Irresponsabilité pénale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen conjoint de la proposition de loi tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, à la demande du groupe Union centriste, et de la proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale, à la demande du groupe Les Républicains.

Discussion générale

Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des lois .  - Le texte qui nous occupe concerne le sujet délicat de l'irresponsabilité pénale et du fait fautif de l'auteur, aux confins du droit et de la santé.

Nous avons beaucoup travaillé sur le terrorisme et sur la tendance à psychiatriser certains actes. J'avais déposé cette proposition de loi en janvier 2020, après une série d'attaques au couteau dont les auteurs avaient été déclarés irresponsables. Je pensais alors, sottement, dupliquer la règle nemo auditur : celui qui se met lui-même dans une situation d'irresponsabilité en consommant alcool ou stupéfiants ne peut invoquer ces éléments pour échapper à sa responsabilité.

J'ai changé d'avis, à la suite de l'excellentissime travail de l'avocate générale près la Cour de cassation, Mme Zientara.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Formidable travail !

Mme Nathalie Goulet, auteur et rapporteur.  - Je conseille à tous la lecture des 87 pages de son avis... Je trouve d'ailleurs honteuses les attaques personnelles dont elle a fait l'objet.

J'ai aussi changé d'avis en raison de l'article virulent du Dalloz sur « la turpitude du fou ».

Si l'on ne touche pas aux principes de l'irresponsabilité, quelle place pour les victimes et les familles ?

Le débat devant la chambre de l'instruction a montré ses limites. Elle ne prononce pas de peines et l'audience d'irresponsabilité peut se tenir en l'absence de la personne mise en examen. Les victimes n'en sortent pas apaisées et ce genre de procès finit par celui de la justice !

Le texte adopté par la commission des lois ne modifie pas l'article 122-1 du code pénal mais ouvre aux victimes la possibilité d'un procès en cas de faits fautifs de l'auteur. Il ne s'agit pas de juger la folie mais de repenser l'accès au juge dans les cas où la responsabilité pénale est contestée. Je vous renvoie à un article intéressant de Mme Dervieux, présidente de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, sur le besoin du procès.

Il faut trouver une solution pour appréhender l'impact du fait fautif sur l'irresponsabilité de l'auteur. C'est au juge qu'il revient de décider de l'irresponsabilité pénale et singulièrement du lien entre fait fautif et irresponsabilité.

Dans le prolongement de la réforme Dati de 2008, la commission des lois a choisi un renvoi par le juge d'instruction vers le juge du fond lorsque le fait fautif a causé, au moins partiellement, l'abolition temporaire du discernement. L'abolition du discernement doit être temporaire, car l'abolition définitive interdit tout procès.

Ainsi, le fait fautif antérieur est pris en compte dans l'abolition du discernement : celle-ci n'entraîne pas l'irresponsabilité mais le renvoi vers le juge du fond, qui pourra la reconnaître ou non.

Les jurés des cours d'assises, dont la mission est de juger au cas par cas, placeront au mieux le délicat curseur entre responsabilité du fait d'un fait fautif et irresponsabilité du fait de l'abolition du discernement.

Cette solution nous semble présenter les meilleures garanties tout en répondant aux interrogations légitimes de l'opinion publique. En 2018, 326 non-lieux ont été prononcés pour abolition du discernement, et 13 495 classements sans suite. Entre 2012 et 2018, les cas d'irresponsabilité pénale pour troubles mentaux ont doublé.

Une autre option aurait été de créer une infraction spécifique, comme en Suisse ou en Espagne, pour un homicide commis en situation d'abolition du discernement. Nous avons étudié les législations comparées, sans trouver de solution.

Par cohérence, la commission des lois a prévu que l'intoxication alcoolique ou par stupéfiants constitue une circonstance aggravante dans tous les cas d'infraction ou de crime.

Je laisserai Jean Sol développer la question de l'expertise psychiatrique et de ses difficultés.

Sur ce sujet complexe, la commission des lois a cherché une solution efficace et conforme à nos principes. Nous savons que le Gouvernement élabore un texte et que l'Assemblée nationale a créé une mission flash. Nous attendons votre position sur le sujet et espérons progresser ensemble, notamment sur l'indemnisation des victimes.

Notre texte est clair ; j'espère que vous le soutiendrez car au-delà de l'affaire Halimi, des centaines de victimes l'attendent. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ainsi que sur le banc des commissions)

M. Jean Sol, auteur de la proposition de loi et rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous examinons une proposition de loi sur l'irresponsabilité pénale et l'expertise psychiatrique. Il s'agit en réalité de deux textes discutés conjointement, celui de Mme Goulet et le mien, dont je suis également rapporteur pour avis.

Les deux propositions de loi concernent un sujet grave : l'appréciation portée sur l'état mental de l'auteur d'un délit au moment des faits. Certaines affaires tragiques comme l'assassinat de Sarah Halimi ont marqué l'opinion. Or nous devons écrire le droit, non en réaction aux horreurs de l'actualité, mais pour le temps long.

La commission des affaires sociales ne s'est pas prononcée sur la proposition de loi de Nathalie Goulet.

L'article 122-1 du code pénal pose le principe d'irresponsabilité pénale en cas d'abolition du discernement au moment des faits en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique, et prévoit le cas d'une altération du discernement. Mme Goulet souhaitait lever son application en cas de faute de l'auteur ; je souhaitais, pour ma part, inscrire que l'abolition du discernement ne pouvait être issue que d'un état pathologique ou d'une exposition contrainte aux effets d'une substance psychoactive.

Quoi qu'il en soit, il est impossible de légiférer pour tous les cas, et c'est au juge qu'il appartient de décider.

Les dispositions sur l'expertise reprennent quelques-unes des vingt préconisations du rapport que j'ai cosigné avec Jean-Yves Roux, qui soulignait un manque criant de moyens.

Monsieur le garde des Sceaux, je vous interpelle sur ce point. Les conditions dans lesquelles les expertises sont réalisées ne sont parfois pas à la hauteur des enjeux. La rémunération des experts ne correspond pas à la complexité de certaines affaires. Au Gouvernement d'y répondre.

