Mesures de sûreté contre les auteurs d'infractions terroristes (Procédure accélérée)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine.
Nominations à une éventuelle CMP
Mme la présidente. - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de cette proposition de loi ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. - Je demande une suspension de séance.
Mme la présidente. - Pour combien de temps ?
M. Philippe Bas, président de la commission. - Cinq minutes.
La séance suspendue à 17 h 5, reprend à 17 h 10.
Discussion générale
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Cette proposition de loi est très sensible. Elle s'efforce de répondre à la problématique des personnes condamnées pour terrorisme qui restent dangereuses en fin de peine. J'ai évolué sur le sujet ; vous le savez, monsieur le président Bas.
Actuellement, 260 personnes sont détenues pour des faits de terrorisme, certains pour des peines correctionnelles entre sept ans et dix ans. Par ailleurs, 252 personnes sont en détention provisoire, après avoir été mises en examen pour des actes de terrorisme, 49 procès terroristes se dérouleront d'ici 2021.
Quelque 31 condamnés seront libérés en 2020, 62 en 2021 et 50 en 2022, après avoir exécuté leur peine.
Les lois des 3 juin 2016 et 21 juillet 2021, en supprimant les remises de peine et en restreignant les libérations conditionnelles, n'ont fait que déplacer le problème, en augmentant le nombre de « sorties sèches ».
Depuis 1986, notre dispositif relatif au terrorisme est équilibré avec des aménagements procéduraux. Le législateur a toujours cherché à prendre en compte le caractère complexe de cette criminalité.
Le rapport des députés Diard et Poulliat, et celui de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté ont fait des recommandations.
Nous devons tout mettre en oeuvre pour assurer la sécurité de nos concitoyens. La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) a déjà permis des avancées.
Soumettre des personnes qui ont purgé leur peine à un nouveau dispositif appelle à la vigilance. Nous devons nous garder de l'illusion de la justice prédictive, qui est une chimère...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie et M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Et la négation de l'idée même de justice et de réhabilitation. (M. Jean-Pierre Sueur approuve derechef.) Nous devons veiller à ce que les mesures que nous préparons n'enferment pas encore davantage les condamnés dans leur misanthropie au lieu de permettre leur réinsertion qui doit rester notre objectif principal...
M. Jean-Pierre Sueur. - Oui.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le travail de votre commission des lois a permis de dégager une solution équilibrée. L'article premier permet de prononcer des mesures de sûreté dont la rigueur doit être strictement nécessaire.
Il faut être vigilant sur le caractère approprié, nécessaire et proportionné du dispositif. Nous sommes sur une ligne de crête. J'invite le Sénat à la plus grande prudence.
Le Conseil d'État a appelé notre attention sur ce point. Le concept de dangerosité n'est pas étranger à notre droit. Le nouveau dispositif est une mesure restrictive de liberté, mais non privative de liberté. Le placement sous surveillance électronique mobile de la personne est soumis à son consentement...
M. Jean-Pierre Sueur. - Absolument !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est l'autorité judiciaire qui sera compétente pour prononcer de telles mesures et les suivre. Il y aura un débat contradictoire et l'appel sera toujours possible.
Il faudra évaluer notre dispositif dans son ensemble. L'empilement actuel devra retrouver une cohérence et une lisibilité d'ensemble. (Mme Éliane Assassi le confirme.)
C'est au prix d'une telle évaluation que l'action de l'État trouvera sa pleine efficacité son sens et sa cohérence. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC)
Mme Nathalie Goulet. - Merci monsieur le ministre.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Sénat examine aujourd'hui une proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine, déposée par Mme Yaël Braun-Pivet et adoptée par l'Assemblée nationale le 23 juin 2020.
Il s'agit d'un enjeu majeur pour la sécurité de notre pays, alors que plus de 150 terroristes seront libérés d'ici la fin de l'année 2022. Sur le fond, notre commission des lois ne pourrait qu'être favorable à ce texte. Nous en avons fait le constat en février à l'occasion du débat sur le bilan de la loi SILT.
Le président Bas et M. Daubresse avaient ainsi déposé une proposition de loi similaire à celle-ci en mars dernier.
Cette proposition de loi crée une nouvelle mesure de sûreté, dédiée à la prise en charge des condamnés terroristes qui sortent de détention et prévoit de faire du suivi socio-judiciaire une peine complémentaire obligatoire. Elle remplit un vide juridique dénoncé par de nombreux acteurs de terrain.
Nous sommes dans une situation paradoxale et peu satisfaisante. Certes, il existe des outils mais ils sont incomplets et inadaptés. Cette proposition de loi fait craindre pour sa constitutionnalité mais il ne s'agit en aucun cas d'une peine après la peine. Il s'agit de prévenir la récidive. Elle se fonde non pas sur la culpabilité de la personne mais sur sa dangerosité ; le Conseil constitutionnel a admis l'existence de mesures de telle nature en 2008 et a validé la rétention et la surveillance de sûreté.
Il est de notre responsabilité de trouver le point d'équilibre entre sécurité et liberté. C'est un exercice difficile. Nous y sommes parvenus. Nous avons limité le champ d'application de la mesure. Nous avons précisé son articulation avec les dispositifs existants et notamment les mesures individuelles de contrôle et de surveillance (Micas). Nous avons procédé à plusieurs ajustements notamment sur le contenu des réquisitions du procureur anti-terroriste, qui devraient se fonder non seulement sur des éléments circonstanciés, mais aussi actuels.
