SÉANCE
du lundi 4 mai 2020
77e séance de la session ordinaire 2019-2020
présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Françoise Gatel, M. Guy-Dominique Kennel.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Déclaration du Gouvernement relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement
M. le président. - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote sur cette déclaration, en application de l'article 50-1 de la Constitution, relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19.
Notre séance se déroule dans le strict respect des règles sanitaires : l'hémicycle est nettoyé et désinfecté avant et après chaque séance ; les micros, après chaque intervention. Chacun veillera au respect des distances de sécurité, et des entrées et sorties dédiées. Enfin, seul M. le Premier ministre s'exprimera depuis la tribune.
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Nous sommes à un moment critique. Pour la première fois de notre Histoire, notre pays se trouve confiné depuis sept semaines. Lorsque ses cafés, ses restaurants, ses écoles, ses universités, ses églises, ses temples, ses synagogues et ses mosquées sont fermés, comme la plupart des entreprises, lorsque nos théâtres, bibliothèques et librairies sont vides de tout public et sans activité, le moment est critique.
Lorsque depuis huit semaines, jour et nuit, des médecins, des infirmières, des aides-soignants, des personnels administratifs luttent pour accueillir et sauver des malades en évitant la saturation des services, le moment est critique.
Lorsque des hommes et des femmes, souvent peu reconnus, assurent, par leur travail dans le transport logistique, la grande distribution, le ramassage des ordures ou l'agriculture, la continuité de la vie de la Nation, le moment est critique.
La moitié de l'humanité est confinée. Des nations entières sont comme désarçonnées, même les plus grandes puissances paraissent désorientées. Ce n'est jamais bon signe...
Nous devons prendre des décisions sur la base d'informations souvent incomplètes et contradictoires. Nous ne savons pas tout de ce virus ; il y cinq mois, nous ne savions rien. Les progrès de la recherche sur la compréhension de la maladie et le séquençage du virus forcent l'admiration. La France est à la pointe des essais cliniques pour mesurer l'efficacité des traitements existants. Elle travaille avec la communauté internationale à la recherche d'un vaccin et d'un traitement. Le virus nous fait violence. Il appelle de la réactivité, mais sans faire violence au temps de la science, de l'expérimentation et de la preuve, qui exige rigueur, patience - et chance. J'espère que nous en aurons mais nous devons agir sans compter sur elle.
Des marges d'inconnues demeurent, nous ne les avons jamais dissimulées. Aucun scientifique ne peut prédire ce que seront les mois à venir. Tel savant nous dit de manière catégorique qu'il n'y aura pas de deuxième vague ; tel autre, non moins respecté, dit l'inverse. Nous n'avons pas le temps d'attendre que l'Histoire dise lequel aura eu raison.
Le confinement a porté ses fruits, grâce au civisme de nos concitoyens : la propagation du virus ralentit, le nombre de morts diminue. Selon une étude de l'École des hautes études en santé publique, le premier mois de confinement a permis d'épargner 62 000 vies. S'il n'avait pas été respecté, nos services de réanimation auraient été débordés, obligeant les soignants à choisir entre les malades. L'impératif de protéger chaque vie implique de veiller à ce que le nombre d'entrées en réanimation ne dépasse pas la capacité d'accueil.
Pour atteindre l'objectif, chaque jour de confinement compte. Je mesure l'impatience de chacun de renouer avec la vie d'avant, de sortir pour travailler, pour flâner, emmener les enfants au parc ou chez les grands-parents, sortir au restaurant, au théâtre, entre amis : ce sont des choses essentielles.
Le confinement pèse tout particulièrement sur les plus précaires, les plus isolés, notamment les personnes âgées.
Le confinement se justifiait par l'urgence mais son coût social, humain et économique est colossal. Les passages aux urgences, les consultations médicales, les vaccinations, les dépistages sont en chute libre. C'est grave.
Le Covid-19 est toxique, mais les violences domestiques, le décrochage scolaire et social le sont tout autant. Nos enfants comme nos aînés ont besoin d'être accompagnés ; nos artisans ou nos industriels ont plus peur de la faillite que de la maladie...
Depuis quelques jours, les tensions augmentent dans certains quartiers sensibles, surtout la nuit. Nous imaginons la fatigue des forces de l'ordre, confrontées à des guets-apens, et des habitants qui ont le sentiment d'être assignés à résidence.
Au-delà des violences sporadiques, le confinement déchire notre tissu social. Les associations de lutte contre la pauvreté nous ont alertés dès le début.
Nous avons déployé de nouveaux filets de sécurité : prolongation du versement des prestations sociales et de la trêve hivernale, ouverture de 21 000 places d'hébergement d'urgence pour les sans-abri, lancement d'un plan d'aide alimentaire d'urgence... Une aide exceptionnelle de solidarité sera versée automatiquement le 15 mai à quatre millions de familles pauvres et modestes. Les bénéficiaires du RSA et de l'Allocation de solidarité spécifique (ASS) recevront 150 euros, plus 100 euros par enfant ; ceux qui touchent l'allocation d'aide au logement, 100 euros par enfant.
J'annonce aussi une aide exceptionnelle de 200 euros à 800 000 jeunes de moins de 25 ans précaires ou modestes. Début juin, elle sera versée aux étudiants ayant perdu leur travail ou leur stage, ainsi qu'aux étudiants d'outremer ; à la mi-juin, aux moins de 25 ans touchant les APL.
Nous avons mis en place un arsenal parmi les plus protecteurs : chômage partiel, prêts garantis par l'État, fonds de solidarité, report de charges fiscales et sociales. Nous sommes fiers de cet effort, considérable pour les finances publiques, mais la situation ne peut durer.
Nos fleurons industriels sont menacés, nos PME, ETI et start-up, au bord de l'asphyxie. Tourisme, arts, gastronomie, qui font le rayonnement de la France, sont à l'arrêt. Poursuivre le confinement mettrait en danger notre avenir et celui de nos enfants.
Sans vaccin, traitement ni immunité collective, c'est par la prévention, la discipline et la rigueur qu'il nous faut combattre le virus. Trop de relâchement et d'insouciance, et c'est une deuxième vague qui menace ; trop d'immobilisme et d'angoisse, et c'est l'asphyxie collective. Tel est le chemin de crête sur lequel nous devons avancer : chaque versant est un à-pic vertigineux. Il nous faut avancer avec une humilité combative. Nous déconfinerons pas à pas, par étapes.
Notre stratégie est fondée sur trois principes : progressivité, territorialité, réversibilité.
Certaines régions, le Grand Est, l'Île-de-France, les Hauts-de-France, la Corse, la Bourgogne-Franche-Comté ont été touchées de plein fouet, d'autres relativement épargnées. Le rythme du déconfinement sera donc différent selon les territoires. Les clés sont sur le terrain, aux mains des maires et des préfets. À cet effet, j'ai mené une concertation étroite, et je l'espère fructueuse, avec les associations d'élus. Depuis le 28 avril, nous avons progressé.
L'effort de discernement doit être tant collectif qu'individuel. Les décisions de la puissance publique, l'engagement du corps médical ne suffiront pas s'ils ne sont pas appuyés par l'engagement civique et responsable de chacun.
Nous sommes véritablement à un moment crucial. Protéger, tester, isoler seront nos trois mots d'ordre.
Les gestes barrières restent l'alpha et l'oméga de la sécurité, avec ou sans masque. Le Gouvernement recommande, en complément, le port du masque. Dans les lieux fermés, comme les transports et les salles de classe, il sera obligatoire.
Y aura-t-il assez de masques le 11 mai ? État, collectivités territoriales et entreprises travaillent main dans la main ; merci à tous ceux qui ont pris des initiatives. Je saisis l'occasion pour dissiper un malentendu qui a germé ce week-end chez des esprits en mal de polémique : il n'y a jamais eu de stocks cachés dans la grande distribution. Quel intérêt y aurait-il à cacher des stocks de masques ? Il y a eu des commandes massives, qui ont pris du temps à se concrétiser.
Le 11 mai, chacun pourra se procurer des masques. L'État et les collectivités locales assureront la protection de leur personnel. L'État financera 50 % des achats de masques grand public que se procurent les collectivités territoriales, y compris rétroactivement pour les commandes à partir du 13 avril. Nous demandons aux collectivités qui en ont les moyens de faire preuve de solidarité envers les plus petites.
Chaque semaine, cinq millions de masques grand public seront réservés aux plus vulnérables et distribués, sous la responsabilité des préfets, par les CCAS ou les associations. Les régions et l'État vont accroître leur soutien aux TPE et aux travailleurs indépendants. La Poste, dont je salue la mobilisation, vient également de mettre en place une plateforme de e-commerce.
Le succès du déconfinement reposera ensuite sur la capacité à tester et à isoler les malades. Les tests virologiques sont le fer de lance de notre stratégie de dépistage. Nous testerons tous ceux qui présentent des symptômes et leur entourage, symptomatique ou non. Selon les modèles épidémiologiques, il faut attendre 1 000 à 3 000 nouveaux cas par jour à compter du 11 mai. En testant 25 contacts par malades, cela revient à 525 000 tests par semaine ; nous en avons prévu 700 000, car nous voulons avoir une marge pour des campagnes de dépistage, comme dans les Ehpad. Les laboratoires publics, privés, de recherche et vétérinaires sont mobilisés sur tout le territoire.
Les prévisions du Conseil scientifique ont cependant été formulées sous la condition d'un strict respect du confinement jusqu'au 11 mai. En cas de relâchement, le nombre de nouveaux malades pourrait être supérieur aux prévisions qui ont fondé notre modèle, ce qui compromettrait la réussite de notre stratégie. Il est donc essentiel de respecter scrupuleusement le confinement jusqu'au 11 mai. Certains nous reprochent cette mise en garde : que ne diraient-ils pas si nous déconfinions alors que les conditions ne sont pas réunies !
Nous mobilisons plusieurs tours de contrôle, les médecins généralistes, pour l'identification des malades et de leur entourage, les équipes de l'assurance maladie pour tracer les cas contacts et les ARS et les préfets pour gérer d'éventuels clusters.
Les malades devront être isolés, soit à domicile, ce qui implique l'isolement de tous les membres du foyer, soit dans des lieux dédiés que les préfets auront à identifier, comme des hôtels ou centres de vacances. La solidité de cette chaîne de dépistage et d'isolement dépendra du civisme de nos concitoyens.
Nous ne vivons pas dans un régime policier. L'assouplissement du confinement s'accompagne nécessairement d'un assouplissement des contrôles. Nous devons donc relever un défi logistique et civique ; cela suppose de recourir à des instruments nouveaux. Le projet de loi comporte une disposition permettant d'appeler les cas contacts, de leur indiquer où se faire tester ou s'isoler, de vérifier que les procédures sont respectées. Sans fichier, nous n'avons aucune chance de remonter les chaînes de contamination.
