Expérimentation de la tarification sociale de l'eau
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à proroger l'expérimentation de la tarification sociale de l'eau prévue à l'article 28 de la loi du 15 avril 2013, présenté par Mme Monique Lubin, MM. Éric Kerrouche, Patrick Kanner et plusieurs de leurs collègues à la demande du groupe socialiste et républicain.
Discussion générale
Mme Monique Lubin, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) C'est pour moi un honneur d'introduire le débat sur cette proposition de loi qui proroge jusqu'en 2021 l'expérimentation sur la tarification sociale de l'eau ouverte par la loi Brottes de 2013 - qui, rappelons-le, a également interdit les coupures d'eau pour factures impayées. Le Comité national de l'eau (CNE), dans son rapport de 2017, notait qu'un recul de trois ans au mieux était insuffisant pour l'évaluer. La prolonger répondra à une demande forte des collectivités qui s'y sont engagées ; je pense, en particulier, à Saint-Paul-lès-Dax et au syndicat intercommunal du Marensin dans les Landes que nous avons auditionnés.
L'expérimentation lancée en 2013 avait pour but d'organiser un accès à l'eau potable, au niveau local, pour tous, dans des conditions économiquement acceptables. Cinquante collectivités et groupements ont ainsi été sélectionnés en 2015, 47 projets ont été effectivement lancés, dont 38 en Métropole et 9 en outre-mer. La moitié des projets seulement avait été mise en oeuvre en avril 2017. Il fallait, en effet, le temps d'identifier les publics visés ainsi que les dispositifs préventifs et curatifs à mettre en oeuvre. Les rapports du CNE et de la commission ont témoigné des premiers résultats positifs de cette formidable innovation sociale.
La commission de l'aménagement du territoire s'est prononcée à la quasi-unanimité en faveur de ce texte qui sécurise, reconnaît et respecte l'action des élus. J'espère qu'elle sera suivie. L'actualité en témoigne, l'eau sera au coeur de nos débats dans les décennies à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, CRCE et sur quelques bancs du groupe RDSE)
M. Éric Kerrouche, auteur de la proposition de loi . - Même si je ne doute pas que Mme Lubin vous ait convaincus, je veux rappeler que, outre le CNE, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a appelé, dans son rapport de février 2016, à conforter l'expérience et à la coordonner avec le chèque énergie. Je veux remercier personnellement Mme Cartron pour son travail et ses amendements.
Le droit à l'eau est inscrit dans notre législation depuis 2006. L'eau, « un bien de l'Humanité » pour l'Assemblée générale de l'ONU, est « partie du patrimoine commun de la Nation » selon notre code de l'environnement qui reconnaît à chacun « le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. » La question fait partie de l'ADN des Landes. Dès 1995 et pendant vingt ans, Henri Emmanuelli a combattu pour une eau au prix le plus bas possible dans le département des Landes. Il disait : « notre société doit garantir à tous un accès à l'eau potable et à l'assainissement. L'eau n'est pas une marchandise, c'est un bien commun qu'il convient de préserver ». Si les avis divergent sur les modalités de gestion, l'intervention de la puissance publique semble à tous nécessaire pour faire vivre ce droit. Ceux qui connaissent le feuilleton juridique de la gestion de l'eau dans le département des Landes savent que son épilogue a été écrit grâce à un principe constitutionnel auquel nous sommes tous attachés : la libre administration des collectivités locales. Donner aux territoires la liberté de déterminer les modalités les plus adaptées à la mise en oeuvre d'un service public, garant de l'égalité et de l'intérêt général, c'est tout le sens de la décentralisation. Saluons les collectivités qui, toutes sensibilités politiques confondues, se sont engagées dans l'expérimentation de la tarification sociale de l'eau ; preuve que l'intelligence territoriale n'est pas une abstraction.
