SÉANCE

du mercredi 30 octobre 2019

14e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Éric Bocquet, Mme Jacky Deromedi.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je tiens à excuser M. le Premier ministre qui ne peut être présent. Il m'en a informé.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.

Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

Carte judiciaire (I)

M. Jean-Pierre Sueur .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Madame la garde des sceaux, vous avez déclaré que votre seule boussole était l'intérêt général et l'intérêt du justiciable. Je crains que vous n'ayez égaré la boussole... (Sourires)

Nous avons appris l'existence d'un document issu de votre cabinet qui met scandaleusement en cause la neutralité du service public.

Madame la ministre, connaissiez-vous l'existence de ce document ? Le Premier ministre vous l'avait-il demandé ? Avez-vous diligenté une enquête ? Quelles sanctions seront prises contre cette atteinte inadmissible à la neutralité du service public ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains ; quelques applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Oui, je le revendique, ma boussole est l'intérêt du justiciable et l'intérêt général. (Protestations à droite, applaudissements sur les travées du groupe LaREM) La procédure repose sur des critères objectifs et transparents, et sur une analyse politique qui prend en compte des critères économiques, géographiques, sociaux...

M. François Bonhomme.  - Et la question ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - ... Je réfute tout élément partisan dans l'élaboration des décisions publiques. (M. François Patriat applaudit.)

M. Philippe Dallier.  - D'où vient la note ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous n'avez répondu à aucune de mes questions ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains) Vous croyez que c'est habile, alors que c'est consternant, car cela met en doute l'impartialité de la justice dont vous avez personnellement la charge. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et CRCE)

État du risque terroriste en France

M. Dany Wattebled .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants) Avec le portrait d'un chien, le président Trump a annoncé la mort d'un calife. Mais il y a toujours quelqu'un pour être calife à la place du calife ! (Sourires)

Le groupe terroriste qui contrôlait l'Irak et la Syrie a perdu du terrain mais des djihadistes étrangers sont nombreux en prison, dans ces zones troubles. Ils pourraient revenir en France. Le risque terroriste n'a pas disparu. Monsieur le ministre de l'Intérieur, quel est l'état du risque terroriste en France et quelles mesures prenez-vous pour le prévenir ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - Nous vivons à chaque instant avec un risque terroriste élevé, depuis 2013. Nous l'avons vécu à Trèbes, à Strasbourg ou à la préfecture de police de Paris. Le risque, cependant, est devenu surtout endogène, alors qu'il était d'abord essentiellement exogène.

L'intervention américaine a neutralisé un chef terroriste. J'ai donné immédiatement des instructions pour éviter tout rebond sur notre territoire.

Vous m'interrogez sur les Français détenus dans différentes prisons de Syrie. Des femmes ne présentant pas le risque terroriste le plus élevé ont été libérées. Nous veillerons à ce que tous les returnees il y en a eu environ 300 jusqu'à aujourd'hui - soient interpellés, judiciarisés et sanctionnés, comme ils le sont jusqu'à présent. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Dany Wattebled.  - Merci de vos explications. Redoublons de vigilance par les temps qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)

Annulation de conférences à l'université (I)

M. Gérard Longuet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question s'adressait à M. le Premier ministre, car elle porte sur la cohérence gouvernementale dont le Premier ministre a la responsabilité. Mme Sylviane Agacinski a été privée du droit de s'exprimer par la présidente de l'Université Montaigne de Bordeaux. Donnons acte à Mme Schiappa d'avoir sauvé l'honneur du Gouvernement en exprimant son désaccord. La ministre de l'Enseignement supérieur a répondu de façon ambiguë qu'un forum serait organisé. Souhaitons que les minorités qui avaient refusé celui de Sylviane Agacinski l'acceptent !

Quid des réactions des autres ministres, dont le ministre de l'Intérieur et le ministre de la Culture ?

