Opération Barkhane : bilan et perspectives
M. le président. - L'ordre du jour appelle un débat sur « l'opération Barkhane : bilan et perspectives ».
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Noël Guérini et Mme Marie-Agnès Évrard applaudissent également.) Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir accepté ce débat dont le Sénat s'honore. Je remercie les ministres Jean-Yves Le Drian et Florence Parly d'y participer. C'est l'occasion de faire part des travaux menés par notre commission depuis plus d'un an : au moment où l'opinion s'interroge, il est bon que les institutions jouent leur rôle dans un esprit constructif.
Je salue une fois encore l'engagement exceptionnel de nos militaires, qui ont déjà payé un prix très lourd avec 55 morts. Nous avons une pensée particulière pour le fils de notre ancien collègue Jean-Marie Bockel qui aurait, aujourd'hui même, fêté ses 30 ans.
Le 22 avril 2013, nous approuvions la prolongation de l'opération Serval conformément à l'article 35 de la Constitution. Huit ans plus tard, l'opération a changé de nom et de forme, et le nombre d'hommes est passé de 3 000 à 4 500 puis à 5 100. La menace, elle aussi, a changé de forme et s'est étendue : elle touche maintenant tout le Golfe de Guinée.
Barkhane a remporté de très nombreux succès tactiques, notamment lors de l'opération Bourrasque. De nombreux chefs djihadistes ont été neutralisés. Nous sommes parvenus à mobiliser nos alliés européens, même si les moyens qu'ils mettent en oeuvre peuvent paraître insuffisants. La task force Takuba a été renforcée. Le G5 Sahel a progressé ; nous devons rendre hommage à leurs armées, qui paient elles aussi un lourd tribut en vies humaines.
Grâce à une pression permanente, la constitution d'un sanctuaire djihadiste a pu être évitée. Le dénouement de cette crise ne sera pas militaire. La solution, qui ne peut être que politique, est donc du ressort des Maliens. Or les accords d'Alger ne sont toujours pas appliqués et le coup d'État au Mali donne une impression de retour en arrière.
Allons-nous signer un nouveau bail de huit ans ? Que se passera-t-il si rien n'a changé à l'issue de cette période ?
Un retrait brutal de nos armées ne serait pas conforme à nos intérêts ni à ceux de nos alliés. Nous devons consolider et non sacrifier les acquis de Barkhane, mais nous sommes en droit d'attendre des progrès dans la réconciliation nationale malienne.
Quel message portera la France à ses alliés au sommet de N'Djamena ? Nous voulons connaître le plan du Gouvernement pour que la France puisse retirer ses troupes sans craindre un nouveau séisme.
L'aide au développement est essentielle pour traiter le mal à la racine et éviter que nos forces soient perçues comme des troupes d'occupation. Or, si nous avons dépensé 900 millions d'euros en 2019 pour les opérations militaires, nous n'avons mobilisé que 85 millions d'euros en aide publique au développement au Mali. Certes, l'Alliance Sahel a débloqué des sommes importantes, mais il est difficile d'atteindre les territoires du Nord du pays. Éducation, santé, services publics de base sont les domaines dans lesquels la population locale nous attend.
La protection de nos soldats constitue une priorité absolue. Où en est le nouveau blindage des véhicules légers ? La plupart de nos morts sont déplorés lors des transports automobiles. Ne faut-il pas basculer vers plus d'aéromobilité ? (M. Bruno Sido renchérit.)
Nous sommes face à une situation complexe, sans solution toute faite. C'est le rôle du Parlement de s'y pencher pour que nous en discutions ensemble.
Ce débat est un symbole : il faut montrer que partout où la France se bat, c'est pour faire progresser la paix.
Que nos militaires qui agissent en ce moment même dans les déserts brûlants et dangereux du Sahel sachent qu'ils sont la fierté de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, INDEP et RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)
M. Ludovic Haye . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) À mon tour de saluer nos soldats dont la combativité, le dévouement et l'abnégation sont inégalables. À ceux qui sont tombés au service de notre Nation, je rends un hommage ému. À quelques jours du sommet de N'Djamena, nous renouvelons toute notre confiance au Président de la République et au Gouvernement.
L'opération Serval a empêché que la bande saharo-sahélienne devienne une base arrière du djihadisme. Mais nous sommes passés d'une guerre d'intervention à un conflit d'un tout autre genre : sans notre présence, la menace djihadiste s'étendrait à toute l'Afrique de l'Ouest.
Depuis le sommet de Pau, la pression sur les groupes terroristes s'est renforcée, le nombre de neutralisations a augmenté, la montée en puissance de la force du G5 Sahel est encourageante, même si elle n'est pas encore autonome.
Aux côtés de la France, une addition de faiblesses ne fait pas une force. La crise est aussi politique et économique : conformément aux quatre piliers du sommet de Pau, il convient de transformer les gains de terrain en progrès politique, économique et social. L'approche 3D - diplomatie, défense, développement - doit dépasser l'incantation. Nos alliés, notamment maliens, doivent adopter une feuille de route claire, avec des élections en 2022 et un accent mis sur la lutte contre la corruption et les trafics.
Après la Guinée-Bissau, le Mali devient un narco-État où les trafiquants achètent les services et les consciences. Les fake news se multiplient, salissant notre pays par un mélange de racisme à rebours, d'anticolonialisme primaire et de déni de l'histoire.
Au-delà du cadre militaire, il y a beaucoup de combats à mener. Six ans après sa signature, la mise en oeuvre de l'accord d'Alger en est toujours à ses balbutiements. Pourquoi ?
Comment lutter contre l'instrumentalisation malveillante des opinions publiques ? Le temps joue contre nous ; plus un conflit dure, et plus les populations ont tendance à faire des forces étrangères la cause de tous leurs maux. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Olivier Cadic et Olivier Cigolotti applaudissent également.)
M. Jean-Noël Guérini . - À un an de l'élection présidentielle française et à quelques jours du sommet de N'Djamena, ne comptez pas sur moi pour polémiquer. La présence au Sahel de 5 100 enfants de la Nation appelle de notre part des débats responsables. J'entends çà et là les souhaits de retrait de nos soldats. La durée de l'opération, malheureusement longue, le justifierait-elle ?
Rappelons les raisons de notre présence au Mali : nous sommes intervenus à la demande de ce pays. Barkhane, c'est un gage de stabilité pour une zone en souffrance. C'est un besoin de contenir le terrorisme et ses répercussions en Europe. C'est un engagement de formation des militaires maliens ; c'est un projet d'aide à la population ; c'est enfin l'influence de la France.
Le président Macron l'a déclaré lors de ses voeux aux forces armées : « Face aux risques de déstructuration des relations internationales et de notre société, les armées françaises sont un facteur de stabilité, de force et de résistance. »
La zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso est un poumon des djihadistes.
Barkhane assure une présence militaire mais aussi l'aide aux populations, notamment sanitaire. Mieux vaut aider la population sur place plutôt que la laisser traverser la Méditerranée dans des conditions inhumaines. La solution réside dans le développement du Mali.
Barkhane assure la formation des forces locales. La pérenniser demeure un enjeu stratégique de coopération et humain. La dépense est importante - 1 milliard d'euros par an - mais nous ne sommes plus seuls : 50 % des transports de personnel et 40 % des transports de matériels ont été effectués par nos alliés.
Que répondre à l'émotion suscitée par les pertes humaines sinon citer Jean-Marie Bockel ? « Nous sommes infiniment tristes et fiers de notre enfant. C'était un soldat engagé qui savait pourquoi il était là. »
Barkhane est au service de la France. Soyons fiers du travail de nos troupes et ne les perturbons pas par nos discussions parfois superfétatoires. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Républicains, UC, INDEP et RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER)
M. Pierre Laurent . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Je salue la tenue de ce débat et en remercie le président de notre commission : il n'est plus acceptable de placer le Parlement devant le fait accompli.
