Quelles énergies pour demain ?
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat : « Quelles énergies pour demain ? », une demande du groupe RDSE.
M. Ronan Dantec, pour le groupe RDSE . - Nul ne doute de l'extrême importance des enjeux énergétiques pour l'avenir de nos sociétés, à commencer par la crise climatique liée à la consommation des énergies fossiles. L'humanité ne résistera pas à une hausse des températures de plus de 2 degrés. C'est aussi une question de solidarité, d'efficacité, de compétitivité.
Tenir compte de tous ces enjeux, pour construire une stratégie énergétique nationale cohérente, s'inscrivant dans un cadre européen et mondialisé, n'est pas chose aisée, mais nous espérons que ce débat y contribuera, dans la perspective aussi de la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie pour la période 2018-2028 ou 2019-2029 dont nous débattrons l'an prochain.
Il y a des nuances sur ce sujet au sein du RDSE, qui est à l'origine de ce débat, notamment sur le nucléaire, mais nous assumons notre diversité, d'autant que nous réfléchissons ensemble et sommes tous d'accord sur la nécessité de s'engager dans l'inéluctable transition énergétique et de revoir en conséquence notre mix énergétique...
MM. Yvon Collin et Raymond Vall. - Très bien !
M. Ronan Dantec. - On ne peut rester aussi dépendants du nucléaire, situation unique au monde, qui nous met à la merci d'une défaillance. Les divergences entre nous portent sur les modalités de sortie et la part du nucléaire sous l'objectif de 50 % ne fait pas débat. J'ai bien entendu hier au congrès des maires la volonté de Nicolas Hulot d'atteindre l'objectif le plus rapidement possible. Le ministre pourra-t-il nous préciser le calendrier ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. - Pas plus que le ministre d'État.
M. Ronan Dantec. - Le groupe RDSE est particulièrement attentif aux enjeux territoriaux qui sont une des clés de la réussite de la transition énergétique.
Nous voulons aussi soulever la question des territoires impactés par la transition énergétique, comme les territoires charbonniers, les sites nucléaires ou les sites pétrochimiques qui doivent anticiper la fin des mobilités fossiles.
La Hollande vient d'annoncer la fin des véhicules thermiques pour 2030, la France annonce 2040, en plus de ce développement maintenant prévisible de la mobilité électrique, le gaz s'annonce comme une transition possible pour la mobilité des poids lourds.
Le Gouvernement a annoncé, pour les contrats de transition écologique, des mesures d'accompagnement. Selon quels critères ? Pour quels territoires ?
En Loire-Atlantique, qui possède un port et de la pétrochimie, mais aussi une centrale à charbon, ces mutations toucheront des milliers d'emplois. Le succès de l'appel à projets des territoires à énergie positive et croissance verte (TEPCV) est intéressant à ce titre. Les réseaux d'EPCI auront établi des plans climat air énergie territoriaux en cohérence avec les engagements internationaux de la France. Les régions font de même avec les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Nous en avions voté très majoritairement le principe au Sénat l'année dernière en PLFR et il ne nous aura manqué que quatre voix à l'Assemblée nationale pour l'inscrire dans la loi.
Le Gouvernement a eu le courage et la volonté d'augmenter la contribution carbone énergie pour un supplément de recettes de 12 milliards d'euros pour l'État. Ce n'est pas rien !
Mais tous les ménages ne seront pas également concernés : les habitants des territoires ruraux et les ménages ne pouvant pas troquer leur chauffage au fioul pour des énergies plus propres seront particulièrement mis à contribution.
Cette stratégie ne sera acceptable que si elle s'accompagne de mesures d'accompagnement. Que proposera le Gouvernement ?
Enfin, n'oublions pas la dimension européenne. Le RDSE lui est attaché, vous le savez. (M. Yvon Collin le confirme.) Le président de la République, à la tribune de la COP23, a annoncé qu'il voulait multiplier par deux les interconnexions électriques européennes. Cela réduit en effet la variabilité de la production liée à la météorologie.
Cette annonce porte en germe, même si le président de la République ne l'a pas encore évoqué, l'accord historique entre la France et l'Allemagne sur les diminutions parallèles du charbon et du nucléaire ; donc la construction d'une véritable stratégie électrique européenne, qui devrait s'étendre aux énergies renouvelables. Pourriez-vous préciser les contours de l'ambition de la France à cet égard ?
