Interdictions d'habitation et recul du trait de côte
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à instaurer un régime transitoire d'indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant d'un risque de recul du trait de côte, présentée par Mmes Françoise Carton, Laurence Harribey et M. Philippe Madrelle.
Discussion générale
Mme Françoise Cartron, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Déposée il y a quelques semaines, cette proposition de loi prévoit une indemnisation pour les interdictions d'habitation résultant du recul du trait de côte. Il répond à une situation particulière, celle des propriétaires de l'immeuble « Le Signal » à Soulac-sur-Mer en Gironde, dont je suis élue.
Le Parlement ne connaît que trop bien cette affaire. La situation des copropriétaires du « Signal » est inédite, exceptionnelle et injuste ; elle est devenue inextricable. D'où cet article unique pour apporter une réponse rapide et efficace à des propriétaires qui n'ont plus accès à leur logement, dont ils ont été expulsés il y a plus de quatre ans ; et ce, sans aucune indemnisation. L'immeuble « Le Signal » abandonné face à la mer est un terrible symbole environnemental, n'en faisons pas un symbole d'indifférence et d'abandon. Construit en 1967 à plus de 200 mètres du front de mer, il est désormais à moins de 10 mètres de l'eau. II est interdit d'accès par un arrêté municipal du 7 janvier 2014 du fait de l'imminence du danger. La situation est ubuesque : l'interdiction d'habitation ne vaut pas expropriation, si bien que les propriétaires ne peuvent pas être indemnisés par le fonds Barnier.
Le Conseil constitutionnel a conclu, dans sa décision du 6 avril dernier, qu'il n'y avait pas d'inégalité de traitement des propriétaires du « Signal » au regard de la législation actuelle. Après quatre années de tergiversations, il est temps de résoudre cette situation intenable : les propriétaires continuent à payer des charges alors même qu'ils n'ont pas accès à leur logement - qui est parfois leur résidence principale.
Le cas du « Signal » est unique, la réponse législative qui est la mienne et celle du groupe SOCR est bien plus large puisqu'elle s'inscrit dans la continuité de l'action de la députée Pascale Got et de nos collègues Vaspart, Retailleau et Bas. Le président de la commission de l'aménagement du territoire l'a rappelé le 16 avril dernier, ce texte « reprend à l'identique un article de la proposition de loi de notre collègue Michel Vaspart, que le Sénat a adopté en janvier dernier, et que nous avons peu d'espoir de voir inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ». La commission soutient à l'unanimité cette démarche pragmatique qui, à mon sens, est dans l'esprit de la révision constitutionnelle que veut le président de la République : un article unique pour une adoption rapide, les deux véhicules législatifs dans lesquels il figure ont peu de chance d'aboutir.
Le texte n'est ni de gauche, ni de droite, ni de LaREM. Il n'est pas ici question de coup d'État médiatique ni de manoeuvre politicienne, comme j'ai pu le lire dans la presse. Si nous renvoyons ce problème à un texte plus large, les propriétaires devront encore attendre un an.
Le Gouvernement a une solution, entend-on dire. Qu'il dépose un amendement à ce texte, tout le monde retiendra que la réponse aura été collective - il eût été d'ailleurs intéressant d'y associer les groupes politiques. Il ne faudrait pas laisser s'installer l'impression que seuls les plus riches se voient apporter des solutions rapides.
Les propriétaires en ont assez, assez du manque d'information , assez d'entendre parler d'équité alors que leur responsabilité reste engagée en cas de chute de l'immeuble qu'il leur est interdit d'habiter ; assez qu'on les fasse passer pour des nantis. Dans une lettre qui m'est adressée, l'un de ces propriétaires me raconte son « calvaire » : entre ses 656 euros de loyer hors charges, un crédit de 550 euros pour l'appartement de Soulac-sur-Mer hors charges, il lui reste, une fois ses impôts, ses frais d'énergie et de transport payés, 100 à 200 euros pour faire vivre sa famille. Ces gens simples sont à bout physiquement et nerveusement. Ils sont engagés à contrecoeur dans une procédure judiciaire et observent qu'une zone pavillonnaire de Soulac a, pendant ce temps, été protégée à grands frais. « Une famille au bord du gouffre » signent-ils leur courrier. Puisse le Gouvernement les entendre ! (Applaudissements)
Mme Nelly Tocqueville, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Je vous prie d'excuser l'absence du président Maurey, qui mène une audition sur le projet de loi ferroviaire ; il nous rejoindra dans quelques instants.
