SÉANCE
du jeudi 2 février 2017
51e séance de la session ordinaire 2016-2017
présidence de M. Thierry Foucaud, vice-président
Secrétaire : M. Jackie Pierre.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Violences sexuelles : aider les victimes à parler
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Violences sexuelles : aider les victimes à parler ».
Mme Esther Benbassa, au nom du groupe écologiste . - 62 000 femmes et 2 700 hommes de 20 ans à 69 ans sont chaque année en France victimes d'un viol ou d'une tentative de viol. Au cours des douze derniers mois, 553 000 femmes et 185 000 hommes ont été victimes d'une agression sexuelle : attouchements, pelotage, etc...
Parmi les femmes de 20 ans à 34 ans, une femme sur vingt est concernée, c'est cinq fois plus qu'il y a vingt ans. L'entourage est un lieu privilégié de ces violeurs.
Près de 5 % des femmes ont subi une agression au cours de leur enfance ; les violences se produisent en effet avant les quinze ans de la victime.
Les femmes subissent viols et agressions sexuelles dans des proportions bien plus grandes que les hommes : les violences dans le couple s'ajoutent à celles subies dans la famille, au travail ou dans l'espace public. Les violences sexuelles ne sont pas pour autant que des affaires de femmes. Et il faut regretter que nul homme ne se soit inscrit dans cette discussion. Merci toutefois à ceux qui sont présents. (Mme Chantal Jouanno applaudit)
Certes, depuis 25 ans, un travail considérable a été accompli par les associations féministes et de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. Depuis 2011, des plans gouvernementaux triennaux de lutte contre les violences faites aux femmes ont été lancés, de même qu'en 2013 une Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF). Sur le terrain, pourtant, ces initiatives n'ont pas bouleversé la donne. La loi du silence perdure, ainsi que l'abandon des victimes.
Dans Mourir de dire la honte, Boris Cyrulnik explique ce qui empêche les victimes de parler : « Le honteux, ajoute-t-il, fait secret pour ne pas gêner ceux qu'il aime, pour ne pas être méprisé et se protéger lui-même en préservant son image ». Notre société continue de reléguer les violences sexuelles dans la catégorie « faits divers », voire de les ignorer.
L'attitude des victimes est trop souvent pointée du doigt : elles auraient suscité le viol - cela s'appelle, osons nommer ce tabou, la culture du viol, dans une société qui considère, par exemple qu'une fellation forcée n'est pas un viol, ou qu'un rapport non consenti n'est pas une violence, ou encore qu'à l'origine d'un viol il y a souvent un « malentendu », bref une société où les victimes courent le risque d'être mises en cause, voire maltraitées. Comment oseront-elles parler ? Céder - faut-il le rappeler ? -n'est pas consentir.
Or seule la contrainte physique ou psychologique explique qu'une personne subisse de telles violences sans mot dire. Il faut encourager les victimes à parler pour les sortir au plus tôt de leur traumatisme ; 83 % des victimes déclarent n'avoir reçu aucune protection ; 78 % n'ont pas été prises en charge en urgence ; un tiers n'a pas trouvé de psychologue dûment formé.
Deux Français sur trois estiment qu'on ne peut se remettre d'un viol. Il est urgent de lancer des campagnes visant à améliorer la connaissance de la loi, du phénomène, à déconstruire les représentations fausses, les stéréotypes et à mieux prendre en charge les victimes. Cela passe par l'affichage dans les sphères les plus touchées par ces violences : la famille et le couple, mais aussi les institutions, les lieux publics, dont les transports en commun, et par des campagnes d'information sur l'internet.
Deuxième objectif que nous devons poursuivre : mieux former les professionnels susceptibles d'être en contact avec les victimes - médecins, policiers, enseignants, juges, psychologues.
Nous devons simultanément prévenir les enfants et adolescents des dangers qu'ils courent et redire que leur protection passe avant celle de leurs agresseurs, ou des intérêts et de la réputation de la famille, des institutions ou de la société quand les mis en cause sont des personnalités connues. Inclure un volet spécifique dans la formation initiale des directeurs d'école, au sein d'un projet global de promotion de la santé ; donner une plus grande place à la parole de l'enfant est un impératif, dans le cadre plus large d'une rénovation des pratiques pédagogiques.
