Réforme de la PAC (Suite)

M. le président.  - Nous reprenons la suite de la discussion de la proposition de résolution au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme de la politique agricole commune, à la demande de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes.

Discussion générale (Suite)

Mme Colette Mélot .  - (M. Pierre Louault applaudit ; quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) À quelques mois des élections européennes, c'est le moment de rappeler toute l'importance de l'agriculture et des agriculteurs en France et en Europe. La PAC devra être défendue par les futurs députés européens français dès leur entrée en fonction.

Mis en suspens en raison du renouvellement des institutions, les débats européens n'ont pas abouti à un vote en séance plénière. Seule la commission de l'agriculture a adopté une position équilibrée qui tente de mieux refléter les attentes des agriculteurs et des consommateurs, comme le Sénat avec cette résolution. Du côté du Conseil, nous ne pouvons que constater les divisions profondes entre États membres. La France devra se montrer plus que jamais convaincante pour obtenir le maintien d'une PAC ambitieuse. Il faut éviter son détricotage lors des négociations à venir entre le Parlement européen et le Conseil européen. Nous ne pouvons pas accepter, en particulier, sa renationalisation, pas plus qu'une baisse de 5 % de son budget. Soutenons davantage nos agriculteurs confrontés à des normes de plus en plus exigeantes, à une concurrence de plus en plus rude, aux nouvelles demandes des consommateurs ainsi qu'aux enjeux climatiques et environnementaux. Accompagner l'agriculture dans sa transition réclame des moyens adéquats.

Autres objectifs de la future PAC : une meilleure répartition de la valeur entre producteurs, transformateurs et distributeurs, comme nous l'avons fait avec la loi EGalim ; l'adaptation du droit de la concurrence aux spécificités agricoles ; la lutte contre les pratiques déloyales des multinationales et des transnationales ; le soutien aux jeunes agriculteurs et à ceux qui exercent dans des zones à handicap naturel ; la valorisation des externalités positives de l'agriculture au regard des services qu'elle rend à la société et à l'environnement. On ne peut que se féliciter, du reste, de la récente initiative prise par la BEI et la Commission pour lancer un programme européen visant à financer, à hauteur de 1 milliard d'euros, des prêts à taux réduits pour les jeunes agriculteurs. L'innovation, enfin, doit être au coeur de l'agriculture de demain. Elle doit être une opportunité, et non un fardeau.

La proposition de résolution européenne souligne, à juste titre, la priorité européenne que doit rester la PAC, avec des moyens budgétaires renforcés. Le Brexit appelle aussi à une réflexion particulière sur les futures relations commerciales entre le Royaume-Uni et l'Union européenne dans les domaines de l'agriculture et de la pêche.

Le groupe Les Indépendants soutiendra cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)

M. Jean Bizet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il y a près d'un an, le Sénat votait sa deuxième résolution sur la réforme de la PAC. Ses inquiétudes ne sont pas levées. Le futur cadre financier pluriannuel prévoit des coupes claires dans la PAC, de 15 % en termes réels, bien supérieures au montant correspondant au Brexit. Cela représente 7 milliards d'euros en moins pour la ferme France, la survie de nombre de nos exploitations est menacée.

Le Gouvernement, focalisé sur le financement de nouvelles politiques européennes, a réagi vigoureusement mais tardivement. En refusant de jouer son rôle de premier défenseur de la PAC, auquel les États membres sont habitués, il a donné un blanc-seing à la réduction des crédits de la PAC. Cette erreur est lourde de conséquences : une fois les bases de la négociation posées, il est difficile d'en changer. Les États-Unis consacrent 498 dollars par habitant à l'agriculture, contre 198 pour l'Europe !

La question financière, pour centrale qu'elle soit, ne doit pas occulter celle de la mise en oeuvre de cette politique. La Commission européenne propose des plans stratégiques nationaux ; nous sommes bien sûr favorables à la subsidiarité et à la simplification administrative mais, en l'occurrence, il s'agit surtout de simplifier la vie de la Commission européenne. (Mme Sophie Primas approuve.) Conséquence : une renationalisation rampante de la PAC, transformée en un supermarché de possibilités et d'outils laissés aux États membres qui pourront jouer sur les critères d'éligibilité ou même les transferts financiers entre piliers.

Je m'étonne de la passivité des autorités françaises. C'est la légitimité et l'efficacité de la PAC qui sont en jeu. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Gisèle Jourda .  - Nous sommes nombreux à vouloir une politique agricole renouvelée et une PAC ambitieuse, au service des agriculteurs et des biens communs européens. Cela passe par le développement des territoires fragiles. Or au cours des derniers mois, les élus ont cherché à connaître la cartographie des zones à contraintes naturelles et spécifiques, en vain, jusqu'à ce qu'elle apparaisse inopinément dans une réunion au Sénat du Conseil national d'évaluation des normes. Est-ce normal ? Je ne le crois pas.