Quid aussi de la privatisation de l'hydroélectricité ? Ces questions ne sont pas exhaustives, ce débat est crucial pour notre avenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, LaREM et UC)
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire . - Merci d'avoir pris l'initiative de ce débat riche et pédagogique. Je sais combien les membres de la Haute Assemblée sont sensibles à ce sujet, trop souvent abordé de manière caricaturale.
L'énergie est une question de souveraineté, à dimension européenne. Le discours du président de la République à Bonn dans le cadre de la COP23 à Bonn l'a montré. Ces thèmes concernent directement les territoires, leur aménagement, leur beauté, comme les Français, qui paient leur facture d'électricité.
Deux impératifs. D'abord, la prévisibilité, nécessaire aux acteurs ; c'est pourquoi il y aura une loi de programmation. La sincérité ensuite. L'objectif de 50 % a un coût ; c'est un investissement pour construire une stratégie sur des bases solides.
Nous commençons par le commencement, les énergies fossiles. Nous serons le premier pays au monde à renoncer à extraire nos hydrocarbures et à utiliser le charbon pour produire de l'électricité.
Ce dernier engagement a eu un écho : avec le Royaume-Uni et le Canada, nous travaillons de concert à la sortie du charbon. De même, nous avons augmenté la contribution carbone.
Nous maintenons les alternatives aux véhicules thermiques : véhicules électriques, véhicules utilisant le gaz naturel pour véhicules (GNV), véhicules à hydrogène. Nous facilitons l'implantation de bornes.
Nous soutenons les solutions innovantes de mobilité, qui permettent de réduire la consommation d'énergies. En effet, la sobriété énergétique est le gage du succès. Le Gouvernement annoncera un plan d'investissement de 9 milliards pour la rénovation des logements.
La révolution numérique offre des possibilités d'innovation : autoconsommation, réseaux intelligents, progrès technologiques.
Chacun est attaché à la sécurité et à la sûreté du nucléaire. La question de la place de l'atome dans le mix énergétique reste posée. Le Gouvernement tient au seuil de 50 %. À quel horizon ? Le plus tôt possible. Nous connaissons le chemin : c'est le développement des énergies renouvelables. Nous y travaillons déjà, avec le groupe de travail sur l'éolien, mais aussi les Assises de la mer,...
C'est aussi l'objet du paquet Climat : chèque énergie, prime de conversion pour les véhicules thermiques, évolution du CITE en prime versée rapidement pour les ménages modestes.
Le Gouvernement est aussi attentif aux territoires concernés, notamment par l'arrêt de la production d'électricité par le charbon. L'enjeu est d'élaborer une stratégie nouvelle partant des territoires, en partenariat avec le privé. Les contrats territoriaux y contribueront.
Le Gouvernement agit avec cohérence et sera attentif aux propositions du Sénat. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, UC, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOCR)
M. Jérôme Bignon . - Ce débat constructif pose la question de la France que nous voulons léguer aux générations futures. Nous ne pouvons plus attendre. Comme l'a rappelé le Premier ministre et Nicolas Hulot, il y a le feu !
L'énergie hydraulique marémotrice n'est pas assez utilisée, même si, en la matière, la France a été pionnière avec l'usine de la Rance, inaugurée en 1966. Depuis, toutefois, rien n'a eu lieu. Un nouveau prototype de démonstration sera installé au large du Pays de Galles. Cela conviendrait aux sites français avec un haut marnage ? Que compte faire le Gouvernement pour soutenir la construction de ces lagons qui ont pour intérêt de protéger également les côtes des aléas climatiques ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État . - La France a en effet été pionnière en 1966 avec l'inauguration de l'usine de la Rance. La question est celle du modèle économique, de sa rentabilité. Nous étudierons avec attention le projet britannique. Ce type d'infrastructures intéresserait aussi les outre-mer.
M. Raymond Vall . - Si l'Agence internationale de l'énergie s'est félicitée du projet ambitieux de la France, matérialisé par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, elle a regretté le manque de visibilité à long terme sur le financement de ces mesures. Quelque 530 territoires ont été labellisés TEPCV mais seuls 450 millions d'euros de crédits de paiement ont été débloqués sur 750 millions d'euros d'engagements. Le Gouvernement entend débloquer une enveloppe supplémentaire de 75 millions d'euros dans le projet de loi de finances rectificative mais il manquera tout de même 275 millions d'euros d'autorisations d'engagement.
