SÉANCE

du mercredi 6 mai 2020

79e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Joël Guerriau, M. Michel Raison.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement sous le format adapté que nous avons défini. Notre séance se déroule dans le respect des règles sanitaires que vous connaissez.

Rôle individuel des Français dans le déconfinement

M. Joël Guerriau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants ; Mme Nadia Sollogoub et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.) « La liberté est la règle ; les restrictions de police l'exception » : le commissaire du gouvernement Corneille rappelait ainsi en 1917 le principe de liberté qui guide, depuis la Révolution, notre démocratie. Ce principe doit cependant être encadré par la loi. Avec la pandémie, de nouvelles règles ont dû être édictées, notamment le respect des gestes barrières. Il est, soit dit en passant, peu compréhensible que les policiers ne bénéficient pas d'équipements de protection pour les contrôles.

Très majoritairement, les Français ont compris la nécessité de ces règles, ils ont fait preuve de civisme.

Le déconfinement, notamment la règle des 100 kilomètres, pose question : étudiants qui veulent rentrer chez leurs parents, personnes âgées trop longtemps isolées... La vie familiale des Français n'est pas une option !

Que recouvre le « motif familial impérieux » qui autorisera les déplacements ? Y aura-t-il une certaine souplesse dans l'interprétation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants ; Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Jusqu'au 11 mai et depuis mars dernier, les règles restrictives ont été acceptées par la très grande majorité de nos concitoyens.

Le 11 mai, nous aborderons une nouvelle étape, dans la prudence. Les Français pourront sortir dans la rue sans attestation. Le virus ne doit pas pour autant reprendre de la vigueur. D'où la règle des 100 kilomètres. Elle connaîtra des exceptions, notamment pour motif familial ou professionnel impérieux.

Le Premier ministre s'exprimera demain pour préciser les conditions de mise en oeuvre des mesures. Nous comptons sur le civisme de nos concitoyens. Je ne doute pas que les motifs que vous avez cités, notamment le fait de venir soutenir un proche malade, seront pris en compte dans les dérogations.

M. Joël Guerriau.  - Nous pouvons faire confiance aux Français, conscients des risques et aptes à juger par eux-mêmes ce qui est bon pour eux.

Rappelons-nous Tocqueville, pour qui « le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui ». (Sourires)

Responsabilité civile et pénale des maires (I)

M. Mathieu Darnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À l'heure où les parents et les directeurs d'école s'inquiètent, où les maires s'interrogent sur leur capacité à mettre en oeuvre les protocoles très lourds prévus pour la réouverture des écoles, le Gouvernement doit rassurer. Masques, gels, activités périscolaires : tous ces sujets méritent des réponses précises.

Le protocole scolaire s'appliquera-t-il au périscolaire ou y aura-t-il un protocole spécifique pour les activités sportives ?

Dans le projet de loi tel qu'il l'a adopté hier soir, le Sénat a ménagé la responsabilité des décideurs publics, dont les maires. Soutiendrez-vous cette mesure pour que le 11 mai ne devienne pas une date redoutée ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub et M. Hervé Maurey applaudissent également.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Je vais vous répondre sur la question centrale de la responsabilité. J'ai été maire tout comme vous. Nous connaissons l'étendue des responsabilités liées à cette fonction. Elles ne nous ont jamais empêchés de prendre des décisions. Et nous n'avons jamais cherché à nous en exonérer.

Le déconfinement inquiète nos concitoyens, c'est vrai : le virus fait peur et reprendre une vie normale, même prudemment, ne va pas de soi après un si long temps de confinement.

Maires, responsables associatifs ou administratifs, chefs d'entreprise nous saisissent de leurs interrogations : elles portent avant tout sur les bonnes décisions à prendre ; et, subsidiairement, sur une possible mise en cause de leur responsabilité.

