Améliorer la lisibilité du droit
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes.
La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du Règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.
Explications de vote
Mme Nathalie Delattre, rapporteure de la commission des lois . - Le 6 mars, la commission des lois a adopté à l'unanimité ce texte abrogeant des lois adoptées entre 1819 et 1940 et tombées en désuétude depuis. Certains ont cité Montesquieu, je vous rappellerai les mots de Montaigne : « Nous avons en France plus de lois que le reste du monde et plus qu'il n'en faudrait pour régler tous les mondes d'Épicure. »
L'adage « Nul n'est censé ignorer la loi » semble de plus en plus irréaliste quand notre droit compte quelque 80 000 dispositions législatives et 240 000 dispositions réglementaires. En 2018, Le Journal Officiel a compris 71 521 pages, dont 45 lois, 1 267 décrets et 8 327 arrêtés réglementaires.
Or la complexité du droit déroute les administrés et bride les initiatives. Les 308 articles de la loi Macron de 2015 modifient 848 modifications législatives dans 30 codes et 55 lois et ordonnances !
Depuis les années 1990, de nombreuses actions ont été menées pour rendre le droit plus lisible. Légifrance est une réussite, les lois de simplification qui rassemblent des mesures éparses le sont moins. Quant à la règle séduisante de deux pour un, elle n'a été appliquée qu'à 32 décrets sur 1 500 depuis juillet 2017.
Il faut souligner l'importance des travaux du Conseil national d'évaluation des normes, le CNEN, présidé par Alain Lambert. Il a signé une charte de partenariat avec notre délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation pour mieux identifier les difficultés des élus locaux. Reste que ses conditions de travail sont difficiles.
La mission B.A.L.A.I., pour « Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles », créée en janvier 2018 par le Bureau du Sénat, vise à chasser les fossiles législatifs. Ce texte, de notre résistant Vincent Delahaye car le chantier est de longue haleine, est le premier d'une série.
Certains s'interrogent : ce texte constitue-t-il une priorité ? Je leur réponds que nous devons réduire le stock des normes, que ce texte a un caractère pédagogique; que c'est, enfin, un galop d'essai, avant d'aborder des lois plus récentes qui soulèvent davantage de questions politiques.
La commission a adopté 15 amendements, s'appuyant sur l'avis du Conseil d'État saisi par le président Gérard Larcher. Nous avons conservé des dispositions utiles, comme l'interdiction des casinos à 100 km autour de Paris, sauf à Enghien-les-Bains.
La commission a adopté trois amendements du Gouvernement pour conserver des articles qui constituent le fondement du code général des impôts et ne sont consultables, en version papier, qu'à Bercy. Comme l'a dit Alain Richard, c'est ubuesque. Nous vous invitons, monsieur le ministre, à prendre l'attache de la commission supérieure de codification.
Enfin, la commission a abrogé huit lois obsolètes supplémentaires, prolongeant les travaux de la mission B.A.L.A.I. Au total, le texte de la commission abroge intégralement ou partiellement 49 lois adoptées entre 1814 et 1940. Ce chiffre correspond à une année d'activité législative - ce n'est qu'un début, la mission poursuivant inlassablement ses travaux.
La commission des lois propose d'adopter ce texte ainsi amendé. Merci à Vincent Delahaye pour son engagement sans relâche et au président Larcher pour les moyens qu'il a mis à notre disposition. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE et LaREM)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics . - J'ai plaisir à vous retrouver pour les explications de vote sur cette proposition de loi prise à l'initiative de Vincent Delahaye et Valérie Létard, et sur la mission B.A.L.A.I. Je tiens à saluer la méthode de travail retenue.
Vous avez consulté les ministères pour identifier les lois obsolètes. Le Conseil d'État a aussi été saisi par le président Larcher en application de l'article 39 de la Constitution. Ce texte a été adopté en commission selon la procédure tout à fait adaptée de législation en commission. Quinze amendements ont été adoptés, nous sommes parvenus à un consensus.