Madame la ministre, vous dites qu'il est faux d'affirmer que la France est engluée dans Barkhane.
Vous ne trouverez pas plus farouches opposants au terrorisme islamiste que les communistes : partout, les militants de la démocratie sont pourchassés par le djihadisme. Mais Barkhane a-t-elle éteint ou propagé ce terrorisme islamiste ? Vit-on plus en paix qu'il y a huit ans ?
De plus en plus de Maliens, mais aussi de nos militaires, nos diplomates, nos universitaires posent la question.
Le coût de la guerre - plus d'un milliard d'euros par an depuis huit ans - est exorbitant. Certes, nous contenons le terrorisme mais nous ne le faisons pas reculer.
Quelque 55 soldats français ont perdu la vie, comme plus de 5 000 Maliens. Un demi-million de personnes ont été déplacées. La situation empire et les islamistes continuent leur sinistre entreprise.
Les leçons ne sont pas tirées. La désintégration de la Libye en est un exemple. Dans quel état laisserons-nous le Mali ? Nous jouons aux apprentis sorciers et suscitons la défiance des Maliens en laissant craindre une partition du pays à cause d'un jeu trouble avec le Mouvement national de libération de l'Azawad.
Les Accords d'Alger ne sont pas l'unique solution politique : ils doivent être profondément révisés. Les islamistes prospèrent sur les divisions et exploitent le désespoir des populations. Nous devons tirer les leçons et tourner la page de Barkhane, car l'impasse est certaine.
Nous devons créer les conditions d'un retrait de nos troupes. Il ne s'agit pas d'abandonner le Mali au chaos, mais de préparer un nouvel agenda pour la région, discuté avec l'Union africaine et l'ONU.
Notre appui doit être recentré sur les armées locales, avec un état-major conjoint africain. Il faut prolonger l'appel de Lusaka à faire taire les armes.
C'est surtout notre agenda politique qui doit changer, avec de vastes plans d'action pour le développement. Les pays africains doivent sortir d'un modèle économique extraverti, tourné vers les besoins des multinationales et d'élites aisées corrompues. Il faut augmenter massivement l'aide publique au développement, créer une fiscalité valorisant les ressources endogènes. Le développement ne doit pas être le troisième D - l'alibi d'une stratégie militaire et diplomatique dans l'impasse - mais l'ambition autour de laquelle tout doit s'organiser. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mmes Gisèle Jourda et Marie-Arlette Carlotti applaudissent également.)
M. Olivier Cigolotti . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie à mon tour le président Cambon pour un débat très attendu.
Depuis neuf ans, c'est seulement la deuxième fois que nous débattons de la stratégie et des enjeux de Barkhane.
Sur un territoire grand comme l'Europe, nos militaires mènent une lutte sans relâche contre le terrorisme et le fanatisme. Je pense à nos soldats tombés au combat et tout particulièrement à notre collègue Jean-Marie Bockel.
Serval, puis Barkhane, ont permis d'éviter la création d'un sanctuaire djihadiste. Mais malgré de nombreuses victoires, la guerre est loin d'être gagnée. Ce type d'intervention est un conflit asymétrique, qui ne permet pas à nos forces de vaincre la détermination, l'imagination et la mobilité opérationnelle de groupes en effectif réduit, sur un terrain qu'ils connaissent parfaitement.
La situation s'est dégradée ; la tache djihadiste s'est élargie jusqu'au Burkina Faso et aux pays riverains du golfe de Guinée.
Les forces françaises apparaissent bien seules. L'engagement de nos partenaires est peu visible ; est-ce parce que nous sommes les seuls à disposer d'une armée d'emploi ? Il faudrait que tous les États membres se convainquent de l'utilité de combattre le terrorisme à sa racine.
La coopération doit aller au-delà du G5 Sahel, dispositif insuffisant pour faire face à la progression de la zone d'influence terroriste. Il faut élargir le cadre d'action à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) : cela sera-t-il évoqué à N'Djamena ?
La force Takuba devant matérialiser l'engagement de l'Europe, les premières forces spéciales françaises et estoniennes sont arrivées sur le terrain, mais qu'en est-il de l'engagement des autres partenaires ? Quelle sera la montée en puissance de Takuba ?
Européanisation et sahélisation suffiront-elles pour sortir du conflit ? Nous sommes conscients que l'absence de l'État favorise l'emprise des groupes terroristes ; sans un État protecteur et non prédateur, la paix est impossible.
Il faut une stratégie claire mais aussi intégrée et financée. Il est plus facile de financer la guerre que la paix... Même s'il n'est pas envisageable de réduire massivement l'empreinte française sur le terrain, une réflexion s'impose sur un accompagnement à forte valeur ajoutée - drones, renseignements ou frappes aériennes ciblées.
Deux pistes pour une évolution positive : à N'Djamena, le G5 Sahel, mais aussi les pays potentiellement menacés, pourraient réaffirmer leur volonté de s'impliquer davantage ; le nouveau locataire de la Maison blanche a déclaré vouloir renouer un dialogue avec l'Union africaine.
La solution sera politique. Paul Valéry disait : « La guerre, c'est un massacre de gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. » (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du RDPI)
M. Jean-Marc Todeschini . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'adresse au nom de mon groupe une pensée à nos 5 000 militaires engagés et leurs proches ; 55 ont perdu la vie, dont le fils de notre collègue Jean-Marie Bockel. Ce sont des femmes et des hommes libres, engagés au service du drapeau et d'une certaine idée de la liberté. Secrétaire d'État à vos côtés, monsieur le ministre, j'ai gardé le souvenir de leur professionnalisme indiscutable, de leur très haut niveau d'entraînement, de leur courage. Dans un monde individualiste, nos militaires démentent les idées reçues.
L'opération Barkhane a pris la suite de Serval le 1er août 2014. Rappelons qu'en quelques heures, à l'appel du Président malien, le Président François Hollande a pris la courageuse décision d'engager nos forces à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous - décision nécessaire, responsable et digne. Cette première bataille fut remportée en quelques semaines, grâce aux capacités exceptionnelles de projection de nos forces armées.
La France fait partie du club mondial très fermé des puissances capables de projeter leurs forces sur des théâtres extérieurs. Cela confère une responsabilité, celle de ne pas laisser s'installer les rumeurs nauséabondes.
La France n'est pas un pays colonisateur ou impérialiste : elle ne poursuit qu'un objectif, défendre la paix pour que les peuples échappent au joug du terrorisme.
Redire les faits dans un contexte de suspicion n'a rien de superfétatoire, à l'heure où certaines grandes puissances ont du mensonge et des attaques cyber une pratique assidue.
Ne serait-il pas urgent, dans ces conditions, d'associer davantage les parlementaires ? Si le succès tactique est indiscutable, il faut débattre de la stratégie. Ministre de la défense en 2015, vous posiez la question : « Qui est l'ennemi ? ». Il est mouvant, immergé dans les populations, en évolution permanente, et cherche à établir des proto-États. C'est la réalité déjà décrite dans le livre blanc de 2013. Cela n'a rien à voir avec la guerre préventive dans laquelle certains États se sont abimés, moralement, culturellement, économiquement.
La France, fidèle à ses valeurs et à ses traditions, a intégré que la sécurité absolue est un leurre. Notre stratégie ne varie pas : elle est défensive et dissuasive. Il faut définir l'ennemi au plus juste, ne pas se contenter du cadre militaire, mobiliser le politique, le diplomatique, l'économique.
Madame le ministre, monsieur le ministre, où en sommes-nous avec le G5 Sahel ? Quels sont les effets de la crise libyenne ? Les États-Unis changent-ils d'attitude ? À quelle échéance les pays du Sahel auront-ils les moyens de prendre le relais militaire ?
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Marc Todeschini. - Je vous le demande sans détour : quelle est la stratégie de la France au Mali ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Joël Guerriau . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le groupe Les Indépendants rend hommage à nos soldats tués, blessés et encore engagés, ainsi qu'à leurs familles.