J'ai indiqué à cette tribune que j'entendais traiter sérieusement ces questions, avec le Parlement. Je suis favorable à l'idée de préciser le droit existant - déjà très protecteur, grâce au Sénat qui, il y a vingt ans, a souhaité mieux encadrer la responsabilité des décideurs. Mais j'ai également dit qu'à mes yeux, le dispositif actuel est bon.

La réouverture des écoles engage la responsabilité de l'État, qui les a fermées. Préciser dans la loi, s'agissant de la responsabilité civile ou pénale, des éléments de la jurisprudence, pourquoi pas ? Mais atténuer la responsabilité de telle ou telle catégorie de décideurs ne redonnerait pas confiance à nos concitoyens. Ce n'est pas la logique dans laquelle je souhaite m'inscrire.

Le Sénat s'est exprimé sur le sujet. La position du Gouvernement est claire. L'Assemblée nationale va être saisie du texte issu du Sénat. Le débat sera intéressant. Je fais confiance à la navette, comme je l'ai toujours fait...

M. Bruno Retailleau.  - Il faut le dire aux députés LaREM, car la commission des lois de l'Assemblée nationale examine en ce moment-même l'article.

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Songeons à ce que penseront nos concitoyens d'une telle décision. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Mathieu Darnaud.  - Certes, l'État prend la responsabilité de rouvrir les écoles, mais les maires seront à la manoeuvre, notamment pour le périscolaire. L'agilité que vous leur demandez n'est pas si simple. Il est donc essentiel de renouer le lien de confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Françoise Gatel et Nadia Sollogoub applaudissent également.)

Rassemblements des gens du voyage

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements au centre) Les gens du voyage entament chaque année une traversée du pays jusqu'au sud. Ces grands rassemblements, pèlerinages de foi auxquels il est difficile de renoncer, concernent près de 25 000 personnes. Les maires sont inquiets. Ces déplacements ont-ils été anticipés ? Aurons-nous, sur ce sujet au moins, une longueur d'avance ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Durant le confinement, les gens du voyage ont respecté comme tous les Français les mesures prévues ; cela s'est fait avec l'appui des préfets et des associations.

Avec le déconfinement, la limite des 100 kilomètres pour les déplacements s'appliquera à chacun, tout comme l'interdiction des grands rassemblements au-delà de 5 000 personnes jusqu'au 30 août. Début juin, nous verrons si la mesure relative aux 100 kilomètres doit être maintenue. Mes services sont en relation - excellente ! - avec les associations représentatives des gens du voyage. Ceux-ci ont fait preuve de civisme jusque-là ; je ne doute pas qu'ils appliqueront les mesures sanitaires au-delà du 11 mai.

Mme Nadia Sollogoub.  - Loin de moi l'idée de stigmatiser ; je veux surtout protéger les populations concernées. Mais les élus de terrain le savent, les arrêtés d'interdiction et les guides de bonnes pratiques n'ont jamais autant de force auprès des gens du voyage qu'une discussion les yeux dans les yeux, d'homme à homme si je puis dire. (Sourires)

Les familles risquent de se retrouver en errance sur les routes, confrontées à l'hostilité des populations sédentaires. N'attendons pas que les caravanes soient en chemin, et le maire planté en face au milieu de la route...

D'autres communautés fragiles rencontrent des difficultés spécifiques, comme les migrants de Calais, auxquels faisait référence Catherine Fournier. Il faut un dialogue renforcé avec ces populations.

Annulation de charges pour les très petites entreprises

M. Julien Bargeton .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) Cette crise sanitaire inédite se double d'une crise économique sans précédent. Le Parlement et le Gouvernement sont au chevet de l'économie française. Deux lois de finances rectificatives ont déjà été votées pour mettre en oeuvre l'activité partielle, qui concerne désormais six salariés sur dix, un fonds de solidarité, des prêts de garanties et un fonds de participation. Tels sont les quatre piliers de notre action. La restauration, l'hôtellerie, le tourisme, qui font l'excellence française, sont en péril, tout comme la culture qui fait vivre l'âme de notre pays, à Paris et partout.