Nous sommes loin d'avoir rompu avec la culture du viol. C'est à chacun, là où il vit, là où il oeuvre, et à la société tout entière, de s'investir dans ce combat, pour aider les victimes à sortir de leur silence pour se reconstruire. C'est aussi à sa capacité de mener un tel combat qu'une démocratie comme la nôtre est jugée. (Applaudissements)
Mme Mireille Jouve . - On ne peut que remarquer en effet que seules des femmes s'expriment à la tribune, comme si le présent débat ne concernait pas les hommes...
Début janvier, l'académie César annonçait en grande pompe la nomination de Roman Polanski, 83 ans, à la présidence de la 43e cérémonie des Césars, le 24 février, jour anniversaire de l'accusation de viol sur une jeune fille de 13 ans, portée contre lui il y a quarante ans, et qui l'a forcé à fuir les États-Unis, après s'être reconnu coupable de « rapports sexuels illégaux ».
Frédéric Mitterrand, ministre de la culture en 2009, avait osé déclarer que si le monde de la culture ne défendait pas Roman Polanski, cela voudrait dire qu'il n'y a plus de culture dans notre pays... Si le monde de la culture absout les agresseurs sans nuance ni scrupule, au prétexte qu'ils débordent de talent, comment espérer que les victimes libèrent leur parole ? Les victimes, trop souvent, n'osent parler par crainte que l'accusation soit retournée contre elles.
En mars 2016, une enquête Ipsos donne des résultats effarants : 40 % des Français estiment que la responsabilité du violeur peut être atténuée par le comportement de la victime, et 4 sur 10 estiment qu'on peut faire fuir un violeur en se défendant « vraiment »... Or seules 12 % des victimes portent plainte et une plainte sur dix pour viol aboutit à une condamnation.
La parole de la victime, dans notre funeste « culture du viol », est le premier tabou. La formation et la sensibilisation sont des priorités absolues. La loi du 4 août 2014 a instauré un dispositif de formation spécifique pour les agents publics. Danielle Bousquet, du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, propose d'aller plus loin en s'inspirant de la cellule d'accueil d'urgence des victimes d'agressions du CHU de Bordeaux, à laquelle les victimes peuvent accéder directement, sans dépôt de plainte préalable. Du coup, parce qu'elles sont mieux accompagnées, les victimes portent davantage plainte - jusqu'à trois fois plus.
Cet accompagnement existe déjà au Québec, au sein des « centres désignés », accessibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, où des équipes de professionnels soutiennent les victimes dans leurs démarches, et des centres d'aide et de lutte contre les violences sexuelles, qui les sécurisent dans le processus judiciaire, si elles décident de porter plainte.
Nous gagnerions à nous inspirer de l'exemple québécois. Il nous reste en tout cas beaucoup à faire, et je remercie les membres du groupe écologiste à l'origine de ce débat. (Applaudissements)
M. Claude Kern. - Très bien !
Mme Chantal Jouanno . - Oui, merci d'avoir proposé ce débat, et de l'avoir inscrit à l'ordre du jour. « Aider les victimes à parler », son titre même est effrayant, qui dit la tolérance de notre société vis-à-vis des violences sexuelles.
Les chiffres ont été rappelés. L'INED estime que 580 000 femmes et 197 000 hommes sont victimes de violences sexuelles chaque année ! Et cette enquête ne concerne pas les personnes de moins de vingt ans. Sans parler des actes non déclarés, puisque seulement 10 % des victimes portent plainte car elles ont honte, n'osent pas évoquer des actes qui impliquent souvent leur entourage. L'on sait aussi que les victimes - les enfants notamment - sont fréquemment en proie à une amnésie post-traumatique, scientifiquement avérée, qui ne peut se lever que bien tardivement. Ce qui m'amènera à revenir, vous vous en doutez, sur le délai de prescription pénale.
L'on sait enfin, que les viols sont trop souvent requalifiés en agression sexuelle.
Au nom de la liberté de création, on se permet de porter au pinacle des personnes convaincues de violences sexuelles, Roman Polanski, mais aussi Gabriel Matzneff qui reçut des prix pour des ouvrages relatant de telles pratiques.
Mme Esther Benbassa. - Lolita, Le dernier tango à Paris...