Le sujet est connu, nous en débattions encore à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de M. Vaspart en janvier dernier. Le Parlement est constant, il est plus que temps que le Gouvernement reconnaisse l'urgence.
La commission a été frappée par le caractère ubuesque et kafkaïen du dossier du « Signal ». L'État y a une grande part de responsabilité puisque, dans le cadre du développement de la côte Aquitaine, il était prévu de construire entre 1960 et 1980 un grand ensemble touristique avec un hôtel de luxe, une thalassothérapie, un boulevard 2 x 3 voies. Seul « Le Signal » a été construit à 200 mètres de la mer, il en est séparé à présent par une bande de 10 mètres.
Ce dossier est ubuesque car c'est l'État qui a décidé de lancer une opération d'aménagement et qui a accordé le permis de construire en dépit des informations dont il disposait - il ne pouvait pas ignorer que plusieurs immeubles du front de mer étaient tombés de la falaise dunaire dans les années trente. Il est kafkaïen car la situation judiciaire des propriétaires est absurde. On leur a refusé l'enrochement autour de l'immeuble ainsi que toute indemnisation.
En 2014, le ministre de l'écologie, Philippe Martin, avait promis de résoudre rapidement la crise. Quatre ans plus tard, rien n'a été fait. Quant à l'indemnisation par le fonds Barnier, elle est pendante devant le Conseil d'État après que le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a écarté les griefs tirés de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et du droit de propriété.
Pour l'instant, l'indemnisation est refusée au motif que l'érosion dunaire n'entre pas dans le champ d'intervention du fonds Barnier et ne remplit pas la condition de mise en danger vitale. Je vous laisse apprécier...
On fait aux propriétaires le mauvais procès d'être des nantis qui rêveraient de ne rien faire, les pieds au bord de l'eau. Ce n'est absolument pas le cas. Ce sont, en majorité, des gens modestes. Certains ont engagé toutes leurs économies dans l'achat de leur appartement. Ils doivent désormais s'acquitter des frais d'avocat tout en continuant à payer les charges de copropriété. Certains sont morts - onze d'entre eux, ce qui soulève la difficile question des successions.
Le cas du « Signal », exceptionnel, appelle un traitement exceptionnel. Bien sûr, le recul du trait de côte nécessite une réflexion globale. Cependant, le cas de cet immeuble doit être traité spécifiquement.
Le trait de côte recule de 2,5 mètres par an en Gironde, mais de 5 à 7 mètres par an à Soulac - et le phénomène est accentué par une digue qui protège le quartier de l'Amélie.
Ce texte vise à rendre éligibles les propriétaires du « Signal » à une indemnisation rétroactive par le fonds Barnier. Certes, il faut éviter que la situation ne se reproduise ; elle passe par l'obligation d'information des acquéreurs de biens proches du rivage. Si ce texte ouvre la possibilité de l'indemnisation, il ne règle pas, en revanche, celui de la propriété et, donc, de la prise en charge des frais de déconstruction et de désamiantage de l'immeuble. L'article 40 nous en empêche, seul le Gouvernement peut le faire. Une solution rapide est indispensable, je vous invite à adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur tous les bancs)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Les conséquences de l'érosion sur les territoires littoraux sont aussi stratégiques que complexes. Il est impératif de repenser l'élaboration de nos politiques publiques en anticipant les effets du réchauffement climatique pour construire le littoral de demain. Nous en débattions déjà en janvier dernier lors de l'examen de la proposition de loi de M. Vaspart.
Parce que le recul du trait de côte ne peut pas être anticipé, sa gestion doit être particulière et spécifique. Nous devons aménager nos territoires littoraux de manière durable en préservant leur attractivité économique. Considérer que l'érosion côtière se distingue des catastrophes aléatoires n'est pas une simple vue de l'esprit, le Conseil constitutionnel a conforté cette analyse dans sa décision du 6 avril dernier.
