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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Sécurité pénitentiaire

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Utilisation des fonds européens

Mme Maryse Carrère

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Mme Laurence Cohen

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Droits des femmes

Mme Corinne Féret

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées

Fermeture de sites sucriers

M. Jérôme Bignon

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Gazoduc en Corse

M. Jean-Jacques Panunzi

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Violences faites aux femmes

Mme Annick Billon

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Lignes aériennes d'aménagement du territoire

Mme Josiane Costes

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports

Politique industrielle

Mme Laurence Harribey

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Hidjab

Mme Céline Boulay-Espéronnier

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées

Attaque de la prison de Condé-sur-Sarthe

Mme Nathalie Goulet

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Politique touristique

Mme Catherine Dumas

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Communes nouvelles

M. Stéphane Piednoir

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes

Discussion générale

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi

M. Guillaume Gontard, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports

M. Michel Dagbert

M. Jean-Pierre Corbisez

M. Pierre Médevielle

M. Jean-Pierre Decool

M. Frédéric Marchand

Mme Céline Brulin

M. Vincent Delahaye

M. Patrick Chaize

Mme Christine Lavarde

Mme Élisabeth Borne, ministre

M. Guillaume Gontard, rapporteur

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Marie-Noëlle Lienemann

M. Olivier Jacquin

M. Pierre Laurent

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Fabien Gay

M. Patrice Joly

M. Jean-François Longeot

M. Michel Vaspart

M. Pascal Savoldelli

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Pierre Médevielle

Mme Éliane Assassi

M. Olivier Léonhardt

Interdire l'usage des lanceurs de balles de défense

Discussion générale

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur de la commission des lois

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur

Mme Maryse Carrère

Mme Françoise Gatel

M. Dany Wattebled

M. Alain Richard

Mme Esther Benbassa

M. Jérôme Durain

M. François Grosdidier

M. Sébastien Meurant

M. Édouard Courtial

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 2

ARTICLE 3

Mme Éliane Assassi

Mme Marie-Pierre de la Gontrie

M. François Grosdidier

Annexes

Ordre du jour du mardi 12 mars 2019

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du jeudi 7 mars 2019

67e séance de la session ordinaire 2018-2019

présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente

Secrétaires : Mme Agnès Canayer, M. Yves Daudigny.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.

Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, des uns et des autres ou celui du temps de parole.

Sécurité pénitentiaire

M. Thani Mohamed Soilihi .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Mardi, deux surveillants ont été blessés par un détenu et sa compagne dans une unité de vie familiale de la maison centrale de Condé-sur-Sarthe. Nos pensées vont d'abord vers eux et leur famille, touchés dans leur chair par ce que vous avez qualifié, madame la ministre, d'attaque terroriste. L'émotion légitime est vive parmi le personnel pénitentiaire. Ces hommes et femmes exercent un métier difficile, méconnu de nos concitoyens mais essentiel pour la sécurité de notre pays. Je leur exprime notre gratitude et notre respect.

Depuis dix-huit mois, le Gouvernement a beaucoup agi, notamment via la loi de programmation et de réforme de la justice, que vous avez défendue à l'automne, et qui donne des moyens à l'administration pénitentiaire pour les quatre ans à venir, tout en réformant le sens et l'efficacité des peines, afin de renforcer la sécurité du personnel. Au-delà de cet effort nécessaire, que comptez-vous faire pour améliorer encore la sécurité de nos prisons ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Oui, je me suis rendue, il y a quarante-huit heures, au chevet des deux agents gravement blessés lors de l'attaque terroriste à Condé-sur-Sarthe. Je rends hommage à leur courage et à leur professionnalisme face à cet assaut d'une rare violence. Une enquête judiciaire est en cours et j'ai saisi l'Inspection générale de la justice. L'établissement sécuritaire de Condé-sur-Sarthe comprend un quartier pour les détenus radicalisés.

Nous devons nous poser les bonnes questions : les éléments de dangerosité des détenus sont-ils bien pris en compte pour assurer leur accès aux unités de vie familiale ? Les procédures de fouilles des visiteurs sont-elles adaptées ? Avons-nous les moyens techniques de détecter des objets interdits ? Depuis dix-huit mois, nous avons pris des mesures pour améliorer les moyens et l'action de l'administration pénitentiaire.

M. François Grosdidier.  - Non ! (On approuve sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Nous avons décidé de recruter 1 100 surveillants. Je recevrai prochainement les organisations syndicales. J'entends les impatiences et je les comprends. La résolution du Gouvernement est sans faille. La sécurité du personnel de l'administration pénitentiaire est un enjeu primordial. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Utilisation des fonds européens

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Mardi dernier, Sud-Ouest titrait : « Aides européennes pour le secteur rural, la France va-t-elle perdre ses millions? »

Le constat de sous-consommation du fonds Leader (Liaison entre action de développement de l'économie rurale) moteur de l'innovation depuis 1991, est cruel : sur 700 millions d'euros, 4 % seulement ont été versés ! Même si la constitution d'un dossier s'apparente à un parcours du combattant, il faut mieux faire. Dans une Europe éloignée des citoyens, le programme Leader est un axe fort de l'action en faveur des territoires ruraux. Il mobilise commerçants, artisans, acteurs sociaux et culturels.

L'État a renforcé sa mobilisation mais des doutes subsistent. Le président de Leader France parle de crash généralisé du programme. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rassurer sur les versements prévus entre 2014 et 2020 et sur le maintien de l'enveloppe actuelle au-delà ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - La situation n'étant pas rassurante, je ne peux pas vous rassurer... Les 700 millions d'euros du fonds doivent passer par les groupements d'action locaux en relation avec les collectivités locales, notamment les intercommunalités, elles-mêmes reliées aux régions. Or tous les dossiers ont été présentés mais très peu de dossiers ont pu être payés. La France va perdre plusieurs millions d'euros, voire des centaines de millions, liés à l'Europe, c'est un drame inacceptable. (M. Gérard Larcher approuve.)

Les régions sont responsables de ces projets. C'est pourquoi il faut un décroisement total des aides, une simplification et une clarification dans la prochaine PAC : j'en ai parlé avec le président Morin. Nous intervenons pour accélérer le dossier en Europe. Essayons ensemble de faire en sorte que les actions engagées soient payées dans les temps.

Mme Maryse Carrère.  - Il faut simplifier ce fonds en réduisant le nombre d'échelons décisionnels et donner plus de pouvoir aux régions. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Valérie Létard applaudit également.)

Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Mme Laurence Cohen .  - À la veille de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, celles-ci n'ont toujours pas obtenu l'égalité professionnelle. Elles ont 26 % de salaire en moins, en moyenne, en France. Pourtant l'arsenal législatif est là, avec une obligation de résultat pour les entreprises, obtenue, lors de l'examen de la loi sur la « liberté de choisir son avenir professionnel », grâce à la mobilisation des femmes, des associations féministes et des organisations syndicales unies. Hélas, disposition après disposition, le décret vide de son contenu le dispositif voté en juillet. L'index de l'égalité salariale permet en effet aux entreprises, à l'encontre du pouvoir législatif, de dissimuler les données relatives à l'égalité femmes-hommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Les femmes représentent 50 % de la population active et contribuent pour 37 % au PIB. Elles gagnent 9 % de moins à fonction égale. Selon le Women's Forum, il faudrait attendre, au rythme actuel, l'an 2234 pour atteindre une parfaite parité... N'attendons pas ! La loi de septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit une obligation de résultat. L'index de l'égalité professionnelle, unanimement salué, comporte des items spécifiques sur ce thème, incluant notamment les chances de carrière et de promotion, ainsi que la parentalité et les congés maternité. Il est exigeant, puisqu'assorti de pénalités pouvant aller jusqu'à 1 % de la masse salariale.

Quelque 118 entreprises sur 732 de plus de 1 000 salariés, sont en alerte rouge et quelque 600 ont des progrès à faire, à partir des premiers résultats publiés. Cet index témoigne de notre engagement sans faille. Des sociétés se sont aussi engagées à publier le taux de femmes à chaque niveau hiérarchique et à entendre un candidat homme et une candidate femme pour chaque poste d'encadrement.

Mme Laurence Cohen.  - Les sanctions financières, c'est de la poudre aux yeux. Elles sont inopérantes. L'index permet de dissimuler les discriminations. Il introduit aussi dans la loi un seuil de tolérance de la violation de la loi... On ne peut se satisfaire de ce tour de passe-passe. Je serai demain dans la rue pour la défense des femmes, à 15 h 40, heure symbolique, à partir de laquelle les femmes travaillent gratuitement. L'égalité femmes-hommes rapporterait 62 milliards d'euros à l'économie française selon la Fondation Concorde. Madame la ministre, qu'attendez-vous ? Pas de belles paroles, des actes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur plusieurs bancs du groupe SOCR ; Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudit aussi.)

Droits des femmes

Mme Corinne Féret .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je vois que Mme Darrieusecq me répondra en lieu et place de la ministre du travail. Il suffit d'observer les cortèges qui défilent dans nos rues pour constater à quel point les femmes sont frappées par l'aggravation de la précarité et des inégalités révélées par la profonde crise sociale actuelle. À la veille du 8 mars, journée internationale des femmes, comment ne pas s'indigner ? Les chiffres sont têtus : à poste égal, une femme touche, en moyenne, 9 % de salaire en moins qu'un homme. Sur l'ensemble de sa carrière, c'est 25 % de moins.

Où sont les actes ? Vous avez créé un « index de l'égalité femme-homme », certes d'intention louable, mais il ne concerne que les entreprises de plus de 1 000 salariés alors que 48 % des salariés travaillent dans les PME. Et comment se fier à cet indicateur si les entreprises s'évaluent elles-mêmes ?

L'égalité homme-femme doit faire l'objet d'une politique coercitive. Pas moins de 62 % de femmes connaîtront la précarité professionnelle au cours de leur carrière contre 32 % des hommes. Le président de la République a déclaré que l'égalité homme-femme serait une des grandes causes du quinquennat. Mais pour l'instant, le budget pour cette cause n'est que de 80 millions d'euros, soit 0,066 % du budget national...

Mme la présidente.  - Il faut conclure.

Mme Corinne Féret.  - Quelles mesures prendrez-vous pour être à la hauteur de vos engagements en faveur des femmes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées .  - Les femmes sont les premières victimes de la pauvreté, du travail partiel subi, des inégalités salariales, des petites retraites. On les a entendues sur les ronds-points. L'égalité homme-femme est la grande cause du quinquennat.

Une voix sur les bancs du groupe CRCE.  - Ça ne se voit pas !

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État.  - Nous développons la mixité des filières avec la Fondation France numérique, avec la création d'un fonds en faveur de l'égalité professionnelle dans la fonction publique, lancé il y a quelques jours par Olivier Dussopt. Congés maternité améliorés, transparence sur les places en crèche, développement de l'entreprenariat au féminin, nominations paritaires dans les entreprises, telles sont quelques-unes des mesures que nous avons développées. C'est un combat culturel que nous devons mener à tous les niveaux en commençant par celui de l'éducation.

Fermeture de sites sucriers

M. Jérôme Bignon .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) Protéger, transformer, anticiper : voilà les trois piliers de notre politique agricole selon le président Macron. L'entreprise Südzucker ne les respecte pas, qui a décidé de fermer trois de ses usines de Saint-Louis sucre en France, notamment celle d'Eppeville dans la Somme.

Heureusement que l'Allemagne et la France sont étroitement unies par différents traités de coopération, le dernier signé à Aix-la-Chapelle, et que la PAC existe depuis le traité de Rome !

Malheureusement, à la veille des élections européennes, le capitalisme débridé dégrade les écosystèmes locaux ; avec pas moins de 1 275 exploitations agricoles touchées, soit 20 000 hectares, dans la Somme, l'Aisne, l'Oise et le Pas-de-Calais. Les 600 emplois directs, les emplois indirects, les transporteurs, les sous-traitants, les commerces locaux et les entrepreneurs agricoles en subissent les conséquences.

La filière sucrière contribue pourtant à réduire le déficit annuel de notre balance commerciale de 1,3 milliard d'euros. Le Gouvernement doit tout mettre en oeuvre pour éviter que la décision du Südzucker se concrétise. Il s'agit d'une filière performante déjà durement affectée par la fin des quotas et la chute des prix.

Le Sénat veut être associé aux négociations que vous avez annoncées avec la Commission européenne, comme l'Assemblée nationale. Quelles sont les perspectives d'avancement de ce dossier ? (Applaudissements)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - La décision unilatérale de Südzucker de fermer trois sites, ou quasiment, est inacceptable. La situation est grave pour les filières sucrière et betteravière, même si cette dernière n'est pas menacée dans son ensemble.

Nous travaillons avec l'ensemble des coopératives. Cet après-midi, à 17 heures, l'ensemble des parlementaires sont invités au ministère de l'agriculture et de l'alimentation, car c'est par la transparence et la solidarité que nous avancerons. Nous ne pouvons pas laisser faire les choses. Vous m'avez interpellé, ainsi que le sénateur Daniel Dubois et les sénatrices Corinne Féret et Samia Ghali. La semaine prochaine, avec Bruno Le Maire, nous rencontrerons le président de Südzucker qui menace 17 % de la filière betteravière française, dont nous voulons réorienter la réorganisation. Le Gouvernement sera au rendez-vous pour accompagner la filière, avec les parlementaires, et négocier avec l'entreprise. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Indépendants)

M. Jérôme Bignon.  - Ce capitalisme sauvage entre États membres, les usages dévoyés de l'argent public ne sont pas acceptables. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants, ainsi que sur quelques bancs des groupes UC et RDSE)

Gazoduc en Corse

M. Jean-Jacques Panunzi .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La Corse a été le premier territoire français à se doter d'une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en 2015, en misant sur l'efficacité énergétique et une meilleure intégration des énergies renouvelables.