Les chiffres sont vertigineux. Le Journal officiel 2018 compte plus de 71 000 pages, 45 lois, 1 260 décrets et 8 200 circulaires. Le travail de simplification des normes ne fait que commencer. Il faudra aller plus loin pour examiner les textes plus récents ; ce sera sûrement plus difficile. C'est pourquoi le Gouvernement a pris le décret du 26 juillet 2017 relatif à la règle de la suppression des deux mesures réglementaires pour chaque norme édictée. Le Premier ministre demande que chaque ministère fasse preuve de la plus grande sobriété normative possible, le Secrétariat général du Gouvernement y veille.
Nous préférons aussi inclure dans chaque loi un volet de simplification thématique, ce qui est plus efficace que l'accumulation de lois de simplification fourre-tout.
Nous voulons aussi changer le rapport à la règle pour l'adopter au terrain.
Nous avons supprimé plusieurs milliers de circulaires mais le chantier reste immense.
Nous devons aussi progresser pour mieux évaluer les normes. C'est le rôle du Conseil national d'évaluation des normes dont plusieurs sénateurs ont salué la qualité du travail lors de l'examen du texte en commission, ainsi que la nécessité d'évaluer son activité depuis quatre ans. Plus nous lui donnons du temps pour travailler en amont, plus efficace est son travail : il a ainsi examiné l'avant-projet de loi relatif à la fonction publique et y a donné un avis favorable.
Le Gouvernement est favorable à l'adoption de ce texte utile et à l'abrogation des 49 lois citées. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE)
M. Dany Wattebled . - Cette proposition de loi tend à améliorer la lisibilité des droits par l'abrogation des textes obsolètes.
Elle reflète l'action de la mission B.A.L.A.I. créée par le Bureau du Sénat en janvier 2018, qui fait la chasse aux fossiles législatifs, en abrogeant les dispositions devenues inutiles.
Je ne répéterai pas les chiffres. La France est la patrie de l'inflation législative, nos concitoyens sont désarçonnés face à la marée normative. Dans les librairies de la rue Soufflot, les codes rouges s'empilent dans les vitrines...
Bien sûr, bien des lois sont rendues nécessaires par la multiplication des sources du droit, internes comme externes. Cette prolifération s'explique aussi par l'émergence de nouveaux domaines, par la libéralisation de nombreux secteurs comme les transports, l'énergie, les télécommunications, qui requièrent la définition de règles nouvelles.
Cette complexité peut apparaître comme un véritable handicap, en particulier sur le plan économique. Une législation illisible devient inapplicable et effrayante, notamment pour les entrepreneurs qui ont besoin de simplification juridique. Les collectivités territoriales, quant à elles, doivent appliquer plus de 400 000 normes...
Jean Carbonnier disait déjà, il y a trois décennies, que nous demandions une loi dès qu'un problème apparaissait, qu'un scandale éclatait, comme si c'était une solution suffisante - le constat n'a rien perdu de sa pertinence.
Ce texte a donc toute sa pertinence, il est utile : le groupe Les Indépendants le votera - et je félicite notre rapporteure pour son excellent travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, LaREM et UC)
M. François Bonhomme . - Avec plus de 80 000 articles législatifs et 240 000 articles réglementaires, notre corpus juridique frôle la pachydermie !
« Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » : l'avertissement de Montesquieu n'a jamais été aussi vrai... L'empilement des lois nuit à l'objectif de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité du droit. Nous avons tous à gagner à nous sortir de ce que Montaigne qualifiait déjà d'exception française.
Cette proposition de loi abroge totalement ou partiellement 49 lois. Je ne peux que m'en féliciter. Les collectivités territoriales sont les premières victimes d'un droit abscons, devant composer avec 400 000 normes ! C'est particulièrement vrai en matière d'installations sportives ou d'urbanisme - et cela a un coût évident.
Rappelons-nous également des propos de notre ancien collègue Éric Doligé déplorant l'excès de zèle d'un État prescripteur, ignorant la réalité quotidienne du terrain et marquant la fracture entre l'échelon central et les territoires. Élus locaux, nous connaissons le poids de cette inflation législative. Cette proposition de loi est la première pierre d'une salutaire mission B.A.L.A.I. visant à supprimer les « fossiles législatifs ». L'objectif est de permettre au Sénat de contribuer à cet exercice essentiel. Le Conseil d'État, depuis longtemps, a indiqué que « lorsque la raison d'être d'une loi disparaît, la loi ne s'applique plus ».