Mme Chantal Jouanno. - Comment agir ? Depuis la loi du 5 novembre 2015, les professionnels de santé ont la possibilité, et non pas l'obligation, de signaler les violences sexuelles. Il faut mener une réflexion en rapport avec les dispositions du code pénal à ce sujet.
Deuxième sujet : le délai de prescription qui est l'une de mes marottes, vous le savez. Avec Muguette Dini, nous avions proposé d'y revenir en 2013. La proposition de loi, qui sera sans doute votée le 7 février prochain, ne fait toutefois pas de distinction entre mineurs et majeurs : c'est extrêmement regrettable.
Troisième problème : la prise en charge des victimes. Des progrès importants ont été faits, notamment dans les commissariats pour mieux recueillir les témoignages des victimes. Mais la brigade de prévention de la délinquance juvénile, depuis la circulaire du 20 avril 2016, n'interviendrait plus dans le cas des violences sexuelles sur mineurs. Il faudra éclaircir ce point.
Enfin, ces violences nécessitent un traitement global du corps et de l'esprit, insuffisant aujourd'hui. C'est pourtant nécessaire pour éviter la récidive des auteurs.
La violence sexuelle n'est ni une fatalité ni une banalité au sein du couple ; ce n'est pas une question de parité mais une véritable question de société. La progression des rapports non consentis entre mineurs me laisse penser que le plus dur est hélas devant nous. (Applaudissements)
Mme Corinne Bouchoux . - Je veux d'abord remercier Esther Benbassa et le groupe écologiste pour ce débat. Il rassemble manifestement les femmes plus que les hommes : c'est le Sénat à l'envers...
La honte prend trop souvent le dessus chez les victimes surtout quand l'auteur est un proche - dans 80 % des cas ! La culpabilité empêche de briser le silence et de révéler les faits. Pourtant, les psychiatres sont unanimes : la parole est le premier pas vers la reconstruction.
Nombreux sont ceux qui doutent, par peur d'aggraver les choses ou d'accuser à tort. Une enquête de professionnels, à même d'identifier les rapports de force, est alors utile. Or leur formation est perfectible. Mme la ministre nous en dira sans doute plus.
Chantal Jouanno l'a dit : il sera nécessaire de revenir sur les textes votés récemment. Comment éviter que les victimes soient attaquées en diffamation lorsque les faits sont avérés ?
La question des professionnels en contact avec les enfants reste délicate. À l'école, beaucoup a été fait ; dans les associations, à qui nous confions l'animation des activités extra ou périscolaires, c'est, à l'évidence, nettement moins le cas. Ceux à qui l'on demande un extrait de casier judiciaire sont encore trop nombreux.
Fin 2016, Psychologies Magazine a lancé un appel en faveur de la levée de l'omerta et pour mieux protéger les mineurs victimes de violences sexuelles : 23 000 signataires, dont de nombreux artistes et sportifs, se sont mobilisés, en constatant que beaucoup reste à faire.
Nous nous réjouissons de la mission confiée à Flavie Flament et au magistrat Jacques Calmettes sur les délais de prescription. Je ne suis pas favorable, à titre personnel, à l'imprescriptibilité, mais il reste des marges d'amélioration...
Le groupe écologiste compte sur vous, madame la ministre. Pour conforter leur résilience, pour aider les victimes à rebondir - c'est possible -, il faut des moyens pour les associations et des formations adaptées. (Applaudissements)
Mme Michelle Meunier . - Dans La consolation, Flavie Flament a révélé le viol dont elle a été victime de la part d'un photographe de renom - révélations qui lui ont attiré des accusations de diffamation, voire d'une part de responsabilité dans la mort de l'auteur présumé... Ce cas révèle la difficulté qu'il y a à parler, et le déchaînement de violences qui intervient alors... Notre société ne peut entendre de telles violences et la victime, bâillonnée, se voit infliger, en une double peine. Comme nous le disent si justement les associations, c'est le seul crime où la victime porte la honte. Et c'est insupportable !
Or leur parole libérée est le point de départ de la reconstruction des victimes et le point d'arrêt des criminels.
Il faut d'abord offrir des lieux de réparation pour les victimes de ce phénomène d'ampleur : 16 % des femmes et 5 % des hommes déclarent l'avoir subi au cours de leur vie. Le Conseil de l'Europe estime à un sur cinq les enfants victimes d'une façon ou d'une autre - viols, attouchements, pornographie sur internet... Les violences s'inscrivent dans un contexte social très permissif ; les auteurs se sentent tout puissants...