Or cette PPE, unanimement saluée et validée par les parties prenantes, semble remise en question. Nicolas Hulot, juste avant sa démission, l'a laissé entendre dans une lettre à la Collectivité de Corse.

Quelles sont les intentions du Gouvernement ? Il y a urgence. Les sites actuels sont censés être déclassés en 2023, notamment la centrale du Vazzio, qui vieillit et fonctionne au fuel lourd. Aller au-delà de 2023, ferait peser un risque sur l'alimentation énergétique de la Corse et serait inacceptable pour la population du pays ajaccien.

Le décret du 18 décembre 2015 sera-t-il respecté, qui prévoyait la réalisation d'une infrastructure d'alimentation au gaz naturel de la Corse ...

Mme la présidente. - Veuillez conclure.

M. Jean-Jacques Panunzi.  - ... mais aussi d'un cycle combiné d'une puissance de 250 MW dans la région d'Ajaccio ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - Un tiers de l'électricité corse provient en effet de centrales au fioul, situées à Ajaccio et à Bastia, vieillissantes et polluantes. Elles devaient être remplacées par des centrales à gaz. Un projet consistait à installer une barge de gaz à Bastia qui alimenterait le reste du territoire par gazoduc. Mais cela soulève beaucoup de difficultés, eu égard au terrain montagneux et au morcellement du foncier en parcelles privées dont le régime est complexe.

Le ministre de la Transition écologique a récemment exprimé ses doutes sur la faisabilité du projet au président Simeoni, en ma présence, et proposé un second terminal de gaz immergé au large d'Ajaccio. Nous restons engagés sur ce projet.

Violences faites aux femmes

Mme Annick Billon .  - Le président a affirmé en novembre 2017 que l'égalité entre les femmes et les hommes était la grande cause du quinquennat. À la veille du 8 mars, j'attire votre attention sur la recrudescence des féminicides.

Depuis janvier 2019, 30 femmes ont été tuées par leur conjoint, soit deux fois plus que l'année précédente à la même époque. 225 000 femmes sont victimes de violences conjugales.

En 2018, dans le sillage de l'affaire Weinstein, les plaintes pour viol ont augmenté de 17 % et celles pour agressions sexuelles de 20 %. Or les condamnations effectives stagnent.

La délivrance d'ordonnances de protection par le juge aux affaires familiales, qui ne nécessite pas de plaintes, est loin d'être systématique.

La lutte contre les violences faites aux femmes doit être globale. Seuls 80 millions d'euros sur les 420 millions d'euros prévus sont dédiés chaque année à la lutte contre ces violences.

Le Gouvernement se donne-t-il les moyens de lutter contre les féminicides? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE et Les Républicains)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Veuillez pardonner l'absence de Mme Schiappa (Murmures ironiques sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) L'égalité entre les hommes et les femmes est une des grandes causes de ce quinquennat. Depuis notre arrivée au pouvoir, cette politique est largement interministérielle. Pas moins de 530 millions d'euros ont été inscrits au budget 2019, c'est le budget le plus important jamais dédié à cette cause à ce jour.

Parmi les plus de 100 mesures concrètes qui ont été prises, je citerai le délit d'outrage sexiste, pour sanctionner le harcèlement de rue, dont Mme Schiappa a porté la création. La France est le premier pays au monde à le mettre en oeuvre. En six mois, plus de 330 amendes ont été infligées allant jusqu'à 750 euros.

Mme Patricia Schillinger.  - Très bien !

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Ce dispositif sera évalué par le Parlement au début de l'été.

Je citerai également l'égalité salariale avec la loi de Mme Pénicaud mais vous m'interrogez sur les féminicides. Nous avons ainsi créé dix centres de prise en charge des psychotraumatismes pour les femmes victimes de violences. C'est une première mondiale.

Vous le voyez, le Gouvernement est tout entier mobilisé. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

Lignes aériennes d'aménagement du territoire

Mme Josiane Costes .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Le groupe RDSE est très préoccupé par la question des mobilités, il veut agir efficacement pour sortir les territoires fragiles d'un enclavement mortifère qui est souvent routier, ferroviaire, aérien mais aussi numérique. Nous espérons que votre projet de loi Mobilités reprendra sa proposition de loi, que le Sénat a votée le 20 février dernier par 305 voix.

J'insisterai sur la desserte aérienne et les lignes d'aménagement du territoire. Au-delà des moyens, que vous avez prévu d'augmenter, il faut s'inquiéter de la qualité du service : elle est de plus en plus déplorable malgré le prix prohibitif des billets et l'aide des pouvoirs publics. Annulations fréquentes, retards, la compagnie nationale, en situation de quasi-monopole, traite ces lignes comme secondaires. Il n'est pas concevable, en 2019, de traiter ainsi nos compatriotes habitant dans des territoires fragiles.

Reprendrez-vous la proposition de loi du Sénat ? Quelles mesures prendrez-vous pour que les voyageurs bénéficient de tarifs raisonnables et d'un service digne de ce nom ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Je l'ai dit, je partage largement les orientations de votre proposition de loi et la loi Mobilités devrait répondre à vos attentes. Ces liaisons aériennes sont essentielles, c'est pourquoi j'ai quadruplé leur budget. Dès 2019, l'on en ressentira le bénéfice à Limoges, Castres, Quimper, Poitiers et La Rochelle. Nous n'avons pas attendu pour agir.

Il y a plusieurs mois, j'ai demandé un programme d'action à Hop, qui a réduit les annulations et les retards. L'organisation et la gestion des vols seront reprises directement par Air France. Les appareils de type ATR seront retirés de la flotte en 2020.

Au demeurant, ces liaisons sont régulièrement remises en concurrence, on peut espérer que ce soit l'occasion d'une amélioration de leur qualité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme Josiane Costes.  - Il le faut car les habitants et les entreprises de ces territoires pâtissent de cette situation. Nombre de rendez-vous d'affaires sont manqués à cause de vols annulés ou retardés. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Politique industrielle

Mme Laurence Harribey .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) En 2017, le Gouvernement a fait de la réindustrialisation une priorité. Mais les faits sont cruels : 850 emplois rayés de la carte chez Ford, 450 suspendus à des plans de reprise chez Arcoval, 750 aux Fonderies du Poitou, 900 dans les sites sarthois du papetier Arjowiggins. Et la liste n'est pas close... Le Gouvernement a jugé indigne l'attitude de Ford. Au-delà de l'indignation, quelle est la colonne vertébrale de sa politique industrielle ? Pourquoi se désengager d'industries stratégiques quand la Chine et les États-Unis font le contraire ? Les reproches que vous avez adressés aux Pays-Bas vis-à-vis d'Air France-KLM étonnent au regard de l'énergie que vous avez déployée pour privatiser Aéroports de Paris.

Quelle est votre politique industrielle ? Y a-t-il un État stratège ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Les faits sont têtus. La France crée plus d'emplois industriels qu'elle n'en détruit, la France ouvre plus de sites qu'elle n'en ferme. La situation est nouvelle depuis deux ans. (Exclamations ironiques sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains) Depuis deux ans, nous avons mis en place une politique industrielle ambitieuse... (Les exclamations redoublent.)

M. Rachid Temal.  - ... qui se résume à l'ISF ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - L'emploi industriel chutait depuis vingt ans ; il augmente depuis deux ans, parce que nous développons des contrats stratégiques pour 18 filières.

La France est devenue la première destination industrielle des investissements directs étrangers. Toyota a investi 300 millions d'euros ; Daimler, 500 millions d'euros.

Le premier blocage, c'est le recrutement : 50 000 emplois industriels ne sont pas pourvus. (Protestations sur les bancs du groupe SOCR)

Ford, Blanquefort, Ascoval, oui, il y a des guerres que nous perdons mais pourquoi ne parlez-vous pas des 3 000 emplois sauvés chez William Saurin, de ceux sauvés chez Doux ? Trois entreprises menacées sur quatre sont redressées grâce à nous. (On en doute sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Laurence Harribey.  - Soyons sérieux ! Arracher 20 millions d'euros à un groupe comme Ford qui en a touché 24, plus 500 millions de CICE, est-ce une stratégie industrielle ? Alors, quelques pistes. Responsabiliser les grands groupes : si Renault pérennise ses commandes aux Fonderies du Poitou, la reprise devient crédible. S'appuyer sur les régions car les résultats que vous donnez sont ceux de leur politique industrielle : en Nouvelle-Aquitaine, « Usines du Futur » a accompagné près de 300 entreprises, représentant 35 000 emplois en deux ans. Enfin, oser une coopération industrielle européenne, à l'image d'Airbus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Hidjab

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) De l'autre côté de la Méditerranée, des femmes courageuses dénoncent un instrument d'oppression dans le voile sous le hashtag « Prisonnières du hidjab ». Chez nous aussi, la pression des quartiers et des familles ne laisse que peu de choix à certaines femmes, en particulier les plus jeunes. Or la position de votre majorité reste ambiguë alors que la France, la nation des droits de l'homme, devrait faire entendre un message clair. Le 16 avril 2018, le président de la République déclarait : « le voile n'est pas conforme à la civilité qu'il y a dans notre pays. » Le 28 février dernier, il se muait en défenseur du voile, expliquant que « les entreprises qui discriminent les femmes voilées à l'embauche devaient être sévèrement sanctionnées. » Un député de la majorité a fait un amalgame surréaliste entre hidjab et serre-tête.

Le voile est-il, oui ou non, un instrument d'oppression des femmes ? Que faites-vous pour les femmes contraintes de le porter en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Colette Mélot et M. Franck Menonville applaudissent également.)

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées .  - La laïcité est la règle dans notre pays. (Exclamations ironiques à droite)

Plusieurs voix sur les bancs du groupe SOCR.  - Ce n'est pas la règle, c'est la loi !

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État.  - Elle est inscrite au fronton de toutes nos institutions. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)

M. Roger Karoutchi.  - Pas dans nos rues !

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État.  - Nous devons respecter la liberté de chacun de porter les attributs vestimentaires de son choix dans l'espace public.

Mme Céline Boulay-Espéronnier.  - Ce n'est pas la question !

M. Bruno Retailleau.  - Y compris le niqab ?

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État.  - Pour le reste, je préfère une vraie diplomatie féministe (On se gausse chez Les Républicains.) qui défende des conceptions qui sont universelles comme la lutte contre les violences faites aux femmes, l'égalité entre les hommes et les femmes, l'émancipation des femmes.

Mme Sophie Primas.  - Vous restez dans l'ambiguïté !

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État.  - C'est en ce sens que travaille Mme Schiappa. (Nouvelles exclamations ironiques à droite) C'est aussi le sens du prix Simone Veil que le président de la République décernera prochainement.

Ce dont vous parlez, en réalité, c'est d'égalité entre les hommes et les femmes. Quoi qu'il en soit, la laïcité est la règle dans la République française.

M. Philippe Pemezec.  - Vous vous dérobez !

Mme Céline Boulay-Espéronnier.  - Votre réponse est en décalage total. Vous devez réaffirmer nos valeurs universalistes. Le relativisme que pratique votre Gouvernement est insupportable. Il faut nommer les problèmes pour mieux les combattre. Il est plus que temps ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

Attaque de la prison de Condé-sur-Sarthe

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Comme sénatrice de l'Orne, je n'ai pas la même vision de la situation que vous de l'attaque de Condé-sur-Sarthe. Je suis partagée entre colère et découragement. Comment comprendre l'improbable et surréaliste régime des fouilles ? En 2017, plus de 90 000 objets ont été introduits dans les prisons, dont 40 000 téléphones. Et je ne parle pas de la créativité des détenus à fabriquer de tout objet des armes par destination. Les gardiens n'ont toujours pas de gilet pare-lame. Comment expliquer l'accès d'un détenu signalé pour faits de radicalisation à une unité de vie familiale ? Quel calendrier et quelles mesures pour mieux protéger nos surveillants ? Ne les laissons pas avoir le sentiment que le confort des détenus passe avant leur sécurité. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Ladislas Poniatowski.  - Très bien !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Madame la sénatrice, je connais vos réflexions sur la question de la radicalisation, j'ai lu ce que vous avez écrit.

La détermination du Gouvernement à lutter contre la radicalisation en prison est totale. Nous avons agi pour prendre en charge les personnes radicalisées. Depuis janvier, il existe cinq quartiers d'évaluation de la radicalisation, contre deux l'an dernier. Nous avons mis en place un système de détention de ces individus dans des lieux adaptés : ils doivent être placés dans des quartiers d'isolement ou de prévention de la radicalisation. Et ce, afin d'éviter le prosélytisme. Cela se construit progressivement.

Nous avons renforcé la sécurité des établissements avec un nouveau système de brouillage des téléphones portables, qui sera déployé en commençant par la Santé et la prison de Vendin-le-Vieil, et un nouveau système contre les drones. Le budget pour la sécurisation des établissements pénitentiaires a augmenté de 16 %.

Nous agissons aussi pour la protection du personnel pénitentiaire. Nous déployons des équipements nouveaux, plus de 1 500 gilets pare-lame à ce jour et nous continuerons. La sécurité des Français est notre priorité, la sécurité des surveillants pénitentiaires l'est tout autant.

M. François Grosdidier.  - Il faut autoriser les fouilles systématiques !

Mme Nathalie Goulet.  - Il n'y a pas de baguette magique contre la radicalisation en prison, sinon le Sénat aurait trouvé la solution depuis longtemps. Ce phénomène ne date pas d'hier, Farhad Khosrokhavar l'a bien montré. On sait qu'il faut du temps au temps mais le personnel manque d'équipements et de formation. L'évaluation de la radicalisation est d'autant plus essentielle que des encombrants vont revenir d'Irak dont on ne sait que faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

Politique touristique

Mme Catherine Dumas .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Selon une note interne du Quai d'Orsay, on envisage de soumettre Atout France à un plan drastique : une amputation d'un tiers de sa masse salariale, quatre millions d'euros d'économies. Business France serait aussi concerné. Ces coupes claires entraîneraient la fermeture de plusieurs bureaux à l'étranger et affecteraient notre rayonnement.