Cette proposition de loi reprend les recommandations de niveau législatif de notre rapport.

Neuf articles traitent de l'expertise, dont cinq de l'expertise pré-sentencielle. Nous avons prévu une expertise dans les deux mois au maximum suivant l'incarcération, exclu l'expertise psychiatrique de l'examen clinique de garde à vue, intégré le dossier médical aux scellés et mieux encadré la possibilité de solliciter une contre-expertise.

Quant au post-sentenciel, nous avons prévu que les conclusions de l'expertise devront être systématiquement transmises aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), et que l'expert psychiatre pourra assurer les missions de médecin coordinateur du détenu au moment de sa sortie.

Enfin, les experts verront leurs obligations déontologiques renforcées avec une déclaration d'intérêts obligatoire.

La commission des affaires sociales a également maintenu l'obligation légale d'expertise psychiatrique en cas d'infraction sexuelle, prévu la transmission obligatoire du dossier médical sans passer par le juge et inscrit un devoir de réserve pour les experts sur les affaires en cours.

En tant que rapporteur et auteur de l'une des deux propositions de loi, je tiens à souligner que le principe d'irresponsabilité pénale doit rester un principe fondamental de notre droit, dans le droit fil de notre tradition humaniste.

En outre, la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit à un procès équitable. Ne peuvent être jugées que les personnes en capacité de l'être. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux .  - La décision du 14 avril 2021 de la Cour de cassation, qui a confirmé l'irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi-Attal, a suscité une émotion forte et légitime. Les pouvoirs publics doivent y répondre.

L'abolition du discernement d'un auteur d'homicide peut résulter d'une intoxication volontaire ; la Cour de cassation ne fait qu'appliquer l'article 122-1 du code pénal, qui ne mentionne pas l'origine du trouble psychique ayant conduit à l'abolition de ce discernement.

Je m'associe aux propos de Mme Goulet pour saluer le travail remarquable de l'avocate générale.

Il fallait attendre l'arrêt de la Cour de cassation pour faire évoluer notre droit. Celle-ci a désormais dit les choses clairement : le juge ne peut distinguer là où le législateur ne le fait pas.

J'ai mené une large consultation sur le régime de l'irresponsabilité pénale auprès des magistrats, des représentants des cultes, des experts psychiatres, des professeurs de droit.

Je vous rejoins pour considérer que l'article 122-1 du code pénal ne doit pas être modifié. Il doit rester le garant du principe fondamental posé par l'article 121-3 : il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Dans une démocratie digne de ce nom, on ne juge pas les fous : c'est une ligne rouge, une exigence essentielle.

L'article premier de votre texte prévoit un débat systématique devant la juridiction de jugement lorsque l'abolition du discernement du mis en cause résulte, au moins partiellement, de son fait fautif.

J'ai sollicité l'avis éclairé du Conseil d'État, lui soumettant un projet de loi qui limite l'irresponsabilité pénale lorsque l'abolition du discernement résulte d'une intoxication volontaire.

Dans l'attente de l'avis du Conseil d'État, je me bornerai donc à quelques observations sur votre texte. Nous nous rejoignons sur l'article 122-1 du code pénal, qui doit être maintenu. Mais alors pourquoi saisir la juridiction de jugement, notamment la cour d'assises ? Ce renvoi n'est pas justifié, s'il s'agit de confirmer l'avis des experts.

La généralisation de l'aggravation de la peine pour toute infraction commise en état d'intoxication ne banalise-t-elle pas la consommation de psychotropes ?

Les articles relatifs à l'expertise résultent du travail de Jean Sol et Jean-Yves Roux que je tiens à saluer. Mais certains ne relèvent pas de la loi. Faut-il imposer une expertise dans les deux mois suivant le placement en détention provisoire ? Quelles conséquences si l'expertise ne peut être réalisée dans ce délai ? Ou si la personne est arrêtée des mois, voire des années après les faits ?

L'article 10 sur les obligations déontologiques des experts rejoint les travaux en cours de la Chancellerie, qui dépassent la seule expertise psychiatrique. Il n'est toutefois pas pertinent d'imposer une déclaration avant chaque expertise. L'exige-t-on des magistrats avant chaque décision, des parlementaires avant chaque vote ?

En réalité, nos travaux sont parallèles et complémentaires. La commission des lois de l'Assemblée nationale a elle aussi lancé une mission flash sur l'irresponsabilité pénale. Je salue donc la mobilisation des deux chambres.

Le travail engagé par le Gouvernement et soumis à l'avis du Conseil d'État me semble plus sécurisé juridiquement ; je ne doute pas que les propositions contenues dans votre texte viendront nourrir utilement le projet de loi qui vous sera présenté prochainement.

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Certains nous reprocheront de légiférer sous le coup de l'émotion, d'autres salueront la volonté du Parlement de se saisir de sujets d'actualité.

Sans nier l'émotion suscitée par l'affaire Sarah Halimi, je regrette que le Sénat n'ait pas su éviter certains écueils.

L'enjeu est la prise en compte ou non du fait fautif entraînant l'abolition du discernement. L'article premier l'intègre dans le code de procédure pénale. Il ne fait, en réalité, que déplacer la responsabilité de l'application de l'article 122-1 du code pénal vers le juge du fond. Cette position a l'avantage de ne pas toucher à l'article 122-1, mais son utilité est incertaine.

Il fallait prendre en compte le besoin de procès. L'audience en chambre d'instruction est déjà publique et contradictoire ; la collégialité de la décision et la possibilité d'expertise sont des garanties.

Il faut manier avec prudence les règles d'imputabilité. La question de la responsabilité pénale, atténuée, abolie ou pleine et entière, est difficile à juger. Oserons-nous cheminer vers le concept de folie volontaire ? Certes, un comportement volontaire peut directement contribuer à l'abolition du discernement, mais ce trouble a-t-il été souhaité ou envisagé ?

Ne compliquons pas outre mesure la tâche du juge d'instruction.