Selon moi, la solution doit être globale, complète et équitable. Nous y parviendrons en offrant aux collectivités territoriales concernées des outils adaptés d'aménagement du territoire et en faisant évoluer le cadre juridique existant pour mieux prendre en compte le recul du trait de côte dans les documents d'urbanisme.
Le Gouvernement n'en oublie pas pour autant les situations urgentes, qui appellent des solutions équilibrées.
Mme Françoise Cartron. - Ah !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - L'État prendra ses responsabilités.... avant la fin de l'année. (Murmures réprobateurs) Nous avons demandé au préfet de région de procéder au désamiantage du bâtiment. La question de l'indemnisation doit être replacée dans le cadre d'une réponse globale, raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à ce texte. (On se récrie sur les bancs des groupes SOCR et Les Républicains.) Toutefois, l'État ne reculera pas. (On ironise sur les mêmes bancs.) Nous voulons un texte ambitieux...
Mme Françoise Cartron. - Cela s'appelle « noyer le poisson » !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Nous ne pouvons pas avoir plusieurs « Signal » en France...
Mme Françoise Cartron. - Il n'y en a qu'un !
M. Daniel Laurent. - Réglez le cas du « Signal », on verra pour les autres ensuite !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Le Gouvernement a le courage d'une approche globale...
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - C'est de la lâcheté !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Je me réjouis de nos discussions futures.
M. Michel Dennemont . - En début d'année, nous avons discuté d'une proposition de loi plus globale sur l'aménagement du littoral. Beaucoup avaient peur d'ouvrir la boîte de Pandore en autorisant des assouplissements à la loi Littoral. En revanche, l'article 3 sur l'indemnisation des propriétaires du « Signal » faisait consensus.
Le recul du trait de côte ne fait pas la une des journaux. Et pourtant, un Français sur dix vit sur le littoral. L'érosion côtière connaît des phases d'accélération sous l'effet du réchauffement climatique ; elle se révèle moins prévisible que ce que l'on pensait. Cela, nous l'ignorions à l'époque de la loi Littoral. Si la loi n'a pas à traiter des cas particuliers, nous ne pouvons pas refuser de voir en face les souffrances des victimes de l'érosion.
Considérant que le recul du trait de côte n'était pas un phénomène connu lors de l'élaboration de la loi Littoral, considérant que la dimension de catastrophe naturelle liée à l'accélération de l'érosion justifie la mobilisation du fonds Barnier, considérant que l'affaire du « Signal » n'a que trop duré, les membres du groupe LaREM - et je vais étonner certains d'entre vous - voteront ce texte. (Applaudissements sur tous les bancs, sinon sur ceux des groupes RDSE et CRCE)
M. Guillaume Gontard . - Merci au groupe socialiste de cette initiative : il s'agit de la troisième tentative, après la proposition de loi du 30 janvier dernier sur le développement durable des territoires littoraux. Il y a urgence, Madame la Ministre ! Réglons ce problème et, chiche, travaillons sur un texte plus large. L'État est responsable de la situation et doit protéger les citoyens - qui se sentent, dans le cas du « Signal », abandonnés par les pouvoirs publics.
Nous ne pouvons plus renvoyer la question de l'impact du trait de côte aux générations futures. Imaginons un système d'indemnisation plus large. Les moyens du fonds Barnier se réduisent alors que ses missions augmentent. La loi de finances pour 2018 a prévu le plafonnement de sa taxe affectée à hauteur de 137 millions d'euros. Ce montant est très inférieur aux dépenses constatées ces dernières années ; en moyenne, 178 millions d'euros
Il faudra reprendre la discussion que nous avions entamée lors de l'examen de la proposition de loi sur le développement des territoires littoraux. Il y a urgence : le territoire français a perdu 2 600 hectares ces dernières années, soit l'équivalent de 3 600 terrains de football. Le réchauffement climatique n'est pas un problème de demain mais d'aujourd'hui. Le groupe CRCE votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR ; M. Jérôme Bignon applaudit également.)
Mme Annick Billon . - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) C'est la troisième fois que nous examinons un texte pour réparer l'injustice faite aux habitants du « Signal ». Je salue le travail de Nelly Tocqueville et de Françoise Cartron.