À l'heure où les mouvements sociaux que nous subissons dégradent notre attractivité, quelle est votre ambition pour la promotion du tourisme ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Le tourisme est un secteur clé et le Gouvernement fait du développement touristique l'une de ses priorités. En 2018, 90 millions de touristes étrangers ont visité notre territoire. C'est bien, mais il faut faire mieux.

Le plan Action publique 2022 entraîne logiquement la transformation des opérateurs de l'État, elle se fera à la lumière de l'évaluation de leur efficacité. Une réflexion stratégique sera menée sur la meilleure manière d'assurer la promotion touristique.

Concernant son financement, le Gouvernement s'est engagé, lors du conseil interministériel du tourisme du 19 janvier 2018 à apporter des ressources supplémentaires pérennes via les visas tout en continuant d'appliquer le modèle partenarial qui fait la caractéristique de notre politique touristique.

Le Gouvernement a conforté Atout France dans sa mission avec « France Tourisme Ingénierie » qui viendra en appui des territoires pour mener des projets d'envergure. Car c'est en agissant sur la demande et sur l'offre face à une clientèle mondiale toujours plus exigeante que nous atteindrons nos objectifs et ferons du tourisme un vecteur de croissance et d'emploi.

Mme Catherine Dumas.  - J'entends votre ambition, mais, membre du conseil interministériel du tourisme, je réaffirme qu'un vaste plan social à Atout France serait un paradoxe au regard des objectifs que vous fixez et de la concurrence de plus en plus vive des autres pays d'Europe et du reste du monde. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains)

Communes nouvelles

M. Stéphane Piednoir .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Après un début de quinquennat à marche forcée, on sent un net ralentissement. Depuis le 15 janvier, le temps législatif est figé : les projets de loi sont reportés, les réformes sont suspendues dans l'attente des conclusions du grand débat.

Le 11 décembre dernier, le Sénat votait une proposition de loi de Mme Gatel qui apportait de la souplesse au fonctionnement des 755 communes nouvelles qui regroupent 2,5 millions de Français. Ce texte, soutenu par le Gouvernement, est très attendu, notamment dans mon département de Maine-et-Loire.

L'Assemblée nationale, qui avait inscrit ce texte à son ordre du jour, a reporté son examen sine die. Rassurez-nous : il ne s'agit pas d'un abandon ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

M. Ladislas Poniatowski.  - D'un enterrement !

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - Les communes nouvelles ont été créées par la loi de 2010 et réformées en 2015 par le député Jacques Pélissard. Elles ont connu un grand succès : 2 508 communes se sont regroupées pour créer 774 communes nouvelles. En 2019, 239 se sont créées. Cela porte le nombre total de communes à 34 970.

Cette politique connaît un succès particulier dans l'ouest de la France, dans le Maine-et-Loire que vous représentez, mais aussi dans la Manche, le Calvados et l'Eure. Mais il ne faut pas y voir un quelconque effet de l'accompagnement financier... (Sourires entendus)

La proposition de loi, que le Sénat a adoptée en décembre, vise à faciliter le développement des communes nouvelles, notamment en aménageant la composition des conseils municipaux durant la deuxième période. Il est nécessaire d'envisager l'examen, par l'Assemblée nationale, de ce texte, que le Gouvernement a soutenu, à la lumière des concertations avec les maires dans le cadre du grand débat. D'où la nécessité de le différer. Ne voyez pas le mal partout !

M. François Patriat.  - Très bien !

M. Stéphane Piednoir.  - Entendrez-vous la volonté des parlementaires qui travaillent en étroite collaboration avec les élus locaux ? Allez-vous, enfin, respecter leur travail plutôt que de consacrer votre temps à l'animation du show médiatique de votre mentor ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

La séance est suspendue à 16 h 5.

présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

La séance reprend à 16 h 15.

Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (demande du groupe CRCE).

Discussion générale

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE) En février 2014, Mireille Schurch déposait au nom du groupe communiste une proposition de loi pour renationaliser les sociétés d'autoroutes, identique à celle que nous examinons aujourd'hui. L'ensemble des groupes, à l'exception du nôtre, avaient rejeté ce texte, préférant attendre la fin des concessions pour rendre à l'État sa propriété.

Cette position s'est révélée hasardeuse et peu pertinente car la fin des concessions n'a cessé de reculer, à cause de contrats et de protocoles intervenus depuis, tous opaques - au point que le Gouvernement en cache le contenu, malgré les assignations en justice. C'est un scandale d'État !

Les gilets jaunes réclament la renationalisation des autoroutes, leurs opérations « péages gratuits » ne sont pas anodines. Car les péages sont devenus le symbole du racket organisé sur les usagers captifs, avec la complicité du Gouvernement. La colère est légitime ! La vente des sociétés d'autoroutes n'est rien d'autre que la captation des intérêts publics au profit d'intérêts privés, une spoliation puisque les autoroutes ont été financées par l'impôt de tous.

Les privatisations de 2005 par Dominique de Villepin étaient une erreur, une décision guidée par la seule obsession de réduire le déficit public. L'Autorité de la concurrence comme la Cour des comptes l'ont dénoncé, soulignant une rentabilité exceptionnelle des sociétés d'autoroutes, une rentabilité qui n'est guère justifiée par les risques ou les coûts supportés par ces sociétés.

Certains juristes estiment même que l'absence d'aléas dans la prise de risques pourrait constituer un vice de nature à fonder une demande de résiliation des contrats de concession. Mais personne, jusqu'à présent, ne s'est engagé dans cette voie...

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes se portent bien : leur chiffre d'affaires a augmenté de 43 % entre 2009 et 2016, avec des bénéfices et des dividendes records - 4,7 milliards d'euros de dividendes - qui leur ont permis de rembourser déjà leur achat, estimé en 2007 à 14,8 milliards d'euros.

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont dégagé en 2017 une marge brute de 73 %, et certaines d'entre elles empruntent pour verser des dividendes ! En 2014, le Gouvernement avait engagé une procédure de renégociation. Les tarifs ont été gelés momentanément mais la hausse n'a été que reportée sur les années 2019 à 2023 et le protocole d'accord, signé le 9 avril 2015, par Mme Royal et M. Macron, prolonge les concessions de trois à cinq ans en contrepartie de travaux sur les autoroutes. Des avenants ont été signés en 2017 assurant 800 millions d'euros d'investissements supplémentaires avec en contrepartie une hausse des tarifs des péages et la participation des collectivités territoriales.

L'Arafer indique qu'il n'est pas justifié de faire supporter les financements de 23 opérations par les usagers. Pourtant, les tarifs continuent à augmenter. Comment l'État peut-il rester indifférent face à ce racket ?

L'intérêt général est bafoué. L'État s'avère incapable de défendre ses intérêts et l'intérêt général face au privé ; depuis dix ans, il fait systématiquement les mauvais choix.

Il faut sortir de ce piège, en analysant les rapports de force. Les pratiques des sociétés autoroutières sont légales puisqu'elles découlent de contrats signés avec l'État, lequel est littéralement pieds et poings liés, incapable de demander toute révision des contrats.

Lorsque l'État demande une réduction, il ne le fait pas au nom de l'intérêt général, mais il demande une aumône à des sociétés qui sont dans leur bon droit, et toute puissantes. L'État a organisé sa propre impuissance, et toute charge nouvelle demandée aux concessionnaires doit être « compensée », autrement dit facturée aux usagers.

Dès lors, il ne reste qu'une solution : l'État peut, pour un motif d'intérêt général, mettre fin aux contrats. Il en coûterait entre 28 et 50 milliards d'euros, que l'État verserait sur le long terme, par des emprunts qui seraient remboursés par les péages. L'État pourrait être offensif, en s'appuyant sur le principe constitutionnel interdisant aux personnes publiques de consentir des libéralités - par exemple une indemnisation manifestement disproportionnée au préjudice, y compris en cas de rupture d'un contrat administratif. C'est le cas ici, partant de la sous-estimation initiale des concessions, qui a lésé l'État.

À l'heure où se développe en France une fronde sur les taxes et la vie chère, cette option est tout à fait pertinente. Pourquoi ne pas prendre exemple sur l'Espagne qui a renationalisé 500 kilomètres de tronçons d'autoroutes ? Tout est donc affaire de volonté politique pour sauvegarder les intérêts de la Nation : c'est le sens de ce texte utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Guillaume Gontard, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Je veux saluer Évelyne Didier qui avait travaillé en 2014 sur un texte similaire.

Cette proposition de loi vise à corriger l'erreur du Gouvernement Villepin de 2006. Elle répond à deux questions qui font l'actualité : le renchérissement du coût des mobilités, lié à la diminution de l'offre de transports collectifs ; la privatisation d'ADP, symbole d'une politique de court terme où le Gouvernement n'hésite pas à dilapider les biens de l'État pour dégager des liquidités.

Si la majorité sénatoriale s'est opposée à la privatisation d'ADP, c'est bien qu'elle a pris la mesure du catastrophique précédent de la privatisation des autoroutes en 2006. Aujourd'hui, une vingtaine de sociétés gèrent 9 000 kilomètres d'autoroutes, avec 1 000 aires de repos, 987 échangeurs, mobilisant 13 000 emplois.

Cette proposition de loi nationalise quatorze sociétés d'autoroutes, opération qu'elle gage par une hausse de l'impôt sur les sociétés - sachant que le Gouvernement pourra avancer la somme nécessaire, puis se rembourser via les péages, car la nationalisation, ce n'est pas la gratuité.

Le 20 février dernier, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a souligné l'importance du sujet et la nécessité que l'État utilise tous ses outils pour mieux réguler les concessions et les tarifs. Elle a rappelé que les hausses importantes de tarifs résultent des décisions irresponsables prises par le passé. Mme Royal avait obtenu un gel des tarifs des péages en 2013, mais avec un rattrapage entre 2019 et 2023, pour un montant de 500 millions d'euros pour les usagers... Les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne font pas de cadeaux !

En 2014, un groupe de travail de la commission, coprésidé par MM. Filleul et de Nicolaÿ, a suggéré d'avancer sur la voie d'une reprise en main progressive par l'État, moins coûteuse qu'une nationalisation en une fois.

Depuis 2014, le contrôle sur les sociétés autoroutières a été renforcé, mais il demeure perfectible. Un exemple : Bercy ne nous a toujours pas transmis le protocole d'accord négocié en 2015 par Mme Royal et M. Macron et qui prolonge la durée des concessions jusqu'en 2036 en échange de travaux réalisés dans le cadre du Plan de relance autoroutier. Le Conseil d'État s'apprête à trancher la question de la communication de ce protocole, la rapporteure publique s'est prononcée pour. Il est inacceptable, s'agissant de fonds publics, que ce texte ne nous ait pas été communiqué : il est essentiel au contrôle de l'action du Gouvernement, qui est l'une de nos missions constitutionnelles.

Vu le coût de la renationalisation estimé à 50 milliards, et tenant compte de l'impréparation de l'État, la commission, contre mon avis, a repoussé la renationalisation.

Trois remarques, ensuite, pour éclairer nos débats.

D'abord, il est manifeste que l'État s'est lié les mains avec la privatisation, s'enfermant dans des montages contractuels complexes. Il n'est plus en mesure de défendre ses intérêts patrimoniaux.

L'exploitation des autoroutes, ensuite, n'est pas un marché risqué, même si la définition des concessions laisse penser le contraire : le prix du pétrole a baissé, les taux d'intérêt restent bas, le trafic routier continue à augmenter de 12 % pour les véhicules légers et il est parvenu au même niveau qu'en 2013 pour les poids lourds.

Les sociétés d'autoroutes se refinancent à des taux avantageux. Les tarifs des péages augmentent constamment, au-delà du plafond initialement fixé. Ils répercutent la hausse de l'inflation, celle de la taxe d'aménagement du territoire et les travaux supplémentaires mis à la charge des concessionnaires.

Enfin, contrairement à ce que l'on croit souvent, rien n'empêche l'État de reprendre la main, via un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) « Routes de France » qui permettrait de gérer les autoroutes, tout en ouvrant une réflexion sur les nouvelles formes de mobilités.

C'est pourquoi le groupe CRCE propose de nationaliser les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Hélas la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ne nous a pas suivis... (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Ce sujet intéresse beaucoup les parlementaires et les citoyens. Je crois sincèrement que l'hypothèse d'une nationalisation n'est pas réaliste : 50 milliards d'euros c'est beaucoup, vu l'état de nos finances publiques.

De plus, quel intérêt pour l'État à racheter à un prix exorbitant les sociétés concessionnaires d'autoroutes, alors qu'il retrouvera à partir de 2033 la propriété du réseau ?

Mme Éliane Assassi.  - Ce n'est pas sûr !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les concessions ont permis à la France, depuis la loi du 18 avril 1955, de se doter d'un réseau performant de 9 000 kilomètres d'autoroutes.

Les concessions avaient d'abord un capital public, leurs bénéfices allaient aux investissements dans les transports, la durée était limitée.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Pourquoi ne pas continuer ainsi ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Ensuite, on a eu recours à l'adossement, en particulier pour financer les liaisons interurbaines moins rentables. L'adossement a eu des effets positifs sur l'aménagement du territoire, tout en allongeant la durée des concessions. Historiquement, les sections à péage étaient loin des agglomérations et elles servaient essentiellement aux trajets occasionnels des particuliers et pour les transports de marchandise longue distance. Avec l'extension des agglomérations et les changements de modes de vie, beaucoup de Français utilisent aujourd'hui l'autoroute pour leur déplacement quotidien. Cela pose la question de l'acceptabilité de notre modèle d'autoroute à péage - et la question se pose tout autant de l'acceptabilité de l'impôt.