Le défi concerne également la réouverture des écoles et des crèches. Je ne méconnais pas les difficultés.
Rappelons cependant que la fermeture des écoles est une catastrophe pour les plus vulnérables des enfants et des adolescents ; pour des dizaines de milliers de jeunes, c'est probablement une bombe à retardement.
La réouverture est donc une priorité pédagogique, sociale et républicaine, qu'il convient d'assurer dans le respect des normes sanitaires. Elle sera très progressive. Écoles maternelles et élémentaires à partir du 11 mai, partout et sur la base du volontariat ; classes de 6e et 5e à partir du 18 mai dans les départements verts ; peut-être fin mai pour les lycées - en commençant par les filières professionnelles. Hormis en maternelle où il est proscrit, et dans les classes élémentaires où il n'est pas recommandé, le port du masque sera obligatoire. La réouverture ne sera pas identique dans l'ensemble des territoires et pour tous les enfants ; certains en ont davantage besoin.
Ne disons pas d'emblée que, cela n'étant pas possible partout, cela n'aura lieu nulle part ! Chaque retour à l'école est une bonne nouvelle.
J'en appelle à chacun pour que des groupes de 15 élèves soient formés pour les familles qui en ont le plus besoin.
Les mêmes contraintes, le même civisme doit concerner les crèches, où les enfants seront accueillis par dix, sur décisions au cas par cas des responsables d'établissements.
Dans les entreprises, le télétravail se poursuivra après le 11 mai. S'il est impossible, on limitera la proximité des salariés, on privilégiera les horaires de travail décalés, la distanciation des espaces de travail.
Facile à dire, mais pas à faire... Les collectivités, les autorités organisatrices de transport et les dirigeants d'entreprises travailleront ensemble.
Les inquiétudes sont grandes en matière de transports. Les déplacements courts ou interrégionaux devront être limités aux motifs impératifs, familiaux ou professionnels. Dans le train, un système de réservation obligatoire permettra d'assurer la distanciation physique.
Les choses seront bien sûr plus compliquées dans les transports en commun des grandes agglomérations. Éthique de la responsabilité, nécessité pour chacun de se montrer à la hauteur, à l'image des soignants ces dernières semaines : tels sont les mots d'ordre.
C'est par la presse que je l'ai appris dimanche, les responsables d'entreprises de transports publics craignent de ne savoir organiser la sécurité sanitaire. Je ne veux voir dans ce procédé que leur souci de surmonter les difficultés et j'ai demandé au secrétaire d'État aux transports d'intensifier encore les relations avec eux. Je ne doute pas qu'ils parviendront à remplir les conditions fixées par le Gouvernement, dans le dévouement au bien public.
La vie économique dans notre pays doit reprendre. Pas moins de 52 guides de bonnes pratiques ont été publiés, il y en aura pour tous les secteurs le 11 mai. Les partenaires sociaux contribueront à faire en sorte que les gestes barrières soient respectés au mieux, afin que la santé au travail ne soit pas menacée.
Nous continuerons d'accompagner les entreprises en difficulté, avec un dispositif d'activité partielle maintenu jusqu'au 1er juin, puis très progressivement amodié. Le fonds de solidarité, dans son deuxième étage, sera étendu à tous les commerces qui ont dû fermer, y compris ceux sans salariés. Les reports de charges fiscales et sociales seront prolongés jusque fin mai, voire transformés en exonérations, pour les secteurs de la restauration et du tourisme.
Ces mesures exceptionnelles témoignent de notre détermination à soutenir toutes nos entreprises, pour relancer le moteur économique.
À cette même fin, nous rouvrirons commerces, halles couvertes et marchés de plein air, dans les règles de sécurité sanitaire que l'on connaît. Si ces règles ne sont pas respectées, les préfets pourront faire fermer ces commerces.
Ce n'est pas de gaîté de coeur que nous avons dû fermer théâtres, cinémas, bibliothèques, plages ou lacs et annuler les événements sportifs.
La situation sera réévaluée fin mai. La carte de France tricolore sera réactualisée chaque jour jusqu'à devenir bicolore - les zones orange sont celles en évolution.
Dans les outre-mer, je reste attentif à ce que les territoires disposent de masques grand public et de tests. La chaîne de vigilance doit être aussi intense qu'en métropole. Seules les personnes ayant des obligations familiales ou professionnelles impérieuses pourront se rendre sur place et seront soumises à une quatorzaine. Nous organiserons le rapatriement des étudiants bloqués en métropole, pour ceux qui le souhaitent. Mayotte, qui vient de passer en phase 3, ne sera pas déconfinée. Le système hospitalier y est très sollicité, et fragile. Nous ferons un point le 14 mai pour évaluer si la réouverture des écoles le 18 mai est possible.
Que signifie « vivre », dans notre pays ? La liberté de créer et la possibilité de se laisser bouleverser par une oeuvre d'art, le droit de voter et de se présenter aux élections, ou la liberté de culte font partie des libertés parmi les plus fondamentales. Le secteur culturel est l'un des plus frappés par la crise sanitaire. Le Gouvernement sait qu'il y a urgence pour la culture. Ce secteur a déjà bénéficié de 52 millions d'euros du fonds de solidarité et les acteurs de la culture sont éligibles aux mesures d'urgence - je songe au plan de 8 milliards d'euros en faveur des secteurs particulièrement touchés.
Le Gouvernement a aussi mis en place des mesures de soutien spécifiques aux acteurs culturels. Le Président de la République annoncera de nouvelles décisions mercredi. Nous rouvrirons certains lieux culturels locaux dès le 11 mai : bibliothèques, petits musées, librairies, disquaires, galeries. Il faudra attendre le 18 juin pour rouvrir les lieux de spectacle, cinémas et théâtres.
Les manifestations rassemblant plus de 5 000 personnes resteront interdites jusqu'à fin août, même si nous aurions tous aimé que le festival d'Avignon, les Francofolies ou les Nuits de Fourvière aient lieu.
J'entends le désarroi des croyants qui ont dû renoncer à beaucoup de rites marquant les grands moments de la vie, fête ou deuil. Je leur demande encore un peu de patience. Les cérémonies dans les églises, les temples, les synagogues, les mosquées réunissent proches et amis dans des lieux confinés, ce qui crée une situation à risques.
La période du 29 mai au 1er juin correspond à un calendrier riche en fêtes religieuses. Nous étudierons la possibilité de reprendre les célébrations à partir du 29 mai.
Les élections municipales sont un enjeu démocratique, mais aussi économique car les conseils municipaux doivent prendre des décisions d'investissement. L'article 19 de la première loi d'urgence du 23 mars 2020 indique qu'au plus tard le 23 mai, le Gouvernement remettra un rapport au Parlement, fondé sur l'analyse du Conseil scientifique, sur la possibilité de tenir le deuxième tour des élections municipales.
Les scientifiques examinent également le risque sanitaire et les conditions à respecter pour l'installation des conseillers élus et les réunions des conseils communautaires.
Rien ne leur impose de statuer en une seule fois. J'ai saisi le Conseil scientifique ce matin sur ces deux questions.
La plupart des conseils municipaux comprennent moins de 15 membres, le quorum sera assoupli à un tiers. J'informerai le Parlement au plus tard le 23 mai sur le point de savoir si le deuxième tour des élections peut avoir lieu en juin ; sinon, nous déciderons collectivement des dates et des modalités, ainsi que des conséquences, qu'aucun d'entre vous n'ignore. (Sourires) Nous consultons les associations d'élus et les groupes parlementaires pour préparer cette échéance.
Certains chefs d'entreprise, certains maires craignent l'engagement de leur responsabilité pénale. Le régime est bien connu, issu de la loi dite Fauchon du 10 juillet 2000. Elle n'a pas été modifiée dans son contenu, car elle était suffisamment juste, précise et équilibrée. Elle n'a jamais empêché les élus de prendre des décisions, ni empêché qu'ils en répondent éventuellement devant la justice. Cependant, les inquiétudes sont là.
Notre Constitution nous invite à ne pas aborder la question de manière segmentée. Le Sénat accorde une attention particulière aux élus locaux, mais un chef d'entreprise qui organise un chantier n'est pas dans une situation très différente. Traitons chacun d'une façon équitable.
Soyons également prudents, car les décideurs publics ou privés ne doivent pas s'exonérer de leur responsabilité. Les personnes physiques sont responsables pénalement si elles ont violé délibérément une obligation de prudence prévue par la loi ou commis une faute caractérisée. Préservons cet équilibre. Nous pouvons rappeler la jurisprudence. Quant à atténuer la responsabilité, je suis plus réservé. C'est ensemble que nous devons résoudre les problèmes. Au Parlement de décider si le sujet doit être traité à l'occasion d'amendements ou d'un texte spécifique. (Mmes Sophie Primas et Françoise Laborde sourient.)
Le 11 mai ne sera pas le retour de l'insouciance, mais le début de la reprise. « Cito, longe, tarde », pars loin et longtemps, la formule est attribuée à Galien, médecin de Marc-Aurèle - et fils d'un sénateur de Pergame, monsieur le président. (On apprécie sur divers bancs.) Au contraire, aujourd'hui, ne fuyons pas, ne nous dérobons pas, prenons ces décisions qui engagent toute la collectivité, sans fuir le débat.
Voilà pourquoi j'ai souhaité m'exprimer devant vous. Nous présentons aussi un texte sur la prorogation de l'état d'urgence.
La démocratie libérale et sociale est capable de faire face à la situation actuelle sans remettre en cause les libertés. Mais elle n'y parviendra qu'avec le soutien de nos concitoyens. C'est un fil directeur de notre action. L'adhésion des Français est bien plus efficace que la contrainte.
Je plaide pour un acte de confiance collective. Voilà de quoi dépend la capacité de notre démocratie à traverser cette crise majeure.
Les crises peuvent mener à une rénovation. J'ai la conviction que nos institutions, nos talents, notre jeunesse nous permettront de nous en relever. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur plusieurs travées des groupes RDSE et UC ; Mme Marie-Pierre de la Gontrie applaudit également.)
Orateurs inscrits
M. François Patriat . - Nous vivons le temps du deuil, de l'angoisse, des incertitudes, des impatiences. Je pense à tous ceux qui ont connu la peine et les drames, à tous ceux qui ont oeuvré pour la Nation.
Le Gouvernement affronte la crise avec sang-froid, pragmatisme et lucidité. Dans un réflexe pavlovien, certains critiquent le déconfinement avec autant de force qu'ils avaient critiqué le confinement, énonçant leurs certitudes sur l'avenir alors qu'ils se sont montrés incapables d'anticiper dans le passé.
Le déconfinement n'est pas la sortie du tunnel, nombre d'inconnues demeurent. La tâche est immense pour l'organiser. Loin de bouder la Représentation nationale, vous l'écoutez. Ce débat honore le Parlement, mais aussi le Gouvernement.