À l'université Panthéon-la Sorbonne aussi, une formation contre la radicalisation organisée par Mohamed Sifaoui a été supprimée. Je n'ai pas non plus entendu le ministre de la Culture se désolidariser de ceux qui tentent de faire taire Charb. En outre, le journaliste Éric Zemmour a été privé d'antenne. (Protestations vives sur les travées des groupes CRCE et SOCR)

Vous respectez le droit d'expression seulement quand les minorités vous en donnent l'autorisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et huées sur les travées des groupes SOCR et CRCE)

M. David Assouline.  - C'est honteux !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - Le problème est bien réel. La liberté d'expression est un droit. L'université est née de l'humanisme, fondé sur la liberté d'expression. Ce qui s'est passé à Bordeaux et à la Sorbonne est inacceptable et doit nous alerter. Un nouveau maccarthysme se développe et pas seulement en France. Mme Schiappa s'est inscrite dans les pas de Voltaire, pour la liberté d'expression - lui à qui l'on doit cette citation : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».

L'autonomie des universités, cependant, donne légitimité aux présidents d'université de prendre les décisions qu'ils souhaitent.

Le Gouvernement condamne dans son ensemble ce qui s'est passé à Bordeaux et à la Sorbonne. M. Sifaoui se bat contre la radicalisation. Nous déplorons que sa formation ne puisse avoir lieu. Nous n'en resterons pas là. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE ; Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Annulation de conférences à l'université (II)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ma question prolonge celle de Gérard Longuet. Le report de la formation de M. Sifaoui, comme l'annulation de la conférence de Sylviane Agacinski sont inquiétants.

Les organisateurs invoquent des « menaces violentes ». Comment en sommes-nous arrivés là ? Cette terreur intellectuelle s'apparente à une prise d'otages. Trouvez-vous normal que les présidents d'université se soient sentis obligés de céder aux menaces de minorités violentes ?

Quelles mesures concrètes prendrez-vous pour garantir la liberté d'expression et un débat d'idées serein ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - Frédérique Vidal comme l'ensemble du Gouvernement s'oppose à ces pratiques extrémistes contraires à la liberté d'expression et aux traditions universitaires. Il n'y a aucun laxisme. Après l'annulation d'une représentation des Suppliantes d'Eschyle à la Sorbonne, la ministre de l'Enseignement supérieur et le ministre de la Culture ont assisté à ce spectacle lors d'une représentation ultérieure, pour bien marquer le soutien du Gouvernement.

À Bordeaux, comme à Paris I, la conférence et la formation auront lieu. Les présidents d'université sont dans cette situation en raison de ceux qui menacent de rompre l'ordre public. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Plus le droit de débattre, bientôt plus le droit de penser ? Le Gouvernement doit faire preuve de la plus grande vigilance sur ce sujet : nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Situation à la SNCF

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Le 16 octobre dernier, à la suite d'un accident dans les Ardennes, des centaines de conducteurs de trains ont fait valoir leur droit de retrait. Depuis, les cheminots du technocentre de Châtillon ont cessé le travail en raison d'un projet de suppression de douze journées de repos compensatoire, retiré depuis lors.

Ce mouvement, en pleines vacances scolaires, a provoqué la colère de millions d'usagers. Le droit de grève, que personne ne conteste, doit respecter des règles pour limiter la gêne, notamment en prévenant les usagers. Tout cela a lieu alors que se profile une grève le 5 décembre contre la réforme des retraites qui, elle, a été annoncée.

Comment envisager ces réformes ? Quelles mesures pour un dialogue social de qualité ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports .  - La SNCF connaît des transformations profondes, sources d'inquiétude. Je fais toute confiance à Jean-Pierre Farandou, qui prend sa tête, pour mener un dialogue social de qualité.

Je recevrai, demain, les syndicats avec Jean-Paul Delevoye pour évoquer la transition vers le régime universel de retraite. Les mouvements de ces dernières semaines n'ont respecté ni la lettre, ni l'esprit de la loi de 2007, au détriment des usagers et des clients de la SNCF.

Les mesures qui s'imposent seront prises, d'autant plus que le projet de réforme du technocentre de Châtillon a été retiré par la directrice régionale. Les jours de grève ne seront pas payés. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Agence nationale de la cohésion des territoires

M. Éric Gold .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat interrogera la semaine prochaine Yves Le Breton, candidat à la tête de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Auteurs de la proposition de loi qui a conduit à la création de cette agence, les membres de mon groupe sont attentifs à son évolution et au respect de l'esprit qui a présidé à sa création. Il s'agit d'un guichet unique à disposition des élus locaux dont la vocation est de leur faciliter la vie. Il n'est pas question d'ajouter une couche au millefeuille institutionnel.