J'en viens aux privatisations de 2005. Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont régis par des contrats signés alors qui ne pouvaient être modifiés ou recalés - le déséquilibre vient de là. Ce modèle, cependant, a évolué, avec la transparence et le travail de l'Autorité de la concurrence. Un mot sur la transparence : la loi impose la publicité des contrats. L'Arafer est consultative et exerce un pouvoir de régulation, sous l'oeil aussi de la Commission européenne. Le Parlement est destinataire aussi d'un rapport annuel sur l'exploitation des autoroutes et l'évolution des péages.

Depuis 2015, un rééquilibrage s'est opéré ; les nouveaux contrats prévoient désormais des modulations de péages si les conditions européennes évoluent. En cas de surperformance, les tarifs de péage baissent ou la durée de concession est réduite. L'Arafer créée par la loi du 6 août 2015 a été dotée d'un pouvoir de régulation. Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes se sont donc rééquilibrées.

La question de la communicabilité des protocoles sera prochainement tranchée par le Conseil d'État.

Demander aux sociétés concessionnaires de prendre leurs responsabilités reste la seule voie possible. Racheter des concessions n'est pas une option. Les concessions d'autoroute arriveront à leur terme dans dix ans. Le choix du nouveau modèle reste ouvert : l'État pourrait ainsi en venir à gérer son réseau autoroutier. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Michel Dagbert .  - Je n'irai pas dans la facilité consistant à rejeter la responsabilité de l'échec des privatisations sur le Premier ministre d'alors, Dominique de Villepin. Si les gouvernements successifs se sont attachés à améliorer les conditions de l'achat privé, l'État s'est montré un bien mauvais négociateur. La Cour des comptes a estimé qu'il manquait 10 milliards d'euros pour que l'opération soit à son juste prix. Les conditions de la privatisation n'ont pas pu éviter la constitution d'une rente.

Les sociétés d'autoroutes ont été incapables de protéger les intérêts des usagers, malgré des rentrées d'argent conséquentes.

Cet argent aurait été très utile au Gouvernement actuel qui affiche son ambition dans la prochaine loi d'orientation des mobilités examinée le 19 mars au Sénat, laquelle manque cruellement de moyens.

Si l'article premier de cette proposition de loi a le mérite de reprendre de manière exhaustive les sociétés concessionnaires d'autoroutes, il ne rend que plus hypothétique les chances de la faire aboutir. Comment imaginer dans cette période contrainte au niveau budgétaire, que le Gouvernement puisse mobiliser 45 milliards d'euros ?

Madame la ministre, nous sommes les représentants des territoires élus par des gens rompus à l'exercice des mandats locaux. Il leur arrive chaque année de procéder des délégations de service public sans jamais appauvrir le budget de leur commune. Cela devrait servir de modèle au Gouvernement à l'heure où il procède à la privatisation d'ADP.

À l'heure du grand débat, il n'est pas saugrenu de définir avec précision les politiques stratégiques sur lesquelles la Nation tout entière est en droit de se prononcer.

Le groupe socialiste s'abstiendra sur ce texte. Pour autant, il est impératif que l'État conserve les ingénieries administratives, juridiques et financières pour préparer au mieux le retour à la gestion étatique.

Si d'aventure, les données économiques s'amélioraient pour anticiper l'échéance de 2031, nous voterions favorablement une troisième proposition de loi du groupe CRCE. (Rires sur le banc de la commission et du groupe CRCE)

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Alors que l'Assemblée nationale débat de la privatisation d'ADP, le sujet des concessions autoroutières nous revient. À l'évidence, l'État n'a pas été assez pugnace. Le rapport de la Cour des comptes l'a montré. L'assainissement des comptes publics aurait dû être secondaire par rapport à la défense du service qui s'imposait au cahier des charges plus exigeant.

L'idée de renationaliser le réseau concédé n'est pas pour autant opportune. Juridiquement, les autoroutes ne sont pas privatisées mais appartiennent à l'État.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ce sont les bénéfices, qui sont privatisés...

M. Jean-Pierre Corbisez.  - La gestion et l'exploitation des autoroutes reviendront dans le giron de l'État dans une dizaine d'années. L'évaluation financière n'est pas aboutie, allant de 20 à 57 milliards d'euros. La rupture des contrats entraînera une indemnisation des sociétés concernées et un alourdissement de la dette publique.

Le texte ne comporte aucune obligation normative sur le transfert des fonds à l'Afitf. Le standard de nos autoroutes reste très exigeant et peu d'États peuvent se targuer d'un réseau d'une telle qualité : plus des deux tiers sont en très bon état et un cinquième en bon état. Quant à critiquer les grands groupes, rares sont les entreprises assez robustes pour gérer de telles infrastructures.

Nous pouvons toutefois améliorer la coopération entre Bercy et le ministère des transports pour négocier de meilleurs contrats avec les concessionnaires. Nous pouvons améliorer la transparence de la hausse des tarifs des péages.

Nous devons aussi être intraitables sur les travaux à imposer aux sociétés d'autoroutes.

Le groupe RDSE dans sa majorité ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Pierre Médevielle .  - Le débat sur les concessionnaires d'autoroutes rebondit régulièrement. Le voici à nouveau devant nous. La nationalisation des sociétés d'autoroutes est un fil rouge depuis 2006, avec la tentative de Ségolène Royal en 2014 de revoir les contrats de concession. La ministre avait très vite déchanté, car une éventuelle renationalisation coûterait 50 milliards d'euros à l'État, ce qui n'est guère envisageable.

Le sujet de la gratuité des autoroutes est également ouvert. Cependant comment faire alors qu'il faut assurer la sécurité et la pérennité du réseau ? Soyons pragmatiques : la situation financière et sociale de la France nous oblige au consensus. L'heure est à la négociation entre l'État et les concessionnaires. Les sociétés d'autoroutes doivent entendre les demandes de nos concitoyens en faveur de leur pouvoir d'achat et baisser les tarifs des péages. Ce serait une meilleure solution que d'improbables gestes commerciaux ciblés.

Une solution serait qu'elles compensent cette perte par un court allongement de la durée des concessions.

Le groupe centriste ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-Pierre Decool .  - La privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, en 2006, n'a pas fait l'unanimité, loin s'en faut. Le constat est clair : la situation actuelle n'est pas satisfaisante. De là à débourser 50 milliards d'euros pour des autoroutes qui retomberont dans le giron de l'État d'ici dix ans, ce n'est pas réaliste.

Où trouver l'argent ? La France doit-elle encore plus s'endetter ? S'appuyer sur l'impôt sur les sociétés est fantaisiste alors qu'il doit progressivement disparaître, ce dont nous nous félicitons.

Le Gouvernement est engagé dans le projet de loi d'orientation des mobilités dont nous débattrons dans une dizaine de jours. Nous regrettons que la gestion des autoroutes n'y figure pas.

Ce débat est opportun pour préparer la fin des concessions. La privatisation, il y a treize ans, n'était pas la meilleure idée. Ce fut une bonne affaire, mais pas pour l'État. Le prix des cessions a été sous-estimé et les contrats ont lié les mains de l'État, alors que la rentabilité des concessions ne fait qu'augmenter. L'Autorité de la concurrence l'a même qualifiée d'exceptionnelle et d'injustifiée au regard des coûts.

La concurrence est réduite et le coût des travaux est compensé par l'État. Le tarif des péages est en augmentation constante - nous en sommes épargnés dans les Hauts-de-France où beaucoup d'autoroutes sont gratuites.

L'article 4 de la loi de 1955 dispose que les autoroutes sont en principe gratuites. Or la plupart des autoroutes sont aujourd'hui payantes et l'augmentation des tarifs est très difficile à endiguer. L'an prochain, les usagers paieront une hausse équivalente à 500 millions d'euros.

Nous regrettons le manque de vision de l'État sur ce sujet qui aboutit à des conséquences malheureuses pour les usagers. Le rôle de l'Arafer doit être renforcé.

Le groupe Les Indépendants ne votera pas cette proposition de loi, inopportune en l'état. Cependant, nous prenons date. Le débat sur la gestion des autoroutes est nécessaire pour les prochaines années. L'examen du projet de loi d'orientation des mobilités sera l'occasion de poser les bases de cette réflexion.

M. Frédéric Marchand .  - Dans moins de deux semaines, nous examinerons le projet de loi d'orientation des mobilités. Nos collègues du CRCE sont trop impatients, d'où ce texte. Restons légers : « C'est un scandale, j'ai pris l'autoroute à contresens et on ne m'a même pas remboursé », disait un comique français.

La privatisation déclenchée en 2006 a certes été sous-évaluée, mais de 1,5 milliard sur 2,4 milliards et non de 10 milliards comme indiqué par les auteurs de la proposition de loi, selon la Cour des comptes en 2009. Les entreprises qui ont remporté le marché ont vu leur profit augmenter considérablement. Le financement de l'Afitf en a subi les conséquences.

Le contrat de concession et le cahier des charges annexé définissent le cadre d'évolution des tarifs. Un accord a été trouvé en avril 2015 pour rééquilibrer les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires qui ont dû réaliser un programme de travaux de plus de 3 milliards d'euros. L'Arafer a été créée.

En septembre 2016, un nouveau plan autoroutier prévoyait un milliard d'euros d'investissements. Dans le contrat passé en 2006 avec les sociétés d'autoroutes, aucune augmentation tarifaire n'était prévue, celle-ci se calquant sur l'inflation.

L'estimation du coût de la renationalisation est de 30 à 50 milliards d'euros sans compter les contentieux.

La ministre des transports a appelé les concessionnaires à des gestes commerciaux, face à la grogne des gilets jaunes. Mais seule leur bonne volonté a été sollicitée.

Il serait contre-productif de renationaliser dès à présent. Cependant, gardons à l'esprit l'échéance de 2033.

Le groupe LaREM votera contre ce texte.

Mme Céline Brulin .  - Lors du débat sur la privatisation d'ADP, chacun au Sénat a reconnu que celle des autoroutes avait été catastrophique. Cette question pose celle du rôle de l'État dans l'aménagement du territoire. Le droit des contrats passés devient plus fort que la souveraineté politique et l'État n'est plus en mesure d'imposer sa volonté aux concessionnaires. Ainsi les véhicules de police, des pompiers et du SAMU paient les péages ! L'État a renoncé à la gratuité, parce qu'elle aurait impliqué une indemnisation des sociétés concessionnaires. Les autoroutes sont tout aussi stratégiques que les aéroports franciliens.

L'État a organisé sa propre incapacité à mettre en place des tarifications sociales. La privatisation des autoroutes a des conséquences économiques lourdes.

Il y a un consensus sur la rente, ou la « rentabilité exceptionnelle » selon l'Autorité de la concurrence, des sociétés concessionnaires d'autoroutes qui ont rapidement récupéré leur mise de départ. Mais cet argent est issu de la hausse des tarifs payés par les Français. C'est leur argent. Or l'État continue d'être mis à contribution pour construire de nouvelles bretelles, j'en ai des exemples en Normandie comme vous en avez dans chacune de vos régions.

Nationaliser les autoroutes, ce serait utiliser leurs bénéfices pour l'intérêt général, notamment en faveur du report modal. Or l'Afitf a été privée de ressources pérennes par la privatisation des autoroutes.

Alors que nous nous apprêtons à débattre d'un projet de loi d'orientation des mobilités gravement sous-financé, il faudrait retrouver des ressources pérennes plutôt que de multiplier par deux les recettes des radars, comme le proposent certains.

Les gilets jaunes réclament massivement la nationalisation des autoroutes ; voyez les opérations « péage gratuit ». Les Français sont nombreux à ne plus pouvoir utiliser les autoroutes. Si celles-ci sont bien entretenues, c'est au détriment du réseau secondaire, auquel la renationalisation bénéficierait.

La population ne veut pas d'une nationalisation dans dix ou vingt ans ni risquer de voir les contrats reconduits indéfiniment, ce qui constituerait une privatisation de fait. Montrez à nos concitoyens que vous n'êtes pas sourds à leurs revendications : votez donc avec nous cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE;  M. Patrice Joly applaudit également.)

M. Vincent Delahaye .  - Merci au groupe CRCE de faire vivre le débat sur les concessions autoroutières...

M. Éric Bocquet.  - Cela commence très bien !

M. Vincent Delahaye.  - Le groupe UC avait proposé un débat parlementaire sur ce sujet, qui malheureusement a dû être reporté en raison de la manifestation contre l'antisémitisme.

Il y a plus de douze ans, l'État privatisait les autoroutes, pour des concessions de trente ans en moyenne, nous présentant l'opération comme une « bonne affaire » : 14,8 milliards d'euros furent ainsi engrangés dans ses caisses, or les dividendes réalisés en douze ans dépassent cette somme ! Les entreprises concessionnaires ont dégagé 73 % de marge brute, ce qui est sans équivalent dans le privé.

La renationalisation proposée est estimée à 50 milliards d'euros, soit le triple de ce qu'a rapporté la privatisation.

« Bonne affaire » pour le contribuable ? Certainement pas ! Pas pour les usagers non plus ! Selon les chiffres à notre disposition - assez peu transparents - le chiffre d'affaires des sociétés a augmenté beaucoup plus vite que le trafic. Par conséquent, les bénéfices proviennent de la hausse des péages, supérieure à l'inflation. Les automobilistes dépensent autant en péage qu'en carburant désormais.

Entre 2010 et 2013, 167 nouveaux kilomètres d'autoroutes ont été construits sur 9 000 kilomètres de réseau. Cela n'a jamais été aussi peu.

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont obtenu une prolongation des concessions en 2015, ainsi que de nouvelles hausses tarifaires, en contrepartie d'un pseudo-gel des tarifs. Certes une rétrocession des surprofits est prévue et intégrée dans la loi Macron mais elle est facilement contournée. Pourquoi ?

L'accord de 2015 conclu avec Mme Royal est toujours officiellement secret. Pourquoi ? Parce que les Français découvriraient qu'il est au profit des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à leur détriment ?