Notre armée a libéré les villes occupées et poursuit les terroristes. Le bilan s'améliore ; ne baissons pas la garde pour autant.
Barkhane a évité la constitution d'un sanctuaire terroriste. Un retrait entraînerait un déplacement massif de population. Dans sa grande majorité, la population du Sahel veut le maintien de la présence armée française, contrairement à ce que laissent entendre des rumeurs malveillantes. Les États doivent améliorer les services publics.
Un exemple : en 1995, j'ai initié une coopération décentralisée entre ma ville et celle de Kati, limitrophe de Bamako. Cette commune de plus de 100 000 habitants recevait une aide de l'Agence nationale pour le développement de 30 millions de francs CFA ; cette aide est passée à 9 millions. Quelle ville pauvre peut supporter une diminution de 70 % de son budget ? Les agents territoriaux ne perçoivent plus de salaires.
À Bamako, il est de plus en plus difficile de se déplacer. La misère se répand. Ségou, Mopti ont perdu une ressource touristique précieuse. Un millier d'écoles ont fermé. C'est grave, car c'est un terreau qui nourrit le terrorisme. Les écoles doivent rouvrir. Il faut agir à tous les niveaux : Barkhane est la condition nécessaire à l'émergence de services publics.
Si le terrorisme prenait le contrôle de la zone, la violence s'exporterait chez nous et il faudrait intervenir dans des conditions dégradées, comme en Afghanistan ou en Irak. La victoire est entre les mains des responsables publics locaux.
La France doit s'attendre à ce que son intervention dure : il faut donc qu'elle soit soutenable et, pour cela, que de nouveaux contingents européens prennent la relève, que les coûts soient mutualisés, que l'aide publique au développement soit revalorisée. La principale urgence, c'est la misère. (Applaudissement sur le banc de la commission et sur plusieurs travées du groupe UC)
M. Guillaume Gontard . - Depuis 2013 et la prolongation de Serval en Barkhane, le Parlement est muet ; hormis lors de la discussion budgétaire, son rôle est réduit à néant. Or il y a beaucoup à dire.
Le bilan laisse perplexe. À Pau, il y a un an, le Président de la République annonçait une montée en puissance de l'opération avec un renfort de 600 hommes. Le coût financier est passé de 520 millions d'euros en 2014 à un milliard d'euros en 2020. Pour quels résultats ? Certes, il y eut des succès tactiques comme Bourrasque ou Éclipse ; mais les armées locales sont-elles désormais autonomes ? Les États du Sahel ont-ils rétabli leur entente, engagé leur réconciliation ?
Ce conflit repose sur des tensions systémiques, au premier rang desquelles le changement climatique : la désertification, la sécheresse excluent les éleveurs ; l'insécurité alimentaire permet aux terroristes de prospérer. Ces insuffisances ont un coût humain : le brigadier Loïc Risser et le sergent Yvonne Huynh sont les derniers de nos 55 soldats tués.
Les circonstances de la frappe de Bounti, le 13 janvier, qui aurait touché des civils, doivent être éclaircies.
À quelques jours du sommet de N'Djamena, l'enlisement semble être une réalité. La solution militaire ne remplacera jamais la solution politique. Il faut appuyer les transitions démocratiques en redonnant son souffle à l'accord d'Alger. L'Algérie, la France et l'ONU, signataires, doivent y contribuer.
Le tabou des pourparlers avec certaines des organisations armées doit être débattu : certains acteurs politiques maliens négocient déjà avec elles et quand les revendications politiques ne sont pas incompatibles avec nos exigences, ces négociations doivent être soutenues.
Malgré le lancement de la task force Takuba, l'engagement des contingents estoniens, tchèques et suédois n'est pas décisif. Dès lors, une participation plus importante sur le volet développement serait justifiée.
La solution politique ne saurait être trouvée sans un renforcement considérable de l'aide publique au développement. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Christian Cambon pour son initiative. Ce débat tombe à pic, à quelques jours du sommet de N'Djamena.
C'est l'occasion d'adresser un message au Gouvernement mais je tiens à rendre un hommage appuyé à nos armées françaises qui font notre fierté et l'admiration d'autres armées dans le monde. Très peu sont capables de ce que la nôtre réalise là-bas... « Loin des yeux, loin du coeur ? » Jamais dicton n'a été si faux car, là-bas comme chez nous, c'est le même combat pour la paix, la liberté et la vie.
Le courage est la qualité suprême, écrivait Aristote, car il permet toutes les autres. Nos 55 soldats ne sont pas morts pour rien. Sans l'intervention de la France, sous diverses présidences de la République et gouvernements successifs, il y aurait aujourd'hui un nouveau califat islamiste dans le Sahel, aux portes du Maghreb, à la frontière Sud de l'Europe et de la France.
Barkhane est un succès militaire mais nous devons pouvoir discuter de cet engagement. Aucun succès militaire ne débouche sur une paix durable sans succès diplomatique ou politique. Il faut « transformer les gains tactiques en progrès politiques et sociaux » : ce sont vos mots, madame la ministre. Mais à quelles conditions ?
À Brest, le Président de la République a annoncé un « ajustement » de nos efforts : s'agit-il de revenir aux effectifs d'avant le sommet de Pau ? Ni le retrait, qui réduirait à l'inutile les sacrifices de nos soldats, ni le statu quo, qui mènerait à l'embourbement, ne seraient des stratégies.
Alors quelles sont les pistes ? Le dispositif militaire devra s'adapter en permanence, avec une meilleure utilisation des forces spéciales et aéroportées. Il faut sécuriser le transport de nos troupes par un meilleur blindage.
Certes Takuba est une avancée, mais elle est insuffisante. Il faut aller vers le renforcement de la mutualisation européenne des efforts et des contributions. Le G5 Sahel paye le prix du sang, un très lourd tribut. Cet engagement doit être renforcé, même si cela est plus facile à dire qu'à faire.
M. Richard Yung. - C'est vrai !
M. Bruno Retailleau. - Il importe de mieux concilier effort pour la sécurité et effort de coopération. Chaque jour, l'opération militaire nous coûte 2 millions d'euros alors que nous mettons 200 000 euros dans la coopération. L'Europe doit pouvoir mieux aider, tout comme l'AFD, dont la logique nous dépasse parfois et dont la transparence doit être renforcée. (M. le président de la commission applaudit.) L'éducation, la santé, l'accès à l'eau sont plus importants que bien des actions.
Pas de reconstruction sans réconciliation. Il faudra exiger du Mali qu'il applique les accords d'Alger, et que l'Algérie entre dans le jeu pour garantir une réelle application. Nous devons renforcer le dialogue entre le Nord et le Sud, entre peuples peul et dogon.
Nos soldats au Sahel connaissent leur devoir. À nous de leur indiquer le sens de leur mission : c'est ce que nous attendons de vous.
Mon groupe assumera toujours son devoir, au nom de l'intérêt supérieur de la Nation, nous serons toujours en cette matière à vos côtés et aux côtés de l'armée française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC et au banc de la commission)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - J'ai une pensée particulière pour Jean-Marie Bockel.
Cela fait huit ans que nous avons un dialogue - franc, exigeant, confiant - avec la commission des affaires étrangères du Sénat sur la situation au Sahel. J'ai tenu à être régulièrement présent pour répondre à vos questions car cet engagement nécessite une totale transparence.
Je me réjouis que ce dialogue se poursuive en séance publique : au-delà de la représentation nationale, nos concitoyens doivent savoir ce que nous faisons, alors que l'on assiste à des manipulations de l'information, à la fois au Sahel - avec la montée d'un sentiment anti-Français - et à propos du Sahel. Ce débat est donc bienvenu.
Vos interventions l'ont du reste souligné, le sentiment anti-français qui peut être alimenté sur place risquerait de brouiller la perception de notre action ici-même : ne laissons pas ce piège se refermer sur nous.
