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Table des matières



Nouveau pacte ferroviaire (Procédure accélérée  -  Suite)

Explications de vote

Mme Éliane Assassi

M. Hervé Maurey

M. Olivier Jacquin

M. Claude Malhuret

M. Jean-Pierre Corbisez

M. Gérard Cornu

M. Frédéric Marchand

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports

Bilan de l'application des lois

Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

M. Alain Marc

M. Jean-Marc Gabouty

M. Alain Richard

M. Pierre Ouzoulias

M. Claude Kern

M. Franck Montaugé

M. François Bonhomme

Communications

Décès d'un ancien sénateur

Commissions (Nominations)

Transport fluvial

M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports

Mme Nelly Tocqueville

M. Alain Fouché

M. Jean-Pierre Corbisez

Mme Agnès Canayer

M. Didier Rambaud

Mme Cécile Cukierman

Mme Michèle Vullien

M. Michel Dagbert

M. Didier Mandelli

M. Jean-Paul Prince

Mme Martine Filleul

M. Pierre Cuypers

M. Daniel Gremillet

M. François Grosdidier

M. Jean-François Rapin

M. Jean-Paul Émorine, pour le groupe Les Républicains

« Sécurité routière : mieux cibler pour plus d'efficacité »

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur du groupe de travail

M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail

Mme Michèle Vullien, rapporteure du groupe de travail

M. Alain Fouché

Mme Josiane Costes

M. Arnaud de Belenet

M. Guillaume Gontard

M. Jean-Marc Boyer

M. Olivier Cigolotti

M. Bernard Jomier

M. Henri Leroy

Mme Angèle Préville

M. Stéphane Piednoir

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

Annexes

Ordre du jour du mercredi 6 juin 2018

Analyse des scrutins publics

Nominations à des commissions permanentes




SÉANCE

du mardi 5 juin 2018

91e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Éric Bocquet, Mme Agnès Canayer, M. Yves Daudigny.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Nouveau pacte ferroviaire (Procédure accélérée  -  Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire.

Explications de vote

Mme Éliane Assassi .  - Les masques sont finalement tombés. La majorité sénatoriale et le Gouvernement sont au diapason, d'accord pour changer le statut de la SNCF, casser celui des cheminots et ouvrir les transports ferroviaires à la concurrence, sans avis du Conseil d'État ni étude d'impact.

Seul le groupe CRCE a déposé un amendement de suppression de l'article premier A qui transforme la SNCF en une myriade de sociétés anonymes soumises au code du commerce. Il aura fallu trois jours à notre Haute Assemblée pour mettre fin à quatre-vingts ans de service public ferroviaire alors que ni le président de la République ni le Gouvernement n'ont de mandat populaire pour cela. Le président Macron en revient aux très vieilles sirènes libérales...

Votre légitimité est d'autant plus fragile qu'une majorité de cheminots refusent la réforme - c'est ce qu'ils ont exprimé lors du « vot'action ».

M. Jacques Grosperrin.  - Mais ce ne sont pas eux qui font les lois !

Mme Éliane Assassi.  - Nous sommes fiers d'avoir, par nos amendements, bousculé le scénario, porté la voix des cheminots dans cet hémicycle, (M. Philippe Dallier s'exclame.) défendu les salariés de la SNCF et le droit à la mobilité. Celui-ci dépendra à l'avenir des entreprises...

Le Gouvernement a fait preuve d'un double mépris, parlementaire et social ; il porte la responsabilité d'un conflit social majeur. Ce texte, technocratique, livre l'opérateur public, clés en main, et les cheminots aux intérêts privés, de telle sorte que les nouveaux entrants bénéficieront sans bourse délier des investissements publics. C'est une véritable distorsion de concurrence, en réalité !

Le changement de statut, la filialisation n'ont jamais été justifiés : l'Europe ne le demandait pas ; aucun exemple voisin ne nous y pousse. La reprise de la dette ? C'est une stricte obligation comptable, liée aux règles d'endettement des sociétés anonymes, que vous érigez en symbole des efforts de l'État...

Il ne s'agit pas de donner plus de marge de manoeuvre à SNCF Réseau, puisqu'une nouvelle règle d'or contraint drastiquement les investissements sur le réseau.

Le président Macron a jeté le statut des cheminots à la vindicte populaire, légitimement à 700 millions d'euros alors qu'il ne coûte que 15 millions d'euros - soit vingt fois moins que le budget de communication du groupe. Chiffon rouge agité pour masquer les vrais problèmes du ferroviaire : sous-financement et désengagement de l'État.

L'incessibilité du capital de la SNCF est une promesse qui n'engage que ceux qui croient à la sincérité d'un Gouvernement aux ordres de la finance. Vous avez refusé toutes les modifications et garanties que nous proposions, notamment un transfert sur la base du volontariat et un droit de réintégration au statut sans limitation de temps.

Cette réforme n'aura pour effet que d'accroître le nombre de camions sur nos routes, de gares, d'avions, pour un résultat environnemental désastreux. Il aurait fallu que le Gouvernement se saisisse du règlement OSP pour organiser une péréquation nationale au bénéfice des petites lignes.

Cette réforme est avant tout idéologique : le président des riches, après les APL, s'est attaqué à un nouvel acquis social. Cette réforme est un symbole, une préfiguration des reculs sociaux à venir. Nous voterons contre ce texte. Loin de la réforme ambitieuse pour le service public ferroviaire du XXIe siècle que nous appelons de nos voeux, ce projet de loi ne prépare pas l'avenir, il nous engage dans une voie de garage. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. le président. - Avant de donner la parole à l'orateur du groupe UC, je salue le travail effectué par la commission qu'il préside.

M. Hervé Maurey .  - Au terme de 25 heures de débat, nous voilà amenés à nous prononcer sur un texte très important.

Les choses avaient mal commencé : annonce le 26 février par le Premier ministre d'une réforme par ordonnances sans aucune concertation avec les parlementaires. Le Sénat, au premier rang duquel son président, avait fermement réagi.

Un peu plus de deux mois plus tard, elles se sont arrangées ; la ministre s'est montrée ouverte au dialogue, et le Sénat, comme toujours, en dehors de toute posture politicienne, a mis le travail et l'intérêt général au-dessus de toute autre préoccupation. Pour une fois, l'Assemblée nationale n'a pas prétendu tout régler...

En commission, grâce au travail du rapporteur, puis en séance, nous avons renforcé le volet aménagement du territoire de ce texte ; offert des garanties aux salariés en cas de transfert ; posé les conditions nécessaires à la réussite de l'ouverture à la concurrence et maintenu un haut niveau de sécurité et de sûreté du système ferroviaire.

L'ouverture à la concurrence ne doit en effet pas se faire au détriment des territoires ni des clients. Le président de l'Arafer a confirmé en audition le risque que fait porter le mécanisme de modulation des péages proposé par le Gouvernement.

Pour garantir la pérennité des dessertes menacées, il faut aller au-delà. Il faut que l'État conclue si nécessaire des contrats de service public, selon notre proposition de loi adoptée au Sénat le 29 mars, que nous avons réintroduits dans ce texte.

Nous avons en outre complété le volet social du projet adopté par l'Assemblée nationale, précisant les conditions de transfert en favorisant le volontariat. La réintégration au statut a été facilitée, le délai pour y parvenir prolongé de deux ans en accord avec le Gouvernement.

Pour garantir une ouverture à la concurrence réussie, nous avons tenu à conforter l'autonomie de Gares et Connexions pour préserver la capacité d'investissement de l'entité et soumis deux dérogations à la mise en oeuvre de l'ouverture à la concurrence, l'une pour circonstances exceptionnelles et l'autre dite de compétence, à l'avis conforme de l'Arafer pour sécuriser les choix des autorités organisatrices.

En matière de sécurité enfin, un groupement d'intérêt public (GIP) sera créé pour coordonner l'action des opérateurs.

Le texte qui vous est proposé traduit un bon équilibre, comme l'a dit la ministre. J'espère que son adoption permettra de sortir d'un conflit social qui n'a que trop duré. Et je sais gré au Gouvernement de ne pas avoir cédé à la pression des syndicats.

Le Gouvernement a toutefois voulu revenir sur certains points : le rôle de l'Arafer, l'autonomie financière de Gares et Connexions, l'incompatibilité des dirigeants de SNCF Réseau et de la holding de tête... Les amendements ont été refusés, mais nous resterons vigilants d'ici à la CMP.

Le Sénat s'est tenu à l'écart de la politique politicienne montrant la nécessité d'un bicamérisme équilibré. Le Gouvernement devra s'en souvenir à l'approche de la réforme constitutionnelle. L'exécutif, et surtout la France, ont besoin d'un Parlement fort et responsable pour mener à bien les réformes d'ampleur. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Olivier Jacquin .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Nous, les 348 sénatrices et sénateurs de France, avons montré que le Sénat lorsqu'il est pris en considération est un élément déterminant du bicamérisme et de la démocratie parlementaire. Vive le Sénat, vive la République et vive la France ! (Applaudissements nourris sur la plupart des bancs sauf sur ceux du groupe CRCE)

Madame la Ministre, cette réforme est cependant une réforme à l'envers : c'est la loi d'orientation sur les mobilités qui aurait dû venir en premier. Le président de la République et le Premier ministre avaient annoncé une réforme par ordonnances en stigmatisant les cheminots. C'est un texte composé de huit habilitations qui est arrivé au Parlement. Résultat : une grève longue et toujours en cours.

Heureusement, la mobilisation syndicale et parlementaire a permis de revenir sur cette méthode, insoucieuse des corps intermédiaires. On ne dirige pas la France comme une start-up ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; MM. René Danesi et Sébastien Meurant applaudissent également.)

Autre regret : l'absence d'étude d'impact et d'avis du Conseil d'État.

Il reste de nombreuses inconnues. Qu'en est-il de l'avenir des petites lignes, de l'impact de la modulation des péages, de la trajectoire financière de la SNCF après l'annonce du désendettement ? Quant à celui-ci, rappelons qu'il a précisément été rendu possible par les efforts du précédent gouvernement, qui a ramené l'endettement sous la barre fatidique des 3 % du PIB en 2017, alors qu'en 2012 il était de 5,2 %... (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Marc-Philippe Daubresse.  - C'est dommage, cela commençait bien... (Sourires sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Olivier Jacquin.  - Où en est la négociation de la convention collective ? Nous ne savons pour l'instant rien de plus que la tenue d'une réunion tripartite...

Le titre donné au texte ne nous paraît pas non plus pertinent : nouveau pacte ? Quelle place pour le rail, à l'heure de la lutte contre le réchauffement climatique ? Rien n'est dit sur son rôle, ni sur celui du fret. Pire, la nouvelle organisation de la SNCF risque de la fragiliser. La règle d'or, inventée en 2014, est une bonne chose, mais son renforcement inquiète. La logique malthusienne, qui veut que l'on supprime les petites lignes, ne sera hélas pas abandonnée.

Nous avons porté de nombreuses propositions : schéma de desserte validé par le Parlement, démocratisation de la gouvernance de la SNCF... Certaines ont été en partie reprises.

Ce mardi, nous sommes toujours sous un régime d'ordonnances et le conflit continue. Pour finaliser l'ouverture à la concurrence, il n'était pas nécessaire de déclencher un tel conflit.

Nous ne vous donnerons pas un chèque en blanc pour une destination inconnue et voterons contre. (Exclamations et marques de déception sur les bancs du groupe Les Républicains) Vote de vigilance, non protestataire...

M. Jean-François Husson.  - Mais si !

M. Olivier Jacquin.  - ...dans la perspective de la CMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs du groupe CRCE ; nouvelles exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) Cette réforme est une bonne nouvelle pour ceux qui souhaitent l'ouverture à la concurrence, la transformation de la société nationale et la fin de statuts exorbitants du droit commun. (Protestations et interruptions sur les bancs du groupe CRCE)

C'est une bonne nouvelle pour les usagers qui subissent les retards et la pire forme de grève, la grève à répétition, destinée à leur pourrir la vie le plus possible...(Même mouvement, croissant) tout en prétendant défendre le service public, en le cassant, alors que nous savons tous que le service public marche déjà mal.

Le réseau est à deux vitesses, entre les privilèges des TGV et la roture des lignes classiques, accusant une forte décrépitude, due à des décennies de sous-investissements, dont tous ici, comme tous les élus de tous les territoires, des banlieues aux campagnes, pouvons donner maints exemples. Le système est usé jusqu'à la corde, tout comme celui de l'intangibilité des statuts.

Nous affichons le plus fort taux de dépenses publiques au monde, mais, dans le rail comme à l'école ou à l'hôpital, ou dans les prisons, le service public est au bord du collapsus... (Vives exclamations sur les bancs du groupe CRCE ; marques d'approbation sur divers bancs au centre et à droite)

Les jusqu'au-boutistes de la grève courent à l'échec : absence de soutien populaire, fissure du front syndical, érosion du taux de grévistes, détermination du Gouvernement, soutien du Parlement : non, 2018 ne sera pas 1995 ! (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs, depuis ceux du groupe Les Indépendants jusqu'à ceux du groupe Les Républicains ; protestations sur les bancs du groupe CRCE) L'appel à la convergence des luttes n'amènera pas plus le retour de 1968 que la danse d'un sorcier vaudou n'amène la pluie. (Rires et applaudissements sur la plupart des bancs, depuis ceux des groupes LaREM et Les Indépendants jusqu'à ceux du groupe Les Républicains)

La marée humaine des dernières manifestations était basse. La France insoumise, le NPA, des myriades de groupuscules... (Vives protestations sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Éliane Assassi.  - Un peu de respect ! Vous êtes quoi ? Monsieur le Président, qu'il nous respecte !

M. Claude Malhuret.  - Tout cela pour finir à 30 000 à Paris : moins que pour la fête à Macron ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

Mme Éliane Assassi.  - Parlez du texte ! (Les protestations du groupe CRCE couvrent presque la voix de l'orateur, que l'on encourage à poursuivre sur plusieurs bancs des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains)

M. Claude Malhuret.  - Deux tiers des Français sont pour la réforme et contre la grève. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains) Ils se posent en effet les bonnes questions. Pourquoi est-ce là où le service public est régi le plus légitimement par le principe de continuité que la grève est la plus fréquente ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Tous les syndicats font grève, tous !

M. Claude Malhuret.  - Comme ces personnages de BD archi-décédés, qui continuent à marcher dans le vide, les attitudes des opposants à la réforme sont aussi dépassées que l'idéologie surannée dont ils se réclament... (Huées et protestations sur les bancs du groupe CRCE ; sourires et applaudissements sur plusieurs bancs au centre et à droite)

Mme Éliane Assassi.  - Parlez plutôt du texte ! Un peu de respect...

M. Claude Malhuret.  - Savez-vous ce que disait Lénine des siffleurs ?

Mme Éliane Assassi.  - Ce n'est pas la question !

M. Claude Malhuret.  - Qu'ils avaient des têtes d'oiseau ! (Rires et applaudissements sur de nombreux bancs au centre et à droite)

Quant à la pratique de venir en séance en brandissant des pancartes, déguisés avec des chasubles de cheminots passés sur des costumes cravates, comme d'arborer au palais Bourbon un maillot de l'Olympique d'Haudricourt, elle n'est pas compatible avec la dignité de nos assemblées. Viendront-ils demain en maillot de bain ou avec un caniche en laisse ? (Vives protestations sur les bancs du groupe CRCE ; on s'amuse sur de nombreux bancs, depuis ceux du groupe Les Indépendants jusqu'à ceux de la droite)

La réforme aurait pu aller plus loin, plus vite. On peut compter sur les embusqués pour mettre des bâtons dans les roues. (Protestations sur les bancs du groupe CRCE) Mais le Gouvernement a fait preuve de courage en permettant à la SNCF d'aborder l'ouverture à la concurrence dans de meilleures conditions et en dessinant un transport ferroviaire digne de notre temps et de notre pays. Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Bravos et applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, LaREM, UC, Les Républicains)

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Cette réforme, inscrite au coeur du quotidien, concerne un service public historique, qui fait partie de notre patrimoine. Complexe et sensible, elle associe les intérêts des usagers, des cheminots, des territoires et des marchés ; tâche difficile. Changements sociétaux, évolution et contexte politique, environnement. Sur ce dernier point, le groupe RDSE a renforcé par un amendement le texte de la commission.

