Favoriser la reconnaissance des proches aidants (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants.
La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du Règlement du Sénat. Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.
Explications de vote
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé . - Avant d'en venir au fond du texte, je veux rappeler le destin un peu particulier de la proposition de loi que Mme Jocelyne Guidez a déposée en juin 2018 et que le Sénat a votée le 25 octobre suivant. À cette date, soutenir sans réserve ce texte semblait prématuré au Gouvernement, qui lançait, en parallèle, la concertation « Grand Âge ». Un atelier « Aidants », présidé par Mme Annie Vidal, députée, avait engagé une réflexion ambitieuse et prévu d'auditionner des personnalités très diverses, d'un professeur d'éthique à des représentants des centres communaux d'action sociale. Par cohérence avec nos engagements, nous avons souhaité ce temps d'écoute. Après plus de cinq mois, il présentera ses propositions le 28 mars. Ce temps et ce travail n'ont pas été vains : parmi les pistes que vous avez ouvertes, certaines ont été confirmées par l'atelier « Aidants ». Ce sont les quatre articles soumis à votre vote aujourd'hui.
Ce texte manquerait d'ambition ? Non. Les mesures s'adressent à tous les aidants et sans distinction entre les champs du handicap, de l'âge ou de la maladie. Ce texte introduit dès aujourd'hui des avancées majeures, en amont de mesures qui interviendront demain, dans le cadre du projet de loi Autonomie que nous présenterons avant la fin de l'année.
Grâce à son article premier, qui rend obligatoire la négociation collective sur la situation des salariés aidants, les 4 millions d'aidants salariés obtiendront enfin visibilité et reconnaissance au sein des entreprises. Avec son article 5, l'expérimentation du relayage est étendue au secteur public. L'article 5 bis favorisera le financement d'actions en faveur des aidants au plus près du terrain. Certes, les conférences des financeurs financent déjà ces actions dans certains départements, mais parfois les sommes ne sont pas totalement utilisées. Enfin, l'article 6 représente une avancée conceptuelle significative : l'inscription du couple aidant-aidé sur le dossier médical partagé de l'un et de l'autre. Sa rédaction initiale soulevait de nombreuses réserves qui ont été levées.
Le Gouvernement et le Parlement partagent le même objectif : aider les 8 à 11 millions de personnes qui, sans compter leur temps et leur peine, soulagent quotidiennement des proches fragiles. Nous ne nous arrêterons pas là. Le 28 mars, seront présentés les résultats de la concertation « Grand Âge et autonomie ». Avant la fin de l'année 2019, le Gouvernement passera à l'action : l'indemnisation du congé proche aidant sera inscrite dans la loi avant la fin de l'année 2019, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou le projet de loi Autonomie.
Oui, madame Guidez, ce texte appartient aux aidants. Ses mesures et celles qui pourront être prises ultérieurement favoriseront cette reconnaissance que des millions de personnes attendent. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Olivier Henno, rapporteur de la commission . - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Henno, qui est retenu. Ce projet de loi, examiné selon la procédure de législation en commission, n'a pas connu un parcours parlementaire ordinaire. Mais je veux insister sur les résultats que nous obtenons quand Parlement et Gouvernement agissent de concert ; écartent, durant au moins un temps, leurs oppositions pour faire place au dialogue.
Le texte initial, ambitieux, tirait sa source d'un rapport que notre collègue Jocelyne Guidez avait rendu sur une proposition de loi relative au don de jours de congé non pris en faveur d'un collègue aidant. Après avoir constaté de grandes lacunes dans la protection sociale des aidants, elle avait décidé de s'emparer du sujet pour proposer un texte exhaustif et innovant. Nos débats, parfois houleux, ont rappelé l'importance de l'initiative parlementaire et la force qu'une impulsion politique, venue du Sénat, pouvait produire.