Je sais que les modifications peuvent sembler restreindre l'application de ces dispositifs. Mais l'important est que le dispositif soit solide : une censure par le Conseil constitutionnel fragiliserait tout ce dispositif. Nous avons adopté quatre modifications. Tout d'abord, le champ de la mesure tel que défini par l'Assemblée nationale a été revu et nous avons élargi l'un des critères retenus, qui était trop restrictif.
Ensuite, nous avons modifié la durée de la mesure : la durée d'un an, renouvelable dans la limite de cinq à dix ans, retenue par l'Assemblée nationale a semblé peu opérationnelle : elle aurait conduit à se pencher sur le renouvellement un mois après le prononcé. Nous l'avons donc porté à deux ans comme le prévoyait la proposition de loi Bas-Daubresse.
En troisième lieu, nous avons réécrit la disposition relative au placement sous surveillance électronique mobile, qui sert à rassurer le respect d'une autre mesure. La commission des lois a donc associé cette mesure aux autres obligations.
Enfin, la commission des lois a renforcé le contenu de la mesure ainsi que son volet d'accompagnement à la réinsertion, avec un suivi par le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP).
Nous avons répondu aux attentes fortes du terrain. Ces mesures de surveillance et d'assistance ont pour objectif la prévention de la récidive.
Pour garantir le contrôle de cette mesure, la commission a aussi prévu une inscription au fichier des personnes recherchées. Le Sénat renforce depuis plusieurs années notre arsenal dans le strict respect des libertés individuelles.
Doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens adaptés à la prise en charge des terroristes sortant de détention est une priorité pour la sécurité des Français. C'est ce que je vous propose de faire ce soir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM)
M. Jean-Yves Leconte . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le texte prévoit des mesures de sûreté pour des anciens détenus pour actes de terrorisme en fonction de leur dangerosité, définie comme un risque de récidive ou l'adhésion persistante à une idéologie encourageant le terrorisme. Suite aux remarques du Conseil d'État, ces mesures de contrainte seront imposées non par le tribunal d'application des peines, mais par la juridiction régionale de rétention de sûreté de Paris, pour éviter la confusion avec la peine.
La rapporteure a tenté d'améliorer un texte qui faisait l'objet d'un avis mitigé du Conseil d'État, se faufilant entre nos engagements constitutionnels et conventionnels pour que ces mesures ne ressemblent pas à une nouvelle peine. Mais est-ce la bonne solution ?
Depuis 2016, les aménagements de peine ne sont plus possibles pour les condamnés pour terrorisme, d'où des sorties sèches, potentiellement dangereuses.
La justice pénale établit des faits et prononce des peines. Lui demander de se prononcer non plus sur la culpabilité mais sur la dangerosité d'une personne, c'est lui donner un rôle d'organisation de la société déresponsabilisant. Pouvons-nous accepter une peine après la peine, alors que ces mesures n'ont pas été prononcées par le tribunal ?
Quelque 52 détenus condamnés pour terrorisme vont sortir en 2020, 62 en 2021 et 50 en 2022 - le problème est réel, mais le risque vient hélas aussi, et surtout, de ceux qui se seront radicalisés en prison. Avons-nous une politique de prévention des actes terroristes dotée de vrais moyens ? Le bracelet électronique est une privation de liberté mais, comme on l'a vu à Saint-Étienne-du-Rouvray, il n'est pas une mesure de sûreté.
Attentatoire à nos principes, ce texte est aussi dangereux pour notre sécurité, vu le manque de proportionnalité entre la dangerosité des personnes et les mesures individuelles de contrôle et de surveillance prises par l'autorité administrative - qui ne pourra aller au-delà des mesures judiciaires. Avec l'exigence du contradictoire, il faudra dévoiler les éléments d'information, ce qui mettra en danger l'action de nos services de renseignement.
Prévenir, protéger reste la responsabilité de l'exécutif, pas de l'autorité judiciaire. Il dispose des services de renseignements, d'un arsenal de mesures de police. Si l'autorité judiciaire est elle aussi responsable, plus personne ne le sera vraiment. Il faut une responsabilité claire et distincte, de l'un comme de l'autre, et des moyens pour évaluer la dangerosité. Le Conseil d'État l'a dit de manière plus diplomatique.
Rassurer la population n'a rien à voir avec assurer la sécurité.
Mme la présidente. - Veuillez conclure, vous avez largement dépassé votre temps de parole.
M. Jean-Yves Leconte. - Ce texte heurte nos principes fondamentaux. Si l'homme le plus mauvais a droit à la défense, ce mauvais texte n'a pas besoin d'un avocat commis d'office. Notre groupe votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Yvon Collin . - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Le sujet qui nous rassemble est complexe et mérite un examen particulier. Dans les trois prochaines années, 150 détenus condamnés pour terrorisme seront libérés. Pas ceux de 2015, le procès devant avoir lieu à l'automne, mais on comprend l'émotion suscitée dans un pays encore endeuillé par les nouvelles attaques de Romans-sur-Isère.
L'intention des auteurs de la proposition de loi est claire : maintenir hors d'état de nuire des individus qui semblent nourrir une hostilité puissante vis-à-vis de la société qu'ils s'apprêtent à rejoindre.
Comme le disait Robert Badinter ici même, lors de l'examen de la loi créant la rétention de sûreté : « l'homme dangereux va remplacer l'homme coupable devant notre justice. »
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien.
M. Yvon Collin. - Le groupe RDSE l'avait votée, y voyant un pis-aller faute de moyens pour la prise en charge de personnes psychiquement dangereuses. Nous sommes de même en majorité favorables à ce texte.
Nos réserves concernent, d'une part, la durée des mesures de sûreté initiales, d'autre part, la définition de la particulière dangerosité.