François Mitterrand disait en 1990, en inaugurant une nouvelle ligne à Clermont-Ferrand : « je crois à l'essor du chemin de fer, dès lors qu'il sait s'adapter à l'évolution des besoins et de la concurrence. Je crois à la capacité du secteur public pour mener de telles missions en alliant efficacité économique et progrès social. Mais une grande entreprise publique est aussi celle qui sait associer son personnel à ses propres progrès ».

Grâce à MM. Maurey et Cornu, qui ont grandement amélioré le texte, le Sénat a montré tout l'intérêt d'un bicamérisme équilibré. Il a tenu compte des inquiétudes à travers l'inscription de l'incessibilité dans la loi et les garanties statutaires. Il aurait cependant fallu aller plus loin sur les limites régionales de la mobilité.

Nous avons entériné le rôle de l'Arafer dans le suivi de la réforme et relancé le Haut Comité du système de transport ferroviaire. Une évaluation par l'Arafer, tous les deux ans, du coût du système pour les collectivités territoriales aurait été souhaitable ; tout comme l'ancrage de l'égalité territoriale au coeur du texte.

L'État s'arc-boutera-t-il sur la règle du retour sur investissement, ou suivra-t-il la région, lorsque Xavier Bertrand, par exemple, promet de financer à 50 % la rénovation de la ligne Abbeville-Le Tréport - et je ne parle même pas de la liaison Brive-Aurillac ?

Jules Renard, dont le père a construit la ligne Laval-Caen, a dit : « le train est l'automobile du pauvre ; il ne lui manque que de pouvoir aller partout ». Sans voter contre, le groupe RDSE votera le texte à une large majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur le banc de la commission)

M. Gérard Cornu .  - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Très attendu, le Sénat a été à la hauteur de l'enjeu. Le débat a été de grande qualité, empreint de respect et d'écoute.

La méthode du Gouvernement, mal comprise, a mécontenté Parlement et syndicats. Le Sénat avait le choix : un attentisme stérile ou une sortie de l'épreuve par le haut. Malgré l'attitude méprisante du Gouvernement envers les sénateurs auteurs de propositions de loi pourtant de grande qualité... (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) balayées d'un revers de main, mais reprises par les députés En Marche ! N'est-ce pas, Messieurs Darnaud, Madame Cartron, Monsieur Vaspart, Monsieur Chaize ? (M. Charles Revet le confirme.)

C'est l'ADN du Sénat que d'agir avec responsabilité en dépassant les clivages politiques. Je tiens à remercier notre président de groupe, M. Retailleau (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) de sa confiance ; la ministre des transports qui a permis une vraie co-construction de la loi. Formons le voeu que son attitude inspire d'autres collègues du Gouvernement... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Raymond Vall applaudit aussi.)

Espérons que l'exécutif s'en souvienne dans la prochaine réforme constitutionnelle...

M. Philippe Dallier.  - Ça, c'est moins sûr !

M. Gérard Cornu.  - Nous avons plus que jamais besoin de la sagesse du Sénat et d'un bicamérisme moderne face aux humeurs et aux tensions.

Le Sénat a été attentif au volet social et aux territoires, reprenant de nombreux éléments de la proposition de loi Maurey-Nègre, supprimant des habilitations, maintenant les axes essentiels de la réforme. Je ne doute pas de l'issue positive de la CMP sur la base du texte que nous nous apprêtons à adopter.

L'aménagement du territoire a été au coeur de nos préoccupations. Quant aux avancées sociales, je remercie le président Gérard Larcher de son soutien total (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants) et son implication à maintenir un dialogue constant et fructueux avec les syndicats réformistes.

Nous avons porté à huit ans le délai du droit au retour dans l'entreprise SNCF sous le statut cheminot par un amendement du rapporteur voté à l'unanimité et approuvé par la ministre. Nous avons aussi garanti l'incessibilité du capital de la SNCF et de ses deux filiales.

Le groupe Les Républicains votera ce texte. Nous l'avons mis sur de bons rails.

M. David Assouline.  - Si c'est la droite qui le dit !

M. Gérard Cornu.  - Je ne doute pas que nous saurons le préserver en CMP. Comme le disait Maurice Thorez... (Rires ; Mme Éliane Assassi lève les bras en signe d'impuissance.)

M. le président. - Ce n'est pas l'auteur le plus cité ici !

M. Gérard Cornu.  - « Il faut savoir arrêter une grève ! » (Rires et applaudissements sur de nombreux bancs, sauf sur ceux du groupe CRCE) Le texte issu du Sénat nous en donne l'opportunité. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Frédéric Marchand .  - Le 29 mai, j'évoquais l'injonction de Victor Hugo lancée en juin 1877 : « Sénateurs, prouvez que vous êtes nécessaires ! ».

M. Marc-Philippe Daubresse.  - Hugo, c'est celui qui a écrit Napoléon le petit...

Mme Éliane Assassi.  - (Désignant la plaque devant son banc) Il siégeait ici même !

M. Frédéric Marchand.  - Le train est parti à l'heure ; Il est arrivé en gare sans retard, malgré les embûches, au terme d'un voyage parfois harassant, souvent passionnant. (Sourires)

On nous a dit que le débat serait mené à la hussarde, qu'il n'aurait été rendu possible que par la pression de la rue. Et si nous sortions des visions manichéennes ? Il a été rendu possible par l'attachement de tous au service public. Tous ont pu s'exprimer.

Je salue le rapporteur et le président Maurey qui ont su conduire cet exercice collectif, ce travail de concertation avec la ministre dans une démarche de co-construction.

Notre système ferroviaire est en bout de course. L'ouverture à la concurrence nous donne l'occasion de repenser notre logiciel dans un souci d'efficacité, de modernité et de justice sociale.

La modernité, c'est la transformation de cette octogénaire qu'est la SNCF en société anonyme, tout en en préservant l'incessibilité.

Justice sociale enfin ; opposer les uns aux autres n'est pas digne des enjeux, alors que le Gouvernement s'est engagé à accompagner la négociation de la convention collective.

Unité sociale au sein du groupe, transfert sur la base du volontariat, retour au statut après huit ans... autant de garanties pour les cheminots.

Nous ouvrons une nouvelle page de notre grande aventure ferroviaire. Il est temps de réconcilier les Français avec le chemin de fer. L'Arafer a souligné que l'ouverture à la concurrence avait porté ses fruits lorsqu'elle avait été menée dans de bonnes conditions. Là où il y a une volonté, il y a un chemin ; le groupe LaREM votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

M. le président. - Le scrutin public sur l'ensemble du projet de loi sera ouvert à la suspension en salle des Conférences.

La séance, suspendue à 15 h 25, reprend à 15 h 55.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°121 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l'adoption 240
Contre 85

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE, UC et Les Républicains)

M. le président.  - Je passe la parole à Mme la ministre, pour qu'elle nous dise le voyage de rêve qu'elle a fait avec le Sénat. (Rires sur de nombreux bancs)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - L'étape que nous franchissons est majeure : nous transformons notre système ferroviaire, pour qu'il réponde aux besoins et aux attentes de nos concitoyens. Le Gouvernement a tenu ses engagements. Nous avons confirmé les grands principes de la réforme - ouverture à la concurrence, arrêt du recrutement sous statut, reprise de 35 milliards d'euros de dette - tout en les enrichissant par les discussions avec les syndicats de cheminots.

Votre Haute Assemblée a largement contribué à enrichir ce texte. Je remercie particulièrement le rapporteur (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants), les membres de la commission de l'aménagement du territoire et son président. (Mêmes mouvements) Vous avez fait avancer la réforme en tenant compte des inquiétudes des cheminots et en marquant votre attachement à l'aménagement du territoire - que je partage. Je salue aussi votre président (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC) qui a su mener les débats dans un esprit de confiance.

M. François-Noël Buffet.  - Vous devriez venir plus souvent !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je remercie également les bancs de l'autre côté de l'hémicycle, pour la qualité de notre débat. Nous ne partageons pas le même point de vue sur les solutions, mais notre objectif commun est bien d'améliorer le service public ferroviaire et vous avez exprimé votre opposition dans le respect du débat parlementaire.

Je suis confiante quant à l'issue de la CMP. Nous partageons un même objectif : garantir un service public ferroviaire rénové.

La séance est suspendue à 16 heures.

Salle Clemenceau

La séance reprend à 16 h 15.

Bilan de l'application des lois

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l'application des lois.

Nous voici réunis pour notre rendez-vous annuel sur le bilan de l'application des lois. Je salue M. Christophe Castaner, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, pour qui il s'agit du premier débat sur l'application des lois mais qui, j'en suis certain, répondra avec précision aux questions qui lui seront posées.

Le Sénat procède annuellement au contrôle de l'application des lois. Il s'agit d'un exercice dans lequel notre assemblée a été pionnière et auquel nous accordons, chacune et chacun, la plus grande importance.

Faire en sorte que le Parlement puisse contrôler l'action du Gouvernement avec efficacité, c'est en ce sens que le groupe de travail sur la révision constitutionnelle a oeuvré. Il a notamment proposé d'inscrire dans notre texte fondamental une obligation pour le Gouvernement de prendre les mesures générales d'application des lois.

Je forme le souhait que les débats que nous aurons prochainement sur le projet de loi constitutionnelle puissent participer à faire de la fonction de contrôle du Parlement une véritable priorité de même rang que la fonction législative.

Au cours de l'année parlementaire 2016-2017, qui vit pour la première fois depuis le début de la Ve République se succéder élections présidentielle, législatives et sénatoriales, nous avons néanmoins voté 48 textes de loi nécessitant plus de 500 mesures d'application.

Mme Valérie Létard, présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle .  - Je me réjouis de l'organisation de ce débat sur le bilan annuel de l'application des lois. En effet, nous n'avions pas eu la possibilité de l'organiser l'an dernier, en raison de l'interruption des travaux en juin.

Le Sénat a été très vigilant sur la bonne application des lois, à commencer par la publication en temps et en heure des textes réglementaires prévus par le législateur.

Comme pour les années précédentes, ce bilan est le résultat d'un travail minutieux de chaque commission pour les lois relevant de son ressort. Permettez-moi de saluer la qualité du dialogue avec les administrations et le Secrétariat général du Gouvernement, témoignant de la volonté commune du Sénat et du Gouvernement d'une bonne application des lois.

Ce bilan s'appuie également sur des données statistiques issues de la base APLEG propre au Sénat. Cette base et la méthodologie utilisée permettent une homogénéité de la donnée dans le temps, garante de l'effectivité des comparaisons réalisées par le Sénat au fil des ans.

Ce bilan porte sur les lois promulguées au cours de la session 2016-2017 au 31 mars 2018. Cette date de référence - six mois après la fin de la session concernée - est choisie en raison de l'objectif que s'est fixé le Gouvernement d'une publication des textes d'application dans ce délai.

La session 2016-2017 a été atypique. Pour la première fois depuis le début de la Ve République, se sont succédé au cours d'une même année parlementaire les élections présidentielle, législatives et sénatoriales. Cela a eu des conséquences sur nos travaux.

Hors conventions internationales, ce sont 48 lois qui ont été votées, soit 7 de moins que lors de la session précédente, dont 35 - hors procédure accélérée de droit - ont été examinées selon la procédure accélérée. Cette proportion - 77% des textes - est en augmentation par rapport à la session précédente. Enfin, l'ensemble des projets de lois ont été votés selon cette procédure.

Vingt et une lois votées lors de la session sont d'origine parlementaire dont 9 sénatoriale.

J'en viens maintenant au taux d'application des lois : pour la session 2016-2017, 26 lois appelaient des mesures réglementaires d'application, les 22 autres étant d'application directe.

Le taux d'application des lois de ces 26 lois est, selon les calculs du Sénat, de 73 %. La légère différence avec celui du Gouvernement s'explique par le fait que nous faisons le suivi de tout texte réglementaire, y compris les arrêtés. Une précision méthodologique est peut-être nécessaire. Le taux d'application, qu'il soit calculé par le Sénat ou par le Gouvernement, est compris comme le rapport entre le nombre de mesures prises et le nombre de mesures attendues. Il ne prend donc pas en compte les articles ou les lois n'attendant aucune mesure d'application.

Pour la session 2016-2017, ce sont ainsi 384 mesures sur les 527 attendues qui ont été prises.

Sur les 26 lois nécessitant des mesures d'application, 6 ont vu 100 % de leurs mesures prises, 18 sont partiellement mises en application, et 2 n'ont aucune de leur mesure d'application prise. Il faut toutefois noter que ces deux lois non mises en application n'attendent qu'une seule mesure chacune, et pourraient donc - je l'espère - très prochainement être considérées comme totalement appliquées.

Le taux d'application de la XIVe législature est très élevé. Il dépasse les 90 %, 94 % hors lois votées lors de la dernière session. Sur l'ensemble de la législature, ce sont ainsi plus de 3 000 mesures réglementaires d'application qui ont été prises.

Ce taux élevé s'explique notamment par la très forte mobilisation de l'ancien gouvernement dans les derniers jours de son mandat : plus de 400 décrets ont été pris au mois de mars et d'avril 2017 et dans les dix premiers jours de mai 2017, soit juste avant l'élection présidentielle. Sur la même période en 2016, 147 mesures avaient été prises.

Le délai moyen de prise des décrets pour les lois votées lors de la session 2016-2017 est en diminution : il est de 5 mois et 10 jours, contre 6 mois et 22 jours pour la session 2015-2016. Toutefois, encore 30 % des décrets pris le sont plus de 6 mois après la promulgation de la loi, dont 6 % après plus d'un an.

En outre, le délai de prise des décrets d'application est supérieur à celui du vote de la loi selon la procédure accélérée : 5 mois et 6 jours, soit 158,5 jours sont en moyenne nécessaires pour les décrets d'application contre 145 jours pour l'adoption de la loi selon la procédure accélérée. On peut ainsi s'interroger sur le recours toujours plus grand à cette procédure.

La période de référence contient également deux lois de la nouvelle législature appelant des mesures d'application, les deux lois de septembre 2017 relatives à la confiance dans la vie politique. L'ensemble des décrets d'application de ces lois ont été pris. En outre, les éléments transmis par M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, pour les lois votées depuis le 1er octobre 2017 témoignent d'un engagement fort du nouveau Gouvernement. À titre d'exemple, il ne reste qu'un décret d'application à prendre pour la loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, qui pourrait être pris avant fin juin. Dans ces conditions, cette loi serait rendue totalement applicable en moins de 4 mois.

Ce début de XVe législature est donc porteur d'espoir, et nous espérons qu'il annonce une prise de mesures d'application plus complète et rapide pour la nouvelle législature.

Il reste malheureusement un certain nombre de points noirs. Je n'en citerai qu'un : la remise des rapports au Gouvernement, qui reste trop faible malgré nos remarques chaque année.

Les rapports de l'article 67, devant être déposés 6 mois après la promulgation de chaque loi et permettant de suivre son application, sont très peu remis : seuls 5 sur les 26 lois de la session appelant des mesures d'application ont été déposés.

La remise des rapports demandés par le Parlement au Gouvernement dans le cadre d'une loi est également trop faible. Au cours de la session 2016-2017, près de 70 rapports au Gouvernement ont été demandés, dont 48 devaient être remis avant le 20 mai 2018. Or leur taux de remise n'est que de 25 %. Le Sénat ne demande pas systématiquement des rapports et se prononce souvent contre ceux qui ne lui apporteraient pas des informations substantielles. Dans ces conditions, il souhaite pouvoir disposer de ceux qui ont été prévus par la loi.