Le déconfinement est nécessaire et risqué, indubitablement. Les Français sont confinés depuis le 17 mars pour préserver leur santé. Le déconfinement est nécessaire pour renouer avec la liberté. Le redémarrage de notre économie est également indispensable à la reconstruction de la Nation. Vous avez su le prendre en compte.
Le déconfinement est risqué, car une part d'incertitude existe dans le développement de cette maladie virale. Bien malins sont ceux qui, de réseaux sociaux en plateaux télé, donnent une date d'expiration à l'épidémie !
Les craintes légitimes de nos concitoyens doivent être entendues. Vous le faites bien. La règle des 4 « C » s'impose, clarté, cohérence, cohésion et concertation.
La clarté d'abord, avec 700 000 tests prévus et les brigades que vous mettrez en place pour la remontée des informations. Clarté face à nos élus qui craignent de voir leur responsabilité pénale engagée à l'occasion de la réouverture des écoles. Vous y avez répondu : la loi les protège mais faut-il qu'elle soit bien précisée. Je sais pouvoir compter sur vous.
La cohérence, ensuite, dans l'organisation du déconfinement autour du couple maires - préfets. La carte de circulation du virus dans les départements y contribue.
La cohésion : quelles que soient nos sensibilités, les réflexes politiciens ne mènent à rien et ne font qu'ajouter de la crise à la crise.
La concertation, point central de ce déconfinement : merci d'avoir écouté tout le monde, et en particulier les élus locaux.
Dans la méthode comme dans le fond, je remercie le Gouvernement d'avoir agi avec lucidité et humilité. Cette expérience aura ébranlé nombre de nos certitudes. Nous sommes au début d'un long chemin qui nécessitera écoute, pédagogie, détermination et courage. Notre groupe sait pouvoir compter sur vous pour le redressement économique, social et sanitaire de notre pays.
M. Philippe Adnot . - Bien qu'en désaccord avec bien des points de votre manière de gérer cette épidémie, j'avais l'intention de voter favorablement, comme je l'avais fait pour le collectif budgétaire, afin de vous permettre de gérer la crise. Je pensais que celui qui dirige la manoeuvre par temps difficile doit avoir les moyens d'agir.
Vous aviez enfin décidé de mener des tests massifs de dépistage, comme l'ont fait l'Allemagne, la Corée et Taïwan. J'étais également favorable à votre décision de reporter à plus tard l'entrée en vigueur de l'application de suivi du Covid.
Las, vous avez décidé de régler le traçage par ordonnance, sur le fondement de l'article 6, alinéa 5. Les paroles sont une chose, la réalité des actes en est une autre.
Pour la reprise des écoles, vous faites tout reposer sur les maires, sommés de respecter 63 pages de consignes. Quant aux parents, vous les laissez arbitrer sans qu'ils disposent de toutes les informations. Comment feront les maires si 80 % des parents décident d'envoyer leurs enfants à l'école ?
Cerise sur le gâteau, la carte des départements relève de la plus grande fantaisie. Dans l'Aube, sur quarante lits de réanimation, seulement dix sont occupés, mais l'ARS indique un taux de 100 % d'occupation. En outre, les capacités des labos vétérinaires sont prises en compte régionalement, et non par département, sans distinguer ceux qui ont eu la sagesse de conserver un laboratoire...
M. Bruno Retailleau. - Comme en Vendée !
M. Philippe Adnot. - Je ne pourrai donc voter en faveur de votre déclaration. J'espère que le Sénat amendera votre texte pour mieux sécuriser les maires, que les couleurs des départements seront déterminées avec de vraies données, et que les scientifiques nous sortiront bientôt de cette épreuve.
Mme Laurence Cohen . - Vous nous demandez de valider votre plan tel quel, comme s'il s'agissait d'un vote de confiance. Or celle-ci ne se décrète pas, elle se mérite. Votre capital de confiance est entamé, de contradictions sur les masques ou les tests en incohérences sur le retour à l'école... Celui-ci est dicté par la reprise économique bien plus que par la volonté de faire reculer les inégalités scolaires !
Certes, nous ne savons pas tout sur le Covid. Mais en attendant remèdes et vaccins, il faut faire face. Cela implique de « protéger, dépister, isoler ».
Mais pour protéger, il faut des masques. Nous en avions en 2009, nous n'en avons plus assez aujourd'hui : comment l'expliquer ? Ce sont les collectivités territoriales qui ont su réagir, pas l'État qui a réduit les stocks. Les plus réactives seront pénalisées, car elles ne bénéficieront pas d'une prise en charge par l'État de 50 % du coût de l'achat de masques. Toutes les commandes des collectivités doivent l'être, indépendamment de la date de commande. Par ses défaillances le Gouvernement a mis en concurrence les collectivités territoriales entre elles. C'est insupportable.
Je suis scandalisée, comme les collègues de mon groupe, de voir que la grande distribution réussit là où la puissance publique a failli : à Gentilly, aujourd'hui, des pharmacies n'ont toujours pas été livrées. Les acteurs privés ne doivent pas faire de profits sur la santé de nos concitoyens.
Les masques, obligatoires dans les transports, doivent être gratuits - sinon, comment verbaliser ? L'État doit être garant de la disponibilité des masques et de leur gratuité.
Je soutiens l'Association des maires d'Île-de-France qui demande le report de l'ouverture des écoles. Les parents ont-ils le choix, avec la menace sur le chômage partiel le 1er juin ?
Contrairement à ce que vous dites, l'hôpital public n'a pas tenu, rendant obligatoire le confinement général et le report des autres soins. Pourquoi ? Des budgets en berne avec 4,2 milliards d'euros en moins, depuis vingt ans, 100 000 lits ont été fermés, dont 17 000 depuis six ans.
Arrêtez d'encenser les héros en blouse blanche ; donnez-leur les moyens d'agir !
Cette crise est terrible et va avoir des déflagrations que l'on commence à appréhender avec la progression de la pauvreté. Les associations caritatives nous alertent sur l'explosion du recours à l'aide alimentaire. Il faut réagir dès maintenant en trouvant les ressources au lieu d'assécher les caisses de la sécurité sociale, avec l'exonération des charges patronales. Il faut refuser les aides de l'État aux grands groupes qui polluent la planète et aux entreprises qui ont des activités dans les paradis fiscaux, il faut taxer les dividendes et rétablir l'ISF. Refusez de déroger au temps de travail. Il est temps de déconfiner la démocratie alors que vous transformez le Parlement en chambre d'enregistrement (MM. Xavier Iacovelli et François Patriat protestent.) et que vous lui demandez les pleins pouvoirs pour deux mois supplémentaires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Déconfiner ou ne pas déconfiner, telle est la question. Je suis fasciné par le nombre d'experts - les grands et les petits, les soi-disant experts et les faux qui veulent faire le buzz.
J'ai découvert un théorème : « plus il y a d'experts, moins on comprend ». (Rires sur la plupart des travées, ainsi qu'au banc du Gouvernement)
Heureusement, il reste les politiques... (Sourires) À l'Assemblée nationale, il y a des virtuoses du coronavirus. J'y ai entendu le professeur Mélenchon de la faculté de médecine de La Havane, (Rires) pointant sur vous un doigt vengeur, vous asséner « il y aura une seconde vague et vous le savez. » Impressionnant ! J'étais au bord du re-tweet... Mais je ne suis que médecin, épidémiologiste. (Sourires)
Je veux pointer du doigt certaines idées qui me paraissent fausses : la plus absurde est que le libéralisme est la cause de la pandémie.
Dans ce pays, où beaucoup préfèrent Robespierre à Tocqueville, où on préférera toujours se tromper avec Sartre qu'avoir raison avec Aron, c'est toujours le libéralisme qui porte le chapeau. Tous devraient savoir que Périclès ou Saint Louis, morts de la peste, ne connaissaient pas les notions de capitalisme ou de libéralisme. Le Covid n'est pas une maladie de la mondialisation, c'est une maladie tout court.
Napoléon disait : « l'Histoire est une suite de mensonges sur lesquels on s'est mis d'accord. » Aujourd'hui, il dirait c'est une suite de mensonges qui a le plus de like. (Sourires)
Il faut trouver le responsable du complot. Au Moyen-Âge, les responsables étaient les sorciers ou les juifs ; aujourd'hui, c'est la mondialisation.
La vérité est l'exact contraire. La science elle-même est mondialisée. Jamais la science n'a donné de réponses aussi rapidement. Le génome du virus a été séquencé en une semaine, les premiers tests produits un mois plus tard, les essais cliniques se font par centaines. Les épidémies d'avant faisaient cent fois plus de morts. Il a fallu des milliers d'années pour que Pasteur, en 1885, n'invente le vaccin contre la rage.
Deuxième idée qui traîne, celle des prophètes qui annoncent des révolutions, recyclant des idéologies ressassées depuis des décennies. Mort du capitalisme, haine de la technique, éloge du populisme, retour des frontières... et j'en passe. La réalité, c'est que personne n'a jamais vu demain. C'est à nous de préparer l'avenir.
Ce qui est certain, c'est qu'il ne ressemblera pas à un remake des thèses de Marx, de Maurras ou de Malthus.
Troisième ineptie : les régimes autoritaires seraient les grands gagnants de cette pandémie car les plus efficaces. C'est le contraire qui est vrai. La vérité, c'est que l'épidémie n'aurait pas eu lieu si la Chine ne l'avait pas cachée pendant un mois. Ce sont les démocraties asiatiques qui s'en sont bien sorties : Taïwan, Hong Kong, Singapour et la Corée du Sud qui bénéficiaient d'expériences antérieures. Et la Chine ? Elle annonce 4 500 morts sans expliquer le pourquoi des 50 000 urnes funéraires livrées en urgence nuitamment à Wuhan... Quant aux populistes en occident, Trump restera comme le président du Make the virus great again, Bolsonaro qui laisse infecter sans protection les habitants de ses bidonvilles, et Johnson sauvé de peu de ses propres théories sur l'immunité. Je préfère l'exemple de l'Allemagne démocratique, même si ses résultats sont plus proches de ceux du reste de l'Europe que de l'Asie.
Vous vous apprêtez, monsieur le Premier ministre, à prendre une décision terrible. Vous le ferez prudemment, d'autant que les sycophantes ont déjà ouvert leur dossier. Mais le Rubicon est là, et vous n'avez d'autre choix que de le franchir sans trembler.
Le 11 mai, ne laissons personne dire que nous faisons le choix de l'économie contre les hommes. Rester confinés ferait bien plus de victimes, qu'il s'agisse des autres maladies ou de la misère.
Faisons confiance aux Français, capables aussi bien que les Allemands, qui savent toujours où sont rangées leurs affaires, et des Coréens de respecter les règles et un confinement drastique.