Un grand nombre de magistrats restent opposés au maintien d'une contrainte à l'issue de la peine. Nous partageons leurs inquiétudes face à la multiplication des instruments judiciaires et administratifs de lutte contre le terrorisme, dans un contexte de moyens dégradés.
Les textes adoptés depuis 2015 ne nous prémunissent pas contre un risque zéro. Le cas des détenus de droit commun radicalisés en prison ne constitue-t-il pas un trou dans la raquette ?
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme est cependant venue préciser le cadre de conventionnalité en validant, le 4 décembre 2018, le placement en détention d'un individu condamné pour meurtre à caractère sexuel afin de traiter le trouble mental.
Comment étendre cette jurisprudence aux personnes adhérant à une idéologie terroriste ? Il faudrait pour cela comprendre le phénomène de radicalisation, qui reste très opaque. Les enquêtes montrent la perméabilité entre les milieux du terrorisme et du crime organisé. Face aux idéologues, la justice sociale et les règles de l'État de droit sont sans doute les meilleures armes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
M. Arnaud de Belenet . - Quelque 143 terroristes vont sortir de prison dans les trois prochaines années, 31 dès cette année. Le taux de récidive s'établit entre 39 % et 100 %, d'après le Centre d'analyse du terrorisme.
Ce double constat factuel pose la question des moyens juridiques pour y répondre.
Les professionnels auditionnés ont exprimé une vraie crainte, qui n'est pas théorique. Les deux assemblées ont identifié une incomplétude des dispositifs de suivi et de surveillance en vigueur. Rendons à César ce qui est à César : le président Bas avait déposé une proposition de loi avant les députés du groupe LaREM.
M. Philippe Bas, président de la commission. - Je suis sensible à votre rappel. (Sourires)
M. Arnaud de Belenet. - Le suivi socio-judiciaire et la surveillance judiciaire des personnes condamnées pour des faits commis avant 2016 sont inapplicables, ceux-ci ayant été exclus du périmètre de la loi de 2016 sur les réductions de peine.
Par ailleurs, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance sont limitées à douze mois et n'offrent pas d'accompagnement à la réinsertion. Une prorogation à vingt-quatre mois présente un risque constitutionnel.
Cette proposition de loi offre au juge la possibilité de prononcer, dans le respect du contradictoire, des mesures de surveillance et de suivi. Elle renforce le suivi socio-judiciaire, qui devient automatique, et, après adoption des amendements de la commission, inscrit les personnes concernées au fichier des personnes recherchées.
Ce texte emprunte une ligne de crête en matière de libertés publiques.
L'utilité du dispositif ne saurait nous conduire à éluder les principes fondamentaux. Certains y voient une peine après la peine contraire au principe de non bis in idem.
Non seulement le Conseil d'État affirme que les mesures sont exclusivement de sûreté, non seulement le Conseil constitutionnel n'exclut pas la possibilité, pour le législateur, de créer des mesures de sûreté, mais les rapporteurs tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat ont renforcé les garanties - réduisant la durée maximale de la mesure de sûreté, exigeant le consentement en cas de placement sous bracelet électronique et réduisant l'obligation de pointage.
Notre rapporteure a aussi clarifié l'articulation de la mesure de sûreté avec les autres dispositifs de suivi. Elle a veillé à son opérationnalité et sa constitutionnalité.
Je ne doute pas que la CMP aboutira. Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Stéphane Ravier . - Quand on entend terrorisme, on pense au terrorisme islamiste qui ensanglante notre pays.
Je veux pour ma part rendre hommage à Axelle Dorier, 23 ans, aide-soignante, tout le portrait de ma propre fille - victime d'un terrorisme qui ne dit pas son nom, celui de la racaille qui tue les nôtres dans le silence de la bien-pensance, de la classe politique et des médias. (L'orateur observe un bref instant de silence.)
Que l'on donne les noms, monsieur le ministre, et que la justice frappe fort. La rétention de sûreté n'a jamais été mise en oeuvre. Depuis les attentats de Charlie Hebdo, votre angélisme a coûté à notre pays plus de 250 vies. À Nice, le 14 juillet 2016, 86 personnes étaient assassinées par un terroriste tunisien ; quelques jours après, le père Hamel était tué en son église par Adel Kermiche, 19 ans - dans lequel la justice, idéologique et laxiste, s'obstinait à voir un jeune garçon perdu.
Ces leçons du passé écrites à l'encre du sang des innocents n'ont pas empêché Mme Belloubet de signer la libération anticipée de 74 détenus radicalisés, autant de foyers susceptibles de relancer l'épidémie de barbarie.
En France, mère des arts, des armes et des lois, fille aînée de l'Église, l'islamisme est comme un poison dans l'eau. Face à ces barbares, il faut être impitoyable. Refuser le retour des djihadistes condamnés à l'étranger, rétablir la perpétuité réelle, déchoir de leur nationalité française les binationaux, expulser les étrangers et mieux suivre les terroristes.
Pour ceux qui ont commis l'irréparable, si le GIGN, le RAID ou la BRI nous en débarrasse, ce n'est pas moi qui m'en plaindrai.
Et vous, monsieur le ministre, vous dites vouloir rapatrier les djihadistes condamnés en Irak ou en Syrie. Au fond, vous êtes resté dans votre robe d'avocat, honoré d'avoir défendu Abdelkader Merah. (Marques d'indignation à gauche et au centre.)
Mme Nathalie Goulet. - C'est petit.
M. Stéphane Ravier. - Et le sang français continue de couler.
Mme Éliane Assassi . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.) Ce n'est pas une surprise, mon groupe est opposé à ce texte porteur d'une vision de la société à laquelle il n'adhère pas.