Certains rapports sont remis avec un retard important. Dans d'autres cas, sans aucune explication, ces rapports sont prêts mais ne sont pas transmis. Certains rapports ne sont pas transmis officiellement au Parlement, au motif qu'ils sont rendus publics. Or le processus de transmission établi permet notamment de veiller à une information rapide des parlementaires sur l'existence de ces rapports.

Enfin, ce bilan ne peut faire abstraction des discussions en cours sur une prochaine révision constitutionnelle. Il s'intéresse ainsi aux ordonnances et permet un constat : l'argument de la célérité de l'ordonnance comme véhicule normatif est à relativiser. Le délai moyen de prise de l'ordonnance, calculé comme le temps constaté entre la date de demande d'habilitation et la prise de l'ordonnance, est de 571,5 jours. Quatre ordonnances ont nécessité un délai supérieur à 1 000 jours. Ce délai est ainsi trois fois plus élevé que le délai moyen de vote d'une loi pendant la session 2016-2017, qui est de 196 jours. En outre, l'ordonnance peut elle-même nécessiter des décrets d'application. Je rappellerai ici le contrôle qui vient d'être mené au sein de la commission des affaires économiques sur la loi du 1er juin 2016 qui habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour réformer Action Logement. Alors que l'ordonnance a été adoptée rapidement, dans un délai de quatre mois et demi, le comité des partenaires du logement social, prévu par celle-ci, n'est toujours pas installé plus d'un an après la mise en oeuvre de la réforme, faute d'adoption des décrets relatifs à sa composition et à son fonctionnement. Or cette structure est fondamentale, car elle est censée jouer un rôle de vigie à l'égard des orientations et de la distribution de la participation des employeurs à l'effort de construction entre les organismes et entre les territoires. Monsieur le Ministre, quand le Gouvernement compte-t-il prendre le ou les décrets concernant le comité des partenaires ?

Je terminerai cette présentation, en rappelant les propositions en matière d'application des lois du groupe de travail du Sénat mis en place dans la perspective de la révision constitutionnelle : créer un nouvel article 37-2 obligeant le Gouvernement à prendre les mesures générales d'application des lois et, sur le modèle de la saisine du Conseil constitutionnel, autoriser les présidents des deux assemblées ainsi qu'à soixante députés ou soixante sénateurs, de saisir le Conseil d'État en l'absence de publication des mesures réglementaires d'application d'une loi dans un délai raisonnable.

Vous le voyez, Monsieur le Ministre, notre institution est très attachée à l'application effective des lois que nous votons.

M. le président.  - Voilà quelques chiffres à méditer !

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Merci de m'accueillir pour ce premier exercice. Le bilan de l'application des lois n'est pas une question technique mais un paramètre important de l'action gouvernementale et de l'exigence du législateur : sans application, la loi s'arrête à l'intention, voire à l'incantation.

Le sujet de l'application des lois était à l'ordre du jour d'un séminaire gouvernemental la semaine dernière, au cours duquel j'ai rappelé ces principes.

Notez que certains retards peuvent être liés à des amendements parlementaires introduisant des mesures non prévues par l'administration, qui du coup se montre peut-être moins attentive...

Merci aux présidents de commission pour ce recensement minutieux, c'est un outil précieux pour objectiver les constats. Même si nos méthodes de calcul diffèrent à la marge, le résultat est le même : nous sommes passés d'un délai de six mois et vingt-deux jours à cinq mois et dix jours et le taux d'application des lois votées sous la quatorzième législature est de 93,5 % fin mai 2018. Le Gouvernement reste mobilisé et le début de la quinzième législature est prometteur.

Tout nouveau Premier ministre rappelle qu'il faut supprimer une norme pour toute nouvelle norme : Édouard Philippe est allé plus loin en demandant qu'on en supprime deux. Le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) a bloqué des décrets pour obliger les ministères à rentrer dans cette logique.

Outre les réunions interministérielles, le suivi de l'application des lois fait l'objet d'une communication en Conseil des ministres ; je plancherai le 4 juillet. En septembre, un séminaire intergouvernemental sera organisé avec le SGG et l'ensemble des directeurs de cabinet pour maintenir la pression. Je ne manquerai pas de souligner l'importance d'une action résolue afin que les rapports au Parlement soient remis dans les temps.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques .  - Sur dix-huit lois dont l'application est suivie par notre commission, seules six sont totalement appliquées, dont trois étaient d'application directe.

Dans les lois Transition énergétique d'août 2015 et Autoconsommation de février 2017, deux mesures au bénéfice des consommateurs en situation de précarité énergétique sont en attente. Sur les afficheurs déportés, deux arrêtés sont annoncés ; pouvez-vous être plus précis sur le calendrier et les modalités de déploiement ?

Le Sénat attend toujours le rapport sur l'accompagnement des consommateurs modestes qui devront remplacer un équipement à l'occasion d'un changement de gaz distribué, dans le Nord notamment. Où en est la mission confiée à trois corps d'inspection sur ce sujet ? Enfin, je partage les interrogations de Valérie Létard sur le comité des partenaires du logement social. Seul un tiers des rapports a été remis. Certains rapports restent sur le bureau du ministre, comme celui prévu par l'article 32 de la loi ALUR ; d'autres, notamment du conseil général de l'environnement et du développement durable, ne nous sont pas officiellement transmis, au motif qu'ils sont publics. Ce serait pourtant une marque de respect vis-à-vis du Parlement. Comment expliquez-vous de tels retards et pourquoi les procédures de transmission ne sont-elles pas respectées ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Concernant les afficheurs déportés, l'article 28 impliquait de prendre trois arrêtés ; ils sont rédigés et seront publiés sur la base de l'évaluation du coût du dispositif, actuellement en cours.

Le rapport que vous aviez demandé sur l'aide au changement d'équipement en cas de changement de la nature du gaz distribué a été confié à trois corps d'inspection qui explorent les différentes options juridiques et financières. Il vous sera communiqué.

Il y a des retards dans la remise de rapports au Parlement, je n'en disconviens pas. Je ferai un rappel à l'ordre lors du prochain comité interministériel.

Le comité des partenaires du logement social relève d'un décret d'application prévu par l'ordonnance d'octobre 2016, en cours de ratification dans le cadre du projet de loi ELAN qui pourrait en bouleverser quelques équilibres, d'où un retard partiel au profit d'une approche plus globale. Il ne faudra pas perdre plus de temps si le législateur valide le dispositif.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Pour notre commission, l'application des lois est globalement satisfaisante, à part quelques retards sur les décrets. Mais, pas plus cette année que les précédentes, nous n'avons reçu le rapport annuel politique, opérationnel et financier des OPEX, que le Gouvernement doit pourtant nous transmettre en application de l'article 4 de la loi de programmation militaire de 2013.

En application de l'article 35 de la Constitution, c'est le chef de l'État, chef des armées, qui engage les OPEX. Le Parlement doit être informé dans les trois jours, puis en débat quatre mois après, si l'opération se prolonge. Mais une fois donnée, l'autorisation est éternelle et sans ce rapport, nous ne pouvons pas les contrôler. L'enveloppe budgétaire est de 400 millions, mais la réalité est plus proche du milliard. Ces opérations mobilisent des crédits importants et exposent nos troupes : un débat annuel avec le Gouvernement sur leur déroulement s'impose. J'espère que la loi de programmation militaire, votée très largement, permettra de l'organiser.

M. Ladislas Poniatowski.  - Très bien.

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Le bilan des opérations en cours est traditionnellement communiqué sous forme d'audition devant les commissions concernées, pour des raisons que chacun comprendra. La ministre des armées l'a fait devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 28 novembre 2017 et devant sa commission de la défense le 8 mars 2018. Elle est toute disposée à venir plancher devant vous à votre convenance.

M. Christian Cambon, président de la commission.  - J'en prends note. Un rapport contient toutefois beaucoup plus d'éléments qu'une audition, mais c'est un premier pas. J'espère une stricte application de la loi de programmation militaire.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Notre commission a vu passer six lois ; 53 des 75 mesures réglementaires attendues ont été prises. Parmi les autres, deux retiennent notre attention. D'abord, les pratiques avancées des professions paramédicales prévues à l'article 119 de la loi de modernisation du système de santé, essentielles pour prendre en charge les patients, notamment dans les déserts médicaux. L'application dépend de négociations délicates ; où en est-on ?

Les arrêtés relatifs au repérage de l'amiante avant travaux sont aussi très attendus, alors que le décret a été pris. C'est un problème de santé publique. Là aussi, où en est-on ? J'attends des réponses précises.

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Le déploiement des pratiques avancées fait partie des priorités du Gouvernement. Nous savons, dans les Alpes-de-Haute-Provence comme dans le Vaucluse, combien le sujet est important ! Le Premier ministre a priorisé son application pour les infirmières, avec l'objectif d'une entrée en formation dès la prochaine rentrée universitaire. Les textes d'application - un décret en Conseil d'État et deux arrêtés - devraient être publiés début juillet pour préparer au mieux la rentrée.

Concernant la loi Travail, six arrêtés sont nécessaires pour l'application complète du dispositif de repérage de l'amiante avant travaux. L'entrée en vigueur était prévue au plus tard au 1er octobre 2018 ; ce délai ne sera respecté que dans le domaine des immeubles bâtis, qui représente toutefois 80 % des opérations, environ 20 000 chantiers par an. J'assume les reproches et vous redis notre vigilance.

M. Alain Milon, président de la commission.  - Attention, car les facultés de médecine sont tentées de prendre en charge les écoles d'infirmière, ce n'est pas la solution.

M. Gérard Dériot.  - Très juste !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Notre commission a été saisie de très peu de textes législatifs : sur cinq textes, trois étaient des propositions de loi d'origine sénatoriale. Reste que plus d'un an après leur promulgation, les lois relatives à la sélection en master et à l'éthique du sport ne sont pas encore complètement appliquées. Chacun est conscient des raisons pour lesquelles le Gouvernement s'est attaqué d'abord à l'orientation, mais ne perdons pas de vue la mise en oeuvre de la sélection lors de la poursuite des études.

S'agissant de la loi relative à l'éthique du sport, nous attendons encore le décret relatif au droit à l'image des sportifs. Après une période d'hésitation, voire de réticence, j'ai cru comprendre que ce texte était désormais sur les rails. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La quasi-intégralité des textes d'application de la loi Création, architecture et patrimoine (LCAP) ont été pris, c'est heureux. Mais l'application de la loi s'écarte parfois de la volonté du législateur : ainsi du permis de faire en urbanisme prévu à titre expérimental, que le Gouvernement a choisi de généraliser avant toute expérimentation !

Le décret sur le service public d'archives laisse entière la définition de ce service public des archives, alors que nous souhaitions des critères précis.

Enfin, certains rapports sont attendus depuis des années. Ces retards traduisent trop souvent une méconnaissance de la volonté du législateur - ainsi en matière d'emploi des docteurs dans les corps de fonctionnaires de catégorie A, aucune mesure d'application de cette mesure de la loi de juillet 2013 n'a été prise...

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Le décret sur le grade de master est dans le circuit des contreseings depuis le 4 mai et sera publié très prochainement pour être en oeuvre à la prochaine rentrée.

Concernant la loi relative à l'éthique du sport, certains sujets comme l'exploitation de l'image, du nom ou de la voix du sportif ont été soulevés. Une concertation dématérialisée s'est terminée le 18 avril ; le dossier est sur le bureau du Premier ministre et fera l'objet d'un arbitrage rapide.

Le permis de faire, proposé à titre expérimental par la LCAP est en effet devenu la règle.

L'article sur le service public d'archives liste ses missions - collecter, conserver, évaluer, organiser, décrire, communiquer, mettre en valeur. C'est sur cette base que nous travaillons.

Enfin, le retard dans la remise de rapports que vous évoquez est bien réel, je le reconnais...

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Pour notre commission, le bilan de l'application des lois est contrasté. Certaines grandes lois de la législature passée, notamment la loi Biodiversité, sont presqu'entièrement applicables. Les choses sont moins satisfaisantes pour la session 2016-2017 : sur 39 mesures d'application prévues, seules 13 étaient prises au 31 mars, et 23 % seulement dans les six mois suivant la promulgation.

Plus grave, l'État a été condamné à deux reprises par le Conseil d'État le 28 mars - sous peine d'astreinte - pour n'avoir pas pris des mesures réglementaires prévues par la loi Grenelle II de 2010 sur la pollution lumineuse et sur la liste des habitats naturels à protéger. Quand les mesures seront-elles prises ? Pourquoi un tel retard ?

Sur les 28 lois relevant de notre commission adoptées au cours des dix dernières années, dix nécessitent encore une ou plusieurs mesures réglementaires.

Enfin plus de la moitié des rapports demandés n'ont pas été remis au Parlement dans les délais, dont cinq sur les six prévus par la loi Biodiversité. Où en êtes-vous ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Entre la pression du Sénat, que je vais reporter sur le ministre, et les sanctions du Conseil d'État, nul doute que nous serons plus efficaces ! Sur la pollution lumineuse, l'arrêté est en cours d'élaboration ; la consultation du public interviendra en septembre, avant la consultation de la Commission nationale d'évaluation des normes et celle du Centre national de la propriété forestière. Nous visons une publication en fin d'année pour échapper à l'astreinte.

Le taux d'application de la loi Biodiversité est de 80 %, ce qui n'est pas honteux vu que le texte avait doublé de volume au cours de la navette. Je saisirai cependant le ministre sur les retards relevés. Le rapport sur les broyeurs nécessite une étude de l'Ademe, il est en cours de validation. Celui sur l'impact économique de l'interdiction des sacs plastiques devrait être remis avant la fin de l'année.

M. Hervé Maurey, président de la commission.  - Et le décret sur la liste des habitats naturels ? Vous me direz qu'il ne saurait tarder...

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Bien sûr. Le Conseil d'État nous a donné six mois et nous nous y tiendrons, pour éviter à la fois l'astreinte et les foudres du Sénat.

M. le président.  - L'année prochaine, nous vérifierons les engagements pris. C'est tout l'intérêt du contrôle.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - La commission des finances constate un taux d'application des lois promulguées de 83 %, contre 76 % lors de la session précédente. Le taux d'application dans les six mois atteint 65 %, en nette progression.

Cependant, certaines dispositions législatives nécessitent une mise à jour régulière des mesures d'application. Ainsi, en vertu de l'article 238-01 du code général des impôts, la liste des États et territoires non coopératifs doit être mise à jour au moins une fois par an, or elle ne l'a pas été depuis avril 2016 et les « Panama Papers ». Va-t-on attendre une nouvelle affaire pour la réviser en urgence ?

De même, le classement des zones tendues, qui doit être actualisé au moins tous les trois ans aux termes de l'article R 304-1 du code de la construction, ne l'a pas été depuis le 30 septembre 2014. Le Gouvernement entend-il procéder à cette révision ?

S'agissant du prélèvement à la source, les textes d'application ont été pris dans les six mois suivant la promulgation de la loi de finances, mais des instructions fiscales sont encore nécessaires pour préciser certaines dispositions transitoires. Où en est-on sur tous ces sujets ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Vous avez raison. La loi relative à la lutte contre la fraude fixera de nouveaux critères d'identification des États et territoires non coopératifs. Sur cette base, et celle de la liste noire européenne, la liste nationale actuelle pourra être étendue. Une mise à jour d'ici là n'est pas utile.

Sur les zones tendues, un rapport sur la pertinence du zonage est attendu pour septembre. La mise à jour se fera à sa lumière, avant l'adoption définitive du projet de loi de finances.

Sur le prélèvement à la source, nous visons une publication à fin juin 2018.

