Fracture numérique et inégalités d'accès aux services publics
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur la fracture numérique et les inégalités d'accès aux services publics, à la demande du groupe Les Républicains.
M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains . - J'aimerais pouvoir vous dire qu'il s'agit du dernier débat sénatorial sur la fracture numérique... Malheureusement, ce n'est pas le cas. Non seulement parce que le Sénat a ce sujet chevillé au corps mais parce que le numérique constitue une révolution, comme le chemin de fer en son temps : le numérique entraîne de nombreuses externalités, positives et négatives. E-commerce, coworking, télémédecine, toutes ces conséquences ont des impacts sur l'aménagement du territoire.
Le Défenseur des droits braquait récemment le projecteur sur le numérique et les inégalités d'accès aux services publics. Son point de départ est sans équivoque : le développement des téléprocédures constitue un progrès mais la présence des services publics recule sur le territoire. Ne sachant si la dématérialisation est la cause ou la conséquence de la désertification, je ne trancherai pas.
En 2017, 20 millions de foyers ont déclaré leurs revenus en ligne. C'est 2,4 millions de plus qu'en 2016, et 80 % des utilisateurs sont satisfaits. De même, 70 % des usagers jugent que les services numériques des administrations sont aussi bons que ceux des entreprises. Un cas pratique : le ministre des solidarités a mesuré que le taux de recours à la prime d'activité avait atteint 73 %, soit 23 % de plus que les projections initiales, avec la numérisation.
Mais qui peut croire la dématérialisation des services publics indolore ? Les zones blanches ne sont que la face immergée de l'iceberg. Près d'un tiers des habitants, dans les communes de moins de 20 000 habitants, n'a pas accès à un internet de qualité, soit 15 % de la population française, les outre-mer et les territoires ruraux en tête.
Le Défenseur des droits pointe les problèmes d'accessibilité liés au coût de ces équipements ; les inégalités sociales rejoignent les inégalités d'accès.
Le taux de connexion internet varie de 54 % pour les non-diplômés à 95 % pour les diplômés du supérieur. La fracture culturelle rejoint la fracture numérique...
Il est possible de développer une administration numérique inclusive à condition de ne pas faire des téléprocédures un mirage comptable pour les services publics.
Choc de simplification en 2013, programme de transformation de l'administration, lancé en octobre 2017 et baptisé Action publique 2022, plan national pour un numérique inclusif en 2018 : l'administration, c'est indéniable, a pris la mesure du problème mais la fracture territoriale n'est pas pleinement prise en compte.
Identifiant unique, formation du personnel... Certes, mais il faudra des mesures plus profondes. Le Défenseur des droits plaide pour des mesures législatives.
Il y a quelques jours, le président de la République a annoncé vouloir mettre la pression sur les opérateurs. Qu'est-ce à dire ? Pendant combien de temps, allons-nous accepter que le principe d'égalité devant les services publics soit bafoué ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Les Indépendants, UC et RDSE)
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement . - Merci pour ce débat sur un sujet ô combien important et sur lequel Mounir Mahjoubi et moi-même sommes impliqués depuis deux ans.
Le numérique a aggravé la fracture territoriale ; il faut le reconnaître et pour une raison simple : la capacité à y accéder diffère selon les territoires. Une personne sur deux n'a pas accès au très haut débit - ce sont autant de personnes qui ne peuvent bénéficier des avancées sur le télétravail. À cela, il faut ajouter l'illectronisme, contre lequel se bat Mounir Mahjoubi ; il concerne 13 millions de personnes. Dans ces conditions, comment concilier dématérialisation et accès aux services publics ?
D'abord, en considérant qu'une téléphonie mobile et un internet de qualité ne sont pas un luxe, ce sont des droits. Nous nous sommes fixé l'objectif d'apporter du bon débit à tous nos concitoyens d'ici 2020, et du THD, 30 mégabits par seconde, d'ici 2022. Nous ne remettrons pas en cause les réseaux d'initiative publique, que certains décrient ; nous engagerons des sommes importantes dans le cadre du plan THD et miserons sur la fibre. Nous avançons : depuis le 1er janvier 2018, 11 000 nouvelles lignes FTTH sont raccordables en moyenne chaque jour ouvré.
Dans les zones très denses, nous progressons bien ; toutes seront couvertes d'ici la fin de l'année. Les engagements des opérateurs n'étaient, en revanche, pas contraignants dans les zones AMI ; ils le sont désormais, et contrôlés par l'Arcep depuis la loi Montagne et son fameux article L. 33-13.