Il y aura des bosses sur la route, monsieur le Premier ministre, mais il faut prendre la route.
Richelieu disait : « il ne faut pas tout craindre ; mais il faut tout préparer ». C'est la tâche qui vous attend aujourd'hui, c'est la tâche qui nous attend tous. (Applaudissements sur les travées des groupes des groupes Les Indépendants, LaREM, RDSE, UC et Les Républicains)
M. Hervé Marseille . - Merci à ceux qui font vivre notre pays au quotidien : soignants en première ligne mais aussi ceux qui travaillent à notre vie quotidienne, mais vous aussi, monsieur le Premier ministre. Nombreux, dans cette assemblée, sont ceux qui considèrent que vous faites le job, comme vos ministres qui vous entourent.
Cette compréhension n'emporte pas adhésion à toute votre action ; c'est la fonction du Parlement de se montrer critique et de contrôler votre action. Dans ces conditions de travail difficiles et contraintes, nous portons la voix des élus et des Français.
L'un des points majeurs de cette crise restera le problème des masques et des tests. Quoi qu'on dise, de nombreux Français ne comprennent pas pourquoi nous avions un si faible stock de masques, pourquoi on n'en trouve toujours pas facilement, pourquoi les tests sont aussi rares.
Vous avez donné des explications après les annonces de la grande distribution sur les masques - mais comment comprendre ces publicités alors que des soignants ne sont encore pas bien dotés ?
Deuxième interrogation : l'école. Il s'agit d'un problème majeur pour la plupart de nos collectivités. La plupart sont petites : 98 % ont moins de 9 000 habitants ; 52 % moins de 500. C'est dire la complexité des décisions qui doivent être prises.
La reprise de l'école - assortie d'un droit de retrait - a inquiété les familles, alors que des maladies infantiles sont évoquées dans la presse, sans que l'on sache s'il y a corrélation entre elles et le Covid.
Les chefs d'établissement comme les élus et les responsables associatifs s'engagent pleinement, mais ils savent que leur responsabilité est susceptible d'être mise en cause. Il faut les accompagner.
La garde des Sceaux a dit que le droit actuel suffisait : nous en doutons et la confiance serait plus grande si on accompagnait tous ceux qui s'engagent. Nous vous présenterons des amendements en ce sens.
Merci pour vos propos, monsieur le Premier ministre, et vous avez répondu à des demandes anciennes. Pourtant, je n'ai pas entendu la déclinaison de la territorialisation du déconfinement. Les Français observent des paradoxes : ils voient des airbus bondés où les passagers ne portent pas le masque et des promeneurs verbalisés sur les plages. Ils se demandent pourquoi vous faites confiance aux commerçants pour rouvrir leur établissement mais pas aux ministres des cultes dans les petites églises, les petits temples, les petites mosquées, les petites synagogues.
On peut aller plus loin dans la confiance au couple maire-préfet. Il faut s'adapter aux territoires. Sinon pourquoi avoir des départements verts ou rouges ? De nombreux départements demandent à avoir accès aux plages et aux forêts. De même, les petits restaurants ou bistrots de village pourraient être autorisés à rouvrir plus rapidement.
La culture représente 3 % de notre PIB. Les Français doivent y avoir accès rapidement. Il y a des petits musées, de petits festivals, de petites salles. Là encore, le préfet et le maire pourraient décider de les rouvrir. La délégation aux collectivités territoriales vous a fait des propositions pour un déconfinement territorialisé. N'oublions pas non plus le tourisme dont beaucoup de collectivités dépendent.
Demain ne sera plus comme avant, c'est évident. Le chômage partiel ne pourra pas continuer et le nombre de chômeurs va continuer d'augmenter.
La politique sociale devra être prééminente et tenir compte de ce qui s'est passé. Les Français n'accepteront plus, pour la plupart, que les grandes entreprises touchent beaucoup d'argent sans contrepartie. Cette pandémie est mondiale et les grandes institutions de l'après-guerre ont failli : Organisation des nations unies (ONU), Europe, G7, G20. Nous n'avons pu apporter des réponses collectives. Il faudra réinventer la gouvernance mondiale.
Une partie de mon groupe votera pour et une partie s'abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Bruno Retailleau . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis le début de la crise, le groupe Les Républicains s'est donné une ligne faite d'exigence et de bienveillance. Oui, il s'est toujours tenu à l'exigence démocratique due aux Français - la démocratie n'étant pas un obstacle, mais une ressource. Quant à la bienveillance, il a voté tous vos textes, y compris ceux sur lesquels nous avions des réserves.
Mais la confiance que vous demandez aujourd'hui est plus difficile à accorder. Votre parole a fait l'objet de trop de contradictions et contre-vérités, notamment sur l'affaire des masques - d'abord proclamés inutiles, puis prétendument difficiles à mettre, selon une ministre, désormais obligatoires, évidemment, dans les transports publics et donnant lieu à amende s'ils ne sont pas portés : vous auriez dû dès le départ avouer la pénurie, car les Français ne sont pas des sots. Au lieu de cela, vous avez écorné la confiance que vous estimez à présent absolument nécessaire pour le déconfinement. Vous vous êtes abrités derrière les palinodies scientifiques. Mais franchement, faut-il être membre de l'Académie de médecine pour comprendre qu'un masque protège ?
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. - Cela peut aider...
M. Bruno Retailleau. - Les scientifiques qui se sont déclarés contre le port généralisé du masque sont des Diafoirus. Qui sait si vous aurez suffisamment de masques la semaine prochaine pour protéger tous les Français ? Il y a doute...
De même, la France a été à la traîne en matière de tests, reléguée au soixante-dix-septième rang mondial. Et là, vous ne pouvez pas alléguer de changements de pied scientifiques, puisque dès le 16 mars, le directeur général de l'OMS vous avertissait : « testez, testez, testez ! » En avril, nous avons testé trois fois moins que la moyenne des grands pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Vous en promettez maintenant 700 000 par semaine, soit plus du double de la semaine dernière, mais le doute persiste. Or le troisième critère, susceptible de faire passer au rouge un département, est justement la capacité de dépistage. N'y a-t-il pas là une contradiction ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Pas du tout, au contraire !
M. Bruno Retailleau. - À l'Assemblée nationale, vous avez plaidé l'humilité...
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Eh oui !
M. Bruno Retailleau. - ... sentiment auquel votre majorité ne nous avait guère habitués...
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Oh !
M. Bruno Retailleau. - Elle ne doit cependant pas servir de paravent aux retards à l'allumage de la France, ni à ses blocages idéologiques et bureaucratiques, qui sont patents.
Comment comprendre que la France ait ainsi tardé à fermer ses frontières ? Le Président de la République morigénait le chancelier autrichien qui fermait, dès le 10 mars, sa frontière avec l'Italie.
Comment comprendre aussi que les résidents de Schengen ne soient pas soumis à une quarantaine, alors que dans l'espace Schengen le virus circule très vite et beaucoup ? Comment comprendre la mise à l'écart du privé, des cliniques, des médecins généralistes, des laboratoires départementaux, dans la gestion de la crise, sinon par l'idéologie et la bureaucratie ?
Quant aux 54 pages pondues par l'Éducation nationale, monsieur le ministre, ce sont autant de défausses bureaucratiques... (M. le ministre de l'Éducation nationale s'en défend.) La bureaucratie parisienne est responsable de nombreux ratés.
Nous ne pouvons plus faire confiance les yeux fermés.
Oui, il faut déconfiner, parce que les inconvénients, y compris sanitaires, du confinement sont désormais supérieurs à ses bénéfices. Je vous ai alerté sur ce point, il y a deux semaines. Ce plan de déconfinement ne peut être un pari à quitte ou double !
Vous avez évoqué des indicateurs. Mais il ne s'agit pas de météorologie, monsieur le Premier ministre ! Quelles sont les conditions que nous allons créer ou pas pour que ces indicateurs passent à la bonne couleur ?
La stratégie de confinement était nécessaire, mais une fois la France mise sous cloche, elle devrait être suivie d'une stratégie de protection, de tests, de traçage et d'isolement. Vous auriez pu le faire avec tant d'hôtels vides ! Vous auriez pu travailler au traçage, sans attendre de devoir passer sous les fourches caudines des Gafam, et monter les brigades bien en amont ! Vous avez perdu trop de temps...
Désormais, on va soulever la cloche sans savoir ce qu'elle cache...
Vous pouvez compter sur notre bienveillance, nous avons des doutes, c'est pourquoi nous allons, très massivement, nous abstenir. Mais nous sommes aussi prêts à améliorer le texte que vous nous présenterez à l'issue de ce débat, notamment pour clarifier les dispositions relatives aux responsabilités.
Vous n'avez pas choisi la date du 11 mai. Il faut à présent que la France retrouve impérativement le peloton de tête des pays qui combattent l'épidémie en essayant de casser les chaînes de contamination. Pour l'instant, nous avons freiné l'épidémie mais nous ne lui avons pas cassé les reins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Hervé Maurey et Mme Sophie Joissains applaudissent aussi.)
M. Patrick Kanner . - Je m'adresse à nos concitoyens soignants et travailleurs qui tiennent depuis plusieurs semaines et à ceux qui sont confinés chez eux, assurant leurs responsabilités.
La vôtre, monsieur le Premier ministre, est de protéger les Français d'un virus mortel, une « vacherie », selon le professeur Delfraissy, mais la grande faucheuse sanitaire ne doit pas devenir une grande faucheuse économique et sociale.
Nous connaissons encore mal le virus. L'absence de vaccin, de traitement et d'immunité offre des horizons bien tristes. La seule certitude, c'est que nous devrons vivre avec lui. Un déconfinement raté serait le prélude à un reconfinement assuré.
Une deuxième vague, en réduisant à néant les efforts accomplis jusqu'à présent, heurterait de plein fouet notre système de santé. Le déconfinement est un pari à haut risque. Je m'interroge à cet égard sur la date du 11 mai : a-t-elle été fixée après un travail préparatoire gouvernemental de fond dans une logique de rétroplanning ? « Dès que possible » signifie « dès que nous aurons des garanties ». Il faut de la clarté et des moyens, et surtout en finir avec les injonctions contradictoires que nous subissons depuis plusieurs mois, pour ne pas faire de cette date une chimère. J'ai en mémoire vos propos rassurants, qui nous ont sinon rassurés, du moins rassérénés, le 27 février, lorsque vous aviez réuni à Matignon les présidents de groupes. Ordres et contrordres rajoutent de l'anxiété, dans une période qui n'en manque pas.
Le besoin de clarté de la part de la population doit être votre première préoccupation. Les règles doivent être comprises et partagées. La disponibilité des masques, leur gratuité sont des sujets de préoccupation. Pourquoi les rendre obligatoires à l'école et dans les transports, mais pas au travail ? À cause d'une possible pénurie ? Si c'est le cas, il est incompréhensible de voir les grands distributeurs faire des annonces d'arrivages massifs. Le commerce n'a pas de sens dans un tel contexte. L'État doit prendre ses responsabilités et ne pas craindre de poursuivre ses réquisitions pour permettre à l'ensemble des Français d'être correctement protégés.