L'inflation des mesures pénales ne cesse de galoper. Privés en 2016 de tout aménagement de peine, les condamnés pour terrorisme sont donc soumis à des sorties sèches. Qu'en faire ? On crée pour eux de nouveaux espaces carcéraux pour évaluer leur dangerosité...
Que les choses soient claires, mon objectif ne diffère pas du vôtre : protéger nos concitoyens. Mais jusqu'où irons-nous dans l'accumulation des dispositifs d'exception ?
Vous nous proposez de maintenir les individus dans une forme de peine après la peine, sur le fondement des actes qu'on suppose qu'ils pourraient commettre. Reconnaissons que la commission des lois a enrichi le volet réinsertion, quasi absent du texte initial.
Le principe de la rétention de sûreté, créée en 2008 sous Sarkozy pour les condamnés en fin de peine jugés dangereux pour des motifs psychiatriques, avait déjà suscité notre opposition, comme celle de Robert Badinter - qui dénonçait une période sombre pour la justice.
N'envoie-t-on pas aux condamnés qui ont purgé leur peine le signal qu'ils sont suspectés à vie, rejetés de la République ?
Selon une étude belge, le taux de récidive des détenus condamnés pour terrorisme est de 3 %, contre 50 % pour les détenus classiques. N'aurait-on pas plutôt intérêt à les maintenir dans le droit commun, à leur étendre des aménagements de peine adaptés et individualisés, plutôt que de s'en tenir au contrôle et à la stigmatisation ?
Je m'interroge. Ce texte révèle l'échec du temps pénitentiaire. Comment prévenir les actes de terrorisme ? Comment réinsérer les individus condamnés ? Sûrement pas en les convoquant trois fois par semaine au commissariat ! Quels moyens sont donnés aux services pénitentiaires, quelles sont les modalités du suivi ?
Les nombreux travaux parlementaires sur la radicalisation sont restés lettre morte. Pourquoi ? « La punition n'a jamais constitué un moyen de dissuasion et n'apporte qu'un mince réconfort à une victime déjà morte » explique l'un des personnages de Minority Report, de Philip K. Dick. De la fiction à la réalité, le pas est presque franchi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)
M. Dany Wattebled . - Cette proposition de loi instaure des mesures de sûreté à l'encontre des condamnés pour terrorisme à l'issue de leur peine.
Dans son avis, le Conseil d'État joue les équilibristes : s'agit-il de simples mesures de sûreté ou de sanctions pénales ? La frontière, reconnaît le Conseil d'État, n'est « pas toujours nette ». Il en va pourtant de la constitutionnalité du texte...
Deux catégories sont concernées : les individus condamnés avant 2016, date à laquelle la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire est devenue applicable aux infractions terroristes, et les individus condamnés depuis par des jurys populaires qui n'y ont, semble-t-il, pas assez recours.
Les mesures de sûreté rétroactives ont vocation à remplir la fonction du suivi socio-judiciaire, qui est une peine et ne devrait donc pas être rétroactif. Il n'est pas non plus souhaitable de remettre en cause la justice rendue au nom du peuple français - et je sais, monsieur le ministre, votre attachement aux jurys populaires.
Rendre le suivi socio-judiciaire automatique pose la question de la personnalité des peines.
Je salue le travail de la rapporteure, qui a tenté d'apporter des garanties au regard du risque d'atteintes aux principes de notre État de droit. Depuis 1986, plus de quinze lois contre le terrorisme ont été adoptées. Conséquence de cette inflation législative, on corrige les angles morts par d'autres mesures exceptionnelles. Or la complexité nuit à l'efficacité de l'État ; et les agents de la lutte antiterroriste ont avant tout besoin de moyens...
Les mesures de sûreté contiennent toujours un risque d'arbitraire. Le risque de récidive n'est pas la récidive. Benjamin Constant disait : « Présentés d'abord comme une ressource extrême dans des circonstances infiniment rares, l'arbitraire devient la solution de tous les problèmes et la pratique de chaque jour. Ce qui préserve de l'arbitraire, c'est l'observance des formes. »
Préservons nos principes fondamentaux, préparons au mieux la réinsertion et donnons aux services d'enquête les moyens d'accomplir leur mission. « Quand le courage empiète sur la raison, il ronge le glaive avec lequel il combat », avertissait William Shakespeare. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)
Mme Nathalie Goulet . - Presque tout a été dit, je me contenterai de quelques observations. En 2014, j'ai demandé, et obtenu, la première commission d'enquête sur les réseaux djihadistes dans notre assemblée.
Notre groupe votera ce texte, même si ses avancées sont en trompe l'oeil. Les Français n'acceptent plus l'équation : fichés S, connu des services, sortant de prison, commettant un acte délictueux.
Selon une étude du Centre d'analyse sur le terrorisme, fondée sur des entretiens avec 166 djihadistes, 100 % des djihadistes de retour de l'Afghanistan ont récidivé, 60 % de ceux revenant de Bosnie et 16 % de ceux revenant d'Irak, soit une moyenne de 60 %. Les chiffres peuvent être inexacts, mais ils servent à asseoir la démonstration, comme le dit le président Bas... (Sourires)
M. Philippe Bas, président de la commission. - J'ai dit ça ? (Sourires)
Mme Nathalie Goulet. - Monsieur le ministre, votre travail commence avec les arbitrages budgétaires. Vous avez annoncé une hausse des crédits de la justice, mais les nécessiteux sont trop nombreux pour que vous puissiez jouer les Saint Martin : il va falloir fixer des priorités.