Il y a aussi le chapitre AMEL, sur lequel nous avons des échanges passionnants avec M. Chaize ; cela fonctionne dans un certain nombre de territoires. La réouverture du guichet est envisagée avec l'engagement, de notre part, d'analyser dans les six prochains mois, les besoins nécessaires au-delà de 2022, pour les années 2023 à 2025.
Enfin, la téléphonie mobile. Il n'est pas acceptable que la couverture soit si capricieuse qu'il faille se tenir la jambe en l'air au fond du jardin pour obtenir du réseau... Mises aux enchères, les fréquences sont, depuis le 1er janvier 2018, cédées par l'État en contrepartie de l'engagement de l'opérateur à tenir des objectifs contraignants suivis par l'Arcep. Depuis le 1er janvier 2018, environ 3 500 points fixes sont passés des anciennes générations aux nouvelles générations ; d'ici fin 2020, ce seront 10 000 antennes. En 2019, 700 nouveaux sites zones blanches seront identifiés avec les collectivités et traités ; nous renouvellerons l'opération chaque année.
Nous déployons également la couverture mobile sur les axes routiers et ferrés. Nous travaillons enfin sur les usages pour lutter contre l'illectronisme.
Partons, pour ce faire, des territoires. Les Maisons des services au public (MSAP) sont utiles à certains territoires quand leur forme est adaptée à leur réalité ; ailleurs, il faut trouver autre chose. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et UC)
M. Guillaume Gontard . - La tendance du nouveau monde est à la dématérialisation des services publics. Elle est à double tranchant : nombreux sont ceux qui se découragent devant la complexité des démarches et renoncent parfois à leurs droits, d'autres sont ravis de pouvoir accomplir des démarches administratives à toute heure du jour et de la nuit.
Le Défenseur des droits l'a dit, elle peut agrandir le fossé des inégalités d'accès aux services publics. Développement du numérique ne doit pas rimer avec désertification : cinq millions de Français n'ont pas accès à internet et des millions d'autres ne sont pas familiarisés avec cet outil. La numérisation suppose un accompagnement humain dans les mairies.
Monsieur le ministre, quelles assurances et quels moyens pour accompagner tous les usagers sur nos territoires ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique . - Pour beaucoup de Français, le réseau est une révolution si on sait l'utiliser - ce sont ainsi plusieurs millions de Français qui obtiennent désormais sans effort une carte grise. Reste que 20 % des Français ont une difficulté majeure avec le numérique.
Le président de la République a fixé un objectif de 100 % des services disponibles en ligne en 2022. Cela ne signifie pas qu'ils ne seront disponibles qu'en ligne ! Il y aura toujours la chaleur d'un être humain.
M. Jean-François Husson. - C'est beau !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Nous resterons présents pour ceux qui sont perdus.
M. Guillaume Gontard. - Vous ne m'avez pas tout à fait répondu. On a cité les MSAP. Ce sont de beaux outils mais, faute de moyens et d'accompagnement, ils ne fonctionnent pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Joël Bigot . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Deux Français sur dix n'ont pas accès au numérique ou ne maîtrisent pas ses usages. La dématérialisation ne doit pas conduire à une déresponsabilisation des pouvoirs publics, renvoyant l'accompagnement des usagers au secteur associatif. Le Gouvernement prévoit 100 millions d'euros pour l'inclusion numérique quand Emmaüs Connect évalue les besoins à un milliard en sept ans. Comment parer à ce risque de décrochage numérique ?
Les smart and safe cities, comme Angers, vont bouleverser nos modèles et posent la question de la souveraineté sur les données en tous genres, les data, mises à la disposition des plateformes. Comment assurer la maîtrise publique des données afin d'éviter la privatisation rampante de nos villes ? Luc Belot a sonné l'alerte dans un rapport d'avril 2017.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Depuis deux ans, l'inclusion numérique est une priorité du Gouvernement, dont il a débattu avec l'ARF et l'ADF.
L'impulsion ne doit pas venir uniquement du haut. Nous avons donc travaillé avec les régions, la coopérative MedNum, les associations, tous les partenaires, pour définir une stratégie d'inclusion numérique adaptée aux territoires car les besoins varient selon les lieux.
Le numérique est la compétence la plus partagée mais la moins financée. Savez-vous combien cela nous coûte, collectivement et individuellement ? J'ai commandé un rapport à France Stratégie sur ce sujet. Quand on ne sait pas utiliser internet, on est moins informé et on consomme plus cher. C'est la double peine.