Toutefois, une renationalisation n'est pas une bonne idée : elle serait dangereuse juridiquement et très lourde financièrement. L'État n'est pas toujours bon gestionnaire.

M. Jean-Pierre Grand.  - C'est pour ça qu'il faut laisser les autoroutes au privé. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

M. Vincent Delahaye.  - Toutefois, nous continuerons de demander au Gouvernement de faire toute la lumière sur les contrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. Patrick Chaize .  - Au risque de surprendre, je commencerai par être bienveillant à l'égard de cette proposition de loi. Trop souvent nous examinons des textes non normatifs ou consacrons des mesures qui ne seront jamais atteintes. Difficile, alors d'être trop ambitieux, ou de faire de la politique.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Justement ! Faisons de la politique !

M. Patrick Chaize.  - Par cette proposition de loi, les membres du groupe CRCE montrent qu'ils n'y renoncent pas...

M. Pierre-Yves Collombat.  - On est là pour ça !

M. Patrick Chaize.  - Bravo ! Le groupe Les Républicains non plus, mais sa politique n'est pas la même... Comme Jean-Pierre Grand le rappelle dans son amendement, l'affectation des dividendes au financement des infrastructures de transport est une pure pétition de principe. La commission a rejeté ce texte.

Je peux m'associer à nombre de constats de l'exposé des motifs. En effet, le produit des péages a servi au budget de l'État et non à l'Afitf. Je souscris aussi à l'analyse de la rentabilité financière des sociétés concessionnaires, adossée aux rapports de la Cour des comptes de 2013 et de l'Autorité de la concurrence de 2014, lesquelles n'ont pas exactement eu la même appréciation.

L'opération de rachat a été évaluée par les auteurs de 28 milliards à 50 milliards d'euros et par le Sénat de 30 milliards à 40 milliards d'euros. Je n'alimenterai pas ce débat. J'eus l'honneur de faire partie du groupe de travail mené par notre collègue Louis-jean de Nicolaÿ et notre ancien collègue Jean-Jacques Filleul, aux côtés de notre ancienne collègue Évelyne Didier, qui siégeait sur les bancs des auteurs de la proposition de loi. Nous avancerions en plein brouillard.

Nous sommes hostiles au rachat des contrats de concessions existants. La position de notre groupe est claire et conforme à celles qu'il a exprimées précédemment, en 2017, et en 2014. À leur issue, nous voulons que l'État évalue l'ensemble des possibilités, notamment celle de reprendre la main. Il ne faut en effet rien s'interdire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Dans un rapport de juillet 2013, la Cour des comptes soulignait l'insuffisante régulation des hausses de tarifs. Le décret de 1995, estimait-elle, protégeait insuffisamment les intérêts du concédant et des usagers. Elle jugeait aussi que la compensation par les hausses tarifaires d'investissements faibles et peu utiles à l'usager était anormale. Dans un avis du 17 septembre 2014, l'Autorité de la concurrence observait que le chiffre d'affaires des sociétés concessionnaires augmentait plus vite que le trafic. Elle émettait également des propositions pour une meilleure régulation des tarifs et une amélioration de la concurrence.

Les articles 5 et 6 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, ont renforcé les prérogatives de l'Arafer sur les tarifs autoroutiers.

En juillet 2018, le rapport de l'Arafer sur les marchés et les contrats constate que la majorité des achats des sociétés concessionnaires d'autoroutes font l'objet de procédures transparentes. Elle note aussi dans son rapport annuel de novembre 2018 que l'effet des hausses spécifiques liées à la compensation de la redevance domaniale ou des investissements supplémentaires prévus par les contrats de plan s'est atténué, même s'il reste supérieur à l'inflation.

J'appelle l'attention des députés, qui débattent en deuxième lecture du projet de loi Pacte, sur le vote du Sénat sur les articles 47 et 48 relatifs aux contrats aériens, qui donnent la possibilité à l'État d'imposer des obligations à ADP pour faire prévaloir l'intérêt général.

Je voterai contre la proposition de loi. Laissons au temps le temps de faire son oeuvre avant de rebattre à nouveau les cartes. Mais soyons vigilants quant à la privatisation d'autres infrastructures de transport. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Élisabeth Borne, ministre .  - La décision du Conseil d'État sur l'opportunité de rendre public le protocole transactionnel est imminente, mais je rappelle que des dispositions ont été traduites dans les contrats, qui sont publics. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

La rentabilité sera évaluée à la fin de la décennie 2020. C'est là que l'allongement des contrats qui accompagne le plan de relance autoroutier pourrait être remis en cause.

Rappelons que les tarifs ont augmenté de 13,7 % entre 2010 et 2019, alors que l'inflation a été de 10,4 % sur la même période.

Les séquences tarifaires prévues dans les contrats de concession sont de 70 % de l'inflation ou 90 % en cas d'investissement supplémentaire.

Cela s'explique par la hausse de la taxe d'aménagement du territoire ou de redevance domaniale. Le gel de 2015 doit aussi faire l'objet d'un rattrapage.

J'ai souhaité que les sociétés concessionnaires d'autoroutes prennent leurs responsabilités, d'où leur engagement de réduire de 30 % les péages au-delà de dix allers-retours mensuels sur un même trajet. Cette mesure concerne potentiellement près d'un million d'usagers. Les sociétés l'ont présentée aux comités des usagers.

M. Guillaume Gontard, rapporteur .  - Les travaux de la commission l'ont montré : nous sommes tous à peu près d'accord sur le constat que la privatisation de 2006 est un échec et qu'à l'issue des concessions, il faudra travailler sur des modifications. Mais j'entends tout de même parler de possibles prolongations. Attention à éviter les petits pas progressifs qui résultent en une prolongation des concessions !

Madame la ministre, rien n'empêche l'État, pour couper court à toutes les suspicions, de publier le protocole transactionnel.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. - La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous examinons les articles de la proposition de loi initiale.

ARTICLE PREMIER

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont fait un profit considérable après l'équivalent d'un leverage buy-out (LBO) au détriment de la Nation. Vous dites : ce n'est pas le moment de renationaliser. Mais ce n'est jamais le moment !

Notre collègue député Chanteguet, qui n'est nullement suspect de gauchisme, a fait la preuve de la possibilité de renationaliser.

J'ai des doutes sur l'indépendance des hauts fonctionnaires de Bercy (M. Pierre-Yves Collombat feint l'indignation.) qui ont puisé dans un rapport du cabinet Deloitte commandé par les entreprises elles-mêmes les critiques à l'encontre des données de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence. Sur les 40 milliards d'euros que la nationalisation est censée coûter, on omet de dire qu'il y a 20 milliards de reprise de dette devant de toute façon être payés !

Vous serez comptables devant les Français dans dix ans quand le gaspillage sera supérieur au prix de la renationalisation, de même que la politique des tarifs en 2015 aura entraîné un surcoût de 500 millions d'euros, plein pot, pour les usagers !

Ces pratiques discréditent le politique, il faut renationaliser ici et maintenant ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian et M. Patrice Joly applaudissent aussi.)

M. Olivier Jacquin .  - Quelques jours après le débat sur ADP, quelques jours avant le projet de loi d'orientation des mobilités, je tiens à parler de rationalité économique et de bon sens.

Chez moi, un kilomètre d'A31, pour les finances de l'État, c'est une pure sortie d'argent. L'autoroute est gratuite. En revanche, un kilomètre d'autoroute concédée, c'est une vache à lait à très court terme, mais à long terme, une charge différée qui retombe sur l'usager.

Je ne suis pas opposé par principe à la concession, dès lors qu'il y a un contrôle public efficace. Or, par culture, l'État contrôle très mal les opérateurs. Il est faux de dire que l'État ne sait pas entretenir son patrimoine : il profite en fait de la concession pour tirer sur la corde.

M. Pierre Laurent .  - (Murmures à droite) Tout le monde dit qu'il faudra un changement ; certains, sur d'autres bancs, opposés aux nôtres, vont jusqu'à envisager une reprise en main publique. Mais le Gouvernement l'écarte dogmatiquement. On parle des autoroutes ; l'an dernier, on a discuté de la maîtrise, ou plutôt de la non-maitrise du ferroviaire. Comment mener une politique de mobilité en écartant du périmètre de la puissance publique un outil aussi majeur ? On ne peut pas concéder par morceaux les infrastructures publiques.

Le débat va rebondir dans quelques jours, lorsque nous aborderons le projet de loi d'orientation des mobilités. Continuer à repousser le problème à plus tard, c'est commettre un contresens historique, à l'heure de la transition écologique. C'est maintenant que la question de la nationalisation des autoroutes se pose. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Je voterai cette proposition de loi. Beaucoup d'orateurs ont affirmé que les privatisations avaient dégagé des capacités d'investissement. L'échec est justement d'avoir demandé au privé de prendre en charge les investissements dans les infrastructures publiques. Cette logique rend l'État impuissant, au nom de quoi ? D'un respect artificiel des indicateurs trompeurs de dette publique et des critères maastrichtiens de dépenses publiques. En privatisant les autoroutes, nous avons transféré 19 milliards d'euros de dette. Mais la dette privée est-elle meilleure que la dette publique ? C'est oublier que c'est elle qui nous a conduits à la crise de 2008. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Fabien Gay .  - Il y a un fossé entre les citoyens et les élus. Les premiers en ont marre des doubles discours. Comment une ministre peut-elle demander au préfet une concertation sur l'opportunité du CDG Express et ses impacts sur le RER B, et, « en même temps », signer le papier qui permet de lancer le chantier, alors que le Gouvernement envoie les CRS pour seule réponse à la maire de Mitry-Mory qui se mobilise contre le début des travaux ?

Tout le monde ici, reconnaît que la privatisation de 2006 a été plus qu'une erreur, un scandale ! Et ce, sur la plupart des bancs, en séance, comme en commission spéciale Pacte, où l'on a rejoué Les Révoltés de la Bounty (Sourires)...Et l'on va recommencer avec ADP ! Plutôt que d'engraisser le privé, l'argent des péages doit alimenter les services publics. Les gens en ont assez et supportent mal le cadeau fait à Vinci, déjà principal concessionnaire des autoroutes...

M. le président. - Veuillez conclure.

M. Fabien Gay.  - Retrouvons nos esprits, votons cette proposition de loi de bons sens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; M. Patrice Joly applaudit également.)

M. Patrick Chaize, vice-président de la commission.  - Non.

M. Patrice Joly .  - Les années passent, les sociétés d'autoroutes engrangent des résultats mirifiques : en 2016, un bénéfice de plus de 3 milliards d'euros, en hausse de 25 %, et des dividendes en augmentation de 40 % !

L'existence d'une rente autoroutière est avérée. La rentabilité des exploitants n'a aucune justification économique ou sociale. Cette rente met en évidence des carences de gouvernance. Le Gouvernement qui a négocié la privatisation est tout particulièrement responsable.

Dans l'intérêt de l'État, donc du contribuable, il faut une maîtrise des grandes infrastructures.

De plus, il y a une opportunité conjoncturelle à nationaliser, c'est pourquoi je voterai ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Jean-François Longeot .  - Oui, la privatisation a été menée dans de mauvaises conditions. Mais je ne peux pas ne pas réagir à tout ce que je viens d'entendre : ne faisons pas croire que nous allons trouver 50 milliards d'euros, comme cela ! Ce n'est pas rien, tout de même ! Veut-on taxer encore plus les sociétés ? Est-ce ainsi que nous assurerons l'avenir industriel de la France, que nous venons d'évoquer lors des questions d'actualité ?

Si nous renationalisons les autoroutes, serons-nous capables de les entretenir, de réduire les tarifs ?

Mme Éliane Assassi.  - Oui !

M. Jean-François Longeot.  - Ne donnons pas l'impression que demain tout ira mieux avec une nationalisation. Restons prudents. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Indépendants)

M. Michel Vaspart .  - Je n'avais pas prévu d'intervenir mais je voudrais répondre à M. Gay. Nous sommes nombreux à reconnaître que la privatisation des autoroutes a été une faute. Nous avons voté contre la privatisation d'ADP pour éviter de la reproduire.

Mais si nous mettons 50 milliards d'euros pour racheter les autoroutes, combien d'années faudra-t-il pour récupérer la mise, sans augmentation des tarifs, alors que le prix de vente était de 14,8 milliards d'euros et que les dividendes se sont élevés à 14,9 milliards d'euros ? (MM. Fabien Gay et Pierre Laurent protestent.)

Ces deux votes ne relèvent pas de la même logique.

M. Pascal Savoldelli .  - Selon l'Arafer, en 2017, les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont réalisé un excédent brut d'exploitation de 7,3 milliards d'euros pour un chiffre d'affaires de 10 milliards.

Je ne connais aucune TPE ou PME, dans le Val-de-Marne, qui fasse 73 % de marge brute. Pourquoi oublions-nous qu'en 2004, une mission d'information parlementaire s'était intéressée à la maîtrise publique des autoroutes ? Ses membres n'étaient ni moins intelligents ni moins responsables que nous, ils ont posé la question de l'impôt et celle du péage...

Enfin, madame la ministre, si l'État vend ses parts d'ADP, aura-t-il la conscience tranquille si Vinci, Eiffage, Aventis - les concessionnaires d'autoroutes - les rachètent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian et M. Patrice Joly applaudissent aussi.)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Je dois à mon tour intervenir car j'ai porté la suppression de l'article 44 de la loi Pacte, qui rapproche les points de vue dans cet hémicycle.

Cette proposition de loi, elle, est jusqu'au-boutiste, irréaliste et financièrement périlleuse.