La responsabilité du mis en cause devient trop complexe : il se serait exposé volontairement à un risque dans un dessein criminel ? La ligne de crête entre altération et abolition doit être définie par les experts, non le législateur.

J'entends la volonté de punir plus sévèrement le fait fautif, mais cela ne revient-il pas à pénaliser les addictions, sans tenir compte de la dimension de santé publique ?

Je salue les articles relatifs à l'expertise psychiatrique, qui manque cruellement de moyens. Il est urgent d'agir !

Prenons du recul sur l'émotion justifiée de l'opinion publique et préservons la notion d'irresponsabilité pénale, même si l'opinion supporte mal que certains ne soient pas jugés pour leurs crimes, en oubliant l'hospitalisation sous contrainte.

Le GEST ne votera pas ce texte. (Mme Nathalie Goulet s'en désole ; applaudissements sur les travées du GEST )

M. Ludovic Haye .  - Ce texte s'inscrit dans la continuité des travaux du Sénat sur le sujet délicat de l'irresponsabilité pénale. Notre rapporteure s'est impliquée, avec un débat organisé l'an dernier ; la commission des lois et la commission des affaires sociales ont travaillé sur l'expertise psychiatrique en matière pénale, formulant d'intéressantes propositions.

Cette continuité ne s'abstrait pas des décisions rendues à la suite du meurtre atroce de Mme Attal-Halimi dont, la chambre de l'instruction l'a reconnu, le motif était l'antisémitisme.

Comment réagir, tout en préservant un État de droit juste, fraternel et protecteur ?

Nous sommes soumis à plusieurs impératifs distincts : protéger la société, ne pas soumettre à un procès ceux qui ne sont pas en état de se défendre, permettre aux parties civiles de voir la justice rendue.

Le choix du rapporteur de ne pas retenir la révision initialement envisagée de l'article 122-1 du code pénal s'entend.

C'est la juridiction de jugement qui statuera sur l'irresponsabilité pénale et, le cas échéant, sur la culpabilité. Rappelons que la compétence du juge de fond est déjà prévue par le droit en vigueur quand le juge d'instruction a considéré que l'auteur était pénalement responsable.

Avec ce texte, elle interviendra en amont lorsque le juge d'instruction estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne résulte au moins partiellement de son fait fautif, afin de garantir un vrai procès aux victimes.

Peut-on continuer à se poser la question de l'appréciation du fait fautif par la chambre de l'instruction ? L'addiction est-elle une faute ou devient-elle, dans la durée, une contrainte subie ? Le sujet déborde la matière pénale...

D'autres moyens existent pour répondre au besoin des victimes d'avoir un « vrai procès », comme la modification des modalités de l'audience publique devant la chambre de l'instruction, ce que propose la mission Houillon-Raimbourg.

Autre difficulté, le placement du curseur entre l'abolition et l'altération du discernement.

Le groupe RDPI s'abstiendra tout en saluant vivement la démarche entreprise. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Nathalie Goulet, auteur et rapporteur - Très bien !

présidence de Roger Karoutchi vice-président

Mme Nathalie Delattre .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le 14 avril, la Cour de cassation tranchait : le procès du meurtrier de Sarah Halimi n'aura pas lieu. Cette décision a suscité colère et indignation.

D'un côté, la thèse retenue par les juges, appuyée sur les expertises psychiatriques, conclut à l'irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, sujet à des « bouffées délirantes » ; aucun élément, précise l'arrêt, n'atteste qu'il ait eu conscience que sa consommation de cannabis puisse entraîner de telles manifestations.

De l'autre, la thèse de la famille de Sarah Halimi était que la consommation volontaire de stupéfiants devrait exclure la prise en considération de l'abolition de discernement, l'acte fautif excluant l'irresponsabilité. Cette solution est-elle trop radicale pour un juge ? Sans doute. Il revient donc au Parlement de déterminer comment exclure du champ d'application de l'irresponsabilité pénale les cas dans lesquels la faute de l'auteur est à l'origine de son état d'irresponsabilité.

Ces propositions de loi inaugurent cette réflexion.

La solution la plus instinctive était de modifier l'article 122-1 du code pénal. Mais cet article porte un principe fondamental de notre droit qu'il serait imprudent de remettre en cause.

La commission des lois a retenu une solution alternative, plus respectueuse de nos principes. Elle reprend en outre des préconisations du rapport Sol-Roux sur l'expertise psychiatrique. Ce groupe de travail avait été constitué à ma demande, avec l'appui du président Bas ; je remercie Jean Sol de m'avoir associée à la signature de sa proposition de loi qui comprend des mesures très attendues, comme le renforcement des obligations déontologiques des experts.

Le groupe RDSE votera avec force cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur le banc des commissions)

Mme Éliane Assassi .  - Les meurtres tragiques de Mohamed El Makouli et de Sarah Halimi ont suscité l'émoi dans l'opinion publique, les deux meurtriers ayant été jugés irresponsables pénalement.

Les avocats des parties civiles avaient pourtant invoqué la prise de stupéfiants pour contester l'abolition du discernement au moment des faits et donc l'irresponsabilité pénale.

En application de l'article 122-1 du code pénal, cela relève de l'appréciation souveraine des juges. Si la jurisprudence n'a jamais reconnu le fait fautif, puisque l'intention de l'auteur s'apprécie au moment des faits, c'est néanmoins un sujet ancien de controverse en doctrine et dans l'opinion publique.

C'est dans ce contexte que la commission des lois a souhaité mettre à l'ordre du jour ces deux propositions de loi en une.

Les dispositions proposées par Jean Sol sur l'expertise psychiatrique vont dans le bon sens. En revanche, nous restons vertement opposés au dispositif principal. S'il est heureux que l'article 122-1 du code pénal reste intact, comme le préconisait le rapport Raimbourg-Houillon, la rapporteure n'a pas abandonné l'idée de reconnaître la responsabilité pénale dans certains cas.

Ce mécanisme vise à instaurer un véritable procès dans des cas d'abolition du discernement, manifestation du rapport disciplinaire entre justice et folie. Il exhiberait la souffrance de toutes les parties, sans la consolation espérée. N'allons-nous pas vers une justice outrancière ? Le procès équitable ne sera plus garanti. La notion d'abolition temporaire du discernement liée à un fait fautif est une nouveauté : or ce fait fautif peut être non la cause mais la conséquence de l'abolition du discernement.