M. Joël Bigot. - Vous n'avez pas répondu sur le détournement des données. Certains restent en retrait, on risque de créer des citoyens de seconde zone.
Mme Véronique Guillotin . - Numérique et santé sont de plus en plus indissociables. Les nouvelles technologies pourraient contribuer à réduire les inégalités d'accès aux soins mais le développement de la télémédecine se heurte à l'insuffisance des réseaux. Beaucoup de professionnels se disent également insuffisamment formés : 35 % seulement estiment bien connaître les technologies de santé connectée. Que compte faire le Gouvernement ?
J'ai soutenu l'inclusion numérique dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2018. Le directeur de la CNAM estimait que toute téléconsultation devait être remboursée. Or la CNAM a annulé le remboursement, considérant que certains patients étaient trop éloignés du médecin. Comment lever ces freins ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - La téléconsultation est une opportunité incroyable : elle permet à des personnes qui ne peuvent physiquement rencontrer un médecin d'avoir accès à une consultation.
Je constate que les dispositifs de téléconsultation varient selon les lieux : depuis chez soi ou depuis des cabines ou des lieux ad hoc.
Nous en sommes à l'an I de la télémédecine. Pour l'heure, le remboursement concerne une téléconsultation entre un généraliste et l'un de ces patients. Il faut éviter un modèle de zapping médical comme aux États-Unis qui efface le lien humain.
M. Jean Louis Masson . - L'administration oblige de plus en plus les citoyens à passer par internet. On ne peut plus obtenir un renseignement par téléphone, on vous renvoie à internet ! Mais comment vont faire les personnes de plus de 70 ans ? Il faut légiférer pour elles et leur garantir le maintien d'un contact traditionnel avec l'administration. Avec le temps, on pourra s'en passer.
M. Philippe Adnot. - M. Masson est très raisonnable !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Je partage votre colère. Il est inadmissible d'imposer à quelqu'un qui n'a pas internet d'aller sur le réseau ou de le renvoyer à un outil qu'il ne maîtrise pas. C'est une insulte, une humiliation, à l'égard de ces personnes. C'était le cas hier quand l'agent répétait à une personne qui ne parlait pas français de remplir un formulaire incompréhensible.
Qu'avons-nous fait ? Quand nous sommes arrivés, beaucoup de dossiers de demande de carte grise étaient en attente. Nous avons créé des équipes spécialisées et une plateforme d'expertise régionale. Dans chaque préfecture, un être humain, un vrai, peut vous renseigner et appeler avec vous la plateforme régionale. J'observe, d'ailleurs, que pour ce médiateur, le numérique est une solution pour trouver la réponse à apporter à la personne en détresse numérique.
Le développement du numérique ne peut se faire sans accès à l'humain. Nous formons tous les personnels chargés d'accueillir les usagers dans les maisons de service au public ou les préfectures.
M. Jean Louis Masson. - Monsieur le ministre, votre réponse est une vue de l'esprit. Il n'y a personne dans les préfectures ! Les joindre au téléphone est devenu le parcours du combattant !
M. Bernard Delcros . - J'associe Mme Sollogoub à ma question. Le numérique est une opportunité pour désenclaver les territoires ; dans les faits, la fracture numérique a aggravé la fracture territoriale. Double peine ! Les réseaux ont été déployés à des rythmes différents selon les territoires. Il n'est plus acceptable que la ruralité soit pénalisée. Êtes-vous prêts à inverser la logique : à déployer la 5G en même temps partout ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Indépendants)
M. Julien Denormandie, ministre. - J'étais récemment dans le Cantal. Le problème ne se limite pas au numérique, il faut parfois attendre des semaines pour qu'une ligne de téléphone fixe soit rétablie par l'opérateur titulaire du contrat de service public universel. L'Arcep a été saisie du dossier.
Pour la téléphonie mobile, votre département a fait le choix d'un plan régional. Le Cantal, comme tous les autres départements, a reçu des dotations en 2018 et 2019. Nous voulons les transformer en dotations pluriannuelles car c'est aux collectivités territoriales de répartir les investissements.
Notre détermination est totale.
M. Bernard Delcros. - Il est temps de changer de logiciel : ne plus chercher à rattraper le retard mais rendre les avancées technologies disponibles partout en même temps. Ce ne serait que justice quand le coût de la connexion est le même pour tous en France.
M. Alain Fouché . - Le numérique est omniprésent dans notre vie quotidienne : plateformes, réseaux sociaux, services web, paiements en ligne... Le numérique est une opportunité pour l'État, qui peut en tirer des économies, et pour les citoyens, à qui ils simplifient la vie.