Les territoires sont, non pas un problème, mais une solution à condition qu'on leur fasse confiance et qu'on leur donne les moyens de s'administrer librement. Pour que leurs efforts portent leurs fruits, nous invitons le Sénat à voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; M. Ronan Dantec applaudit aussi.)
Mme Françoise Cartron, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - En 2006, le législateur inscrivait le droit à l'eau potable dans le code de l'environnement. Il demeure un sujet de société : selon un rapport du CGEDD de 2011, la facture d'eau dépasse le seuil d'acceptabilité, fixé à 3 % des revenus, pour 2 millions de nos concitoyens.
Face à cette situation, les élus ne sont pas restés inactifs. La loi Brottes de 2013 a sécurisé leurs initiatives en ouvrant une expérimentation pour cinq ans. Concrètement, les collectivités et leurs groupements sélectionnés ont pu ainsi décider une tarification sociale de l'eau, verser des aides aux usagers ou encore accroître leur contribution au Fonds de solidarité pour le logement (FSL) afin de résorber les impayés. Leurs profils diffèrent par leur statut, leur importance démographique et leurs caractéristiques locales ; la diversité de l'échantillon fait la richesse de l'expérimentation.
Sa mise en oeuvre a demandé du temps. L'État devait définir son cadre général, les collectivités trouver les solutions locales adaptées. En avril 2017, seule la moitié des projets était lancée. Trois ans de recul seulement, c'est peu pour évaluer leurs résultats bien qu'ils soient prometteurs. La modulation tarifaire a été retenue lorsque les abonnés individuels représentaient une part significative des usagers. Certains territoires ont mis en place une tarification à la fois environnementale et sociale. Pour l'habitat collectif, les collectivités privilégient des aides préventives ou curatives par le FSL et les Centres communaux d'action sociale (CCAS). Les retours d'expérience sont plus limités sur le coût des différents dispositifs, l'effet sur le nombre d'impayés et la consommation d'eau. D'où l'intérêt d'une prorogation de trois ans pour les collectivités territoriales et groupements engagés dans le processus. Ceux-ci y sont très favorables et nous avons besoin de recul avant de généraliser certains dispositifs.
Notre commission, pour faciliter les choses, a supprimé l'obligation, pour les collectivités territoriales, d'effectuer une nouvelle demande auprès du préfet de département. Elle a aussi prévu de faciliter la transmission des données sociales aux collectivités.
En application de la législation organique, le seul dépôt de cette proposition de loi proroge le délai de l'expérimentation d'un an. Souhaitons cependant, son inscription rapide à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Pour les élus locaux impliqués, pour les 1,2 million de bénéficiaires, il serait regrettable d'interrompre brutalement une expérimentation qui témoigne des capacités d'innovation de nos territoires. Sachons leur faire confiance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR et sur quelques bancs des groupes CRCE et RDSE)
M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Les philosophes de l'Antiquité faisaient de l'eau le principe de tout. Pour moi, elle est aussi le déterminant de tout ; le substrat de la vie, notre patrimoine commun. Si nous en sommes tous d'accord, alors la paix sera possible au XXIe siècle.
La France a porté ce concept universel au Forum mondial de l'eau il y a quelques semaines car, regardons les choses en face, nous sommes confrontés à des nombreux défis : défi de l'accroissement démographique, défi du changement climatique. L'accès à l'eau devient difficile pour nos concitoyens, l'agriculture et l'industrie. L'injustice pourrait s'ajouter à l'injustice, la précarité à la précarité - et la précarité hydrique est l'une de ses facettes. Nous en avons déjà vu des signes précurseurs en Europe. La France, elle, a été préservée grâce à son modèle de l'eau qu'il nous revient de moderniser et de conforter. C'est ce à quoi nous nous emploierons avec Sébastien Lecornu lors des Assises de l'eau dans quelques semaines.