La lutte contre la radicalisation ne fonctionne pas, comme le montre un énième rapport de Mmes Benbassa et Troendlé. Ce texte n'est pas d'une utilité évidente. Il faut des moyens en personnel, des moyens en équipement, des moyens pour le renseignement.
Les unités dédiées en prison n'ont pas donné satisfaction. Il faut aussi former les magistrats dès l'École nationale de la magistrature.
Le centre de prévention de la radicalisation, fusionné, hélas, avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, doit depuis longtemps rendre un rapport sur l'évaluation de la radicalisation. Nous le demandons depuis des années pour pouvoir cibler la lutte et nous ne l'obtenons pas dans des conditions satisfaisantes.
La question légitime de la protection ne trouvera de réponse quand vous aurez déterminé, avec le ministère de l'Intérieur et les associations, quelle politique vous voulez. Aujourd'hui, c'est l'armée mexicaine, avec beaucoup de bonnes volontés, des procédures éparses, des associations subventionnées sans évaluation.
Le groupe UC votera ce texte. À titre individuel, je suis plus réservée. Il faut un plan d'ensemble ; l'échéance la plus importante sera le budget. Le document transversal sur la politique de lutte contre la radicalisation sera lui aussi crucial. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis des années, la France mène une guerre contre le terrorisme, sur son sol et à l'extérieur. Financement des OPEX, du renseignement, usure des personnels et du matériel des armées, sans parler des policiers, magistrats et du personnel : tout cela a un coût, qu'il faut assumer, mais le pourrons-nous longtemps avec la crise ?
Le but du terrorisme est d'éreinter l'adversaire par des moyens asymétriques. Après les vagues d'attentats des années 1980, puis 1990, nous sommes confrontés depuis 2015 à une vague qui a révélé les fragilités de notre système sécuritaire et judiciaire. La France reste une cible ; la menace est en évolution constante, malgré une législation renforcée, malgré la défaite militaire de l'État islamique au Levant. C'est un phénix protéiforme. Une menace intérieure, une France en sécession ont émergé. Le péril endogène a pris de l'importance.
La commission d'enquête menée par Mmes Delattre et Eustache-Brinio a mis en lumière la réalité de la radicalisation islamique, avec cette nébuleuse de sympathisants, d'endoctrineurs au quotidien.
Quelque 60 % de récidive, cela mérite de l'anticipation... Dans ce contexte particulier, nous ne pouvons courir le risque de libération, dans des conditions trop souples, des condamnés pour terrorisme. Pour autant, chacun a droit à une justice équitable. Une fois payée sa dette à la société, on doit pouvoir tourner la page
Nous ne parlons pas de criminels ordinaires : dévoués à une cause qui les dépasse, ils sont habités par la haine de la France. De fait, ces détenus font rarement amende honorable. La prison est devenue un incubateur, lieu de comportements violents vis-à-vis du personnel pénitentiaire et prosélyte vis-à-vis des autres détenus. Aux condamnés pour terrorisme s'ajoutent des condamnés de droit commun radicalisés.
La commission des lois a fait le constat d'un droit inadapté et inapplicable. Ce texte est donc bienvenu. La commission y a apporté des ajustements utiles qui vont dans le sens de la sécurité juridique et de l'opérationnalité.
N'ayons de faiblesse ni dans la peine prononcée, ni dans le suivi d'incarcération. Il faudra veiller à la formation des personnels et aux moyens. Or votre ministère est sinistré. D'où l'importance des prochains arbitrages financiers dans un contexte dégradé. À vous de peser sur l'exécutif, comme vous avez su le faire dans les prétoires.
C'est un vrai sujet de sécurité publique. L'opinion publique attend ce débat. Je salue le travail de notre commission des lois et voterai les amendements.
Ce dispositif a atteint un équilibre entre liberté et sécurité, entre nos principes constitutionnels, l'État de droit et le droit à la protection et à la sécurité due à nos concitoyens. Nous soutiendrons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Tous, ici, nous soutenons la lutte de la Nation contre le terrorisme, tous, nous pensons aux victimes, tous, nous sommes reconnaissants à nos soldats et à nos forces de sécurité.
Mais en tant que législateur, notre responsabilité est de rendre plus efficace l'arme judiciaire et protéger nos compatriotes contre un risque de récidive. Or le risque de récidive relève de la prévision, voire de la prédiction. Ce texte prévoit des mesures restrictives de liberté contre des personnes qui ont déjà effectué leur peine.
Monsieur le ministre, vous étiez opposé à la rétention de sûreté, cette sanction après la sanction, avec laquelle on quitte le terrain des faits pour un diagnostic aléatoire au nom d'un principe de précaution élargi à la justice pénale. Devant l'Assemblée nationale, vous demandiez : attendez-vous des juges qu'ils soient des médiums ? La sécurité absolue, c'est l'enfermement enfermement à vie pour tout le monde, disiez-vous encore.
Au fil des ans, des évènements tragiques, nous avons mêlé justice administrative et judiciaire, suivi socio-judiciaire, application des peines, etc. Nul ne sait évaluer l'efficacité de ces dispositions, mais chaque majorité veut laisser son empreinte, même par un texte inapplicable, bafouant les principes de notre droit - légalité de la peine, non bis in idem, non- rétroactivité de la loi pénale.
Faut-il éviter la guerre au prix du déshonneur ? Je ne crois pas. Nous récolterons la guerre et le déshonneur.
Le Conseil national des barreaux nous appelle à refuser la peine après la peine ; le Conseil d'État, de manière plus obscure, rappelle que beaucoup des dispositions existent déjà.
Votre prédécesseur évoquait d'ailleurs, à mots à peine couverts, la fragilité du texte. J'annonce que le groupe socialiste et républicain saisira le Conseil constitutionnel de ce texte.
