Barrière écologique aux frontières
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de porter au niveau de l'Union européenne un projet de barrière écologique aux frontières.
Discussion générale
M. Jean-François Husson, auteur de la proposition de résolution . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En mai, nous célébrerons le soixante-dixième anniversaire de la déclaration Schuman selon laquelle l'Europe ne se ferait pas d'un coup, mais qu'elle prendrait la voie de validations concrètes créant d'abord une solidarité de fait.
Or l'Union européenne est en panne de projets fédérateurs et souvent perçue comme une contrainte : nos concitoyens peinent à s'y retrouver.
L'Union européenne a d'abord été une réalisation économique, avant de devenir, avec le traité de Maastricht, un ensemble politique. Elle a tout intérêt à devenir demain une puissance écologique de premier plan.
Il faut, pour ce faire, réconcilier écologie et croissance économique. Certains opposent l'une à l'autre alors que les deux ne doivent être dissociées. Nous devons fonder notre action sur des vérités scientifiques. Héritiers des Lumières, nous devons aussi préparer notre société aux nouveaux défis grâce à la raison et au progrès et ne pas s'en tenir au déclinisme. Rejetons le « Y'a qu'à, faut qu'on » démagogique ou le pessimisme moribond des donneurs de leçons.
Soyons lucides, une croissance sans écologie aurait des conséquences tout aussi néfastes. Les acteurs économiques qui n'auraient pas conscience de cette nécessaire évolution seraient rapidement confrontés à la pénurie de matières premières. Les années de croissance sale, fondée sur des productions carbonées et polluantes, doivent être oubliées, d'autant qu'une partie de notre population n'en veut plus.
Refuser de constater que les conditions de la croissance ont changé, c'est se condamner à la cornérisation politique autant qu'au suicide économique.
L'écologie est une opportunité majeure de développement économique et de cohésion sociale. La Chine, qui a consacré 11 milliards d'euros à son plan hydrogène - contre 10 millions pour la France - ne s'y trompe pas.
Notre continent doit s'unir autour d'une ambition climatique forte. Les efforts doivent être justes et équitablement partagés par tous. Les exemples sont nombreux d'entreprises victimes de l'absence de réciprocité normative entre les États membres de l'Union.
Comment accepter que certains États relancent les centrales à charbon ou ne se dotent pas de fiscalité verte ?
Les actions des États ont le même effet qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine !
L'Union européenne a tout à gagner avec une harmonisation de la législation environnementale. La France peut être, avec les pays du Nord, une force de transformation. L'écologie, si elle est partagée à l'échelle européenne, peut être un levier majeur de l'évolution de notre continent.
Qu'attendons-nous pour bâtir une Union de l'énergie pour aboutir à une vraie indépendance énergétique ? Qu'attendons-nous pour intervenir massivement dans la transition écologique dans le secteur industriel ? Qu'attendons-nous pour mettre fin aux importations agricoles aberrantes du point de vue écologique et dévastatrices du point de vue économique ?
C'est à cette condition que nos concitoyens retrouveront la foi dans l'Union européenne, pour qu'elle ne reste pas un nain.
Une barrière écologique aux frontières de l'Union européenne est indispensable contre la concurrence déloyale de nos partenaires commerciaux qui n'ont que faire de nos normes environnementales. Le récent débat sur le CETA en témoigne : pourquoi ouvrir nos pays à des pratiques que nous condamnons ?
Le bilan carbone de l'Union européenne est dominé par l'ensemble des émissions liées aux importations.
Nous aurons perdu la bataille du climat si nous légiférons en interne en multipliant la règlementation pour limiter notre empreinte carbone, tout en n'imposant aucune pression sur nos partenaires commerciaux.
Il est grand temps de sortir du greenwashing et des bonnes intentions. L'échelle européenne est la bonne pour éviter tout effet de passager clandestin mené par d'autres pays. Victor Hugo avait l'audace de dire : « Ce que Paris conseille, l'Europe le médite, ce que Paris commence, l'Europe le continue ». Entendez la voix du Sénat, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Joël Labbé . - Je vais commencer par une note positive : il est réjouissant de voir se multiplier ce type de débat. Les événements climatiques ne nous permettent plus d'ignorer l'urgence.