En 1967, cet immeuble était à 200 mètres de la mer, distance réduite de tempête en tempête à 10 mètres. Aucun mécanisme d'indemnisation n'a jamais pu être mis en place. Un consensus s'est dégagé au Sénat pour un régime transitoire qui, grâce à notre commission des lois, ne menace pas l'équilibre financier du fonds Barnier. Malgré cet accord, la majorité bloque le texte à l'Assemblée nationale. La mer monte mais le texte s'ensable.
De plus en plus d'habitations seront touchées, le changement climatique est d'ores et déjà une réalité visible. La montée du niveau des océans et la fréquence accrue des tempêtes auront un impact sur nos côtes : anticipons !
Le groupe UC espère que nos collègues du Palais-Bourbon seront sensibles à la détresse des propriétaires du « Signal » et à l'importance des sujets littoraux. Nos concitoyens, nos paysages et notre économie le méritent. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, LaREM, UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)
M. Jérôme Bignon . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants) Je ne surprendrai personne : Les Indépendants voteront ce texte dont les précédents orateurs ont bien rappelé les enjeux. Issu moi-même d'un département littoral, la Somme, souffrant de l'érosion, je sais que l'État ne prend pas toujours la mesure du problème. J'ai, en outre, suivi les travaux du groupe de travail Got-Berthelot qui s'est penché sur des stations balnéaires fortement touchées par le phénomène de l'érosion, dont Ault.
Je veux croire que le Gouvernement prendra le problème à bras-le-corps, Madame la Ministre, mais j'ai trop entendu d'autres ministres dans d'autres circonstances prendre les mêmes engagements. Comme on disait dans nos campagnes autrefois, chat échaudé craint l'eau...
M. Jean-François Rapin. - Froide !
M. Jérôme Bignon. - ... et salée. On ne peut laisser sans réponse des gens qui ont construit leur vie à partir d'un élément de patrimoine dans l'immeuble « Le Signal ». Il ne s'agit pas de riches personnes qui perdent quelques mètres carrés de terrain. Certains font des dépressions, d'autres meurent. La situation est quasiment inhumaine. Que la mer monte, on ne le sait pas depuis 48 heures seulement !
Espérons que le Gouvernement, cette fois-ci, tiendra ses engagements. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants, SOCR et CRCE)
M. Ronan Dantec . - Alors que des textes généraux sont dans les tuyaux de la machinerie législative mais risquent de ne pas en sortir pour cause d'ouverture de la boîte de Pandore qu'est la loi Littoral, cette proposition de loi, la troisième en deux ans, a le mérite de porter sur le seul problème du « Signal ». La détresse des propriétaires est réelle. L'État n'aurait pas dû délivrer les permis de construire mais ce n'est pas l'angle retenu par nos débats...
Le dispositif proposé ici est juridiquement fragile, on ne peut le nier. Méfions-nous de plus des dispositifs temporaires, tels ceux votés en janvier dernier. Une majorité du groupe RDSE votera ce texte ; l'autre partie s'abstiendra, considérant que ce texte présente un risque de rupture d'égalité.
M. Michel Vaspart . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Nous voici sollicités pour la troisième fois sur le problème du « Signal », construit à Soulac en 1967, devenu inhabitable depuis de nombreuses années sans qu'aucune expropriation n'ait été prononcée.
Je ne reviens ni sur le contexte ni sur la proposition de loi que j'avais cosignée naguère. Merci, Madame la Ministre, pour avoir reconnu qu'il y avait urgence à définir une stratégie de développement du littoral ; le Sénat le soutient depuis plusieurs années.
Les mois passent, les propriétaires du « Signal » attendent toujours modestement une indemnisation.
Il est pris acte de l'impossibilité de mobiliser le fonds Barnier et de la décision du Conseil constitutionnel suivant une question prioritaire de constitutionnalité. L'affaire se prolonge au Conseil d'État qui se prononcera en juin. On nous dira d'attendre cette décision, puis les conclusions du groupe de travail à venir mais il n'est plus possible d'attendre.
Je voterai ce texte qui transcende les clivages politiques - comme tous les sujets qui touchent au littoral, sur lesquels on ne saurait opposer sans mauvaise foi les protecteurs de l'environnement aux autres.