Monsieur le ministre, votre premier texte sera-t-il un texte de rupture avec nos principes, incantatoire, fictif quant à l'efficacité de l'action de l'État et créateur de précédent ? En réalité c'est un texte d'affichage.
Vous voulez affirmer que cette majorité agit contre le risque terroriste, comme si cette proposition de loi valait démonstration.
Le 17 juillet, lors de votre déplacement au tribunal judiciaire de Paris, vous disiez à un journaliste : « Voyez-vous, monsieur, il y a une petite règle, une petite bricole dans notre système qui s'appelle la "Constitution" ».
Pour notre part, nous défendons coûte que coûte les principes fondateurs de notre État de droit.
En 2008, le sénateur Robert Badinter l'a dit au sujet de la rétention de sûreté : « l'homme dangereux va désormais remplacer l'homme coupable dans notre justice ». Nous y sommes. Le groupe SOCR votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . - Nous sommes sur une ligne de crête. Ce constat de facto exclut les vociférations compassionnelles. D'ailleurs, tout ce qui est excessif n'est pas crédible. Si la répression féroce était la garantie contre la rémission des crimes, cela fait des siècles que cela se saurait. J'ai bougé sur le sujet.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous êtes ministre !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - On peut aussi réfléchir... J'étais totalement opposé à la rétention de sûreté car on ne sanctionnait pas un fait mais une supputation. J'avais fait mienne la phrase de Benjamin Franklin sur un peuple qui est prêt à sacrifier un peu de sa liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre et fini par perdre les deux.
Première réflexion : ici, il ne s'agit pas d'une détention.
En outre, je préfère que le juge de l'ordre judiciaire contrôle le suivi des anciens détenus porteurs de bracelets qui, je le rappelle, n'est pas obligatoire.
M. Jean-Pierre Sueur. - Justement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Dans quelle situation nous trouvons-nous aujourd'hui si cette loi n'est pas votée ? Un terroriste sortant de prison va faire l'objet d'une surveillance par les services de renseignement, surveillance qui peut être attentatoire à sa liberté. Je préfère que cela se fasse sous le contrôle du juge judiciaire.
Je n'avale pas mon chapeau parce que je suis devenu ministre mais il nous faut tous bien faire le distinguo entre le bracelet facultatif et la cellule de prison qu'instaurait la rétention.
On aurait pu faire une autre réflexion que je n'ai pas entendue ce soir sur l'efficacité de cette mesure.
Le malheureux prêtre assassiné aurait pu l'être par un porteur de bracelet. Certes, mais peut-être que des infractions ne seront pas commises parce que le bracelet aura été porté. Mais ce chiffre, bien sûr, on ne le connaîtra jamais. Comme je vous l'ai dit, nous sommes sur un chemin de crête, mais faites bien le distinguo entre le bracelet et la prison.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois . - Il s'agit d'être particulièrement attentif à des anciens condamnés qui sont en règle avec la justice car ils ont purgé leur peine mais qui peuvent être dangereux, mais aussi à la liberté que tout citoyen a le droit d'avoir à partir du moment où il est en règle avec la justice. Notre démarche est donc très délicate et nous ne nous y engageons qu'en prenant des précautions.
Je suis heureux que Mme Yaël Braun-Pivet, auteur de la proposition de loi, qui s'est probablement inspirée des travaux du Sénat, l'ait soumise au Conseil d'État, qui a remis un avis de 13 pages montrant le chemin pour concilier deux exigences : liberté et protection de la société, même s'il ne s'agit pas d'un brevet de constitutionnalité et de conventionnalité. Ce n'est pas avec des incantations que nous règlerons la question.
Cette proposition de loi nous a-t-elle fait entrer dans un régime dans lequel le condamné qui a purgé sa peine paierait à nouveau pour les mêmes faits ? Non ! Je vous rassure. Le principe essentiel selon lequel non bis in idem est respecté. Il s'agit d'une mesure de surveillance et non de rétention. La liberté de l'ancien condamné n'est pas supprimée mais restreinte. En outre, l'ancien détenu est accompagné vers sa réinsertion par le service pénitentiaire de l'insertion et de la probation. Cette mesure ne peut en aucun cas être interprétée comme une peine. La commission des lois a renforcé la surveillance et l'accompagnement du dispositif prévu par le texte.
Est-il nécessaire d'intervenir par la loi ? D'autres dispositifs existent en effet. La loi de 2015 sur le renseignement - dont j'ai été rapporteur - la loi de 2016 contre le terrorisme et la loi de 2017 qui a instauré les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ne répondent pas à nos préoccupations.
La loi de 2016 contre le terrorisme permet de prévoir la mesure de sûreté lors de la condamnation. Ce n'est donc pas pertinent pour les quelque 150 personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de cette loi et qui vont sortir à partir de cette année.
Pouvons-nous nous contenter des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance prévues temporairement par la loi de 2017 ? Non, car elles ne prévoient pas l'accompagnement à la réinsertion.
En outre, les mesures de surveillance sont plus sévères que celles que nous proposons : assignation à résidence, pointage quotidien, sans que le juge intervienne puisqu'elles sont administratives.
Les mesures que nous proposons sont judiciaires : elles protègent mieux les libertés.
Enfin, la loi sur le renseignement mobilise des moyens extrêmement importants.
Avec cette proposition de loi, si les condamnés se comportaient de façon inquiétante, nous pourrions alors mobiliser des moyens de surveillance complémentaires de façon importante.
Les mesures que nous proposons sont proportionnées, nécessaires, et respectueuses de la règle non bis in idem. Il nous faut donc adopter ce texte amendé par notre commission.