M. Vincent Éblé, président de la commission.  - Dont acte.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Quand après un an, 28 % des textes d'application ne sont toujours pas pris, on ne peut se dire satisfait. Il y a encore un gros effort à faire de la part du Gouvernement, Monsieur le Ministre.

Vous avez évoqué le pouvoir d'injonction du Conseil d'État et l'efficacité des astreintes. Le Gouvernement serait bien avisé d'accepter, lors de la réforme constitutionnelle, que les parlementaires puissent saisir le Conseil d'État pour prononcer une astreinte... Ne le croyez-vous pas ?

Outre les aspects quantitatifs, n'oublions pas non plus les aspects qualitatifs. Les deux principales mesures d'application de la loi pour une République numérique - sur la mort numérique et sur le « Dites-le nous une fois » - n'ont pas été prises ! Ce n'est pas normal.

Que comptez-vous faire pour satisfaire l'exigence de l'ancien garde des Sceaux, François Bayrou, sur la banque de la démocratie, cet objet politique non identifié ? Le Gouvernement a insisté pour que l'ordonnance paraisse avant le 15 juin. Le délai ne sera pas tenu...

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Nous rêvons tous d'atteindre les 100 %...

Le débat sera bientôt ouvert sur les évolutions constitutionnelles possibles, et je ne doute pas que nous pourrons nous retrouver.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission.  - Pas sûr !

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Sur la loi République numérique, le travail interministériel se poursuit et le groupe de travail emmené par Anne Caron-Déglise rendra son rapport cet été.

Sur l'ordonnance créant la banque de la démocratie, nous avons en effet quelque retard. Une mission IGA-IGF a été lancée pour mesurer l'ampleur des besoins. Il semblerait que le problème réside moins dans les refus de crédits que dans le manque d'information et d'accompagnement lors des démarches. La création d'un établissement bancaire ne s'imposera peut-être pas.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Je comprends donc que l'ordonnance ne sera pas promulguée et que vous recherchez d'autres voies pour atteindre le même objectif. Bon courage.

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Merci.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - Il est désormais d'usage que la commission des affaires européennes participe de plein droit à ce débat annuel. Que sont devenues les dix-huit résolutions européennes adoptées par le Sénat entre le 1er octobre 2016 et le 30 septembre 2017 ? Elles sont influentes : sur le plan d'investissement, sur Europol, la politique commerciale, l'approfondissement de l'union monétaire, l'avenir de la PAC ou les perturbateurs endocriniens, nos propositions ont été suivies, totalement, très largement ou au moins partiellement. Je m'en félicite, car il s'agit pour nous d'influencer des directives et règlements qui s'appliqueront en France.

Notre commission porte une grande attention à la surtransposition.

La coopération avec le Secrétariat général des affaires européennes est très bonne, mais ses fiches de suivi pourraient nous être envoyées automatiquement plutôt que sur requête.

Enfin, pourquoi ne pas organiser des auditions thématiques de ministres, conjointement avec les commissions compétentes, pour faire le point sur les travaux du Conseil ? Je pense notamment aux accords de libre-échange, qui ne passeront que devant le Parlement européen, et auront un impact sur notre vie quotidienne !

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Je me félicite de la coopération accrue entre nos services respectifs et des bonnes pratiques qui ont été instaurées. Il est important de maintenir le dialogue et de mettre en cohérence nos positions dans le cadre des négociations au niveau européen. Nos divergences peuvent toujours être utilisées à nos dépens...

Le Secrétariat général des affaires européennes veille à une transmission systématique des fiches de suivi dans les meilleurs délais. Je me ferai le relais de vos souhaits auprès de Mme Loiseau.

Les textes peuvent évoluer durant les négociations, jusqu'à la dernière minute. Il n'empêche que les auditions des ministres sont toujours utiles ; je ne manquerai pas de les encourager.

M. Jean Bizet, président de la commission.  - J'insiste, surtout sur les accords du libre-échange. Le Sénat sera privé de tout débat, puisque seul le Parlement aura le pouvoir de valider ou non l'accord.

M. Alain Marc .  - Un mot sur l'inflation législative. La loi du 28 février 2017 sur l'égalité réelle outre-mer est passée de 15 articles dans le projet de loi initial à 148 dans le texte final ; la loi Justice du XXIe siècle, de 54 à 115, dont 55 introduits en première lecture à l'Assemblée nationale, les deux tiers d'initiative gouvernementale.

Je m'étonne aussi de l'argument de la célérité du recours aux ordonnances. Le délai moyen pour 2016-2017 est de 344 jours, preuve que le recours aux ordonnances n'est pas la garantie d'une effectivité rapide de la norme. Qu'en pensez-vous ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Sur l'inflation législative, reconnaissons que les torts sont partagés ! Je renouvelle toutefois l'engagement de maintenir à un haut niveau les textes d'application, y compris pour les mesures introduites au cours de la navette.

Concernant les ordonnances, il y a aussi des contre-exemples. Ainsi, sur le dialogue social, l'objectif d'entrée en vigueur avant le 31 décembre, que d'aucuns jugeaient irréaliste, a été tenu. Cela doit être la règle. C'est en tout cas une exigence partagée.

M. Jean-Marc Gabouty .  - Cet exercice austère mais important donne toute sa force au principe de séparation des pouvoirs et sa crédibilité à l'action publique. Merci à Mme Létard, dont le rapport illustre la continuité du travail législatif, pas toujours bien perçue. Le bilan annuel fait état d'un taux d'application des lois élevé, dans un contexte pré-électoral.

On considère en général que le Gouvernement use des ordonnances pour des raisons de délai. Sur la loi Macron, au champ très large, l'ensemble du processus, phase législative et publication des décrets, a été contenu dans un délai de douze à treize mois.

Pour la loi du 16 septembre 2017 portant habilitation à prendre par ordonnance les mesures pour le renforcement du dialogue social, au périmètre plus restreint, tous les textes d'application ont-ils été pris, onze mois plus tard ? Une moyenne mélange des choses très différentes. Même si le travail législatif peut être resserré et amélioré, tout en conservant nos prérogatives, ne pensez-vous pas que le gain de temps doive aussi être réalisé sur la publication des mesures réglementaires ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - L'efficacité du recours aux ordonnances est globalement avérée. Elles n'ont jamais été remises en cause sous la Ve République, mais elles ne doivent pas être la règle. Pour la loi Travail, les cinq premières ordonnances ont été publiées dans un délai moyen de 45 jours, l'ensemble des dispositifs en 101 jours et les décrets d'application ont tous été pris dans les trois mois. La loi de ratification a elle aussi été adoptée très vite.

Le délai de six mois entre le vote et l'application est une référence pour tous les gouvernements. Il est globalement tenu mais nous pouvons toujours faire mieux. Il faut maintenir la pression et améliorer encore les délais, y compris pour les mesures d'application d'origine parlementaire.

M. Alain Richard .  - Les chiffres bruts sur le délai d'adoption des ordonnances paraissent élevés mais la comparaison est biaisée car, par définition, le texte de l'ordonnance n'est pas écrit au préalable. Il faudrait inclure dans la comparaison le temps de préparation administrative des projets de loi. En outre, on recourt généralement aux ordonnances sur des sujets complexes ou épineux : imaginez le temps que nous y passerions si nous devions les examiner en séance ! Il y aurait un risque de surcharge des institutions.

Le niveau de capacité des services juridiques des ministères varie ; certains, peu outillés, sont sous pression. La mutualisation entre ministères aux thématiques voisines donne de bons résultats, c'est le cas à Bercy et pour le triptyque équipement, environnement, logement. Saluons le dévouement des services de production du droit, souvent surchargés, et le rôle utile que joue le ministère des relations avec le Parlement dans la qualité de la relation entre législateur et administration.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Nous voilà rassurés !

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Je suis d'accord avec vous, monsieur Richard. L'ordonnance du 2 mars 2007, qui portait sur des dispositions relatives à l'outremer du code de la consommation, a nécessité en amont 1 065 jours !

Il est important que nos services se rapprochent ; au SGG de favoriser ce lien.

M. Pierre Ouzoulias .  - L'application de la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE) a été fulgurante, puisqu'elle a été appliquée avant même d'être votée, via l'arrêté créant Parcoursup, annulé puis remplacé par un arrêté identique. Un cas de forgerie qui nous prive de tout recours devant le Conseil d'État, puisque l'annulation rend notre saisine caduque.

Vous me répondrez, Monsieur le Ministre, qu'il fallait éviter le tirage au sort à la rentrée 2018 ; mais il était illégal, il suffisait donc pour cela d'appliquer la loi.

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Avec Parcoursup, 75 % des candidats bacheliers connaissent aujourd'hui leur destination pour la rentrée prochaine. L'an dernier, à la même époque, aucun ne pouvait en dire autant. Il y a lieu de s'en satisfaire. Le tirage au sort, certes illégal, était la règle depuis trop longtemps. Le Gouvernement a voulu sortir d'un système inique et inefficace et mettre un terme à un scandale démocratique.

M. Pierre Ouzoulias.  - Vous n'avez pas répondu sur l'application anticipée de la loi. L'an passé à la même époque, le portail n'était pas ouvert...

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Je le confirme, ma fille passait son bac et j'étais au premier rang ! On peut toujours avoir la nostalgie d'un système qui ne fonctionnait pas. Le Gouvernement a fait un choix politique : ne pas laisser l'incertitude et l'injustice être la règle, accepter le débat parlementaire. Les étudiants concernés, je le crois, l'apprécient.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Quel culot !

M. le président.  - Nous ferons le bilan l'an prochain.

M. Claude Kern .  - L'article 15 de la loi Évolution du logement et aménagement numérique (ELAN) menace la protection du patrimoine en transformant en avis simple l'avis conforme de l'architecte des bâtiments de France (ABF) pour l'installation d'antennes relais et la résorption de l'habitat insalubre dans les secteurs protégés au titre du patrimoine. C'est une véritable remise en cause des dispositifs de sauvegarde des sites patrimoniaux remarquables.

À l'Assemblée nationale, le rapporteur a certes prévu l'intervention possible d'un médiateur en cas de recours contre l'avis de l'ABF mais cela reste cosmétique. En l'état du texte, les plans de sauvegarde et de mise en valeur ou les plans de valorisation de l'architecture et du patrimoine, instaurés il y a à peine deux ans par la LCAP, pourront être contournés au motif de la lutte contre l'habitat insalubre.

Sur la base de quel bilan de la LCAP le Gouvernement se fonde-t-il pour remettre en cause ces équilibres ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Difficile d'atteindre l'idéal, auquel m'invitait le président Bas, dans l'exécution des lois quand la question porte sur les modalités d'un texte qui n'est pas voté...

M. le président.  - Restons-en au bilan de la loi Création, architecture et patrimoine.

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Prenons le temps du débat parlementaire sur l'article 15 de la loi ELAN.

M. Claude Kern.  - Sur quel bilan de la loi Création, architecture et patrimoine vous fondez-vous ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - C'est un avis négatif du Conseil d'État qui impose de revenir sur les décisions prises lors de l'examen de la loi Création, architecture et patrimoine.

Soyons précis : 41 mesures de la loi Création, architecture et patrimoine sur 43 ont été prises.

M. le président.  - Il en reste donc deux à prendre...

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Celle sur l'avis de l'ABF concernant les installations d'antennes-relais et les opérations de traitement de l'habitat indigne dans les secteurs protégés -  j'ai dit pourquoi il fallait y revenir  - et celle concernant les missions de recherche des enseignants des établissements d'enseignement supérieur dans la création artistique, le spectacle vivant et les arts plastiques. La seconde, après consultation interministérielle des organisations syndicales, est reportée à la réforme du statut des enseignants.

M. Franck Montaugé .  - Je voudrais prolonger ce débat sur l'application des lois en évoquant deux sujets qui me tiennent très à coeur ayant trait à l'évaluation des politiques publiques : l'amélioration des études d'impact et l'effet des lois que nous votons sur nos concitoyens.

Le Sénat a adopté la proposition de loi que j'ai déposée sur le premier à l'unanimité, il a décidé le renvoi en commission de mon second texte. Le 19 avril dernier, des députés de toutes tendances ont signé dans Le Monde une tribune appelant à la création d'un office indépendant d'évaluation des politiques publiques, comprenant une unité de chiffrage transpartisane et indépendante. Cette proposition venait après la publication d'un rapport de l'Assemblée nationale soulignant les insuffisances de l'évaluation. J'en partage le diagnostic, moins la solution qui est celle de l'externalisation. Puisqu'il faut être exigeant avec les siens, je propose que le Sénat joue un rôle moteur dans ce domaine. Le Gouvernement compte-t-il donner suite à ma proposition de loi sur les études d'impact que le Sénat a votée le 7 mars dernier ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Il ne revient pas au Gouvernement de donner suite à une proposition de loi... Cela dit, vos propos sont frappés au coin du bon sens. L'approche qualitative, si elle est plus difficile car subjective, est indispensable. L'article 24 de la Constitution consacre d'ailleurs la mission de contrôle et d'évaluation du Parlement qui, pour l'exercer, peut mobiliser la Cour des comptes. Il est vrai qu'elle a un caractère relativement inabouti dans sa forme actuelle. La semaine dernière, j'ai été auditionné par la commission des finances de l'Assemblée nationale dans le cadre du « Printemps de l'évaluation » pour examiner comment l'on pourrait donner plus de substance à la discussion de la loi de règlement. Y consacrer deux heures quand la discussion de la loi de finances et de la loi de financement dure des semaines est effectivement une anomalie. Je ne doute pas que la révision constitutionnelle sera l'occasion d'avancer. Le renforcement de l'évaluation et du contrôle parlementaires sont de nature à consolider nos équilibres démocratiques.

M. le président.  - L'évaluation suppose des moyens. Le Sénat vient de décider de se doter d'un budget à cette fin. Je serai très prudent sur le recours à des organismes extérieurs, il reviendrait à dépouiller le Parlement d'une mission qu'il revient à nos commissions permanentes d'accomplir.

M. Franck Montaugé.  - Il s'agit d'un enjeu démocratique fondamental.

M. François Bonhomme .  - Les dysfonctionnements qu'engendrent les retards pris dans l'exécution des lois prennent des formes multiples. Pour que s'applique l'article 18 de la loi du 22 mars 2016 contre les incivilités, les atteintes à la sécurité publique et les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, dont j'étais le rapporteur, nous attendons toujours un décret et un arrêté. Cet article est essentiel pour atteindre l'objectif fixé par la loi puisqu'il autorise le recoupement des données des fraudeurs avec les fichiers des organismes publics et des organismes de sécurité sociale. Ma question écrite du 15 mars dernier sur ce sujet attend toujours une réponse. Seulement 40 % des questions écrites sur l'application des lois en ont obtenu une. Quand le Gouvernement compte-t-il finaliser la loi du 22 mars 2016 ?

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Si je trouvais efficaces les réponses que je vous ai apportées jusque-là, M. le sénateur Bonhomme me met en difficulté. Je ne lui en fais pas le reproche ; j'en fais plutôt le reproche à moi-même et à mes collègues du Gouvernement.

M. le président.  - Cela vous rappelle certainement la Conférence des présidents...

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État.  - Les retards dans les réponses aux questions écrites, qui peuvent s'expliquer par différentes raisons, ne sont pas acceptables. Concernant les deux mesures qu'il reste à prendre pour appliquer la loi contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs, pour le dire brutalement, la procédure doit être reprise à zéro. Une nouvelle consultation interministérielle, une saisine de la CNIL et du Conseil d'État sont nécessaires compte tenu de l'entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données. L'avis de la CNIL de février 2017 imposait des modifications substantielles qui nécessitaient une saisine rectificative qui n'a pu intervenir dans des délais raisonnables si bien que le Conseil d'État s'est dessaisi. La question de M. Bonhomme a constitué une alerte.