Depuis mon élection au Sénat en 2014, je le dis : les élus du littoral placés, devant les fluctuations de la jurisprudence sur la loi Littoral, sont pragmatiques ; ils cherchent des solutions sans dogmatisme. Les ministres, secrétaires d'État et hauts fonctionnaires feraient bien de s'en inspirer... Vendredi dernier, j'étais à Plestin les Grèves, dans mon département des Côtes-d'Armor, aux côtés d'une famille sommée de détruire sa maison. Elle possédait pourtant un permis de construire en bonne et due forme, une maison écologique à énergie positive construite dans une dent creuse. J'ajoute que la mairie s'est vue refuser l'extension de sa zone d'activités alors qu'elle est en continuité de celle qui existe. Excès de zèle ou parapluie inutile ? Ce n'est plus supportable. Encore un groupe de travail ? Mais le Sénat a déjà travaillé.
Pour en revenir à la proposition de loi, je la voterai sans réserve comme l'ensemble du groupe Les Républicains. J'espère que le Gouvernement clarifiera le droit du littoral au regard du droit de l'urbanisme dans le futur projet de loi Évolution du logement et aménagement numérique. Madame la Ministre, je le souhaite, l'espère et vous en conjure. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe CRCE)
Mme Laurence Harribey . - Je clos un concert unanime contre ce mauvais génie français : « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Cette situation ubuesque, kafkaïenne, serait risible s'il n'y avait pas 75 familles en cause - non pas des marchands de nuitées touristiques, mais des familles modestes endettées sur vingt-cinq ou trente ans. Elles ont fait confiance au plan d'aménagement du littoral aquitain supervisé par l'État - qui n'avait pas prévu le recul du trait de côte.
Depuis quatre ans, les propriétaires n'ont plus accès à leur logement, sans avoir été expropriés, au motif que l'article 561-1 du code de l'environnement ne fait pas le lien entre érosion côtière et menace grave pour la vie humaine.... Ils ne peuvent donc être indemnisés par le fonds Barnier.
Cette situation pose une question de responsabilité : celle de l'État qui a délivré le permis de construire, celle des collectivités qui prennent les arrêtés de péril sans exproprier. Une question d'égalité aussi, quand, quelques kilomètres plus loin, on a fait de l'enrochement. L'érosion sableuse, enfin, n'est pas prise en compte.
Il y a un vide juridique à combler. C'est l'objectif de cette proposition de loi limpide. On ne peut pas faire plus simple et plus efficace, avec un encadrement dans le temps pour éviter toute dérive. Il ne s'agit pas de noyer ce cas dans un cadre plus global. Le courage, c'est parfois d'admettre que l'on ne détient pas la vérité : l'humilité est une forme de courage !
Ce matin, Jacques Toubon disait : « J'ai la conviction que le droit est le ciment d'une commune humanité sans cesse à construire. ». Je vous invite à plus d'humanité et moins de calcul politicien ! (Applaudissements)
La discussion générale est close.
Discussion de l'article unique
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Nous devrions y être habitués : c'est la cinquième fois en peu de temps qu'une proposition de loi sénatoriale reçoit un avis négatif du Gouvernement, quel que soit le sujet ou le groupe qui la dépose. Pourtant, nous sommes tous choqués par la position du Gouvernement, face à des drames humains épouvantables. Certains propriétaires sont acculés à des situations dramatiques. Il est inadmissible de repousser la solution à plus tard, alors que l'État est totalement responsable, à tous les niveaux. On ne peut plus attendre. Il y a déjà quatre ans, un de vos prédécesseurs, M. Martin, avait promis des mesures rapides. La position du Gouvernement n'est ni tenable, ni tolérable. (Applaudissements)
M. Charles Revet . - Cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans les compétences de la commission de l'aménagement du territoire qui s'est exprimée à l'unanimité.
La situation est catastrophique pour nombre de familles. La position du Gouvernement est incompréhensible. La loi Barnier, que j'ai votée, a été conçue pour répondre précisément à ce type de situation, que nous avons connu en Seine-Maritime.