Ces choix très brutaux ont particulièrement affecté l'Aude et le Gers. Pour les zones à contraintes naturelles, on a repris les petites régions agricoles, qui datent de 1946 ! Et je pourrai aussi évoquer le calcul de la surface agricole utile. Pour les zones à contraintes spécifiques, pourquoi ne pas avoir retenu le critère de maintien de l'activité touristique ? Je l'avais proposé dans une proposition de résolution. Les conséquences sont économiquement et socialement dramatiques pour les exploitations les plus fragiles. Un point sur la carte, ce sont parfois des drames humains. Je pense aux écriteaux « Village à vendre », érigés par les agriculteurs de La Piège dans l'Aude.

Pourquoi refuser la communication des critères ? Voulez-vous éviter un recours devant le tribunal administratif ? Vous avez annoncé, monsieur le ministre, une période de transition de deux ans, nécessaire. La sortie du zonage aura de lourdes conséquences pour les jeunes agriculteurs qui perdront leur aide à l'installation ou aux exploitants dont l'agrément sanitaire pour circuit court de moins de 80 km/h en dépend. Tout cela va à l'encontre d'une action cohérente.

Monsieur le ministre, nous ne vous remercions pas dans l'Aude mais nous comptons sur vous pour le devenir de la PAC.

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Comment parler d'Europe sans évoquer la PAC, voulue par les pères fondateurs ? En une petite soixante d'années, elle a garanti une alimentation de qualité et en quantité, n'en déplaise aux vendeurs de peur qui ont le ventre plein et la mémoire courte.

L'agriculture fait partie de notre identité. Un suicide d'agriculteur suscite, en nous, la même émotion que l'incendie de la charpente de Notre-Dame. Pour la famille gaulliste, dont je fais partie, la PAC est un acquis du couple franco-allemand, que le président Macron s'est engagé à relancer.

Quelle agriculture européenne, quelle Europe voulons-nous ? Le risque le plus important est une renationalisation de la PAC, véritable course au moins-disant social et environnemental. Nous en sommes là parce que la négociation a été un échec. Le président de la République, qui, en septembre 2017, disait que la PAC était un « tabou français » et qu'il fallait plus de flexibilité au niveau national, a clairement une part de responsabilité dans cette affaire.

Monsieur le ministre, je crois à la sincérité de votre discours mais il est si différent de celui du président de la République. Sommes-nous en cohabitation ? La France, trop isolée au niveau européen, doit reprendre le travail de conviction et d'alliance.

Un appel aux électeurs du 26 mai : soyons attentifs aux groupes politiques européens auquel les eurodéputés français vont adhérer car être dans l'opposition d'extrême affaiblit la position de la France systématiquement ; ne pas dire où l'on siégera et être donc nulle part a également de quoi inquiéter !

Il faut rejeter la renationalisation de la PAC ; défendre un renforcement des mécanismes contracycliques, une révision à la hausse des moyens budgétaires. Il y va de notre indépendance géostratégique, de notre sécurité climatique.

Je souhaite à la France, force, courage et réussite. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Claude Tissot .  - Le rapport de l'ONU sur la biodiversité, rendu public hier, donne à nos débats un tour particulier. Une espèce animale et végétale sur huit est menacée d'extinction, cela est lié directement à l'activité humaine. Madame Primas, c'est un constat ; je ne suis pas un marchand de peur.

Notre écosystème planétaire est menacé sans changement profond de notre modèle de production et de consommation. Il y a déjà 400 zones mortes dans les océans, l'équivalent du Royaume-Uni. La nouvelle PAC est en total décalage : comme le dit le député européen Éric Andrieu, il faut une révolution, pas un statu quo jusqu'en 2025.

On ne peut continuer à favoriser une agriculture productiviste dont nous payons tous les externalités négatives. Le lien entre alimentation et santé n'est plus à démontrer. La PAC représente 0,5 % du PIB européen, la santé 10 % ; ajoutons un A à la PAC pour en faire une vraie politique de l'alimentation. Pour convaincre Phil Hogan, je lui rappellerais volontiers que si seulement 2 % des Européens sont agriculteurs, 100 % ont besoin de l'agriculture pour vivre !

Le groupe socialiste soutient pleinement cette proposition de résolution européenne ; monsieur le ministre, entendez-vous son appel ?

M. Pierre Louault .  - L'agriculture est dans une passe difficile, ni l'Europe ni la France n'ont su répondre à ce défi. Un budget à la hauteur est indispensable.

Monsieur le ministre, nous avons besoin de vous mais aussi de l'engagement du président de la République. La PAC, c'est l'origine de l'Europe. On ne peut souscrire à sa renationalisation ; la technocratie française ne manquera pas d'imposer ses règles, plus drastiques qu'ailleurs. La fin de la PAC sonnerait la fin de l'agriculture française et d'une certaine agriculture européenne et de l'Europe ; ne nous leurrons pas, c'est ce que souhaitent la Russie, la Chine et les États-Unis.

Les autres agricultures mondiales n'ont pas les mêmes normes de qualité, nous le voyons bien - je pense au soja transgénique ou à l'utilisation du glyphosate. Il faut une Europe qui protège. Les Canadiens, eux, ont réussi à maintenir un prix du lait supérieur aux cours mondiaux malgré les accords de libre-échange.