Cette proposition de loi avait pour objet de faciliter la vie des territoires grâce à un service public pleinement utile. Les députés ont édulcoré le texte, fragilisant l'agence. Les élus locaux se demandent à quoi servira l'agence.

Mme Gourault a répondu à beaucoup de questions sur ce sujet mais les incertitudes demeurent. Où en sont les textes réglementaires ? L'ANCT soutiendra-t-elle les projets des communes les plus fragiles ou ne sera-t-elle qu'un relais au service du Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement .  - En juillet 2017, nous défendions avec M. Mézard le projet de création de l'ANCT. Pas moins de 200 amendements ont été adoptés.

Tout l'esprit du texte initial doit être préservé. L'ANCT interviendra en soutien des territoires les plus fragiles et déclinera aussi les grandes politiques publiques telles qu'Action coeur de ville ou France Mobile. Les préfets seront les représentants dans les territoires. Les collectivités territoriales pourront saisir directement l'ANCT, qui doit rester une agence de projets au service des collectivités et ne pas devenir une strate supplémentaire du millefeuille institutionnel. Les textes réglementaires, enfin, sont en cours de rédaction - le décret est au Conseil d'État. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Ligne Perpignan-Rungis

M. Pascal Savoldelli .  - Des mois durant, nous n'avons cessé de vous alerter sur la ligne Perpignan-Rungis qui transporte 400 000 tonnes de fruits et légumes. Et pourtant, ce train a disparu ! Vous nous parlez d'urgence écologique mais remettez sur la route 25 000 camions par an, accélérant la pollution et les nuisances. (On en convient à droite.)

Grâce à l'action d'élus - certains que je salue ici - un groupe de travail a été créé. Il y a eu quinze rencontres et visio-conférences depuis mars 2019.

Monsieur le ministre, vous engagez-vous oui ou non pour que cette ligne soit ouverte dès novembre 2019 ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains)

M. Jean Bizet.  - Très bien !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports .  - Le service a été dégradé, les clients en ont été insatisfaits et le volume transporté par ce train a diminué. L'évolution tient pour beaucoup à la grande distribution : les deux tiers des wagons étaient transbordés dans des camions dès leur arrivée pour aller alimenter des centrales d'achat - où l'on a privilégié le transport par camion.

Mme Borne et moi avons demandé à la SNCF d'aménager les horaires et de changer les wagons. Cela a été en partie réalisé. Le dernier enjeu est de mettre des marchandises dans ce train dans les deux sens.

Les intempéries des 22 et 23 octobre ont coupé la ligne entre Sète et Béziers.

M. Pierre-Yves Collombat.  - C'est pas de chance !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Une réunion se tiendra cet après-midi et demain pour l'adoption de mesures concrètes.

M. Pascal Savoldelli.  - L'État est responsable des infrastructures. Le train consomme six fois moins d'énergie et pollue neuf fois moins que le fret routier. C'est clair !

Maintenant, il faut rouvrir cette ligne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées des groupes SOCR et Les Républicains)

Carte judiciaire (II)

M. Antoine Lefèvre .  - Comme le président Sueur, je vous parlerai de votre boussole, madame le garde des Sceaux. L'email adressé par vos services au cabinet du Premier ministre montre que dans les regroupements des cabinets d'instruction, un tri sera opéré entre les villes en fonction du score du parti présidentiel. Les villes seront de véritables cibles électorales !

Comment peut-on envisager de pénaliser les villes qui ne votent pas comme il faut ? Comment peut-on justifier de sanctions des territoires en fonction de leur vote ? C'est un manquement à la séparation des pouvoirs. La justice doit être le service public le plus irréprochable.

Pouvez-vous nous assurer d'une totale impartialité dans le regroupement des pôles de l'instruction, sur des critères objectifs ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Oui, je peux vous assurer d'une politique parfaitement rigoureuse. La procédure est inscrite dans la loi. Les critères sont simples, clairs et objectifs. Le nombre des dossiers traités sur cinq ans est pondéré par la prise en compte d'une réalité géographique, socio-économique et territoriale. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains)

Il est écrit dans la loi que les conseils de juridiction où siègent magistrats, avocats et élus seront systématiquement consultés. Nous en sommes aux études préliminaires.