On ne saurait traiter la question de Barkhane sans penser l'ensemble de l'architecture des opérations : création du G5 Sahel en 2014, Alliance Sahel en 2017, lancement du Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel (P3S) en 2019, Coalition pour le Sahel en 2020... Autant de jalons décisifs pour l'internationalisation de la lutte contre le terrorisme et la définition d'un cadre global et intégré, pour apporter une réponse dans le temps long.
Barkhane a été le socle sur lequel ce vaste dispositif s'est construit.
Mais trois malentendus planent encore, malheureusement. Le premier tient à une forme d'amnésie : ce qui se passe au Sahel ne serait pas notre affaire. Or notre engagement dans Serval puis Barkhane s'explique par la situation du Mali en 2012, au bord de l'effondrement politique et sécuritaire - avec le coup d'État contre Toumani Touré, l'apparition d'Al-Qaïda qui imposait la charia à Tombouctou et marchait sur Bamako. Une catastrophe se profilait, pour la population malienne mais aussi pour nous : la menace, c'était la constitution d'un sanctuaire djihadiste d'où pourraient être projetées des attaques, comme nous l'avons vu au Levant un an et demi plus tard avec l'instauration d'un prétendu califat.
Nous avons eu raison de lancer Serval dès janvier 2013 - à la demande des autorités maliennes. Cette opération a été une réussite militaire et démocratique, avec un coup d'arrêt à la progression djihadiste puis la reprise du processus démocratique et la tenue de l'élection présidentielle malienne.
Mais d'une occupation territoriale, l'ennemi est passé à une stratégie de déstabilisation dans l'ensemble de la région : c'est pourquoi nous avons lancé Barkhane en août 2014, à la demande des États concernés et avec la validation de l'ONU.
Le deuxième malentendu serait la myopie. Il ne faut pas voir l'intervention au Sahel comme une affaire franco-française, voire une obsession française. Ce n'est pas le cas. Nous ne sommes pas seuls, et la sécurité du Sahel est d'abord l'affaire des États du Sahel.
Il y a une prise de conscience européenne, sans doute tardive. La sécurité du Sahel conditionne la sécurité des Européens et nos partenaires européens sont désormais au rendez-vous avec Takuba, avec l'appui à la force conjointe, avec des missions de formation, avec la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Sans oublier les contributions de nos alliés britanniques, américains et canadiens.
Troisième malentendu : l'impatience. Nos succès militaires ne pourront rétablir la paix à eux seuls. La résolution sera politique. Le Sahel connaît des fragilités considérables et la clé du succès réside dans une approche globale et intégrée. La Coalition pour le Sahel s'appuie sur quatre piliers : la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des forces armées, le soutien aux États et au rétablissement de leurs services de base, en reconquête du territoire et, enfin, le développement.
Cette coalition, ce sont 45 pays et organisations internationales qui se sont déterminés à agir ensemble. Il s'agit d'un nouveau multilatéralisme, un multilatéralisme en action, pragmatique ; il recueille le consensus de la communauté internationale. Un an après le sommet de Pau, son secrétariat s'installe du reste à Bruxelles.
Les résultats sont là. Sur le troisième pilier, les progrès sont lents mais la création d'unités mobiles vise à consolider, dans les territoires arrachés aux terroristes, la présence de l'État. Je pense notamment à la chaîne pénale - notamment la lutte contre l'impunité même si cela reste insuffisant - ou au redéploiement des services publics dans les zones libérées. Ainsi, 16 millions d'euros ont été engagés en urgence pour mener des actions très concrètes de déminage, de créations d'écoles ou de centres de santé, d'accès à l'eau, dans la zone des trois frontières.
Il y aura aussi le temps du développement, pour traiter en profondeur les fragilités. C'est pourquoi a été créée en 2017 l'Alliance Sahel qui regroupe 24 partenaires et supervise 870 projets pour un montant total de 20 milliards d'euros.
Depuis cinq ans, la France a augmenté son aide publique au développement en direction du Sahel de plus de 30 % ; 350 millions d'euros ont été décaissés par l'AFD en un an pour accélérer des projets dans les pays du G5 Sahel. Nous avons des résultats : la scolarisation primaire de 200 000 Nigériens, la réhabilitation de 1 800 classes au Mali, la distribution de 40 000 manuels scolaires au Tchad. Se battre pour l'éducation, c'est se battre contre l'obscurantisme ; l'eau, l'assistance alimentaire, les méthodes de planning familial, l'éducation sont aussi des armes contre le djihadisme.
Le sommet de Pau a été celui du sursaut militaire. Celui de N'Djamena doit être celui du sursaut diplomatique et politique, un sursaut également en faveur du développement.
Au plan diplomatique, il faut renforcer la coopération entre le G5 Sahel et les pays du golfe de Guinée. L'initiative d'Accra qui vise à conforter la relation particulière entre la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Bénin et le Togo va dans ce sens. La coopération doit être aussi renforcée avec l'Algérie, le Maroc ; et nous faisons aussi le lien avec la question libyenne.
Au plan politique, je ne suis pas favorable à l'idée de reconsidérer l'accord d'Alger de 2015. C'est le cadre dans lequel nous pouvons avancer politiquement. Cet accord comprend des coopérations locales, une refonte de l'armée malienne et un effort de développement du Nord.
Il est nécessaire de réinstaller l'armée malienne à Kidal, de désarmer et réintégrer les combattants, de mettre en oeuvre des projets avec le fonds de développement durable. L'Algérie a annoncé que le comité de suivi se réunirait le 11 février : c'est un signe positif.
L'accord distingue les groupes signataires et les groupes terroristes. Le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) est partie à l'accord, il accepte d'inscrire son action dans le cadre de l'État malien. Les autres sont des terroristes : nous les combattons. On ne négocie pas avec les terroristes.
La transition civile au Mali doit être menée à bien et garantie par des élections. Il faut renforcer la gouvernance, lutter contre l'impunité et refondre le cadre de la sécurité.
Le sommet de N'Djamena devra enfin être un sursaut pour le développement, avec une prise de responsabilité du G5 Sahel et une meilleure coordination et territorialisation de l'aide. Nous relayons le projet de grande muraille verte, avec 14 milliards d'euros de financements internationaux d'ici 2025. Verdir le Sahel, c'est aussi y ramener la paix. Telles sont nos perspectives.
Les Nations unies, l'Union africaine, l'Union européenne seront présentes à N'Djamena, ainsi que les partenaires américain, britannique, canadien, l'Algérie, le Maroc : c'est une petite communauté internationale qui se réunit pour lutter contre le terrorisme, dresser les chemins de la paix et redonner espoir aux populations locales. Ce débat clarifie nos positions. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
Mme Florence Parly, ministre des armées . - Je m'associe à l'hommage rendu à nos militaires et j'ai une pensée pour la famille de Jean-Marie Bockel.
Pourquoi sommes-nous au Sahel ? Il y a huit ans, le Mali a fait appel à la France pour stopper des djihadistes fonçant sur Bamako. Nous avons répondu, parce que c'est ainsi que nous nous comportons à l'égard de nos partenaires, et c'est ainsi que souhaiterions que nos partenaires se comportent à notre égard si nous étions agressés.
Nous avons répondu également parce que nous ne voulons pas que le Sahel devienne un sanctuaire terroriste, où se préparent des attentats contre l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest voire l'Europe.
Oui, les forces françaises se sont adaptées, ajustées ; et l'opération Barkhane évoluera encore. Le Président de la République a revu la stratégie française lors du sommet de Pau. Il y a un an, les forces sahéliennes étaient au bord de la rupture : en deux mois, 160 soldats nigériens, 53 soldats et civils maliens avaient été tués dans des attaques. Le discours antifrançais n'était pas clairement démenti par certaines autorités du G5 Sahel. Et au milieu, il y avait un boulevard pour Daech et Al-Qaïda, qui se renforçaient.