Les violences sexuelles détruisent profondément. Les victimes risquent de subir d'autres violences plus tard. Les violences sexuelles font partie d'un véritable continuum de violences tout au long de la vie : insultes, agressions, propos sexistes, inégalité salariale, remise en cause de l'IVG...
Le continuum s'observe aussi chez les auteurs de violence. Selon la psychologue Alice Miller, la violence entraîne la violence : 80 % des auteurs de violence en auraient été victimes dans leur enfance.
Il faut agir aux niveaux individuel et collectif. La politique menée ces dernières années permet de mieux connaître le phénomène. Il reste à mieux informer les victimes sur leurs droits.
Je regrette que des sénateurs du groupe Les Républicains aient cru bon de soumettre la loi Égalité et citoyenneté au Conseil constitutionnel, lequel a censuré son article 222 - que les deux assemblées avaient enfin fini par adopter - précisant que l'autorité parentale s'exerce à l'exclusion de « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles ». Cette censure - sur une question de forme - permet à certains parents de continuer à user d'un archaïque « droit de correction » sur leurs enfants.
L'enjeu est de libérer la parole de personnes, victimes et témoins, confrontées à la honte et à l'emprise. En parler ou non ? C'est un dilemme redoutable pour les victimes de violences sexuelles, qui risquent les accusations de mensonge, voire les menaces de mort. Pour les aider à surmonter cette épreuve, il faut des lieux de soins et de ressources animés par des équipes pluridisciplinaires. Faute de parole, le dossier est classé sans suite. Or celle-ci peut aider à identifier d'autres victimes. Je ne désespère pas que les délais de prescription soient allongés et que l'on reconnaisse un jour l'imprescriptibilité de ces crimes.
En attendant, il faut renforcer la formation des professionnels et renforcer l'initiative de Colette Giudicelli en renforçant la confidentialité des informations transmises.
La réponse judiciaire doit aussi évoluer car les classements sans suite sont trop nombreux. La connaissance d'un prédateur sexuel peut l'empêcher de récidiver.
Ce débat nous honore, alors que d'aucuns regrettent que les parlementaires se détournent de cette question ! Il n'en est rien.
Continuons à dénoncer les inégalités qui nourrissent ces violences. Le rôle de la loi est déterminant pour faire évoluer les pratiques. Soyons attentifs à l'attente forte de plus de bienveillance. Il n'y a pas de fatalité de la violence. (Applaudissements)
Mme Patricia Morhet-Richaud . - Je remercie les membres du groupe écologiste pour ce débat, ô combien utile.
Une femme sur cinq et un homme sur quatorze déclarent avoir subi des violences sexuelles. Près de 260 000 personnes - 125 000 filles et 32 000 garçons - ont déposé plainte pour de tels faits. Huit victimes sur dix étaient encore mineures, une sur cinq avait moins de six ans. Dans 80 % des cas, l'agresseur était un homme. La moitié des agresseurs sont membres de la famille, un quart sont des mineurs. À l'âge adulte, un viol sur deux est conjugal et seuls 18 % des viols sont le fait d'un inconnu.
Les violences affectent profondément la santé mentale des victimes. Un rapport récent dresse une longue litanie de troubles psychologiques, maladies cardiovasculaires, neurologiques, vasculaires, auto-immunes, en résultant. Les conséquences sont encore plus graves lorsque la violence subie était incestueuse.
En gardant le silence, la victime se fait malgré elle le complice de l'agresseur, et renforce le mépris qu'elle a d'elle-même. Une victime n'est pourtant jamais coupable ni même responsable !
Seules les 4 % des victimes agressées dans l'enfance disent avoir bénéficié de l'Aide sociale à l'enfance (ASE) et 70 % des victimes se sont senties insuffisamment ou pas du tout considérées comme victimes.
De nombreux étudiants candidats à l'examen national classant de l'internat disent ne pas être assez informés. Il faut libérer la parole. Les associations font un travail remarquable. Dans chaque ville moyenne devrait être ouverte une consultation en psychotraumatisme, associée à un réseau de professionnels formés et informés, car les médecins hésitent trop souvent à poser ces questions à leurs patients.