Le mail de cabinet à cabinet que vous évoquez est d'une écriture maladroite et inadaptée, je l'ai dit. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains) Il ne correspond pas à nos principes éthiques. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains) Seul compte l'intérêt général, c'est ce qui est écrit dans la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Antoine Lefèvre.  - Vous tentez de minimiser les faits mais le malaise demeure. Vos critères sont bien politiciens puisque vous évoquez la couleur des élus !

L'an dernier, sur ma proposition, le Sénat a approuvé les crédits de votre ministère car il avait confiance en vous. Aujourd'hui, ce lien de confiance est rompu et la commission des finances, qui s'est réunie hier, a décidé de ne pas approuver vos crédits pour 2020. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et sur quelques travées du groupe CRCE)

Difficultés du monde agricole

Mme Gisèle Jourda .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le ministre de l'Agriculture est revenu la semaine dernière sur les dispositions budgétaires iniques relatives aux chambres d'agriculture, contre lesquelles nous nous étions tous mobilisés. C'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Les inquiétudes demeurent de voir réapparaître ces coupes lors de la conclusion des contrats d'objectifs. Or ces corps consulaires accompagnent des professionnels confrontés à des défis sans précédent.

La loi EGalim n'a pas eu les effets escomptés. Le ruissellement annoncé n'a pas permis de revaloriser les revenus, il a même pénalisé des PME alimentaires. La réforme de l'ICHN a laissé de nombreux territoires sur le carreau, comme l'Aude et le Gers. Que dire des inquiétudes grandissantes sur l'avenir de la PAC ? Un tiers des agriculteurs gagne moins de 350 euros par mois. Comment assurer dans ces conditions le renouvellement des générations ? Le défi est immense, sachant qu'un tiers des exploitants partira à la retraite avant 2030. Et quelle retraite...

Que dites-vous aux paysans qui ont tant espéré du ruissellement promis par la loi EGalim ? Comment contraindre la grande distribution à mieux répartir la valeur ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur certaines travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Nous avons souhaité moderniser le réseau des chambres d'agriculture. C'est pourquoi nous avions proposé une baisse de 45 millions d'euros du produit de la taxe affectée. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains) Après avoir entendu les parlementaires, le Gouvernement a retiré cette mesure du projet de loi de finances, au bénéfice d'une large concertation qui prendra en compte la péréquation entre chambres et la filière bois.

La loi EGalim vise à mieux répartir la valeur ajoutée ; pour la première fois, la construction des prix repose sur le coût de production. Aux acteurs de vérifier si les termes en sont bien respectés. S'il y a des avancées dans la filière lait et porc, le compte n'y est pas pour la filière viande bovine... Nous maintenons la pression et les contrôles.

Les accords commerciaux préoccupent les agriculteurs, et notamment les éleveurs. La France a une vocation exportatrice. Je rappelle que la négociation sur le CETA a été lancée sous Nicolas Sarkozy, actée sous François Hollande ; nous en sommes à la phase de ratification, dans la continuité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Rachid Temal.  - Ce n'est jamais de votre faute !

Réforme des retraites

M. Philippe Pemezec .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question est adressée au Haut-Commissaire à la réforme des retraites. La semaine dernière, vos propositions ont été désavouées par le président de la République ; votre réforme est repoussée aux calendes grecques. La fin des régimes spéciaux ne fait pas l'unanimité au sein du Gouvernement ; vous avez dit que limiter la réforme aux seuls nouveaux entrants n'était pas votre tasse de thé. Seule certitude, les pensions ne seront pas revalorisées en 2020.

Le temps est venu de tomber le masque, de dire la vérité aux Français, sans « en même temps », sans ménager la chèvre et le chou. Craignez-vous de revivre les grèves de 1995 ?

Êtes-vous prêt à supprimer immédiatement les régimes spéciaux, à aligner les régimes du public et du privé, sans décaler la réforme, quitte à la rendre progressive ? Allez-vous reconnaître que notre système de retraite par répartition ne survivra que si nous allongeons la durée de cotisation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. David Assouline s'exclame.)