Certes, la peur irraisonnée de la folie dans la population est un fait, mais le politique devrait dépassionner le débat en protégeant les plus faibles, plutôt que de l'alimenter avec ces propositions de loi de circonstances. Contrairement au soin, la peine a une fin ; l'univers psychiatrique est aussi privatif de liberté que l'univers carcéral, mais le personnel est formé.

Ce texte reflète un courant d'utilitarisme pénal qui se mue en populisme pénal. Depuis le droit romain et le Talmud, on ne juge pas les fous !

Cette proposition de loi, dans son économie générale, s'inscrit dans une vision de la société qui n'est pas la nôtre : nous la rejetons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Jean-Pierre Sueur .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Un crime terrible, abominable, barbare, dont est victime Sarah Halimi. Une émotion de toute la Nation, que nous partageons. Deux décisions de justice : le crime est antisémite et l'auteur est irresponsable. Une question : comment un acte irresponsable peut-il être antisémite ? S'il y a volonté, il ne peut y avoir irresponsabilité.

Cette situation a donné lieu à plusieurs initiatives, dont le texte qui nous occupe.

Il y a un accord quasi-général pour maintenir l'article 122-1 du code pénal en l'état.

Le fondement de cet article est l'article 121-3 du code pénal : « il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».

La solution proposée est de transférer le soin d'évaluer l'irresponsabilité pénale à la juridiction de jugement. Nous avons des réserves fortes. L'examen par la chambre de l'instruction s'est déroulé en public, en présence des parties, de l'auteur du crime, dans le respect du contradictoire : il y a donc bien eu un procès. Par ailleurs, la juridiction de jugement - tribunal correctionnel ou cour d'assises - pourrait être en difficulté pour reconnaître l'irresponsabilité pénale : le juré populaire est là pour condamner et fixer les peines ; c'est la chambre de l'instruction qui est chargée au préalable de procéder aux expertises.

Mon groupe a toutefois prévu un amendement de repli selon lequel la juridiction de jugement statuerait sur la question de la responsabilité - ce serait une sorte de question préalable - avant l'examen au fond. Cette solution n'a pas notre préférence.

Nous avons pris le risque de faire trois propositions concrètes.

Premièrement, nous inspirant de la législation espagnole, nous proposons de reconnaître la responsabilité pénale de la personne qui a volontairement provoqué sa perte de discernement aux fins de commettre l'infraction, notamment par la consommation d'alcool ou de psychotropes.

Deuxièmement, nous proposons de définir le discernement à l'article 122-1 du code pénal comme la conscience de l'acte commis et de ses conséquences et la capacité d'en apprécier la nature et la portée.

Troisièmement, à l'initiative de Marie-Pierre de La Gontrie, nous proposons, à l'article 158 du code de procédure pénale, d'ajouter une question spécifique pour l'expertise psychiatrique destinée à identifier la participation active à la perte de discernement.

Enfin, soulignons, à la suite de Mme Assassi, que la toxicomanie relève d'abord de la santé. Évitons le « tout-justice ».

Il faut conserver l'article 122-1 mais le statu quo est impossible ; c'est pourquoi nous versons au débat nos trois propositions.

Il faut avancer avec réalisme et pragmatisme, afin que la loi soit comprise de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Stéphane Ravier .  - Il y a des grands principes qui fondent notre droit et qui se confrontent : on ne met pas en procès une personne qui n'est pas en mesure d'assurer sa propre défense ; on ne juge pas les fous. Mais on a aussi le devoir de mettre hors d'état de nuire les individus dangereux et d'assurer aux parties civiles que justice soit faite. L'irresponsabilité pénale ne devrait être qu'exceptionnelle, or le nombre d'ordonnances d'irresponsabilité a augmenté : la culture de l'excuse est aussi florissante que celle du cannabis.

Je pense à la douleur de la famille de Sarah Halimi : son meurtrier ne sera pas jugé, a dit la Cour de cassation, qui a estimé que fumer du cannabis en quantité et tuer une juive aux cris de « Allahou Akbar !» relevait d'une bouffée délirante et non d'une bouffée islamiste et antisémite. Résultat, ni prison ni hôpital pour Kobili Traoré et une bouffée de haine de plus dans la nature ! Que se passera-t-il s'il récidive ?

Abolir volontairement son discernement par la consommation de drogue, n'est-ce pas déjà fauter ? Le débat sur la légalisation du cannabis s'invite au Parlement. Un député brandit un joint dans l'hémicycle - à croire qu'il l'a déjà fumé !

Le sentiment d'injustice doit se faire entendre de l'institution judiciaire. Il convient de donner à cette dernière des moyens financiers et humains. Enfin, il faut la rendre indépendante, surtout quand le garde des Sceaux se vante d'être le ministre des délinquants. (M. le garde des Sceaux se gausse.)

M. Alain Marc .  - J'ai une pensée émue pour Sarah Halimi et sa famille : son meurtre est une tragédie.

Mal comprise, l'irresponsabilité pénale choque parfois. Certains y voient une immunité, voire une incitation au crime. La place de ceux qui sont atteints de troubles psychiques est à l'hôpital, pas en prison. Ils ne se traitent pas avec une sanction pénale ; pour autant, ces personnes ne doivent pas se retrouver en liberté. Le meurtrier de Mme Halimi a été déclaré irresponsable et la juridiction a ordonné son admission en soins psychiatriques sous la forme d'une hospitalisation complète, assortie de mesures de sûreté.

Nos collègues veulent écarter l'irresponsabilité pénale quand elle résulte du comportement de la personne elle-même. D'autres travaux abordent le même sujet : un projet de loi sera prochainement présenté sur le sujet, une mission flash est en cours à l'Assemblée nationale.

Les auditions ont montré la difficulté de l'exercice. Je salue la décision de sagesse de la commission des lois : l'émotion n'a pas pris le pas sur l'intérêt général. Les améliorations proposées sont bienvenues.