Le président de la République a déclaré que le seuil de l'irréversible a été franchi, que les équilibres de la planète sont prêts à se rompre ; il est incompréhensible que l'État ne respecte pas sa parole. Quels seront les crédits débloqués en faveur des contrats TEPCV ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Je l'ai dit il y a quelques jours aux questions d'actualité au Gouvernement : la parole de l'État sera tenue. Même si le précédent gouvernement fut bien imprudent en confondant autorisations d'engagement et crédits de paiement. (MM. Roland Courteau et Alain Duran s'exclament.)
Le Gouvernement propose 75 millions d'euros dans le cadre du prochain collectif. Cela suffira pour 2018. Les collectivités territoriales invitées par le précédent gouvernement à signer ces conventions, alors que leur corps délibérant n'en avait pas délibéré, ne seront pas inquiétées par les préfets. Les collectivités territoriales devront avoir engagé les travaux avant le 1er janvier 2018. Un bon de commande suffira.
M. Raymond Vall. - Si les territoires en sont là, c'est qu'ils ont été convoqués dans des délais très brefs.
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Nous disons la même chose.
M. Daniel Gremillet . - Le Gouvernement confirme que le calendrier de réduction de 50 % de la part du nucléaire n'était pas tenable. Les objectifs étaient-ils trop ambitieux ?
Au vu des difficultés de sécurité d'approvisionnement des dernières années, et après 2017 où l'on a frôlé la rupture, l'hiver 2017-2018 s'annonce à nouveau très tendu, quid du mix énergétique et du stockage des énergies : l'éolien, c'est bien... quand il y a du vent ; le solaire, c'est bien... quand il y a du soleil ! Nous avons besoin de cette sécurité et de clairvoyance pour les citoyens, l'économie, les entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - C'est toute la différence entre décider de perdre du poids et se lancer dans un régime, j'en sais quelque chose. (Sourires)
Les objectifs étant ambitieux, s'ouvre maintenant la question du comment. C'est la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Il faut de la prévisibilité pour garantir la sécurité d'approvisionnement, c'est l'un des points cardinaux de la PPE. Il n'y a pas eu de risque de rupture au sens de black-out en 2017, je tiens à vous rassurer. Avec RTE, où j'étais il y a encore quelques jours pour faire le point au début de la saison hivernale, nous avons cela sous contrôle. L'ensemble des acteurs sont associés de près. Merci d'avoir accepté de faire partie du groupe de travail sur l'éolien. Sur le stockage, nous avons de bonnes nouvelles en perspective, pourvu qu'on s'y mette.
M. Daniel Gremillet. - Le coût de l'électricité est un élément stratégique pour l'économie et la précarité des ménages. Si nous voulons des emplois, il faut développer l'industrie... qui nécessite de l'électricité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)
M. Michel Dennemont . - Les PPE concernent le territoire métropolitain mais aussi l'outre-mer et la Corse, zones dites « non interconnectées ».
Les PPE, fondement d'une bonne gestion énergétique, ont comme objectif global « l'autonomie énergétique » à l'horizon 2030.
Il y a quelques semaines, RTE a établi un bilan qui servira de base à la révision de la première période des PPE qui arrivera à son terme l'an prochain. La prochaine période concernerait toutes les consommations énergétiques et non plus la seule énergie électrique. Quel sera le calendrier ?
Les territoires non connectés méritent une attention particulière. Ils ont des caractéristiques particulières : plus d'énergies fossiles, des coûts de production plus élevés, plus d'ensoleillement et de renouvelable... Comment le Gouvernement en tiendra-t-il compte ? Comment placer, en particulier, les transports au centre de cette nouvelle période ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Je n'ai pas eu le plaisir d'aller à La Réunion . Nous devons changer totalement la déclinaison des PPE en outre-mer. L'autonomie en 2030 fait des outre-mer des modèles pour la métropole. Nous travaillons à ce que les prochains appels d'offres pour le renouvelable se fassent territoire par territoire, pour un véritable développement des énergies renouvelables à La Réunion par exemple. Dans le modèle industriel, au regard du prix du carbone, elles deviennent compétitives.
M. Fabien Gay . - Les enjeux de la transition énergétique portent sur l'organisation des systèmes, notre façon de vivre, de produire et de consommer, pour faire face à l'urgence du réchauffement climatique.
La problématique est globale : réduction des émissions de gaz à effet de serre, transports, traitement des déchets et vous avez raison, Monsieur le Ministre, de parler des transports.