M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé   - Depuis deux ans, mon travail a consisté à élaborer un système universel de retraite reposant sur des principes très clairs, avec les mêmes règles pour tous : à carrière identique, cotisations identiques et retraite identique. Nous supprimons les régimes spéciaux, avec quelques dérogations (« Ah ! » à droite) que vous partagez : les militaires, les fonctionnaires régaliens, les indépendants, les commerçants notamment. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. François Bonhomme.  - Émouvant !

M. Rachid Temal.  - Universel, dites-vous ?

M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux retraites, délégué auprès de la ministre des solidarités et de la santé.  - Tout cela est très clair. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains) Les Français soutiennent ce modèle car ils veulent de l'équité ; ils veulent aussi connaître les conséquences, catégorie professionnelle par catégorie professionnelle. Quelque 350 réunions sont programmées.

Nous ne supprimons pas la répartition, nous avons le niveau de répartition le plus élevé des pays développés ! C'est le coeur de la solidarité intergénérationnelle, à laquelle je vous sais attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. Philippe Pemezec.  - Tout cela reste bien flou. Ce va-et-vient permanent est anxiogène. Seule certitude : les pensions baisseront en 2020. Le vrai courage eût été d'admettre qu'on ne peut maintenir le niveau des pensions qu'en augmentant le temps de cotisation, comme le font nos voisins. Le président de la République veut aller au bout de la réforme, mais laquelle ?

Formation des infirmiers de bloc opératoire

Mme Sonia de la Provôté .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Depuis 2015, un décret habilite exclusivement les infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État (Ibode) à réaliser certains actes en chirurgie : aide à l'exposition, à l'hémostase et à l'aspiration. Cela s'applique au 1er janvier 2020.

En réalité, ce sont des infirmiers diplômés d'État qui font fonction d'Ibode dans la majorité des blocs. Sans eux, pas de chirurgie. Les objectifs de formation sont très loin des besoins, malgré une légère hausse des inscriptions, avec 627 inscrits en 2018. La Direction générale de l'offre de soins (DGOS) fondait beaucoup d'espoir sur la validation des acquis de l'expérience (VAE) mais c'est un échec, tant la procédure est lourde, chère et chronophage.

Se greffe la question du statut et de la valorisation salariale pour rendre la profession plus attractive. Il y a urgence. Si les conditions d'accès et le calendrier sont maintenus en l'état, l'activité chirurgicale sera paralysée. Les patients et les praticiens n'ont pas à subir les effets de ce noeud administratif. Quelles solutions ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Nous partageons votre souci de continuité de l'activité opératoire. Le décret du 27 janvier 2015 attribue aux Ibode de nouveaux actes qualifiés d'exclusifs. Après un recours, le Conseil d'État en a différé l'entrée en vigueur et un dispositif transitoire a été mis en place, fondé sur une validation des compétences par une commission régionale. Cela maintient la possibilité pour des infirmiers expérimentés de réaliser ces actes, à titre dérogatoire, au regard de leurs compétences. Dès le mois prochain, nous évoquerons, avec l'ensemble des partenaires, la question de la démographie de la profession et de l'attractivité des métiers. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Mme Sonia de la Provôté.  - Il y a un problème d'attractivité et d'accès aux soins pour tous. Les moyens thérapeutiques sont de plus en plus chers, la population vieillit. J'attends que votre Gouvernement l'assume et l'affirme. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Qualité de l'air

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dure semaine pour les champions autoproclamés de l'écologie ! Jeudi, la Cour de justice de l'Union européenne a condamné la France en manquement pour avoir dépassé les seuils limites de dioxyde d'azote de manière systématique et répétée. Le même jour était publié un rapport accablant sur les émissions de CO2, la dégradation de la biodiversité et de la qualité des eaux souterraines. En parallèle, votre politique fiscale privilégiant une écologie punitive a fait flamber le pays l'an dernier.