Un procès pourrait avoir lieu quand l'abolissement temporaire du jugement résulte du fait fautif du mis en cause. Cela respecte la place des victimes mais risque d'entraîner encore plus de frustrations. Nous avons également des doutes sur la solidité juridique de l'appellation proposée.

Le texte précise que la consommation d'alcool ou de stupéfiants est une circonstance aggravante : c'est fondamental et nous sommes étonnés que ce ne soit pas déjà le cas pour tous les crimes et délits, dont la torture et la barbarie.

Nous ne souscrivons pas à l'ensemble des mesures proposées mais sommes favorables au renforcement des peines contre ceux qui commettent des crimes sous l'influence de la drogue ou de l'alcool.

Ce texte contribue à l'amélioration de notre droit pénal : le groupe INDEP soutiendra son adoption.

Mme Dominique Vérien .  - Le meurtre de Sarah Halimi nous a tous choqués. Nous étions nombreux à attendre le procès pour mieux comprendre comment l'antisémitisme se développe chez nos jeunes, pour mieux le combattre. Nous devons lutter contre ce fléau pour faire Nation. La bêtise engendre la haine qui engendre la violence meurtrière qui est punie par la loi. Nous attendions la justice pour Sarah, pour sa famille, pour nous tous. Or il n'y eut pas de procès.

En plus d'être antisémite, le meurtrier était drogué ; c'est la somme de ces deux facteurs qui l'a conduit à tuer Sarah Halimi, mais au moment des faits, une bouffée délirante lui aurait retiré son discernement...

Si l'on peut juger les imbéciles, les méchants et les violents, on ne juge pas les fous. Savoir si c'est la drogue qui a mené à la maladie mentale ou l'inverse relève du débat médical. Aucun des experts n'a remis en cause la folie du meurtrier au moment du crime, pas plus que l'influence de la consommation de cannabis sur cette folie. Nous voici au point qui nous préoccupe : l'article 122-1 du code pénal doit-il s'appliquer à une personne dont le discernement a été altéré de son propre fait ?

Notre droit et notre justice s'opposent à ce que l'on juge une personne dont le discernement a été aboli au moment du crime, quelles qu'en soient les causes. Mais faut-il distinguer ceux dont le libre arbitre les a quittés de leur propre fait et les victimes collatérales de leur propre état ? La justice est réparatrice pour les victimes, et la reconnaissance de culpabilité de l'auteur est une reconnaissance du statut des victimes. C'est l'objet de cette proposition de loi : si l'auteur est à l'origine de l'abolition de son discernement, il faut rendre justice aux victimes par un procès public. Dans le cas présent, l'auteur aurait pu présenter ses excuses aux victimes. Il est en hôpital psychiatrique. Peut-il sortir sans obligation de soins ? C'est aux médecins de répondre, alors qu'il aurait été bon que le juge évalue sa dangerosité au moment de sa sortie.

Grâce à Nathalie Goulet et Jean Sol, nous avons ce débat nécessaire. Le texte est équilibré et le groupe UC le votera, en espérant que le Gouvernement saura s'en inspirer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En tant que législateur, il est des combats que nous pouvons mener, des besoins que nous pouvons satisfaire. Mais il est d'autres sujets plus difficiles, qui demandent de l'humilité, comme l'irresponsabilité pénale.

Nous percevons l'incommensurable douleur des victimes, leur soif de justice et leur volonté d'obtenir réparation. Nos questionnements restent insatisfaits puisque l'irresponsable, par définition, ne peut répondre de ses actes : il laisse la société et les victimes sans réponse.

Dans la commune dont j'étais maire, un jeune schizophrène a tué sa petite amie, détruisant deux familles.

Au-delà de la misère de la psychiatrie en France, les travaux de la commission des lois et de la commission des affaires sociales ont souligné les difficultés d'une expertise psychiatrique de plus en plus rare, et mal pilotée. Il fallait que cet aspect de la question ne fût pas occulté. Le ministère de la Justice doit progresser, car nous partons de loin et ce dossier ne semble pas géré par la Chancellerie.

Nous devons trouver un équilibre difficile entre le besoin de réparation des victimes et la question de l'incarcération des personnes malades.

La rédaction initiale de la proposition de loi reconnaissait la notion d'exposition volontaire aux substances psychoactives. Il est indispensable de laisser le juge évaluer la situation. La loi ne peut pas tout prévoir.

Nous devons nous assurer d'une prise en charge correcte des troubles psychiatriques. Je forme le voeu que notre débat y contribue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; quelques membres du groupe UC applaudissent également.)

M. Roger Karoutchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a 18 mois, j'interpellais le Premier ministre Édouard Philippe après la décision de la cour d'assises : cette décision disait le droit, mais était-elle juste ? Embarrassé, il a répondu mi-figue, mi-raisin : le droit, oui, le juste, non.

Nous avons attendu la décision de la Cour de cassation avec beaucoup d'espoir. Le massacre de Mme Halimi a ému tout le pays et pas seulement la communauté juive. Si la Cour de cassation avait décidé d'un procès, peut-être ne serions-nous pas en train d'envisager de modifier la loi. Malheureusement, elle ne l'a pas fait ; les magistrats se sont défendus en disant que la loi ne permettait pas de distinguer ce qui provoque l'irresponsabilité pénale et ont légitimement renvoyé le problème vers le législateur.

Nous voici avec ce texte mal ficelé. On ne légifère pas dans l'émotion, mais à la demande de la Cour de cassation.

Il ne s'agit pas de juger les fous, comme au Moyen-Âge, avec capuchon et oreilles d'âne. Et d'ailleurs, au Moyen-Âge, on ne jugeait pas non plus les fous...

En cas de maladie mentale, il s'agit simplement de trouver des solutions acceptables pour la société et pour les victimes.

Mais en l'espèce, l'auteur des faits s'est rendu lui-même irresponsable. Certains disent que c'est la société qui l'aurait tourné vers la drogue...