Mais derrière les discours, il faut des actes forts. J'espère que l'idée d'une barrière écologique aux frontières sera concrétisée. Son principe fait l'unanimité, puisque la taxation carbone était dans le programme de tous les candidats aux dernières élections européennes. La présidente de la Commission européenne a également proposé un green deal.
Une taxation bien pensée aurait bien des avantages : elle rétablirait les équilibres commerciaux, obligerait les entreprises à revoir leurs pratiques et apporterait des financements aux mesures écologiques. Elle améliorerait en outre les équilibres sociaux.
Le texte hélas ne serait pas compatible avec les règles du commerce international. La taxation ne doit pas concerner que les producteurs des pays tiers.
Au-delà des questions posées par la mise en oeuvre du dispositif, nous devons nous interroger sur le mauvais exemple donné par la France - elle présente les plus faibles rendements de la fiscalité environnementale - et de l'Europe. Cette proposition de loi revient à faire payer aux autres nos propres insuffisances. (M. Stéphane Piednoir proteste.)
D'autres pistes doivent être envisagées pour éviter que nos entreprises et nos agriculteurs subissent la concurrence de pays n'ayant pas les mêmes normes que les nôtres. Ainsi, les marchés publics pourraient être réservés aux entreprises européennes.
Ce texte n'incite pas suffisamment nos pays à agir, à se montrer plus volontaires et ambitieux, alors que si dans certains secteurs précis le risque de « fuite carbone » est réel, nous avons de nombreuses marges de manoeuvre.
Le sujet est important et urgent, mais le texte insuffisant : je m'abstiendrai et le groupe RDSE aura des positions diverses. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. André Gattolin . - Je salue l'initiative du groupe Les Républicains, qui poursuit les mêmes objectifs que ceux de la France et de l'Union européenne. La proposition de résolution propose un périmètre d'action pertinent, celui de l'Europe.
Nous sommes quasiment tous favorables au commerce international dès lors qu'il est régulé. L'OMC, hélas, est paralysée, notamment son organe de règlement des différends, désormais privé du juge américain.
L'Union européenne mène depuis longtemps une intense politique d'accords commerciaux, parfois avec succès comme avec la Corée du Sud. Le système présente néanmoins des limites, en raison du principe de réciprocité qui parfois fait défaut. En matière environnementale, cela conduit à des « fuites carbone » : nous délocalisons nos productions polluantes.
La mise en oeuvre des mesures prévues par les traités internationaux est insuffisamment contrôlée. M. Fekl, grand ministre socialiste du commerce international, le déplorait déjà il y a trois ou quatre ans devant notre assemblée, en remarquant que des milliers de personnes participaient à l'élaboration de traités, mais seulement des centaines au suivi de leur application.
Le Gouvernement partage cette préoccupation, comme il l'a montré dans le cadre de l'accord CETA et en rejetant l'accord avec le Mercosur. Avec l'Indonésie, il souhaite imposer des normes environnementales.
L'Union européenne semble désormais se préoccuper davantage du contrôle des mesures mises en oeuvre. Si nous partageons l'objectif du texte, des critiques de forme subsistent. Pourquoi ce texte n'a-t-il pas pris la forme d'une proposition de résolution européenne ? Cela aurait permis à la commission des affaires européennes d'en discuter et aurait évité quelques malfaçons, notamment l'obligation d'une décision unanime des États membres.
L'idée de barrières nous expose directement aux sanctions de l'OMC. Un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières contournerait l'obstacle du protectionnisme. Cependant, mon groupe votera ce texte, même si des améliorations restent possibles. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Guillaume Gontard . - Avec la nouvelle année, le groupe Les Républicains entame sa mutation écologique...
M. Stéphane Piednoir. - Ça part mal !
M. Guillaume Gontard. - La taxe carbone aux frontières européennes est déjà prévue par le green deal de la Commission. Quel est, dès lors, l'intérêt de ce texte ? Comment comprendre l'initiative du groupe Les Républicains alors que le Parti populaire européen (PPE) s'est prononcé au Parlement européen contre la taxe carbone ? On comprend mieux lorsqu'on envisage que la proposition de résolution prévoie le retour sur la taxation carbone au niveau national. Voici votre véritable objectif !