Nous demandons des points d'étape réguliers sur l'accessibilité des tests. Il y a peu, nous étions à 5 000 tests par jour ; vous en annoncez 100 000. Tant mieux ! Nous serons là pour le vérifier.
La restriction des libertés publiques doit être proportionnée à l'urgence et traitée avec le plus de clairvoyance possible. La République ne doit pas céder à la panique en acceptant un dispositif de traçage irrespectueux des libertés fondamentales. Vous aviez émis des doutes à l'Assemblée nationale, puis, 48 heures plus tard, il semble que l'application ne soit plus abandonnée et qu'elle serait opérationnelle début juin.
Le 11 mai ne doit pas, sans garantie, rester un totem. Cette date doit être questionnée si elle remet en cause la sécurité des Français et en tout état de cause sur la liberté individuelle nous ne vous donnerons pas une habilitation pour une nouvelle ordonnance...
M. Philippe Bas. - Très bien ! (Marques d'approbation sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Patrick Kanner. - Le Conseil scientifique a fixé des prérequis sanitaires. Son avis est facultatif, non pas décoratif. (Sourires)
Il ne faudrait pas que la reprise anticipée de l'école devienne le symbole de l'échec du déconfinement, tant le risque est grand. Il est urgent d'attendre pour que l'école ne devienne pas le creuset d'une nouvelle catastrophe sanitaire. L'école à la carte ou sur un coup de dé n'est pas républicaine. Vous ne pouvez pas faire peser la seule responsabilité de la réouverture sur les maires, alors que vous n'avez pas anticipé le désarroi des élus, des parents, des professeurs.
Nous saluons en revanche les mesures d'assistance prises pour les plus démunis. Il n'empêche : l'augmentation du chômage, prévisible, nécessitera des mesures fortes pour empêcher de nombreux Français de tomber dans la précarité. Le chômage partiel, qui concerne un Français sur deux, n'est pas une mesure de générosité, comme vous le répétez souvent, ni une faveur ! (Mme Sophie Primas s'exclame.)
Vous semblez redécouvrir l'État Providence et les jours heureux du Conseil national de la Résistance. Allons-y ! Prolongez le chômage partiel et les négociations salariales, instaurons le revenu de base (M. François Patriat invoque le coût d'une telle mesure.) et renoncez à vos réformes mortifères de l'assurance chômage et des retraites !
L'équilibre entre la sécurité sanitaire et les libertés individuelles des Français est au coeur du débat. Monsieur le Premier ministre, nous sommes à vos côtés pour accompagner les Français. Nous l'avons montré lors de l'examen des deux PLFR.
Le débat d'aujourd'hui est différent : vous demandez notre soutien. Le soutien se construit sur la confiance dans la gestion passée, dans les choix à venir et dans les moyens déployés. J'ai le regret de vous dire que, pour notre groupe, le compte n'y est pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Jean-Claude Requier . - Au nom du groupe RDSE, j'ai une pensée pour toutes les victimes du Covid ainsi que pour leurs proches et leur famille qui n'ont pas pu se recueillir auprès de leur mort.
Plus que jamais, nous avons besoin d'humanité dans nos sociétés modernes, monstres de technologies innervés de compétition internationale. Nous demeurons ontologiquement fragiles. Trop sûrs de notre maîtrise de la nature, nous oublions notre finitude humaine.
Je salue également nos soignants. Au prix d'efforts considérables et de conséquences vertigineuses, l'épidémie recule. Mais le combat n'est pas terminé. Comme le disait le docteur Véronique Guillotin, nous devons apprendre à apprivoiser le virus, que seul un vaccin pourra tuer. Le prix à payer est élevé pour nos concitoyens : isolement, aggravation des fractures sociales, la liste est longue.
Le déconfinement - indispensable - nécessite humilité et responsabilité. Nous sommes sur un fil pour réussir le 11 mai. Nous mesurons la gravité des décisions à prendre.
À cet égard, aucune institution, aussi éminente soit-elle, ne peut se substituer à l'autorité politique. L'avis du Conseil scientifique doit rester consultatif. Il n'est pas contraignant. Et n'oubliez pas d'inclure tous les territoires ultramarins de la République, comme Saint-Martin ou Saint-Pierre-et-Miquelon et pas seulement les DOM, dans vos cartes !
Mme Françoise Laborde. - Très bien !
M. Jean-Claude Requier. - Nos concitoyens des collectivités d'outre-mer y seront sensibles !
Les élus locaux, les maires en première ligne, ont admirablement rempli leur rôle. Ils attendent les précisions sur le calendrier électoral.
À l'approche du 11 mai, la réouverture des écoles est également une source d'inquiétudes. Nous aurons ce débat, mais il n'est pas question de laisser la responsabilité aux élus locaux.
Il convient également de soutenir le secteur culturel, cher à notre collègue Françoise Laborde.
Il faut aussi faire toute la lumière sur le stockage de masques par la grande distribution.
Pour l'heure, une large majorité de notre groupe approuvera votre déclaration. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Après ma réponse, générale, une séance de questions-réponses précises est prévue.
Je remercie les orateurs pour leurs propos, notamment ceux qui ont salué l'action du Gouvernement. Avec le président Requier, je constate que si la critique est aisée, l'art est difficile. C'est un fait.
Il faut cependant écouter ceux qui critiquent. Beaucoup ont évoqué la difficulté de la communication en période de crise. Patrick Kanner a évoqué l'application Stop Covid. L'instrument n'a de sens qu'en complément des autres outils, notamment dans les lieux de grande densité et d'anonymat comme dans les transports. Alors, il serait utile pour identifier des contacts avec des personnes positives, anonymes et inconnues, et non pas ces personnes. Je rappelle également que l'usage de l'application relève du volontariat.
Dans ce cas-là, cette application peut avoir un intérêt. Pour l'instant, elle n'est pas prête, les validations manquent encore. Quand elle sera prête, si elle l'est, nous aurons un débat, suivi d'un vote, avant de l'utiliser. Je l'ai indiqué clairement. Et pourtant, monsieur Kanner, vous me dites que les propos de la porte-parole du Gouvernement sont en décalage avec mes propos devant les députés. Je ne saurais y voir de la mauvaise foi...
M. Patrick Kanner. - Y aura-t-il une loi, monsieur le Premier ministre ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Qui a dit qu'une loi serait nécessaire ? Manifestement, en avançant des hypothèses, de manière nuancée, on s'expose à voir dénoncer comme incohérences ce qui n'est en réalité qu'une branche de l'alternative. Oui, nous travaillons sur l'application, je ne sais pas si elle marchera ou non. Dès lors que le dispositif est volontaire et anonyme, nous n'avons pas besoin d'une loi.
Monsieur le président Retailleau, je vous remercie de votre bienveillance... (Sourires)
M. François Patriat. - ... relative !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - C'est une perle qui est parfois enveloppée d'une gangue de prudence, ou de timidité... (Rires)
Vous m'interrogez sur la batterie de tests...
M. Bruno Retailleau. - Et la capacité !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - ... et la capacité à remonter le nombre de contaminations. Pour déterminer la couleur de tel ou tel département, nous avons pris en compte le nombre de cas, le nombre de lits en réanimation - lequel est par nature un indicateur régional - mais aussi les instruments permettant de remonter chaque jour les chaînes de contamination susceptibles d'apparaître.
Imaginons un département où se déclareraient 25 cas nouveaux le premier jour, puis 30 le lendemain. Tout se passe bien grâce aux brigades et aux tests. Si pour une raison pratique, organisationnelle ou matérielle, l'instrument permettant de remonter les chaînes de contamination ne fonctionnait plus, le département passerait du vert au rouge, car nous ne serions plus en mesure de contenir l'épidémie.
M. Bruno Retailleau. - Parce qu'il n'y a pas assez de tests !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - Nous ne risquons pas tant de manquer de tests que de bras pour les pratiquer et surtout les exploiter. Il faut pouvoir remonter au jour le jour les 20 ou 25 contacts de chaque cas, de manière certaine. Si ce n'était plus possible quelque part, il faudrait en tirer les conséquences.
Vous m'invitez à l'humilité - ce n'est pas pour moi une excuse, mais une reconnaissance de ce que nous ne savons pas. Lorsque des controverses entre scientifiques ont éclaté, je me suis gardé de dire qui avait raison, car je n'ai aucune compétence en la matière, et me suis contenté d'attendre les procédures normales, expérimentales, les revues par les pairs pour déterminer l'efficacité ou non de tel traitement. Tous n'ont pas eu la même humilité.
Vous avez dénoncé les obstacles idéologiques ou bureaucratiques à la levée de certains verrous concernant les laboratoires. Notre pays a beaucoup de règles en matière sanitaire : toutes ont leur justification. C'est faire preuve d'humilité que de le reconnaître. Heureusement, nous avons réussi collectivement à lever les verrous et je m'en félicite.
Le président Marseille, que je remercie pour ses propos bienveillants et exigeants, a évoqué les difficultés soulevées par la réouverture des écoles. Nous essayons d'y répondre. Que l'on édicte des principes généraux ou au contraire des règles précises, on s'expose dans un cas comme dans l'autre à la critique - qui n'est pas illégitime et peut être utile. Nous avons fixé des règles, une doctrine, et indiqué qu'il faudrait trouver les bonnes solutions localement ; c'est la consigne donnée aux préfets et aux recteurs.
Dans un grand nombre de communes, les élus locaux - y compris ceux qui critiquent la réouverture ! - ont commencé à intégrer la doctrine et traitent la situation école par école. Dans certains endroits, ce sera difficile, dans d'autres, tout se passera très bien.
C'est vrai, l'incertitude est source de difficulté. C'est une réalité exaspérante qui mine nos décisions et qui fatigue.
Je ne me comparerai pas à certains chefs d'État de grandes puissances outre-Atlantique - je n'en ai ni le physique ni le caractère (Sourires) - mais je note que ceux qui font les réponses les plus définitives se trompent souvent et se voient obligés de changer de pied... J'essaye pour ma part d'expliquer les critères qui, s'ils sont réunis, permettront de passer à l'étape suivante, pour donner le maximum de lisibilité et de prévisibilité. Nous avons donné certaines certitudes, en annonçant d'ores et déjà que certaines choses seraient interdites jusqu'au 2 juin, que les grands festivals culturels de l'été ne se tiendraient pas. Ne rien dire aurait provoqué une incertitude énorme. À chaque fois nous avons expliqué et justifié ces décisions.