Mme Éliane Assassi. - C'est bien, on a deux rapports !
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE PREMIER
Mme la présidente. - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère, MM. Castelli et Collin, Mme Costes, M. Gold, Mme Laborde et MM. Requier, Roux, Artano et Jeansannetas.
Alinéa 8
Supprimer les mots :
caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme
M. Éric Gold. - Les magistrats auditionnés sur cette proposition de loi ont souligné à quel point la définition de la « particulière dangerosité » était difficile pour justifier la mise en place de mesures de sûreté à l'issue de la peine.
La commission des lois a d'ailleurs modifié la définition adoptée à l'Assemblée nationale, mais certaines préoccupations demeurent.
La « probabilité très élevée de récidive », est elle-même très difficile à évaluer.
L'autre critère, l'« adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme » n'est guère plus satisfaisant.
Cet amendement soutient l'objectif de renforcer la prise en charge des personnes condamnées pour des faits de terrorisme mais considère que ces dispositions complexifient les outils judiciaires et administratifs existants. Un renforcement des moyens à l'appui des dispositifs existants devrait être recherché, avant toute nouvelle modification législative.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Nous avons souhaité clarifier la définition de « particulière dangerosité » pour éviter tout risque d'arbitraire. Cet amendement remet en cause tout notre travail et laisse aux autorités judiciaires un très large pouvoir d'appréciation. Cela fragilise la constitutionnalité de la mesure. Retrait ou avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La caractérisation de la particulière dangerosité est un élément central du dispositif car elle permettra le prononcé de mesures restrictives de liberté à l'encontre de personnes qui ont terminé d'exécuter leur peine.
Il est donc nécessaire d'apporter la définition la plus claire possible. Avis défavorable.
M. Jean-Yves Leconte. - Pour caractériser ces éléments de dangerosité, il faudra un contradictoire. Comment en garantir l'efficacité dès lors qu'une partie des sources voudront être protégées ? Les services de renseignement ne voudront pas exposer leurs sources. Cette mesure est morte née et cet article n'a aucun sens.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - L'évaluation dure six semaines avec des psychologues et des psychiatres. Cela offre une base à l'évaluation de la dangerosité. C'est d'ailleurs ainsi que cela fonctionne pour les droits communs. On entend l'intéressé lui-même : s'il persiste dans son idéologie, les choses sont claires.
L'amendement n°3 rectifié bis est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°1, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Alinéa 17
Supprimer cet alinéa.
Mme Michelle Gréaume. - L'alinéa 17 correspond à l'une des 11 mesures de sûreté possibles que peut ordonner la juridiction régionale de la rétention de sûreté, sur réquisitions du procureur de la République et qui consiste pour le condamné qui a purgé sa peine à se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine. Si bien d'autres mesures sont contestables, sans parler de la logique globale du système qui nous est proposé, il s'agit là d'une des mesures les plus attentatoires à nos libertés fondamentales, notamment celle d'aller et venir.
Comment réinsérer dans notre société des individus condamnés pour de tels faits en les obligeant pendant plusieurs années à se rendre jusqu'à trois fois par semaine dans un commissariat pour justifier leur présence ? Il s'agit là d'un obstacle évident à la reprise d'une vie active et socialisante.
Ce millefeuille de mesures tantôt administratives tantôt judiciaires est nuisible à la bonne compréhension du système dans sa globalité. La complexité nuit à l'action de l'État quand plusieurs services doivent travailler selon une coopération qui reste à construire, comme l'a souligné le Conseil d'État.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur les subtilités de ces mesures et leur cohérence globale ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Nous parlons de personnes condamnées pour terrorisme, qui sont donc entrées dans une idéologie. Le contrôle est essentiel. Nous souhaitons tous qu'elles reprennent le chemin de la vie mais personne ne peut mesurer le degré de déradicalisation. Le contrôle permet de mesurer soit l'aggravation soit l'amélioration de la situation. Avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. - Et un suivi psychologique ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Vous voulez supprimer l'obligation de pointage. Or, cette mesure est toujours révisable à la demande de l'intéressé et c'est un juge de l'ordre judiciaire qui statue. Avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. - Mais trois fois par semaine !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est le maximum.
Mme Michelle Gréaume. - Pour qu'une personne se réinsère, il faut qu'elle puisse aller travailler.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le juge prendra forcément en considération le travail effectif.
Mme Éliane Assassi. - Ce ne sera pas facile de trouver un emploi.
L'amendement n°1 n'est pas adopté.
Mme la présidente. - Amendement n°4 rectifié bis, présenté par Mme M. Carrère, M. Collin, Mme Costes, MM. Castelli et Gold, Mme Laborde et MM. Requier, Roux, Artano et Jeansannetas.
Alinéa 25, première phrase
Remplacer les mots :
de deux ans
par les mots :
d'un an
M. Éric Gold. - Cet amendement rétablit la durée initiale des mesures de sûreté susceptibles d'être prononcées à l'issue de la peine à un an, comme prévu par les auteurs de la proposition de loi.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure - Suite à des auditions que nous avons menées, la commission des lois a procédé à un allongement à deux ans pour rendre ce dispositif plus opérationnel. Une évaluation menée sur un temps trop court serait moins pertinente. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La commission des lois a choisi de porter la durée à deux ans. Je comprends ses motivations mais le dispositif me semble juridiquement fragilisé.
Les mesures de sûreté ne pourront être renouvelées qu'après une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée et à l'issue d'un débat contradictoire au cours duquel la personne condamnée sera obligatoirement assistée par un avocat.
