Utilisation encadrée du portable dans les établissements d'enseignement scolaire (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire.
Discussion générale
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je serai bref car tout ou presque a été dit sur ce texte à fort impact médiatique - comme toujours lorsque nos chères têtes blondes sont concernées. La CMP a trouvé un accord la semaine dernière, ce dont je me félicite d'autant que les efforts du Sénat sont préservés.
Trois principes ont guidé ces apports : cohérence, confiance et simplification. Cohérence avec l'extension aux lycées, c'est heureux, du champ du texte, avec un régime spécifique. Confiance ensuite, dans la capacité des acteurs de terrain à prendre des règlements intérieurs et à fixer les modalités de confiscation et de restitution.
Notre démarche était enfin de simplification à travers la suppression de dispositions non normatives ou ne relevant pas de la loi.
Sur les usages pédagogiques possibles, le texte a été clarifié et référence a été faite aux outils numériques - je suis sceptique sur la notion de « citoyenneté numérique » finalement inscrite à l'article 3, mais le code de l'éducation devrait survivre à cette imprécision en attentant le grand texte sur le numérique qui sera examiné lors de la prochaine session.
Pour le compromis, nous, sénateurs avons fait le choix de la responsabilité. Ce texte n'avait pas l'ambition de régler le problème de la présence invasive des écrans ; il contribuera à trouver un équilibre sur leur place dans les études.
Je vous invite à adopter les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale . - L'accord trouvé en CMP conduit à un texte équilibré, fixant des principes dont les modalités seraient précisées par les acteurs locaux.
Les téléphones portables seront interdits à la rentrée prochaine. En classe, cela renforcera l'attention des élèves ; c'était aussi nécessaire dans la cour de récréation, car une cour sans portable est à nouveau bruyante et animée, vivante. La fin des portables réduira aussi les risques de racket, vols, casses et agressions, le cyber-harcèlement - et limitera l'accès aux images violentes.
La mise en oeuvre de l'interdiction est confiée aux acteurs locaux, en fonction de la configuration des locaux et de l'organisation de l'établissement. En août, un vade-mecum sera publié par mes services.
Je remercie le rapporteur, la commission et les sénateurs. In medio stat virtus. Le courage, c'est parfois l'équilibre. Ne minimisons pas la portée de ce texte, par le message qu'il délivre à la société. (Applaudissements sur les bancs des groupes Républicains et Les Indépendants et sur quelques bancs des groupes UC et RDSE)
M. Pierre Ouzoulias . - Merci pour la citation latine qui pourrait être l'adage du Sénat. Je citerai pour ma part un historien, mon collègue Max Brisson, qui s'interrogeait sur le temps passé par le Parlement sur un texte d'ordre réglementaire.
La restriction du téléphone portable existe déjà dans le code et n'a suscité aucun contentieux ; les équipes pédagogiques ont déjà tous les outils pour restreindre l'usage des téléphones portables. Pourquoi, alors, la moitié des établissements ne l'appliquent-ils pas ? Il faut leur en donner les moyens plutôt que d'adopter un texte qui fera l'objet de gloses dans les bureaux ministériels.
Je m'interroge sur la notion de citoyenneté numérique, jamais définie. J'ai regardé de plus près : le concept s'est répandu dans les années quatre-vingt-dix, surtout dans le monde anglo-saxon, pour désigner des réalités très diverses. D'aucuns voient dans le cybercitoyen un individu qui s'élève à un haut niveau de compréhension de la société - son aisance technique lui donnerait une capacité supérieure d'exprimer ses intérêts propres au sein d'une société conçue comme une forme de conciliation de toutes les opportunités individuelles.
Pierre Rosanvallon considère le numérique comme un espace généralisé de veille et d'évaluation du monde. Le citoyen numérique est alors un « citoyen vigilant » qui utilise les informations qu'il se procure directement pour forger les outils et les moyens d'action d'une « contre-démocratie » dont l'objectif est de contester les formes de la domination.
D'autres encore envisagent le numérique sous l'angle de réseaux décentralisés de délibération et de prise de décision, pour une nouvelle démocratie en dehors des cadres institutionnels classiques.
Je ne doute pas que c'est cette vision libertaire qui a inspiré l'Assemblée nationale... Mais, Monsieur le Ministre, que feront vos services de ce concept ?
Plus sérieusement, le système du numérique mérite une réflexion plus approfondie. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Michel Laugier . - La CMP n'a pas beaucoup changé le texte du Sénat ; mon groupe s'en satisfait.