Mais il y a un risque d'exclusion à l'égard de ceux qui n'ont pas accès au numérique ou le maîtrisent mal. Comment comptez-vous aider tous les citoyens pour que la dématérialisation soit une chance pour tous ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - J'ai évoqué le constat, j'en viens aux solutions. Certains ne pourront jamais être formés au numérique, que ce soit pour un problème de langue, de handicap ou d'âge. Il importe de les accueillir humainement. On a voulu créer des agents territoriaux multispécialistes dans les MSAP ou les centres sociaux mais ils n'avaient pas toujours été formés ou ne disposaient pas des outils nécessaires ! Nous y remédions désormais et travaillons sur France Connect Aidant pour un accès en toute sécurité au dossier de la personne à accompagner.
M. Alain Fouché. - Le problème ne date pas d'hier... Je prends bonne note de la volonté du Gouvernement de trouver des solutions.
M. Daniel Laurent . - L'accès au numérique est fondamental. Quand des familles et des entreprises veulent s'installer dans nos territoires, il vient toujours dans le Top 3 des demandes d'information avec l'école et l'accès aux soins. Les communes ont le sentiment d'être bien seules.
La dématérialisation des procédures administratives pose difficulté quand 27 % des usagers n'ont pas accès à internet et 33 % ne maîtrisent pas l'outil. Le transfert des permis de conduire à l'ANTS s'est soldé par un allongement des délais. Une seule erreur matérielle et il faut renouveler la demande, impossible de la rectifier.
En Charente-Maritime, nous voulons que 100 % du territoire soit couvert par la fibre optique en 2022. Nous avons une obligation de réussite. La verticalité a ses limites.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Le 18 mars prochain, je signerai avec M. Bussereau, président du conseil départemental, une charte d'inclusion numérique.
Une partie des personnes qui maîtrisent mal l'outil peuvent apprendre. Parfois, une vingtaine d'heures de formation suffit. Dans votre département, vous avez créé un Pass numérique avec Pôle Emploi, qui sera généralisé cette année.
L'inclusion numérique doit être une chance pour tous et votre département est exemplaire.
M. Daniel Laurent. - Merci.
Mme Françoise Cartron . - Le numérique a pris une grande importance dans notre vie quotidienne. Se pose désormais la question des usages et de l'inclusion numérique.
Jeudi dernier, vous étiez, monsieur le ministre, à Labège dans le cadre de votre tour de France des oubliés du numérique pour signer une charte pour l'inclusion numérique afin de viser tous les publics.
Dans mon département, des Assises des solidarités numériques ont été organisées en décembre dernier avec l'objectif d'apporter aux collectivités et aux associations les outils nécessaires, pour faire du numérique un facilitateur du lien social.
Envisagez-vous la création d'une plateforme d'échanges unique pour favoriser la diffusion des bonnes pratiques ? (Mme Noëlle Rauscent applaudit.)
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Merci d'avoir rappelé ce tour de France des oubliés du numérique. Dix territoires se sont engagés : six départements, la Creuse, les Pyrénées-Atlantiques, la Gironde, la Drôme, l'Ardèche, le Charente-Maritime et trois régions, Bourgogne, Franche-Comté, Hauts-de-France, et une intercommunalité, le Sicoval, près de Toulouse. Des expertises sont mises à disposition des territoires grâce à des réunions avec des acteurs locaux.
La plateforme inclusion.societenumerique.gouv.fr permet de trouver des kits, des contacts, des exemples de réalisations, afin d'analyser et de diffuser les meilleures pratiques. Nous n'y arriverons que grâce à un maillage fin, à la dentelle locale...
Mme Françoise Cartron. - Les maires ruraux sont de bons artisans de cette dentelle locale. L'association des maires ruraux de Gironde a mis en place un wiki des réalisations des maires. Quand on fait appel à l'intelligence des territoires, beaucoup de choses sont possibles.
M. Jean-Claude Tissot . - L'illettrisme numérique, ou illectronisme, touche 20 % de nos concitoyens. Selon Emmaüs, 35 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n'utilisent jamais internet. Cela pose des questions d'accès au droit. Même l'organisation du grand débat se fait sur internet. De même, en remettant en cause l'accès direct au juge, on postule un accès de tous à l'outil informatique. Le problème se pose de même pour l'accès à la démocratie, puisque le grand débat se déroule essentiellement sur internet.