Cela reste très « vieille époque » : les États doivent, selon nous, participer au changement de modèle. Notre fiscalité environnementale souffre de trop d'exonérations. Elle pèse injustement sur les ménages ; c'est ce qui a justifié la colère des gilets jaunes.
Le groupe Les Républicains vote systématiquement contre toutes les contraintes environnementales. La dernière phrase de son texte montre combien le mythe d'une croissance sans fin reste tenace.
Vous libéralisez les services publics - le rail par exemple - alors qu'ils permettent de mettre en oeuvre des politiques environnementales efficaces. C'est un contresens que de promouvoir une politique environnementale tout en développant des politiques systématiquement tournées vers le profit.
Il faut au contraire dénoncer tous les accords de libre-échange pour les services publics et organiser une harmonisation fiscale et sociale pour lutter contre les dumpings environnementaux et sociaux, tout en maintenant un haut niveau de garantie européenne.
Pour l'ensemble de ces raisons, et des contradictions qu'il recèle, le groupe CRCE s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Joël Labbé applaudit également.)
M. Jean-Pierre Decool . - Le dispositif proposé par le groupe Les Républicains est soutenu par la France et les gouvernements successifs depuis le début des années 2010. Je le remercie, ainsi que les sénateurs Bruno Retailleau et Jean-François Husson, de nous permettre d'approfondir ce sujet fondamental.
Le Gouvernement soutient cette idée auprès de l'Union européenne et la promeut dans le cadre des accords internationaux, qui comportent désormais un volet social et environnemental. Ces valeurs ressortent de notre identité commune.
Le Pacte vert de la Commission européenne évoque une taxation carbone aux frontières : la France doit rester mobilisée pour qu'elle soit effectivement mise en place.
La semaine dernière le commissaire européen Thierry Breton, présentant les grandes lignes de son projet, a expliqué que le travail s'oriente « pour faire en sorte que nos concurrents paient le juste prix des normes en vigueur chez nous ». C'est important pour l'environnement comme pour notre compétitivité. La résolution rappelle que les entreprises vertueuses européennes pourraient être pénalisées par rapport au reste des puissances mondiales. Ces phénomènes de concurrence déloyale et de distorsion ne sont pas acceptables. Ce que l'on désigne comme des « fuites carbone » profite de l'absence du mécanisme juste, clair et efficace que nous appelons de nos voeux.
Quelle forme devra prendre le dispositif ? Il faudra trouver des compromis entre les États membres. En outre, la fiscalité relève de la compétence nationale : il faudra convaincre. Enfin, le dispositif devra respecter le principe de non-discrimination de l'OMC.
Nous souhaitons nous protéger économiquement et écologiquement, mais également inciter d'autres États à respecter l'accord de Paris. Les moyens financiers s'avéreront déterminants : il faudra reverser à cet effet les recettes de la taxe.
Convaincu de l'importance d'un tel dispositif pour l'Europe, le groupe Les Indépendants votera cette proposition de résolution. L'horizon 2050 commence dès aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)
Mme Valérie Létard . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Il y a sept mois, la mission d'information sur l'avenir de la sidérurgie rendait son rapport. Notre conclusion était claire : il est urgent de donner des armes aux producteurs français d'acier, face à une compétition mondiale féroce, à des concurrents aux prix toujours plus cassés et au défi immense de la transition environnementale.
La proposition de résolution répond à l'appel lancé par notre rapport. Elle vise justement à donner une arme concrète aux entreprises européennes, afin que l'ambition écologique - qui ne doit pas être remise en question - dépasse les frontières de notre marché intérieur.
L'industrie française consomme en effet de l'acier importé, alors que nous avons fermé 144 de nos 152 hauts-fourneaux en cinquante ans. La Chine produit la moitié de l'acier mondial, dans des fourneaux obsolètes et extrêmement polluants, mais elle ne connait ni quotas carbone ni taxation énergétique...
Malgré les efforts consentis, l'empreinte carbone de la France augmente. Les politiques publiques ne doivent pas tuer les entreprises les plus vertueuses ! Il faut assurer une concurrence plus équitable en obligeant, sous peine de taxe, nos partenaires commerciaux à produire de façon plus vertueuse. La réponse ne peut être qu'européenne.
