Réforme du droit des contrats (Conclusions de la CMP)
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
Discussion générale
M. François Pillet, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le 14 mars 2018, la CMP sur le projet de loi Réforme du droit des contrats est parvenue à un accord. Je salue la qualité du travail effectué avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement, dans un esprit très constructif. Il restait trois sujets en débat : la caducité de l'offre de contrat en cas de décès du destinataire, les clauses pouvant être contestées pour caractère prétendument abusif dans les contrats d'adhésion et la révision judiciaire du contrat à la demande d'une seule des parties, en cas de changement de circonstances imprévisibles. La CMP a retenu la position du Sénat sur les deux premiers points, celle de l'Assemblée nationale sur le troisième.
La plupart des mesures du Sénat en première lecture ont été conservées, telles que la nouvelle définition du contrat d'adhésion et le champ de la sanction des clauses abusives, la mise en cohérence de l'obligation précontractuelle d'information et de la définition de la réticence dolosive, la meilleure articulation des règles en matière de capacité et de représentation avec le droit des sociétés, les critères autorisant le paiement en devises sur le territoire français, en accord avec les pratiques déjà admises, et l'affirmation claire que la loi ne s'applique pas aux contrats conclus avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance.
La commission des lois avait aussi levé diverses difficultés d'interprétation, sans modifier le texte au fond : les travaux préparatoires indiquent clairement le sens à donner à certaines dispositions.
Quant à la révision judiciaire pour imprévision, innovation critiquée, elle sera systématiquement écartée dans les contrats où les parties seront bien conseillées. Elle est donc sans grande portée.
Le débat aura montré le caractère éminemment politique de la réforme du droit des contrats, réalisée par ordonnance au motif qu'elle serait essentiellement technique. Il y a là matière à réflexion pour la réforme à venir de la responsabilité civile. Le Sénat s'en est déjà saisi en confiant à M. Bigot et moi-même une mission d'information sur le sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice . - La phase parlementaire de cette procédure législative avait débuté, et s'achève, devant le Sénat. C'est l'aboutissement d'une réforme longtemps annoncée, sans cesse repoussée.
La CMP est parvenue à un accord, ce dont je me réjouis. Son succès tient à la qualité des débats et au sens des responsabilités de chacun.
Le texte est d'une ampleur rare : 350 articles, très techniques mais fondamentaux pour les relations économiques usuelles ou exceptionnelles. Votre rapporteur a effectué un travail d'analyse considérable !
Le Parlement devait se saisir de l'ordonnance et la modifier si nécessaire, tout en ayant conscience qu'elle était en vigueur depuis un an et utilisée par les praticiens du droit. Sur les 350 articles, seuls une vingtaine ont été modifiés, afin de préciser la loi pour renforcer la sécurité juridique.
Votre commission a également proposé des lignes d'interprétation, confirmées par le Gouvernement et l'Assemblée nationale : les travaux préparatoires constitueront un outil précieux pour les praticiens.
La définition du contrat d'adhésion est désormais entrée dans le code civil et clarifiée ; le sort des sûretés en cas de cession de contrat ou de dette a lui aussi été précisé, le mécanisme de la réduction des prix rendu plus lisible.
Le texte a été complété sur la réticence dolosive, pour assurer la cohérence avec la solution retenue sur le devoir général d'information. L'estimation de la valeur de la prestation est exclue de ce champ, conformément à la jurisprudence Baldus.
Les points les plus débattus furent ceux liés aux deux innovations majeures, prohibition des clauses abusives et révision pour imprévision. Le champ de la prohibition des clauses abusives a finalement été limité aux clauses non négociables du contrat d'adhésion - ce qui ne remet pas en cause le caractère protecteur des dispositions.
Le principe de la révision du contrat n'a pas été remis en cause, il y a consensus sur ce point ; mais il y a eu désaccord sur la faculté du juge de se prononcer à la demande d'une seule des parties. C'est pourtant une nécessité, pour éviter la paralysie en cas de mauvaise foi d'un cocontractant. Rappelons le caractère supplétif de cette disposition. Mais la rupture du contrat n'est pas toujours la solution la plus adaptée...
Au-delà de la confrontation des points de vue, le dialogue constructif aura débouché sur un texte cohérent, amélioré par le travail parlementaire. L'équilibre de l'ordonnance est pleinement maintenu.