Aujourd'hui, 8 millions de Français sont en précarité énergétique. (M. Roland Courteau le confirme.) Environ deux milliards d'humains n'ont pas accès à l'électricité. L'énergie de demain doit être accessible à toutes et tous. Il faut investir massivement dans les énergies renouvelables. Cela ne pourra se faire que dans des pôles publics.
L'État, les collectivités territoriales doivent retrouver des marges de manoeuvre. L'évasion fiscale prive notre pays des moyens de réussir la transition énergétique. Or si le budget est légèrement en hausse, il s'inscrit toutefois dans une politique d'austérité. Les 500 millions d'euros supplémentaires pour le budget de l'écologie suffiront-ils à répondre à l'urgence climatique ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Je partage votre combat, mais je doute de pouvoir vous convaincre.
Le paquet solidarité est un virage majeur : nous aurons besoin du Parlement pour évaluer l'efficacité de ses mesures. Le Gouvernement prévoit près de 10 milliards d'euros pour le renouvelable - ce qui passera par la commande publique via les projets de territoires.
Rendez-vous début décembre pour le budget du ministère : le projet de loi de finances devrait être rassurant.
Mme Nadia Sollogoub . - Merci à M. Dantec, qui a été très complet. Les récents débats montrent combien les contraintes économiques sont souveraines. Les politiques que nous sommes et qui représentent les territoires doivent défendre les bassins d'emploi. Nous n'avancerons que si les stratégies de reconversion sont claires, accompagnées et anticipées par les pouvoirs publics.
Élue dix ans à quelques pas de la centrale de Belleville, je mesure la dépendance de certains territoires à une activité dominante. La part du nucléaire doit être réduite à 50 % en 2025. La perte de poids est vertueuse, mais le régime est toujours difficile à suivre. (Sourires) Quels accompagnements prévoyez-vous pour assurer la reconversion pérenne des travailleurs ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Les calendriers sont différents : le diesel et le charbon répondent à du temps court ; les autres sujets plutôt à du temps long. Nous avons le modèle des mines : traitement territorial, social, mais on ne s'est pas posé la question de la transition économique.
Trente ans plus tard, les Hauts-de-France se fondent sur la transition écologique par l'activité économique, mais après trois décennies où il ne s'est pas passé grand-chose. Il faut éviter cela, avec une vision globale et au cas par cas, avec une logique de filière : ainsi, une centrale nucléaire n'est pas une usine produisant des voitures.
M. Roland Courteau . - Ma question concerne le stockage de l'électricité. Les énergies renouvelables sont variables et intermittentes. Le stockage permettrait de restituer l'énergie accumulée là et quand se trouvent les besoins.
Où en est-on ? On nous dit depuis longtemps que cela avance... Or cette nouvelle technologie conditionne le développement des énergies renouvelables, d'autant que l'électromobilité prendra bientôt le pas sur les véhicules thermiques. Quelles sont donc les perspectives, Monsieur le Ministre, pour faire face à cet enjeu et garantir la sécurité énergétique ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Votre question est centrale. Il y a déjà du stockage avec l'hydroélectricité. Mais vous parlez bien du noeud technologique, du palier que nous devons franchir. C'est l'électromobilité qui pousse à la recherche. Le constructeur de la Zoé, dont le prix n'est plus si élevé, y travaille. Les innovations arrivent. Les outre-mer sont intéressants pour l'expérimentation en la matière : l'insularité rend le stockage encore plus précieux.
L'Ademe finance des projets innovants. Je ne veux pas faire d'annonce prématurée. Le Premier ministre en a parlé devant le Conseil national de l'industrie.
M. Roland Courteau. - Le stockage est indispensable à l'emploi et à la diminution de notre facture énergétique de 60 milliards d'euros.
Mme Maryse Carrère . - Avec la loi de transition énergétique, la France s'est fixé des objectifs ambitieux. Avec 13 % d'électricité d'origine hydraulique, la France est le deuxième pays producteur de cette énergie. Or elle subit des contentieux pour sa gestion des concessions. Ce « délai glissant » est juridiquement très fragile.
Le retard pris dans le renouvellement des concessions engendre un manque à gagner pour les collectivités territoriales et l'État. La Cour des comptes a évalué la perte pour l'État à 600 millions d'euros d'ici à 2020. Le département des Hautes-Pyrénées estime pour sa part le manque à gagner à plus de 1,125 million d'euros pour les collectivités territoriales.