Dans la balance, il y a la liberté individuelle et les droits individuels. Je compte sur les magistrats pour en tenir compte. Il y a la défense de la société, de ce que nous voulons incarner. Comment la société traite-t-elle les victimes ? Si on leur répond par l'article 122-1, on est déconnecté de la réalité.

Il y a des familles. Servez-les ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme la présidente.  - Amendement n°5, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Éliane Assassi.  - Alors qu'une majorité s'est dégagée pour ne pas toucher à l'article 122-1 du code pénal, cet article premier pourrait le faire tomber. C'est pourquoi nous demandons sa suppression.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°7, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Jean-Pierre Sueur.  - La solution imaginée par la commission des lois n'est pas réaliste. D'abord, la chambre de l'instruction procède à de vraies audiences, contradictoires et publiques ; ce n'est pas le rôle d'un tribunal correctionnel ni surtout d'une cour d'assises de déclarer l'irresponsabilité ou de décider une hospitalisation sous contrainte. On change l'équilibre de notre processus judiciaire. Il faut que la chambre de l'instruction fasse son travail.

D'autres amendements du groupe SER prennent en compte les cas où l'auteur organise sa propre irresponsabilité.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Avis défavorable. Il n'y a pas de contournement, madame Assassi. L'article 122-1 du code pénal demeure en l'état, tout le bloc de l'instruction est maintenu. Ce n'est qu'en cas de fait fautif qu'il y a renvoi devant la juridiction de jugement.

Monsieur Sueur, la chambre de l'instruction n'est pas une juridiction de jugement ; elle ne prononce pas de peine et peut statuer en l'absence du mis en cause.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Sagesse, au nom de la nécessité de débattre de ces questions.

Je suis défavorable à l'article premier et au texte dans son ensemble mais ne nous privons pas d'une discussion constructive.

Les amendements nos5 et 7 ne sont pas adoptés.

Mme la présidente.  - Amendement n°4 rectifié bis, présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Retailleau, Allizard, Anglars, Bascher, Bazin et Belin, Mme Bonfanti-Dossat, M. Bonne, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mmes Boulay-Espéronnier, Bourrat et V. Boyer, MM. Burgoa, Cadec et Calvet, Mmes Canayer et Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mmes Chauvin et de Cidrac, M. Cuypers, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mmes Demas, Deromedi, Deseyne, Drexler, Dumas, Dumont et Estrosi Sassone, MM. B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud et Goy-Chavent, MM. Grand et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Imbert, Jacques et Joseph, MM. Klinger et Laménie, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Le Gleut, Le Rudulier et Longuet, Mmes Lopez et Micouleau, M. Milon, Mme Muller-Bronn, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Piednoir et Pointereau, Mme Raimond-Pavero, MM. Regnard, Rojouan, Saury, Sautarel et Savary, Mme Schalck, MM. Sido et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon et MM. C. Vial et Vogel.

Alinéa 2

Supprimer le mot : 

temporaire

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Nous précisons davantage la portée de l'article premier : cet amendement renvoie au juge saisi au fond le soin de statuer sur le caractère temporaire ou non de cette abolition.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - C'est tout à fait contraire à l'esprit du travail de la commission. Cet amendement déséquilibre totalement le texte. Autant supprimer l'article 122-1 ! Retrait ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - En cas d'abolition permanente du discernement, on juge un fou au moment du procès, ce qui est contraire à notre souhait. Il faut que l'accusé soit à même de comprendre le procès. Avis évidemment défavorable.

L'amendement n°4 rectifié bis est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par Mme Eustache-Brinio, MM. Retailleau, Allizard, Anglars, Bas, Bascher, Bazin et Belin, Mme Bonfanti-Dossat, M. Bonne, Mme Borchio Fontimp, MM. Boré et Bouchet, Mmes Boulay-Espéronnier, Bourrat et V. Boyer, MM. Burgoa, Cadec et Calvet, Mmes Canayer et Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mmes Chauvin et de Cidrac, M. Cuypers, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mmes Demas, Deromedi, Deseyne, Drexler, Dumas, Dumont et Estrosi Sassone, MM. B. Fournier et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mmes F. Gerbaud et Goy-Chavent, MM. Grand et Gremillet, Mme Gruny, MM. Guené, Gueret, Houpert, Hugonet et Husson, Mmes Imbert, Jacques et Joseph, MM. Klinger et Laménie, Mme Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Le Gleut, Le Rudulier et Longuet, Mmes Lopez et Micouleau, M. Milon, Mme Muller-Bronn, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Piednoir et Pointereau, Mme Raimond-Pavero, MM. Regnard, Rojouan, Saury, Sautarel et Savary, Mme Schalck, MM. Sido et Tabarot, Mmes Thomas et Ventalon et MM. C. Vial et Vogel.

Alinéa 2

Supprimer le mot : 

fautif

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - La notion de fait fautif est difficile à circonscrire. Elle pourrait être entendue comme renvoyant nécessairement à une infraction pénale. Or une consommation excessive d'alcool au domicile ne l'est pas, pas plus que la non prise de médicaments en l'absence d'obligation de soins prononcée par l'autorité judiciaire. Retirons donc le mot « fautif ».

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois.  - Sagesse.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je ne puis être favorable à un amendement qui élargit le domaine d'application de l'article premier, auquel je suis défavorable.

M. Bruno Retailleau.  - Nous nous accordons tous sur un principe : ne pas juger les fous. C'est pourquoi Jacqueline Eustache-Brinio a retiré l'amendement n°4 rectifié bis. En revanche, le statu quo est impossible. Les victimes ou leurs familles ont besoin d'un procès.

La ligne de crête de la commission des lois est bonne, entre causalité et abolition volontaire du discernement. Nous visons le fait générateur de l'abolition, en général ; or le fait fautif renvoie systématiquement à une infraction pénale, ce qui atténue le dispositif. Jacqueline Eustache-Brinio a donné deux exemples probants. Nous soutenons cet amendement.