Tout cela représente des contraintes pour l'administration pénitentiaire et l'autorité judiciaire.
Néanmoins, le renouvellement régulier par l'autorité judiciaire constitue une garantie importante pour assurer une conciliation équilibrée entre la prévention des atteintes à l'ordre public et le principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire.
À titre de comparaison, les mesures individuelles de contrôle administratives et de surveillances sont prononcées pour une durée initiale de trois mois. Mon avis est donc favorable.
M. Jean-Yves Leconte. - Cet amendement souligne une difficulté. Selon les auditions que nous avons eues, pour prononcer une deuxième année de mesure de sûreté, il faut engager la demande dans les deux à trois mois suivant la libération de la personne. C'est très compliqué, ce qui démontre que le système est bancal.
Le cas des condamnés pour violences sexuelles est différent : l'expertise psychiatrique peut éclairer sur la dangerosité. Mais là ? On ne peut pas compter sur ce type de mesures qui heurtent de front nos principes républicains pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Ayons à l'esprit la temporalité dans laquelle nous nous trouvons.
Monsieur le garde des Sceaux, il est très troublant que vous ne nous écoutiez pas. (Protestations à droite)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Veuillez m'excuser.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - M. le ministre a fait référence à une expertise : mais il n'y en a pas ! C'est d'ailleurs bien le problème. Il y a une sorte de nébuleuse.
Cet amendement propose de réduire la durée à un an et c'est normal. Les éléments actuels et circonstanciés ne peuvent pas être établis deux ans plus tard... Il faut un réexamen régulier et contradictoire de la situation tous les ans.
M. Arnaud de Belenet. - Je voterai cet amendement, même si j'entends l'objectif d'efficacité et d'opérationnalité poursuivi par la commission.
Le principe de proportionnalité me semble consolidé avec cet amendement. Il sécurise constitutionnellement toutes les autres dispositions.
Je note que notre collègue qui se plaint qu'on ne l'écoute pas préfère, elle aussi, converser avec son voisin... (On s'amuse.)
L'amendement n°4 rectifié bis n'est pas adopté.
L'article premier est adopté.
ARTICLE ADDITIONNEL
Mme la présidente. - Amendement n°2, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d'un an, un rapport analysant et évaluant la mise en oeuvre des quartiers d'évaluation de la radicalisation et des quartiers de prise en charge de la radicalisation. Ce rapport s'attache également à dresser des propositions d'améliorations des dispositifs en question.
Mme Esther Benbassa. - Six quartiers d'évaluation de la radicalisation ont été mis en place depuis 2016. Ces évaluations durent quatre mois durant lesquels de longs entretiens ont lieu ; de nombreux intervenants permettent de croiser les regards. Le but est d'évaluer l'honnêteté du détenu, sa capacité de dissimulation, son niveau de dangerosité et de prosélytisme. Les personnes identifiées comme radicalisées sont alors affectées en quartiers spécifiques. Cela concerne 15 % des détenus.
À la place de ce dispositif, on nous propose une évaluation de six semaines. Cette mesure signe l'échec de ces quartiers. Qu'en est-il réellement ? Tel est l'objet de notre demande de rapport.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Nous avons tous des interrogations sur les quartiers. Mais les rapports au Parlement ne constituent pas le meilleur moyen pour le Parlement d'exercer son pouvoir de contrôle. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le Gouvernement n'est pas favorable à la multiplication des rapports : le Parlement a déjà de nombreux moyens d'évaluation et de contrôle.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article premier bis est adopté, de même que l'article 2.
ARTICLE 3
Mme la présidente. - Amendement n°5, présenté par Mme Eustache-Brinio, au nom de la commission.
Rédiger ainsi cet article :
Le premier alinéa de l'article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° .... du .... instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Cet amendement de coordination vise à tenir compte de l'entrée en vigueur de la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis favorable.
L'amendement n°5 est adopté.
L'article 3, ainsi rédigé, est adopté.
Explications de vote
M. Jean-Pierre Sueur . - Oui, nous voulons tous lutter contre le terrorisme, mais nous récusons toute démagogie.
Qu'y a-t-il au terme de ce texte ? Le bracelet électronique ne peut exister que si la personne consent à le porter.
Les mesures de protection au commissariat ou à la gendarmerie existent déjà dans les MICAS. Votre Gouvernement pourra les reconduire.
Que reste-t-il alors ? Qui peut dire qu'une personne qui aura pointé le lundi ne commettra pas un crime le mardi ?
Il y a un chemin difficile : c'est la préparation à la sortie. Il faut aussi plus de moyens pour les services de renseignement. Ne nous racontons pas d'histoires !
Aujourd'hui, on ne se déradicalise pas en prison, c'est le contraire !
Monsieur le ministre, vous nous avez parlé de votre cheminement. Mais celui-ci est peut-être un peu tardif. C'est un chemin difficile à suivre que de faire face aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.
M. Arnaud de Belenet . - François Hollande disait à propos des pédophiles et des mesures de sûreté : « il est inconcevable que des récidivistes en puissance se promènent dans la nature. » C'est la même chose pour les terroristes récidivistes en puissance.
Ce texte est équilibré. Votons-le !
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Yvon Collin applaudit également.)
Prochaine séance demain, mercredi 22 juillet 2020, à 15 heures.
La séance est levée à 19 h 15.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Jean-Luc Blouet
Chef de publication
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ERRATUM
Au compte rendu du dimanche 19 juillet 2020
Page 153, première colonne, troisième paragraphe, rétablir comme suit la dernière phrase de l'explication de vote de M. Rémi Féraud :
« Logiquement, le groupe socialiste et républicain votera contre ce PLFR. »