Je le dis sans ambiguïté : le Gouvernement soutient pleinement cette proposition de loi qui réaffirme conjointement le principe de l'universalité de la ressource et le droit pour tous d'y accéder. La transition doit être écologique et solidaire, l'intitulé de mon ministère n'est pas là pour produire un simple effet visuel.
L'accès à l'eau est un objectif qui nous rassemble. Le code de l'environnement affirme que « l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. » Les Nations unies ont adopté en 2015 l'objectif de garantir un accès durable à l'eau et à l'assainissement pour tous. Les Assises de l'eau seront l'occasion de débattre de nos politiques de l'eau dans quelques semaines.
Cette proposition de loi arrive au bon moment. Presque 50 collectivités de France et d'outre-mer ont mis en place des systèmes d'aide au paiement et de tarification ajustés au contexte local. L'expérimentation a pris tout son sens. Quelques exemples : la gratuité des premiers mètres cubes, le chèque eau, des aides au règlement des impayés mais aussi des démarches de sensibilisation aux économies d'eau. Pour certaines collectivités territoriales, l'expérience a été aussi humaine ; des préjugés sont tombés, l'idée germe d'une prise en charge globale des précarités.
Une prolongation de l'expérimentation est effectivement nécessaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR et sur quelques bancs du groupe RDSE)
M. Guillaume Chevrollier . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je salue le travail de la rapporteure et des auteurs de la proposition de loi.
L'enjeu est le suivant : quelles solutions opérationnelles pour donner accès à l'eau ? Mon groupe parlementaire est favorable, par principe, au recours à l'expérimentation. S'appuyer sur les territoires pilotes est sage. Nous faisons confiance aux élus locaux. Tout ce qui encourage leur liberté d'action doit être favorisé.
Toutefois, la tarification sociale de l'eau rompt avec le principe d'égalité de traitement des usagers du service public. Elle peut mettre à mal le modèle économique de l'eau. Des aides existent déjà, tarification progressive pour l'habitat collectif ou recours au FSL. Enfin, les collectivités territoriales ont autant recours à une approche curative, qui existait déjà avant, qu'à l'approche préventive. La valeur ajoutée de ce texte est de développer ces dernières.
Le tarif français est en moyenne de 3,65 euros/m3 contre 5,50 euros en Allemagne et 4,50 euros au Royaume-Uni. Ce prix bas tient à ce que n'est pas tenu compte du besoin de renouvellement des infrastructures. Or le sous-investissement est très important, de l'ordre d'un milliard d'euros par an. Une nouvelle fracture territoriale nous attend.
En dépit de ces interrogations, ce texte peut être approuvé. Espérons que nous pourrons aborder les enjeux stratégiques lors des Assises de l'eau dont, Monsieur le Ministre, nous aimerions connaître le calendrier. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)
M. Antoine Karam . - Je salue l'initiative du groupe socialiste. La contradiction entre le statut naturel et universel de l'eau et son statut économique et social est cruelle. Pourtant, « l'eau n'est pas une marchandise, c'est le bien commun de l'humanité », disait Danièle Mitterrand.
Quelque deux millions de Français sont au-dessus du seuil d'accessibilité. En outre-mer, l'accès à l'eau peut être difficile, mon collègue Arnell de Saint-Martin en sait quelque chose. À Mayotte et en Guyane, 15 à 20 % des habitants n'auraient pas accès à l'eau potable. En Guyane, l'eau est contaminée par le mercure à cause de l'orpaillage illégal ; plus de 90 % des enfants présentent des taux de mercure supérieur aux normes OMS dans certains villages amérindiens. En Guadeloupe, la vétusté du réseau occasionnerait plus de 50 % de pertes d'eau avant même son arrivée au robinet. Près de 9 % de la population est soumise à des « tours d'eau » ; c'est-à-dire des coupures hebdomadaires. Enfin, le prix : 5,30 euros/m3 contre 3,85 euros pour la moyenne nationale. En Guyane, seules six communes ont pu opérer une refonte de leur tarification. Les autres communes sélectionnées, celles du fleuve, ont pris du retard.