Le plan de lutte contre la pauvreté prévoyait des bornes d'accès aux droits mais sans l'accompagnement nécessaire. Votre plan concerne une dizaine de lieux, soit même pas une grande région.
Le volontarisme des pouvoirs publics doit être le même que celui qui avait été déployé pour combattre l'illettrisme.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - On ne va pas ouvrir dix lieux, mais beaucoup plus ! L'appel à projets prévoit dix hubs, dix lieux de démultiplication. Dans une commune rurale, la médiation passe par une association ou un prestataire, voire par les services de la mairie. Ont-ils les bons outils ? Le hub le plus proche les leur fournira : il accompagnera et formera, grâce à son expertise, les acteurs locaux.
Le numérique des territoires va aussi vite que celui des réseaux sociaux et du e-commerce. Ce seront des milliers de lieux où chacun pourra se mettre à niveau.
Dès la mi-mars, nous mettrons en ligne une cartographie des acteurs open source des lieux de médiation numérique pour savoir qui peut accompagner et où. D'où un effet d'accélération. L'ambition est partagée et ce plan de 100 millions d'euros est national, porté par l'État et les collectivités locales. L'année 2019 est celle de l'action.
Mme Anne-Catherine Loisier . - Être connecté et savoir se servir d'internet sont les deux conditions pour accéder aux services publics numériques.
Sur la première, la loi ELAN devait accélérer le déploiement. Combien de dispositifs AMEL ont-ils été conclus ? La méthode surprend : on met parfois, comme l'on dit chez nous, la charrue avant les boeufs, certains usagers n'étant pas connectés. Quid de la clause de protection, évoquée par le défenseur des droits ?
Le Gouvernement a lancé en septembre une stratégie nationale pour l'inclusion numérique. Dix millions d'euros sont consacrés au Pass numérique, cinq millions d'euros aux hubs. L'illectronisme est dû à de multiples facteurs, comme l'isolement. Il faut pouvoir se rendre aux MSAP ! L'initiative « Ardoiz » de La Poste accompagne les personnes âgées à domicile.
Selon vous, l'intégralité des services publics sera accessible sur internet en 2022. Le Gouvernement prévoit-il une clause de sauvegarde pour limiter la responsabilité de ceux ne pouvant pas se connecter ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Cela fait beaucoup de questions en une ! Les AMEL, dont on a peu parlé, ont suscité des inquiétudes. Elles permettent à certains maîtres d'ouvrage de recourir à des financements privés. Mais elles ne sont pas obligatoires et à la fin, c'est toujours la collectivité territoriale qui décide. Nous avons reçu une quarantaine de manifestations d'intérêt. Un million de prises seront ainsi financées par le privé dans ces zones d'initiative publique.
Quant à votre deuxième question, il n'y a pas de solution unique, c'est de la dentelle territoriale. Aucune MSAP ne ressemble à une autre : certaines sont dans des mairies, des gares, des postes, des lieux dédiés, etc. Certaines s'occupent de multiples domaines, d'autres de quelques-uns. Quinze millions d'euros sont prévus pour les MSAP. On a aussi entamé une réflexion sur les services de demain et l'accessibilité, afin d'améliorer le service rendu dès 2020.
M. Yves Bouloux . - Le Sénat est attaché au respect effectif du principe d'égalité devant le service public, pour tous et partout. La Vienne est directement impactée par la fracture territoriale et numérique, ainsi que par la fermeture ou l'éloignement des services publics. Cette tendance devrait s'accentuer avec le projet de loi de réforme de la justice. Une partie de la population reste réfractaire au numérique. Les troubles actuels doivent faire comprendre que les plus mal lotis dans la France périphérique doivent être écoutés.
Jusqu'où le Gouvernement veut-il aller avec la dématérialisation, notamment pour ses fonctions régaliennes, en matière de police et de justice ? Le Défenseur des droits propose de conserver plusieurs voies d'accès aux services publics. Les synergies entre numérique et points de rencontres physiques doivent permettre à chacun d'accéder aux services publics et de garantir l'accès aux Français porteurs de handicaps.
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Je suis responsable de la numérisation des services publics. J'ai reçu trois fois le Défenseur des droits et rencontré avec lui tous ses délégués territoriaux, qui ont témoigné d'histoires terribles, où l'on se heurte au mur du répondeur. Il ne peut y avoir de service public ne proposant pas l'accès direct à une personne, de visu, par téléphone ou par réponse à un message, ou via la médiation d'une autre personne. Nous analysons les 200 démarches en ligne correspondant à 90 % des démarches des Français, en regardant si elle est accessible, si elle utilise FranceConnect - qui garantit un mot de passe et un identifiant unique pour tous les services publics - si l'accès à un humain est proposé. Demain, nous rendrons obligatoire la faculté donnée aux usagers de faire remonter les problèmes.