Le résultat des travaux que nous vous présentons, un texte finalement composé de quatre articles et fortement modifié par rapport à sa version originelle, n'a pas amoindri le rôle de notre institution. Dans la Ve République, aucune institution ne travaille efficacement seule. Si nous avons été déçus de voir l'Assemblée nationale dépouiller notre texte, le Gouvernement a pris des engagements réitérés sur l'indemnisation du congé de proche aidant et l'harmonisation des conditions d'affiliation à un régime de retraite de l'aidant. Nous avons dit notre mécontentement devant les entraves que le Gouvernement mettait à nos initiatives pour des motifs essentiellement calendaires ou de récupération politique mais nous reconnaissons avoir été entendus - au moins, en partie. J'en veux pour preuve la réintégration de deux articles, dont l'article 6. Et l'indemnisation du congé de proche aidant sera à mettre au crédit du Sénat.
Je remercie la ministre qui a souhaité trouver un débouché à l'Assemblée nationale pour ce texte ainsi qu'à Olivier Henno pour son travail minutieux et, évidemment, à Jocelyne Guidez (M. Vincent Delahaye approuve.) qui a su trouver les mots justes pour aboutir à un accord. Comme elle l'a si bien dit : ce texte n'est ni celui du Parlement ni celui du Gouvernement, c'est celui des aidants. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)
M. Daniel Chasseing . - Je salue l'excellent travail d'Olivier Henno, rapporteur, et de Mme Jocelyne Guidez, auteur de la proposition de loi.
Les proches aidants représentent près de huit millions de personnes en France. Et ce nombre ira augmentant : huit personnes âgées sur dix sont aidées par un proche selon la DREES et un tiers de la population française aura plus de 60 ans en 2060.
Nous savons les difficultés qu'entraîne le cumul de ce temps de soutien avec les vies professionnelle et familiale. Neuf aidants sur dix se disent fatigués, voire déprimés ; certains laissent même de côté leur propre santé. Si la loi d'adaptation de la société au vieillissement de 2016 a apporté une première reconnaissance des proches aidants, les dispositifs de soutien restent très largement insuffisants.
Le texte initial que le Sénat a voté en octobre dernier renforçait les droits sociaux des aidants. Il avait pour pierre angulaire l'indemnisation du congé de proche aidant à l'article 2, mon groupe a déposé un amendement en commission pour le rétablir. C'est, en effet, une première étape avant l'ouverture de ce congé indemnisé aux indépendants et aux fonctionnaires. En l'état, les proches aidants continueront de délaisser leur droit au congé au profit du système des arrêts maladies.
En dépit du remarquable travail de Mme Jocelyne Guidez, l'Assemblée nationale l'a supprimé, ainsi que quatre autres articles. Nous comptons sur le Gouvernement pour se montrer à la hauteur des besoins et des attentes légitimes des aidants lors de la prochaine réforme de la prise en charge de la dépendance.
Le texte, augmenté des articles 5 bis et 6 que notre rapporteur a proposé de rétablir, reste néanmoins positif.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi.
Mme Jocelyne Guidez. - Très bien !
Mme Brigitte Micouleau . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi visait à mieux reconnaître et à prendre en compte le travail exceptionnel des proches aidants, eux qui sont souvent confrontés à l'isolement. J'utilise le passé car l'Assemblée nationale n'a pas hésité à vider de sa substance ce texte que le Sénat avait adopté à l'unanimité.
L'objectif était d'envoyer un message concret aux proches aidants. Je le constate en Haute-Garonne, les familles sont souvent désemparées devant le manque, voire l'absence, de professionnels de santé, le manque cruel de places en établissement spécialisé et le coût des institutions. Aux proches aidants, nous disons toute notre admiration devant leur généreuse abnégation. Ils sont les relais de la solidarité nationale.
Le rapporteur, en dépit d'un climat tendu, a privilégié le dialogue. Il en a obtenu le rétablissement de deux articles, adoptés en commission avec l'avis favorable du Gouvernement, sur le financement des actions en faveur des aidants et l'inscription de leur nom dans le dossier médical partagé. Madame la ministre, nous vous rappellerons votre engagement et celui de Mme Buzyn sur l'indemnisation du congé de proche aidant.