Il y a eu des exagérations, oui, notamment la création d'un péage inique sur l'A10, à seulement 23 kilomètres de Paris, pour faire un cadeau au concessionnaire. Il faut les dénoncer, comme je l'ai fait avec Laure Darcos et Olivier Léonhardt ici présents, car laisser croire que l'État ne peut rien faire est insupportable. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Les Républicains et Les Indépendants, ainsi que sur les bancs du groupe CRCE et sur plusieurs bancs du groupe UC)

M. Pierre Médevielle .  - J'ai fait partie du groupe de travail mené par Jean-Jacques Filleul et Louis-Jean de Nicolaÿ. Nous avons constaté, lors de nos auditions, que le rapport de l'Autorité de la concurrence était à charge, puisqu'il ignorait, dans le calcul de la rentabilité des autoroutes, le coût du rachat et de la reprise de la dette. Oui, l'activité est rentable, mais ce n'est pas un scandale.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Et l'avis de la Cour des comptes ?

M. Pierre Médevielle.  - Elle a démonté le rapport de l'Autorité de la concurrence.

De plus, il est irréaliste de prétendre mettre 50 milliards d'euros sur la table.

Mme Éliane Assassi .  - Le coût du rachat peut être négocié ; on peut même dénoncer les contrats viciés et déséquilibrés devant les tribunaux. (Mme la ministre le conteste.)

Et puis, on trouve bien 40 milliards pour le CICE ! De l'argent, il y en a ! On pourra aussi utiliser les recettes des péages. Ce sont des choix politiques ; souffrez que nous les contestions. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Olivier Léonhardt .  - J'ai posté à l'instant un message sur les réseaux sociaux, rappelant que je refuse le dogmatisme. Je pourrais accepter que l'État ne soit plus actionnaire de Renault, puisque nous devons être le seul pays à posséder un groupe automobile à participation publique ! (Murmures sur les bancs du groupe CRCE) En revanche, les autoroutes sont sans conteste beaucoup plus proches de l'intérêt public.

Soutenir cette proposition de loi peut attirer l'attention sur le scandale des péages. Ce texte ne sera sans doute pas voté par l'Assemblée nationale.

M. Pierre-Yves Collombat.  - On ne sait jamais !

M. Olivier Léonhardt.  - Je voterai ce texte, pour lancer l'alerte et rester vigilant pour l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; M. David Assouline et Sophie Taillé-Polian applaudissent également.)

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Grand.

Supprimer cet article.

M. Jean-Pierre Grand.  - Ce débat me rajeunit. J'ai l'impression d'être revenu en 1981, à l'époque où Charles Fiterman était ministre des transports et que l'on parlait de nationalisations...

Les Assises de la mobilité l'ont montré, il faut apporter des réponses adaptées aux besoins de déplacement du quotidien. Je pourrais, entre autres exemples, vous parler de la jonction entre l'A75 et l'A9 et du contournement de Montpellier. L'État et les collectivités territoriales ne peuvent financer de telles infrastructures. Le concessionnaire, lui, le peut si on lui offre pour contrepartie le rallongement de la concession.

Gardons à l'esprit ces chiffres simples : sur 10 euros de péage, 4,2 euros reviennent à l'État sous forme d'impôts et de taxes, 1,2 euro va à l'exploitation, 2,1 euros au remboursement de la dette et à la rémunération des investisseurs et, enfin, 2,5 euros sont affectés à la construction et à la modernisation du réseau. Si la gestion des autoroutes était nationalisée, cela tomberait dans le tonneau des Danaïdes de Bercy.

Les auteurs de ce texte comptent affecter les dividendes à l'agence de financement des infrastructures de transport mais cela reste une affirmation de principe dénuée de base législative.

Supprimons cet article, la concession reste le seul moyen de maintenir notre réseau autoroutier dont la qualité et le confort en Europe sont reconnus dans toute l'Europe.

M. Guillaume Gontard, rapporteur.  - La commission a émis un avis favorable, contre son rapporteur. Je regrette que, dans le cadre de cette niche, on ne puisse pas aller au bout de l'examen de ce texte.

M. Jean-Pierre Grand.  - Ce ne serait plus une niche mais une farce !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le Gouvernement n'est pas favorable à la renationalisation des sociétés d'autoroutes ; donc, avis favorable.

Ce mécanisme d'adossement peut être envisagé pour quelques cas particuliers. Il est fortement encadré, comme tout allongement de concession, et nécessite une notification auprès de la Commission et un vote du Parlement. En tout état de cause, allonger indéfiniment les concessions d'autoroutes n'est pas une bonne idée si l'on veut équilibrer les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires.

M. le président.  - Si cet amendement était adopté, l'article premier serait supprimé et les articles suivants deviendraient sans objet. Il n'y aurait donc plus lieu de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

M. Olivier Jacquin.  - Je veux adresser un salut amical à Evelyne Didier, appréciée pour ses compétences, qui représenta mon département au Sénat. Si elle nous écoute, son sang doit bouillir. Monsieur Grand, la puissance publique est capable de mener à bien des investissements et des projets de grande ampleur !

Les sociétés autoroutières du Mont-Blanc et celui du Tunnel de Fréjus, dont le président est Thierry Repentin, sont exemplaires. Les tronçons sont parfaitement entretenus et les innovations nombreuses dans la gestion des péages, avec des offres particulières et des voies réservées.

Alors que les taux d'intérêt sont faibles, développer notre patrimoine par l'emprunt n'est pas une mauvaise idée. Dès que les sociétés d'autoroutes ont été en situation de faire des OPA, elles ont vidé les caisses. La logique de grand emprunt est une piste pour sortir de l'alternative de la concession.

Je voterai contre l'amendement n°1.

M. Jean-Pierre Grand.  - À Montpellier, il a fallu 800 millions d'euros pour construire 20 kilomètres d'autoroutes ; ce sont les ASF qui ont payé. Si l'on attend des fonds publics pour payer les 200 millions d'euros nécessaires au contournement ouest de Montpellier et les 200 millions d'euros pour celui de Nîmes, ce sera comme la LGV jusqu'à Perpignan : il faudra patienter. Il n'y a pas 36 solutions si nous voulons que cela bouge maintenant !

Merci, madame la ministre, pour vos propos. J'y ai entendu une ouverture malgré vos réticences.

Mme Nathalie Goulet.  - Pour être rapporteur spécial du budget « Engagements financiers de l'État », je sais qu'il « vaut mieux devoir que ne pas pouvoir rendre. » En l'espèce, nous ne pouvons plus rendre...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ils ont fait tout ce qu'il faut pour !

Mme Nathalie Goulet.  - Un grand emprunt ne me paraît pas à l'ordre du jour. Il y a eu des erreurs sur les concessions autoroutières mais la solution que vous proposez n'est pas la bonne. Je voterai l'amendement de M. Grand.

M. Sébastien Meurant.  - Oui, les autoroutes sont un bien commun mais dans un monde idéal. Le principe de réalité, c'est que l'État n'est pas capable d'entretenir les infrastructures. Dans le 95, le pont de Gennevilliers, à cause d'un défaut d'entretien, a dû être fermé pendant plusieurs jours. Résultat, des embouteillages monstres.

Mme Laurence Cohen.  - C'est une histoire de choix politique ! Quand on veut, on peut. Quelque 40 milliards d'euros pour le CICE ! Madame Goulet, si vous considérez que notre solution n'est pas la bonne, proposez-en une !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Le financement de la nationalisation, c'est évidemment un débat. Déjà, pour les 20 milliards d'euros de dette, il n'y a pas de cash à sortir. Ensuite, comme l'a dit le rapporteur, nationalisation ne signifie pas gratuité. Le Gouvernement pourra donc utiliser les recettes des péages. Je constate que les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont très peu investi, privilégiant les dividendes. Dans dix ans, les taux d'intérêt seront certainement plus élevés. On a intérêt à agir maintenant !

À la demande des groupes CRCE et Les Républicains, l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°60 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 248
Contre   93

Le Sénat a adopté et l'article premier n'est pas adopté.

En conséquence, les articles 2 et 3 ne sont pas adoptés, non plus que la proposition de loi.

La séance est suspendue quelques instants.

Interdire l'usage des lanceurs de balles de défense

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique dans ce cadre, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe CRCE.

Discussion générale

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi .  - L'examen de cette proposition de loi intervient à un moment critique de la vie démocratique de notre pays, théâtre d'un mouvement citoyen et social d'une longévité sans précédent et d'un caractère totalement inédit.

Le mouvement des gilets jaunes, soutenu par une majorité nette de nos concitoyens, n'a pas reçu de réponse nette. Dès le lancement du grand débat, le président de la République a fermé la porte au rétablissement de l'ISF et a éludé la question de la hausse des salaires. La réponse ne peut être que politique. La répression ne calmera pas la colère et l'exaspération ; elle les attisera.

Or, après une répression accrue lors des manifestations contre la loi El Khomri, nous assistons, depuis novembre, à une tentative d'utiliser la force brute, symbolisée par les lanceurs de balles LBD 40 pour canaliser, voire éteindre un mouvement populaire.

Je tiens à redire notre attachement à la police républicaine qui protège la sécurité de nos concitoyens. Les forces de l'ordre sont prises au piège de l'entêtement à maintenir une politique impopulaire. D'autres solutions existent : le préfet Grimaud, en 1968, a su préserver Paris des affrontements sanglants en refusant de jeter de l'huile sur le feu.

D'après plusieurs décomptes, on dénombre 206 blessures à la tête, dont plusieurs dizaines sont liées à des tirs de lanceurs de balles de défense ; 22 personnes ont été éborgnées, mutilées à vie.

Le LBD 40 (L'oratrice, de la tribune, en présente un à l'assistance.) est classé comme arme de première catégorie, arme à feu et arme de guerre. C'est une arme non létale si elle est utilisée dans les conditions préconisées par le constructeur, ce qui n'est pas toujours le cas. Une balle en caoutchouc à moins de dix mètres équivaut à recevoir un parpaing de 20 kilos ; à 40 mètres, c'est huit boules de pétanque ! Nous parlons bien d'une arme et d'une arme dangereuse qui occasionne des blessures graves constatées par des médecins - je déplore que la rapporteure n'en ait pas auditionné. Faut-il d'autres victimes pour qu'enfin, nous légiférions ?

Aucune arme ne peut réellement sécuriser les manifestants et ceux qui les encadrent. D'où ce texte pour interdire l'usage des LBD 40, améliorer la transparence sur l'usage des armes par les forces de l'ordre et lancer une réflexion sur notre doctrine de maintien de l'ordre et la formation de nos forces à la lumière des expériences européennes.

Dire stop au LBD 40 est une mesure d'urgence. Si la doctrine d'emploi de cette arme ainsi que son encadrement juridique sont précis, les conditions de son utilisation demeurent sujettes à caution. Sur les 13 460 tirs de balles de défense effectués, 85 % sont le fait d'unités civiles, non des CRS. Unités disparates, épuisées, insuffisamment formées, manque de coordination, tout cela pèse sur les forces de l'ordre et crée des drames.

Dès 2009, une pétition en ligne contre les LBD a circulé. La même année, une proposition de loi visait l'interdiction des armes de quatrième catégorie contre les attroupements. Au Sénat, nous avons proposé un moratoire en 2015. Depuis, il y a eu les rapports de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, les recommandations du Défenseur des droits, les déclarations du préfet de police de Paris, la pétition du professeur de neurochirurgie, les préconisations du Conseil de l'Europe et, enfin, hier, Michelle Bachelet, haut-commissaire de l'ONU, a réclamé une enquête approfondie sur l'usage excessif de la force dans les manifestations en France. Il est grand temps de stopper la dérive actuelle.

Cette proposition de loi, encore une fois, n'est pas contre les policiers ; elle vise aussi à les protéger. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur de la commission des lois .  - Le Sénat doit se prononcer sur un sujet dans le débat public qui divise depuis plusieurs semaines. Depuis seize semaines, lors de manifestations hebdomadaires, sont commis des actes de violence sans précédent et des dégradations matérielles d'une ampleur inédite. Un nombre important de blessés est à déplorer tant du côté des manifestants que des forces de l'ordre. Dans ces circonstances, il est légitime de s'interroger sur notre doctrine de maintien de l'ordre. En octobre dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi contre les violences dans les manifestations, qui doit revenir prochainement dans l'hémicycle en deuxième lecture.

Cette proposition de loi aborde le sujet sous le seul angle de la réduction de l'usage de la force par les forces de l'ordre. Sur le plan juridique, plusieurs de ses dispositions relèvent du domaine réglementaire. Ainsi en est-il de la liste des armes susceptibles d'être utilisées dans le cadre du maintien de l'ordre ainsi que des conditions d'accès au fichier relatif à l'usage des armes.

Sur le fond, le Conseil d'État l'a récemment rappelé, l'emploi du LBD est strictement encadré.

M. David Assouline.  - Avec 13 460 tirs ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur.  - Il peut en être fait usage dans deux cas. Premièrement, lorsque des voies de fait ou des violences sont commises à l'encontre des forces de l'ordre ou lorsque celles-ci ne sont pas en mesure de protéger le terrain qu'elles occupent. Le LBD est alors utilisé en groupe, par l'ensemble de l'unité, sur décision du commandement. Deuxièmement, en cas de légitime défense, d'état de nécessité ou encore de périple meurtrier. Quoi qu'il en soit, l'usage du LBD reste purement défensif. Une instruction prohibe les tirs à la tête et sur les personnes présentant des signes de vulnérabilité.

On ne peut nier que l'usage du LBD a beaucoup progressé ces dernières semaines avec 13 460 tirs décomptés entre le 17 novembre 2018 et le 5 février 2019. Depuis le début des manifestations des gilets jaunes, un millier de tirs a été recensé.

Cela étant, veillons à ne pas confondre l'usage légitime de cette arme avec le mésusage de la force. Il appartient à la justice de condamner les dérives individuelles et cela ne peut justifier l'interdiction de cette arme. Le nombre de blessures rapporté au nombre de tirs, demeure relativement réduit : 56 cas de graves blessures. (Murmures d'indignation sur les bancs du groupe CRCE)

L'interdiction pure et simple de cette arme, sans alternative, déstabiliserait le système de défense de nos forces de l'ordre.