La prolongation de l'expérimentation permettra de définir des solutions et de les déployer. Chaque territoire a ses caractéristiques propres. Il est nécessaire d'adapter la loi au contact du terrain. La consommation responsable doit être encouragée.
Le groupe LaREM votera pour cette proposition de loi en espérant que la Haute assemblée débatte bientôt plus largement de l'accès à l'eau potable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe RDSE)
Mme Michelle Gréaume . - L'expérimentation s'achève ce mois-ci alors que davantage de temps est nécessaire. Cela a été dit : sur les 50 collectivités territoriales retenues en 2015, seule la moitié a lancé l'expérimentation. Certaines ont dû abandonner comme Denain dans le Nord, à cause du coût et de difficultés techniques.
Si cette proposition de loi est nécessaire, il en faudra plus pour rendre effectif le droit à l'eau qui reste aujourd'hui purement fictif, faute d'aide préventive. Le groupe CRCE a déposé plusieurs propositions de loi pour financer une allocation par les délégataires du service public ou l'instauration d'une taxe sur les eaux minérales en bouteille. L'une d'entre elles est en cours de navette, son adoption permettrait de déployer un dispositif sur tout le territoire national. Cela étant, nous ne nous opposons pas à une tarification sociale et encore moins à la gratuité. S'il faut inventer des solutions locales, elles doivent être assorties de dispositifs d'accompagnement pour les collectivités territoriales. Nous attendons deux rapports : l'un du Gouvernement, l'autre du CNE. Nous demandons solennellement qu'ils soient transmis au Parlement dans les meilleurs délais.
Interrogeons-nous sur les dysfonctionnements du secteur de l'eau et leurs conséquences sur la tarification et la péréquation. Pourquoi est-ce uniquement le contribuable qui paie alors que les majors de l'eau dégagent des bénéfices indécents ? L'eau vaut de l'or. Comment sortir du schéma où l'on socialise les pertes et privatise les profits ?
Il convient de définir un service public de l'eau national et décentralisé.
L'État doit garantir l'accès à l'eau pour tous et préserver la ressource. Notons qu'en régie, l'eau coûte 10 % de moins. Démarchandisons ce secteur. Le groupe CRCE votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)
M. Jean-François Longeot . - La mise en place de l'expérimentation de cinq ans créée par la loi Brottes de 2013 a été retardée et rendue difficile ; entre autres, parce que les services sociaux se montrent parfois peu coopératifs. Les collectivités ainsi que le CNE réclament son prolongement. Pourquoi la leur refuser ?
Nous manquons de recul. Deux rapports n'ont pas été remis, un du CNE et un du Gouvernement. Il n'est pas pertinent de souligner que le nombre de communes concernées, 47, est insuffisant pour tirer des leçons. Elles sont, en effet, très variées. Surtout, elles représentent une population de 10 millions d'habitants, dont 1,12 million est éligible à la tarification sociale.
Le groupe UC votera cette proposition de loi, qui représente une marque de confiance envers les collectivités que nous représentons. En revanche, une question n'est pas réglée : quels dispositifs pérennes prévoir ? La proposition de loi relative au droit à l'eau et à l'assainissement que nous avons examinée le 22 février 2017 prévoyait une allocation forfaitaire. Le droit à l'eau ne doit se traduire par une charge supplémentaire pour les collectivités territoriales. Il pèse actuellement sur les départements, via le FSL, et les communes, via leur CCAS. Si on l'accroît, cela se ressentira sur le service public. La Haute assemblée doit dire stop.
S'il est nécessaire de proroger l'expérimentation, ne soyons pas naïfs sur la suite. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)
M. Jérôme Bignon . - La Charte de l'environnement, de valeur constitutionnelle, garantit un environnement sain, équilibré et respectueux de la santé et d'abord pour l'être humain.