M. François Bonhomme.  - Merci de reconnaître ce manquement. Il est cependant quelque peu baroque de devoir vous interpeller pour obtenir une réponse à une question écrite...

M. le président.  - Ce débat a une nouvelle fois été très utile, le caractère interactif de nos échanges lui donne un tour dynamique. Nous débattrons certainement des missions de contrôle et de l'évaluation du Parlement lors de la révision constitutionnelle, le président de la République y avait beaucoup insisté devant le Congrès. Le temps est venu de la mise en oeuvre. Nous commencerons d'ailleurs, l'an prochain, par un bilan des engagements qu'a pris le Gouvernement cette année.

La séance est suspendue à 17 h 45.

Hémicycle

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

La séance reprend à 18 heures.

Communications

Décès d'un ancien sénateur

M. le président.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean-Claude Boulard, qui fut sénateur de la Sarthe de 2014 à 2017.

Commissions (Nominations)

M. le président.  - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de plusieurs commissions ont été publiées. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Transport fluvial

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le transport fluvial à la suite de la présentation du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures du 1er février 2018.

M. Christophe Priou, pour le groupe Les Républicains .  - Bordée par trois mers et un océan, la France redécouvre aujourd'hui qu'elle est maritime. Si la mer est devenue un prolongement de la terre, le fleuve est devenu une artère irriguant les territoires. À la mer, le commerce du lointain ; au fleuve, l'acheminement dans les terres. Notre vieux et beau pays, irrémédiablement centré sur sa capitale, est traversé en toutes régions par d'importants cours d'eau. L'Europe continentale du Nord, pionnière du fluvial, se présente comme une longue plaine entre mer et montagne. Quelque part, le destin de l'Europe s'y est inscrit en favorisant les échanges par voie navigable.

La France est marquée par trois axes : Seine-Nord-bassin rhénan, l'Ouest et son arc fluvial connecté aux grands ports de l'Atlantique et l'axe Rhône-Saône vers la Méditerranée. Avec l'écluse puis les canaux de jonction, Henri IV a été le précurseur du développement de la navigation intérieure durant trois siècles.

Ce débat est l'occasion de faire émerger des perspectives pour nos 8 000 km de voies navigables. Que le Gouvernement nous éclaire sur les choix stratégiques qu'il souhaite faire et les suites qu'il entend donner aux recommandations du Conseil d'orientation des infrastructures.

Le secteur du fret, malgré un recul quantifiable, a un besoin croissant de personnel qualifié. Près de 5 000 personnes vivent en France du commerce fluvial. Le centre de formation d'apprentis de Tremblay dans les Yvelines doit être mis en valeur.

Voies navigables de France, VNF, dépend des financements publics. Pourtant, un euro investi dans les voies navigables est un euro utile ; la Belgique et les Pays-Bas l'ont compris depuis des siècles. En France, les choses sont différentes mais nos grands ports sont aux avant-postes d'un grand fleuve. Comment répondre à la complémentarité des usages ? Il faut mener à terme la liaison Seine-Escaut, le canal Seine-Nord avec un gabarit européen, la liaison entre la région parisienne, la Normandie et le Benelux. C'est une question d'aménagement du territoire. Or les grands projets d'intérêt public sont contrariés par des minorités agissantes - on pense à Notre-Dame-des-Landes. (M. Joël Guerriau approuve.) Ne nous enfermons pas « dans les vases clos des débats », dont parlait de Gaulle, pour rendre à nos fleuves leur utilité économique au-delà de leur majesté naturelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Merci pour ce nouveau débat sur les travaux du Conseil d'orientation des infrastructures après celui consacré aux infrastructures ferroviaires et routières.

Débattre du fluvial, c'est d'abord parler aménagement du territoire tant nos voies d'eaux en structurent la carte. Autour d'elles coexistent différentes infrastructures et usages : quais industriels, plateformes logistiques, activités nautiques, hydroélectricité, irrigation, prélèvements industriels ou ports de plaisance, hydroélectricité, promenades.

Débattre du fluvial, c'est aussi souligner les enjeux environnementaux qui concernent toutes les voies d'eau et la forte valeur patrimoniale de certains ouvrages - en particulier le canal du Midi, inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco.

Débattre du fluvial, c'est surtout de parler d'un transport propre, non saturé, écologique. Un convoi fluvial représente 200 camions en moins sur nos routes. Mais il représente moins de 3 % du transport de marchandises... C'est dommage. (M. Charles Revet renchérit.)

Une explication est géographique. Une autre tient à l'état du réseau, vieillissant ; il faut le régénérer. C'est ce constat qu'a inspiré le rapport du 1er février adopté à l'unanimité par les seize membres du Conseil d'orientation.

Comme pour les réseaux routiers et ferroviaires, nous devons assumer une situation où les investissements nécessaires ont été repoussés depuis des années. Ce rapport pose les bases d'une programmation ambitieuse, sincère et réaliste : hausse significative des crédits de l'État à VNF pour la régénération, des investissements de modernisation pour moderniser l'exploitation dans les cinq à dix prochaines années, soutien aux trois grands projets fluviaux - l'aménagement de la Lys mitoyenne, de la mise à grand gabarit de l'Oise entre Creil et Compiègne et de la mise à grand gabarit de la Seine amont entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine. La robustesse et la fiabilité des infrastructures sont, en effet, un préalable au développement du trafic fluvial. La situation de la Seine en amont, où l'exploitation a été empêchée par les crues, n'est pas acceptable.

Une mission confiée par le Premier ministre à trois préfets sur les trois axes identifiés par M. Priou répond à l'objectif de développement des ports fluviaux, notamment en attirant de nouveaux trafics. Il s'agira de relever quatre défis : celui de la performance économique et logistique d'abord. Je me réjouis, à cet égard, du nouveau plan d'aide au report modal de 20 millions d'euros validé par la Commission européenne. Deuxième défi : la transition numérique. La performance environnementale en est un autre que permettra de relever le plan d'aide à la modernisation et à l'innovation doté de 16,5 millions d'euros, piloté lui aussi par VNF. Dernier défi, le défi social. Pour les relever, le monde fluvial doit se rassembler. J'ai donc demandé la préfiguration d'une interprofession, la réunion de lancement aura lieu demain. Nous avons engagé avec VNF des discussions sur son modèle économique pour s'engager dans un contrat d'objectifs et de performance où l'État s'engagera sur des moyens et VNF sur des résultats. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Les Indépendants et UC)

Mme Nelly Tocqueville .  - Élue de Seine-Maritime, où se trouve le Havre, le plus grand port de France, ce sujet du transport fluvial est d'importance. La part du fluvial pour le trafic hinterland de conteneurs depuis et vers le port du Havre représente seulement 9 %, contre 35 et 36 % pour Rotterdam et Anvers. Près de 85 % des 2,6 millions de conteneurs sont transportés par la route. Ce retard tient essentiellement au manque d'infrastructures : Port 2000 a été construit sans qu'aucun accès fluvial au nouveau bassin n'ait été réalisé. Bientôt, les porte-conteneurs, parce qu'ils sont de plus en plus gros, n'accéderont plus aux ports de Bordeaux et de Nantes. Lors des dernières assises de l'économie de la mer, le Premier Ministre évoquait une indispensable stratégie portuaire nationale. Madame la Ministre, où en est-on ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je ne peux me satisfaire de la faible part du fluvial et du ferroviaire dans nos ports, et en particulier au Havre. La commission nationale du débat public a été saisie du projet de chatière. En mars 2018, elle a donné acte du bilan de la concertation établi par la garante. La discussion sur le projet de chatière est en cours, une décision sera prise par le conseil de surveillance en juin prochain. Croyez-en ma détermination : si nous ne voulons pas que nos routes soient envahies par les poids lourds, cette avancée est indispensable.

M. Charles Revet.  - Il y a urgence !

M. Alain Fouché .  - Le rapport Duron recommande de fermer les 20 % du réseau fluvial les moins empruntés. Ce serait catastrophique pour les territoires et la porte ouverte à l'exode des populations. Madame la Ministre, alors que se conclut la réforme ferroviaire, vous avez compris l'importance du maillage territorial. En 2016, la France ne représentait que 6 % du trafic européen alors que près de 20 % du linéaire s'y trouve. Cela marche en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ; pourquoi pas en France ? À vous entendre, vous ne semblez pas vous engager dans un politique de dénavigation. Pouvez-vous le confirmer ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - En effet, le Conseil d'orientation des infrastructures a suggéré de concentrer les dépenses de rénovation sur les voies fluviales les plus circulées. Certaines voies, reconnaissons-le, ne sont plus adaptées au fret et ne présentent pas de potentiel touristique. Pour autant, une politique de dénavigation n'entraînerait pas de réduction de l'investissement. Nous avons écarté l'option de fermer 20 % du réseau sans autre forme d'analyse que celle de la circulation. Si une fermeture est envisagée, elle fera l'objet d'une réflexion sur ses conséquences économiques et touristiques ainsi que d'une concertation avec les collectivités. La réouverture réussie du canal de la Sambre à l'Oise grâce à l'action conjointe de VNF et des élus locaux doit nous inspirer.

M. Alain Fouché.  - Merci pour ces précisions qui vont dans le bon sens, de même que la prolongation des aides dédiées au transport fluvial par la Commission européenne.

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Pourquoi le transport fluvial est-il à la peine ? Le réseau est vétuste, il est insuffisamment relié aux autres modes de transport. Avec 140 millions d'euros, équivalent au budget d'investissement du Pas-de-Calais, VNF n'a pas assez d'argent pour investir. La faiblesse du portage politique est aussi à déplorer avec des renoncements : le canal Rhin-Rhône, l'adoption de mesures favorables au transport routier. Quid du canal Seine-Nord ? Le poste de président du directoire est vacant depuis un an... Alors que ses membres ont été désignés il y a six mois, le comité stratégique ne s'est pas encore réuni. Pourquoi ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Voies Navigables de France entretient 6 700 km de voies navigables, sur lesquelles sont transportés 53 millions de tonnes de marchandises et 10 millions de passagers. Le niveau d'investissement de VNF s'est réduit de 157 à 138 millions entre 2013 et 2018 ; un montant très en deçà du niveau nécessaire à la seule régénération estimé à 245 millions d'euros par an. Le réseau est vieillissant et fragile ; on l'a vu avec les perturbations dues à la rupture d'une digue sur le Loing en 2016 et les crues de 2018.

Est envisagé un passage de 80 à 180 millions d'euros par an en dix ans pour la régénération sans compter 330 millions d'euros sur cinq ans pour moderniser l'exploitation. Pour financer cet effort, le comité d'orientation préconise la transformation de la taxe hydraulique en redevance domaniale. La loi Mobilités et la signature d'un nouveau contrat d'objectifs et de performance avec VNF permettront de dégager une trajectoire d'investissement claire, réaliste et sincère.

M. Jean-Pierre Corbisez.  - Sur Seine Nord Europe, ma collègue et moi-même nous trouvons le temps un peu long : être désigné dans une instance qui ne s'est toujours pas réunie six mois après sa création, ce n'est pas satisfaisant !

Mme Agnès Canayer .  - Avec plus de 6 700 kilomètres de voies navigables, dont 1 700 pour les grands gabarits, la France semble disposer des atouts nécessaires. Elles sont pourtant sous-exploitées : seuls 9 % des conteneurs arrivés au Havre sont acheminés par la Seine.

Le projet de chatière, au Havre, semble retenu ; puisse-t-il se réaliser rapidement.

M. Charles Revet.  - Espérons !

Mme Agnès Canayer.  - Les acteurs sont trop souvent seuls à supporter les coûts des reports de charge. Comment créer un écosystème attractif, à l'instar des pays du Nord de l'Europe ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La faible compétitivité est un handicap pour le transport fluvial de marchandises. Les surcoûts liés aux acheminements de terminaux, la maîtrise du foncier en bord de voies d'eau... les explications sont nombreuses. Dans le projet de loi sur les nouvelles mobilités, nous envisageons de confier à VNF un droit de préemption urbain, pour que l'établissement travaille avec les communes sur les enjeux de la voie d'eau. S'y ajoutent les aides : vingt millions seront attribués entre 2018 et 2020 dans un plan d'aide au report modal ; nous mettons en place une aide aux chargeurs, pour les accompagner dans le choix du transport fluvial, des études préalables à l'acquisition d'équipements ; l'État prend également en charge une part du surplus de transbordement, c'est l'aide à la pince, que nous allons réformer en profondeur ; je ferai des annonces prochainement.

Mme Agnès Canayer.  - Les aides sont nécessaires et attendues : chaque conteneur coûte 50 euros au transbordeur avant même son acheminement !

M. Charles Revet.  - Eh oui !

M. Didier Rambaud .  - La route est bien trop utilisée, qui représente 90 % du transport de marchandises ! Rien de ce qui a été tenté pour le report modal n'a véritablement fonctionné.

Une vision globale est nécessaire, pour ne pas superposer fret ferroviaire et maritime.

Pour soutenir le transport fluvial, il faut moderniser les réseaux, valoriser les ports fluviaux et inciter les chargeurs à se tourner vers ce mode.

L'axe Seine, avec le Havre, Rouen et Paris doit recevoir de lourds investissements, les retombées sont très importantes. Le Havre, en particulier, a annoncé un vaste plan d'investissement pour élargir l'accès à ses installations. Madame la ministre, comment comptez-vous soutenir ces avancées ? Quelles propositions complémentaires pour moderniser l'axe Seine ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le bassin de la Seine, c'est en effet un axe majeur, qui concentre la moitié du fret fluvial. VNF est responsable des 7 barrages et 17 écluses, de la partie Seine-Aval entre Paris et Rouen, où la navigation est possible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 pour les grands gabarits ; 250 millions d'euros d'investissement sont prévus jusqu'à 2027 pour la modernisation et la sécurisation des grands ouvrages, tel Méricourt, où passent 250 bateaux par semaine. Or ses écluses doivent être réparées - je m'y suis rendue. Un plan d'investissement d'urgence pluriannuel est en cours d'élaboration par VNF. Cela renforcera l'intégration des ports et leur attractivité.

Mme Cécile Cukierman .  - Les voyants sont au rouge pour tous les modes de transport. Or les réseaux de transport sont la richesse de la France qui, avec ses 8 500 kilomètres de voies navigables, a le premier réseau d'Europe. Pourtant, il est mal exploité voire inexploité. Le tout routier accroît la pollution et sature nos routes. La marge de manoeuvre du fluvial est considérable.

La ville de Roanne a tout pour exploiter cet atout, et VNF a réalisé des travaux récemment. La chambre de la batellerie est motivée, les élus locaux aussi, les vignerons accepteraient d'utiliser la voie fluviale ; ne manque que la volonté politique et de la chambre de commerce et d'industrie, qui pour l'instant reste silencieuse.

Que prévoit le Gouvernement ? Le trajet Roanne-Le Havre coûte quatre fois plus cher par voie fluviale que par la route... Il y a beaucoup à faire.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le premier enjeu est la remise à niveau de notre patrimoine. Les montants consacrés jusqu'ici sont en deçà des besoins. C'est le rôle du Conseil d'orientation des infrastructures. Peut-être faudra-t-il prioriser les moyens sur certaines voies. La loi de programmation des infrastructures proposera des choix ambitieux.

L'axe Seine constitue une autoroute fluviale, qui ne demande qu'à être modernisée. Le canal de Roanne à Digoin, latéral à la Loire, date du XIXe, n'est plus utilisé car il ne permet qu'un emport de 300 tonnes pour les péniches ; mais il peut être exploité dans une optique touristique - c'est une autre piste sur laquelle nous comptons beaucoup.

Mme Michèle Vullien .  - Merci, Madame la Ministre, d'être à nouveau parmi nous après de longs débats sur le projet de loi pour un pacte ferroviaire.