Reste à refonder le droit de la responsabilité. Votre assemblée s'en est saisie, plus particulièrement MM. Pillet et Jacques Bigot.
Poursuivons ensemble la modernisation de notre droit civil, dans le compromis et l'esprit de responsabilité. (Applaudissements sur le banc de la commission)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Treize ans de réflexion se concluent ici.
Interrogeons-nous sur le recours aux ordonnances lorsqu'il s'agit de réformes de fond et non d'une simple codification à droit constant. Il ralentit le processus législatif et expose au risque de revirement législatif lorsque la ratification intervient après un changement de majorité. En l'occurrence, le résultat est conforme à la volonté du Gouvernement de 2016 : renforcement de l'accessibilité du droit des contrats, protection de la partie la plus faible et renforcement de l'attractivité de notre économie.
Le texte tel qu'il résulte de nos travaux représente un bon équilibre entre les deux chambres. Le succès de la CMP illustre le sens des responsabilités du Parlement.
La caducité de l'offre en cas de décès du destinataire offre une meilleure sécurité juridique : je me réjouis que l'Assemblée nationale ait évolué dans le sens du Sénat. De même l'Assemblée nationale s'est rangée à la position du Sénat sur la définition des clauses abusives, circonscrites au champ des clauses non négociables.
Quant à l'article 8, les relations contractuelles seront désormais apaisées. Le recours au juge est un appel aux parties à s'entendre à l'amiable. Une partie défavorisée et en difficulté est aujourd'hui poussée à aller au bout du contrat, fût-ce en mettant en péril son activité.
Le groupe RDSE votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ainsi que sur le banc de la commission)
M. Arnaud de Belenet . - Je tiens à souligner tout d'abord que le recours à l'ordonnance n'a pas empêché l'enrichissement du texte par le Parlement...
Le projet de loi est le fruit d'une quinzaine d'années de travaux, longs mais nécessaires. Le but est atteint : codification de la jurisprudence, amélioration de la lisibilité, donc de l'accessibilité du droit, et renforcement de l'attractivité du droit français dans l'économie mondialisée. Je salue le travail colossal de notre rapporteur.
Nous sommes parvenus à un texte équilibré. Sur 350 articles subsistaient trois points d'achoppement : sur la caducité du contrat en cas de décès du destinataire et sur les clauses abusives, la position du Sénat a été retenue. Sur le troisième point, le rapporteur s'est sagement rangé à la position de l'Assemblée nationale. Il fait montre d'un esprit constructif auquel le groupe LaREM est particulièrement sensible. (M. le rapporteur applaudit.)
M. Pierre-Yves Collombat . - Ce texte a deux mérites : il rend le droit des obligations plus lisible et plus accessible ; il renforce la position de la partie faible - on sait la violence de la vie économique - en corrigeant les éventuels déséquilibres et en consacrant le droit à l'information.
Sur la caducité, l'Assemblée nationale a suivi le Sénat : cela nous convient. Sur la révision, c'est la position de l'Assemblée nationale qui a été retenue. C'était mon choix et je m'en réjouis.
Sur la définition des clauses abusives, l'Assemblée nationale a accepté la limitation aux clauses non négociables. Je le déplore : c'est du reste contraire à l'approche qui est généralement celle de la commission des lois.
Toutefois, le texte de la CMP va plutôt dans le sens souhaité par le groupe CRCE. Préférant oublier qu'il s'agit d'une ordonnance, oublier que les tribunaux subiront une charge accrue, il votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur le banc de la commission)
Mme Sophie Joissains . - À la différence des pays de common law, la France est un pays de droit écrit. La sécurité juridique est en principe mieux assurée. Pourtant le droit des contrats souffre d'un manque de visibilité et de dispositions obsolètes. Un projet de réforme avait vu le jour en 2004, à l'occasion du bicentenaire du code civil. Nous allons donc clore aujourd'hui de longues années de réflexion sur le sujet.
Le Sénat s'est opposé au recours à l'ordonnance, car les choix ne sont pas purement techniques - au contraire, ils sont éminemment politiques. La ratification intervient un an après l'entrée en vigueur du texte : le Sénat a fait preuve de son esprit de responsabilité en clarifiant la rédaction sans modifier excessivement le fond.