La situation de l'eau n'est pas bonne. En 2018, en Métropole, 2,8 millions d'habitants boivent une eau contaminée - aux pesticides et nitrates. La France a pris des engagements européens, des engagements internationaux en signant les 17 objectifs de développement durable.
La loi Brottes a été inspirée par le travail d'une ONG et d'un ancien professeur de droit, qui n'était autre que mon directeur de thèse. L'eau est une ressource rare et vitale, elle le sera de plus en plus avec l'accroissement de la population. Au moins 70 % de notre corps est composé d'eau, c'est dire à quel point elle est essentielle.
L'accès à une eau de qualité doit évidemment être une ligne d'action de notre politique. Votons cette proposition de loi en sachant que beaucoup reste à faire. La limitation de l'expérimentation à cinq ans était sans doute le prix à payer pour franchir une première étape.
Le décret a tardé, et les données actuelles sont insuffisantes pour tirer des conclusions. Le CNE n'a dressé qu'un bilan à mi-parcours.
Très attaché aux territoires, le groupe Les Indépendants ne voit que des avantages à cette prolongation, qu'il votera. Faisons confiance à l'action locale.
J'en profite pour vous rappeler la création de l'Association nationale des élus de bassin, sur le modèle des associations des élus du littoral ou de la montagne. Je vous incite à en rencontrer ses responsables, dont je suis, et à nous rejoindre.
Le droit à l'eau, c'est le droit à la vie, c'est un droit fondamental que la République doit assurer à chacun.
M. Ronan Dantec . - Le 15 avril, l'expérimentation permise par la loi Brottes arrive à échéance. Je remercie le groupe socialiste pour cette proposition de loi. Il était temps de légiférer.
L'effectivité du droit à l'eau est un indicateur de la cohésion de notre société. Si son coût dépasse 3 % du revenu, il est jugé excessif. C'est pourtant le cas pour un million de ménages ; or les impayés entraînent des réductions de débit, voire des coupures. C'est une situation inacceptable.
Plusieurs communes ont expérimenté la tarification sociale de l'eau, sous différentes formes. Mais la mise en oeuvre de l'expérimentation a pris du retard, seuls vingt-six projets ont été lancés depuis 2015 et l'on manque de retours d'expérience, malgré le rapport d'étape du CNE.
Ainsi, Nantes métropole indiquait que seuls treize ménages avaient déposé une demande de tarification solidaire... À Bordeaux métropole, qui a mis en place le chèque eau, l'utilisation du dispositif est très liée à l'implication des travailleurs sociaux. Pour tirer les leçons de cette expérimentation, une prorogation s'impose.
Mais la tarification sociale de l'eau n'est qu'un aspect du dossier. J'avoue avoir été tenté de déposer des amendements pour rétablir la proposition de loi visant à la mise en oeuvre effective du droit à l'eau potable et à l'assainissement que j'avais rapportée il y a un an - souvenir douloureux, tant ce texte avait été détricoté par la majorité sénatoriale, sans doute par calcul politique en période pré-électorale... (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains).
Je ne l'ai pas fait, dans l'espoir que ces trois années supplémentaires permettront de dégager des consensus. Ce texte martyrisé, soutenu par l'association France Liberté de Danielle Mitterrand et de grands acteurs de l'eau, a de l'avenir. Je ne désespère pas !
Nous approuvons les ajustements apportés par la commission à la présente proposition de loi. Le groupe RDSE, globalement favorable à la poursuite de l'expérimentation, votera largement ce texte de bon sens. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et SOCR)
M. Philippe Madrelle . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Il y a un an, je défendais avec les groupes écologiste et socialiste une proposition de loi de mise en oeuvre du droit à l'eau potable et à l'assainissement - qui s'est heurtée à l'inexplicable blocage de la majorité sénatoriale.
Je me félicite de cette proposition de loi qui prolonge l'expérimentation instaurée par la loi Brottes en 2013 visant à rendre l'eau accessible à tous dans des conditions économiques acceptables.