Le personnel des structures pour l'enfance doit être formé, sensibilisé, protégé en cas de témoignage. Il faut aussi sensibiliser les enseignants et les enfants, y compris dès le plus jeune âge. Ce n'est qu'ensemble que nous endiguerons ce fléau. (Applaudissements)
Mme Nicole Duranton . - Ce sujet est grave et complexe : il touche l'humain et ses souffrances. Une femme sur cinq, un homme sur quatorze déclarent avoir subi une violence sexuelle. Or 94 % des agresseurs sont des proches et très peu de victimes portent plainte.
Comment libérer la parole ? Tel est l'enjeu. Pour cela, il faut renforcer les dispositifs de prévention, expliquer les limites de l'inacceptable, appliquer un principe de tolérance zéro, encourager la parole pour permettre à la victime de se reconstruire, l'accompagner pour éviter enfermement et culpabilisation.
La justice doit avoir les moyens de sanctionner ces actes odieux. La prévention commence dès l'école, dès le CP. Beaucoup de victimes refusent de parler car l'agression a des effets dévastateurs sur le psychisme. Même quand il n'y a pas violence physique, il y a toujours un traumatisme sur la santé mentale et le bien-être social.
Une étude française révèle que les victimes de viol sont sujettes à des troubles du sommeil, au stress, à la dépression, au tabagisme et manifestent des troubles du comportement. Pourtant, une thérapie cognitive et comportementale de courte durée rapidement après l'agression peut atténuer les séquelles.
Les psychiatres, les professionnels de santé, les travailleurs sociaux doivent être formés à ce sujet, pour mieux détecter et traiter ces violences sexuelles.
Pourquoi ne pas lancer une campagne de prévention primaire, comme pour la prévention routière ? Il faut aussi renforcer la formation des policiers et des gendarmes. Les violences sexuelles sont un problème de santé publique courant et grave. Elles frappent surtout les femmes, mais n'oublions pas qu'elles visent aussi les hommes qui ne témoignent guère plus que les femmes.
La mobilisation de la représentation nationale est totale : je vous invite à nous engager pour faire diminuer ces chiffres alarmants. (Applaudissements)
Mme Laurence Cohen . - Merci au groupe écologiste d'avoir initié ce débat. Nous devons aborder ce sujet difficile et grave en tant que législateur.
Pourquoi les victimes ont-elles tant de mal à dénoncer leurs agresseurs ? Les langues commencent à se délier : récemment, des collaboratrices parlementaires et même des élues, ou encore l'animatrice Flavie Flament, ont témoigné et déchiré le voile du silence. Mais cela reste trop rare encore.
Les chiffres sont éloquents : 84 000 femmes majeures se déclarent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol ; moins de 10 % portent plainte - qui aboutit à une condamnation une fois sur dix, et 51 % des victimes ne font strictement aucune démarche. Malgré les politiques publiques mises en place, ces chiffres ne baissent pas.
Je veux insister sur le caractère genré de ce fléau. La très grande majorité des victimes sont des femmes, preuve que le patriarcat continue de faire sa loi.
Les femmes n'osent pas témoigner par honte, par sentiment de culpabilité, par peur de la réprobation sociale.
Muriel Salmona, psycho-traumatologue, explique ce silence par le concept de mémoire traumatique : les violences sexuelles provoquent un état de sidération qui entrave toute action. Ce fut le cas, trop peu souligné, de Jacqueline Sauvage.
Elle propose la mise en place d'un plan Marshall pour former les professionnels de santé et la création de centres pluridisciplinaires pour prendre en charge les victimes. Il est temps d'en finir avec le « Elle l'a bien cherché ! ». La honte doit changer de camp : c'est le très bon slogan de l'association Osez le féminisme.
Autre obstacle aux témoignages, la lenteur du traitement judiciaire : trop souvent la parole de la femme est mise en cause, les faits minimisés. Pourtant une femme ne peut se reconstruire sans témoigner. Le documentaire Le fléau silencieux révèle que les femmes qui vont en justice font face à un vrai parcours de la combattante. Les harceleurs et les agresseurs sont issus de tous les milieux sociaux et professionnels, tant urbains que ruraux.
Une campagne nationale de prévention est nécessaire.