Une annulation des charges pour les entreprises de moins de dix salariés a été annoncée ici même par le Premier ministre. Le Gouvernement pourrait-il nous en dire davantage ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics .  - Le Président de la République puis le Premier ministre ont annoncé des annulations de charges pour les indépendants, les commerces et les entreprises les plus touchés, notamment ceux qui ont été fermés par un arrêté lié au confinement.

C'est tout à fait original dans l'histoire de la protection sociale, comme je l'indiquais devant la commission des affaires sociales. Aucune annulation de charges par secteur n'est jamais intervenue jusqu'à ce jour. Seules avaient été instaurées des annulations par territoire, comme pour Saint-Barthélemy, Saint-Martin, ou en faveur des zones de revitalisation rurale (ZRR).

Nous annulerons les charges pour les entreprises de moins de 250 salariés dans les secteurs du tourisme, du sport, de la culture, de l'hôtellerie et de la restauration.

Pour les artisans, les indépendants et les commerces de moins de dix salariés, des annulations sont également prévues, tous secteurs confondus, lorsqu'ils ont dû fermer sur décision administrative. Je pense notamment aux coiffeurs dont chacun attend la réouverture.

M. Philippe Bas.  - Pourquoi me regardez-vous fixement, monsieur le ministre ? (Rires)

M. Gérald Darmanin, ministre.  - N'y voyez aucune attaque ad hominem, monsieur le président de la commission des lois ! (Même mouvement)

Je préciserai dans les jours qui viennent, avec les représentants des professions, les modalités d'application. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Plan de relance de l'aéronautique

Mme Françoise Laborde .  - La filière aéronautique concerne non seulement la construction d'avions commerciaux mais aussi la défense nationale et la recherche spatiale.

La baisse du trafic aérien mondial va toucher non seulement les compagnies aériennes mais aussi les avionneurs et motoristes. C'est la chaîne d'approvisionnement, qui représente 80 % du coût d'un avion, qui sera le plus durement touchée. Les pertes de compétences pourraient être irréversibles pour les industriels de l'aéronautique, de l'espace et de la défense.

Sans doute, à moyen ou long terme, le marché repartira-t-il ; l'industrie aéronautique rebondira. Méfions-nous d'autant plus des d'acteurs étrangers qui chercheraient à capter des savoir-faire qui s'acquièrent parfois en plus de dix ans, car toute la filière des avionneurs et motoristes, français et européens, serait alors affaiblie.

Le plan de soutien du Gouvernement aux compagnies aériennes est accueilli favorablement. Encore faut-il alimenter le secteur en commandes d'avions commerciaux, dont la flotte devra être renouvelée avec des modèles plus respectueux de l'environnement, ainsi qu'en commandes publiques pour la défense nationale.

Toute la chaîne de production, soit de nombreuses PME et ETI stratégiques très fragilisées, en sera confortée. Le ministre de l'Économie réunit cet après-midi le comité stratégique de la filière. Veillons à ne pas perdre ce domaine d'excellence industrielle !

Un courrier a été adressé à ce sujet au ministre par mon collègue Alain Chatillon, avec les autres parlementaires de la Haute-Garonne.

Ne faut-il pas, dans cette phase intermédiaire, que la France soutienne le lancement de nouveaux programmes européens ambitieux, financés par des avances remboursables ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Votre analyse du secteur de l'aéronautique est exacte. Avec 300 000 emplois, 1 200 entreprises, nous sommes le seul pays avec les États-Unis à pouvoir construire un avion de A à Z. Nous tenons à préserver la filière.

Avec la crise du Covid-19, les vols commerciaux sont cloués au sol ; et les perspectives de nouveaux programmes d'achat, réduites.

Pour accompagner la filière, nous nous sommes assurés auprès de son comité stratégique que les entreprises avaient bien recours au chômage partiel ; et que l'activité montait en charge dans les sites ouverts, dans le respect des règles sanitaires. Nous avons aussi posé les contours d'un plan de soutien. Celui-ci a été annoncé lundi par Bruno Le Maire.