Quelle stratégie le Gouvernement veut-il mettre en place pour engager rapidement les concessions arrivées à échéance, dédommager les collectivités lésées et préparer l'avenir de l'hydroélectricité dans notre pays ?
M. Jean-Claude Requier. - Très bien !
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Les contentieux étant en cours, je ne veux pas ajouter du trouble au trouble. La loi de transition énergétique autorise les collectivités territoriales à créer des sociétés d'économie mixte. Les cahiers des charges peuvent prévoir que le personnel soit intégralement réintégré. De nombreux échanges avec la Commission européenne ont lieu en ce moment, pour le moment sans accord. Le Gouvernement veut garder le même état d'esprit. Il faut sortir d'un statu quo qui inquiète tous les acteurs.
M. Pierre Cuypers . - La pollution de l'air tue prématurément 40 000 personnes par an en France. L'objectif est de réduire le taux d'émissions à 95 grammes de CO2 par kilomètre pour les voitures neuves d'ici 2020 - or le Gouvernement ne baisse le seuil que de 127 à 120 grammes pour les véhicules de société. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Sénat a été plus ambitieux en étendant sur 12 trimestres l'exonération de taxe sur les véhicules de société aux véhicules roulant au Superéthanol E85. La France a la chance d'avoir des carburants vertueux qui réduisent sa dépendance énergétique. Confirmez-vous que le Gouvernement, qui a donné au Sénat un avis favorable à cet amendement, en tirera les conséquences dans le projet de loi de finances pour 2018 ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - La réponse est oui. Merci pour les travaux que vous menez sur ce sujet. Notre stratégie et notre ambition, en écho avec la trajectoire carbone, se veulent pragmatiques et sincères.
M. Pierre Cuypers. - Merci de ce « oui » franc. Encourager cette filière vertueuse, c'est sécuriser notre approvisionnement, répondre à la crise agricole, protéger l'environnement et préserver 30 000 emplois !
M. Julien Bargeton . - Le plan Climat de la ville de Paris a été adopté à l'unanimité ce lundi. Preuve que sur les sujets importants, on peut s'entendre ! Contrairement aux Normands, les Parisiens ne peuvent faire appel à l'éolien offshore. (Sourires) Le Gouvernement a pris la mesure des enjeux en faisant du développement des énergies renouvelables un axe de sa politique.
L'éolien a besoin de simplification, d'un cadre stable, pour développer des entreprises à fort potentiel. Je ne plaide pas pour un abandon du cadre mais je m'interroge sur le bon niveau des contraintes. Il faut un bon équilibre.
Quel est le périmètre du groupe de travail que vous avez évoqué ? Où en est la réflexion sur l'éolien terrestre ? Quelles seront les traductions législatives, réglementaires et budgétaires de ces travaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Nous avons identifié, dans le cadre de la Conférence des territoires, les obstacles au développement de l'éolien. Le groupe de travail dédié travaille sur le cadre réglementaire. Simplification ne veut pas forcément dire assouplissement. Aujourd'hui, c'est souvent le juge administratif qui tranche. Je préférerais que ce soit le préfet, avec les élus !
Autres axes : l'intéressement et la participation, qui peuvent renforcer l'acceptabilité locale des projets ; la protection des paysages ; le renouvellement du parc existant et enfin l'éolien offshore. Le groupe de travail associe parlementaires, élus locaux, associations, représentants de la filière, ministères de la culture et des armées, ONG... Les résultats de ses travaux seront annoncés début 2018.
M. Guillaume Gontard . - L'hydroélectricité représente 15 % de l'électricité en France, c'est la deuxième source derrière le nucléaire, la seule stockable. Dans le monde, un tiers seulement de son potentiel est utilisé. C'est pourtant le mode de production d'électricité le plus compétitif et le plus durable.
Les barrages de type STEP (stations de transferts d'énergie par pompage) permettent de subvenir à nos besoins lors des pics de consommation. Ils font la fierté de l'entreprise GE Hydro de Grenoble, pourtant rentable mais qui est sous le coup d'un plan de sauvegarde de l'emploi menaçant plus de 300 emplois.
Le Gouvernement n'a pour l'instant pas souhaité intervenir dans ce dossier, refusant d'entrer au capital d'Alstom. Nous peinons à comprendre la stratégie industrielle du Gouvernement en matière de transition énergétique. À quand un grand débat national sur le sujet ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Je vous rassure : le dossier GE Hydro est suivi de près par Bercy. J'ai déjà tracé dans mon propos liminaire les lignes de notre stratégie générale pour la transition énergétique.