Mme Viviane Artigalas . - La dématérialisation de nombreuses démarches suppose de bonnes conditions de connexion, parfois difficiles, voire impossibles à obtenir, dans une partie des territoires.
Dans certaines communes rurales d'Occitanie, notamment dans les Hautes-Pyrénées, les zones blanches en téléphonie mobile ou les débits trop faibles d'accès à internet sont un frein important. On peut douter que l'aménagement des réseaux en THD y soit réalisé en cinq ans.
Cette fracture est à la fois sociale et territoriale. Les fermetures ou éloignements des services publics tels que les trésoreries ou bureaux de poste, l'instruction nationale des cartes nationales d'identité (CNI) et des passeports, renforcent ainsi les difficultés. Les plus fragiles, les personnes âgées ou au chômage n'ont guère les moyens d'avoir un ordinateur et de se former. Le désert numérique est aussi médical, ce qui aggrave les inégalités.
Le numérique n'est pas l'unique solution. Conservez une diversité de moyens d'accès aux services publics ! Que ferez-vous pour cela ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Selon les statistiques officielles, 99 % de l'accessibilité en téléphone mobile est assurée. Il y a deux ans, nous avons commencé, avec Mounir Mahjoubi, par revoir la définition d'un territoire couvert. Ce ne sont plus les fameux 500 mètres autour du clocher du village qui comptent, mais la perception de l'usager, c'est-à-dire les barres sur le téléphone qui sont prises en compte. Avec Mounir Mahjoubi, nous nous sommes saisis du dossier. Six cents sites étaient en 2017 des zones blanches. En 2018, nous avons couvert six cents sites, mais cela n'a pas fait disparaître les zones blanches... (M. Michel Savin acquiesce.) Nous avons ainsi identifié neuf sites en Midi-Pyrénées par exemple, qui vont être traités. Nous allons continuer ainsi, d'année en année, et nous mettrons en place un guichet pour mieux accompagner à l'accès aux offres de téléphonie.
Mme Viviane Artigalas. - Certes, la couverture mobile s'améliore. Vous avez parlé de l'humain, mais dans mon département, beaucoup doivent téléphoner et certains ne savent plus comment obtenir une CNI ou un passeport. Les gens se sentent abandonnés. (Mme Anne-Catherine Loisier applaudit.)
Mme Marta de Cidrac . - Si la France est une République indivisible, l'accès au numérique et aux services publics n'est pas homogène. Nous empruntons depuis quelques années le chemin de la fin de l'hyper-proximité des services publics. Nous avons dû nous adapter aux fermetures sèches et à la rationalisation de certains services.
Pour réduire la fracture territoriale, nous avons choisi de dématérialiser certaines fonctions, ce qui se justifie, pour compenser, au moins en partie, le départ de certains services publics.
L'accès au numérique est actuellement insuffisant. Ne perdons pas de vue les principes de continuité du service public, d'égalité devant le service public, d'adaptabilité et de mutabilité du service public.
Le numérique ne doit pas être un palliatif à la disparition des services publics. Comment corriger la fracture numérique, trop présente ? Que proposez-vous pour améliorer la qualité de l'adressage de nos communes, fondamental pour l'aménagement du territoire ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Prenons un peu de hauteur. Nous devons avoir des services publics numériques plus simples et plus accessibles. Nous ne devons jamais réorganiser territorialement sans nous interroger sur l'accès, réel et physique, à un être humain.
Jusqu'à présent, on ne faisait pas correspondre fermeture de services publics et création de MSAP. Grâce au travail que nous menons avec Gérald Darmanin, Olivier Dussopt et Jacqueline Gourault, nous posons systématiquement la question de l'accessibilité territoriale aux services publics, laquelle va de pair avec la numérisation.
Grâce au numérique, demain, on peut faire plus d'humain. On peut fermer un lieu et en ouvrir trois nouveaux. Telle est notre vision. En même temps, le numérique rend les humains plus proches. Le numérique peut être une solution de désenclavement pour ceux qui se sentent les plus éloignés. (Quelques marques de protestation sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Dominique de Legge . - Oui, il est nécessaire de garder un contact humain, mais ce débat me met quelque peu mal à l'aise. On confond les fins et les moyens. La question de fond est celle de l'accès aux services, la dématérialisation n'est qu'un moyen.