Mme Éliane Assassi.  - Que proposez-vous ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur.  - Elle obligerait à recourir plus fréquemment à l'arme létale.

La Cour européenne des droits de l'homme exige, pour ces raisons, la mise en oeuvre d'une réponse graduée et d'un usage proportionné de la force.

Il est essentiel de s'assurer du bon usage du LBD et du respect du cadre juridique. Une meilleure formation à l'usage de cette arme y contribuera. Le recours aux caméras mobiles pour documenter leur utilisation est une avancée importante mais des améliorations techniques devront être effectuées. Monsieur le ministre, nous souhaiterions vous entendre sur ce sujet.

L'ouverture au public du traitement relatif à l'usage des armes pourrait fragiliser l'action des forces de l'ordre et n'offrirait qu'une vision partielle de la situation puisqu'il ne concerne que la police nationale.

Enfin, concernant le rapport pour explorer les pistes mises en oeuvre dans les autres pays européens, ayons conscience que les doctrines de désescalade ne sont pas forcément exemptes de violence. Selon un rapport des Inspections générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale de 2014, la doctrine allemande, si souvent donnée en exemple, est fondée sur une entrée en contact directe et rapide avec les manifestants, qui s'accompagne d'un nombre important de blessés des deux côtés.

Je vous invite, au nom de la commission des lois, à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur .  - Depuis quelques semaines, le débat sur le maintien de l'ordre s'est concentré sur les LBD. Depuis quelques semaines, notre pays connaît des troubles majeurs : des groupes violents, des casseurs s'infiltrent dans les manifestations pour casser les vitrines des magasins, le mobilier urbain, les symboles de la République ; ils s'en prennent aux parlementaires, aux forces de police. Tout y passe. L'image de cet officier de police transformé en torche humaine a frappé les esprits comme la scène ahurissante sur la passerelle Senghor. Depuis le 17 novembre, il y a eu près de 1 500 blessés parmi les forces de l'ordre - policiers, gendarmes et même pompiers. Depuis le 17 novembre, on a compté près de 80 dégradations majeures sur des bâtiments publics. Ces violences inqualifiables transforment les manifestations en émeute. Les forces de l'ordre savent qu'elles y seront systématiquement confrontées. Ce texte les priverait des moyens de se défendre.

L'emploi des LBD est strictement encadré. Les principes d'absolue nécessité et de stricte proportionnalité guident l'action de nos policiers. Jamais ce Gouvernement n'a dissuadé de manifester, au contraire ; il protège ceux qui manifestent pacifiquement pour faire connaître leurs revendications chaque samedi.

M. David Assouline.  - Avec la loi anticasseurs ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Les fonctionnaires dotés de ce matériel sont formés et habilités. En cas de manquement au protocole, une enquête est ouverte et une sanction envisagée si nécessaire.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Avec quel résultat ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Il y a eu 2 200 blessés lors des manifestations, 83 enquêtes ont été ouvertes.

Mme Éliane Assassi.  - Et ?

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Le ministre de l'Intérieur a exigé que l'usage des LBD se fasse concomitamment à l'usage de caméras-piétons pour garantir un meilleur contrôle. La sécurité de tous est notre priorité.

Certains continuent de demander : pourquoi utiliser le LBD ? Contrairement à ce qu'on entend, ce n'est pas une exception française ; il est utilisé en Espagne, en Croatie, en Bulgarie et en Slovénie. Il évite aux forces de l'ordre le corps-à-corps, de dissiper les violences à distance, avec le gaz lacrymogène et les canons à eau et les dispositifs de désencerclement.

S'il n'y avait pas de violences et pas d'agresseurs, il n'y aurait pas de LBD.

Mme Éliane Assassi.  - Et pourquoi pas, pas de manifestation !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Je suis le premier à souhaiter qu'on cesse d'utiliser le LBD : cela signifierait que les casseurs ont perdu.

Cette proposition de loi pourrait avoir des conséquences dangereuses pour la sécurité des Français et, en premier lieu, pour celle des manifestants.

Nous disposons d'un traitement informatique qui enregistre les tirs des LBD. Il s'agit cependant d'un traitement interne à la police nationale, qui contient des données personnelles. Il ne peut pas être ouvert au public.

Quant à la doctrine de désescalade, que signifie-t-elle face à des casseurs ? La désescalade, c'est la déclaration de manifestation auprès de la préfecture. (Protestations sur les bancs des groupes CRCE et SOCR) Ce sont les contrôles préventifs et les interpellations que nous mettons en oeuvre en amont de chaque manifestation des gilets jaunes. Tout cela est dans notre droit !

Quant à notre doctrine de maintien de l'ordre, elle est établie. Elle a évolué depuis novembre en raison des violences, violences qui sont bien loin du droit de manifester, auquel je suis attaché. Bien évidemment, le Gouvernement émet un avis défavorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. François Grosdidier.  - Bravo monsieur le ministre !

Mme Maryse Carrère .  - Ce texte poursuit un objectif en partie légitime : faire la lumière sur l'utilisation des LBD. L'article 2 fait écho aux préoccupations relayées par des observateurs comme le Défenseur des droits.

Après un long mouvement de pacification des cortèges, qui a participé à leur légitimation, nous observons depuis peu le retour des groupuscules violents. Les ligues d'hier sont devenues les black blocs d'aujourd'hui. À ces individus bien entraînés, cagoulés, s'agrègent des casseurs au comportement plus opportuniste.

L'équation est simple pour qui n'a pas à choisir entre la protection de son intégrité physique et l'usage d'une arme. Nous réaffirmons notre confiance à nos forces du maintien de l'ordre. Il serait dangereux de laisser croire que « la République a de la chance, elle peut tirer sur le peuple ! », comme le disait Louis-Philippe. Désarmer la République, ce serait la faire vaciller. Nous ne sommes pas favorables à l'article premier du texte qui interdit les LBD.

Pour autant, le débat doit se poursuivre. La fragilisation des syndicats n'est pas étrangère à la montée des violences dans les cortèges. Chez nos voisins européens, d'autres moyens sont utilisés comme le recours à des panneaux incitant les manifestants à se disperser.

Les règles d'utilisation des LBD ont été considérablement renforcées. Aux instructions des 27 juillet et 2 août 2017 s'ajoute l'obligation de filmer en cas d'usage du LBD depuis le 23 janvier 2019. La création d'une commission d'enquête aurait été plus pertinente. Le groupe RDSE en avait demandé une sur les Tasers en 2008.

Le groupe RDSE votera contre cette proposition de loi dans sa majorité ; certains s'abstiendront et nos deux collègues écologistes voteront pour. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Françoise Gatel .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Je salue, sans ironie, cette initiative du groupe CRCE, qui aborde la question des dérives violentes des manifestations dans notre pays. Le premier volet de cette proposition de loi porte sur les solutions alternatives à l'usage des armes par les forces de l'ordre ; le second porte sur l'interdiction des LBD.

Dans le sillage de l'occupation de Notre-Dame-des-Landes, de la contestation de la loi Travail puis des gilets jaunes, l'État est confronté à l'augmentation des actes agressifs vis-à-vis des biens et de personnes, voire de symboles de notre République. Ces violences parfois très agressives sont le fait d'individus qui instrumentalisent le droit de manifester, jusqu'à le dévoyer. On doit s'interroger sur le maintien de l'ordre et le droit de manifester dans ce contexte de guérilla urbaine et de ce que j'appellerai une professionnalisation de l'affrontement violent.

La formation à l'usage des LBD semble insuffisante mais l'évaluation prend du temps. Je ne doute pas que le Gouvernement s'y est déjà engagé.

Le deuxième volet porte sur l'interdiction des LBD. Leur usage n'a lieu, rappelons-le, qu'en cas de situation très dégradée pour disperser un attroupement après sommation prononcée par des autorités habilitées, ou à titre dérogatoire en cas de danger immédiat. Il n'est pas besoin de les décrire, nous avons vu les images.

Retirer un échelon dans la palette des armes autorisées, sans alternative, cela déstabiliserait l'organisation du maintien de l'ordre : cet échelon ferait défaut dans la nécessaire graduation que l'on demande aux forces de l'ordre. On encourrait un risque de recours plus fréquent à une arme létale ou au contact direct entre forces de l'ordre et manifestants. En outre, une partie de la proposition de loi est réglementaire.

En résumé, cette proposition de loi ne répond pas au souhait de pacification affiché.

Je suis profondément attachée au respect du droit à manifester, mais je veux aussi dire mon soutien aux forces de l'ordre, que nous devons protéger en les dotant des moyens nécessaires. Elles sont trop souvent agressées - par des groupes préparés, voyez les stages de guérilla urbaine organisés par les zadistes à Notre-Dame-des-Landes.

Les centristes sont attachés au respect des libertés individuelles, tout en apportant un soutien sans faille à nos forces de l'ordre, qui doivent être protégées et disposer des moyens nécessaires à leur tâche.

Le groupe UC ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Dany Wattebled .  - La situation sociale de notre pays et la multiplication des violences ont entraîné un usage accru des LBD. On ne peut que regretter les blessures occasionnées.

Cette proposition de loi interdit immédiatement les LBD. Elle vise aussi une plus grande transparence dans l'usage des armes par les forces de l'ordre, avec la mise à disposition du public du traitement relatif au suivi de l'usage des armes.

Cette proposition de loi demande enfin au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement sur les solutions alternatives en Europe.

La plupart des dispositions de la proposition de loi ne relèvent pas de la loi, mais du règlement.

L'ouverture au public du traitement informatique de l'usage des armes pose des problèmes de respect des données privées.

Le délai de deux mois pour un rapport sur la révision de notre doctrine de maintien de l'ordre, en nous inspirant de certains pays européens, est insuffisant. En outre, nos forces de l'ordre n'ont rien à envier aux forces de l'ordre des autres pays de l'Union européenne.

La doctrine française du maintien de l'ordre repose sur un maintien à distance des individus commettant des exactions. L'usage des armes, en particulier des LBD, est très encadré ; sa hausse est due aux violences exceptionnelles secouant notre pays. Pourquoi, dans ces conditions, priver nos forces de l'ordre d'une arme circonscrite à des finalités défensives et supprimer un échelon dans l'arsenal des moyens permettant une réponse graduée ?

Le groupe Les Indépendants ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur quelques bancs à droite et au centre)

M. Alain Richard .  - Cette proposition de loi nous amène, au fond, à considérer la mutation des manifestations dans notre pays, qui ne date pas des gilets jaunes, mais remonte au moins à Notre-Dame-des-Landes.

Certaines manifestations, inscrites dans un mouvement long de contestation sociale, ont changé de méthode, se militarisant, avec des groupes de combattants qui, littéralement, dévoient le principe même de manifestation. Cette mutation est venue perturber la régulation des manifestations, auparavant très encadrées. La préfecture de Paris a ainsi acquis un très grand professionnalisme dans la gestion des cortèges en concertation avec les organisations encadrant les manifestations.

Or, la fréquence des manifestations débouchant sur une attaque des forces de l'ordre s'est accrue. Ajoutons-y un évitement de la déclaration de manifestation et une absence quasi volontaire d'encadrement, spécifiques aux gilets jaunes. Le résultat, ce sont des affrontements graves mettant en cause la sécurité des forces de l'ordre.

Lorsque nous avons, avec la rapporteure, dialogué avec les syndicats de forces de l'ordre, nous n'avons pas entendu une demande de supprimer les LBD. Le risque d'une telle suppression, ce serait la multiplication des corps-à-corps et des mêlées violentes.

La légitimité du motif de manifestation n'a pas de rapport avec la forme de la manifestation. Ce n'est pas parce qu'on manifeste violemment qu'on est plus légitime à manifester.

Le ministre a rappelé l'encadrement de l'usage des LBD qui a été mis en oeuvre. L'usage de ces armes doit être proportionné, c'est la seule réponse, et il faut s'en assurer avec des contrôles et des enquêtes en cas d'accident - avec le nombre d'enquêtes en cours, on peut tabler sur plusieurs mois d'investigation.

Enfin, soulignons la sur-sollicitation des forces de l'ordre, reconnue par Mme Assassi elle-même. Notre pays ne s'est pas doté des effectifs nécessaires pour répondre à une situation insurrectionnelle.

Comment nous organisons-nous pour sortir de ces confrontations de rue ? La réponse de cette proposition de loi n'est vraiment pas adaptée. Le groupe LaREM rejettera la proposition de loi.

Mme Esther Benbassa .  - Guy, 60 ans, mâchoire fracturée par un tir de LBD le 1er décembre ; Doriana, 16 ans, menton fracturé par un tir de LBD le 3 décembre ; Oumar, 16 ans, front fracturé par un LBD le 5 décembre ; Jérôme, 40 ans, éborgné le 26 janvier...

Mille sept cents blessés chez les manifestants dont 94 graves, et 69 par LBD.

Mme Françoise Gatel.  - N'oubliez pas les policiers !

Mme Esther Benbassa.  - Derrière les chiffres impersonnels, il y a des destins brisés, des vies perturbées.

Les LBD ont une force d'impact de 200 joules, autant qu'un parpaing de 20 kilos lâché d'une hauteur d'un mètre.

Le plus souvent, dans ces situations, le policier n'a pas utilisé son équipement de façon adéquate. Le Défenseur des droits, le Parlement européen, le Conseil de l'Europe, l'ONU se sont alarmés successivement, ils demandent des explications face à l'usage excessif de la force sur notre territoire.

Le LBD a été conçu comme une arme à utiliser dans la guérilla urbaine. Il l'est désormais dans les manifestations. Cette proposition de loi prohibe son usage pour le maintien de l'ordre.

Nous sommes les seuls en Europe, avec les Grecs et les Polonais à les utiliser. Et les autres, comment font-ils ?