Cette proposition de loi marque une première étape, le groupe Les Républicains la votera pour envoyer un signal positif aux aidants. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
Mme Patricia Schillinger . - Je salue ce texte de compromis et celui qui fut l'artisan de ce compromis, le rapporteur. Il fallait concilier la volonté légitime d'avancer vite pour les aidants et la volonté, tout aussi légitime, de ne pas fractionner les mesures en leur faveur alors que deux grandes concertations sur la dépendance et les retraites sont en cours.
Je l'ai dit en commission, nous devons concevoir un plan global et structuré pour aider les aidants et mieux les informer. Ne nous attardons pas sur les considérations de communication, d'antériorité ou de paternité de tel ou tel dispositif ; mieux vaut que Parlement et Gouvernement se synchronisent pour travailler de manière constructive.
Le compromis est satisfaisant : maintien des articles premier et 5, rétablissement des articles 5 bis et 6. Ces dispositions s'inscrivent utilement dans l'approche globale et la concertation en cours en amont du projet de loi annoncé pour la fin de l'année 2019. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Notre groupe politique est investi depuis longtemps sur le sujet des aidants. En 2018, une « mission flash » du député Pierre Dharréville avait été suivie d'une proposition de loi du groupe GDR et d'une du groupe CRCE déposée au Sénat en octobre dernier.
Parce que les proches aidants assument des responsabilités qui relèvent de la solidarité nationale, nous devons leur assurer des conditions d'existence dignes pour le présent et le futur. Nous avions identifié trois axes de travail : le temps du proche aidant et son droit au répit ; ses ressources, celles dont il dispose pendant son congé et ses droits à retraite ; enfin, sa reconnaissance, auprès des professionnels de santé et dans le monde du travail.
Nous nous sommes réjouis de voir Mme Guidez reprendre les propositions de la « mission flash », tout en regrettant qu'elle ait laissé de côté l'assouplissement des conditions de mise en oeuvre du congé de proche aidant, la prise en charge à 100 % des frais pour la santé physique et mentale de l'aidant ainsi que la reconnaissance de leur expérience acquise au moment de leur réinsertion dans le monde du travail.
Si elle était incomplète, cette proposition de loi apportait des avancées incontestables. Tel n'est plus le cas depuis que les députés l'ont vidé de sa substance. L'aide aux proches aidants, qui prennent sur leur temps et leur énergie pour pallier les carences de l'État, devrait être une priorité. Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
Mme Nadine Grelet-Certenais . - L'entêtement dont a fait preuve le Gouvernement sur cette proposition de loi fait penser à la passe d'armes que nous avons eue sur la revalorisation des retraites agricoles. C'est l'honneur du Sénat de voter de telles avancées.
Indemnisation du congé de proche aidant, majoration de la durée d'assurance pour le calcul des droits à pension, affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse pour les aidants ayant interrompu leur activité professionnelle, ouverture du droit à la reconversion professionnelle aux aidants que j'ai fait adopter en première lecture, ces mesures, qu'attendent les huit millions d'aidants, le Gouvernement n'en a pas voulu Nous devrons attendre les conclusions de la mission de Dominique Libault et leur traduction législative qui est promise avant la fin de l'année 2019.
Nous craignons, avec le président de l'AD-PA, que les mesures n'arrivent que dans deux ou trois ans, au mépris du travail parlementaire, pour des raisons de calendrier gouvernemental. Quel gâchis, madame la ministre !
Nous regrettons profondément que nos amendements aient été repoussés en commission pour des raisons de barguignage avec la majorité à l'Assemblée nationale. Attention : au nom du pragmatisme, le Parlement pourrait se trouver dépossédé de ses prérogatives.