Le Président de la République a convoqué un sommet pour, avec l'ensemble des partenaires, revoir la stratégie et s'assurer que la présence militaire française était voulue et non subie. Nous en sommes sortis plus forts et plus nombreux dans la lutte contre le terrorisme.
La Coalition pour le Sahel a donné un cadre d'action important autour des quatre piliers mentionnés par Jean-Yves Le Drian. Je reviens un instant sur les deux premiers.
La lutte contre le terrorisme est importante dans la région des trois frontières : Mali, Niger, Burkina Faso. Le Président de la République a augmenté les effectifs armés de 600 militaires.
La montée en puissance des armées sahéliennes a renforcé notre action. Les résultats sont significatifs : Daech est fortement entravé, même s'il conserve une capacité importante de régénération.
En 2019, 300 membres des forces de sécurité ont été tués en six mois. Depuis un an, 100 policiers et militaires sont morts dans la région du Liptako. Mais depuis janvier 2020, aucune attaque d'ampleur n'a été commise. Nous avons neutralisé le numéro un d'Al-Qaïda dans la région ainsi que des cadres de cette organisation.
Du 2 janvier au 3 février, 2 000 militaires maliens, burkinabè, nigériens et du G5 Sahel ont conduit une opération de grande ampleur. Éclipse a pris la suite de Bourrasque. L'ennemi a été bousculé et surpris. Les groupes terroristes se sont repliés et ont abandonné de nombreuses ressources : motos, pickups, engins explosifs...
Les forces armées locales sont désormais capables de résister et de répliquer. Elles ne sont plus démunies, même si elles ont encore besoin d'être accompagnées.
C'est possible grâce à un engagement international européen confirmé et renforcé, notamment sur la formation des armées locales, via la mission de formation de l'Union européenne au Mali, EUTM-Mali. Où sont les Allemands, me demande-t-on ? Ils sont là, deuxième contributeur à cette formation ! Ils fournissent 800 soldats, et il y en aura 250 de plus fin 2021 ou début 2022. Espagnols, Britanniques, Estoniens nous appuient. Un détachement danois a renforcé Barkhane en 2020. Les États-Unis nous soutiennent, contribuant au succès des opérations.
Dans la force Takuba, des forces spéciales européennes entraînent les armées maliennes, notamment un groupe franco-estonien et un groupe franco-tchèque, ainsi qu'un détachement suédois de 150 militaires, avec des capacités aéroportées et de réaction rapide.
Il y a deux ans, un an même, qui aurait cru à un tel engagement ? Ces pays acceptent d'aller au contact direct avec l'ennemi. Comme nous, ils considèrent que la stabilité du Sahel est essentielle à la stabilité européenne. Cette contribution est tout sauf insignifiante. Si les Européens sont là, c'est parce qu'ils croient au sens de cet engagement, mais aussi parce que la France est présente.
Je l'ai déjà dit : Barkhane n'est pas éternelle, mais, à court terme, nous allons rester, ce qui n'empêche pas des évolutions. Les pays sahéliens veulent que nous restions.
La stratégie au Sahel reste une priorité contre Daech et Al-Qaïda. Le risque d'expansion du djihad vers le golfe de Guinée est réel. Leur objectif est clair : faire de la région une base arrière du djihadisme.
Transformer les guerres militaires en progrès économique et social : ce sera tout l'objet du sommet de N'Djamena la semaine prochaine. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur quelques travées du groupe SER et à droite)
Mme Nicole Duranton . - Encore onze morts en 2020, lourd tribut de nos frères dans ce combat sans visage ni ligne de front. Nous leur rendons hommage et pensons à Jean-Marie Bockel. Nous voulons contenir le risque de contagion vers le golfe de Guinée. La menace est mondiale et la réponse doit être internationale. Nous ne sommes pas seuls, mais nos partenaires ne sont hélas pas assez nombreux.
La force Takuba a montré l'effet bénéfique de la coordination. En partageant nos compétences, nous aidons les forces sahéliennes à monter en puissance.
L'opération Éclipse lancée le 2 janvier vient de se terminer avec succès. Elle a mobilisé 3 400 soldats, dont 1 500 Français de Barkhane et 1 900 soldats sahéliens.
Jamais nous n'avions vu les forces maliennes et nigériennes combattre comme cela. Pouvez-vous nous dresser le bilan opérationnel d'Éclipse ? Quelles conséquences pour une intervention de plus en plus autonome des forces sahéliennes ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Florence Parly, ministre. - L'opération Éclipse a mobilisé 1 400 soldats français et 2 000 soldats de pays partenaires sahéliens ; elle a signé le retour des Burkinabés, absents de Bourrasque. Le succès est là : neutralisation de nombreux djihadistes, saisie et destruction de matériel.
Fin janvier, les attaques contre Boulikessi et Hombori ont fait fuir des centaines de djihadistes. Ce partenariat est essentiel. Il n'y aura pas de résultat durable sans restructuration profonde des armées dans ces pays. Ils y sont prêts. Le Niger et le Mali vont recruter massivement pour régénérer leurs armées et les professionnaliser. Nous les y aiderons. (M. François Patriat applaudit.)
présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président
M. André Guiol . - La commission a reçu M. Aguila Saleh, président du parlement de Tobrouk ; il nous a présenté la situation de son pays et a évoqué le détournement de la vente de pétrole libyen pour financer des milices.
Nos soldats se battent sur un territoire immense, contre un ennemi diffus. Je regrette que les pays européens ne soient pas plus présents au Sahel. Depuis le Brexit, la France est le seul parmi eux à être membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.
Ne craignez-vous pas que les milices ou les mercenaires empêchés en Libye ne renforcent les groupes terroristes au Sahel, menaçant nos soldats ? Comment anticiper et prendre dès à présent des mesures pour éviter d'exposer davantage nos soldats ? (M. André Gattolin applaudit.)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - L'histoire libyenne est complexe, la situation actuelle confuse. Mais il peut y avoir de bonnes nouvelles venues de Libye. La preuve : le couvre-feu du 23 octobre est respecté et des élections devraient se tenir le 24 décembre prochain.
Aguila Saleh a été battu aux élections internes du Forum politique. Il faut encore que le nouveau président élu, M. Menfi, et le futur premier ministre, M. Dbeibah, soient confirmés par le Parlement de Tobrouk et le Haut Conseil de Tripoli. Une des clauses de l'accord du 23 octobre concerne le départ des forces étrangères. Nous voulons le faire valider par une résolution de l'ONU. Effectivement, il y a un lien avec la situation au Sahel. La sécurité de la frontière du Sud comme dans la région du Fezzan est une garantie pour éviter la porosité et les trafics en tous genres.
Mme Michelle Gréaume . - La France doit changer de braquet au Sahel. Nous arrivons au bout d'un modèle d'action fondé avant tout sur le militaire malgré des concepts comme les 3D ou le continuum Sécurité-Développement.
Le 10 décembre, le bureau du conseiller spécial pour l'Afrique de l'ONU, ses représentations permanentes d'Afrique du Sud et du Nigéria ainsi que l'Union africaine ont présenté une note sur les flux financiers illégaux en Afrique. Ils reprennent l'appel de Lusaka lancé par l'Union africaine en 2016. Ces flux s'élèvent à 88,6 milliards de dollars, l'équivalent de l'aide publique au développement et des investissements étrangers en Afrique cumulés ! Ces milliards envolés fragilisent les États, les maintiennent dans le sous-développement et facilitent le recrutement des groupes terroristes.
Parmi les recommandations de ce document, on retrouve la suppression des paradis fiscaux off-shore et un renforcement de la restriction de la circulation des armes. Cette feuille de route fait de la lutte contre la corruption et du renouvellement des élites politiques une priorité. La France soutiendra-t-elle cette direction ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Les flux financiers illicites en Afrique ne se limitent pas au Sahel. Les préconisations de l'Union africaine et de la nouvelle zone de libre-échange orientale africaine (ZLECAF) doivent être mises en oeuvre. Elles doivent se saisir de cette nécessité de transparence des flux financiers en Afrique.