La France est particulièrement bien dotée en grands ouvrages hydroélectriques. Les petits ouvrages sont, eux, accompagnés par les appels d'offres. L'État réaffirmera l'importance qu'il lui accorde dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui sera l'occasion d'un grand débat.
M. Jean-Paul Prince . - La stratégie nucléaire française est à la croisée des chemins. Voulons-nous sortir du nucléaire ou promouvoir un autre nucléaire ?
La loi de transition énergétique a fixé comme objectif de réduire à 50 % de part du nucléaire en 2025. Cela va réclamer des efforts monstrueux. Le démantèlement de la centrale de Saint-Amand-les-Eaux dure depuis vingt-cinq ans et sera achevé en 2100... Vu le coût pharaonique de l'arrêt des centrales les plus anciennes, une sortie totale du nucléaire est sans doute utopique. Il faut plutôt faire évoluer le nucléaire. C'est tout l'enjeu de l'EPR, des technologies révolutionnaires telles que l'ITER. Où en est ce dernier ? La France pourra-t-elle renouveler son parc ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - La principale énergie des années à venir sera celle qu'on n'aura pas consommée. Il y a une filière industrielle d'avenir autour du démantèlement. Je suis de près le dossier de Fessenheim, mais ne peux vous répondre dans le détail en si peu de temps. Personne n'a parlé de suppression du nucléaire. L'horizon reste 50 %, c'est l'objectif de la PPE.
L'ITER, c'est 1,2 milliard d'euros de crédits jusqu'en 2020. Nous soutenons toujours l'innovation. La PPE fera des choix industriels que le président de la République annoncera prochainement.
M. Franck Montaugé . - L'énergie la plus propre est celle que l'on ne consomme pas. La transition énergétique s'appuie sur les initiatives locales. Dès 2016, 500 territoires sont entrés dans le dispositif des territoires à énergie positive pour la croissance verte - or de nombreux maires et présidents d'intercommunalité sont contraints de renoncer à leurs projets. Après une première circulaire très restrictive, quelles sont les instructions données aux préfets pour accompagner les projets ? Pouvez-vous rassurer les élus ?
L'évolution de notre mix énergétique transforme notre modèle centralisé et nous oblige à faire évoluer aussi notre modèle de tarification, notamment pour l'acheminement de l'énergie. Où en est la réflexion sur la péréquation tarifaire ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - J'ai déjà été précis sur les TEPCV. Quand on met la charrue avant les boeufs, que l'on fait des annonces précipitées, ce sont les élus locaux qui en pâtissent... J'ai été élu local : ce que je veux, c'est que la parole de l'État soit tenue. Il faut se réjouir que le président de la République tienne les engagements pris par François Hollande et Ségolène Royal.
Sur l'accès au réseau, le Gouvernement finance à hauteur de 40 % les coûts de raccordement au réseau pour tous les acteurs qui produisent des énergies renouvelables : agriculteurs, entreprises mais aussi collectivités territoriales.
Nous reviendrons sur la tarification dans le cadre de la PPE.
M. Franck Montaugé. - Sur le premier point, il s'agit de choix politiques. La question de la péréquation tarifaire est technique mais importante.
M. Michel Raison . - Notre-Dame-des-Landes est le symbole des blocages auxquels se heurtent les grands projets. Qu'importe l'enjeu, le processus décisionnel, la validation scientifique, le vote démocratique : les décisions publiques sont de plus en plus contestées, le rapport de M. Bonnecarrère sur la démocratie coopérative l'a bien montré. Comment lever les blocages et susciter l'adhésion ?
L'éolien en mer doit représenter 40 % de l'énergie renouvelable d'ici 2030. Les premiers lauréats des appels d'offres ont été annoncés en 2011, mais rien n'avance car tous ont fait l'objet de recours en justice. Et je ne dis rien du blocage du projet du site d'enfouissement de déchets de Bure ou du barrage de Poutès en Haute-Loire.