Très peu d'avancées ont été conservées par la majorité à l'Assemblée nationale, pusillanime par excès de loyalisme, même si le texte présenté à notre vote est mieux-disant grâce à notre rapporteur Olivier Henno.
Madame la ministre, vous préférez les petits pas pour les plus humbles au lieu de reprendre les mesures que le Parlement vous présente clé en main. Soit. Les proches aidants savent qu'ils peuvent compter sur le soutien indéfectible du groupe socialiste du Sénat. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)
Mme Véronique Guillotin . - Le 6 décembre, après avoir rejeté de justesse une motion de renvoi en commission, l'Assemblée nationale n'a retenu que deux articles de cette proposition de loi ambitieuse, au prétexte que le sujet serait traité plus tard.
Je me suis interrogée : faut-il voter un texte vidé de sa substance ? Il y subsiste des avancées : la négociation collective obligatoire sur la situation des aidants, l'identification de l'aidant dans le dossier médical partagé, le relayage pour les agents publics et le financement des actions en faveur des aidants par la conférence des financeurs - et, à en croire la ministre, les financements vont augmenter, bonne nouvelle !
Le quotidien des proches aidants est épuisant : 48 % des aidants déclarent avoir une maladie chronique, 60 % sont exposés à un risque de surmortalité dans les trois ans qui suivent le début de la maladie de leur proche et un tiers décède avant la personne aidée.
« Je ne puis pas laisser dire que le travail parlementaire est limité » disiez-vous, madame la ministre. C'est pourtant la réalité... Le législateur ne peut pas se contenter d'attendre les initiatives du Gouvernement, il doit être force de proposition, à l'exemple de Mme Jocelyne Guidez.
Le groupe RDSE, qui a entendu l'appel du rapporteur, votera ce texte mais restera attentif aux mesures à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs des groupes UC et Les Républicains)
Mme Jocelyne Guidez . - En commission, moi aussi, j'ai eu un cas de conscience. Que faire : réintroduire les mesures votées par le Sénat à l'unanimité ou voter conforme pour sécuriser les quelques mesures restantes ? Heureusement, un compromis a été trouvé. La Ve République est ainsi faite. Le Sénat n'a pas le dernier mot et l'élection législative suivant celle du chef de l'État donne au Gouvernement une majorité absolue.
M. Roger Karoutchi. - Eh oui !
Mme Jocelyne Guidez. - Le Sénat peut avoir des convictions mais ne peut ignorer le fonctionnement de la navette parlementaire. Camper sur nos positions serait un choix dogmatique quand des familles, parfois dans des situations dramatiques, attendent des réponses. L'intérêt général doit guider notre plume ; le principe de réalité nous commande d'enregistrer tout progrès, si limité soit-il.
Non, ce texte n'est donc pas vide. L'article premier oblige les branches professionnelles à négocier, les entreprises devront donc adapter le temps de travail des proches aidants. L'article 5 étend le relayage aux agents publics ; l'article 5 bis permet à la conférence des financeurs d'utiliser les fonds de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie pour soutenir les proches aidants ; l'article 6 reconnaît officiellement le lien entre aidant et aidé, à travers le dossier médical partagé. L'ensemble des aidants est concerné.
Beaucoup ont noté que l'article 2 qui concerne 267 000 aidants, avait disparu mais l'article 6 subsiste et s'adresse à 11 millions d'aidants. Le Gouvernement s'est engagé publiquement sur l'indemnisation du congé de proche aidant, je veux le croire.
Je voterai, comme mon groupe, ce texte sans la moindre réserve en remerciant le Gouvernement pour son soutien en faveur d'un vote à l'Assemblée nationale avant l'été. Fait suffisamment rare pour être souligné, les députés vont adopter conforme un texte du Sénat.
Comme me l'a dit une personne aidante rencontrée hier : « Nous sommes des aimants avant d'être des aidants ». (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE, LaREM et Les Indépendants)
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE, LaREM et Les Indépendants)
La séance, suspendue à 15 h 20, reprend à 15 h 25.