Dans un contexte de changement climatique, pas moins de trois ministres de l'Écologie se sont succédé en moins de deux ans. Allez-vous mener une politique disruptive ou mettre vos pas dans ceux de MM. Hulot et de Rugy ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports .  - Veuillez excuser Mme Borne. Le Gouvernement a pris acte de l'arrêt du 24 octobre de la Cour de justice. Le problème ne date pas d'hier. Entre 2000 et 2018, les émissions de dioxyde d'azote ont baissé de 54 %, le nombre d'agglomérations concernées a été divisé par deux. Cela ne suffit pas. La mobilisation du Gouvernement passe par des mesures structurelles : accompagnement au renouvellement du parc automobile, bornes électriques, aide au changement des chaudières, aides de l'Ademe pour les collectivités territoriales.

Parmi les mesures contenues dans la loi d'orientation des mobilités, citons le déploiement des zones à faibles émissions dans les métropoles, le plan Vélo, le forfait mobilité durable pour les trajets du quotidien ou la réduction des émissions des navires à quai grâce au plan « Escales zéro fumée ». Le Gouvernement agit pour répondre aux conséquences dramatiques de la pollution. (M. Alain Richard applaudit.)

M. Jean-François Husson.  - Commission européenne, Cour de justice, Conseil d'État : trois cartons jaunes, vous êtes clairement hors-jeu, et nous ne sommes pas loin du carton rouge.

Vous changez brutalement les règles sur la prime à la conversion, vous privez les intercommunalités des moyens d'assumer leurs compétences. Vous excluez la moitié des Français du crédit d'impôt pour la transition énergétique, alors que les objectifs de rénovation sont loin d'être tenus. Enfin, vous n'accompagnez pas nos agriculteurs, victimes de l'agribashing, en ne leur assurant pas un revenu décent.

Plutôt que verdir votre politique, vous vous contentez de la vernir. C'est trop peu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Proches aidants

M. Martin Lévrier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM) En France, 8 à 11 millions de personnes soutiennent un proche en perte d'autonomie, soit une personne sur six. En 2050, il y aura trois fois plus de personnes âgées de plus de 80 ans.

Un aidant, c'est Claude, qui accompagne sa mère au quotidien, pour les courses, la toilette ; c'est ce papa qui demande un temps partiel pour s'occuper de son fils Enzo, handicapé à 80 %. Il sacrifie une carrière, une retraite, une vie sociale à un amour inconditionnel.

Madame la ministre, vous êtes concernée en tant que maman, militante associative de longue date. Votre stratégie en faveur des proches aidants incarne l'ambition d'une société plus solidaire. Elle se traduit par un financement de 400 millions d'euros sur trois ans. Pouvez-vous détailler les mesures qui permettront de reconnaître le rôle des aidants et d'améliorer leur qualité de vie ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées .  - Monsieur Lévrier, je vous souhaite tout d'abord un bon anniversaire. (Exclamations et applaudissements) Une étape importante a été franchie avec la création du statut de proche aidant. Nous avons conçu avec Agnès Buzyn la stratégie « Agir pour les proches aidants » pour rompre leur isolement, leur ouvrir de nouveaux droits sociaux, améliorer l'articulation avec la vie professionnelle, agir pour leur santé, développer et diversifier les solutions de répit, épauler les 500 000 jeunes concernés.

Des mesures figurent déjà dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Nous avons créé un congé de proche aidant pour trois mois, plus accessible, fractionnable, sans condition d'ancienneté ; nous avons mis en place des solutions de relayage, d'accueil temporaire, de vacances adaptées, de défiscalisation du dédommagement de l'APCH, applicables dès 2020.

Nous devons être solidaires de ceux qui le sont déjà. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Nassimah Dindar applaudit également.)

Vitesse sur les routes départementales

M. Jean-Marc Boyer .  - Voilà dix-huit mois que le Premier ministre a, seul et sans concertation, imposé la limite de vitesse à 80 km/h sur les routes départementales. Oui, 50 % des accidents mortels surviennent sur les routes départementales secondaires, mais les causes sont ailleurs, dans les grands excès de vitesse, l'alcool, les stupéfiants, l'imprudence. La mesure n'a pas sauvé des vies. C'est un échec, à tel point que vous renvoyez maintenant la responsabilité de la décision aux présidents de départements. Ceux qui souhaiteraient revenir aux 90 km/h sont freinés par les conditions drastiques élaborées par le Conseil national de la sécurité routière, qui n'a jamais dû dépasser le périphérique parisien. Trouver dans nos campagnes une portion de route de dix kilomètres sans carrefour, sans habitation, sans arrêt de transport, sans engins agricoles, c'est impossible !