J'entends l'invitation du président Malhuret à prendre garde aux bosses sur la route. Cette route ressemble plus souvent à une piste qu'à une autoroute. (Sourires)
Monsieur Adnot, je regrette votre changement de vote. Nous avions considéré l'option des classes alternées par demi-journées. Les élus locaux s'y sont montrés hostiles, opposant que les transports scolaires devraient faire deux tournées au lieu d'une. (Marques de protestations et d'approbations sur diverses travées) Nous avons fait au mieux, en écoutant les élus locaux.
Merci à ceux qui ont formulé des encouragements au Gouvernement. Il en a bien besoin ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Laurence Cohen. - Merci, monsieur le Premier ministre, pour la non-réponse !
Débat interactif
M. Xavier Iacovelli . - Les élus locaux sont en première ligne pour protéger et mettre en oeuvre des mesures d'urgence face à cette crise qui bouleverse notre quotidien, qui laissera des traces sur nos commerces, nos entreprises, et sur les plus précaires. Au plus près du terrain, au contact permanent des citoyens, les maires sont « à portée d'engueulade ». Ils devront assurer la réouverture des écoles le 11 mai. Les conditions sanitaires devront être strictement respectées car la protection de nos enfants est la priorité. Se pose aussi la question de la protection juridique des maires et élus locaux dans le cadre des opérations de déconfinement.
La loi Fauchon protège certes les élus, mais ils ont besoin d'être rassurés sur l'engagement de leur responsabilité pénale. La majorité de notre groupe a déposé un amendement pour apporter une réponse concrète à cette inquiétude légitime. Que fera le Gouvernement ? (M. François Patriat applaudit.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - Votre préoccupation rejoint celle du Gouvernement. Les maires doivent pouvoir prendre les décisions nécessaires sans craindre que leur responsabilité pénale soit engagée.
Les règles du code pénal en la matière sont très restrictives : comportement sciemment dangereux, prise délibérée de risques, au mépris de la sécurité d'autrui. Dans une approche très encadrée, la chambre criminelle de la Cour de cassation retient en outre la nécessité de prendre en compte les compétences propres à chacun et les connaissances générales pour apprécier in concreto l'existence d'une éventuelle faute. Ce cadre juridique est général et je ne vois pas comment un décideur qui ferait respecter les dispositifs barrières pourrait voir sa responsabilité engagée.
S'il apparaissait nécessaire de codifier la jurisprudence pour clarifier la situation, nous conduirions de bon gré ce travail avec le Parlement.
Mme Esther Benbassa . - La crise sans précédent que nous traversons est sanitaire, économique, sociale et alimentaire. La pandémie et le confinement ont jeté une lumière crue sur les inégalités qui rongent notre société.
Pour les plus fragiles, l'épreuve a été plus redoutable encore : enfants privés de repas à la cantine, foyers confrontés à une quasi-famine, étudiants, migrants, chômeurs, sans-abri, familles monoparentales, travailleurs précaires, pour qui il s'agit moins de vivre que de survivre.
Le déconfinement n'effacera pas magiquement ces inégalités ni leurs effets. Il ne s'agit pas seulement de panser les blessures immédiates. Le déconfinement doit être accompagné d'un plan d'urgence sociale redonnant à l'État-providence tout son rôle. Quelles mesures sociales concrètes et immédiates comptez-vous mettre en oeuvre ?
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé . - Nous partageons le diagnostic. Absence de cantine, d'activités sources de revenus complémentaires, obligation de fréquenter des superettes de quartier plutôt que les discounters : la crise et le confinement sont encore plus difficiles pour les plus fragiles. Au 15 mai, quatre millions de ménages précaires bénéficieront d'une aide exceptionnelle, 150 euros pour les bénéficiaires du RSA et de l'ASS et 100 euros supplémentaires par enfant ; 100 euros par enfant également pour les bénéficiaires des APL. Cette aide sera versée directement par la CAF, sans démarche préalable, pour éviter le non-recours.
Nous avons mis en place une aide alimentaire pour 39 millions d'euros, avec des mesures territorialisées et des chèques alimentaires ; je suis allé en Seine-Saint-Denis à la rencontre des associations qui sont au contact des familles. Je salue la continuité du travail social, renforcé par la plateforme de service civique, la prolongation de l'accès aux droits et au versement des aides, les places d'hébergement à destination des sans-abri. Je tire un coup de chapeau aux travailleurs sociaux, largement mis à contribution.
Mme Esther Benbassa. - Ces mesurettes ne règleront pas le problème de la famine et de la pauvreté. Un loyer en Cité U coûte bien plus que 200 euros ! Il faut un plan global d'urgence.
M. Emmanuel Capus . - Dans cette crise, les maires sont des acteurs clés. Je salue leur action. Ils sont aux avant-postes, au contact direct de la population. C'est sur eux que repose le succès du déconfinement. C'est grâce à eux que les enfants retourneront à l'école, avec le plus de sécurité possible. Le gouvernement a raison de leur faire confiance.
Mais la confiance n'exclut pas l'assurance et la légitimité. Les maires ont besoin d'être rassurés et leur légitimité renforcée. Quelle date prévoyez-vous pour l'installation des conseils municipaux élus dès le premier tour ? À quand l'avis du Conseil scientifique et quel délai avant l'installation des conseillers municipaux ? Cela aura-t-il lieu avant la fin du mois de mai ?
Mme Sophie Primas. - Excellent !
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - Le plus tôt sera le mieux. L'installation des conseils municipaux élus dès le premier tour a une utilité évidente, démocratique et économique. Elle n'a pas été jugée appropriée pendant le confinement. Nous avons fixé la date du 23 mai non par fétichisme, mais parce que nous avons décidé d'un délai de deux mois, le 23 mars. Si le Conseil scientifique rend un avis rapide, le rapport sera simple à écrire et nous irons vite.
En réalité, ce qui est difficile, c'est la coexistence, au sein des EPCI, des conseils municipaux élus au premier tour avec ceux dont le mandat est prorogé, surtout s'ils ont été battus au premier tour - même si leur légitimité, inscrite dans la loi, n'est pas contestable.
Nous trouverons les moyens de surmonter ces difficultés. J'ai bon espoir que l'on puisse installer les conseils municipaux élus au premier tour rapidement, bien avant la fin du mois de mai.
M. le président. - Nous sommes le 4 mai...
M. Emmanuel Capus. - Merci, monsieur le Premier ministre, pour cette réponse suffisamment précise. (Rires)
Mme Catherine Morin-Desailly . - Sitôt l'annonce par le Président de la République du retour à l'école, le Sénat a pris ses responsabilités.
Notre commission de la culture a mis en place un groupe de travail pour en évaluer les enjeux. Animé par notre collègue Jacques Grosperrin, ce groupe qui a émis onze préconisations, appuyées sur deux prérequis : l'avis de la communauté scientifique ; l'urgence d'une concertation avec les acteurs de terrain.
Interpellé par le refus de certains maires, et pas seulement dans les départements rouges, le groupe UC veut des réponses précises, d'abord sur les risques épidémiologiques ; des services pédiatriques dans toute la France se font l'écho d'un nombre anormalement élevé de pathologies cardiaques touchant des enfants qui pourraient être liées au Covid-19.
Avez-vous des études sur la contamination par les enfants ? Quel suivi sanitaire localement, connaissant l'état de notre médecine scolaire ?
Les maires ne se cachent pas derrière leur petit doigt. Un certain nombre accepte de s'organiser, souvent avec les moyens du bord, mais la question de leur responsabilité pénale, civile et administrative se pose. À l'initiative d'Hervé Maurey, notre groupe a, le premier, soulevé ce sujet, d'autant que certains se sentent fragilisés par une élection municipale non achevée.
C'est du bon sens. Ce déconfinement ne peut être que progressif et adapté aux contextes locaux. Clarifiez les financements et dites-nous comment l'on traite efficacement les ruptures d'égalité entre les enfants à l'école et ceux restés à la maison. Quid des enfants en situation de handicap ?
Le flottement du début a laissé place à un peu plus de méthode mais nous avons tous le sentiment d'être à marche forcée avec le 11 mai en ligne de mire : à peine quatre jours ouvrés pour mettre en oeuvre le protocole sanitaire discuté vendredi !
Les maires d'Ile-de-France, mais pas seulement, ont demandé un sursis.
Certains, trop prudents ou réalistes, ont été même jusqu'à revendiquer une réouverture qu'en septembre. Au fait, n'était-ce pas l'avis du Conseil scientifique ? (M. Hervé Maurey et Mme Sophie Joissains applaudissent.)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse . - Le Premier ministre a répondu à votre question sur les responsabilités des maires. Leur régime de responsabilité ne doit pas les conduire à des inquiétudes. Cependant, nous nous emploierons à les rassurer si nécessaire. Nous faisons tout ensemble. J'observe que beaucoup d'entre eux se sont mis en route, y compris certains de ceux qui ont signé la pétition, ce qui apparaît quelque peu étonnant...
Ceux qui se sont mis en route démontrent que c'est possible. Or je ne vois pas pourquoi ce qui est faisable quelque part ne le serait pas ailleurs.
Oui, le protocole sanitaire est très exigeant. Mais on nous le reprocherait s'il ne l'était pas. La médecine scolaire sera d'ailleurs aux côtés des élus, comme d'autres corps de métier de l'Éducation nationale. Il faut un esprit d'équipe dans ces circonstances - c'est ce qui se passe dans la majorité des cas.
Nous sommes tous face à un problème considérable. C'est vrai dans tous les pays. Nous nous comparons toujours à l'Allemagne : nous sommes meilleurs sur le décrochage scolaire. Beaucoup de pays observent attentivement notre protocole sanitaire.
Nous avançons avec un esprit d'équipe qui n'exclut pas la critique.
M. Philippe Bas . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, vous avez indiqué - personne ne le contestera - que le 11 mai est dans un peu plus de six jours... Les Français seront-ils suffisamment préparés ? Les écoles, entreprises, administrations seront-elles prêtes ? Et vous, serez-vous prêt ? Je ne conteste pas votre philosophie. Mais vous n'avez pas annoncé toutes les décisions prises. Il reste trop de flou pour que le compte à rebours soit suffisant, d'ici le 11 mai.
Personne ne connaît en France les conséquences juridiques du classement d'un département en rouge. Le déconfinement aura-t-il bien lieu le 11 mai dans ces départements ? Le système d'information dont vous nous demandez la mise en oeuvre sera-t-il prêt ? J'en doute !
Enfin, faudra-t-il une attestation pour justifier sa présence dans les transports en commun, afin d'éviter leur saturation et la propagation de l'épidémie à cause de la promiscuité ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre . - De façon certaine, la réouverture des collèges n'aura pas lieu dans les départements rouges, pas plus que les parcs et jardins. Pour l'instant, ce sont les seules différences entre les classements en rouge et en vert. Mais, à l'évidence, le fait d'être dans un département où le virus circule beaucoup, un département rouge, incite à encore plus de prudence et guide le préfet et les maires dans la détermination de leurs décisions.