Les bénéficiaires des aides doivent faire l'objet d'un criblage de sécurité avant le versement des fonds. Ce sujet est compliqué à mettre en oeuvre, mais indispensable pour éviter les dérives.
M. Olivier Cadic . - Comme tous les membres de l'Union centriste, j'ai une pensée particulière pour notre ancien collègue Jean-Marie Bockel et sa famille. Le lieutenant Pierre-Emmanuel Bockel aurait dû fêter ses 30 ans aujourd'hui. Nous rendons hommage aux 55 soldats français tombés au combat et aux centaines de victimes chez nos alliés du G5 Sahel.
Tous nos interlocuteurs au Sahel saluent l'action de la France et reconnaissent la prouesse militaire de notre armée qui fait énormément avec si peu, sur un si vaste territoire.
Lors de ma première visite à Ouagadougou, il y a quatre ans, la carte de conseils aux voyageurs du ministère des Affaires étrangères représentait le Burkina Faso en jaune, avec une bande rouge à la frontière nord avec le Mali. Désormais, elle est majoritairement rouge, avec le coeur du pays et sa capitale en orange. Le président Roch Kaboré souligne que son pays est de plus en plus dangereux. L'extension du phénomène djihadiste se fait sentir dans les pays côtiers. Comment leur venir en aide ?
Le président de l'Assemblée nationale du Burkina Faso m'a décrit son pays comme une digue. Pour qu'elle tienne, il faut que l'économie ne faiblisse pas.
À Bamako, nos entrepreneurs me faisaient remarquer qu'il est moins cher et trois fois plus rapide de transporter un conteneur de France à Dakar que de Dakar à Bamako.
La France favorisera-t-elle les échanges entre pays enclavés et ports grâce au ferroviaire, notamment avec le Dakar-Bamako, à l'arrêt depuis 2018 ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Cette intervention est tout à fait pertinente. Il est indispensable que les pays du Golfe de Guinée coopèrent entre eux pour assurer la sécurité de leurs frontières nord.
Le président du Ghana, M. Akufo-Addo, a lancé l'initiative d'Accra dans ce sens.
Les infrastructures ferroviaires sont un sujet africain mais il est évident qu'elles doivent être renforcées. Je pense notamment au Dakar-Bamako qui est bloqué. Il faut trouver des moyens de financement afin d'éviter que d'autres n'agissent à la place des Européens ou des Français.
M. Yannick Vaugrenard . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Mes premières pensées vont à nos soldats morts qui défendent notre chère liberté au prix du sang.
Huit longues années après l'engagement militaire de la France à l'appel des autorités maliennes face au risque d'un djihadisme tentaculaire, il convient de dresser, en toute responsabilité, des constats.
Fallait-il intervenir ? À l'évidence, oui. Notre pays ne pouvait détourner honteusement le regard. La France peut-elle rester éternellement ? Assurément, non. Le conflit se gagnera politiquement ; l'Histoire montre que les interventions militaires ne peuvent faire l'économie d'une transition démocratique. Sans quoi ceux qui ont applaudi à notre arrivée manifesteront pour nous demander de partir...
L'action militaire doit être accompagnée d'une assistance économique et politique.
Sans ses partenaires occidentaux, la France n'a pas les moyens de ses ambitions. À cela s'ajoute une guerre de communication pernicieuse. Chine et Russie jouent un jeu trouble et tentent de discréditer notre pays. Les États-Unis renforceront-ils leur soutien pour éviter que l'Afrique ne devienne entièrement dépendante de l'influence russo-chinoise ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Le soutien militaire des États-Unis concerne à la fois le transport, le ravitaillement en vol et le renseignement par drones. Mon sentiment est qu'il ne sera pas remis en cause, alors que la question a pu se poser sous la précédente administration. Ce soutien, important pour nous, ne représente que 0,0035 % du budget militaire américain.
Le soutien des États-Unis est aussi important au Conseil de sécurité de l'ONU, pour la Minusma. Nous avons eu parfois des difficultés à obtenir la validation du Conseil de sécurité, avec le risque d'un veto américain. La décision de renouvellement doit être prise en juin. Il sera essentiel d'obtenir un soutien logistique et financier à la force conjointe grâce à une inscription sous le chapitre 7.
M. Gérard Longuet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec autorité, gravité mais mesure, MM. Cambon et Retailleau ont exprimé le point de vue du groupe Les Républicains. J'y adhère totalement.
À quel niveau de participation européenne la force Takuba représentera-t-elle une véritable coopération de pays volontairement associés à notre effort ? Les participations actuelles restent très minoritaires.
Sur le P3S - le partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel - quelle est votre attitude vis-à-vis de la Turquie ? La mettrez-vous au défi de répondre à ses engagements ?
Même chose pour la Russie, curieusement passionnée par la République centrafricaine, et la Chine, présente économiquement partout, et absente politiquement.
Enfin, Joe Biden représente-t-il une espérance, une inquiétude ou un prolongement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Concernant la Turquie, la Chine et la Russie au Sahel, je suis vigilant, en particulier sur les réseaux d'information. Il est indispensable de les informer honnêtement de ce que nous faisons, car ils siègent au Conseil de sécurité. Enfin, je suis prudent vis-à-vis des projets de développement qui aboutissent parfois à des déséquilibres financiers dans les pays bénéficiaires, mais à l'heure actuelle, aucun de ces trois pays ne participe à de tels projets.
Mme Florence Parly, ministre. - Difficile de répondre de façon arithmétique à votre question. Pour que Takuba fonctionne, il faut des forces maliennes disponibles en nombre croissant et de façon permanente. Il faut aussi des moyens, des équipements significatifs. La force suédoise est arrivée avec des hélicoptères et la force italienne avec des moyens d'évacuation sanitaire.
Il faut aussi que Takuba entraîne d'autres partenaires. Au-delà des cinq pays déjà engagés, nous avons quatre autres partenaires potentiels : le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas.
Le succès viendra en marchant. La force conjointe sera opérationnelle cet été.
M. Alain Marc . - En 2020, nous avons assisté à de grands bouleversements. À cause de la pandémie, le PIB français a reculé de 8 % en 2020. En parallèle, les menaces internationales se renforcent et évoluent. Le monde de demain ne sera pas moins dangereux que celui d'hier. Face à cela, plusieurs pays, dont la France, augmentent leurs dépenses de défense. Le Royaume-Uni y consacrera 2,2 % de son PIB pour les quatre prochaines années.
Le Parlement a soutenu la loi de programmation militaire (LPM) pour donner à la France les moyens de sa sécurité. Mais il faut une actualisation avant fin 2021, conformément à l'article 7. Il faudra maintenir le budget de Barkhane.
Les pays européens sont loin d'avoir mesuré l'importance d'une autonomie stratégique commune. Comment le Gouvernement et le Président de la République comptent-ils faire progresser la défense de l'Europe ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Florence Parly, ministre. - Il y a trois ans, lors de l'examen de la LPM, nous avons recensé les menaces, qui n'ont pas faibli. La réponse se trouve dans la préparation de nos armées et la construction de partenariats. À la veille de la présidence française de l'Union européenne, nous devons continuer à faire prendre conscience aux Européens des menaces qui planent.
Le changement d'administration américaine peut influencer nos partenaires européens alors qu'il nous faut une Europe de la défense plus structurée et puissante. Nous allons continuer à promouvoir les notions d'autonomie stratégique et de souveraineté européenne même si les Américains s'engagent à nouveau dans le multilatéralisme.
M. Guillaume Gontard . - L'aide au développement est essentielle. De 800 millions à 1 milliard d'euros sont dépensés chaque année pour l'opération Barkhane, contre 440 millions d'euros entre 2013 et 2017 pour l'aide au développement au Mali.