Il faudra, enfin, régler le problème de la complexité administrative - c'est le problème plus général en France de la suradministration et de la surtransposition.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, et sur le président de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et LaREM ; Mme Marie Mercier applaudit également.)

M. Michel Raison .  - Beaucoup de choses ont été dites... notamment par M. le ministre, qui a fait un beau discours, avec lequel nous ne pouvions qu'être d'accord. Je ferai quelques rappels.

L'agriculture est un secteur important, voire stratégique. Nous sommes dans l'opulence : les détracteurs de notre système ne perçoivent pas ce que serait une pénurie alimentaire...

L'agriculture nécessite des investissements en rotation très lente. L'aide aux jeunes agriculteurs doit donc être renforcée, de même que la compensation des handicaps.

En matière de simplification, la tâche va être rude. Si vous avez besoin d'aide, vous avez nos numéros de téléphone, monsieur le ministre ! (Sourires) Sous couvert de simplification, on remet souvent une couche de complexité.

La PAC est d'abord faite pour assurer un revenu aux agriculteurs, au-delà des fluctuations des prix - la loi EGalim, à cet égard, ne sert à rien...

Une unité de discours sur ces questions est indispensable, du président de la République au Gouvernement, entre nous, mais aussi entre ici et à Bruxelles : il y a un an, un commissaire allemand s'étonnait devant nous d'un discours différent en France et à Bruxelles.

M. le président.  - Veuillez conclure...

M. Michel Raison.  - Pour finir, un conseil au président de la République : quand il y a un buzz médiatique, comme il y en a sur la biodiversité en ce moment, il pourrait rappeler, au lieu de dire qu'il faut tout remettre en cause, ce qui a été fait de positif ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

La discussion générale est close.

Discussion de la proposition de résolution européenne

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié ter, présenté par MM. Labbé et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Léonhardt, Requier, Roux et Vall.

I.  -  Alinéa 12

Après le mot :

Europe

supprimer la fin de cet alinéa.

II.  -  Après l'alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Rappelle l'importance de valoriser les externalités positives de l'agriculture, en particulier pour son potentiel en matière de stockage de carbone, et de préservation de la biodiversité, au regard des services rendus, tant à l'égard de la société que de l'environnement, ce qui devrait valoir aux agriculteurs une rémunération mieux conçue et plus simple des biens publics qu'ils produisent, notamment via des paiements pour services environnementaux ;

M. Joël Labbé.  - La PAC est une politique stratégique, aux plans économique, alimentaire et environnemental. Elle peut renforcer la biodiversité mais aussi lui nuire quand elle utilise des pesticides et des engrais de synthèse. Le texte gagnerait à mentionner les paiements pour services environnementaux, sans les lier aux fonds Horizon Europe.

Les instruments sont très utiles, mais il faudrait intégrer les paiements pour services environnementaux dans la PAC même, afin de mieux valoriser les externalités positives de l'agriculture.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié ter, présenté par MM. Labbé et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Léonhardt, Requier, Roux et Vall.

I.  -  Alinéa 12

Après le mot :

Europe

supprimer la fin de cet alinéa.

II.  -  Après l'alinéa 12

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Rappelle l'importance de valoriser les externalités positives de l'agriculture, en particulier pour son potentiel en matière de stockage de carbone, au regard des services rendus, tant à l'égard de la société que de l'environnement, ce qui devrait valoir aux agriculteurs une rémunération mieux conçue et plus simple des biens publics qu'ils produisent ;

M. Joël Labbé.  - Cet amendement est de repli.

M. Franck Montaugé, rapporteur.  - Compte tenu des baisses annoncées du budget de la PAC, il serait judicieux de financer autrement les paiements pour services environnementaux. Le programme LIFE, outil financier de la Commission européenne pour les projets liés à l'environnement et au climat, pourrait aussi y contribuer. Avis défavorable, dès lors, même si la commission partage votre avis sur les apports positifs de l'agriculture.

M. Didier Guillaume, ministre.  - Je suis, moi aussi, très favorable aux paiements pour services environnementaux. Cet amendement d'appel affaiblirait toutefois, la proposition de résolution que le Gouvernement soutient totalement.

Je ne peux pas, d'ailleurs, laisser dire qu'il serait divisé sur la PAC. La France, depuis le début, n'a qu'un discours ; il est hostile à la diminution du budget de la PAC. Sur un tel sujet, évitons les divisions, car un grand pays européen a d'autres vues sur le budget de l'Union européenne, et battons-nous ensemble. Retrait ?

M. Joël Labbé.  - Le groupe RDSE soutient totalement cette proposition de résolution. Je retire les amendements, compte tenu des engagements de M. le ministre.

L'amendement n°2 rectifié ter est retiré de même que l'amendement n°1 rectifié ter.

À la demande de la commission, l'ensemble de la proposition de résolution est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°97 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 341
Contre 0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

La séance, suspendue à 18 h 45, reprend à 18 h 50.