Dans les départements verts, le travail entre les mairies et l'Éducation nationale doit permettre de rouvrir les établissements partout. Dans les départements rouges, comme je l'ai déjà dit au Sénat, un maire comme celui de Mulhouse où la pandémie a été très violente, pourra expliquer que c'est plus difficile de rouvrir les écoles. La qualification de rouge ou vert teintera la capacité d'appréciation des maires et préfets.
À partir du 2 juin, lorsque, je l'espère, nous aurons montré notre capacité à maîtriser l'épidémie et à faire repartir l'économie, cette distinction pourra donner lieu à d'autres différenciations. La situation pourra donc être évolutive.
Notre objectif est que le système d'information soit prêt. Le problème est moins technique que juridique. Qui aura accès à ce fichier comportant des données médicales ? Nous avons besoin que des personnes qui ne sont pas médecins le puissent. L'outil pourra-t-il fonctionner juridiquement ? Le Parlement donnera-t-il cette autorisation par un vote sur l'article 6 ?
Quant à une attestation dans les transports publics, si les autorités organisatrices de transport (AOT) avaient besoin de mesures pour mieux réguler la demande, nous serions prêts à en discuter. Il n'est pas prévu à ce stade de rendre obligatoire une telle attestation.
M. Philippe Bas. - J'interprète votre réponse : on ne maintiendra pas le confinement dans les départements rouges.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. - En effet.
M. Philippe Bas. - Je vous mets en garde sur le risque de contamination notamment dans les transports parisiens en l'absence de mesures plus contraignantes.
Mme Laurence Rossignol . - Ma question porte sur l'impact des annonces de Mme Pénicaud sur la dégressivité du chômage partiel. À partir du 2 juin, il sera moins généreux, d'après ses propos. Je ne suis pas sûre que le mot soit approprié... Elle a indiqué que les salariés ne pouvaient continuer à en bénéficier sans une attestation que l'école n'a pas pu accueillir leur enfant. On note que la philosophie du Gouvernement est toujours la même : le but de la dégressivité du chômage partiel est bien d'obliger les Français à retourner au travail. Mais cela pose plusieurs questions : qui va rédiger l'attestation ? L'école ou la mairie ? À qui sera-t-elle fournie ? Que se passerait-il si les enfants n'étaient accueillis qu'un à deux jours par semaine ? De fait, une rotation devrait être organisée en fonction des capacités d'accueil. Mais alors, comment les enfants accueillis seront-ils choisis ? J'ai obtenu deux réponses à cette dernière question : soit on prend d'abord les enfants de ceux qui travaillent, soit les décrocheurs, qui sont souvent des enfants de chômeurs de longue durée.
Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail . - Le chômage partiel doit-il continuer tel quel indéfiniment ? Il nous semble normal qu'il décroisse avec la reprise de l'activité économique. Actuellement, l'employeur est remboursé totalement jusqu'à 4,5 Smic. Ce sera toujours le cas si le contrat de travail n'est pas réactivé tout de suite.
Jusqu'au 1er mai, les parents gardant leurs enfants étaient en arrêt de travail et recevaient des indemnités journalières. Celles-ci seraient passées de 90 % à 66 % de leurs revenus, entraînant une forte baisse de leur pouvoir d'achat. C'est pourquoi ils ont été placés en chômage partiel.
En mai, nul changement : un parent qui ne veut pas ou ne peut pas remettre son enfant à l'école conserve son chômage partiel. Ensuite, nous verrons ; l'éventualité d'une attestation de l'école sera à discuter le moment venu.
Mme Véronique Guillotin . - La crise sanitaire est inédite par sa soudaineté, sa gravité et la mauvaise connaissance que nous avons du virus. La prolongation pour deux mois de l'état d'urgence est une nécessaire mesure de prudence, car le déconfinement n'est pas synonyme de fin de l'épidémie, et la perspective d'une deuxième vague n'est pas à exclure selon de nombreux experts.
Un débat s'est engagé sur la ligne de crête entre protection des libertés publiques et protection de la santé. L'efficacité du traçage des cas contacts dépendra de multiples facteurs dont l'adhésion de la population et des professionnels de santé de première ligne.
Je m'interroge. Quelle est la cohérence du discours des pouvoirs publics quand d'un côté la restriction de certaines libertés publiques est présentée comme indispensable, mais que de l'autre l'extension du port obligatoire du masque, justifiée médicalement, est laissée dans le flou ?
Tandis que le Luxembourg a rendu le masque obligatoire partout où une distance de deux mètres n'est pas respectée, le message est brouillé en France : le masque est recommandé mais pas obligatoire, sauf dans les transports publics et dans les commerces qui le demandent... Or on sait qu'une information précise conditionne le respect des consignes. On sait aussi qu'un masque porté puis retiré puis reporté, potentiellement avec des mains qui n'ont pas pu être lavées, fait considérablement décroître son efficacité.
Conformément aux recommandations du Conseil scientifique et de l'Académie de médecine, ainsi qu'aux demandes de nombreux élus, pourquoi ne pas rendre obligatoire le port du masque dans tous les lieux publics, au moins dans les départements en rouge ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)
M. Olivier Véran, ministre . - Les recommandations sont claires. Le port du masque est recommandé en population générale dès que la distanciation physique et les gestes barrières ne peuvent être assurés, comme au Luxembourg. C'est le cas dans les magasins, dans les transports publics et pour les enseignants, puisqu'il est difficile de respecter la distanciation à l'école. C'est pourquoi il y est obligatoire. Ailleurs, il est recommandé. Il fait partie de l'arsenal de lutte.
Si nous rendons le masque comme les gestes barrières obligatoires dans l'espace public, pour tous les Français, il faudra sanctionner leur absence. Ce n'est pas le cas actuellement. Nous préférons être dans une logique d'accompagnement.
M. Olivier Henno . - En un seul semestre, notre pays aura connu trois périodes distinctes : celle d'avant le confinement où nous connaissions mal le Covid-19 ; celle du confinement, impératif sanitaire, et celle que nous appelons peut-être un peu vite le déconfinement, période inédite et terre inconnue où il faudra conjuguer impératifs sanitaires et impératifs économiques et sociaux.
Aujourd'hui, il faut qu'une majorité de salariés passent du chômage partiel au travail sans passer par la case Pôle Emploi. Cela exige la confiance de tous. Il faut éviter à tout prix le chômage de masse. Or le président Marseille l'a dit : rien n'est plus fragile que la confiance.
Quelle méthode de dialogue social envisagez-vous, sur des sujets multiples : assurance chômage, intermittents, hôtellerie-restauration, et pourquoi pas, la participation lorsque la croissance reviendra ?
La tenue d'une conférence sociale de sortie de crise ne vous semble-t-elle pas utile ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre . - Oui, nous vivons des moments jamais vécus auparavant. Nous pouvons nous féliciter de la mise en place du chômage partiel que nous avons élargi et qui protège 11,7 millions de salariés et 911 000 entreprises - alors qu'aux États-Unis, 30 millions de salariés ont perdu leur emploi en un mois. Le chômage partiel couvre les revenus à 100 % jusqu'à 4,5 fois le Smic, afin d'éviter des licenciements massifs immédiats comme en 2008-2009.
Dans une seconde phase, il faut accroître la reprise de l'activité - elle est actuellement à l'arrêt à 36 % - différente selon les secteurs, et le dialogue social est crucial.
Aujourd'hui, dans toutes les entreprises, on discute de la reprise du travail.
Nous avons publié hier un protocole national qui vient compléter les 51 guides métiers.
Tous les sujets sont à l'ordre du jour des visioconférences d'une heure et demie que je tiens deux ou trois fois par semaine avec les partenaires sociaux. Étape par étape, nous avons construit le confinement, puis nous construisons le déconfinement, avant la reprise.
M. Alain Milon . - Monsieur le ministre de la Santé, vous connaissez sans doute Mary Mallon. Au siècle dernier, cette Américaine porteuse saine de la fièvre typhoïde a, par son déni persistant de la maladie, contaminé plus de 50 personnes dont trois sont mortes.
La maladie de Kawasaki touche actuellement un certain nombre d'enfants sur le territoire national. On dénombrait, la semaine dernière, 23 hospitalisations à ce titre en Île-de-France.
L'hôpital Necker a rendu son rapport tout à l'heure : une soixantaine d'enfants en souffrent actuellement en France. Nous ne savons pas si cette pathologie est liée directement au Covid-19, mais il y a de fortes chances pour que ce soit le cas.
Le confinement et l'isolement qui figuraient dans le texte initial du Gouvernement en ont été retirés : pourquoi ?
Est-il encore raisonnable de continuer à prévoir la réouverture des écoles alors que Kawasaki se répand sur l'ensemble du territoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Véran, ministre . - L'Américaine Mme Mallon avait transmis la maladie sans le savoir ni le vouloir... Nous prévoyons un isolement systématique des personnes malades. En cas de non-respect de ce confinement, elles pourraient contaminer d'autres personnes. Mais nous choisissons de faire confiance aux Français. L'isolement fait appel au civisme et au bon sens sanitaire de nos compatriotes. Ils ont remarquablement prouvé leur esprit de responsabilité depuis bientôt huit semaines de confinement.
Vous m'interrogez aussi sur la situation sanitaire des enfants malades. Le décompte a fait apparaître une augmentation car nous avons demandé à toutes les réanimations pédiatriques de France de faire remonter tous les cas de Kawasaki. Je me tiens informé afin de comprendre les tenants et les aboutissants de cette maladie qui ne concerne pas seulement la France : l'Italie, l'Espagne et l'Angleterre sont également touchées. Il pourrait s'agir d'un mécanisme réactionnel après une épidémie virale. Nous en reparlerons.
M. David Assouline . - Monsieur le Premier ministre, lors de votre conférence de presse du 19 avril, vous n'avez pas mentionné la culture. Si je vous disais que la culture n'est pas un supplément d'âme, mais notre âme, vous seriez d'accord. Si je vous disais que c'est ce qui nous permet de rêver, d'imaginer, de chercher du sens et d'en donner, vous seriez également d'accord. Si je vous disais que cela s'est manifesté clairement pendant cette crise où les artistes professionnels et amateurs nous ont permis de tenir dans notre vie confinée, vous seriez, à nouveau, d'accord avec moi.
Alors, je serai direct. Si vous êtes d'accord, combien allez-vous consacrer à la culture aux côtés de 45 milliards d'euros d'aides aux entreprises ? Le secteur est au bord du chaos. Il est vital, produisant sept fois la valeur ajoutée du secteur automobile, fournissant 1,5 million d'emplois directs.