Quel est le bilan des référents violences sexuelles dans les hôpitaux ? La formation est essentielle, dans la police, la justice, la santé. L'article de la loi du 4 août 2014 est trop généraliste. Je plaide pour une loi cadre pour les femmes, que porte le collectif national pour les droits des femmes.
Il serait utile que le Gouvernement s'inspire de l'avis de la commission violences du Haut Conseil à l'égalité : prendre en charge à 100 % les soins des victimes, réécrire la définition pénale du viol, allonger les délais de prescription, voire rendre imprescriptible le viol sur mineur. Il faut en finir avec la correctionnalisation des viols : le viol n'est pas un délit et doit être jugé comme un crime, en cour d'assises.
Pour cela, il faut donner des moyens à la justice, au ministère des droits des femmes, aux associations sur le terrain. Je ne peux que regretter la baisse des dépenses publiques durant ce quinquennat.
Il est enfin urgent de transposer dans notre droit la convention d'Istanbul de juillet 2014, plus favorable.
L'État doit se donner les moyens de débarrasser la société des violences sexuelles, condition pour l'égalité homme-femme. Là où il y a une volonté, il y a un chemin, disait Lénine... (Sourires et applaudissements)
Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes . - Lénine, grand féministe ! (Sourires) Merci à Mme Benbassa d'avoir initié ce débat, merci aux intervenantes pour la qualité de leurs propos.
Les chiffres ont été donnés. Une certaine impunité des agresseurs perdure. Seules 10 % des femmes portent plainte, et seulement 1 % des viols aboutissent à une condamnation ; souvent, le viol est requalifié en agression sexuelle.
J'insiste sur l'importance des viols sur mineurs : plus de la moitié des femmes violées l'ont été avant 18 ans, 40 % avant 15 ans ; pour les hommes, ces chiffres sont respectivement de 75 % et de 66 %. En 2015, la moitié des victimes enregistrées par la police avaient moins de quinze ans.
Difficile d'évaluer précisément le nombre d'enfants victimes - en 2010, le Conseil de l'Europe avançait qu'un enfant sur cinq en Europe serait victime de ces violences au sens large. La loi du silence s'applique, et peut être encore davantage à l'égard des agressions sur les hommes - homophobe ou en milieu carcéral, par exemple.
Sans aide ni protection, les victimes sont condamnées à vivre avec leurs syndromes post-traumatiques, physiques et psychologiques.
Libérer la parole, tel est bien l'enjeu. Les stéréotypes répandus aggravent le problème. Les femmes victimes sont trop souvent accusées de l'avoir bien cherché : ne leur demande-t-on pas immédiatement comment elles étaient habillées, où elles se trouvaient ? Ne dit-on pas d'ailleurs « se faire violer » ? La forme pronominale implique une participation de la victime. Disons plutôt qu'une femme a été violée ! (Mme Corinne Bouchoux approuve)
Contrairement aux idées reçues, les viols et agressions sexuelles se produisent le plus souvent au sein du couple et de la famille. Les agresseurs sont souvent membres de l'entourage : 50 % des violences sexuelles sur mineurs sont le fait d'un membre de la famille, d'où une difficulté accrue pour les enfants à mettre des mots sur des actes insensés pour eux... Ils ont peur de ne pas être crus, peur de disloquer la famille, puis subissent la honte d'avoir été victimes. C'est ce que révèle le livre de Laurent Boyet Tous les frères font comme ça... Comment dire l'indicible, penser l'impensable ?
Le budget dédié aux droits des femmes n'a pas baissé, madame Cohen. Il a augmenté de 50 % sur le quinquennat et encore de 8 % cette année.
Quand on libère la parole, on augmente le volume d'activité des associations...
Il faut aider les professionnels à mieux repérer les violences sexuelles. Chacun doit partager des repères communs. Poser les bonnes questions aux victimes permet de les déculpabiliser et de libérer la parole. La formation a été au coeur du quatrième plan interministériel 2013-2016 contre les violences faites aux femmes, lancé par la Miprof. Depuis 2014, 300 000 professionnels ont été formés, des fiches réflexes sur l'audition des victimes ont été diffusées ; 500 urgentistes référents ont été désignés dans les hôpitaux ; les magistrats peuvent suivre un stage de formation de trois jours à l'ENM ; des modèles de certificat médical sont disponibles sur le site de la Miprof. L'effort se poursuit dans le cinquième plan, présenté en novembre.