Ce plan accélérera la transition énergétique, mettra en place un accompagnement pour les sous-traitants en situation critique qui pourraient être l'objet de prédations, et favorisera l'avènement de l'usine du futur.

Responsabilité de l'État et moyens des élus locaux

Mme Cécile Cukierman .  - Le 13 avril, le Président de la République annonçait le déconfinement et la réouverture progressive des écoles le 11 mai, suscitant l'espoir.

Cependant, à quelques jours de l'échéance, les inquiétudes s'expriment. Les élus locaux sont volontaires pour faire vivre le service public, garant de l'égalité républicaine, dans leurs territoires, mais pas pour assumer des responsabilités qui ne sont pas les leurs et dont ils n'ont pas les moyens.

En effet, à partir du 11 mai, ils devront rouvrir les cantines, puis les transports scolaires, les internats et pourraient être tenus responsables d'une propagation du virus dans leurs territoires.

Nous avons bien lu le protocole sanitaire présenté lundi : il est contradictoire et inapplicable dans la plupart des écoles de notre République. Qu'entendez-vous faire d'ici au 11 mai pour assumer vos responsabilités et donner les moyens aux élus locaux de les appliquer ?

Mme Éliane Assassi.  - Très bien !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Vous évoquez un désengagement de l'État qui renverrait ses responsabilités sur les maires. Jean-Michel Blanquer a présenté un texte lundi dernier qui encadre les conditions de réouverture des écoles et d'accueil des élèves à partir des recommandations du conseil scientifique. Il a fait l'objet d'une très large concertation avec l'ensemble des associations d'élus. L'État ne se désengage pas ; il fait confiance aux acteurs de terrain et il accompagnera les communes.

Vous demandez une atténuation de la responsabilité pénale des maires en raison des responsabilités singulières qu'ils auraient à prendre durant cette période. Je l'ai déjà dit et M. le Premier ministre vient de le redire : en l'état actuel du droit ; cette responsabilité est difficilement engageable car il faut une faute délibérée ou caractérisée. Je vois mal comment aller plus loin, sauf à préciser la loi, ce à quoi je me suis montrée ouverte et à quoi travaille la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Si nous modifions le dispositif pour les élus, il faudrait le faire, en vertu du principe d'égalité des citoyens devant la loi pénale, pour tous les décideurs, publics et privés, y compris les chefs d'entreprise.

Mme Sophie Primas.  - Justement !

M. Bruno Retailleau.  - C'est ce que nous avons demandé !

M. Bruno Sido.  - Eh oui !

Mme Cécile Cukierman.  - Je ne parle pas de droit pénal et je ne dis jamais « en même temps ». (Sourires) Vous voulez assimiler l'ensemble des décideurs locaux. Pourquoi pas, s'il le faut ? Le 11 mai, c'est aux élus qu'il reviendra d'expliquer à leur population pourquoi les écoles sont ouvertes ou fermées. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Max Brisson.  - Très bien !

Méthodologie du déconfinement

M. Vincent Éblé .  - Les questions au Gouvernement ne sont pas l'apanage de la classe politique. Beaucoup de Français s'interrogent. Avec le plan de déconfinement, que vous nous avez présenté lundi, monsieur le Premier ministre, c'est peu dire que nous restons sur notre faim, avec plus de questions que de réponses : priorité à la santé ou à la reprise de l'économie ? Rentrée scolaire pour les enfants ou pour que les parents puissent reprendre le travail ? Quid des tests, des gels, des masques ? Plages et forêts interdites mais transports ouverts, où il sera bien difficile de respecter la distanciation physique ? Pourquoi exiger un unanimisme impossible en fustigeant ceux qui doutent et qui s'interrogent ? N'avez-vous point observé notre sens des responsabilités, lors des textes qui nous ont été soumis, deux lois d'urgence, deux collectifs ?