L'amendement n°3 rectifié bis est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°8, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 2

Après le mot :

statuera

insérer les mots :

, avant l'examen au fond,

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Nous sommes défavorables à l'article premier, mais nous proposons ici une précision procédurale : que l'irresponsabilité soit examinée avant l'examen de l'affaire au fond. Lorsqu'une cour d'assises est saisie, il faut traiter d'emblée la question de l'irresponsabilité pénale.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Sagesse positive car la commission n'a pu en évaluer l'effet, mais vous avez compris le dispositif : on ne défère que les gens dont le discernement a été temporairement aboli.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis défavorable. Comment dissocier l'examen de l'irresponsabilité pénale et le fond du dossier ? Je ne vois pas.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est pourtant ce que fait la chambre de l'instruction : elle examine la question de l'irresponsabilité pénale sans statuer sur le fond.

M. André Reichardt.  - Je partage l'opinion du garde des Sceaux car nous serons alors en audience de jugement. Il est totalement impossible de dissocier l'irresponsabilité du fond.

L'amendement n°8 est adopté.

L'article 1, modifié, est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS après l'article premier

Mme la présidente.  - Amendement n°10, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 122-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le discernement est la conscience de l'acte commis, de ses conséquences et la capacité à en apprécier la nature et la portée. »

M. Jean-Pierre Sueur.  - Le discernement est nécessaire à l'établissement de l'imputabilité, élément indispensable pour répondre pénalement des conséquences de ses actes. Il est ensuite une composante essentielle de la capacité pénale, qui suppose de comprendre le sens de la sanction.

C'est pourquoi il nous est apparu opportun d'inscrire dans le code pénal une définition de cette notion.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Avis du Gouvernement ?

M. André Reichardt.  - Et le Larousse ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Le discernement, c'est savoir ce que l'on fait. Ce n'est pas plus compliqué que cela. Votre définition risque d'apporter de la complexité.

Le discernement a été défini dans le code de justice des mineurs : « est considéré comme doué de discernement le mineur qui a compris et voulu son acte et est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l'objet. »

La notion de discernement est utilisée depuis une loi de juillet 1922 et l'absence de définition n'a jamais posé problème. Avis défavorable.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Avis défavorable donc.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - La notion de discernement est très utilisée en droit pénal ; comme vous le rappelez, nous avons éprouvé le besoin de la définir pour les mineurs. Pourquoi pas pour les majeurs ? Nous avons besoin d'une clarification.

L'amendement n°10 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°9, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre II du titre II du livre Ier du code pénal est complété par un article 122-... ainsi rédigé :

« Art. 122-....  -  Est pénalement responsable la personne qui a volontairement provoqué une perte de discernement aux fins de commettre l'infraction, notamment par la consommation de boissons alcooliques, de drogues toxiques, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de substances ayant des effets similaires. »

M. Jean-Pierre Sueur.  - Cet amendement prévoit la possibilité d'imputer la responsabilité à l'auteur d'une infraction si l'abolition de son discernement est la conséquence exclusive de la prise volontaire de toxiques. Il s'inspire de l'article 20 de la loi organique espagnole du 23 novembre 1995 portant nouveau code pénal.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - La division de législation comparée du Sénat a fait une étude exhaustive sur le sujet. Certes, le droit espagnol introduit une zone d'exception à l'article 122-1 mais c'est justement ce que nous voulons éviter. De plus, votre proposition est déjà largement appliquée par la jurisprudence. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Votre amendement pose une vraie question à laquelle je ne suis pas insensible. Il y aurait la folie endogène et celle qui serait exogène, liée à la consommation d'alcool ou de stupéfiants. C'est une piste à laquelle je travaille, et qui figure dans le projet de loi soumis au Conseil d'État ; retrait à ce stade, sinon avis défavorable.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je suis sensible à votre intérêt, monsieur le garde des Sceaux, mais l'argument de la préparation d'un texte gouvernemental n'est pas audible.

L'amendement n°9 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le septième alinéa de l'article 706-136 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Une obligation de soins. »

M. Guy Benarroche.  - Les personnes déclarées irresponsables peuvent être admises en soins psychiatriques sur le modèle des soins sans consentement. Cet amendement prévoit que le juge prononce, en complément de cette hospitalisation, une mesure de sûreté d'obligation de soins pouvant aller jusqu'à vingt ans.

De nombreuses mesures sur l'expertise sont de niveau réglementaire, mais celle-ci est de niveau législatif. Évitons les sorties sèches.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Avis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Le juge c'est le juge, le médecin c'est le médecin...

Mme Éliane Assassi.  - (Opinant du chef) Exactement !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est une ligne rouge qu'il serait inquiétant de franchir.

L'amendement n°2 est adopté et devient un article additionnel

(M. Guy Benarroche s'en réjouit.)

ARTICLE 2

Mme la présidente.  - Amendement n°6, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Éliane Assassi.  - L'article 2 crée une aggravation des peines pour les crimes et délits commis en état d'intoxication. Le sujet de la consommation de stupéfiants ou d'alcool relève du sanitaire plutôt que du pénal !

Ces comportements ne sont pas nécessairement fautifs ; ils sont parfois la conséquence et non la cause de la maladie. C'est très fréquent dans les psychoses, car les toxiques soulagent.

Il n'est pas concevable de revoir l'échelle des peines au détour d'une proposition de loi de circonstance.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Avis défavorable. La consommation d'alcool et de stupéfiants apparait souvent dans la jurisprudence, mais il est apparu que sept types de crimes et délits - actes de torture et de barbarie, meurtre, coups et blessures ayant entraîné la mort, violences volontaires, homicides et blessures involontaires - n'étaient pas aggravés par ce type de consommation. C'est pourquoi nous proposons cette disposition globale.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous soutenons cet amendement. L'application de l'article 45 de la Constitution est pour le moins aléatoire : cet article 2 va bien au-delà de l'objet du texte. En outre, ne mélangeons pas ce qui relève du sanitaire et ce qui relève du judiciaire.