L'action ne peut être qu'européenne. La réflexion mûrit ; la dynamique est bonne. L'exécutif doit continuer à rallier tous les États membres.
Madame la ministre, il faut que le temps de l'Europe soit celui de l'économie, pour que les entreprises vertueuses ne meurent pas. Il y va de la crédibilité de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)
MM. Stéphane Piednoir et Jean Bizet. - Très bien !
M. Jean Bizet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À mon tour, je remercie Jean-François Husson pour ce débat. Cette proposition de résolution est un appel à la vigilance et à l'action, alors que la Commission européenne ambitionne de faire de l'Europe un continent climatiquement neutre d'ici à 2050.
Atteindre la neutralité carbone demandera d'intenses efforts. La Commission dispose de leviers budgétaires et fiscaux pour favoriser la transition écologique.
Jean-Yves Leconte a présenté une communication à la commission des affaires européennes en novembre dernier sur ce sujet.
Le développement des technologies bas carbone représente un potentiel énorme pour des filières innovantes, compétitives et pourvoyeuses d'emplois. D'autres filières, qui subiront des contraintes nouvelles, auront besoin d'être accompagnées.
L'Europe n'évolue pas dans une bulle. Ses efforts n'auront qu'une portée limitée, si nous ne parvenons pas à lutter contre le dumping écologique au niveau international. Rappelons que les États-Unis, la Chine, l'Inde, le Brésil ou encore la Russie n'ont pris aucun engagement similaire à ceux de l'Europe, et que rien n'indique qu'ils le feront dans un avenir proche. Et l'Europe ne produit que 9 % des émissions de gaz à effet de serre.
L'Europe doit donc inciter ses partenaires à la rejoindre sur une trajectoire durable. Ne soyons pas naïfs ! Les Américains investissent et brevètent. Être vertueux ne suffira pas ; nous devons aussi nous montrer innovants.
Lors de sa venue à Paris la semaine dernière, au cours de laquelle il s'est entretenu avec le président Larcher, le commissaire européen au commerce, Phil Hogan, a indiqué qu'il entendait faire du respect de l'accord de Paris une clause essentielle des futurs accords commerciaux, c'est un point important qui témoigne de la volonté de cette Commission d'affirmer la puissance commerciale de l'Europe et d'utiliser les relations commerciales pour faire la norme au niveau mondial. Or, comme je le répète souvent, la norme fait le marché.
Les « fuites carbone », par lesquelles les productions génératrices de gaz à effet de serre sont transférées en-dehors des frontières, ne sont pas acceptables. Je fais miens les propos de Valérie Létard sur la filière de l'acier. La Chine et l'Indonésie nous prennent des parts de marché considérables. Il faut prendre des mesures compensatoires aux fuites carbone, car nos industries souffrent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. André Gattolin applaudit également.)
M. Jean-Yves Leconte . - La proposition de résolution des Républicains reste très générale, mais va dans le bon sens. Elle ne s'exprime que sur le principe et fait l'économie de la mise en oeuvre. Elle rejoint les dispositifs mis en place par la Commission européenne.
L'Union européenne prévoit un engagement de neutralité carbone d'ici à 2050. Cet engagement sera digne de Tartuffe si nous continuons à importer comme nous le faisons. Les importations françaises produisent en effet 60 % de nos émissions carbone. Les délocalisations polluantes sont un véritable fléau.
La mise en place d'un marché carbone en Chine depuis 2017 est à saluer. Veillons à l'élargir à d'autres pays.
Voulons-nous renverser les règles du commerce mondial ou bien proposer un mécanisme qui respecte les règles de l'OMC ? Les grandes industries devront-elles payer si l'on instaure un quota jusqu'en 2030 ?
Nous nous accordons sur un point : il est inacceptable de continuer à commercer avec des pays qui ne respectent pas l'accord de Paris.
Pour autant, le protectionnisme n'est pas l'avenir de l'écologie ; les circuits courts ne signifient pas forcément moins de CO2. Le commerce international n'est pas l'ennemi de l'environnement. L'essentiel reste de mettre les deux en adéquation.
Nous devrons nous montrer exigeants dans la future relation que nous instaurerons avec le Royaume-Uni, en matière d'environnement. (Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État, le confirme.)