Cette mission B.A.L.A.I. travaille aussi en partenariat avec notre délégation aux collectivités territoriales, qui a noué un partenariat avec le Conseil national d'évaluation des normes pour identifier et pourchasser les mesures inutiles.
René Descartes a écrit : « La multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices en sorte qu'un État est bien mieux réglé lorsque n'en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées. ». Soyons cartésiens, adoptons peu de lois mais respectons-les, et notre droit n'en sera que plus efficace ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Thani Mohamed Soilihi . - Le Bureau du Sénat a choisi d'examiner ce texte selon la procédure de législation en commission ; son objectif est dans son intitulé : améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes.
« Nul n'est censé ignorer la loi », mais c'est devenu impossible. La loi est souvent trop longue, trop complexe, trop instable et sa connaissance est devenue un défi pour nos concitoyens. Le législateur doit veiller à ce que la loi soit applicable.
Cette proposition de loi est la première initiative de la mission B.A.L.A.I., créée en janvier 2018 pour faire la chasse aux « fossiles législatifs » et aux lois obsolètes. Si la loi sur le travestissement des femmes du 7 novembre 1800 a été abrogée en 2013, il reste beaucoup de textes obsolètes.
Le texte abroge 49 lois anciennes. Ce travail d'élagage, nécessaire, doit s'accompagner d'une volonté politique : le 3 juillet 2017, le président de la République a pris position dans ce sens devant le Congrès. Le Gouvernement a pris deux décisions importantes : chaque mesure réglementaire prise doit s'accompagner de la suppression de deux mesures réglementaires existantes, et chaque texte doit comporter un titre de simplification. Par ailleurs, le Secrétariat général du Gouvernement a mis en ligne le 7 mars 2018, un tableau de bord de l'activité normative.
C'est parce que nous partageons l'adage de Montesquieu, en 1748, que rappelait notre collègue François Bonhomme, selon lequel « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », que nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UC)
M. Pierre-Yves Collombat . - Je suis convaincu que s'il y avait plus de lois utiles, elles vieilliraient mieux... mais c'est un autre débat. (Sourires)
Je n'ai pas de commentaire à faire sur le recours à la LEC et aux amendements qui ont été adoptés en commission. Cela n'a pas été le cas récemment, je pense à la loi modifiant le régime électoral des instances des Français établis hors de France, où l'on a vu des amendements de fond être pris en commission, alors qu'ils nécessitaient un débat en séance plénière.
La dispersion du droit applicable à un domaine dans de multiples textes et codes rend le droit illisible. J'ai toujours été frappé par notre façon de légiférer en supprimant des mots, en ajoutant des bouts de phrases, des alinéas. Cela rend notre travail incompréhensible, sauf à avoir Légifrance ouvert en permanence.
Cela dit, le travail est fait et mieux vaut qu'il le soit, plutôt que pas. Reste la question de savoir si ce n'est pas plutôt au Conseil d'État que revient un tel travail - ce qui revient à poser celle de savoir pourquoi tant de conseillers d'État choisissent d'aller vers des carrières différentes de celles pour lesquelles ils ont été formés, mais c'est encore un autre débat. Quoi qu'il en soit, donc, le groupe CRCE votera ce texte. (Applaudissements)
Mme Laurence Harribey . - Ce texte, qui résulte du travail de la mission B.A.L.A.I., supprime 49 lois adoptées entre 1819 et 1940 et qui n'ont jamais été appliquées. Dans cette chasse aux « fossiles », on note quelques perles comme la loi du 12 décembre 1916 sur le trafic des monnaies nationales. On aurait peut-être pu les conserver pour laisser du travail aux archéologues du droit... (Sourires)
Le groupe socialiste votera ce texte. Cependant, on peut s'interroger sur son utilité, car il n'y a pas d'insécurité juridique dès lors que les textes visés ont déjà fait l'objet d'une abrogation tacite ou expresse, ou qu'ils contiennent des mesures tombées en désuétude. Toutefois, le travail est fait, c'est utile - et il est utile aussi de passer à autre chose, car le rôle du Parlement n'est pas de faire la chasse aux fossiles, mais plutôt de légiférer pour répondre aux besoins du monde contemporain. Donc oui à une mission B.A.L.A.I., mais pas pour réduire le Parlement à n'être qu'un camion-balai - notre rôle, c'est celui d'un instigateur de lois utiles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Vincent Delahaye . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je remercie... tous ceux qui m'ont remercié ! (Sourires) Je me félicite du nombre élevé de cosignataires de la proposition de loi commise avec Valérie Létard, que j'excuse aujourd'hui, et je remercie Gérard Larcher de nous avoir donné les moyens de travailler utilement.