Le rapport Duron nous a éclairés sur le report modal du fret, qui se maintient péniblement autour de 2 %, soit 53 millions de tonnes de marchandises.

D'un point de vue environnemental, les solutions les plus vertueuses sont les moins exploitées...

Le montant d'investissements pour remettre en état le réseau destiné au fret fluvial s'élèverait à 245 millions d'euros annuels sur dix ans.

Pour respecter les accords de Paris, le report modal vertueux fait-il partie de votre stratégie ? Pour quels résultats à court, moyen et long termes ? Quelle évaluation des mesures envisagées ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Si le volume transporté par voie fluviale - plus de 52 millions de tonnes de marchandises - avait été transporté par la route, 470 000 tonnes de CO2 supplémentaires auraient été émises. Je partage donc votre analyse, il faut aller plus loin.

La modernisation de nos infrastructures est un préalable. Il faudra investir 330 millions d'euros en plus ce qui est prévu et encourager les chargeurs à surmonter les surcoûts d'acheminement. Comment ? Grâce au plan d'aide à la rénovation et à l'innovation, et au Plan d'aide au report modal (PARM), dont j'ai parlé, ainsi qu'au renforcement de l'aide à la pince.

M. Michel Dagbert .  - Vous avez parlé du rapport du COI. Son travail a été important, mais non exhaustif puisque le projet du Canal Seine-Nord-Europe n'y figurait pas. C'est le choix du Gouvernement. Or les études prospectives laissent pourtant imaginer un quadruplement du trafic fluvial !

L'Europe s'était engagée à hauteur de 2 milliards d'euros ; les collectivités territoriales avaient manifesté leur intérêt, qui n'a pas été démenti par le renouvellement municipal de 2015. Les élus s'étonnent donc du silence du Gouvernement et s'inquiètent des capacités collectives à respecter nos engagements. Quid de la présence de l'État dans la société de projet ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je vous rassure sur ce projet d'ampleur - 4,9 milliards d'euros - qui est structurant pour notre réseau fluvial. Le Premier ministre a indiqué, en octobre dernier, la façon dont nous allions procéder dans les années à venir. Il s'agit d'abord de faire évoluer la gouvernance du projet, en la confiant aux collectivités locales, ainsi que la maîtrise des risques. L'État a confirmé son engagement à hauteur d'un milliard d'euros, via un emprunt de long terme par la société de projet.

La régionalisation de la société de projet aura lieu courant 2019, je l'ai confirmé à Xavier Bertrand. Le plan de financement est en cours de consolidation. Les échanges avec les collectivités territoriales se poursuivent.

M. Didier Mandelli .  - En France, le réseau fluvial est important, plus que chez nos voisins - 7 300 km en Allemagne ; 4 800 aux Pays-Bas, mais la part modale du secteur arrive péniblement à 4 % contre 35 % aux Pays-Bas, faute d'une vraie politique de transport intermodal. En cinq ans, VNF a vu fondre son budget d'investissement de 200 millions à 130 millions annuels, ceci en dépit de l'audit qui avait révélé l'ampleur des besoins pour maintenir le réseau - et évalué qu'il faudrait, en fait, 245 millions annuels pour faire face.

Les hésitations du président de la République sur le canal Seine-Nord montrent que le transport fluvial n'est pas une priorité. C'est dommage, alors que nos voisins misent sur le multimodal, à l'heure où les routes sont saturées et que c'est une exigence écologique. Pourquoi, Madame la Ministre, l'État n'investit-il pas massivement dans le fluvial ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les épisodes de crues ont mis en évidence l'inadaptation de notre réseau ; l'audit dont vous parlez a conduit à évaluer à 245 millions d'euros les besoins d'investissements pendant dix ans. Fluvial, ferroviaire, il faut en effet rattraper un retard.

La loi de programmation des infrastructures vous proposera bientôt un scénario de rattrapage. Le montant que VNF a consacré à la régénération est en effet insuffisant. Il faudra faire des choix et définir des priorités : je compte sur vous.

M. Jean-Paul Prince .  - Le transport fluvial, 2 % du transport de marchandises, gagnerait à être développé ; cela exige une volonté politique forte et une stratégie - mais aussi une communication adaptée. Le rapport du COI et les annonces de l'État vont dans ce sens, il faudra jouer sur la culture des acteurs, celle de la route, et remédier à leur mauvaise information. Quelles mesures prendrez-vous, Madame la Ministre, pour une telle communication incitative ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le fluvial est en effet un mode trop peu connu des donneurs d'ordre. VNF agit pour promouvoir les voies navigables dans une vingtaine de formations et a trouvé en 2011 un partenariat avec Sup de Co La Rochelle.

Le Plan d'aide au report modal, doté de 20 millions sur 2018-2020, permettra aussi d'accompagner les acteurs, des études préalables à l'acquisition d'équipements. J'ai aussi demandé au préfet François Philizot une préfiguration. La première réunion préparatoire aura lieu demain.

Mme Martine Filleul .  - Le rapport du comité d'orientation des infrastructures ne s'est pas saisi du projet de canal Seine-Nord, le considérant comme acté. Je m'en félicite. C'est un élément central de la liaison Seine-Escaut. Mais des interrogations subsistent sur son financement.

Le rapport s'intéresse cependant à deux ouvrages liés au canal Seine-Nord : d'une part le projet Mageo, c'est-à-dire la mise au gabarit européen de l'Oise entre Compiègne et Creil ; d'autre part le recalibrage de la Lys entre Deûlémont et Halluin. Mais rien n'oblige le Gouvernement à suivre ses recommandations et la réticence du Premier ministre est connue. Le Gouvernement engagera-t-il la réalisation de ces infrastructures ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le projet Mageo, d'un coût de 288 millions, est indispensable à la réalisation du canal Seine-Nord. L'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique aura lieu à la fin de l'année pour des travaux commençant en 2023. Le recalibrage de la Lys est tout aussi indispensable ; d'un montant de 190 millions, il implique la France, la Wallonie et la Flandre - la part de l'État est de 12 millions d'euros. L'enquête publique aura lieu également à la fin de l'année, pour une déclaration d'utilité publique au début de l'an prochain.

M. Pierre Cuypers .  - Le canal Seine-Nord, cette arlésienne, verra-t-il le jour ? Le président de la République s'est engagé à sa réalisation d'ici huit ans. Son coût est estimé à 4,5 milliards : l'Union européenne y contribuera pour 2 milliards ; les collectivités territoriales pour un milliard ; les régions Île-de-France et Hauts-de-France y apporteront une contribution de 500 millions d'euros mais la contribution d'un milliard d'euros de l'État reste à définir. La région Île-de-France ne serait plus un cul de sac fluvial et deviendrait une véritable autoroute pour grands gabarits. Ce canal libèrerait l'exportation des produits agricoles, avec une baisse du coût des transports et de la pollution.

Sous quelles modalités l'État compte-t-il s'engager ? Nous avons besoin d'un signal fort.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - En octobre, le Premier ministre a indiqué sa volonté de transférer le pilotage du projet aux collectivités territoriales tout en maintenant son engagement d'un milliard d'euros par le biais d'un emprunt par une société de projet qui percevrait une taxe nationale à assiette locale pour le financement.

Le projet Bray-Nogent est très important pour le canal Seine-Nord ; très attendu par les salariés, il acceptera un gabarit maximal par 2 500 tonnes. Le conseil d'orientation des infrastructures recommande sa réalisation d'ici à 2032, quel que soit le scénario retenu. La loi de programmation des infrastructures précisera le calendrier.

M. Daniel Gremillet .  - La reconquête industrielle de notre territoire passe par le transport, ferroviaire et fluvial, en plus de routier - nous en avons débattu ces dernières semaines.

Le report des projets de canaux Saône-Moselle et Saône-Rhin est regrettable ; en matière de politique fluviale, la France pâlit en comparaison avec l'Allemagne - six fois moins de trafic - et les Pays-Bas - quatre fois moins. Comment retrouver la compétitivité ?

La décision de fermeture rapide des centrales à charbon aura un fort impact sur les ports. Qu'allez-vous faire pour le compenser ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je ne me satisfais pas de la part du fluvial dans le transport de marchandises, pas plus que de celle du ferroviaire. Le premier enjeu est de renforcer les investissements de régénération ; le deuxième est d'engager la modernisation.

Mais il faut aussi développer l'information sur ce mode et inciter les chargeurs à y recourir ; c'est l'objet du plan d'aide au report modal doté de 20 millions ; et de l'aide à la pince dont les modalités seront bientôt précisées. Il faut enfin encourager la transition énergétique de la flotte.

M. François Grosdidier .  - Quelles sont les intentions du Gouvernement sur la liaison fluviale entre la Moselle et la Saône ? Son intérêt est renforcé par l'abandon de la liaison Rhin-Saône par le Doubs. Il reste indispensable de relier le Rhin au réseau méditerranéen. La liaison Rhin-Rhône relierait les bassins par des canaux à grand gabarit et désengagerait le réseau existant. L'intérêt est économique et écologique. La part de canaux à grand gabarit est très faible en France, où elle est d'un cinquième, en comparaison avec nos voisins où elle est de la moitié. Metz et Thionville sont les sixième et septième ports fluviaux français, les premiers respectivement pour les céréales et la métallurgie, à 30 km de distance.

Le projet Moselle-Saône a été proposé voici très longtemps. Où en sont les discussions à ce sujet ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le canal Saône-Moselle-Saône-Rhin coûterait 15 milliards d'euros, pour 350 km de linéaire ; il relierait la Méditerranée à l'Europe du Nord. Ce coût est hors de portée des investissements envisageables à court et moyen terme ; l'opération n'a de ce fait pas été examinée par le COI. La perspective d'un débat public sur le sujet a été abandonnée en 2013.

M. Jean-François Rapin .  - Le canal Seine-Nord a monopolisé l'attention ; je l'aborderai sous un autre angle. Il contribuera à une mobilité durable ; or les interrogations persistent sur la part du financement de l'État. Le 28 mai, vous évoquiez une vignette temporelle par laquelle le transport routier contribuerait au financement. Mais dans le même temps, dans un rapport de Mme Revault d'Allonnes, le Parlement européen préconisait l'abandon d'une taxation fondée sur la durée, au profit d'une eurovignette répondant au principe pollueur-payeur. Votre projet d'une vignette est-il compatible avec ces orientations européennes ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Il peut être tentant de financer le canal Seine-Nord par redéploiement ; c'est le scénario du COI mais je doute qu'il soit populaire parmi mes collègues ministres... Une autre solution est le recours à la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ; la dernière est la création d'une redevance.

Notre premier objectif est de faire participer au financement de nos infrastructures les poids lourds qui transitent par notre pays en faisant le plein dans les pays voisins - d'autant qu'ils imposent le redimensionnement de certaines routes... Autre préoccupation : répercuter la charge sur les chargeurs et non les transporteurs eux-mêmes, dont la fragilité est commune.

La France fait partie des États ne souscrivant pas aux orientations proposées dans le rapport de Mme Revault d'Allonnes.

M. Jean-Paul Émorine, pour le groupe Les Républicains .  - La part modale du fluvial en France reste très faible : 3 %, contre 7 % en moyenne en Europe, 43 % aux Pays-Bas, 15 % en Allemagne, 12 % en Belgique. Le maillage territorial très riche est handicapé par le manque d'interconnexion et l'inadaptation d'infrastructures vieillissantes.

Les investissements non consentis, à hauteur de 150 millions par an, sont insuffisants. Les ouvrages se dégradent ; le canal Sambre-Oise est devenu inutilisable.

Au-delà de cinq à six ans, la situation sera hors de contrôle. Notre performance environnementale passe par les modes de transport alternatifs. Présent au coeur des grandes agglomérations, le fluvial permet de contourner les noeuds de transport ; il est économique et fiable.

J'ai entendu votre réponse à M. Grosdidier sur l'abandon du canal Rhin-Rhône ; mais je la regrette ; l'annulation, en 1995, du projet sous prétexte que le Premier ministre n'avait pas signé le décret est l'une des graves erreurs du siècle dans ce domaine.

À travers ce débat, le groupe Les Républicains interpelle le Gouvernement sur l'urgente nécessité d'une politique volontariste en faveur du transport fluvial. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; M. Alain Fouché applaudit aussi.)

La séance est suspendue à 19 h 30.

présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

« Sécurité routière : mieux cibler pour plus d'efficacité »

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport « Sécurité routière : mieux cibler pour plus d'efficacité ».

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur du groupe de travail .  - La route demeure la première cause de mort violente en France : 3 500 décès chaque année, 75 000 blessés dont 28 000 grièvement. Cela appelle une politique de sécurité routière forte. Entre 1970 et 2010, on est passé, de plus de 17 000 morts par an sur les routes à moins de 4 000 grâce aux vitesses maximales autorisées, le port obligatoire de la ceinture et du casque, le permis à points ou encore les radars. Mais, depuis 2013, nous avons atteint un palier : le nombre de morts est légèrement reparti à la hausse.

Aussi le Premier ministre a-t-il annoncé le 9 janvier dix-huit nouvelles mesures pour réduire à moins de 2 000 le nombre de morts chaque année d'ici 2020 : l'objectif est ambitieux. Parmi elles, la réduction à 80 km/h de la limitation de vitesse sur les routes à double sens et sans séparateur central a retenu toute l'attention : 76 % des Français s'y opposent. Dès lors, comment pourrait-elle être efficace ?

La commission du développement durable et la commission des lois du Sénat ont constitué, aussitôt après les annonces gouvernementales, un groupe de travail pluraliste pour évaluer, avant la publication du décret, l'efficacité de cette mesure sans a priori politiques. Nous avons entendu 47 personnes durant 17 auditions et tables ; recueilli, sur le site du Sénat où nous avons ouvert une plateforme participative, plus de 23 000 contributions - cela témoigne de l'ampleur de l'opposition, sinon de la mobilisation.

Le groupe de travail a adopté son rapport à l'unanimité le 18 avril 2018. La réduction de la mortalité sur les routes est une priorité absolue, mais le Parlement doit s'assurer que les mesures prises à cet effet par le Gouvernement sont proportionnées et efficaces. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains ; M. Philippe Bas, président de la commission des lois, applaudit également.)

M. Michel Raison, rapporteur du groupe de travail .  - Si nous sommes rassemblés ce soir, c'est que nous savons la gravité de ce dossier et sommes tous sensibles à la sécurité routière. La mesure annoncée n'a pas fini de faire du bruit, vu les réponses méprisantes, infantilisantes, voire culpabilisantes que le Gouvernement a faites à nos questions. Impossible de savoir, notamment, sur la base de quelle expérimentation la réduction de la vitesse à 80 km/h a été décidée. D'où notre groupe de travail : le Sénat a aussi pour rôle de contrôler le Gouvernement.

Il nous a été difficile d'obtenir des réponses, que ce soit sur l'étude du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, le Cerema, ou sur l'étude de l'accidentalité. Si personne ne détient la vérité, nos conclusions sont claires : la limitation à 80 km/h est un seuil psychologique inacceptable, surtout parce que les 400 000 km de routes secondaires concernés se trouvent dans des départements auxquels on a refusé le passage à des 2 x 2 voies ou dans lesquels leur réalisation souffre, pour reprendre les mots de la Cour des comptes, de lenteurs excessives - c'est le cas en Saône-et-Loire. Avec 2 milliards de PV, il y aurait moyen de faire mieux ! Résultat, 76 % des Français sont opposés à cette mesure, gens des villes comme gens des champs. L'ADF elle-même est contre.

Problème grave, nous avons subi une fracture au sein même du Gouvernement : votre ministre de tutelle, Madame Gourault, a sorti son joker ; le ministre de l'aménagement du territoire a dit publiquement son opposition. Au total, une dizaine de ministres sur vingt-deux y est défavorable d'après Le Parisien. En fait, la communication du Premier ministre a dérapé dès le départ puisqu'il n'a parlé que de la réduction à 80 km/h sans la justifier tout en préparant d'autres mesures, peut-être plus efficaces.