M. Jean-Pierre Grand.  - Ils tirent à balles réelles ! Aux États-Unis, les blessés seraient morts.

Mme Esther Benbassa.  - Comment fait l'Allemagne ? (Marques d'ironie de Mme Françoise Gatel) Ils ont des néonazis dans leurs manifestations, mais ils se limitent à des dispositifs tenant les foules à distance et se préoccupent avant tout de désescalade.

En France, nous préférons des dispositifs comme le nassage, (Mme Françoise Gatel se gausse.) qui engendre au contraire une escalade vers la brutalité. (À Mme Françoise Gatel) : si vous êtes en désaccord avec mes propos, vous pouvez vous exprimer.

Mme Françoise Gatel.  - Je grimace.

Mme Esther Benbassa.  - Inspirons-nous des peace units des Pays-Bas. Ce n'est pas parce qu'on est désarmé qu'on a un pays moins sûr, au contraire.

Une meilleure formation des gardiens de la paix et un meilleur encadrement de leurs pratiques seraient un début. N'oublions pas Malik Oussekine ni Rémi Fraisse.

Cette proposition de loi n'est pas une offense faite aux forces de l'ordre et à leur travail. C'est un texte d'apaisement et nous espérons qu'il sera perçu comme tel. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.)

M. Jérôme Durain .  - Le groupe socialiste exprime son soutien sans réserve aux forces de l'ordre qui oeuvrent sans relâche sur tous les fronts depuis plusieurs années. Les blessures causées par les LBD sont inacceptables. Nous adhérons à l'idée d'interdire ces armes contre les manifestants, et de rechercher des alternatives au plus vite.

Mme la rapporteure relève les possibilités d'amélioration de la formation des forces de l'ordre. Elle souligne l'imprécision juridique de la proposition de loi. Législative ou réglementaire ? À mon sens, elle relève surtout du politique.

La confiance de la population envers la police, s'est améliorée, à 74 %. C'est le fruit d'initiatives prises lors du précédent quinquennat, comme le nouveau code de déontologie de la police et de la gendarmerie qui rend obligatoire le port du matricule et encadre les palpations de sécurité.

Signalons au demeurant que le premier code de déontologie de la police a été instauré par ce toujours respecté Pierre Joxe.

Le président Hollande a donné des garanties aux forces de l'ordre après la fonte des effectifs sous Nicolas Sarkozy.

Le président de la République a promis 10 000 recrutements et la création de la police du quotidien. Mais comme souvent en Macronie, la mise en oeuvre a failli. Les conditions d'exercice des forces de l'ordre continuent à se dégrader, notamment en matière de formation et d'équipement.

Que nous disent les policiers ? Des stands de tir parfois hors d'âge, des conditions d'entraînement dégradées, des heures de formation insuffisantes et pourtant difficiles à consommer. Un gradé nous a dit avoir dû acheter chez Décathlon des casques et des genouillères pour ses hommes, sur ses fonds propres !

Les forces de l'ordre sont pointées du doigt quand il y a des bavures supposées et trop peu soutenues quand elles sont agressées. Le premier à perdre un oeil dans le mouvement des gilets jaunes a été un policier.

Nous avons aussi une claire idée des violences subies dans la population civile. Documentées pour beaucoup sur les réseaux sociaux pendant la mobilisation des gilets jaunes, elles sont restées absentes du champ médiatique pendant plusieurs semaines. Après avoir longtemps fait preuve de déni, le ministre de l'intérieur a finalement consenti à équiper les policiers armés de LBD de caméras piétons.

Le déni permanent des difficultés entretient dans la population un ressentiment vis-à-vis des forces de l'ordre. Cette question est malheureusement absente du grand débat alors que la situation ne peut être que publique.

Notre pays mérite un débat serein sur la confiance qu'il porte à la police.

Le groupe socialiste a hésité sur la question à prendre tant le sujet est complexe.

Des blessures, il y en a dans tous les pays ; mais les blessures irréversibles sont plus rares. Le professeur Laurent Thines, neuro-chirurgien, a appelé à un moratoire sur les LBD. On ne peut écarter ses propositions, ni une résolution du Parlement européen - surtout quand on prône un engagement européen fort.

Nous voterons donc ce texte, malgré ses imperfections, comme un signal d'alarme.

Nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion sur la doctrine d'emploi des armes de nos forces de l'ordre. Les journalistes et les manifestants pacifiques blessés ne le comprendraient pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

M. François Grosdidier .  - J'entends souvent la gauche dénoncer les lois de circonstance. En voilà une !

Non, le problème de la France de 2019 n'est pas la violence policière même si MM. Poutine et Erdogan s'en inquiètent. (Protestations sur les bancs du groupe CRCE)

Dès qu'il y a blessure, il y a enquête, sans complaisance. Le problème, c'est la violence débridée contre les forces de l'ordre. On a agressé mes policiers municipaux avec des billes d'acier envoyées au lance-pierre !

La polémique est née de l'usage de ces armes lors d'opérations de maintien de l'ordre. On a reproché à nos CRS d'assister aux dégradations sans intervenir. Face aux casseurs, nous ne sommes plus dans le maintien, mais dans le rétablissement de l'ordre ! Il faut des LBD pour neutraliser les délinquants infiltrés.

Il y a eu 15 000 tirs, et 36 dommages corporels : c'est relativement peu, même si c'est toujours trop.

Mme Éliane Assassi.  - Oui !

M. François Grosdidier.  - Mais l'usage de LBD a parfois évité le tir à balles réelles pour éviter aux policiers de se faire lyncher.

Mme Éliane Assassi.  - Parce qu'il n'y a rien en dehors de cette alternative ?

M. François Grosdidier.  - On peut envisager d'équiper ces armes d'une caméra. Il faut aussi former et entraîner nos agents, les policiers ne font même pas le nombre minimal de tirs à balles réelles imposé par la loi.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Il y a donc des problèmes !

M. François Grosdidier.  - De plus, la trajectoire de la balle de défense est courbe, celle de la balle réelle est droite. Le LBD est une arme indispensable pour faire face aux délinquants. Nos forces de l'ordre sont au point de rupture ; sans les LBD, il y aura des morts. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Meurant .  - La France vit une période intense. Nos gendarmes et policiers sont mobilisés sur les zones à défendre (ZAD), sur les mouvements sociaux et enfin sur des mouvements comme les gilets jaunes. Des individus infiltrent les manifestations parce qu'ils veulent seulement en découdre, ils viennent seulement pour chercher l'affrontement.

Il y a eu 1 400 policiers et gendarmes blessés depuis le 17 novembre ; et combien de magasins pillés ?

Le défi est paradoxal : assurer le bon déroulement des manifestations, tout en les protégeant contre la violence déchaînée.

Pour cela, il faut maintenir la distance, et déployer des unités formées au maintien de l'ordre. Le LBD y est particulièrement adapté, contre des individus protégés par des casques, des masques à gaz, formés à l'affrontement et aux violences - et qui cherchent délibérément à s'approcher des forces de l'ordre pour les agresser.

Il y a eu 1 584 cas d'usage de LBD répertoriés, et aucun jugé abusif, pour le moment, par l'IGPN. Sans le LBD, les forces de sécurité ne pourraient dissuader des individus dangereux de les approcher. Au demeurant, chaque incident fait l'objet d'une enquête interne.

Je déplore que l'on déploie des forces non formées au maintien de l'ordre ; c'est que l'État est trop habitué à jouer la Sécurité sociale pour le monde entier, au point qu'il ne parvient plus à assurer ses missions régaliennes - et qu'il fait preuve d'une complaisance coupable pour l'extrême gauche.

Ne nous privons pas de cet outil de mise à distance et de maintien de l'ordre. (M. François Grosdidier applaudit.)

M. Édouard Courtial .  - Symboles de la République vandalisés, vitrines brisées : qui ne s'est pas indigné devant ces scènes de guérilla urbaine dans nos villes ? Je rends hommage à nos forces de l'ordre, tout en ayant une pensée pour tous les blessés, d'où qu'ils viennent.

Cette proposition de loi prétend interdire l'usage des LBD sans proposer d'alternative.

Or c'est une arme intermédiaire ; la supprimer augmente le risque d'usage disproportionné de la force publique, car on passerait du maintien à distance, au corps-à-corps. Et la Cour européenne des droits de l'homme impose aux pays d'équiper leurs forces d'un arsenal gradué. Le Défenseur des droits n'a été saisi, entre 2011 et 2018, que de 25 cas d'usage considérés comme abusifs.

La commission d'enquête a conforté l'usage de LBD, contre des casseurs qui n'ont plus de limites, considérant qu'il s'agissait d'une réponse proportionnée.

Je ne crois pas que nos policiers tirent pour le plaisir ; je n'ignore ni les blessures graves ni les erreurs, et je n'ai pas attendu pour cela les injonctions inadmissibles de l'ONU.

Sans cette arme, le contrat républicain est rompu, et la République est en danger. (M. François Grosdidier applaudit.)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Grand.

Supprimer cet article.

M. Jean-Pierre Grand.  - Cet article interdit l'usage des LBD dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre.

Depuis des semaines, nos forces de l'ordre sont durement éprouvées, notamment par l'usage de projectiles de toutes sortes, jusqu'aux excréments.

Par quoi remplacer ces armes ?

La commission d'enquête les juge appropriées pour ce type de situation. Je vous propose de supprimer l'article.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur.  - Avis favorable, la commission s'étant prononcée contre ce texte.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Même avis.

À la demande des groupes Les Républicains et CRCE, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°61 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 248
Contre    93

Le Sénat a adopté et l'article premier est supprimé.

L'amendement n°1 est retiré.

ARTICLE 2

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°62 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l'adoption   93
Contre 249

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE 3

Mme Éliane Assassi .  - Nous regrettons l'issue de ce débat. Le sujet fait société, chez les manifestants mais aussi chez nos concitoyens et au sein de nos forces de police.

Monsieur le ministre, vous n'avez pas eu un mot de compassion à l'égard des blessés mutilés à vie. Nos concitoyens s'en souviendront. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie .  - Notre groupe a pesé le pour et le contre, reconnaissant la difficulté du sujet. Alors que tous les intervenants ont identifié un problème, vous avez refusé, monsieur le ministre, d'ouvrir la voie à une quelconque réflexion sur des changements souhaitables. Vous restez sourd à la nécessité de faire évoluer la formation, les armements. Les enquêtes se déroulent dans la plus grande opacité. Les incidents risquent de continuer.

M. François Grosdidier .  - Ce débat n'aura pas été inutile. On ne peut pas désarmer nos policiers, qui ne sont pas responsables des circonstances qui les amènent à utiliser ces armes. Oui, il faut armer, entraîner les policiers.

Monsieur le ministre, entendez les propositions de notre commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure !

Mme Esther Benbassa.  - Et les blessés ?

L'article 3 n'est pas adopté.

M. le président.  - Tous les articles ayant été successivement repoussés, il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'ensemble de cette proposition de loi.

Prochaine séance, mardi 12 mars 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 20 h 20.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du mardi 12 mars 2019

Séance publique

À 14 h 30

1. Deuxième lecture de la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations (texte de la commission, n°364, 2018-2019)

À 16 h 45

2. Questions d'actualité au Gouvernement

À 17 h 45 et le soir

3. Suite de la deuxième lecture de la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations (texte de la commission, n°364, 2018-2019)

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°60 sur l'amendement n°1, présenté par M. Jean-Pierre Grand, à l'article premier de la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants :342

Suffrages exprimés :341

Pour :248

Contre :93

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques :

Groupe Les Républicains (145)

Pour : 144

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat

Groupe SOCR (74)

Contre : 74

Groupe UC (51)

Pour : 51

Groupe LaREM (23)

Pour : 23

Groupe RDSE (22)

Pour : 17

Contre : 3 - MM. Ronan Dantec, Joël Labbé, Olivier Léonhardt

Abstention : 1 - M. Jean-Pierre Corbisez

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Jean-Marc Gabouty, président de séance

Groupe CRCE (16)

Contre : 16

Groupe Les Indépendants (12)

Pour : 12

Sénateurs non inscrits (5)

Pour : 1

N'ont pas pris part au vote : 4 - Mmes Christine Herzog, Claudine Kauffmann, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier

Scrutin n°61 sur l'amendement n°2, présenté par M. Jean-Pierre Grand, tendant à supprimer l'article premier de la proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique dans ce cadre.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants :342

Suffrages exprimés :341

Pour :248

Contre :93

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques :

Groupe Les Républicains (145)

Pour : 143

Abstention : 1 - M. Alain Houpert

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat

Groupe SOCR (74)

Contre : 74

Groupe UC (51)

Pour : 51

Groupe LaREM (23)

Pour : 23

Groupe RDSE (22)

Pour : 18

Contre : 3 - MM. Ronan Dantec, Joël Labbé, Olivier Léonhardt

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Jean-Marc Gabouty, président de séance

Groupe CRCE (16)

Contre : 16

Groupe Les Indépendants (12)

Pour : 12

Sénateurs non inscrits (5)

Pour : 1

N'ont pas pris part au vote : 4 - Mmes Christine Herzog, Claudine Kauffmann, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier

Scrutin n°62 sur l'article 2 de la proposition de loi visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique dans ce cadre.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants :342

Suffrages exprimés :342

Pour :93

Contre :249

Le Sénat n'a pas adopté

Analyse par groupes politiques :

Groupe Les Républicains (145)

Contre : 144

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat

Groupe SOCR (74)

Pour : 74

Groupe UC (51)

Contre : 51

Groupe LaREM (23)

Contre : 23

Groupe RDSE (22)

Pour : 3 - MM. Ronan Dantec, Joël Labbé, Olivier Léonhardt

Contre : 18

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Jean-Marc Gabouty, président de séance

Groupe CRCE (16)

Pour : 16

Groupe Les Indépendants (12)

Contre : 12

Sénateurs non inscrits (5)

Contre : 1

N'ont pas pris part au vote : 4 - Mmes Christine Herzog, Claudine Kauffmann, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier