenir, chaque académie doit faire un point sur le climat scolaire à chaque rentrée et tous les cas de harcèlement doivent être remontés au niveau de l'académie.
Pour traiter les cas, il faut promouvoir les travaux d'intérêt général et les stages de citoyenneté pour les harceleurs. Développons aussi les stress tests et le name and shame pour les plateformes de réseaux sociaux au niveau européen.
Le dixième principe de la Déclaration des droits de l'enfant prévoit que celui-ci doit être protégé contre toute discrimination. Nous devons donc lutter sans relâche contre ces phénomènes qui remettent en cause le droit essentiel de l'enfant à s'instruire et qui s'attaquent aux principes de la République. Quels nouveaux moyens mettrez-vous en oeuvre, madame la ministre, notamment dans le projet de loi de finances pour 2022 ? (Applaudissements)
Mme Véronique Guillotin . - Le cyberharcèlement s'invite de nouveau dans le débat public avec le hashtag #anti-2010.
Si la France est dans la moyenne européenne, nos politiques publiques ont débuté il y a seulement dix ans, alors que d'autres pays s'étaient saisis du sujet bien avant. Le problème doit être traité d'abord à l'école, mais il a une répercussion sur la société toute entière et la famille a un grand rôle à jouer.
Les réseaux sociaux n'offrent plus de repos aux victimes. Selon l'excellent rapport de la récente mission d'information sénatoriale, 6 % des élèves subiraient du harcèlement scolaire, soit plus de 800 000 jeunes ; il en résulte des troubles de comportement, des dépressions, voire des tentatives de suicide, comme pour ce jeune Marseillais de 13 ans, atteint de troubles dys, et harcelé pour avoir confié son homosexualité à une amie.
Parmi les plus stigmatisés, on retrouve les filles et les enfants vus comme « différents » ; mais tous les enfants peuvent être victimes et harceleurs.
Selon Catherine Blaya, les pays les plus concernés sont ceux où l'on retrouve le plus de violence dans la société. Mieux vaut prévenir que guérir : la prévention permet d'isoler l'agresseur plutôt que l'agressé. Comme les pays scandinaves l'ont compris, celui-ci doit être vu davantage comme un élève à guérir que comme un élève à punir : 40 % sont aussi des victimes.
Au-delà du savoir-faire, l'école doit aussi diffuser le savoir-être.
On demande beaucoup de travail aux équipes enseignantes. L'adulte qui véhicule la bienveillance a un fort impact : il faut travailler sur la formation et décloisonner avec le périscolaire, sur lequel les collectivités territoriales ont la main.
Il y a des mesures concrètes à prendre, comme les jeux de rôles qui permettent de se mettre à la place de la victime. Le cyberharcèlement est très important dans le primaire : 14 % des cas auraient lieu entre le CE2 et le CM2. Pour ces enfants, il faudrait limiter l'accès à internet.
J'espère que ce rapport permettra d'accélérer les politiques publiques. (Applaudissements)
Mme Sabine Van Heghe . - Notre débat a lieu sur fond de drame : j'étais hier à Frévent, commune du Pas-de-Calais, pour la marche blanche organisée en l'honneur de Chanel, 12 ans, qui a mis fin à ses jours après avoir été harcelée depuis trop longtemps.
Avec la rapporteure Colette Mélot, nous avons fait oeuvre utile. Je vous renvoie à nos 35 recommandations, classées par souci didactique au sein d'une feuille de route par grandes priorités. Nous précisons le responsable de chaque action et le calendrier.
Madame la ministre, je me félicite de votre venue ici pour ce débat, mais passons aux travaux pratiques : il faut appliquer sans délai chacune de nos 35 recommandations.
Le harcèlement scolaire est un drame individuel et collectif qui sape notre bien-vivre ensemble. Le harcèlement de la mi-septembre sur les élèves nés en 2010 montre une nouvelle fois le caractère irrationnel de ces phénomènes.
Le dispositif actuel pèche par un manque de suivi.
Prévention et détection nécessitent des moyens, ainsi que nous l'avons vu lors de nos déplacements dans deux collèges. Les succès du collège de Melun sont peut-être liés aux moyens associés à son statut REP+. Il faut aussi une gestion plus fine des moyens humains, avec moins de turnover.