Viserons-nous uniquement les grandes industries émettrices de carbone ou l'ensemble des biens ? Les principaux pays visés seront la Chine, le Moyen-Orient et la Russie.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Jean-Yves Leconte. - Je commence à conclure. (Sourires) Les ressources issues de cette taxation (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains s'impatientent.) devront être utilisées à bon escient.
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie le groupe Les Républicains pour cette proposition de résolution cohérente avec une certaine vision européenne : la Commission européenne souhaite faire de l'Europe le premier continent neutre en carbone à horizon 2050. Ce projet pourrait être vu comme un nouvel acte protectionniste d'une guerre commerciale qui privilégierait des intérêts nationaux ; il n'en est rien. Bien au contraire, un tel outil permettrait enfin à l'Union européenne de se doter d'une stratégie d'ensemble et de concilier ambition écologique et efficacité économique.
Une taxe aux frontières protègera les entreprises européennes de la concurrence déloyale. L'Europe devra poursuivre une politique ambitieuse si elle veut compenser l'impact d'une taxe sur les entreprises.
L'écologie n'est pas à opposer à la compétitivité ni à la justice sociale. Au contraire, une taxe carbone aux frontières pourrait avoir des objectifs redistributifs importants.
Je partage la position du nouveau commissaire à l'économie Paolo Gentiloni, qui veut exclure les investissements dans les énergies renouvelables des critères du pacte de stabilité - je l'avais proposé dans une proposition de résolution le 10 septembre dernier. La taxation aux frontières du carbone assurera au continent une crédibilité sur la scène internationale et traduira l'initiative retrouvée d'une Europe capable d'avoir « la politique de sa pensée » pour citer Paul Valéry. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À l'heure de la mobilisation face au changement climatique, nous devons réapprendre à produire ce que nous consommons, pour refuser de vivre dans ce monde absurde où l'on pêche du poisson en Norvège, on le traite en Chine et on le consomme en Europe !
M. Jean-François Husson. - Très bien !
M. Guillaume Chevrollier. - Dans une excellente tribune, le mathématicien et philosophe Olivier Rey indiquait récemment que le « no-borderisme » ne pourrait constituer la solution à des problèmes globaux que la « perte de la mesure locale » a engendrés.
Oui, nous devons sortir de la naïveté. L'Europe, première puissance commerciale du monde, doit imposer ses règles à ceux qui veulent commercer avec elle. Pour que la liberté d'échanger ait un sens, les règles doivent être les mêmes pour tous : compensation pour tous des quotas de CO2 notamment, car dans le cas contraire, nous favorisons une concurrence déloyale.
L'Union européenne a respecté les engagements du protocole de Kyoto, avec 5 % d'émissions de gaz à effet de serre en 2012 par rapport à 2010. Dans le même temps, la Chine augmentait ses émissions de 26 % ; idem pour les États-Unis.
En France, dont les émissions ne représentent que 1,2 % des émissions mondiales, la crise des gilets jaunes a été révélatrice de la nécessité d'un effort écologique qui doit être transparent pour ne pas se heurter à l'inégalité sociale. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)
M. Joël Bigot . - Le sujet est ô combien stratégique, pour l'économie comme pour le climat. Un point de sémantique s'impose : vous parlez de « barrières écologiques » comme on parlait autrefois de « barrières douanières ». Je comprends l'attrait de ce terme pour surmonter les réticences de nos partenaires européens, mais pourquoi ne pas utiliser plus directement celui de « taxe carbone » puisqu'il s'agit d'une mesure fiscale ?
Le levier fiscal est en effet un outil au service de la transition écologique et l'Union européenne doit s'en servir. Cette mesure serait d'équité concurrentielle. Le Conseil des prélèvements obligatoires confirme dans son rapport de septembre dernier que « les initiatives visant à doter l'Union européenne d'un mécanisme de protection commerciale à l'encontre des territoires non coopératifs devraient être soutenues. »
L'Ademe et l'OFCE soulignent cependant dans une étude la difficulté de mettre en place une comptabilité carbone fiable et efficace. Cette part de gaz à effet de serre cachée de notre consommation constitue « un angle mort de la lutte contre le réchauffement climatique » qui de surcroît ne permet pas de mettre en valeur les efforts des États européens à réduire leurs émissions.