L'eau est une denrée essentielle, or un million de ménages y ont accès à un coût considéré comme excessif et plus de cent mille personnes sont privées d'accès direct à l'eau et à l'assainissement - dans les squats, notamment.
Le rapport du CNE montre la variété des solutions retenues par les collectivités territoriales : aides, modulations tarifaires, gratuité, expérimentée à Libourne par Gilbert Mitterrand... L'expérimentation a montré la nécessité de maîtriser les coûts de gestion, de travailler en amont avec les CAF et CPAM, de sensibiliser les consommateurs à une utilisation économe de l'eau.
Cette expérimentation doit se poursuivre, être étendue pour apprécier l'efficacité du dispositif puis généralisée. Il ne faudrait pas que, dans trois ans, des ménages galèrent encore pour avoir accès à l'eau.
Comme le disait Danielle Mitterrand, l'eau c'est la vie !
Le groupe socialiste votera ce texte, en appelant à poursuivre le combat pour inscrire le droit à l'eau dans la Constitution, comme l'ont fait avant nous la Slovénie ou le Burkina Faso. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ainsi que sur quelques bancs des groupes CRCE et RDSE.)
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Élu de la métropole du Grand Nancy, qui a expérimenté la tarification sociale de l'eau dès le décret d'avril 2015, je suis sans doute juge et partie.
Bien avant la loi Brottes, la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques consacrait un droit d'accès à l'eau potable. La proposition de loi de M. Cambon du 7 février 2011 sur la solidarité des communes dans le domaine de l'eau et de l'assainissement a aussi constitué une étape décisive.
Cette expérimentation vise la prévention plutôt que l'empilement des dispositifs curatifs. Comme le précise l'instruction gouvernementale du 4 mars 2014, la tarification sociale de l'eau peut prendre différentes formes : aide au paiement de la facture, curative, ou aide à l'accès à l'eau, préventive. Dans l'esprit de l'article 72 de la Constitution, il s'agit de donner une plus grande latitude aux collectivités territoriales pour soutenir la politique choisie pour leur territoire.
Le groupe Les Républicains porte donc un regard bienveillant sur cette proposition de loi. La métropole du Grand Nancy a choisi de confier l'attribution des aides aux centres communaux d'action sociale, la répartition de l'enveloppe entre les communes suivant celle de la DSU. À Nancy, moins de 50 % des crédits sont utilisés à ce jour, car le dispositif est en train de monter en puissance. C'est pourquoi il faut poursuivre l'expérimentation, comme le préconise le Comité national de l'eau.
Il conviendrait aussi d'aller plus loin pour aider des populations qui, vous l'avez dit Monsieur le Ministre, cumulent les handicaps. Sans retenue, nous souhaitons poursuivre l'expérimentation. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, SOCR, RDSE et LaREM)
Mme Angèle Préville . - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Cette proposition de loi répond à des enjeux sociaux et écologiques. Les collectivités territoriales ont pris du retard car il a fallu du temps pour établir leurs projets ; permettons-leur de poursuivre l'expérimentation.
L'eau est un poste de dépense important pour les ménages ; son prix, qui varie fortement selon les territoires, est facteur d'inégalités, jusqu'à quatre fois plus important en Martinique que dans l'Hexagone. Deux millions de personnes sont au-delà du seuil d'acceptabilité, fixé à 3 % du revenu.
Nous devons enclencher tous les leviers pour garantir ce droit humain inaliénable qu'est l'accès à l'eau potable. C'est l'objet notamment du sixième objectif de développement durable défini par les Nations unies et repris dans l'accord de Paris.
Le coût de l'assainissement va augmenter car l'eau est de plus en plus polluée. En France, la moitié des eaux de surface n'est déjà plus potable, en raison de la présence de pesticides ou de métaux. La commune Minamata au Japon a subi une pollution grave au mercure, et trois quarts de nos nappes phréatiques contiennent des nitrates...