Le projet de budget pour 2022 prévoit la création de 300 postes de conseillers principaux d'éducation (CPE) et de 50 postes d'assistants sociaux et d'infirmiers scolaires. Encore faudra-t-il que ces postes soient pourvus.
Ces 50 postes semblent bien insuffisants : à peine un demi-poste par département... Nous en débattrons sans doute lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.
La lutte contre le cyberharcèlement passe aussi par l'Union européenne. Les réseaux sociaux ne réagissent que sous la contrainte, et je regrette que Twitter n'ait pas participé à l'une de nos tables rondes.
Le programme du Gouvernement pour la présidence française du Conseil de l'Union européenne sera présenté le 1er décembre prochain : pouvez-vous d'ores et déjà nous rassurer sur le fait que ce sujet y figurera ?
Dans notre rapport, les choses sont dites, les recommandations séquencées, les acteurs publics identifiés, les vecteurs juridiques précisés. L'école ne doit pas être un lieu de souffrance. Saisissez-vous de notre travail, car tout y est. C'est désormais une question de volonté politique : à vous de jouer ! (Applaudissements)
Mme Nadège Havet . - Je remercie Colette Mélot et Sabine Van Heghe pour leurs travaux au sein de cette mission d'information.
Prévenir, détecter, traiter : c'est primordial. Chaque membre de la communauté éducative a un rôle à jouer pour éviter ces drames individuels et collectifs.
Chaque année, plus de 700 000 enfants sont abîmés par le harcèlement scolaire : c'est le constat effrayant dressé par l'association Les Papillons, qui libère la parole des enfants victimes de maltraitance.
L'affaire Mila, du nom de cette jeune fille victime d'un véritable raid numérique - insultes, appels au viol, menaces de mort - , a montré combien le cyberharcèlement est un fléau pour toute la société, en ligne comme à l'école ou dans la rue.
Selon le rapport du député Erwan Balanant, deux à trois enfants par classe seraient maltraités, avec des traumatismes profonds et durables.
L'article 5 de la loi de 2019 sur l'école de la confiance consacre le droit à une scolarité sans harcèlement. L'encadrement de l'utilisation des portables à l'école, les numéros d'appel, les élèves ambassadeurs, les référents, sont autant de mesures qui vont dans le bon sens.
Malgré les outils existants, le phénomène a connu un regain durant le confinement.
Il faut agir en amont, avec de l'éducation aux médias tout au long de la scolarité et de l'information sur les accompagnements existants. La prise en charge des victimes doit être rapide, avec des personnes-ressources de proximité et de confiance, connues des enfants. En aval, il faut accompagner les harceleurs, mais aussi mettre en place une réponse pénale plus efficace.
Les plateformes doivent coopérer avec les pouvoirs publics, car leur responsabilité est engagée. Les signalements doivent être faits, puis traités, avec célérité.
Ce sujet dépasse nos frontières, comme l'a montré l'organisation l'an dernier d'une conférence internationale par le ministère de l'éducation nationale et l'Unesco. Il pourra être abordé à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.
Le Gouvernement a annoncé la généralisation sur tout le territoire du programme pHARe, sur la base de l'expérimentation menée dans six académies.
La méthode de la préoccupation partagée, développée dans les années quatre-vingt en Suède, est utilisée avec succès en Finlande, en Australie et au Canada : échangeons pour mieux lutter contre ce fléau. (Applaudissements)
M. Joël Guerriau . - « Celui qui ouvre une porte d'école ferme une prison » : ainsi Victor Hugo traduisait-il l'idéal républicain. À ceux qui considéraient que les criminels étaient responsables de leur état, il répondait : « tout homme coupable est une éducation manquée qu'il faut refaire ».
L'école apprend le civisme et la citoyenneté. En plus de la grammaire, de l'algèbre ou de l'histoire, les compétences psychosociales sont indispensables à la cohésion d'une communauté, de l'école à la Nation tout entière.
Le harcèlement procède souvent d'une défaillance d'empathie, doublée d'un sentiment de toute puissance. Du côté des victimes, la peur, la honte et un faux sentiment de culpabilité paralysent la parole.
Les élèves ciblés sont plutôt isolés, souvent introvertis. Le mécanisme est odieux. C'est un fléau de société à combattre d'urgence, d'où l'initiative du groupe INDEP de constituer une mission d'information.