Nous vous avons accordé beaucoup de moyens pour agir contre cette désastreuse pandémie, mais la démocratie ne doit pas être une nouvelle victime du Covid ! Quand allez-vous respecter le Parlement et cesser d'agir par ordonnances qui le contournent ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Je pourrais vous répondre oui et me rasseoir. (Quelques sourires) Bien sûr, nous écoutons le Parlement ! Permettez-moi, franchement, de m'étonner que vous puissiez en douter...

Nous avons eu ici des débats sérieux, pas nécessairement consensuels, mais toujours dignes et le Gouvernement s'est constamment mis à la disposition du Parlement.

Il n'y a pas d'un côté ceux qui porteraient la voix vivante de la démocratie et de l'autre un Gouvernement qui ne voudrait pas l'entendre.

Nous devons aussi bien respecter le Sénat que l'Assemblée nationale puisque ce sont les deux chambres qui font la loi. Nous sommes bien évidemment prêts à vous écouter, à vous répondre et à nourrir le débat.

Quant à votre question sur la priorité donnée à la santé ou à la reprise, sans doute ai-je été insuffisamment clair, mais j'essaie d'expliquer depuis deux semaines que nous devons tenir un équilibre délicat, sur un chemin de crête entre la santé et la reprise.

À donner la priorité à un objectif en oubliant l'autre, nous risquons de très mauvaises nouvelles, vous le savez parfaitement, monsieur le président. La catastrophe sociale qui s'annonce serait encore pire si nous restions indéfiniment confinés : vous en êtes témoins dans vos départements, nous devons reprendre la production, l'école, la vie sociale.

À l'inverse, si nous allions trop vite, en privilégiant, par enthousiasme, la reprise, nous risquerions de mauvaises nouvelles sanitaires.

M. François Patriat.  - Certes.

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Nous devons donc tenir cet équilibre, sur ce chemin de crête entre deux à-pics vertigineux. Le Parlement doit contribuer à expliquer aux Français la nécessité de préserver cet équilibre, auquel la Nation tout entière a intérêt. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Vincent Éblé.  - J'entends vos dénégations, monsieur le Premier ministre, mais aussi le terme d'« irresponsables » à l'endroit de ceux qui ont critiqué le déconfinement. Et je n'entends aucun engagement sur les ordonnances qui se justifient moins désormais. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Préoccupations des élus du littoral

M. Jean-François Rapin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Rien n'est à craindre, tout est à comprendre » : tel était le mot de Marie Curie, arboré, pour son bicentenaire, par l'Académie de médecine. Quant à moi, je peine à comprendre toutes vos mesures.

La vie sur le littoral du Pas-de-Calais comme sur toutes les côtes de France souffre de trois difficultés : l'avenir du secteur de la pêche, même s'il est partiellement aidé ; la question migratoire, avec le non-respect du confinement par les migrants, qui suscite l'incompréhension des élus et des habitants de la région de Calais ; le maintien de la fermeture des plages et des espaces de promenade proches du rivage, qui doivent être rouverts par une action conjointe du préfet et des maires concernés. Les espaces littoraux immenses ne semblent pas plus vecteurs de contagion que les parcs et les forêts.

J'en appelle à la concertation pour permettre une réouverture rapide. Pourriez-vous partager avec nous des perspectives encourageantes ?

Il convient également de soutenir l'agriculture locale. Or l'Union européenne vient d'introduire un accord de libre-échange avec le Mexique. Quelle maladresse, alors que la crise a révélé combien notre souveraineté alimentaire était cruciale ! Pourquoi ce message contradictoire en période troublée ? Quelle est la position du Gouvernement à ce sujet ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hervé Maurey applaudit aussi.)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Je ne répondrai qu'à deux de vos questions, sans aborder la politique agricole et économique. Sur les migrants, avec le ministre de l'Intérieur, nous sommes en contact permanent avec la maire de Calais et les préfets des Hauts-de-France et du Pas-de-Calais. Nous avons lancé des opérations de mise à l'abri des migrants du Calaisis sur le principe du volontariat et nous procédons aussi à des expulsions lorsque c'est nécessaire. Nous sommes déterminés à agir en ce sens de façon volontariste et je me rendrai à Calais dans les semaines qui viennent pour faire le point sur ces actions.