En France, la diminution des émissions liées à la production s'est accompagnée d'une augmentation de celles issues des importations. D'où la nécessité de cette taxe. D'autant qu'une redistribution totale éviterait le développement de mouvement comme celui des gilets jaunes.
Une part du destin de la construction européenne se joue ici. Espérons que la taxe carbone n'aura pas le même avenir que celle sur les transactions financières ou que le veto climatique censé être introduit dans le CETA.
Y aura-t-il un fléchage de la taxe vers les ménages européens les plus modestes ? Nous souhaiterions connaître l'avis de la ministre.
Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans la fable de l'élu et du citoyen, on reproche au politique de promettre ce qu'il ne peut pas tenir, et à ses administrés de le croire naïvement.
En matière d'écologie, il faut bien admettre que l'on bat des records depuis quelque temps ! À grand renfort de communication, pour ne pas dire de pression, de nombreuses organisations à la respectabilité parfois contestable enjoignent les décideurs à s'engager sur des protocoles abstraits dont on ne mesure pas les effets, tandis que l'on se pâme devant une adolescente qui réussit à vendre le séchage généralisé des cours comme une action plus vertueuse que l'assimilation des rapports du GIEC... (M. Joël Labbé proteste.)
Les moyens financiers ne sont pas à la hauteur des accords de Paris, pourtant il n'y a pas de baguette magique !
La France émet 1 % des gaz à effet de serre, elle représente 1 % de la population mondiale, ce qui prouve que sa production énergétique est largement décarbonée - grâce au nucléaire.
Mais le rythme de progression mondiale des émissions n'est pas tenable, surtout si l'on prend en compte l'évolution démographique galopante et le développement de l'Afrique et de l'Asie, qui augmentent les besoins énergétiques.
En Europe même, les divergences sont importantes, avec des États qui sortent du nucléaire pour des raisons idéologiques mais remettent en service des centrales à charbon. Tous ne sont pas mobilisés de la même façon. Quand le Premier ministre norvégien vient parler énergies renouvelables à son homologue polonais, c'est comme si un élu du Maine-et-Loire venait parler communes nouvelles à un homologue corse. (Sourires)
Si rien n'est fait, nous atteindrons un point de rupture irrémédiable. Sans faire peser uniquement les changements sur des ruraux soumis aux injonctions d'ultra-urbains prenant les transports en commun quand ces derniers ne sont pas en grève, nous devons user de la masse critique de l'Europe pour agir. C'est le sens de la proposition de résolution de MM. Jean-François Husson et Bruno Retailleau, que je remercie pour cette solution enfin concrète. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes . - Je m'associe à ces remerciements pour cette proposition de résolution déposée quelques jours avant la COP25 et la présentation du pacte vert de la Commission européenne.
Je me félicite de cette mobilisation transpartisane. Sur toutes les travées, on a pris acte de l'urgence, comme en témoigne ce débat de qualité.
L'impression exprimée par tous est que la COP25 a été décevante. Elle devait être celle de l'urgence à agir, mais des États ont bloqué le processus. C'est cependant pendant cette COP que la Commission a pu présenter son fameux green deal.
Il restait à adopter à Madrid les dernières règles, concernant les échanges d'émissions sur un marché, en particulier. Certains États proposaient un mauvais accord, pour financer des projets prétendument de transition mais sans réelle garantie pour le climat. La Commission a eu le mérite de le repousser ; l'absence d'accord est préférable à un mauvais accord.
La COP26 à Glasgow sera l'occasion pour les États - et pour l'Union européenne - de présenter des plans plus ambitieux.
Il faut agir plus vite et ensemble. Nous le voyons chaque été : les canicules se multiplient, comme les incendies en Australie, Californie, Amazonie... Que dire de la montée des eaux qui ronge nos côtes, des inondations, des tempêtes et des typhons ? Le coût humain, politique, économique pèse lourd. Si nous ne faisons rien, il pèsera encore plus. Grâce à l'engagement pris au Conseil européen du 9 décembre dernier, l'Europe sera le premier continent neutre en émission de CO2 en 2050. C'est un succès pour la France ! Nous étions 3 en mars dernier, puis 8 en mai et finalement 28 en décembre... Cet objectif est déjà inscrit dans la loi française. Soyez-en remerciés. Il faudra accompagner les régions les plus touchées, là où les industries sont fortement émettrices.