Certes, vous nuancez en garantissant un contact humain. J'ai eu une mésaventure en téléphonant à la préfecture pour une carte grise : on doit composer un numéro payant ; on tombe sur un disque et au bout de quinze minutes, on a enfin quelqu'un !
La relation entre l'administré et l'administration ne peut se faire via un écran. La médiation est importante, comme le montre ce qui se passe à travers notre pays. Ne confondons pas la fin avec les moyens ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Depuis tout à l'heure, on dirait un débat entre personnes qui sont d'accord...
M. Jean-Claude Tissot. - Pas tellement !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - Je le répète, on s'est donné comme objectif de rendre les services publics accessibles numériquement d'ici 2022, pour ceux qui le souhaitent : on ne peut imposer à une maman seule de poser une demi-journée pour faire une démarche administrative. Grâce au numérique, ce seront des millions de demi-journées libérées et rendues à la vie économique et personnelle des Français.
La mise en place de numéros payants a été une erreur, un égarement passager de l'État. La loi ESOC prévoit qu'il n'y ait plus de numéro payant pour ses services. Je vais vous confier un secret : certains ne mèneront jamais à un être humain, ce ne sont que des boucles de répondeur et renvoient à des sites internet ! Nous cherchons à les identifier pour les supprimer. (MM. Jackie Pierre, Daniel Gremillet et Laurent Duplomb le contestent.)
Donnez-les-moi ! Venez me voir et établissons la liste ensemble ! Le parcours de service public doit pouvoir commencer par un être humain. L'accès à l'humain est aussi un enjeu pour la procédure de renouvellement des cartes grises, la plus contestée par les Français. Je vous confirme que je suis pour l'écoute inconditionnelle : nous trouverons des solutions pour chacun de vos territoires. (Même mouvement)
M. Dominique de Legge. - Je vous crois de bonne volonté mais à chaque fois que je parle de réforme de l'État avec mon préfet, il me répond dématérialisation...
M. Hugues Saury . - Le rapport du Défenseur des droits du 16 janvier dernier pointe la fracture numérique et l'efficacité des MSAP. Le dispositif de soutien aux MSAP, cofinancé par le Fonds national d'aménagement du territoire (FNADT) et un fonds alimenté par les opérateurs, est gelé jusqu'en 2019, à la demande de certains opérateurs qui s'interrogent sur l'efficacité des MSAP.
Pourquoi avoir gardé le plan MSAP ? Comment les collectivités territoriales seront-elles aidées financièrement ?
De même, le gel du financement par l'État du déploiement de la fibre, alors qu'il reste un nombre important de foyers à desservir, est-il temporaire ou définitif ? Les collectivités territoriales sont souvent obligées de financer des études, dans le cadre du dispositif, contestable, mis en place par le Gouvernement pour résorber les zones blanches, car les opérateurs ne veulent pas livrer certaines données. Comment comptez-vous accélérer le déploiement ?
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. - J'ai évoqué les dix territoires qui ont élaboré des schémas directeurs d'inclusion territoriale. Les autres territoires ont aussi lancé des initiatives.
Nous voulons co-construire avec eux des stratégies d'inclusion numérique. Nous travaillons notamment avec l'Assemblée des départements de France. Les hubs, que nous avons créés, constitueront des lieux d'expertise permettant d'accompagner les collectivités territoriales.
Bref, l'État joue un rôle à tous les niveaux, du diagnostic au financement, pour aider les collectivités territoriales avec près de 15 millions d'euros cette année et les accompagner.
M. Michel Savin . - Dans nos territoires de montagne, la couverture numérique en très haut débit mobile et fixe est un prérequis pour parvenir au désenclavement. L'accès à internet est un critère de choix pour le tourisme mais aussi pour le maintien des populations et des activités existantes, ainsi que pour l'accès au service public.
En dépit de la loi Montagne de 2016, il existe encore dans ces territoires de trop nombreuses zones blanches où l'accès à internet n'est pas possible. L'accord du 14 janvier 2018 sur l'aménagement numérique du territoire est contraignant pour les opérateurs, qui devront garantir l'accès à la 4G et construire, d'ici trois ans, 5 000 sites mobiles chacun.
Quand ces engagements seront-ils effectifs dans les territoires de montagne. Quid de la 5G dans ces territoires ?
M. Julien Denormandie, ministre. - Lors de mon premier déplacement, un maire de l'Isère, à Besse-en-Oisans, a mis dix ans pour installer un pylône de téléphonie mobile, à cause des contraintes, notamment celles des architectes des bâtiments de France, lui demandant de consulter les maires alentour pour positionner le pylône sur la colline où il serait le moins visible...