La règle des 100 kilomètres et la fermeture des plages jusqu'au 2 juin au moins sont des mesures de prudence. Nous comprenons que ce puisse être déchirant pour les personnes qui habitent à proximité, mais il s'agit d'une étape. Nous ferons le point, au vu de l'évolution sanitaire de notre pays, à partir du 2 juin, sur le maintien ou non de cette mesure.

M. Jean-François Rapin.  - Je regrette de ne pas avoir eu de réponse à ma question sur l'accord signé avec le Mexique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Protection des salariés en chômage partiel

Mme Sabine Van Heghe .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Nous allons devoir vivre avec le virus pendant de longs mois. Le choc économique sera très violent, surtout dans les secteurs qui ne pourront rouvrir le 11 mai, tels l'hôtellerie, la restauration, le tourisme, l'événementiel et d'autres encore.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles pour la survie de milliers de TPE-PME : il est indispensable d'annuler leurs charges. Il ne s'agit pas de « générosité », comme le Gouvernement a pu le dire, mais de nécessité !

Le chômage partiel, qui amortit le choc pour des millions de salariés, risque de durer au-delà du 11 mai. Le groupe socialiste et républicain souhaite le maintien du dispositif sans dégressivité au-delà du 1er juin.

Des effets pervers se profilent pour les droits à la retraite de certains salariés, parmi les moins rémunérés, aux contrats courts, ou aux faibles volumes horaires, qui n'atteindront pas les 600 heures de Smic pour acquérir quatre trimestres de cotisation. Nous demandons que cette période de chômage partiel soit prise en compte dans le calcul de la retraite pour tous les salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Patrick Kanner.  - Très bien !

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - Effectivement, jusqu'à présent, le chômage partiel n'ouvre pas droit à cotisations dans le régime général, ce qui avait peu d'importance car il était peu utilisé pour des périodes courtes.

Mais nous sommes dans une situation exceptionnelle : le recours au chômage partiel, qui concerne près de 12 millions de salariés, est massif et risque de durer dans certains secteurs, même si nous espérons une reprise rapide. Demain, en conseil des ministres, je proposerai donc une disposition législative afin que le chômage partiel ouvre droit à cotisations dans le régime de base. C'est important pour mieux protéger les salariés qui risquent de subir un choc économique et social important s'ils s'installent dans le chômage partiel. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Rôle des préfets

Mme Françoise Gatel .  - Je salue l'engagement du corps préfectoral dans cette crise protéiforme : sanitaire, mais aussi économique et sociale, elle était imprévisible et sera durable. La bataille à conduire doit être collective et ordonnée. La gestion territoriale a été efficace lorsque les acteurs locaux se sont organisés comme une task force autour du préfet. Cela a été le cas dans le Morbihan, en Ille-et-Vilaine, mais hélas pas partout. Nous avons en effet pu voir des pilotages éparpillés et ralentis par d'éminents solistes comme l'ARS et le rectorat, parfois la DDFiP.

Ainsi, l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté a annoncé le recrutement de 120 standardistes pour suivre les cas contacts, sans associer aucunement le préfet à cette heureuse initiative. Cette gestion bicéphale épuise.