Le ménage que nous effectuons est utile. Notre législation n'a cessé de se complexifier voire de s'obscurcir.
Nous sommes passés d'un État de droit à un état de paralysie par le droit. (M. Pierre-Yves Collombat approuve.) Nous ne savons pas même chiffrer le nombre de lois en vigueur : le Conseil d'État en recense 10 500, Légifrance 2 707, tandis que l'exécutif ne recense que le nombre de pages du Journal officiel...
Cette situation résulte de notre histoire politique et juridique. Depuis la nuit du 4 août, il y eut peu d'abrogations de règles obsolètes et injustifiées. Depuis cette nuit glorieuse, la République est retombée dans une certaine logique corporatiste visant à normer toutes les activités, à légiférer partout et tout le temps. Si bien que si les régimes passent, les lois, elles, demeurent.
Ce texte a identifié des lois obsolètes remontant... à 1819, c'est dire que la longévité de lois inutiles est inversement proportionnelle à la lisibilité de notre bloc législatif.
Le législateur n'a pas été avare de lois de simplification : dix lois depuis 2004, mais elles ont souvent négligé le travail préalable d'allègement de la loi. Or la multiplication des lois complexifie leur compréhension par nos concitoyens.
Certes, cette proposition de loi ne supprime que 49 lois, quand d'innombrables s'ajoutent chaque année - certains diront que ce n'est qu'une goutte de simplification dans un océan de normes. Nous abrogeons des lois désuètes comme celles relatives à la chasse aux sangliers de 1904, au mont-de-piété - devenu depuis bien longtemps le Crédit municipal de Paris - ou au trafic de monnaies nationales - à l'heure de l'euro ! C'est un début. Il faudra ensuite nous attaquer aux lois postérieures à 1970 et, surtout, veiller à éviter l'excès de normes dans les textes que nous votons. À l'instar du poivre et du sel, dont tant l'absence que l'excès rendent un mets inconsommable, nous devons retrouver le sens des proportions en matière de normes ! (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Josiane Costes . - « Il faut être sobre en matière de législation », estimait Portalis en 1801. Nous nous sommes, hélas, éloignés de ce conseil en voulant trop souvent répondre par l'immédiateté.
Cette inflation législative est aggravée par le quinquennat, on en arrive à prendre de nouvelles lois alors que les décrets des précédentes ne sont pas toutes pris. Notre droit a accumulé des normes, parfois antinomiques. La loi peine à être compréhensible. L'inflation de normes est néfaste pour notre démocratie : elle restreint de facto la liberté individuelle. Car à force de légiférer sur tout, c'est le principe fondamental de liberté qu'on oublie et qu'on bafoue - la multiplication des règles restreint de fait notre liberté individuelle, c'est préoccupant.
Le groupe RDSE a donc accueilli très favorablement la mission B.A.L.A.I. et la présente proposition de loi - dont je salue la rapporteure Nathalie Delattre. Son adoption sera utile pour la lisibilité de la loi, objectif qui gagnerait à être inscrit dans la Constitution, comme le propose le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle. Le législateur doit également modifier ses habitudes de travail : il ne doit légiférer que d'une main tremblante. Par ailleurs, les normes réglementaires doivent être limitées et cohérentes. Il faut moins légiférer mais mieux légiférer. En ce sens, je salue la règle du « deux contre un » mise en place par le Gouvernement pour supprimer deux décrets lorsqu'un nouveau est publié, et le travail réalisé par le CNEN. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC et sur quelques bancs des groupes SOCR et Les Républicains)
La proposition de loi est adoptée.
La séance, suspendue à 16 h 10, reprend à 16 h 20.