C'est l'État qui a pris les décisions et procédé aux aménagements. Le Gouvernement invoque le code de l'environnement pour empêcher les indemnisations par le fonds Barnier et propose de reporter la décision...
Il y a quelques jours, le Premier ministre a emmené le Gouvernement sur le terrain, dans le Cher. Je suggère que la commission de l'aménagement du territoire en fasse autant, à Soulac-sur-Mer, pour montrer l'importance qu'il y a à traiter cette situation intolérable. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et SOCR)
M. Didier Mandelli . - J'étais rapporteur de la proposition de loi de M. Vaspart dont l'article 3 concernait le « Signal ». Depuis, rien n'a avancé. Il est désolant et exaspérant que ces propositions de loi, la précédente comme celle-ci, soient jetées aux orties. J'ose espérer que des solutions seront trouvées rapidement.
Le gouvernement précédent a ponctionné le fonds Barnier de 55 millions d'euros, et le vôtre de 71 millions d'euros, en le plafonnant à 137 millions d'euros.
M. Charles Revet. - Pour le budget de l'État !
M. Didier Mandelli. - Je souhaite que cette proposition de loi ne subisse pas le même sort que les précédentes. Le problème du « Signal » est unique. À situation exceptionnelle, il faut une réponse exceptionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC ; Mme Nelly Tocqueville, rapporteure, applaudit également.)
Explications de vote
M. Jean-Michel Houllegatte . - Il y a beaucoup d'anxiété dans les départements côtiers comme la Manche devant le recul du trait de côte. Les riverains sont des victimes potentielles ! La représentation nationale doit s'approprier le sujet et réfléchir à des moyens nouveaux pour indemniser les populations.
Certes, il faut une approche globale, mais le mieux est l'ennemi du bien. Cette proposition de loi répond à un problème exceptionnel, immédiatement. C'est une manifestation de courage, alors qu'un report supplémentaire ne témoigne que du mépris. Je voterai pour. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Patrick Kanner. - Très bien.
Mme Françoise Cartron . - Cette proposition de loi est une illustration de ce que peut être le travail parlementaire. Le Sénat est composé d'élus des territoires qu'il représente et dont il porte la voix. Si le pouvoir central fait aujourd'hui l'objet d'une telle défiance, c'est que les gouvernements, quels qu'ils soient, se montrent impuissants à résoudre les problèmes les plus simples.
J'entends qu'il est compliqué de trouver une solution, d'un point de vue technocratique, mais cela fait cinq ans que les habitants ont été expulsés sans indemnisation. Quelle violence !
Nous faisons entendre la voix des plus faibles, ceux qui subissent une machine administrative inhumaine. Ne nous lançons pas dans de longues tables rondes qui ne feront que montrer l'impuissance des politiques. Soyons efficaces et pragmatiques, comme nous y invite le président de la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, UC et Les Républicains)
M. Philippe Bas . - C'est une immense déception que de débattre à nouveau de ce sujet alors que le Sénat a déjà tranché, à plusieurs reprises. Nous y sommes contraints car ni ce Gouvernement, ni le précédent n'ont pris leurs responsabilités pour traiter le problème du « Signal ». Nous avons récemment adopté à la quasi-unanimité une proposition de loi, cosignée par MM. Vaspart et Retailleau, pour une approche globale des conséquences à tirer pour l'action publique du recul du trait de côte, y compris le redéploiement des installations ou la construction dans les dents creuses.
Il n'est pas admissible que le Gouvernement détourne chaque année une partie du produit du fonds Barnier, qui émane des assurances, au profit du budget de l'État. Mieux vaut élargir les possibilités de financement par le fonds et traiter des constructions qui n'altèrent pas le paysage.
Je le dis au Gouvernement : prenez vos responsabilités, inscrivez nos propositions de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et SOCR)
Mme Annick Billon . - La ministre souhaite un texte global ? Qu'elle inscrive donc la proposition de loi de M. Vaspart à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Le Sénat est tout sauf immobiliste, mais au contraire efficace et persévérant, lorsqu'il s'agit de défendre les territoires et les gens qui sont en grande difficulté. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains ; Mme Nelly Tocqueville, rapporteure, applaudit également.)