J'ai écouté ce matin avec beaucoup d'intérêt M. Castex évoquer une gestion territorialisée du déconfinement sous l'autorité du préfet. Confirmez-vous cette excellente idée ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Je vous remercie particulièrement, ayant été membre de l'administration territoriale de l'État et du corps préfectoral pendant plus de vingt ans. Avec Christophe Castaner, nous sommes honorés par la façon dont les services de l'État gèrent la crise sur les territoires : services des préfectures, sous-préfectures, et l'ensemble des services de l'État, chacun ayant des compétences propres, autour des compétences d'animation interministérielle du préfet. Rectorats, services territoriaux du ministère de l'Action et des Comptes publics, ARS, sont articulés dans ce dispositif autour du préfet.

La circulaire qui sera prise par le Premier ministre pour le 11 mai précisera les instances de coordination, ainsi que les prérogatives respectives des préfets et des autres administrations. Vous le verrez notamment en matière de traçage et d'isolement des cas contacts.

Chaque soir, en ma présence, le ministre de l'Intérieur réunit les préfets auxquels se joignent une fois par semaine les directeurs d'ARS. Le Premier ministre lui-même participe à certaines de ces réunions pour donner les impulsions nécessaires.

Le moment venu, nous tirerons les leçons des défaillances éventuellement constatées et apporterons les ajustements nécessaires.

Responsabilité civile et pénale des maires (II)

Mme Christine Herzog .  - L'annonce de l'ouverture des écoles le 11 mai suscite incompréhension et inquiétude chez les maires.

L'État s'appuie très largement sur les élus locaux pour mettre en oeuvre le dispositif. Ce délai est d'autant plus difficile à tenir qu'un grand nombre de questions concrètes n'ont pas obtenu de réponses.

Les maires sont contraints à des choix qui peuvent être lourds de conséquences sur la santé de leur population. C'est aussi le cas des chefs d'entreprise.

La question de leur responsabilité juridique doit être rapidement clarifiée. Pourtant, le Gouvernement a refusé les propositions du Sénat pour répondre à l'inquiétude des maires.

Il faut remédier à cette situation, en faisant valider par la préfecture les protocoles établis par les maires. Cette protection juridique est indispensable pour qu'ils puissent agir en sécurité.

À la question de leur responsabilité, s'ajoute celle de la légitimité. En effet, 86 % des communes ont élu au premier tour des municipales un conseil complet. Il est souhaitable que les nouvelles équipes puissent être installées rapidement afin de disposer de la légitimité politique nécessaire.

La levée du confinement ayant lieu le 11 mai, peut-on prévoir l'élection des nouveaux maires au plus près de cette date, en respectant, bien entendu, les règles sanitaires indispensables ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Le Premier ministre a répondu dans son discours à votre seconde question sur l'installation des exécutifs locaux.

Quant à la responsabilité des maires, nous sommes sensibles à leurs inquiétudes comme à celles des chefs d'entreprise. Le dispositif de la loi Fauchon encadre déjà très strictement leur responsabilité. Comme vous, je pense qu'une clarification est nécessaire, pour les rassurer, dans le cadre très particulier de la pandémie.

Cependant, je ne crois pas que la solution proposée par le texte du Sénat soit la meilleure. Un éminent pénaliste écrivait hier une tribune...

Mme Sophie Primas.  - Très intéressante !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - ... indiquant qu'il s'agirait d'une loi d'amnistie par avance sans précédent dans le droit pénal français. Il serait délétère pour notre démocratie de penser que nous organisons une impunité des décideurs à l'heure où les Français ont besoin de confiance.

Mme Sophie Primas.  - Ce n'est pas la question !

M. Bruno Retailleau.  - Pas du tout !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - La commission des lois de l'Assemblée nationale vient d'adopter un amendement sur cet article. Nous verrons comment il est possible d'avancer sur le sujet et y serons attentifs au cours de la navette.

Mme Christine Herzog.  - Nous savons que ces questions vont se poser à nouveau en septembre.

Au-delà des écoles, les maires sont sollicités pour l'ensemble du déconfinement. Il est donc urgent et nécessaire que ces problèmes juridiques soient réglés rapidement, afin de les soutenir au mieux dans leur fonction. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Nadia Sollogoub applaudit aussi.)