Ce rapport met en lumière les conséquences dramatiques du harcèlement scolaire, à commencer par le désengagement scolaire - le harcèlement serait responsable de 25 % de l'absentéisme chronique - , le risque de dépression et de suicide. Le stress permanent imprègne toutes les dimensions de la vie de l'élève, parfois à très long terme.
Dix années d'action des pouvoirs publics n'ont malheureusement pas réussi à éradiquer ce fléau.
Premier obstacle : le silence des victimes, dont il faut libérer la parole et détecter les signaux faibles. Cela passe par la mobilisation générale de la communauté éducative.
Il faut également confronter les réseaux sociaux à leurs responsabilités.
Nous avons aussi besoin d'approches décalées, innovantes, surprenantes. Ainsi de la méthode résolutoire, qui propose à la victime de reprendre le contrôle de la situation en mettant au point une stratégie de sortie de crise et de désamorcer la spirale de la violence en reprenant confiance en elle. Madame la ministre, formez le personnel à cette méthode. (Applaudissements)
Mme Sabine Drexler . - Membre de la mission d'information, je puis témoigner que nul d'entre nous n'est sorti indemne de nos auditions.
Le harcèlement commence dès l'école élémentaire, parfois dès la maternelle. Il faut réinstaurer un climat scolaire qui permette à chaque enfant de se sentir en sécurité.
Dans le Haut-Rhin, à Andolsheim, une expérimentation est menée depuis 2014, fondée sur une méthode suédoise ; elle a fait ses preuves.
Un comité de pilotage intervient lorsque la situation ne peut plus être gérée en interne. Un travail est mené avec le harcelé et le harceleur pour leur donner les moyens de mettre fin à la situation, avant d'en arriver à la sanction.
Les actions mises en oeuvre ont jugulé le phénomène dans le primaire. Mais les moyens manquent pour aider le personnel à faire face aux difficultés, tout particulièrement dans les écoles en milieu rural.
Jusqu'à il y a une dizaine d'années, les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) avaient les moyens de maintenir une présence régulière ; ce n'est plus le cas. Or les enseignants ne sont ni formés ni disponibles pour faire face à ce phénomène qui explose partout. Il faudrait renforcer le réseau des professionnels spécialisés, à même d'assurer un accompagnement en amont et un suivi personnalisé en aval.
Le harcèlement d'aujourd'hui est le germe des détresses de demain. (Applaudissements)
M. Jacques Grosperrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le rapport de la mission d'information attire l'attention sur un phénomène de plus en plus répandu : déjà 18 suicides d'élèves en 2021.
Les élèves sont parfois touchés dès l'école primaire, à un âge charnière pour la construction de l'identité.
La violence de ce fléau s'est accentuée avec les réseaux sociaux et l'action menée est insuffisante. Le danger ne peut être combattu sans prise en compte globale de l'environnement.
Commençons par nous adresser de façon claire et directe aux Français.
C'est tout le système numérique qui est organisé pour affaiblir nos enfants et les rendre dépendants. Il y a des moyens d'agir sur les réseaux sociaux, mais ceux-ci ne redoutent sans doute pas beaucoup l'échéance de la présidence française de l'Union européenne. L'Europe est souvent divisée sur ces sujets.
Ne culpabilisons pas trop les parents, mais faisons leur prendre conscience du caractère addictif des réseaux sociaux. Qui sont-ils prêts à faire entrer dans leur foyer via les réseaux et les consoles de jeux de leurs enfants : des cyberprédateurs ? Des pédocriminels ? Des terroristes ? Je suis favorable à des communications plus fortes, voire choquantes.
Ce débat est aussi un appel à un civisme exigeant, face à l'obscurantisme associé au complotisme, le tout dans un anonymat délétère.
Les peines, facteurs d'exemplarité, ne sauraient épargner les participants, qui se disent à tort passifs. Il faut dépasser à la fois les a priori idéologiques et les excuses sociologiques.
Il faut organiser des rencontres régulières entre acteurs, garants de l'homogénéité de l'action publique.
M. le président. - Il faut conclure...
M. Jacques Grosperrin. - Les collectivités territoriales ont un rôle décisif à jouer en la matière. (Applaudissements)
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d'État, chargée de l'éducation prioritaire. - Je tenais à remercier l'ensemble des orateurs pour la qualité et la gravité de leurs interventions.