L'objectif est aussi de développer une écologie responsable. Certaines collectivités territoriales ont lancé des campagnes de sensibilisation pour encourager les comportements responsables, par exemple dans le Dunkerquois, avec l'idée que moins on consomme, moins c'est cher.
Léonard de Vinci l'a dit, « l'expérience ne se trompe jamais, ce sont nos jugements qui se trompent. » C'est ce précepte que nos communes ont mis en oeuvre. « Expérimenter, c'est imaginer », disait Nietzsche. Cette proposition de loi ambitieuse et audacieuse encouragera des politiques responsables, sociales et écologiques. Il est inacceptable qu'un bien inaliénable soit source d'inégalité. Poursuivons l'expérimentation, elle est celle du progrès, de la solidarité et de l'écologie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; MM. Guillaume Gontard et Thani Mohamed Soilihi applaudissent également.)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je salue l'initiative du groupe socialiste. L'eau est un bien inestimable. L'eau, c'est la vie. Préserver la ressource est une priorité ; garantir l'accès à tous à l'eau potable et à l'assainissement, un combat permanent.
La loi Brottes a créé une expérimentation sur la tarification sociale de l'eau. Je me réjouis de la perspective des Assises de l'eau. L'accès à l'eau passe par des investissements conséquents dans les réseaux, pour les entretenir et les moderniser. Longtemps maire d'un village de 160 habitants dans les Ardennes, j'ai mesuré l'ampleur de la tâche dans une commune isolée, l'importance des besoins et des frais de maintenance. Avec un budget inférieur à 20 000 euros, c'est le parcours du combattant !
La modernisation du réseau est fondamentale pour éviter les fuites qui sont autant de gaspillages.
Côté recettes, le prix de l'eau est fixé selon un tarif dégressif, de 1,20 euro le mètre cube à 80 centimes - c'est important pour les agriculteurs, notamment. N'oublions pas que dans beaucoup de communes rurales, c'est l'assainissement individuel qui prévaut. Même dans un village, les impayés ne sont pas rares. Les trésoriers des finances publiques nous aident à trouver des solutions pour garantir un tarif accessible aux usagers.
Le groupe Les Républicains s'abstiendra de façon positive sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Le rapport d'évaluation de l'expérimentation est en cours de réalisation. Il sera adopté par le CNE le 20 juin et vous sera transmis aussitôt.
Les Assises de l'eau se dérouleront en deux phases. La première, fin avril ou début mai, sera consacrée au petit cycle de l'eau ; la seconde, consacrée au grand cycle de l'eau, aura lieu après l'été.
Je salue, en ce moment rare de concorde, la conscience française sur ce sujet, qui augure d'un état d'esprit constructif sur un sujet qui demande d'additionner les expériences et la créativité. Je me félicite de ce beau moment de démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, SOCR, RDSE et sur quelques bancs du groupe UC)
La discussion générale est close.
Discussion des articles
L'article premier est adopté.
L'article 2 demeure supprimé.
L'article 3 est adopté.
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement et du développement durable. - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je me félicite de l'adoption de ce texte à la quasi-unanimité, ce n'est pas si fréquent. Rare, aussi, ces temps-ci, qu'une proposition de loi sénatoriale reçoive le soutien du Gouvernement ! (Sourires ; applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et SOCR)
Nos débats ont témoigné d'un grand intérêt pour ce sujet, au-delà du dispositif prévu par ce texte de bon sens. Un litre d'eau sur cinq est perdu, en raison de la vétusté du réseau.
Les Assises de l'eau seront l'occasion d'aborder l'ensemble des sujets. J'espère que le Sénat, dont les élus connaissent bien la problématique, y sera largement associé. Vous pouvez compter, Monsieur le Ministre, sur notre état d'esprit constructif.
La séance, suspendue à 16 h 05, reprend à 16 h 20.