Si les projets de développement ne servent qu'à favoriser l'acceptation des soldats français par les populations locales, ils ne seront qu'un paravent de la situation socio-économique très dégradée dans la région. En outre, les enjeux du changement climatique doivent être pris en compte.
Que prévoit la France pour l'aide au développement et pour lutter contre les tensions communautaires ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je voudrais corriger quelques propos erronés. La mobilisation financière de l'Alliance pour le Sahel est de 20 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros déjà dépensés.
Nous oeuvrons en coopération étroite avec les acteurs locaux. À vous écouter, nous ne faisons rien... Prenons l'exemple de la bourgade de Kona au Mali, où il y a des participations croisées en faveur du port fluvial, de l'éducation des jeunes, de l'éclairage public. Si ce n'est pas du développement, qu'est-ce ?
J'ai évoqué déjà la relance de la grande muraille verte qui est un projet africain, enterré puis relancé grâce à la France.
M. Guillaume Gontard. - Je parlais des moyens financiers français. Je n'ai pas dit que rien n'était fait mais qu'il fallait rééquilibrer les moyens militaires et d'aide au développement.
La grande muraille verte, qui consiste à planter des forêts en lisière du Sahara, est un ambitieux projet d'agroforesterie.
M. François Bonneau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) En janvier 2013, Serval a stoppé l'avancée djihadiste sur Bamako.
Au Mali, les trafics se développent grâce à la porosité des frontières. Nos soldats opèrent sous la menace permanente d'engins explosifs improvisés et d'embuscades.
La France s'inscrit, avec les membres du G5 Sahel, dans une coalition de régimes politiques et militaires qui luttent contre les groupes armés terroristes, mais la montée en puissance de nos partenaires est contrastée.
Certaines milices sont proches de l'État. Or, selon la Minusma, elles sont responsables de 70 % des décès avec les groupes d'autodéfense... Notre situation est d'autant plus délicate que la population malienne commence à se retourner contre notre présence. Le 3 janvier 2021, nos forces ont été accusées de bavures à côté de Bounti.
Je suis inquiet de la dégradation de l'image de la France. Il est urgent d'établir un agenda politique clair. Quelles mesures comptez-vous prendre pour renforcer la stabilité du Mali ? L'Union européenne envisage-t-elle une stratégie plus intensive d'aide au développement pour faire reculer la pauvreté et le ressentiment, terreaux du recrutement des islamistes ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - Je connais bien la région, où je me suis très souvent rendu auprès de nos forces, mais aussi des autorités politiques, de la société civile et des acteurs du développement.
Je suis convaincu que les pays et les populations souhaitent la présence française et la manifestation du 3 janvier n'a pas eu le succès escompté par ses promoteurs...
Il y a du respect et de l'attente pour notre action. Il faut un engagement sans faille des autorités du G5 Sahel, y compris dans le processus politique. Cela passe par la reprise de la discussion autour des accords d'Alger. Un comité de suivi se tiendra à Kidal à l'initiative de l'Algérie : les autres pays africains doivent s'y associer.
M. Mickaël Vallet . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'opération Barkhane a mobilisé 3 000, puis 4 500, puis enfin 5 100 soldats après le sommet de Pau.
La France n'est pas soutenue à hauteur du profit que tire le reste de l'Europe de cette opération. Certes, il y a le G5 Sahel, l'Alliance Sahel et la force Takuba, mais la très grande majorité des morts et blessés sont Français, soit dit sans minimiser les sacrifices des soldats de la Minusma. Et je crains que renforts italiens et grecs annoncés récemment, certes bienvenus, ne suffisent pas à rééquilibrer le fardeau.
Peut-on se contenter, pour Takuba, d'un simple soutien politique de grands pays européens comme l'Allemagne, sans contribution militaire ? Quel apport minimal en matériel et en soldats au sein de Takuba serait jugé suffisant par la France ?
Mme Florence Parly, ministre. - Il n'y a pas de seuil arithmétique, mais deux conditions et une dynamique. D'abord, il faut qu'il y ait assez de forces maliennes pour combattre. Nous ne combattons pas à la place de l'armée malienne, nous sommes dans un partenariat de combat. Cette question n'est pas triviale car certains de nos soldats ont combattu sept mois d'affilée...
Deuxième condition : Takuba doit être opérationnellement autonome à l'été. Nous avons déjà la contribution de trois partenaires par ordre croissant : Estonie, République tchèque et Suède.
C'est un travail collectif avec nos partenaires sahéliens et européens, pour franchir ce seuil critique.
M. Hugues Saury . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France n'a pas vocation à demeurer indéfiniment au Sahel. Mais un départ précipité laisserait les mains libres à Daech et à Al-Qaïda, menaçant la sécurité de nos concitoyens sur notre propre sol.
Nos alliés africains doivent relever le défi économique, social, sanitaire avec des services publics stables, une économie plus saine, des forces armées et de sécurité performantes. C'est le sens de l'approche 3D - diplomatie, défense et développement.
Or le troisième D, celui du développement, fait défaut. Aucun des pays du Sahel ne fait partie des douze premiers bénéficiaires de notre aide publique au développement. Comment expliquer que les cinq pays sahéliens ne perçoivent 4,5 % des aides françaises alors que le Maroc bénéficie à lui seul de 5 % ?
Nous avons mis beaucoup de moyens sur le militaire et peu sur le développement. Une stratégie d'aide est le corollaire essentiel à l'action de nos armées. Le temps n'est-il pas venu d'un Barkhane du développement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - J'ai parlé d'un sursaut de Barkhane, qui concerne aussi le développement. Il faut préciser que les pays du Sahel ne reçoivent, au titre de l'APD, que des dons, via l'AFD ou les organismes européens, car les capacités d'emprunt de ces pays sont à risque.
Les organismes donneurs et prêteurs travaillent sans se coordonner au sein de l'Alliance Sahel : voilà le problème. (M. Christian Cambon, président de la commission, le confirme.) Il faudrait territorialiser les multiples aides autour d'un territoire pour permettre le développement.
Mme Hélène Conway-Mouret . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je rends hommage à ceux qui vont jusqu'au sacrifice ultime pour assurer notre protection.
Nos militaires, qui circulent en véhicule blindé léger vulnérables et vieillissants, sont sous la menace des Improvised explosive devices (IED). Il faut réfléchir à un équilibre entre mobilité, protection et discrétion pour nos véhicules blindés d'aide à l'engagement. Un partenariat pourrait être envisagé avec nos amis belges.
Monsieur le ministre, vous avez promu une approche globale 3D pour la reconstruction d'un État de droit. Mais ces pays sombrent dans la pauvreté, ce qui donne une assise populaire aux groupes armés, auprès d'une jeunesse sans espoir. Le véritable enjeu est de tarir la source de recrutement de ces groupes.
Quelles sont les priorités de la France pour reconstruire un appareil régalien fonctionnel ?
Mme Florence Parly, ministre. - Les IED sont des armes non discriminantes qui montrent que les terroristes ne cherchent pas la confrontation avec nos forces armées. Nous ciblons les poseurs de ces engins et les réseaux et nos récents succès ont permis de réduire la menace.
Dans les prochaines semaines seront livrés des kits de protection de nos véhicules - blindage à l'extérieur, mousse à l'intérieur. Le véhicule blindé d'aide à l'engagement et le Griffon du programme Scorpion seront déployés en 2021 afin d'assurer la protection de nos combattants. À cela s'ajouteront radars, brouilleurs et robots de déminage.
L'arme aérienne est indispensable mais elle ne permet pas tout : il faut des forces au sol pour des actions discriminées afin d'épargner les populations.
Mme Isabelle Raimond-Pavero . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je rends hommage à tous ceux qui sont tombés en opérations extérieures.
Le sommet de N'Djamena doit être l'occasion d'évaluer ce qui a été réalisé depuis celui de Nouakchott, et ce que chaque pays consacre en moyens humains et financiers à la paix.