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS après l'article 2

Mme la présidente.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mmes V. Boyer et Billon, MM. Pellevat et Frassa, Mmes Garriaud-Maylam et Belrhiti, MM. Charon et Savary, Mmes Borchio Fontimp et Micouleau, MM. Sido et Laménie, Mmes Garnier et Imbert, MM. J.M. Boyer, H. Leroy et Milon, Mme Gosselin et MM. D. Laurent, Savin et Bouchet.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'avant-dernier alinéa de l'article 222-14 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L'impact de ces violences sur la victime est pris en compte pour l'application des articles 122-1, 122-2 et 122-5 lorsque sa responsabilité pénale est engagée. »

Mme Valérie Boyer.  - Merci à la commission pour son avis favorable. Je songe à Stéphanie, 22 ans, abattue récemment à Hayange par son conjoint... La lutte contre les violences conjugales concerne toute la société, c'est un combat universel, mais il n'avance jamais assez vite.

Je rends hommage à Nathalie Tomasini, avocate de Valérie Bacot, accusée d'avoir tué en 2016 son mari au terme de plusieurs dizaines d'années d'horreurs. Elle encourt une peine de prison à perpétuité. Sans nous ériger en juges, demandons-nous : est-elle une meurtrière ou une victime ?

Pour la première fois en France, l'expert a fait mention du syndrome de la femme battue, reconnu au Canada depuis 1990, et dans lequel la victime est dans un tel état de soumission qu'elle n'est plus capable de prendre de décisions. La plupart du temps, cela se termine par un suicide, mais parfois, la victime se retourne contre son bourreau, dans une ultime pensée : lui ou moi. Il ne s'agit pas de délivrer un permis de tuer mais de prévoir une irresponsabilité étendue.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Avis favorable après rectification de l'amendement à la demande de la commission.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - J'y suis tout à fait défavorable. C'est irrecevable et dangereux. Cette disposition n'est pas normative, même si je comprends l'objectif. Le droit pénal doit être infiniment précis.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cet amendement est gênant. Nous sommes tous convaincus de la nécessité de lutter contre les violences conjugales. Lors d'un jugement, les circonstances atténuantes sont évidemment examinées.

Nous traitons d'un sujet lourd et au détour de ce texte, vous proposez un amendement qui n'est pas abouti mais revoit l'échelle des peines : nous ne le voterons pas.

Mme Valérie Boyer.  - Chacun comprend mon objectif. Dans les violences conjugales, le discernement peut être altéré car la personne est en danger de mort permanent : c'est de la torture mentale. Je travaille cette question depuis de nombreuses années, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Cette évolution est attendue.

Mme Annick Billon.  - Les violences faites aux femmes alimentent l'actualité, hélas ! Les agresseurs isolent leur victime par l'emprise. Cet amendement apporte enfin une réponse à cette situation d'agressions, de viols, de torture psychologique. Les victimes n'ont jamais le statut de victime ! Je remercie Valérie Boyer d'avoir déposé cet amendement, que je voterai.

Mme Dominique Vérien.  - Il y a peut-être un problème de rédaction, puisque l'on parle de « l'impact de violences sur la victime », alors que l'atténuation concerne l'auteur... (M. le garde des Sceaux renchérit.)

L'amendement n°1 rectifié est adopté

et devient un article additionnel.

Mme la présidente.  - Amendement n°11, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 158 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Il est ajouté aux questions techniques mentionnées au premier alinéa une question spécifique destinée à identifier une participation active à la perte de discernement. »

M. Jean-Pierre Sueur.  - L'une des raisons des divergences entre experts quand le passage à l'acte a lieu sous toxique tient au fait que certains tiennent compte de la position psychique du sujet au moment de la prise de la substance psychoactive pour rejeter l'atteinte au discernement, quand d'autres se limitent strictement à la caractérisation de l'état psychique au moment de l'acte.

Pour y remédier, inscrivons dans la nomenclature la nécessité de décrire les conditions, les motivations et les conséquences entravant ou abolissant le contrôle des actes.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Sagesse négative, car cela relève du pouvoir réglementaire. Avis du Gouvernement néanmoins ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Cela relève effectivement du domaine réglementaire : avis défavorable.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur.  - Avis défavorable donc.

L'amendement n°11 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

ARTICLE 4

Mme Éliane Assassi .  - Cet article restreint l'examen clinique en garde à vue en excluant les expertises reprises par l'instruction judiciaire.

Cela va dans le bon sens et nous voterons donc cet article 4, sans toutefois voter l'ensemble de la proposition de loi.

L'article 4 est adopté, de même que les articles 5, 6, 7, 8, 9 et 10.

Vote sur l'ensemble

M. Guy Benarroche .  - Je suis conscient de l'émoi, de la colère face au sentiment que l'irresponsabilité pénale permettrait aux mis en cause d'échapper à la justice. Mais ce n'est pas le cas : la chambre de l'instruction se prononce sur l'irresponsabilité après un débat qui peut durer de longues heures.

De plus, l'auteur fait l'objet, en général, de mesures très longues de privation de liberté : il est souvent hospitalisé sous contrainte, avec des mesures de sûreté pouvant aller jusqu'à vingt ans, afin d'être soigné et d'éviter toute récidive.

Ce texte n'apporte pas de solutions ; au contraire, avec l'amendement à l'article premier qui supprime le fait « fautif », il introduit un déséquilibre. Pour exprimer sa volonté de conserver intact l'article 122-1 et sa confiance envers les magistrats et les experts, le GEST ne votera pas ce texte.

M. Jean-Pierre Sueur .  - Aucune des trois propositions concrètes de notre groupe n'a été retenue. Nos arguments sur le caractère fallacieux du recours à la juridiction de fond n'ont pas été pris en compte. Nous avons obtenu gain de cause sur un amendement, mais pour une situation que nous ne souhaitions pas créer par la loi.

Même s'il faut conserver l'article 122-1, le statu quo est impossible ; c'est pourquoi le groupe SER ne peut voter contre. Nous sommes convaincus que l'on reviendra à nos amendements dans la suite de cette réflexion.

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

Prochaine séance demain, mercredi 26 mai 2021, à 15 heures.

La séance est levée à 20 h 40.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 26 mai 2021

Séance publique

À 15 heures

Présidence :

M. Gérard Larcher, président Secrétaires : M. Jean-Claude Tissot M. Daniel Gremillet

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