Le harcèlement, fléau du quotidien qui peut conduire au pire, appelle une mobilisation totale. J'ai une pensée pour toutes les victimes et leurs proches. J'invite cependant à la modération s'agissant d'affaires en cours - une en particulier a été citée.
Le harcèlement peut se prolonger tout au long de la journée, voire de la nuit, bien au-delà des murs de l'école.
Le harcèlement et le cyberharcèlement sont des sujets qui concentrent l'attention du ministre de l'Éducation nationale depuis 2017.
Les violences ont pris de l'ampleur avec le mauvais usage des réseaux sociaux. La rentrée a ainsi été le théâtre d'un nouveau hashtag, #anti-2010 ; nous avons agi par un autre hashtag, #bienvenue-aux-2010.
Depuis 2017, nous menons une politique volontariste et ambitieuse de lutte contre le harcèlement. En 2017, nous avons interdit l'usage du portable dans les murs de l'école et avons créé un prix « non au harcèlement ». En 2018, nous avons lancé des campagnes de prévention annuelles - contre le revenge porn par exemple - et mis en place 335 référents harcèlement en académie. En 2019, nous avons établi un Plan national avec dix nouvelles mesures ; la loi pour l'École de la confiance a consacré le droit à une scolarité sans harcèlement ; nous avons créé un comité national d'experts et mis en place des équipes d'intervention. En 2020, nous avons organisé une conférence internationale avec l'Unesco. En 2021, nous avons lancé le 3018 - qui permet désormais de faire supprimer une publication et des commentaires - et l'association e-enfance. Depuis la rentrée 2021, le programme pHARe se déploie sur tout le territoire, sur une base volontaire, avant une généralisation en 2022.
La prévention du harcèlement fera l'objet d'un plan d'action mis en oeuvre par des équipes pluricatégorielles formées à la prise en charge du harcèlement. Les parents, qui sont les premiers éducateurs de leurs enfants, seront associés à ces démarches.
Le harcèlement, c'est aussi le cyberharcèlement ; c'est pourquoi le ministère a reçu les principales plateformes de réseaux sociaux, en présence du CSA. Il s'agit de mieux contrôler et de lancer une nouvelle dynamique pour mieux mobiliser.
Les plateformes ont une responsabilité.
La question de la régulation reste entière. L'âge minimal d'inscription - treize ans - s'il était respecté, permettrait de répondre à une grande partie du problème...
Nous développons une approche partenariale avec les réseaux sociaux pour prévenir les phénomènes viraux.
Nous devons développer aussi l'accompagnement des victimes, en liaison avec les associations de terrain - Marion La main tendue ou Les Papillons - dont l'action doit être valorisée. C'est devenu un enjeu de santé publique.
Un élève de sixième sur deux est sur les réseaux sociaux ; d'où l'importance d'une éducation aux médias et à l'information dispensée dès l'école primaire.
Je constate personnellement, sur le terrain, que le repérage et le traitement des méfaits du harcèlement s'améliorent au quotidien : c'est désormais une préoccupation de tous, CPE, professeurs, assistants d'éducation, familles et associations.
Mais pas question de s'arrêter là : il reste encore beaucoup à faire. Chaque situation de harcèlement est une de trop. Chaque élève victime doit pouvoir à nouveau évoluer sereinement avec ses camarades. Il y va de son équilibre personnel.
Nous mettons toute notre détermination dans cette action - c'est aussi la mère de quatre enfants qui vous parle.
Dans quelques jours, j'irai étudier les bonnes pratiques mises en oeuvre dans d'autres pays. Même si la lutte contre le harcèlement est une compétence nationale, l'Union européenne doit continuer à agir, notamment en finançant les associations comme e-enfance.
Comptez sur moi pour faire avancer le sujet, avec Jean-Marie Blanquer, à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
La séance est levée à 17 h 20.
Prochaine séance, mardi 12 octobre 2021, à 15 heures.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 12 octobre 2021
Séance publique
À 15 heures et le soir
Présidence : Mme Nathalie Delattre, vice-présidente Mme Pascale Gruny, vice-président
1. Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant diverses mesures de justice sociale (texte de la commission, n°17, 2021-2022) (demande du groupe Les Républicains)
2. Proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°19, 2021-2022) (demande du groupe Les Républicains)
3. Proposition de loi organique favorisant l'implantation locale des parlementaires, présentée par M. Hervé Marseille et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°24, 2021-2022) (demande du groupe UC)