La CMP a simplement introduit une utilisation ponctuelle du téléphone portable en tant qu'outil pédagogique.
Monsieur le Ministre, vous avez relevé ce paradoxe : tous les législateurs successifs ont eu à se prononcer sur une question qui semble secondaire. Mais le paradoxe n'est qu'apparent. L'interdiction du téléphone portable figurait, certes, dans le code de l'éducation. Le Parlement, a-t-on observé, ne s'est pas saisi de la réforme du baccalauréat... La loi, en application de l'article 34 de la Constitution, détermine les principes généraux de l'enseignement. Le téléphone portable en fait-il partie ? Nous avons intégré dans le code de l'éducation des dispositions réglementaires, sans traiter les questions fondamentales. Le Conseil constitutionnel censurerait-il ce texte, et une future réforme du bac ?
Le sujet, ici, n'est pas le téléphone portable mais ceux qui lui sont sous-jacents. L'autorité d'abord : avec le téléphone portable, la relation entre l'enseignant et l'élève n'est plus fondée sur l'écoute et le respect. Comment rétablir l'autorité de l'État incarnée par le professeur ? Voilà une question fondamentale. Deuxième élément : la culture de la déconcentration et du zapping. Peut-on penser dans ces conditions ou n'est-on pas en train de s'abrutir collectivement en commençant par abrutir nos enfants ? Enfin, la place de la relation humaine dans l'enseignement, qui nous renvoie à l'insociable sociabilité kantienne : il nous faut concilier l'inconciliable. L'école est un lieu de distanciation, de recul par rapport au monde ; mais elle ne peut pas non plus en être coupée, elle doit évoluer avec lui. L'école ne peut donc tourner le dos au numérique, mais elle ne peut pas non plus lui ouvrir grandes ses portes. Comme l'indique le rapport de Mme Morin-Desailly, il est temps de prendre en main notre destin numérique, par la formation. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)
M. Jean-Jacques Lozach . - Je me félicite de la capacité de dialogue dont les deux assemblées ont fait preuve. Mais les réserves du groupe socialiste demeurent : c'est un texte au mieux inutile, au pire gênant. Nous sommes tous conscients du danger des téléphones portables. Point n'est besoin de passer par la loi cependant : les règlements intérieurs des établissements suffisent. Il n'y aura pas d'harmonisation, bien au contraire. Une homogénéisation des pratiques provoquerait de plus de nouvelles difficultés. Ce texte, soit ne règlera rien, soit dérèglera tout.
Il eut été plus judicieux d'engager une concertation sur les thèmes bien plus larges de l'école et du numérique.
Je regrette aussi le rétablissement de certaines dispositions supprimées par le Sénat en commission.
La loi du 12 juillet 2010 est, dans la majorité des cas, appliquée sans difficulté.
Toutefois, le groupe socialiste s'abstiendra dans l'attente d'un texte sur l'école et le numérique, que nous appelons de nos voeux.
M. Daniel Chasseing . - Malgré les réserves des deux assemblées sur la nécessité de légiférer, un texte commun a été adopté. Il inscrit dans le marbre un principe jusqu'alors laissé à la discrétion des chefs d'établissement.
Confier à ceux-ci le soin de fixer les modalités de confiscation, comme l'a proposé Colette Mélot, est une initiative heureuse.
L'État et les collectivités territoriales ayant cofinancé la fourniture de plus de 200 000 tablettes numériques, il serait absurde d'en interdire l'usage.
La notion de citoyenneté numérique a été introduite dans le texte à juste titre.
En sortant le téléphone portable des enceintes scolaires, nous libérons du temps et de l'attention, notamment pour la lecture. Nous préservons les élèves de contenus inadaptés. Le milieu scolaire doit rester un espace de réflexion, d'apprentissage et de sociabilité.
« L'éducation ne se borne pas à l'enfance, l'enseignement ne se limite pas à l'école », comme l'écrivait Paul Valéry.
Le groupe Les Indépendants votera le texte adopté par la CMP.
Mme Mireille Jouve . - Le groupe RDSE a soutenu le rapporteur dans ses travaux, convaincu de l'attention réelle des acteurs de l'enseignement de voir le dispositif juridique sécurisé.
L'école et le collège sont des sanctuaires, des lieux d'échange et de partage où la parole de l'adulte continue à porter. Le téléphone portable est vecteur de troubles et d'isolement pour l'enfant.
Cette coproduction législative, dont je me félicite, est une contribution à ce qui est aussi un enjeu majeur de santé publique. C'est le prélude à une réflexion plus large entamée par la présidente de la commission de la culture sur la place de l'homme dans son écosystème numérique.