Comment l'État parviendra-t-il à faire appliquer ses décisions ? Comment faire face à la difficulté d'acceptabilité des ouvrages par les populations ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Je vous sais très impliqué sur ces sujets. Il est ici question de pragmatisme, d'intérêt à agir, de sécurisation des porteurs de projets, mais aussi d'autorité de l'État. Il faut parfois assumer de perdre du temps en amont pour éviter des blocages ensuite. Certains blocages pourraient être évités avec une meilleure concertation préalable, sur les projets de méthanisation ou d'éolien. Les procédures, parfois inadaptées, méritent d'être améliorées. Il est regrettable que ce soit le juge administratif qui tranche à la place du préfet : c'est un appel d'air au contentieux. Renforçons l'exemplarité des projets, et encourageons l'intéressement et la participation, pour que les citoyens aient un intérêt à regarder les projets avec bienveillance.
Mme Denise Saint-Pé . - Avec la loi de transition énergétique et les engagements de la COP21, la France s'est clairement engagée. Les collectivités territoriales seront en première ligne. La gouvernance de l'énergie va évoluer, conjuguant les atouts d'un système très centralisé et les dynamiques territoriales.
La loi NOTRe, en désignant les régions comme chef de file, porte en filigrane une notion de territorialisation de l'énergie. Or les élus locaux se heurtent à des freins institutionnels ou administratifs. L'installation de turbines, de parcs photovoltaïques ou d'éoliennes est trop souvent un parcours du combattant. Alors que les ressources des collectivités proviennent de moins en moins de l'État, il faut les laisser réinventer leur équilibre économique ; la production d'énergie y participe.
Que compte faire le Gouvernement pour rendre l'État facilitateur ? Il n'y aura pas de transition énergétique sans un État volontariste. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UC)
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - L'État est d'abord présent par l'appui à l'investissement : c'est le grand plan d'investissement, le rôle de la Caisse des dépôts, de la DETR. Des documents cadres orientent les investissements locaux, comme le plan climat air-énergie territorial (PCAET). (M. Ronan Dantec approuve.)
L'autre volet est réglementaire. Nous cherchons toujours l'équilibre entre libérer et protéger. Pour du repowering, faut-il passer par une nouvelle étude d'impact générale, une étude au cas par cas ne suffirait-elle pas ?
Enfin, les contrats de transition écologique supposeront que les normes environnementales soient adaptées, quand tous les acteurs sont d'accord. L'autorité environnementale pourrait accompagner a posteriori plus qu'a priori.
M. Alain Duran . - La PPE issue de la loi de transition énergétique fixe un objectif de 23 % d'énergies renouvelables en 2020, contre 12 % en 2006. Il est pertinent d'investir dans la biomasse forestière, première ressource renouvelable, riche en emplois locaux non délocalisables, qui contribue au maillage du territoire et à l'entretien et la régénération des forêts. Pourtant, le rythme de développement de la filière est insuffisant pour atteindre les objectifs. Elle n'est pas compétitive face au gaz naturel, les tarifs d'achat sont insuffisants par rapport au prix de revient, surtout pour les petites installations. Le doublement du fonds chaleur n'est pas à l'ordre du jour et l'Ademe voit ses autorisations d'engagement baisser dans le projet de loi de finances pour 2018. Comment l'État compte-t-il soutenir la filière bois, particulièrement importante dans les territoires ruraux et de montagne ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - La biomasse comprend aussi les nouveaux carburants, la méthanisation. Nous avons fait le choix courageux de privilégier les matières organiques, sans développer, comme d'autres, de cultures spécifiques consommatrices de terres agricoles. La filière bois doit impérativement être structurée. La durabilité de la production d'énergie doit être évaluée ; privilégions les chutes de bois, par exemple, plutôt que de la déforestation.
Le fonds chaleur ne diminue pas : regardez plutôt les crédits de paiements, 200 millions d'euros pour 2018 ! La trajectoire carbone renforcera la compétitivité des projets et donc leur éligibilité.
M. Gérard Longuet . - Les énergies quelles qu'elles soient sont de grosses consommatrices de capitaux ; cela suppose des règles prévisibles et stables. Le débat est mondial et nous ne sommes pas à l'abri d'un événement international, d'une nouvelle technologie ou d'une décision d'un pays étranger qui modifierait notre approvisionnement énergétique.
L'Allemagne a renoncé au nucléaire après Fukushima et relancé à la fois les énergies renouvelables aléatoires, comme l'éolien, et les énergies fossiles, charbon et lignite. Cela a déstabilisé les prix de l'électricité en Europe, car celle-ci ne se stocke pas. Allez-vous prendre des initiatives franco-allemandes pour que les règles du jeu européen ne soient pas remises en cause par une décision unilatérale ?