Pourquoi les 300 à 400 millions d'euros de recettes supplémentaires des PV seraient-ils versés aux hôpitaux alors que c'est sur la prévention qu'il faudrait insister ? Une fois la jambe cassée, il est trop tard... La prévention routière voit son budget réduit à 12 millions d'euros quand l'État prélève 2 milliards sur les automobilistes.

Les messages d'information diffusés à la télévision sont presque mensongers. Nous, nous n'avons pas cherché à faire des comparaisons internationales  - je n'ai pas fait valoir que l'Allemagne qui roule plus vite compte moins de morts que nous. Le Premier ministre, lui, ne s'est pas gêné. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Michèle Vullien, rapporteure du groupe de travail .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le 14 juin prochain, nous remettrons notre rapport au Premier ministre, Édouard Philippe, pour le convaincre de changer sa position. Chaque mort, chaque blessé, est de trop ; c'est sur les modalités que porte le débat.

Les couacs qui ont émaillé l'annonce de ces mesures de sécurité routière contrastent avec les discours du Gouvernement sur la concertation. La réponse n'est pas dans le 80 km/h partout ou le 80 km/h nulle part. Laissons décider les départements, gestionnaires des voiries ; certaines routes passeront peut-être à 70 km/h. La vitesse n'est pas la seule cause d'accident. Alors, pourquoi appliquer cette mesure dès le 1er juillet 2018, quand les autres mesures entreront en vigueur en janvier 2019 ? Je suggère au Premier ministre d'utiliser le joker que lui tend le Sénat pour sortir de cette situation par le haut.

Pourquoi ne pas demander aux présidents de conseils départementaux d'établir une cartographie sans a priori politiques ? Sanctionner les 600 000 automobilistes qui roulent sans permis et mettre fin aux incessants rodéos nocturnes serait un bon début pour renforcer la sécurité routière. Certes, une mesure de sécurité routière n'a pas à être populaire mais si nous pouvons la rendre moins impopulaire, pourquoi s'en priver ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et RDSE ; MM. Alain Fouché et Jean-Luc Fichet, rapporteur, applaudissent également.)

M. Alain Fouché .  - Oui la sécurité routière est notre priorité. En janvier dernier, le Premier ministre a décidé de réduire à 80 km/h la vitesse maximale autorisée sur le réseau secondaire, sans aucune concertation. Cela fait suite à une expérimentation de deux ans sur 86 km de routes : non seulement elle ne visait pas à réduire la mortalité routière mais, de plus, son bilan est mauvais malgré le coût des travaux qu'il a fallu engager pour la rendre possible. La mesure est censée éviter 400 morts par an sur l'hypothèse qu'une baisse de 1 % de la vitesse entraîne une baisse de 4 % des accidents mortels. C'est à vérifier : des voisins européens où la vitesse de circulation autorisée est supérieure enregistrent de meilleurs résultats.

La conclusion du Sénat est qu'il faut décentraliser la décision à l'échelon départemental. Le ministre de l'intérieur, lui-même, doute de l'efficacité de cette mesure. Comment doubler une file de camions si l'on ne peut pas dépasser 80 km/h ? Bloqué derrière eux, on risque même l'endormissement.

Sur 2 milliards de recettes, 400 millions d'euros seulement sont affectés à la sécurité routière ; le reste va au désendettement de l'État. La privatisation des radars pourrait faire gager deux milliards d'euros supplémentaires, une partie de la somme serait affectée aux hôpitaux. Soyons sérieux : la prévention plutôt que d'envoyer les automobilistes à la réparation. Elle passe aussi par l'entretien du réseau routier. Les dotations à mon département ont baissé de 27 % entre 2015 et 2017. Plutôt que de racketter les automobilistes, il faut promouvoir des comportements responsables, agir sur la prévention de la consommation d'alcool et de stupéfiants.

Vous savez convaincre, Madame la Ministre Gourault : parlez au Premier ministre ! J'avais proposé un amendement pour réduire le délai de récupération des points. Tollé général ! Puis la mesure est finalement passée. Le nombre de morts sur les routes n'a pas augmenté depuis. Preuve que la sécurité n'est pas seulement une affaire de sanctions. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UC, Les Républicains et RDSE)

Mme Josiane Costes .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) La situation est préoccupante : 3 700 morts sur les routes, hausse de 2 % des accidents corporels et de 1,3 % du nombre de blessés en 2017. Le Gouvernement a décidé d'abaisser à 80 km/h la vitesse maximale autorisée sur le réseau secondaire à compter du 1er juillet. Malgré la contestation suscitée par cette mesure, qui coûtera à l'État entre 5 et 10 millions d'euros, le Premier ministre a annoncé qu'il la maintenait.

Dans les départements très ruraux et très enclavés comme le mien, l'absence de transports collectifs rend la voiture individuelle indispensable pour se déplacer. On peut comprendre les fortes réticences qui s'expriment. Mieux vaudrait prévenir les comportements dangereux au volant et investir dans l'entretien du réseau. Quoi qu'il en soit, notre mortalité routière ne peut demeurer deux fois supérieure à celle de l'Allemagne et du Royaume-Uni où la vitesse maximale autorisée est respectivement de 100 et 96 km/h. La vitesse n'explique pas tout.

M. Gabouty, dans son rapport sur le programme « Sécurité et éducation routières » dans le budget pour 2018, a salué une amélioration de la sincérité des dépenses de communication, des frais d'étude et d'expertise. La réforme du permis de conduire de 2014-2015 porte ses fruits : le délai d'attente pour l'examen est passé de 90 à 57 jours ; l'objectif de 45 jours n'est plus hors d'atteinte. Parallèlement, la durée de validité du code est passée de trois à cinq ans ; la conduite accompagnée a été facilitée et l'on a encouragé les recrutements d'inspecteurs. En revanche, le coût du permis continue de poser problème : en moyenne, 1 600 euros. Si le marché est défaillant, ne faut-il pas envisager une nationalisation des auto-écoles ou faire du permis de conduire une matière scolaire ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et CRCE)

M. Arnaud de Belenet .  - Je remercie la collègue qui m'a tapé sur l'épaule en me disant : « Mon pauvre vieux, tu es du groupe LaREM, tu vas devoir défendre les 80 km/h ». (Marques d'amusement sur les bancs du groupe Les Républicains) Comme vous, je me pose des questions. Une nouvelle impulsion est-elle nécessaire ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Oui.

M. Arnaud de Belenet.  - Nous refusons la fatalité. Le plan annoncé en janvier s'attaque à l'ensemble des facteurs d'accident - parmi ceux-ci, la vitesse. C'est la mesure qui a été la plus remarquée. Des esprits chagrins pourraient regretter l'absence de statistiques probantes sur l'expérimentation de 2015. Cela changera-t-il quoi que ce soit ?

M. Jean-Luc Fichet.  - Oui !

M. Arnaud de Belenet.  - Non, nous savons que cela sauvera 350 à 400 vies chaque année. Laisser la décision aux maires et aux présidents de conseils départementaux ? Cela ne me convainc pas. Assumeraient-ils de telles décisions ? (Plusieurs « oui » et « bien sûr » sur les bancs des groupes UC et Les Républicains) Seraient-ils prêts à prendre la responsabilité pénale, le cas échéant ? (Brouhaha sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. François Bonhomme.  - Attention à la sortie de route !

M. Arnaud de Belenet.  - Ne peut-on pas reproduire le système de dérogations qui existe pour les zones urbaines ?

Beaucoup de contre-vérités ont été dites. Par exemple, le produit des amendes supplémentaires ne sera pas reversé aux hôpitaux mais affecté aux personnes handicapées du fait d'un accident de la route. Bref, je suis totalement solidaire du Gouvernement sur cette mesure. (Quelques huées sur les bancs du groupe Les Républicains)

Voix à droite. - Il faut sortir de Paris !

M. Guillaume Gontard .  - La réduction de la vitesse autorisée sauvera sans doute des vies mais une meilleure concertation avec les élus locaux aurait été appréciable. Beaucoup d'usagers voudraient bien se rendre au travail à 80 km/h ! Ces mesures doivent s'intégrer dans une réflexion globale sur la mobilité et la sécurité pour tous, y compris des cyclistes ; car rien, dans le plan gouvernemental comme dans le rapport sénatorial, n'est prévu pour eux, sinon des propos sur le « savoir-rouler » qui attribuent aux cyclistes la faute des accidents. Anodin ? Détrompez-vous, l'usage de la route change et de plus en plus d'usagers optent pour le vélo pour des raisons économiques et écologiques. Avec le vélo électrique, les trajets domicile-travail, même en montagne, ne sont plus réservés aux athlètes.

Deux tiers des cyclistes tués sur la route le sont en dehors des agglomérations, leur nombre a augmenté de 8,6 % depuis 2016. La loi de 1996 prévoit pourtant l'aménagement de voies cyclables à chaque rénovation. Or cette obligation est souvent ignorée ou contournée : une bande cyclable sans séparateur est contre-productive. Pourquoi ne pas envisager des véloroutes comme en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas ?

De manière générale, la sécurité tient beaucoup à l'état des infrastructures. L'entretien de la voirie coûte cher et incombe aux collectivités, qui n'ont pas toujours des moyens suffisants. Pourquoi pas une écotaxe poids lourds ? Comme pour le rail, il faut envisager un financement mixte.

Pour les cyclistes, nombre de mesures pourraient être prises sans attendre : éclairage, verbalisation intensifiée en cas de non-respect des aménagements cyclistes, sensibilisation des conducteurs d'automobiles. Le vélo ne peut pas être le parent pauvre de notre sécurité routière. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. Jean-Marc Boyer .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.) Nous voulons tous sauver des vies sur les routes, il est possible de le faire sans porter atteinte au quotidien des habitants et en écoutant les élus. La réduction à 80 km/h est peut-être justifiée mais elle est imposée, sans pragmatisme.

Beaucoup se sont exprimés contre la généralisation de la mesure au-delà des routes accidentogènes. L'AMF et l'ADF ont déploré l'absence de concertation. Le ministre de l'intérieur est réservé, de même que le ministre de l'aménagement du territoire. Notre espace participatif a recueilli des dizaines de milliers de contributions.

Non, notre groupe de travail n'est pas ce qu'en dit Chantal Perrichon, présidente de la ligue contre la violence routière. Ce n'est ni « un groupuscule de sénateurs qui a entretenu une guérilla » ni « des imbéciles qui déclarent s'ennuyer lorsqu'ils roulent à 80 km/h ». De nombreux territoires trouvent injuste cette mesure appliquée sans discernement, y compris à des territoires où l'État a refusé des aménagements en 2 x 2 voies.

Finalement, le Gouvernement agit comme s'il ne faisait pas confiance aux territoires. Monsieur de Belenet, vous êtes dans la contradiction : les maires auraient le droit de décider en zone urbaine, et pas ceux en zone rurale ? (Applaudissements et « Bravos » sur les bancs du groupe Les Républicains)

L'état des routes est une source bien plus préoccupante d'insécurité. En 2010, 85 % de la chaussée était dans un état correct ; en 2015, ce chiffre est tombé à 83 %. Améliorons-le et on obtiendra des résultats sans réduire la vitesse maximale. On recensait dix à quinze morts par an sur la route entre Clermont-Ferrand et les départements du Cantal et de la Corrèze dans les années 2000 ; un à deux tués par an aujourd'hui grâce à l'aménagement d'échangeurs, de créneaux de dépassements sur les tronçons meurtriers.

Sur les dix-huit mesures du plan, dix-sept suscitent l'adhésion. Que le Gouvernement abandonne la dernière au profit de mesures de prévention, qu'il laisse les collectivités territoriales décider au cas par cas de la réduction à 80 km/h.

Madame la Ministre, n'allez pas à 100 km/h ! Écoutez les citoyens : c'est aujourd'hui qu'a lieu le rendez-vous de la sécurité, non dans deux ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Les efforts menés en quarante ans ont fait continûment baisser la mortalité sur les routes : de plus de 17 000 dans les années soixante-dix à moins de 4 000 en 2017. Certes, c'est encore trop ; ce résultat est lié à des politiques publiques mais aussi à des améliorations techniques comme l'airbag et l'ABS. La sécurité routière est une question large et multifactorielle.

L'excellent rapport du groupe de travail a souligné les limites de la méthode du Gouvernement tout autant que celles de l'expérimentation conduite.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Exactement.

M. Olivier Cigolotti.  - Les bénéfices en termes de sécurité n'ont pas été sérieusement évalués. Dans les zones rurales prévaut un sentiment d'abandon, voire de relégation par rapport aux zones urbaines bien desservies.

M. François Bonhomme.  - Saint-Germain-des-Prés !

M. Olivier Cigolotti.  - Je songe notamment aux zones de montagne ou enclavées. Le passage de 90 à 80 km/h entraînera des rejets plus importants, sans compter le temps plus long passé sur la route à polluer.

Les facteurs comme la vitesse sont souvent identifiés par défaut, ce qui met en doute l'impact d'une telle mesure. L'accident est par nature multifactoriel : état de la voirie, conduite, consommation de psychotropes...

Les flashs ont rapporté un milliard d'euros supplémentaires en 2017.

Une voix à droite.  - Racket !

M. Olivier Cigolotti.  - La Cour des comptes a mis en cause l'utilisation par l'État du produit de ces amendes. Il convient de décentraliser la décision et de la construire en concertation.

Madame la Ministre, vous connaissez le bon sens du Sénat ; nous comptons sur vous pour relayer notre travail auprès du Premier ministre ! (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Michel Raison.  - Cigolotti président !

M. Bernard Jomier .  - Je salue l'excellent travail des rapporteurs qui ont su s'écarter des vaines polémiques et des arguments spécieux comme l'endormissement par excès de lenteur ou le racket des automobilistes quand les accidents coûtent 50 milliards par an... Des voix s'étaient déjà élevées en 1974 contre l'instauration d'une limitation à 110 et en 1990 contre la limitation à 50 en agglomération.

J'entends les arguments non dénués de fondement sur le manque d'écoute des territoires et de concertation. Mais les mêmes arguments ont été avancés face aux mesures successives pour la sécurité routière ; et la mortalité a été divisée par cinq en trente ans.

Les sept pays qui ont les meilleurs résultats en Europe ont limité la vitesse maximale autorisée à 80 km/h ou moins ; et la Suède, au premier rang, à 70. Certes la vitesse n'est pas le seul facteur de mortalité, mais 36 % des accidents mortels impliquent une vitesse trop élevée.

Décentraliser la vitesse maximale autorisée ? Je comprends le principe mais l'application peut être contre-productive. Une règle simple et générale, c'est un message fort et compris.

Je partage néanmoins le constat des rapporteurs : une telle mesure doit être articulée avec la réduction des délais de passage du permis et une lutte active contre l'alcool et les stupéfiants au volant.

Toutefois, c'est une étape dans la bonne direction ; rendez-vous dans deux ans pour le bilan. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. Henri Leroy .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC) La limitation de vitesse à 80 km/h sur certaines routes frappera d'abord nos compatriotes des territoires ruraux et périphériques. La mortalité routière, depuis 2010, a augmenté en même temps que le produit des radars. Les Français en ont assez d'être pris pour des vaches à lait !

Une voix à droite.  - Bravo !

M. Henri Leroy.  - Arrêtez d'emmerder les Français, disait le président Pompidou... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Et quelle idée stupide que de faire un bilan dans deux ans ! Faudra-t-il changer alors tous les panneaux ? (Mme Cécile Cukierman rit.)

M. Collomb a admis, en février, que l'on aurait pu se concentrer sur les tronçons les plus accidentogènes - et peut-être vous-même, Madame la Ministre, n'êtes-vous pas éloignée de cette position. C'est la bonne méthode, et il faut, comme le proposent nos rapporteurs, laisser les départements définir ces tronçons. Le candidat Macron lui-même reconnaissait qu'un abaissement généralisé à 80 km/h fragiliserait tout l'édifice.