Je vous demande une année blanche pour faire face à cette année noire pour les intermittents du spectacle - certains n'arrivent plus à se nourrir. Il faut prolonger leurs droits d'au moins une année. Les travailleurs en contrats courts ont besoin de mesures d'indemnisation car aucun emploi ne leur sera proposé avant longtemps, ils n'ont plus de moyens d'existence.
M. Franck Riester, ministre de la culture . - Vous avez raison : les artistes ont joué un rôle considérable pendant le confinement et le joueront également en sortie de crise. Le Gouvernement ne les a pas oubliés : il les a accompagnés, notamment avec les prêts garantis par l'État, l'accès au chômage partiel, le report des charges sociales et fiscales. Il y a également tous les dispositifs mis en place par le ministère au travers des grands opérateurs que sont le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), le Centre national du livre (CNL), le Centre national de la musique (CNM),...
Certes, cela ne suffit pas, vous avez raison. Nous réfléchissons donc à des solutions pérennes pour soutenir cet écosystème, pour être à la hauteur de la situation. Tout le Gouvernement est mobilisé en faveur des intermittents, des artistes-auteurs, techniciens, ainsi que des TPE et PME.
M. David Assouline. - Je vous ai posé une question précise sur l'année blanche pour les intermittents. Vous êtes sans doute suspendu à la parole présidentielle...
J'ajoute qu'il faut rapidement transposer la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) et sanctuariser nos actifs notamment dans le cinéma, car des acteurs étrangers sont à l'affût.
Mme Françoise Laborde. - C'est vrai !
Mme Sophie Primas . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dès la fin mars, notre commission des affaires économiques a évoqué la responsabilité des chefs d'entreprise. Le risque de contamination sur le lieu de travail pourrait exister malgré des mesures sanitaires. Bien sûr, la protection des salariés est prioritaire, mais la confiance des employeurs pourrait être entamée si leur responsabilité était engagée en dépit du respect des normes sanitaires. J'ai entendu le Premier ministre, mais avec la loi Fauchon, un juge pourra toujours considérer que toutes les mesures de précaution n'ont pas été mises en oeuvre.
Le manuel général de déconfinement fourni par le ministère du Travail n'est qu'indicatif. Il n'a pas de valeur juridique avérée et les patrons de PME et TPE sont souvent bien seuls pour mettre en oeuvre ces prescriptions.
Madame la ministre, quelle est la valeur juridique de ces guides, quelles sont les réassurances à l'égard des acteurs économiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . - La reprise d'activité suscite certes des inquiétudes et les employeurs craignent de voir leur responsabilité civile engagée si un de leurs salariés est atteint par le Covid.
Le Gouvernement est attentif à la sécurisation juridique de l'activité. Depuis une jurisprudence de 2015, Air France, réitérée par l'assemblée plénière de la Cour de Cassation en 2019, l'employeur qui a pris les mesures de prévention légales ne peut être mis en cause. Il n'y a pas une obligation de résultat mais une obligation de sécurité renforcée.
L'employeur qui ne prendrait pas les mesures nécessaires commettrait en revanche une faute susceptible d'engager sa responsabilité.
Le cadre juridique est désormais bien établi, pour les salariés comme pour les employeurs. Au besoin, cette question pourra être clarifiée dans la loi.
M. Jérôme Durain . - Le groupe socialiste et républicain a présenté plusieurs amendements pour répondre aux inquiétudes des élus locaux, notamment sur la réouverture des écoles et des transports, suite aux déclarations parfois chaotiques du Gouvernement. Parce qu'ils sont en première ligne, le risque pèse sur eux en matière de responsabilité.
Dans mon département, les élus s'interrogent sur l'opportunité de rouvrir les écoles, pris en étau entre les préconisations multiples du Gouvernement et une absence de moyens pour les mettre en place. Leur responsabilité risque d'être mise en cause. Un cadre juridique protecteur est indispensable.
Nous proposons qu'à compter de la déclaration d'urgence sanitaire et jusque trois mois après sa fin, toute décision prise par un élu local sur le fondement d'une mesure du Gouvernement engage exclusivement la responsabilité de l'État. (M. le Premier ministre sourit.) Il ne s'agit pas d'exonérer les élus locaux de leur responsabilité, mais de remettre la responsabilité au juste endroit, l'État décidant seul des mesures à mettre en oeuvre.
Que pensez-vous de cette proposition ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . - Le Gouvernement est très attentif à la situation des employeurs privés, des élus locaux et des décideurs publics. Mais toute décision politique emporte une part de responsabilité. Il nous faut donc trouver un équilibre.
La loi Fauchon limite déjà les cas dans lesquels on peut rechercher la responsabilité pénale d'un élu : il faut un comportement sciemment dangereux, une mise en danger délibérée de la vie d'autrui. La responsabilité pénale ne peut être recherchée que dans deux hypothèses : une faute délibérée en cas de violation délibérée d'une norme existante ; en l'absence de normes, une faute caractérisée. Sur tous ces points, la Cour de cassation exige une appréciation in concreto.
Nous sommes cependant prêts à une codification ou une clarification dans la loi.
M. Jérôme Durain. - Pour obtenir l'adhésion des élus à la démarche du Gouvernement, il faut absolument lever leurs doutes quant à leur responsabilité. Or les doutes remontent de partout. Près de 150 parlementaires ont signé une tribune pour protéger les maires. Écoutez-nous !
M. Jacques Grosperrin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Vous avez annoncé la réouverture des écoles le 11 mai. L'intention est bonne, surtout lorsqu'il s'agit de remettre au travail les décrocheurs, mais elle perd de son intensité lorsque ce retour repose sur le volontariat. Le service public devient facultatif. Ce ne sont pas les décrocheurs qui reviendront mais les classes avec examen : troisième, première et terminale.
Vous faites peser la responsabilité sur les maires, sommés de respecter un guide sanitaire de 54 pages, peut-être une usine à gaz comme le disait le président Retailleau. Comment les maires pourront-ils garantir la distanciation d'un mètre entre les écoliers dans les cours de récréation, les couloirs, les sanitaires ? Plus il y a de normes, plus il y a de risques de poursuites.
Nous devons rassurer et protéger les maires, mais rien ne le prévoit dans le texte. J'espère un bon accueil des propositions de Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux . - J'entends vos doutes et vos interrogations. Je le redis : le régime juridique de la responsabilité des élus est stabilisé. Je ne suis pas certaine qu'un régime juridique, quel qu'il soit, empêcherait des poursuites pénales. Il se trouvera toujours un administré pour engager une procédure.
Nous ne cherchons pas à atténuer la responsabilité des élus, mais nous pourrons clarifier le dispositif pour renforcer la confiance si vous le jugez nécessaire. La problématique de la responsabilité ne concerne pas seulement les élus locaux, mais aussi les employeurs privés et les décideurs publics. Nous devons nous attacher à une réflexion globale.
M. Patrick Chaize . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 11 mai nous semble une échéance lointaine parce que le confinement a altéré notre rapport au temps et que les interrogations sur la levée du confinement, notamment sur les transports, demeurent nombreuses. Sommes-nous prêts ?
Dans un courrier du 30 avril, nous apprenions que les principaux opérateurs de la mobilité - SNCF, RATP, Keolis, Transdev - vous informaient que le respect de la distanciation physique d'un mètre entre les passagers n'était pas réalisable, puisque le nombre de passagers ne pouvait dépasser 10 % à 20 % de la jauge normale. Comment faire ?
Comment contrôler l'effectivité du port du masque dans les transports en commun ? Un chauffeur de bus pourra-t-il refuser l'accès à une personne sans masque ? Vous aviez semblé hésitant sur ce sujet lors d'une précédente intervention.
Quel est votre plan pour distribuer les masques promis ?
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports . - Notre objectif est que les transports se déroulent dans de bonnes conditions sanitaires grâce à une offre suffisante : 70 % de rames à la RATP, 50 % à 60 % des trains du quotidien à la SNCF. Deuxième élément : faire en sorte qu'il y ait le moins de voyageurs possible au même moment, notamment aux heures de pointe. Le télétravail doit donc continuer à être privilégié.
Enfin, nous organisons les flux pour que la sécurité sanitaire soit au rendez-vous, d'où le port obligatoire du masque. Il y aura des contrôles et des sanctions.
Il faudra prendre en compte les réalités locales qui ne sont pas les mêmes à Limoges et à Paris. En cas de difficultés, nous n'hésiterons pas à fermer certaines lignes, pour des motifs sanitaires et d'ordre public.
M. Patrick Chaize. - J'ai du mal à comprendre que les AOT, majoritairement publiques, soient obligées de vous adresser un courrier pour vous questionner sur les modalités de déconfinement au 11 mai. J'ai du mal à comprendre : elles disent qu'il faut rétablir 100 % du trafic pour transporter de 20 % à 30 % du nombre habituel de voyageurs ? Cela n'est pas compatible avec les chiffres du Gouvernement.
Il faut plus de clarté pour que chacun se sente en confiance dans les transports. Levez les incertitudes !
M. René-Paul Savary . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Vous l'avez dit, monsieur le ministre, pour obtenir la confiance, il faut la transparence. Or le nuancier départemental pose question. Les critères évoluent. D'abord, il y a eu la circulation du virus. Certains départements sont classés rouges, mais la circulation du virus y est assez faible.
Ensuite, il y a eu la capacité en lits de réanimation ou les tests. S'agit-il de critères départementaux ou régionaux ? Ces couleurs provoquent une discrimination entre les départements, notamment pour l'ouverture des collèges.
La couleur va servir d'aide à la décision, notamment pour les écoles. Va-t-on fermer les écoles lorsqu'on passera en rouge ? Et les entreprises ? Tout cela m'inquiète.
Quel est le rôle exact de ce nuancier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Véran, ministre . - Certains indicateurs - la circulation active du virus - sont véritablement départementaux ; il y a des signaux plus faibles également, consultations des généralistes, entrées aux urgences, admissions en réanimation, etc. Le taux d'occupation des services de réanimation est également essentiel, or il est de nature régionale. Souvenez-vous du Grand Est au plus fort de la pandémie : la saturation des services hospitaliers s'observait à l'échelle de la région, et même au-delà. La capacité de déconfinement d'un département en dépend aussi.
Enfin, il faut prendre en compte les tests, le traçage et l'isolement - nous y reviendrons en examinant le projet de loi. La logique est départementale mais l'indicateur de mobilisation des équipes hospitalières ne peut être que régional.
M. René-Paul Savary. - Les règles du jeu évoluent au fil du temps. Il faut que les choses soient claires, car les présidents des départements auront des décisions à prendre au niveau des collèges, au même titre que les maires pour les écoles. En fonction des couleurs, une mise en cause des responsabilités pourra s'exercer contre certains départements ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Vote par scrutin public sur la déclaration du Gouvernement
La déclaration du Gouvernement est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°100 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 170 |
Pour l'adoption | 81 |
Contre | 89 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La séance, suspendue à 18 h 5, reprend à 18 h 20.