M. Ladislas Poniatowski. - Très bien.
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Vous avez raison. La réalité est d'abord technologique. Vous posez la vraie question de la trajectoire carbone en Europe. Ce sont les effets de levier qui permettent d'engager la transition. Si l'éolien en mer du Nord n'a plus besoin de subventions publiques, c'est que les prix sont suffisants.
La question du coût du carbone fait partie du dialogue entre le président de la République et Mme Merkel ; des conseils des ministres de l'énergie sont prévus. La trajectoire doit être nationale - nous l'avons - et, en même temps, européenne.
M. Gérard Longuet. - Je remercie Nicolas Hulot pour son sens des réalités.
M. Joël Bigot . - La filière solaire ne connaît malheureusement pas la dynamique de l'éolien. Cette énergie est pourtant très compétitive, à 55 euros le mégawattheure. Nous devons rattraper notre retard. Il a fallu attendre huit ans pour que la Commission de régulation de l'énergie valide un projet innovant en Maine-et-Loire. À quand un recensement du foncier non agricole pouvant être reconverti en ferme solaire, pour doper la filière ?
Nos concitoyens sont mobilisés, grâce à des associations comme CoWatt ; manque un soutien de l'État. Quelles mesures comptez-vous prendre, Monsieur le Ministre, pour rattraper le Royaume-Uni ou l'Allemagne, pourtant moins ensoleillés ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Je partage votre analyse, mais le défaut d'organisation de la filière n'est pas de la responsabilité de l'État : le problème n'est pas réglementaire. Recenser les friches susceptibles d'être utilisées pour produire de l'énergie est une bonne idée.
Le soutien public au solaire passera par la pluriannualité dans la gestion des appels d'offres et la massification des projets, pour améliorer leur rentabilité économique et créer des effets de levier.
M. Jean-François Husson . - La loi de transition énergétique prévoit de porter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale à 23 % en 2020 et à 32 % en 2030. Cela pèsera sur nos finances publiques. Le soutien à l'électrique s'élève à 5 milliards d'euros en 2018 - soit 30 milliards à l'issue du quinquennat.
Or le Parlement est contourné alors qu'il devrait fixer lui-même, dans une loi de programmation, le plafond de production par filière et la compensation des surcoûts aux opérateurs en contrepartie de l'achat d'énergie. Le Gouvernement entend-il lui demander de se prononcer sur ces sujets décisifs ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - Bien malin celui qui sait combien les énergies vont coûter aux contribuables. L'état du marché fait que les énergies renouvelables n'ont jamais été aussi compétitives ! Voyez le projet de loi de finances rectificative : il reste de l'argent sur le compte d'affectation spéciale.
Il faut associer le Parlement à l'élaboration de la PPE, mais surtout organiser un grand débat public sur l'acceptabilité : on ne peut le cantonner aux membres du corps des mines ! Il faudra préciser la méthodologie, associer les élus locaux, les associations environnementales. La performance énergétique n'est pas qu'un changement de politique, mais un changement de comportement.
M. Jean-François Husson. - Vous nous trouverez toujours à vos côtés quand il s'agira d'associer le Parlement, les collectivités territoriales et les Français aux décisions. Il faudra de la cohésion pour réussir.
M. François Bonhomme . - La stratégie nationale de mobilisation de la biomasse prévue par la loi de transition énergétique vise à lutter contre le changement climatique et à améliorer notre indépendance énergétique. Mais manque une vraie stratégie publique de bioéconomie, pour produire mieux et plus. Un rapport récent de l'Opecst dénonce cette absence de stratégie à long terme.
L'exploitation de cette énergie est en outre freinée par les lourdeurs administratives, avec des autorisations trois à quatre fois plus longues à obtenir que chez nos voisins italiens et allemands. Le basculement vers la biomasse de l'ancienne centrale à charbon de Gardanne devait avoir lieu fin 2016, or nous sommes toujours en phase expérimentale...
Comment faciliter la réalisation de projets, Monsieur le Ministre ?
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. - La filière bois en particulier demande un effort de structuration. L'outil, c'est l'appel à projet. La stratégie de mobilisation de la biomasse, qui a été coécrite avec les acteurs de la filière, sera présentée très prochainement. Les appels d'offres seront régionalisés pour coller au plus près des besoins des territoires. Il faut aussi définir un modèle économique viable pour la filière bois : l'enjeu, c'est la durabilité. Si ces questions vous passionnent, nous serons heureux de vous y associer très directement.
La séance, suspendue à 18 h 20, reprend à 18 h 30.