La réforme a été saluée par tous les professionnels. Elle avait deux buts : renforcer l'attractivité du droit français et améliorer la lisibilité et l'accessibilité du droit des contrats.
Nous nous félicitons de l'accord en CMP et remercions le rapporteur pour son travail. Les clarifications apportées à la caducité de l'offre d'adhésion en cas de décès ou sur la définition des clauses abusives apporteront la sérénité à tous. Nous estimions que la sécurité juridique était meilleure si la demande de révision pour imprévision émanait des deux parties. Mais le Sénat a fait preuve de sens du compromis, sur une hypothèse du reste théorique, en se ralliant à la position des députés.
Les partenaires économiques disposent à présent d'un cadre juridique sécurisant. Le groupe UC votera le projet de loi. (Applaudissements au centre, sur plusieurs bancs à gauche ainsi que sur le banc de la commission)
M. Jacques Bigot . - En dix minutes, je ne pourrai pas évoquer dans son ensemble la réforme des contrats. En raison de la procédure par ordonnance, il faut avouer que nous n'avons pas pu débattre de tout... J'irai à l'essentiel. Alors que les avocats sont dans la rue, vous pourrez au moins, Madame la Garde des Sceaux, les rassurer sur ce point : le droit des contrats sera stabilisé. Pour le reste, c'est plus compliqué...
Cette réforme est bonne. Elle reprend une grande partie de la jurisprudence et modernise, après deux siècles, le droit des contrats ; elle protège les contractants. Les notions d'autonomie et de liberté de ceux-ci ont été progressivement abandonnées, car le rapport de déséquilibre existe bien.
Il est de bon ton ces temps-ci de citer des religieux. Le Père Lacordaire disait : « Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui protège ». Cela est particulièrement vrai en matière contractuelle.
Le groupe socialiste votera le projet de loi tout en regrettant de ne pas avoir eu l'occasion de débattre davantage. Espérons qu'il en ira différemment sur la responsabilité civile. Le débat de fond est nécessaire sur une question de société non négligeable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Alain Marc . - L'ordonnance du 10 février 2016 a procédé à une refonte de grande ampleur du code civil. Elle était très attendue. Il fallait, sans le bouleverser, rendre le droit des contrats plus moderne, plus lisible, plus efficace au regard des enjeux contemporains.
Le 14 mars, la CMP est parvenue à un accord. Notre rapporteur a effectué un travail remarquable, titanesque ! (M. le rapporteur sourit.)
La CMP a retenu la position du Sénat sur les deux premiers points et celle de l'Assemblée nationale sur le troisième, cela a été dit. Portalis nous l'a enseigné, les lois ne sont pas des actes de puissance mais de sagesse, de justice, de raison ; elles doivent être faites pour les hommes, non l'inverse, et s'adapter par conséquent aux peuples pour lesquelles elles sont écrites. Le droit a évolué depuis 1804. Le groupe Les Indépendants votera ce projet de loi. (Applaudissements sur le banc de la commission)
M. Joël Guerriau . - Cette réforme de grande ampleur apparaissait nécessaire. Le 14 mars dernier, la CMP a repris la position du Sénat sur la caducité de l'offre et sur les clauses abusives. Je salue notre rapporteur qui a fait preuve de pragmatisme en suivant l'Assemblée nationale sur la révision pour imprévision. Cette disposition, de toute manière, restera supplétive et hypothétique.
En 2015, le Sénat tout entier s'était opposé à la volonté du Gouvernement de procéder par ordonnance à une révision de grande ampleur du code civil. Madame la Ministre, pour la future réforme du droit de la responsabilité civile, cette méthode serait inconcevable.
M. Michel Savin. - Absolument !
M. Joël Guerriau. - Néanmoins, il était nécessaire de codifier la jurisprudence et de moderniser le droit, mon groupe votera donc pour la ratification. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et LaREM)
La discussion générale est close.
Les conclusions de la CMP sont adoptées.
Mme la présidente. - À l'unanimité... (Applaudissements)
En conséquence, le projet de loi est définitivement adopté.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. - Je remercie chacun, en particulier le rapporteur Pillet.
M. Michel Savin. - Nous sommes constructifs !
La séance est suspendue quelques instants.