Madame le ministre, votre homologue américain vous a-t-il informée de l'aide qu'il compte nous apporter en matière de drones, de renseignements, de transports logistiques ? Sans ces aides, des opérations peuvent être compromises.
Ce sommet doit poser clairement la question : quel prix pour quelle paix ? Il doit être moins question de retrait que de responsabilités. Nous ne gagnerons pas la paix sans déconstruire la propagande djihadiste, sans gagner la confiance des populations. N'ignorons pas les influences étrangères en Afrique, qui n'ont pas la même conception des droits humains que nous. L'épisode de Bounti montre que l'information est une bataille en soi.
Quel message sera porté pour que chaque partie assume ses responsabilités, notamment quant au respect des missions des soldats français ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - La mise en pratique du P3S n'est pas assez mise en avant. Comment occuper les territoires libérés et pacifiés ? Il convient de rétablir au plus vite la présence physique des autorités locales et de l'État, avec des appareils policier et judiciaire à la hauteur. Sur ce point, la coopération européenne est satisfaisante.
Les manipulations d'informations sont connues et nous savons à qui elles profitent. Le combat est collectif ; nous serons face à ceux qui veulent détruire l'image de la France.
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Barkhane est déterminant pour le Sahel mais aussi pour notre sécurité en France et en Europe. Je rends hommage à nos soldats tombés pour nous protéger.
À l'heure où le terrorisme reste une menace dans la bande sahélo-saharienne, où la France est désormais la seule puissance militaire complète et indépendante au sein de l'Union européenne, la pleine contribution des 27 ne devrait-elle pas être mobilisée au Sahel ?
Il y a des signes encourageants d'européanisation des opérations, avec la task force Takuba, la mission ECATP Sahel Mali, mais il faut davantage.
Le Fonds européen de défense (FED) a vu sa dotation divisée par deux, de 13 à 7 milliards d'euros : comment soutiendra-t-il l'action de la France ? Comment favoriser le dialogue entre États membres pour qu'ils soutiennent davantage notre effort militaire ? Comment préparez-vous la présidence française de l'Union européenne de 2022 ?
Mme Florence Parly, ministre. - Nous essayons d'embarquer avec nous nos partenaires européens - encore faut-il qu'ils soient volontaires et capables. C'est ce que nous observons dans le cadre de la force Takuba.
Au 1er juillet 2021, nous disposerons de la facilité européenne de paix, c'est-à-dire la possibilité d'équiper d'armes létales des soldats formés dans le cadre de la formation EUTM. L'Union est très active dans la formation militaire, notamment en Centrafrique, mais ce sont les Russes qui en tirent bénéfice en achevant la formation. Cette facilité européenne de paix sera donc un atout considérable.
Il est faux de dire que le FED est divisé par deux : zéro divisé par deux, cela fait toujours zéro ! Ce fonds est désormais doté de 8 milliards d'euros pour les sept prochaines années. Il financera la R&D d'une capacité européenne souveraine, qui nous manque cruellement.
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) De Serval à Barkhane, nos soldats sont l'honneur de la France et des acteurs de la paix pour tous les pays de la zone.
La critique est aisée, mais dans quel état serait la zone si la France n'était pas intervenue à la demande du Gouvernement malien ? Notre armée n'est en aucun cas une armée d'occupation ; elle protège la population et forme les forces locales.
L'un des objectifs du sommet de Pau était l'établissement d'un « partenariat de combat » et l'intégration des forces partenaires. Il y avait été convenu de concentrer les efforts en améliorant notamment la formation des armées des pays du Sahel.
Pourriez-vous dresser un bilan de la formation par les Français et de l'autonomisation des troupes maliennes ?
Élue de Moselle où se trouve le premier régiment d'infanterie de Sarrebourg ainsi que le premier régiment d'hélicoptères de combat de Phalsbourg, je souhaite connaître les avancées en matière de disponibilité des appareils et sur leur maintien en condition opérationnelle. Les hélicoptères sont de véritables anges gardiens pour les troupes au sol, ceci est d'autant plus vrai en raison de l'immensité du territoire. M. de Legge, dans un rapport, avait appelé à une homogénéisation du parc.
Mme Florence Parly, ministre. - L'accompagnement et la formation des armées maliennes par nos troupes donnent de bons résultats. Plus de 15 000 militaires maliens ont été formés, en sus des formations réalisées par EUTM-Mali.
La disponibilité des hélicoptères est critique pour Barkhane : le taux de disponibilité en opération est de 75 à 80 %, ce qui est très élevé. Il le faut, car ces machines doivent être disponibles pour appuyer nos forces au sol. Leur usure est très forte en raison des conditions météorologiques. Nous disposons d'une trentaine d'hélicoptères sur place, ils doivent être opérationnels en permanence. Nous les surveillons comme le lait sur le feu.
M. Pascal Allizard . - Depuis 2013, notre dispositif au Sahel n'a cessé d'évoluer et de croître. De francs succès opérationnels ont été rencontrés, nos modes d'action se sont adaptés, nos troupes et leurs alliés se sont aguerris au contact d'un ennemi rude, solide et organisé. Nos pensées vont à nos soldats tombés.
L'ennemi a un projet politique et une stratégie pour le mettre en oeuvre. Pluriel et protéiforme, il s'appuie sur les tensions communautaires, l'absence d'alternatives sociales et économiques et les difficultés des États locaux. Il a su muter, s'ajuster - et nous avons glissé vers une guerre asymétrique qui s'installe dans la durée.
Quelles sont les conséquences à tirer pour l'engagement de la France dans ses OPEX ? Va-t-on vers des opérations plus ponctuelles, avec une empreinte au sol réduite ? Dans l'approche 3D, va-t-on vers plus de diplomatie et de développement ?
Mme Florence Parly, ministre. - Une guerre asymétrique engage un adversaire plus faible, qui se dérobe et pour qui tous les coups sont permis : discréditer la France, exploiter les tensions communautaires, cibler les populations civiles, s'affranchir du droit international humanitaire, détruire les écoles, assassiner les chefs locaux...
Face à cette menace, nous devons développer des outils dans des champs nouveaux, notamment celui de l'information et du cyber, dans la continuité de la lutte contre le terrorisme sur le territoire national. Ne soyons pas naïfs et comprenons les armes de l'adversaire pour riposter.
M. Pascal Allizard. - La confrontation dans le champ informationnel met nos démocraties en difficulté. Faisons évoluer notre doctrine d'information et disons clairement que notre présence au Sahel n'est pas éternelle mais durera le temps nécessaire.
M. Christian Cambon, président de la commission . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cadic applaudit également.) Pour qui en doutait, l'utilité de ce débat a été amplement démontrée par le nombre de collègues présents et la qualité des interventions. Je remercie le président, les membres de la commission et chacun d'entre vous.
J'ose croire que les échos de ce débat parviendront à nos militaires, qui percevront notre attachement personnel et politique à leur égard. Je remercie Mme et M. le ministre pour la qualité de leurs réponses.
Vous avez senti notre volonté que l'aide au développement soit encore mieux orientée. Beaucoup d'argent a été dépensé depuis des années, pour peu de résultats. Le sommet de N'Djamena doit être celui du sursaut. La mobilisation des forces armées locales doit être une priorité et je sens que les choses bougent dans le bon sens. La France doit peser de tout son poids pour promouvoir la réconciliation.
Je note un consensus sur la présence française. Ce serait un singulier affront à nos militaires que de les rappeler alors que leur mission n'est pas terminée ; l'allègement des effectifs viendra en son temps. Il est important que notre action soit soutenue par l'opinion française. Souvenez-vous de la situation en Afghanistan après Uzbin. C'est aussi à nous, dans nos territoires, de faire passer ce message.
J'espère que nous n'attendrons pas huit ans pour un nouveau débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et RDSE)