Avec le Président de la République, nous avons rappelé la souveraineté de chaque État sur ses choix énergétiques, en citant nommément le nucléaire. En ce moment même, la Commission présente son mécanisme de financement d'une transition juste devant l'assemblée plénière du Parlement européen. Cela suppose un accompagnement économique et social des régions les plus touchées et des acteurs économiques les plus concernés. L'ambition française est que 30 % du budget européen soit consacré à la lutte contre le changement climatique et 10 % à la préservation de la biodiversité et à la lutte contre la pollution.
Mais cela n'avancera pas si nous délocalisons les émissions, comme le souligne votre exposé des motifs, et si nous importons toujours plus de biens fortement carbonés. Il nous faut retrouver de la cohérence.
Nous devons continuer à améliorer nos efforts à l'intérieur. Nous voulons ainsi réformer le marché du CO2, avec un prix plancher à 25 euros par tonne de CO2.
M. Jean Bizet. - Pas moins !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - La Commission a présenté une trajectoire crédible : le pacte vert, qui met en cohérence l'ensemble des politiques publiques européennes. C'est un document salutaire. Nous aurons ici des échanges bientôt pour le préciser.
Nous sommes satisfaits que la Commission ait retenu comme vous le faites des barrières écologiques aux frontières. Certains pensaient que c'était trop ambitieux. Il faut maintenant poursuivre nos efforts avec nos partenaires européens et extra-européens, dont certains voient dans notre position une violation des règles de l'OMC.
Il faut une solution techniquement fiable pour mesurer le contenu carboné de nos importations. Dans un premier temps, nous proposons de concentrer ce mécanisme sur les biens simples tels que l'acier, l'aluminium, le ciment, le papier ou le verre dont nous connaissons bien les lieux et le contenu en CO2. Les recettes doivent devenir des ressources propres de l'Union européenne pour assurer la transition. Vous dites souvent que l'eau doit payer l'eau. C'est le même principe. Cela ressemble à une taxe mais ce n'est pas une taxe, mais une extension du marché des ETS, ou emission trading system, européen.
Si le bien vient d'un pays où il y a un marché du carbone, le prélèvement ne sera que de la différence entre les deux prix.
Pour parvenir à la neutralité climatique en 2050, particuliers et entreprises devront faire des efforts. Pour que ce soit acceptable, il faut que chacun y soit soumis.
D'autres ressources propres sont sur la table : taxe sur le plastique non recyclé ou sur les GAFA.
Il était primordial que je me rende à Prague. J'ai eu une rencontre avec le groupe de Visegrád - Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Pologne - dont les demandes sont légitimes et viennent de loin. Leur économie serait plus impactée que la nôtre. Or ils ont accepté de signer avec la France dix jours avant le Conseil européen une déclaration commune sur nos intentions.
Je serai dans quinze jours à Copenhague pour une réunion avec mes collègues danois, finlandais et suédois.
Il faut rassurer les acteurs concernés et mener un travail précis.
Monsieur le sénateur Leconte, vous m'interrogez sur le Brexit : l'Union européenne vient de se fixer un objectif ambitieux, qui impose de nouvelles contraintes. Nous attendons que les Britanniques nous disent ce qu'ils comptent faire : prennent-ils les mêmes engagements ? C'est un point essentiel bien identifié par le Président de la République, par Ursula von der Leyen et par Michel Barnier. La réciprocité est importante.
Sur le plan diplomatique, nous continuerons à jouer la carte du multilatéralisme. En ce moment, Phil Hogan signe un accord avec les États-Unis et le Japon, sur la Chine, la propriété intellectuelle, la réciprocité.
Nous continuerons à chercher à convaincre les pays du G20 de la nécessité d'un prix du carbone mondial. J'échangerai avec vous au fur et à mesure de nos négociations. (Applaudissements des travées du groupe LaREM à celles du groupe Les Républicains)
La proposition de résolution est adoptée.
(Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)
La séance, suspendue à 16 h 50, reprend à 16 h 55.