Mme Cécile Cukierman.  - Voilà !

M. Henri Leroy.  - J'en viens au second sujet, qui est lié au premier : l'usage de caméras individuelles par les agents des services municipaux, autorisé à titre expérimental en juillet 2016. Cela ne présente que des avantages, pour la sécurisation des procédures, mais aussi la baisse des tensions et la protection contre les mises en cause abusives. Et pourtant, Madame la Ministre, rien n'a été prévu par votre Gouvernement pour pérenniser l'expérience.

Mme Cécile Cukierman.  - C'est vrai !

M. Henri Leroy.  - N'envoyez pas sans cette garantie les gendarmes sur les routes où la vitesse autorisée viendrait à diminuer brutalement de dix kilomètres/heure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe CRCE)

Mme Angèle Préville .  - Questionner la baisse de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h sur les routes à double sens sans séparateur, cela n'empêche nullement de s'interroger sur l'ensemble des politiques de prévention routière.

Accroissant à proportion de son carré l'énergie cinétique qui doit se dissiper entièrement pour que le véhicule s'arrête, la vitesse aggrave les accidents ; mais il faut aussi s'interroger sur le non-respect du code de la route, l'usage du téléphone, la fatigue, l'alcool et les stupéfiants...

La route tue plus de 3 500 personnes et en blesse 75 000 chaque année. Les piétons et cyclistes représentent 20 % des tués ; or, développement durable oblige, leur nombre va s'accroître. La sécurité routière doit passer au premier rang des priorités avec une concertation aussi large que possible.

L'expérimentation n'a pas été suffisante ; et la mesure aurait dû être décentralisée vers les départements qui ont repris la gestion du réseau secondaire.

Les routes concernées ayant été transférées au département en 2008, je plaide pour des conférences départementales de la sécurité routière qui identifieraient les routes accidentogènes où la vitesse doit être plus limitée. Le réseau routier du Lot, mon département, compte 12 000 km dont 8 000 km de routes communales et 16 km de nationales. Or les accidents se concentrent aux deux-tiers sur le réseau principal. Mes administrés ne comprennent donc pas une telle mesure uniforme.

Pourquoi ne pas appliquer la réduction selon la dangerosité de la route ? Pourquoi ne pas renforcer la prévention auprès des jeunes, par exemple, avec des simulateurs de conduite ?

Madame la Ministre, les mesures les plus simples sont les mieux comprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Stéphane Piednoir .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le sujet du jour est essentiel, la sécurité routière mérite une politique publique ambitieuse et efficace - je le dis d'autant plus volontiers que le nombre d'accidents sur les routes de mon département, le Maine-et-Loire, est supérieur à la moyenne nationale.

En la matière, il n'y a pas de posture politique, c'est l'efficacité qui doit primer et je salue le travail des rapporteurs.

Je m'interroge sur la proportionnalité et l'utilité de la mesure dont nous discutons : réduire la vitesse maximale autorisée de 10 km/h sur les 400 000 km de routes secondaires relève d'une arithmétique simpliste et technocratique. Il faut activer d'autres leviers, notamment l'éducation et la prévention.

Sur le terrain, l'exaspération est réelle face à cette vision purement parisienne déconnectée des réalités.

La vraie question est l'adéquation entre une limitation de vitesse et l'état de la route à laquelle elle s'applique. Les exécutifs locaux y veillent depuis longtemps : nous connaissons tous des tronçons à 70 km/h très bien acceptés.

Madame la ministre, pourquoi vous entêter ? Il est encore temps de modifier votre dispositif, les élus locaux et les départements le demandent. J'espère que le Gouvernement entendra les élus locaux. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur .  - (M. Arnaud de Belenet et Mme Michèle Vullien applaudissent.) Je relève le sérieux du groupe de travail, ainsi que le soutien qu'il apporte aux mesures adoptées par le Conseil interministériel pour la sécurité routière du 9 janvier. Seule la mesure n°5 fait débat ce soir. Merci à Mme Vullien d'avoir rappelé les autres.

Les rapporteurs ne proposent pas un rejet en bloc de la limitation à 80, mais son application sur nos routes les plus accidentogènes par voie d'arrêté, décidée en concertation avec les départements. La baisse serait possible à compter du 1er janvier 2019, soit un report de six mois.

La fixation de la vitesse maximale autorisée relève du pouvoir réglementaire ; elle a toujours été décidée par l'État - aux autorités locales, si elles le souhaitent, d'abaisser cette limite. On trouve aussi souvent des « zones 30 » dans les communes.

Monsieur Boyer, le Gouvernement n'a pas l'intention d'échelonner les mesures. Certaines seront effectives au 1er juillet, d'autres nécessitent des décrets d'application. Celles concernant le téléphone au volant seront, elles, introduites dans le prochain projet de loi d'orientation des mobilités.

Le Gouvernement soutient aussi la proposition de loi de M. Delahaye contre les rodéos sauvages.

M. François Bonhomme.  - On s'éloigne du sujet !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Il n'existe plus en France de ces fameuses zones d'accumulation des accidents corporels, nombreuses il y a encore trente ans. Les accidents sont assez aléatoirement répartis, si ce n'est qu'ils se concentrent sur certains types de réseaux routiers.

Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a constaté que l'on mourait le plus - hors agglomération - sur les plus belles routes, quel que soit le département. Le réseau le plus structurant, soit 10 % des routes, concentre 38 % des morts. Sur les 20 % principaux, nous arrivons à 55 %.

Dans la Haute-Saône, le réseau structurant représente 8 % du réseau mais 61 % des tués.

Mme Cécile Cukierman.  - Ce sont les routes les plus fréquentées ! C'est mathématique !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Dans le Finistère, on a 60 % des morts sur 37 % du réseau. Le danger commence là où l'on croit qu'il n'est pas.

M. François Bonhomme.  - C'est valable pour tout !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Sur une petite route, il y a rarement des accidents la nuit quand il pleut.

Mme Cécile Cukierman.  - Évidemment, il n'y a personne !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Et il y a davantage d'accidents en plein jour, quand il fait beau, que la route est belle et droite, ou qu'il y a des camions.

Ces statistiques sont faites par des fonctionnaires parfaitement impartiaux et compétents.

M. Alain Fouché.  - Ils sont à la botte !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Et ceux qui, dans cet hémicycle, défendent ordinairement les fonctionnaires, devraient être plus cohérents.

Mme Cécile Cukierman.  - On en reparlera !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Ne pas appliquer la mesure sur une partie du réseau serait incompréhensible. Par souci de cohérence, il faut fixer une unique vitesse maximale autorisée.

Bref, tout commande que la mesure n°5 entre en vigueur en juillet 2018. C'est toutefois une mesure expérimentale.

M. Gilbert Bouchet.  - Dans la Drôme, elle existe !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Elle sauvera des centaines de vies par an. Or on accuse le Gouvernement de vouloir faire de l'argent.

M. Alain Fouché.  - C'est le cas !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Certains vont jusqu'à avancer des chiffres - 300 à 400 millions par an - dont on ne sait pas où ils sont allés les chercher, et que la Sécurité routière a démentis.

Bien sûr, on peut envisager que si la vitesse autorisée baisse, il y ait davantage d'amendes. Mais le Gouvernement s'est engagé à reverser tout surplus à un fonds améliorant les soins aux blessés graves, qui sont 24 000 par an...

Aujourd'hui, 92 % des recettes des amendes vont à la sécurité routière (M. Alain Fouché le conteste.) et 8 % au remboursement de la dette.

Vous avez rappelé à juste titre l'importance de la prévention dans les écoles et dans les entreprises. Déjà, 900 entreprises comptant 3 millions de salariés ont signé un accord avec la sécurité routière.

La réforme du permis de conduire lancé par M. Cazeneuve a abaissé à 40 jours le délai médian d'attente. Le coût, lui, est dans la moyenne européenne, entre 1 600 et 1 800 euros.

Monsieur Gontard, la loi Mobilités comportera un plan pour les cyclistes.

Monsieur Leroy, les caméras individuelles des policiers municipaux ont été mises en place par un décret de juin 2016, à titre expérimental, dans 344 communes - 2 106 caméras ont été installées au total. La loi avait prévu qu'un rapport vous soit présenté. Il sera positif. À l'Assemblée nationale, le groupe Les Indépendants a déposé une proposition de loi que nous soutenons, qui sera débattue le 13 juin, pour généraliser le dispositif - ce qui correspond bien à la logique de la police de sécurité du quotidien.

C'est d'un sujet grave dont nous parlons ce soir. Dans mon département rural, les voiries sont très accidentogènes : beaucoup de petites routes, animaux sauvages de Sologne... Franchement, cette réduction à 80 km/h ne me choque pas. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Nos rapporteurs ont travaillé avec sérieux et rigueur, sans a priori, sur ce sujet grave de la sécurité routière. Nous partageons tous ce combat, mais il doit être mené avec pédagogie pour susciter l'adhésion. Trop de Français perçoivent la politique de sécurité routière comme punitive, voire comme un racket. Réduire brutalement la vitesse maximale autorisée ne ferait que renforcer cette incompréhension, surtout dans les zones rurales qui bénéficient moins des transports en commun.

De plus, l'expérimentation sur laquelle s'appuie cette mesure est contestée.

M. Alain Fouché.  - Absolument !

M. Hervé Maurey, président de la commission.  - Pourquoi ne pas avoir organisé une véritable expérimentation ?

M. Gilbert Bouchet.  - Il y en a eu une dans la Drôme !

M. Hervé Maurey, président de la commission.  - Il faudrait dresser département par département la carte des routes accidentogènes : toutes n'appellent pas la même limitation de vitesse ! Pourquoi cette vision uniforme, manichéenne et technocratique ?

La proposition de nos rapporteurs, de laisser les conseils départementaux définir les tronçons de route où la limitation est à 80, est plus logique et plus adaptée aux réalités de terrain. Je regrette que le Gouvernement ne tienne jamais compte de nos travaux, Madame la Ministre.

Si nous soutenons les autres mesures, nous regrettons la méthode choisie et l'entêtement du Premier ministre. Il n'est pas sérieux de nous donner rendez-vous dans deux ans ; nous aurons investi 9 millions pour changer les panneaux !

Prise sans pédagogie ni concertation, cette mesure ne fera que renforcer la colère des automobilistes. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC) Je salue le travail de nos rapporteurs pour leur sérieux, leur sagesse et leur hauteur de vue.

Si je partageais vos certitudes, Madame la Ministre, je n'hésiterais pas à suivre le Premier ministre. Mais je ne les partage pas et le rapport de mes collègues devait convaincre le Gouvernement que les effets escomptés ne seront pas au rendez-vous.

Votre croyance dans l'efficacité de la limitation à 80 relève donc d'un acte de foi - à quoi je suis sensible, notez bien - et non d'une démonstration.

Le rapport d'avril dernier que vous citez a certes identifié les axes les plus accidentogènes, mais sans dire que la vitesse comprise entre 80 et 90 était la cause première des accidents, ni que l'abaissement à 80 abaisserait le nombre de ces accidents. L'invocation de ce rapport n'a donc aucun caractère scientifique.

Bien sûr, des mesures doivent être prises pour renforcer la sécurité routière. J'étais aux côtés de Jacques Chirac quand il a fait de la sécurité routière une grande cause nationale. Nous poursuivons tous le même objectif, il n'y a pas d'un côté le Gouvernement qui serait pour la sécurité routière, et de l'autre le Sénat !

Mme Jacqueline Gourault, ministre.  - Personne ne le pense !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Le Gouvernement dit vouloir s'inscrire dans la continuité des politiques menées dans les années 2000. Mais il ne suffit pas d'avoir un objectif juste, pour être efficace. Le Gouvernement doit cesser de diaboliser les réticences exprimées qui ne sont pas quelque résurgence tardive de je ne sais quel poujadisme. Oui la vitesse tue, mais il est plus exact de dire que c'est l'excès de vitesse par rapport aux limitations actuelles ! (On approuve sur de nombreux bancs.)

Bref, cette mesure est irrationnelle et n'aura donc aucun résultat. D'ailleurs, la vitesse tue surtout quand elle est associée à d'autres facteurs, énumérés par nos rapporteurs - l'alcool, les stupéfiants, le téléphone, le non-respect du code... - et qu'il faut tous traiter, par des mesures décentralisées plutôt qu'étatiques...

M. Alain Fouché.  - Très bien !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - ... affinées plutôt qu'aveugles, concertées plutôt qu'autoritaires, responsabilisantes plutôt qu'infantilisantes et, surtout, évaluées au préalable. Plutôt qu'un électrochoc éphémère, visons une amélioration durable !

Le Gouvernement, Madame la Ministre, devrait saisir la main que nous vous tendons. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

Prochaine séance, demain, mercredi 6 juin 2018, à 14 h 30.

La séance est levée à 23 h 25.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du mercredi 6 juin 2018

Séance publique

À 14 30

Présidence : M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

Secrétaires : Mme Catherine Deroche M. Victorin Lurel

1. Explications de vote, puis vote sur la proposition de loi relative à l'autorisation d'analyses génétiques sur personnes décédées (n°273, 2017-2018).

Rapport de Mme Catherine Deroche, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°523, 2017-2018).

Texte de la commission (n°524, 2017-2018).

2. Explications de vote, puis vote sur la proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d'Évian, du 2 juillet 1962 jusqu'au 1er juillet 1964 (n°431, 2017-2018).

Rapport de M. Philippe Mouiller, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°511, 2017-2018).

Texte de la commission (n°512, 2017-2018).

3. Proposition de résolution européenne au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, en faveur de la préservation d'une politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires (n°430, 2017-2018).

Rapport d'information de M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, MM. Claude Haut et Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques (n°437, 2017-2018).

Rapport de MM. Daniel Gremillet et Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques et texte de la commission (n°475, 2017-2018).

Le soir

Présidence : M. Philippe Dallier, vice-président

4. Proposition de résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d'intérêts des sénateurs, présentée par M. Gérard Larcher, Président du Sénat (n°364, 2017-2018).

Rapport de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois (n°517, 2017-2018).

Texte de la commission (n°518, 2017-2018).

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°121 sur l'ensemble du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire

Résultat du scrutin

Nombre de votants :343

Suffrages exprimés :325

Pour :240

Contre :85

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (145)

Pour : 141

Contre : 1 - M. Marc Laménie

Abstentions : 2 - MM. Sébastien Meurant, Christophe Priou

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat

Groupe SOCR (77)

Contre : 68

Abstentions : 9 - M. Michel Boutant, Mmes Françoise Cartron, Frédérique Espagnac, Laurence Harribey, MM. Éric Jeansannetas, Bernard Jomier, Bernard Lalande, Jean-Yves Roux, Simon Sutour

Groupe UC (50)

Pour : 48

Abstention : 1 - Mme Nadia Sollogoub

N'a pas pris part au vote : 1 - Mme Denise Saint-Pé

Groupe LaREM (21)

Pour : 20

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Michel Dennemont

Groupe RDSE (22)

Pour : 16

Abstentions : 6 - Mme Maryse Carrère, MM. Jean-Pierre Corbisez, Ronan Dantec, Éric Gold, Joël Labbé, Olivier Léonhardt

Groupe CRCE (15)

Contre : 15

Groupe Les Indépendants (11)

Pour : 11

Sénateurs non inscrits (6)

Pour : 4

Contre : 1 - M. Stéphane Ravier

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Jean Louis Masson

Nominations à des commissions permanentes

M. Pierre Laurent est membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Thierry Foucaud.

M. Pierre Laurent est membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Thierry Foucaud.

Mme Céline Brulin est membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en remplacement de M. Pierre Laurent.