La loi du 16 mars 2016 a renforcé les moyens en termes de protection de l'enfance.
Il s'agit aussi désormais de mieux lutter contre la maltraitance contre les enfants, en utilisant l'expertise des professionnels acquise dans la lutte contre les violences sexuelles - nouvelle illustration de la pertinence du large périmètre de mon ministère.
Les départements devront désigner des médecins référents ; des unités d'accueil médico-judiciaires pédiatriques ont été créées pour faciliter les enquêtes.
Madame Jouanno, si l'instruction du 20 avril 2016 recentre les brigades de prévention de la délinquance juvénile sur la prévention de la radicalisation, les gendarmes formés continueront à intervenir dans les UAMJ.
Le 1er mars prochain, je présenterai le premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants pour améliorer la prévention, l'accompagnement, la sensibilisation, la promotion d'une éducation bienveillante.
Je regrette vivement que certains sénateurs aient jugé bon de saisir le Conseil constitutionnel pour faire censurer, pour des raisons de procédure, des dispositions de la loi Égalité et citoyenneté sur l'exercice de l'autorité parentale et l'interdiction des punitions corporelles. C'est un mauvais coup porté à la prévention de la maltraitance ! L'enfant a des droits, à commencer par celui de ne pas être frappé, l'emploi de la violence physique ne peut s'excuser au nom de la liberté éducative. Faut-il rappeler que les enfants sont les seuls êtres vivants que leurs parents peuvent légalement frapper ? Qui ne s'indigne quand il voit un maître battre son chien dans la rue ? Dès que l'enfant connait ses droits, sa parole se libère : les associations qui interviennent dans les écoles peuvent en témoigner.
Il est hypocrite de prétendre lutter contre les violences faites aux enfants et maintenir le droit à la correction, donc la domination des parents sur les enfants.
Une autre dimension est la prise en charge des psycho-traumatismes : 78 % des victimes n'ont pas reçu de soins d'urgence et un tiers n'ont pas été prises en charge de manière adaptée. C'est un enjeu de santé publique majeur. Le cinquième plan comportera un volet spécifique sur l'accès aux soins.
La réflexion sur la prise en charge des victimes d'attentat lancée fin 2016 pourra être transposée aux victimes de violences sexuelles.
Conformément aux recommandations du Haut conseil à l'égalité, nous nous attachons aussi à simplifier le parcours judiciaire : le dépôt de plainte, le recueil des preuves, l'allongement des délais de prescription. Sur ce dernier point, les amendements à la proposition de loi Tourret-Fenech ont systématiquement été repoussés ; les professionnels sont divisés sur la question. Pour sortir de l'antagonisme, j'ai confié une mission de consensus à Flavie Flament et Jacques Calmettes, magistrat honoraire, associant spécialistes et victimes - car ce sont des experts ! - qui rendra ses conclusions en mars.
Nous voulons réduire la tolérance sociale à l'égard des violences sexuelles et l'omerta dans les familles et institutions que fréquentent les enfants. Les Français estiment à 40 % que la responsabilité du violeur est atténuée si la victime a eu une attitude provocante en public ; autant pensent que l'on peut faire fuir le violeur pour peu qu'on se défende vraiment. Bref, il nous reste du travail pour déconstruire les stéréotypes ancrés dans la culture du viol.
Dans la majorité des cas, les agressions sur mineurs sont le fait d'un membre de la famille ou d'un proche : il faut donc sensibiliser les parents. De même, les professionnels de santé doivent avoir en tête que la famille est le premier lieu d'exposition aux violences.
Lutter contre les violences sexuelles contre les enfants, c'est aussi promouvoir l'éducation à la sexualité à l'école : la verbalisation aide les enfants à comprendre le respect du corps, la notion de consentement... Les deux sujets sont connexes !
La mobilisation « Sexisme pas notre genre ! » vise à démonter la dimension systémique du sexisme, de la misogynie et de la domination ; c'est un outil pour faire régresser les violences sexuelles et libérer la parole.
Enfin, j'aurai plaisir à vous accueillir au ministère en mars pour vous présenter le premier plan de lutte contre les violences faites aux enfants. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)
Prochaine séance, mardi 7 février 2017, à 14 h 30.
La séance est levée à 12 h 15.
Marc Lebiez
Direction des comptes rendus