Entre-temps, tous les jeunes, sauf deux, sont partis ! C'est pourquoi nous avons prévu le New Deal que j'ai évoqué et fixé des obligations pour les opérateurs. Douze zones blanches ont été identifiées en Isère. Au total, 3 500 sites sont passés de la 2G ou 3G à la 4G.
Nous ne voulons pas, au prétexte de déployer la 5G, oublier la 4G. Les sauts technologiques ne doivent pas se faire au détriment des technologies actuelles. Sinon, les territoires que vous défendez pourraient être perdants.
M. Michel Savin. - J'entends bien vos intentions, mais les communes touristiques de montagne perdront des clients, faute de connexion internet : il y a urgence !
M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) L'exaspération sociale actuelle face aux inégalités vécues et perçues dans les territoires se nourrit aussi de la fracture numérique. Le Défenseur des droits a rappelé que la dématérialisation des services publics doit respecter les principes fondamentaux d'adaptabilité, de continuité, d'égalité d'accès devant le service public. Cela suppose une connexion internet de qualité suffisante et l'accès à des équipements informatiques. Ce n'est pas le cas partout si les réseaux sont insuffisants. La fracture numérique est vécue par nos concitoyens comme une forme de déclassement et une véritable injustice. Ce sentiment est accentué par la généralisation des services en ligne. L'amélioration significative de la couverture du territoire est une condition sine qua non.
En moins de dix ans, l'accès aux Nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) est devenu un enjeu crucial pour la compétitivité des territoires. Le plan France Très haut débit de 2013 et l'accord entre le Gouvernement, l'Arcep et les opérateurs de janvier 2018 ont suscité beaucoup d'espoirs.
Un nouveau report des engagements actuels serait catastrophique. Monsieur le ministre, nous confirmez-vous la date de 2020 pour le haut débit et 2022 pour le THD ?
Le Gouvernement a ouvert un guichet de cohésion numérique, doté de 100 millions d'euros. Cette enveloppe est-elle suffisante ? En effet, 19 % de la population ne possède pas d'ordinateur. De même, la dématérialisation des services publics ne peut se limiter à compenser la suppression des services publics sur les territoires pour des motifs budgétaires.
La présence humaine reste irremplaçable et est demandée avec insistance par nos concitoyens. La télémédecine peut améliorer l'accès aux soins, surtout dans les zones sous-dotées, mais ne remplacera pas la consultation de professionnels de santé dans les territoires. La dématérialisation doit s'accompagner d'un effort de simplification et de rationalisation administrative.
Déployer la fibre est coûteux dans le Grand Est, il faut s'acquitter d'une redevance de 66 millions d'euros auprès de l'ONF pour les 550 kilomètres de forêts domaniales traversées. M. Chaize a réalisé un travail important sur ces sujets. Je souhaite que vous vous appropriiez le texte adopté par le Sénat l'an dernier sur son initiative.
M. Julien Denormandie, ministre. - L'objectif du Gouvernement est le bon débit pour tous en 2020 et le THD pour tous en 2022. À l'heure actuelle, nous avons des inquiétudes pour dix départements, où, si nous n'accélérons pas, nous serons sous tension. Nous y mettons donc encore plus d'efforts, de financements et de transparence. Je rappelle toutefois que 11 000 prises sont raccordées chaque jour ouvré depuis janvier 2018. Le rythme est donc soutenu. La solution variant selon les territoires à fibre, accès satellitaire, etc. C'est pourquoi nous avons ouvert un guichet de 100 millions d'euros, avec des aides allant jusqu'à 150 euros, avec des solutions satellitaires possibles.
Dans la loi ELAN, nous avons facilité et simplifié le cadre de déploiement des infrastructures. Ainsi, dans la région Grand Est, nous avons travaillé avec Enedis pour lever les obstacles apparus après l'arrêté de 2001 pris à la suite de la tempête de 1999. Ainsi, nous travaillons avec Mme Agnès Pannier-Runacher pour garantir que le numérique soit, non pas un luxe, mais un droit, pour développer les infrastructures numériques le plus rapidement possible et pour accompagner les usagers.
Mme la présidente. - Je tiens à remercier MM. Denormandie et Mahjoubi. Votre duo a été très apprécié par nos collègues.
Le débat est clos.
Prochaine séance, demain, jeudi 21 février 2019, à 14 h 30.
La séance est levée à 20 h 25.
Jean-Luc Blouet
Direction des comptes rendus