Le groupe RDSE votera ce texte à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)
M. Martin Lévrier . - Il aura fallu vingt ans pour interdire le portable dans les enceintes scolaires. Les mobiles ont amplifié le harcèlement scolaire ; ils engendrent, comme tous les produits de marque, une émulation malsaine autour du statut social.
Cette proposition de loi renverse la norme en posant une interdiction de principe. Les chefs d'établissement pourront ainsi s'appuyer sur un cadre juridique ferme. C'est une avancée majeure.
Mais l'encadrement est indissociable de la pédagogie : il faut former les élèves à une utilisation responsable d'Internet. Ils doivent apprendre à filtrer les contenus inappropriés, distinguer les informations fiables des fake news.
Il faut faire l'école du discernement. L'enseignement doit être non pas technophile ni technophobe, mais techno réfléchi. (Sourires)
Le groupe LaREM se félicite de ce texte équilibré. Le rapporteur a su modifier le cadre de la confiscation en laissant une liberté aux chefs d'établissement. Les dispositions de ce texte encourageront les élèves à envisager le numérique avec lucidité, esprit critique et civilité.
Mon groupe votera évidemment ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; Mme Françoise Laborde et M. Éric Gold applaudissent également.)
M. Jacques Grosperrin . - Permettez-moi de saluer M. Jean-Claude Carle, en charge de ces questions au sein de la commission de la culture, depuis vingt ans, qui va quitter prochainement le Sénat. (Applaudissements sur tous les bancs)
Je me réjouis de l'accord trouvé en CMP, mais ne peux commencer sans m'interroger sur l'opportunité d'inscrire ce texte en pleine session extraordinaire, traditionnellement consacrée à des textes majeurs, et de légiférer tout court sur un tel sujet. Nous poserons la même question cet après-midi sur l'examen en procédure accélérée de la proposition de loi de lutte contre les fausses informations.
Ce texte est un signal fort d'autorité, ce qui est heureux. Il n'est toutefois pas « l'avènement » que décrivent les médias : l'interdiction figurait déjà dans le code de l'éducation depuis 2010.
Le compromis trouvé a clarifié les règles de confiscation et de restitution et laissera l'usage pédagogique du téléphone portable à la liberté des établissements.
Est-ce toutefois le rôle de l'école d'éduquer nos enfants aux usages des écrans alors que les chercheurs montrent le rôle de la main et de la mémoire du geste ?
Je salue le travail du rapporteur sur le périmètre du texte. Les décisions seront prises par le chef d'établissement.
La rédaction des dispositions sur l'éducation aux médias est approximative, mais nous y reviendrons lors de l'examen du texte dédié.
Le sujet est vaste, la réflexion n'en est qu'à ses débuts.
Les établissements qui appliquent une interdiction stricte ont, nous le savons, de meilleurs résultats. Ce texte facilitera son effectivité à tous les établissements, c'est toujours cela de pris. C'est un jalon et un signal politique fort envoyé aux familles. Le groupe Les Républicains votera ce texte. (M. André Gattolin et Mme Françoise Laborde applaudissent ; applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture . - L'outil attendu pour la rentrée scolaire est enfin disponible. Nos collègues n'étaient pas tous emballés par la perspective de légiférer sur ce sujet : beaucoup auraient préféré discuter du bac ou de l'éducation au numérique. Le pédopsychiatre Serge Tisseron suggère de débattre plus largement de ces questions avec toute la communauté éducative et les parents ; nous le ferons pour que chacun soit responsabilisé dans l'utilisation, ou non, de l'outil. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, Les Indépendants et Les Républicains et sur quelques bancs du groupe RDSE)
M. Jean-Michel Blanquer, ministre . - Cette loi était nécessaire pour plusieurs raisons. Je n'en citerai qu'une : elle a montré l'intérêt du bicamérisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; MM. Jean-Claude Carle et Martin Lévrier applaudissent également.)
Vous souhaitez débattre de sujets plus larges. Ce sera le cas avec l'école obligatoire dès 3 ans dès 2019.
Je rends hommage enfin au sénateur Carle, dont le travail a eu tant d'importance pour les politiques éducatives dans notre pays. Adieu monsieur le professeur, chantait Hugues Aufray ; je dirais plutôt : au revoir Monsieur le Sénateur ! (Applaudissements sur tous les bancs)
La discussion générale est close.
L'ensemble de la proposition de loi est adopté dans le texte résultant des travaux de la CMP.