M. Antoine Lefèvre. - Très bien.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État . - Efficace et pragmatique : c'est ainsi que ce Gouvernement entend travailler, contrairement au gouvernement précédent. (Huées sur les bancs du groupe SOCR)
M. Patrick Kanner. - Résistez à votre administration ! Soyez à la hauteur de votre tâche !
M. Marc Daunis. - Argument massue...
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Contrairement au gouvernement précédent, nous voulons une approche à la fois globale et spécifique : c'est le fameux « en même temps ». Il faut traiter le problème du trait de côte globalement puisque tout le littoral y est confronté.
Mais nous entendons aussi les personnes modestes qui sont concernées. (M. Daniel Laurent s'exclame.) C'est pour cela que nous allons traiter ce sujet spécifiquement.
M. Philippe Bas - Vous avez dit la même chose il y a trois mois et n'avez rien fait ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et SOCR)
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Les députés travaillent sur une proposition de loi globale.
M. Philippe Bas. - Et la nôtre ?
M. Charles Revet. - Inscrivez la proposition de loi Vaspart à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - En janvier, nous avons essentiellement parlé de la loi Littoral.
Nous allons trouver une solution pragmatique sur le « Signal » dans les mois à venir.
M. François Bonhomme. - Quand vous serez ministre !
Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. - Mais pour éviter qu'il n'y ait d'autres « Signal » dans les années à venir, nous voulons travailler, en même temps, sur le changement climatique, car la réalité du changement climatique, c'est maintenant. (On se gausse sur les bancs du groupe SOCR)
M. Marc Daunis. - Ce n'est pas parce qu'on parle de la côte qu'il faut ramer comme cela !
M. Ronan Dantec . - J'ai été touché par l'intervention de Mme Cartron, qui est très juste. La situation est inextricable, la responsabilité de l'État est engagée. Ne mélangeons pas la situation du « Signal » et l'évolution du trait de côte liée au réchauffement climatique : apportez donc une réponse rapide en faisant un chèque aux habitants du « Signal », et qu'on sorte enfin d'une situation qui empêche un vrai débat sur la loi Littoral. Il n'y a pas de consensus sur le trait de côte et une partie de la proposition de loi Vaspart comporte des risques.
Que l'État trouve les quelques millions d'euros et montre qu'il est capable de régler les injustices.
M. Hervé Maurey, président de la commission . - Mme la ministre dit souhaiter une approche globale. Très bien. Pourquoi alors ne pas avoir inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi de M. Vaspart ? Si vous n'êtes pas d'accord sur le fond, il sera loisible aux députés de l'amender ! Pourquoi ne pas non plus avoir inscrit à l'ordre du jour du Sénat la proposition de loi de la députée Pascale Got, qui a déjà connu deux lectures à l'Assemblée ?
Monsieur Revet, je suis prêt à aller avec la commission à Soulac, mais c'est surtout la ministre qu'il faudrait convaincre d'y aller !
M. Daniel Laurent. - Et le président de la République !
M. Hervé Maurey, président de la commission. - Pour la troisième fois, ce vote ne servira à rien, sinon à donner l'image d'un Parlement impuissant... (Applaudissements)
M. Daniel Laurent. - C'est le but !
M. Gilbert Bouchet. - C'est ce que recherche le président de la République !
À la demande du groupe SOCR, l'article unique de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°99 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l'adoption | 334 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté.
(Vifs applaudissements)
M. Ladislas Poniatowski. - On veut le nom de celui qui a voté contre ! (Rires)
Mme Nelly Tocqueville, rapporteure . - Madame la Ministre, ce vote sans appel est l'expression de la volonté des parlementaires de se faire l'écho des préoccupations de nos concitoyens et de nos territoires. Il doit être pris en compte. Vous vous devez de reprendre ce texte à l'Assemblée nationale. Le Sénat a voulu se montrer honnête à l'égard des propriétaires du « Signal ». Vous avez fait des propositions, Madame la ministre, de désamiantage notamment, mais cela ne peut nous satisfaire : la situation reste kafkaïenne.
Nous continuerons à oeuvrer pour que les copropriétaires du « Signal » aient gain de cause. C'est une question d'honnêteté, c'est une question d'assistance à personnes en danger. (Applaudissements)