Déjà, 43 départements veulent repasser à 90 km/h, cinq rester à 80 km/h, et 53 s'inquiètent et hésitent. Une limitation de vitesse variable d'un département à l'autre n'est pas gage de sécurité. Faites cesser l'hypocrisie, la guéguerre des experts, les querelles stériles qui fracturent le territoire : revenez sur le décret du 15 juin 2018 et les élus sauront prendre leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur .  - Quelque 3 248 personnes sont mortes sur les routes l'an dernier. C'est beaucoup trop, mais historiquement bas. Tous les experts, ne vous en déplaise, disent que c'est lié à la baisse de la vitesse. (On le conteste sur les travées du groupe Les Républicains.)

Ce n'est pas parce qu'on affirme quelque chose que c'est une vérité. (Exclamations à droite) Écoutez, sans stigmatiser. Je vous invite à assister aux travaux du Conseil de la sécurité routière, organisme indépendant dont les membres ont travaillé sur ces thématiques, souvent dans le cadre d'un engagement associatif. Jacques Chirac avait fait de la prévention routière un grand chantier. (Exclamations irritées sur les travées du groupe Les Républicains)

On peut estimer que gagner une minute sur son trajet pendulaire de vingt minutes est essentiel. On peut aussi considérer que les 116 vies sauvées l'an dernier méritaient nos efforts.

Convainquez donc les 53 départements qui hésitent à repasser à 90 km/h, puisqu'il n'y a plus de directive nationale. Le Gouvernement appliquera la mesure que vous avez introduite par amendement, votée par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Pauvreté et inégalités sociales

M. Roland Courteau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) La politique économique menée depuis 2017 fait-elle augmenter le nombre de pauvres ? Misère et inégalités s'accentuent, selon l'Insee. Près de 15 % de la population, soit 9 millions de personnes, a des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, fixé à 1 050 euros par mois. C'est la mère qui n'a pas de quoi nourrir ses enfants, le retraité isolé qui ne peut pas se chauffer, l'étudiant sans ressources.

La hausse des inégalités s'explique par la très forte hausse des revenus des dividendes. Les ménages les plus aisés détenteurs d'actions profitent du prélèvement forfaitaire unique, sans même parler de la réforme de l'ISF. Les grands gagnants du pouvoir d'achat sont les ménages aisés. (M. Julien Bargeton le conteste.)

Les quelques coups de pouce aux minima sociaux ne compensent pas les coups de rabot appliqués aux allocations familiales, aux aides au logement ou aux retraites.

L'Observatoire des inégalités constate à raison que la stratégie de lutte contre la pauvreté n'est pas à la hauteur des enjeux sociaux. Il est temps de changer de dimension. Est-ce dans vos intentions ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Le Gouvernement n'a pas accru la pauvreté dans notre pays. L'Insee ne fournit que des estimations et ne prend pas en compte la baisse des loyers dans le parc HLM. (MClaude Bérit-Débat ironise.)

Les seules données consolidées dont nous disposons sont celles des années 2010 à 2017. En deux ans et demi, le Gouvernement a relevé les minima sociaux : augmentation de 100 euros pour le minimum vieillesse comme pour l'allocation aux adultes handicapés, revalorisation de la prime d'activité, reste à charge zéro, complémentaire santé à moins d'un euro pour les plus vulnérables, suppression des avances de frais pour les assistantes maternelles, repas de cantine à moins d'un euro dans les communes fragiles, garantie du versement de la pension alimentaire.

Nous travaillons avec l'ensemble des acteurs sur le périmètre du futur revenu universel d'activité et sur le service public d'insertion, car quand on le peut, c'est par le travail que l'on sort durablement de la pauvreté.

Notre stratégie est concertée, sa mise en oeuvre repose sur les acteurs, à commencer par les territoires.

Je vous invite à lire les annexes du projet de loi de finances, qui montrent une hausse du premier décile de 2,3 % pour 2020, contre 0,9% pour les deux derniers déciles. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

La séance est suspendue à 16 h 10.

présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente

La séance reprend à 16 h 30.